Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable

Réunion du 23 février 2022 à 9h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • biocarburants
  • carbone
  • maritime
  • paquet
  • port
  • règlement

La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Longeot

président. – Mes chers collègues,

Après les auditions de Barbara Pompili, Jean-Baptiste Djebbari et Julien Denormandie, ainsi que la table ronde sur les enjeux de la présidence de l’Union européenne organisée en janvier dernier, nous continuons ce matin nos travaux de commission sur le « Pacte vert » européen, et plus spécifiquement, sur son volet climatique – le paquet « Ajustement à l’objectif de 55 » – tendant à réduire les émissions de gaz à effet de serre de l’Union européenne de 55 % en 2030 par rapport à 1990.

Une proposition de résolution européenne relative à ce paquet sera présentée demain, lors d’une réunion conjointe aux trois commissions concernées, celle des affaires européennes, celle des affaires économiques et la nôtre.

Elle est le fruit d’un travail d’auditions et de consultations menées par les rapporteurs des trois commissions depuis le début du mois janvier, qui marque le début de la présidence française du Conseil de l’Union européenne. Cette réflexion a été prolongée par un déplacement enrichissant à Bruxelles, où notre commission a pu échanger avec Frans Timmermans, vice-président de la Commission européenne, et la représentation permanente de la France auprès de l’Union européenne.

Je remercie vivement nos rapporteurs – Guillaume Chevrollier et Denise Saint-Pé – mais également les rapporteurs des autres commissions, et plus spécifiquement ceux de la commission des affaires européennes, par ailleurs membres de notre commission – Marta de Cidrac et Jean-Michel Houllegatte. Le texte qui vous sera présenté demain est le résultat d’un compromis entre trois commissions : cette tâche n’était pas simple mais vous êtes parvenus, Mesdames et Messieurs les Rapporteurs, à nous proposer un projet équilibré.

Comme j’ai eu l’occasion de le rappeler aux présidents de deux autres commissions, nous avons souhaité que cette résolution soit à la hauteur de nos engagements climatiques. Nos rapporteurs ont donc été particulièrement vigilants au maintien de la cohérence climatique de la résolution : l’ambition de réduction des émissions de gaz à effet de serre d’au moins 55 % en 2030 par rapport à 1990 devait être maintenue en pratique – et non seulement en théorie – sur l’ensemble du texte, en dépit d’oppositions parfois légitimes à certaines propositions de la Commission européenne. Cet équilibre me semble globalement préservé dans le projet proposé. J’en suis évidemment satisfait et j’y vois le signe d’un consensus croissant sur la finalité du paquet européen. C’est un succès pour notre commission, qui a accompagné depuis sa naissance, il y a dix ans, la montée en puissance des préoccupations environnementales, et notamment climatiques, dans notre assemblée.

Je laisse sans plus tarder la parole à nos deux rapporteurs, Guillaume Chevrollier et Denise Saint-Pé, pour nous présenter le fruit de leurs travaux.

Debut de section - PermalienPhoto de Guillaume Chevrollier

rapporteur. – Merci Monsieur le Président.

Mes chers collègues,

Je me joins tout d’abord aux remerciements du Président Longeot à l’attention de nos collègues de la commission des affaires européennes par ailleurs membres de notre commission, avec qui, comme toujours, nous avons travaillé en bonne intelligence pour aboutir à un projet de résolution.

Nous allons ce matin vous présenter les principales lignes de cette proposition de résolution européenne. Compte tenu du volume de ce document, du nombre de sujets abordés — dont certains relèvent d’ailleurs de la compétence de la commission des affaires économiques, notamment sur l’énergie — nous ne pourrons pas, ce matin, être exhaustifs. Mais nous ferons évidemment de notre mieux pour vous apporter des éléments de réponse aux questions que vous pourriez nous poser dans un second temps.

Je commencerai par les considérations générales. Nous avons tout d’abord souhaité nous placer dans la continuité des travaux précédents de notre commission, en reprenant les considérants introductifs de la résolution COP26, adoptée en novembre par le Sénat, et en nous appuyant sur l’article 1er de la loi « Climat et résilience » voté à notre initiative. Nous avons ainsi rappelé le caractère impérieux de l’atteinte de l’objectif de réduction de 55 % des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030, par rapport au niveau de 1990. Nous avons fait de cette ambition un élément structurant de la résolution : comme l’a rappelé le Président Longeot, il nous a semblé indispensable de préserver la cohérence d’ensemble de cette résolution afin de coller en pratique — et non seulement en théorie — à cet objectif. Nous formons naturellement le vœu que la France maintienne ce niveau d’ambition tout au long des négociations au Conseil.

Deuxième fil rouge de cette résolution : la dimension sociale, d’autant plus cruciale que l’examen de ce paquet intervient à un moment de forte hausse des prix des énergies. Mais cette préoccupation ne doit pas être un alibi, qui nous conduirait à renoncer à agir fermement. Nous avons donc plutôt insisté sur la nécessité d’un accompagnement social dimensionné au défi inéluctable que représente la transition climatique du continent.

Troisième considération générale : nous avons souhaité rappeler la nécessité de préserver la compétitivité des entreprises de l’Union, qui doivent être protégées à la hauteur des efforts entrepris par l’Europe en matière climatique. Nous avons par ailleurs souligné que cette transition offrait des opportunités économiques considérables et devait à cette aune être accélérée pour développer des industries bas-carbone européennes — dans l’acier ou le ciment verts par exemple.

Quatrième fil rouge, dans la droite ligne de nos travaux précédents et des enseignements que nous avons tirés de la COP26 : il nous a semblé que le paquet « Ajustement à l’objectif 55 » devait constituer le pilier de la diplomatie climatique de l’Union européenne, en agissant comme un levier au relèvement de l’ambition des États tiers, notamment des principaux États développés et des grands États émergents, tout en prévoyant des aménagements et adaptations pour les pays les moins avancés, notamment ceux du continent africain.

Dernier élément cardinal : nous avons estimé que le niveau d’investissement particulièrement élevé requis pour atteindre les objectifs à l’horizon 2030 puis la neutralité carbone à l’horizon 2050 devait conduire à une réflexion approfondie sur le soutien financier, grand absent de ce paquet climat. La proposition de résolution invite tout particulièrement la Commission européenne à envisager le regroupement des différents fonds qui contribuent à la transition, ainsi qu’à adapter les règles du pacte de stabilité et de croissance — limitant les niveaux annuels de déficit et de dette au niveau national — pour inciter et faciliter les investissements publics verts.

Rentrons maintenant dans le détail du paquet proposé par la Commission européenne.

Commençons par son équilibre général. La proposition de résolution accueille favorablement l’équilibre proposé entre l’objectif de réduction des émissions d’ici 2030 assigné aux secteurs relevant du règlement sur la répartition de l’effort — le transport, le bâtiment, l’agriculture et les déchets — et celui assigné aux secteurs relevant du marché carbone européen — l’énergie, l’industrie et le transport aérien. Nous notons en revanche l’écart important entre les objectifs assignés aux États membres au titre des secteurs couverts par le règlement sur la répartition de l’effort, les réductions d’émissions en 2030 par rapport à 2005 s’échelonnant entre 10 % et 50 % selon le niveau de richesse des États membres. L’ensemble des pays, y compris ceux de l’Europe de l’Est, à qui des objectifs les moins ambitieux sont assignés, devront pourtant s’engager dans une trajectoire de décarbonation pour permettre à l’Union d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. Nous avons enfin considéré qu’un mécanisme de sanctions, le cas échéant financières, pourrait être mis en œuvre en cas de non-respect manifeste et délibéré des objectifs par les États membres, afin de s’assurer de la détermination de l’ensemble des pays européens à honorer les trajectoires qui leur sont assignées et de crédibiliser l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 55 %.

Concernant la réforme du marché carbone européen — le SEQE-UE — notre appréciation est globalement positive : nous soutenons en particulier la montée en puissance de la réduction annuelle des quotas pour atteindre l’objectif de 55 %. Nous sommes également favorables aux propositions tendant à mieux cibler les quotas sur les industries présentant un réel risque de fuites de carbone. Nous avons aussi jugé pertinente la proposition de consolidation de la stabilité de réserve pour renforcer la stabilité du prix de la tonne de CO2 sur le marché carbone. Nous aurions toutefois apprécié que cet outil soit complété par l’instauration d’un prix plancher et d’un prix plafond, croissants dans le temps, afin de renforcer la visibilité pour les acteurs économiques et de crédibiliser à long terme l’augmentation du prix de la tonne de CO2. Cette proposition n’a pas été retenue par nos collègues.

J’en viens au projet de création d’un nouveau marché carbone pour le transport routier et le bâtiment, qui a naturellement été au cœur de nos travaux et l’objet de discussions nourries.

Il nous a tout d’abord semblé légitime de relayer les inquiétudes quasi unanimes exprimées à l’égard du projet de la Commission européenne. Nous avons pointé le risque de renchérissement des prix de l’énergie pour les ménages les plus précaires, ainsi que pour les petites et moyennes entreprises. Nous avons dans le même temps souligné la perplexité de nombreux acteurs, notamment des organisations non gouvernementales, quant à l’efficacité environnementale du dispositif. En effet, le système d’échange de quotas d’émission envisagé, mis en place à compter de 2026, supposerait un prix du carbone fixé à un niveau particulièrement élevé pour espérer baisser significativement les émissions d’ici la fin de la décennie.

Nous avons néanmoins insisté sur la nécessité de préserver la cohérence générale du paquet climat : autrement dit, dans l’hypothèse où un SEQE ne serait plus créé dans les secteurs du transport routier et du bâtiment, il faudra sans doute compenser l’absence de signal prix au niveau européen par un relèvement de l’ambition des prescriptions relatives à l’efficacité énergétique des bâtiments et aux transports, sans quoi nous renoncerions à l’atteinte de nos objectifs européens.

La proposition de résolution ne s’oppose donc pas formellement au projet de la Commission européenne, mais propose plutôt dans un souci de pragmatisme des garanties et compensations visant à assurer l’acceptabilité sociale de ce nouveau marché carbone. Nous avons ainsi considéré que ces garanties pourraient consister en l’exclusion des particuliers du dispositif ou l’instauration d’un prix plafond sur ce marché, pour limiter les risques d’envolée à la hausse du coût du carbone et protéger ainsi les plus fragiles. Nous avons également jugé indispensable, dans l’hypothèse du maintien du dispositif aux particuliers, que des moyens supplémentaires soient alloués à la compensation des coûts associés à la création de ce nouveau marché carbone pour les ménages les plus précaires, afin de les accompagner dans la rénovation de leurs logements et l’accès à une mobilité bas-carbone, notamment dans les zones rurales. Nous avions proposé que des moyens supplémentaires soient alloués au Fonds social pour le climat — proposé par la Commission européenne — en fléchant 50 % des recettes du nouveau marché carbone, et non seulement 25 % d’entre elles, comme le prévoit le projet actuel. Cette proposition n’a pas été retenue par nos collègues. Nous avons en revanche obtenu l’inscription d’une proposition tendant à allouer une part des revenus du nouveau marché carbone au Fonds d’innovation afin de développer la recherche et développement, dans la perspective d’une réindustrialisation verte du continent.

Debut de section - PermalienPhoto de Denise Saint-Pé

rapporteure. – Venons-en à la proposition de la Commission européenne visant à instaurer un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, projet porté par la France depuis de nombreuses années. Nous nous félicitons de cette avancée, qui pourrait contribuer, dans les secteurs couverts, à protéger les industries européennes dans leurs efforts de décarbonation et permettre l’extinction progressive des quotas gratuits au titre du marché carbone européen.

La résolution formule plusieurs propositions concernant le périmètre du mécanisme. Nous estimons tout d’abord que de nouveaux secteurs exposés à un risque de fuites de carbone pourraient être couverts à l’occasion de la clause de revoyure prévue par la Commission européenne en 2026, dès lors que l’intensité carbone des produits importés peut être évaluée. Nous pensons notamment aux produits chimiques organiques, à l’hydrogène et ou encore aux polymères.

Nous appelons également à étudier l’opportunité d’une extension du mécanisme à certains produits finis, en plus des produits de base actuellement couverts. Nous considérons en effet que les entreprises exportatrices européennes pourraient souffrir en l’état du dispositif d’une perte de compétitivité, en raison d’une augmentation du prix des produits de base couverts par le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières. L’intégration de certains produits finis, pour autant qu’elle soit conforme aux règles de l’Organisation mondiale du commerce, pourrait résoudre ce problème en protégeant les industries européennes.

Nous nous sommes également penchés sur le calendrier d’entrée en vigueur du mécanisme et de l’extinction complète des quotas gratuits, pour l’heure prévue en 2036. On peut s’interroger sur la pertinence de ce calendrier au regard de l’indispensable accélération de la décarbonation des industries européennes au cours de la décennie et du souhait de favoriser la construction de filières industrielles innovantes. Nous rappelons également que l’Organisation mondiale du commerce pourrait interdire le cumul des protections commerciales au titre du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, d’une part, et de l’allocation de quotas gratuits, d’autre part, si le calendrier d’extinction des quotas gratuits n’était pas assez ambitieux.

Enfin, il nous a semblé essentiel de rappeler que le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières devait constituer un outil de la diplomatie climatique de l’Union européenne. Nous appelons donc la Commission européenne à utiliser la période transitoire précédant l’entrée en vigueur du mécanisme en 2026 pour rapprocher le marché carbone européen des systèmes équivalents dans le monde. Nous estimons également que des aménagements pourraient être prévus pour les pays les moins avancés, en particulier ceux du continent africain, afin d’apaiser la crise de confiance, constatée lors de la COP26, entre pays développés et pays en développement. Nous jugeons enfin opportun de prendre en compte les effets de ce mécanisme sur les États voisins de l’Union européenne, et le cas échéant, de les accompagner dans leurs politiques de décarbonation.

Il nous reste enfin à aborder le volet transport de ce paquet climat.

Commençons par le sujet le plus sensible : la révision des normes d’émissions des véhicules. La Commission européenne propose d’interdire la vente des véhicules thermiques neufs en 2035, en se fondant sur les recommandations faites par l’Agence internationale de l’énergie qui considère ce calendrier indispensable pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. La loi d’orientation des mobilités de 2019 a certes prévu une interdiction des véhicules thermiques neufs en 2040 en France. Mais nous notons depuis le vote de cette loi une accélération de la transition vers les motorisations électriques par les constructeurs français et européens, comme l’a rappelé Jean-Baptiste Djebbari lors de son audition par notre commission la semaine passée. Il nous a donc semblé raisonnable de soutenir l’échéance de 2035 proposée par la Commission européenne. La proposition de résolution recommande toutefois d’autoriser à titre dérogatoire la vente de véhicules hybrides rechargeables neufs au-delà de cette date et jusqu’en 2040, à la condition – toutefois – d’encourager largement l’usage de carburants durables par ces véhicules. Nous avons également jugé nécessaire de préciser que la filière automobile devra être accompagnée par le biais d’un soutien à la formation professionnelle, voire à la reconversion des salariés qui pourraient être affectés par cette transition. Nous estimons enfin que les objectifs de déploiement des bornes de recharge proposés par la Commission européenne devront être accrus pour répondre aux besoins de nos concitoyens.

Venons-en maintenant aux mesures relatives au transport aérien. La résolution accueille favorablement les propositions de suppression progressive d’ici 2027 des quotas gratuits et d’exonération de taxation du kérosène dont bénéficie actuellement le transport aérien. Nous soutenons également la proposition d’obligation d’incorporation de biocarburants. Nous avons jugé ces propositions conformes à la volonté législative exprimée par la loi « Climat et résilience », qui a souhaité instaurer une tarification carbone appropriée pour ce secteur, en privilégiant sa mise en place au niveau européen. Toutefois, dans l’éventualité où des risques de fuites de carbone venaient à se réaliser du fait de ces mesures, la proposition de résolution invite la Commission européenne à étudier l’opportunité, à l’avenir, de mesures de protection adéquates et proportionnées, s’appuyant par exemple sur le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières.

Nous soulignons par ailleurs la nécessité de mesures complémentaires pour accélérer le report modal vers le train, notamment par une évolution de la réglementation européenne permettant d’instaurer un prix minimal de vente des billets d’avion, comme l’avait souhaité Philippe Tabarot dans la loi « Climat et résilience ».

Nous formons également le vœu que les moyens accrus du Fonds d’innovation bénéficient à la recherche et au développement en faveur de la décarbonation du transport aérien, notamment en appui du développement d’une filière d’incorporation de biocarburants.

Il me reste enfin à aborder les problématiques du transport maritime. Là aussi, le regard que nous portons aux propositions de la Commission européenne est globalement favorable, que ce soit au sujet de l’extension du marché carbone au transport maritime, ou de la fin de l’exonération de fiscalité dont le pétrole lourd utilisé dans le transport maritime bénéficie.

Nous souhaitons même que les négociations permettent d’accroître les objectifs de baisse de l’intensité carbone de l’énergie utilisée à bord des navires, proposés par la Commission européenne.

Voici les grandes lignes de la proposition de résolution dont nous débattrons demain, concernant les sujets relevant directement de la compétence de notre commission. Le président Longeot l’a dit : ce texte est le résultat d’un compromis entre trois commissions. Nous avons été particulièrement vigilants au maintien de la cohérence climatique de la résolution.

Nous sommes maintenant à votre disposition pour répondre à vos éventuelles questions.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Longeot

président. – Je remercie les rapporteurs Denise Saint-Pé et Guillaume Chevrollier pour ces éléments. Je vous rappelle que si ce texte résulte d’un compromis entre nos trois commissions, c’est bien en définitive celle des affaires européennes qui sera formellement habilitée à adopter la proposition de résolution. Je tiens une nouvelle fois à saluer le travail effectué par nos rapporteurs qui, malgré une configuration inhabituelle, ont su trouver un texte équilibré en vue de son examen.

M. Stéphane Demilly. – La présidence française du Conseil de l’Union européenne est une opportunité évidente pour orienter au mieux l’agenda européen en matière environnementale et démontrer la capacité de la France à être une force de proposition en la matière.

Le paquet « Ajustement à l’objectif 55 » visant à mettre en œuvre la « loi européenne sur le climat » constituera, en quelque sorte, la clé de voûte de la présidence française. En effet, les textes qui en découleront auront un réel impact sur nos concitoyens, nos entreprises, nos moyens de transport, et plus généralement notre économie. Il est donc important que le Sénat puisse faire connaître sa position au travers d’une proposition de résolution européenne, et je salue ici le travail de l’ensemble des commissaires qui ont travaillé sur le sujet.

Certaines des mesures du paquet concernent spécifiquement le domaine des transports, dont le verdissement, nous le savons, sera déterminant dans la lutte contre le changement climatique. Je voudrais revenir sur le nouvel objectif en matière d’utilisation de biocarburants dans le secteur de l’aviation, évoqué par la proposition de résolution. J’estime que les acteurs de ce secteur ont besoin de moyens supplémentaires pour s’engager pleinement dans un processus de transition écologique. L’industrie aéronautique française est un de nos fleurons industriels capables de soutenir cette transition nationale et de s’aligner sur les objectifs du Pacte vert.

Je m’interroge sur la manière dont la présidence française du Conseil de l’Union européenne saura concrètement appuyer le développement des biocarburants dans le secteur des transports. J’imagine que ces éléments feront demain l’objet de nos discussions, à l’occasion de notre réunion commune.

M. Jean Bacci. – Ces travaux nous amènent à constater les efforts considérables qu’il reste à mener en matière de décarbonation, tout secteur confondu.

Je souhaiterais faire deux remarques.

La première porte sur les véhicules électriques. Si ce moyen de transport est propre sur le plan de l’utilisation, il reste pourtant loin de satisfaire le monde rural, qui souffre d’un manque de disponibilité de points de recharge. J’attire également votre attention sur le fait que l’empreinte carbone de la production des batteries est équivalente à celle du véhicule électrique lui-même.

Ma seconde remarque concerne la prise en compte des aléas naturels, en particulier les risques d’incendies, dont le nombre augmente sur notre territoire. À ce sujet, j’aimerais, si vous me le permettez, vous soumettre quelques chiffres pour illustrer mes propos.

Durant l’été 2021, sur le pourtour méditerranéen, ce sont environ 220 000 hectares de forêts qui sont partis en fumée. On sait par ailleurs qu’un hectare de forêt méditerranéenne capte 32 tonnes d’équivalent CO2 (eq. CO2) par an, quand un hectare de forêt brûlé dégage 46 tonnes.

À horizon 2030, l’impact brut des feux de forêts de l’année 2021 est ainsi estimé à 73 millions de tonnes (eq. CO2). Dans l’hypothèse où la catastrophe de 2021 venait à se répéter tous les ans d’ici 2030, ce serait donc plus de 657 millions de tonnes eq. CO2 qui seraient non stockées ou relâchées dans l’atmosphère, un chiffre à comparer à l’objectif de stockage par les puits de carbone de 310 millions de tonnes eq. CO2 d’ici 2030, prévu par la Commission européenne dans ce paquet « Ajustement à l’objectif de 55 ». Voilà, mes chers collègues, de quoi mettre utilement ces chiffres en perspective.

Mme Marta de Cidrac. – Je voudrais également rendre hommage aux rapporteurs de notre commission, qui ont su faire preuve d’une grande ouverture d’esprit eu égard à un certain nombre de points difficiles à arbitrer. Je me félicite d’un travail effectué en bonne collégialité, en vue de notre réunion commune de demain, qui devrait aboutir au vote définitif de cette proposition de résolution.

Je souhaitais plus largement revenir sur une notion motrice de votre travail, à laquelle je suis particulièrement attachée : l’acceptabilité. Comme cela a été évoqué à plusieurs reprises, le champ couvert par les douze propositions du paquet « Ajustement à l’objectif 55 » est particulièrement large. C’est pourquoi il est important pour nous de nous positionner vis-à-vis de l’ensemble de nos concitoyens qui, ne l’oublions pas, pourraient être lourdement impactés par nos éventuelles propositions. À ce titre, je me réjouis que la notion d’acceptabilité ait été amplement intégrée à la version finale du texte. Nous sommes arrivés sur un certain nombre de sujets à un point d’équilibre, et j’espère que nos collègues commissaires s’exprimeront demain dans le sens du compromis trouvé entre nos trois commissions.

M. Ronan Dantec. – Au vu de la complexité de ce paquet, je voudrais rendre hommage à ce travail, qui constitue un véritable tour de force.

Je souhaite aborder deux points. Le premier concerne la tonalité générale positive du texte, qui reconnaît à quel point les décisions prises par l’Union européenne allaient profondément bouleverser nos économies. Je dois l’avouer, je craignais que nous soyons plus timorés sur ce point, la France n’étant, à mon avis, pas encore suffisamment consciente des implications d’une réduction de 55 % des émissions de CO2 à horizon 2030 par rapport à 1990. Une partie importante de la puissance économique de l’Union sera entièrement orientée vers cette mutation, et je me réjouis que le texte ne remette pas en cause les grands objectifs environnementaux de l’Union européenne, en cohérence avec la position de notre commission lors de l’examen, en 2021, de la loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets. De même, il est heureux que le texte ne revienne pas sur la fin du véhicule thermique en 2035. Le diable se cache dans les virgules : il me faudra prendre le temps de procéder à une lecture attentive du texte. Toutefois, je le répète, la tonalité générale du texte me semble positive.

J’en viens à mon second point. Vous l’avez dit, Monsieur le président, ce texte est le fruit d’un compromis, nourrit des apports des autres commissions concernées. Néanmoins, il me semble important que nous prenions conscience que le nucléaire n’est pas une énergie comme les autres, a fortiori aux yeux d’une partie de l’Union européenne. Comme vous pouvez le constater, un grand nombre de phrases de la proposition de résolution tentent pourtant de placer le nucléaire au même niveau que les énergies renouvelables. Je regrette cet aspect du texte. Permettez-moi de vous dire que si vous êtes un citoyen allemand vivant à proximité d’une centrale nucléaire française, les risques que vous assumez sont tels que le nucléaire ne peut être considéré comme une énergie comme les autres. Les nuages ne s’arrêtent pas aux frontières, vous le savez bien. Cette approche est symptomatique du tabou français visant à ne pas prendre en compte, dans notre propre stratégie, le rapport des autres pays européens à l’énergie nucléaire. Il s’agit en tout cas d’un point auquel le groupe écologiste ne peut adhérer, et il serait irréaliste d’espérer trouver un compromis sur ce sujet d’ici demain.

À mon sens, les biocarburants sont également problématiques, car ils ne seront jamais en capacité de remplacer structurellement les carburants conventionnels fossiles, que ce soit dans les secteurs de l’aérien et du transport maritime. Le texte est illusoire sur ce point : il suffit d’une simple règle de trois entre les besoins de ces secteurs et les capacités de production des biocarburants pour s’en rendre compte. Le passage du texte mentionnant la possibilité de s’appuyer sur toutes les générations de biocarburants est regrettable, si on considère que certaines générations présentent un bilan carbone plus polluant que celui du kérosène. Cette phrase du texte devrait pouvoir être supprimée.

Enfin, je suis convaincu que le système européen d’échanges de quotas d’émissions de gaz à effet de serre (SEQE-UE) saura faire émerger un prix de l’aérien suffisamment dissuasif pour encourager le report vers le rail sur des distances moyennes, un développement du rail en faveur duquel notre commission a souvent pris position. S’il est aberrant de prendre l’avion sur de telles distances, il est vrai que la question de l’attractivité des prix du ferroviaire reste un des principaux nœuds du problème.

M. Jean-Claude Anglars. – Je voudrais simplement intervenir sur un point souligné par nos rapporteurs. Les mutations décrites par la proposition de résolution en matière de normes d’émissions des véhicules représentent une véritable révolution.

Ramenées au territoire aveyronnais, ces mutations ont des conséquences sociales importantes. Ce sont, par exemple, 1300 salariés de l’usine d’injecteurs diesel haut de gamme, Bosch, implantée à Rodez, qui se retrouvent sans emploi entre le mois de novembre 2020 et le mois de février 2021. 333 familles sont confrontées au même sort, à la suite de la fermeture de la fonderie automobile « Sam » située à Decazeville. C’est pourquoi je me réjouis du contenu de la proposition de résolution à ce sujet, car l’accompagnement de ces familles par la formation professionnelle s’avère plus que nécessaire.

Mme Angèle Préville. – Je remercie également les rapporteurs pour ce travail accompli sur des sujets particulièrement complexes. Je souhaitais revenir sur la question des biocarburants, et abonder dans le sens des propos de Ronan Dantec. Les biocarburants proviennent de végétaux, leur combustion émet naturellement du CO2 stocké, qui vient s’accumuler au stock important de gaz à effet de serre déjà présent. L’utilisation des biocarburants ne constitue donc pas une solution crédible.

Ma seconde remarque concerne l’extension du champ d’application du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières d’ici 2026, un point sur lequel il est nécessaire d’aller plus vite. C’est notamment le cas pour les textiles, dont l’importation à plus de 90 % menace la compétitivité et donc le développement de ce secteur d’activité en Europe. Il nous faut aller plus vite sur ce point.

M. Jacques Fernique. – Cette proposition de résolution européenne porte des points forts intéressants, et montre que les lignes bougent. Elles bougent en particulier sur la prise en compte des bouleversements industriels qui s’annoncent et sur la nécessité d’éviter que ces mutations ne se traduisent par du désastre social, moyennant un accompagnement en matière de formation et de reconversion professionnelles.

En revanche, le texte pourrait être musclé par l’inscription de la nécessité de reconnaître et d’accompagner le rôle clés des territoires. Ces derniers sont directement concernés par une grande partie des avancées du paquet, en particulier au niveau des bassins de vie et des intercommunalités. Il faudra trouver un moyen de soutenir financièrement les actions territoriales sur le plan climatique. À cet égard, je crois que le fonds de cohésion sociale est un outil pertinent.

M. Olivier Jacquin. – Je remercie nos rapporteurs pour ce travail intéressant. J’en profite également pour signaler la qualité du déplacement d’une délégation de notre commission à Bruxelles, le 10 février dernier, où nous avons pu utilement échanger avec M. Frans Timmermans, vice-président de la Commission européenne, en charge du « Pacte vert ». Ce déplacement nous a permis de bénéficier d’une vision sur l’action européenne en la matière.

S’agissant du secteur des transports, il est intéressant de l’intégrer à un marché carbone, dans le respect du principe du pollueur-payeur, en vue de donner un signal prix aux acteurs du secteur. Toutefois, il ne faudrait pas, comme cela a été fait en France, augmenter les taxes sans accompagner en amont les populations devant faire face à l’augmentation du prix du carbone.

Sur la question des carburants alternatifs, je vais aller dans le même sens que mes deux voisins, Ronan Dantec et Angèle Préville. Ayant moi-même travaillé dans le domaine des transports, je suis extrêmement étonné de la persistance du mythe de l’innovation, qui donne l’impression que la rupture technologique sera de nature à nous faire complètement changer de direction. On a pu constater le poids de ce mythe sur différents sujets, en particulier concernant la production d’hydrogène. On sait pourtant que la production d’un kilowattheure d’hydrogène nécessite trois kilowattheures d’énergie. Ainsi, même si cette énergie mobilisée était non fossile, les quantités requises poseraient des problèmes considérables de disponibilité des ressources. Faire ainsi croire que l’on pourra remplacer le pétrole par l’hydrogène est donc illusoire, d’autant que les énergies fossiles ont souvent des utilisations spécifiques et ne sont pas toujours remplaçables par des alternatives évidentes. Ces éléments nous invitent à faire preuve de pragmatisme et de réalisme.

Je souhaiterais compléter le raisonnement de ma collègue Angèle Préville en soulignant les faibles rendements énergétiques des biocarburants : certaines générations présentent un besoin d’intrants conséquent. Il nous faut donc privilégier les biocarburants les plus vertueux.

Concernant le nucléaire, ce sujet me tient particulièrement à cœur, étant moi-même voisin d’une centrale frontalière du Luxembourg. Le changement de doctrine auquel nous assistons est stupéfiant. Je fais référence à un article excellent publié récemment dans le journal Le Monde, montrant que l’énergie nucléaire n’est pas un gage de souveraineté. Les liens de dépendance persistent sur le plan des matières fissiles, à l’image de l’uranium, qui est produit par un petit nombre de pays. Par ailleurs, pour avoir visité, en 2018, les installations de Fukushima dans le cadre d’un déplacement organisé par notre commission, j’ai été particulièrement marqué par la problématique des accidents nucléaires, une réalité que nous avons tendance à oublier au fil du temps.

Étant également voisin de la commune de Bure, je constate un parallèle entre la problématique des déchets ramenée au nucléaire, et celle du carbone ramenée aux énergies fossiles. Nous avons tendance à transmettre aux générations futures des problèmes que nous ne savons pas résoudre. Il en est ainsi des énergies fossiles et du carbone associé à leur combustion, comme du nucléaire et de ses déchets. Quid de ces « poubelles souterraines » radioactives, dont l’avenir est plus qu’incertain ?

président. – Je propose que les rapporteurs apportent des réponses à ces questions, tout en précisant qu’un certain nombre de sujets évoqués ici ne relèvent pas de notre commission, mais de la commission des affaires économiques.

Debut de section - PermalienPhoto de Denise Saint-Pé

rapporteure. – Merci à toutes et tous pour vos observations.

La question du nucléaire et de la production de biocarburants est délicate à traiter. Je note toutefois que ces sujets ne relèvent pas de notre commission, mais de la commission des affaires économiques.

Stéphane Demilly s’est interrogé sur la capacité de la présidence française du Conseil de l’Union européenne à faire avancer le sujet des biocarburants. J’entends les critiques des uns et des autres à ce sujet, mais il me semble que la présidence française sera tout de même l’occasion de présenter les biocarburants comme une solution alternative.

La nécessité de converger vers un objectif général commun implique que nous fassions des concessions en acceptant la part d’imperfection inhérente à toute mesure proposée, du moins durant cette décennie. Je veux vous rassurer, cher collègue, quant au rôle moteur de la présidence française à ce sujet. Tout cela nous invite à l’optimisme.

En réponse à mon collègue, Jean Bacci, j’admets que le recours aux véhicules électriques n’est pas une solution parfaite et nous devons considérer les critiques formulées à l’encontre de cette technologie. Mais elle présente un horizon vers lequel il convient de tendre, car le bilan climatique des véhicules électriques est meilleur que celui des véhicules thermiques.

S’agissant des feux de forêt, ce sujet pourrait faire l’objet d’une proposition qui pourrait être présentée demain, lors de l’examen de la proposition de résolution.

Marta de Cidrac a soulevé, à raison, l’enjeu de l’acceptabilité. C’est bien autour de cette notion que réside la réussite ou l’échec du paquet. Une attention particulière a donc été portée à cette dimension.

Ronan Dantec a émis un certain nombre de réserves, en particulier sur la filière des biocarburants. Celle-ci présente pourtant des espoirs pour des filières françaises, y compris agricoles, et il serait dommage d’exclure d’emblée cette solution alternative. Je souscris toutefois à l’idée que l’on ne pourra pas abandonner le kérosène du jour au lendemain, au profit de la filière des biocarburants. Une étude d’impact complémentaire pourrait être en mesure de nous éclairer sur la pertinence du développement de cette filière.

Je partage le constat dressé par Jean-Claude Anglars : les mutations en cours peuvent avoir de lourdes conséquences sociales sur nos territoires. Notre réflexion commune a d’ailleurs été guidée par la nécessité de prendre en compte l’impact social et l’acceptabilité de la transition en cours dans le secteur de l’automobile. Cette volonté s’est traduite dans notre rédaction par l’accent mis sur la formation professionnelle, voire la reconversion des salariés de ce secteur.

Angèle Préville souhaite que nous allions plus loin sur le champ d’application du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières. La proposition de résolution abonde dans ce sens. Je tiens néanmoins à souligner les difficultés techniques du calcul de l’intensité carbone de certains produits manufacturés, pourtant nécessaire pour s’assurer de la conformité du mécanisme aux règles de l’Organisation mondiale du commerce. Guidés par un principe de prudence et de réalité, nous avons constaté qu’en l’état, nous ne pouvions compter sur une détermination pertinente de l’intensité carbone pour un certain nombre de produits importés.

Jacques Fernique a raison de rappeler la nécessité de reconnaître le rôle des territoires dans cette transition. Ces derniers sont en attente de compensations financières pour accompagner leurs actions. En parallèle, ces mêmes territoires ont besoin que soit fixé un cadre de politique globale, capable de les faire tendre vers l’atteinte de nos objectifs de réduction de gaz à effet de serre.

J’entends également les observations avancées par Olivier Jacquin s’agissant de l’importance du principe du pollueur-payeur.

Quant aux réserves exprimées sur les biocarburants, j’estime que nous pouvons raisonnablement faire confiance aux perspectives d’innovation dans ce domaine, qu’il conviendra d’accompagner financièrement.

Enfin, nous pourrions éventuellement réserver l’hydrogène à certains secteurs d’activité, du moins dans un premier temps.

M. Olivier Jacquin. – Il serait opportun de disposer d’une étude d’impact sur les rendements énergétiques des différents types de biocarburants.

Quant au principe du pollueur-payeur, Madame la rapporteure, il devrait renchérir le prix des produits polluants, justifiant l’accompagnement par le Fonds social proposé par la Commission européenne. Je note toutefois que ce Fonds ne sera alimenté que par 25 % des recettes du nouveau marché carbone sur le transport routier et le bâtiment.

M. Pierre Médevielle. – Je voudrais moi aussi intervenir au sujet des biocarburants. Je me suis récemment rendu dans les locaux d’Airbus, à Toulouse, où j’ai pu échanger sur la question de la décarbonation de l’aviation, en évoquant les solutions à venir et les pistes en cours d’exploration. La direction de ce fleuron de l’industrie européenne m’a indiqué que des vols d’essai d’avions à hydrogène allaient avoir lieu dans deux ans, pour une opérationnalité prévue en 2030. En revanche, le stockage de l’hydrogène étant plus volumineux que celui du kérosène, les biocarburants devraient être privilégiés pour les gros porteurs, de type A350 ou A321, ayant une capacité de plus de 250 passagers. Des solutions hybrides seront toutefois envisagées pour de plus petits avions.

Debut de section - PermalienPhoto de Guillaume Chevrollier

rapporteur. – Je vous remercie toutes et tous pour vos nombreuses interventions, qui montrent tout l’intérêt que porte notre commission à ce paquet « Ajustement à l’objectif 55 ».

Je note que la plupart des critiques ne relèvent finalement pas de la compétence de notre commission, mais plutôt de celles des affaires économiques, en particulier sur le volet énergétique, et notamment sur le nucléaire.

Ma collègue rapporteure a clairement précisé notre position sur biocarburants : ils ne constituent pas la solution, mais bien une solution parmi d’autres.

Le sujet de fond est bien celui de la décarbonation de nos économies, un sujet majeur qui anime d’ores et déjà le monde économique. Notre moyen d’action, c’est avant tout celui de porter politiquement la voix des territoires, pour que les entreprises, les collectivités territoriales et l’ensemble des acteurs concernés s’orientent dans cette même direction de décarbonation. C’est donc bien ce message politique fort que nous autres, élus représentant des territoires, devons porter. Cette résolution est également l’occasion de faire preuve de pédagogie. S’agissant de la critique sur les véhicules électriques, nous notons qu’en termes de cycle de vie, leur impact carbone reste plus satisfaisant que celui des véhicules thermiques.

Il est également important de relever la force d’un message en faveur de la conciliation entre la préservation de l’environnement et le développement économique. Cette proposition de résolution européenne est animée par l’objectif de transition vers une économie décarbonée, et non vers la décroissance. La création de richesses doit pouvoir assurer la préservation de l’environnement ainsi que l’accompagnement social de la transition, moyennant une aide à la transition professionnelle par les régions et les collectivités territoriales. Il est donc fondamental qu’à l’occasion d’un débat souvent traversé par un sentiment d’éco-anxiété, le Sénat puisse porter un message positif, et apporter des solutions concrètes.

M. Didier Mandelli. – Concernant l’organisation de notre réunion commune prévue demain, je ne souhaiterais pas que nous mettions en difficulté nos rapporteurs, dans la mesure où le texte qui nous est proposé est le fruit de discussions et de négociations déjà actées par l’ensemble des acteurs. Sauf erreur de ma part, le rendez-vous de demain n’est pas censé déboucher sur une nouvelle mouture du texte.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Longeot

président. – Pour abonder dans le sens de Didier Mandelli : l’objet de la présente réunion est bien de discuter les différents éléments du texte en amont de la réunion de demain, pendant laquelle nous ne disposerons pas d’autant de temps.

M. Ronan Dantec. – Je me permets de rebondir sur les propos de Didier Mandelli. Il est vrai que le compromis trouvé est difficilement modifiable. Cela dit, certains points restent difficilement acceptables pour certains d’entre nous, et chercher obstinément un large consensus n’aurait pas de sens. C’est pourquoi le groupe écologiste s’abstiendra sur ce texte.

Par ailleurs, des éléments du texte méritent d’être améliorés, je pense par exemple à la stratégie territoriale pour accompagner le paquet ou encore à la place du fonds de cohésion, évoqués par mon collègue Jacques Fernique. Un consensus sur ces différents points permettrait certainement d’améliorer la qualité de ce texte.

J’insiste une nouvelle fois sur un point important : le passage du texte concernant l’ensemble des générations de biocarburants devrait pouvoir être retiré, d’autant qu’il fragilise votre propre discours. L’abstention du groupe écologiste ne m’empêche pas de saluer tout le travail mené par nos rapporteurs et l’équilibre général de cette résolution.

président. – Je vous remercie pour vos interventions.

Jean-François Longeot. – Je suis heureux de vous retrouver pour cette dernière étape de notre cycle d’auditions sur la prévention des risques liés aux ammonitrates dans les ports. À la suite de l’explosion qui a dévasté la ville de Beyrouth le 4 août 2020, le Gouvernement a chargé le Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD) et le Conseil général de l’économie, de l’industrie, de l’énergie et des technologies (CGE) de diligenter une mission commune sur la prévention des risques liés à la présence d’ammonitrates dans les ports fluviaux et maritimes.

Le rapport, publié en mai 2021, conclut que si le transit de matières dangereuses fait l’objet d’un encadrement clair et de contrôles réguliers dans les ports maritimes, la situation diffère dans les ports fluviaux, dans lesquels, je cite le rapport, « le partage des responsabilités est plus incertain », y compris s’agissant des ammonitrates à haut dosage qui présentent les risques les plus élevés s’ils sont stockés dans de mauvaises conditions ou pris dans un incendie.

Compétente en matière de transports et de prévention des risques, notre commission a décidé d’examiner ce sujet de près : notre objectif est donc de dresser un état des lieux de la prévention des risques liés aux ammonitrates à haut dosage dans notre pays, que ce soit au stade du transport ou du stockage afin, si nécessaire, d’envisager un renforcement de notre réglementation.

Nos travaux ont débuté en décembre dernier. Nous avons entendu les auteurs du rapport CGEDD-CGE ainsi que des représentants des acteurs économiques intervenant à divers stades de la chaîne d’approvisionnement (industrie chimique, fabricants d’engrais et coopératives agricoles) ainsi que Voies navigables de France (VNF).

Afin de confronter la matière issue des auditions à la réalité du terrain, une délégation de notre commission s’est rendue dans le département de la Seine-Maritime, plus précisément au port fluvial de Saint-Aubin-lès-Elbeuf et sur le site de l’usine Borealis, qui constitue le plus grand site de production d’ammonitrates en France.

Un autre déplacement est prévu au mois de mars, dans le Grand Est, afin de nous rendre notamment dans les ports fluviaux de Metz et de Neuves-Maisons. Un appel à candidatures à cet effet sera lancé prochainement.

Pour poursuivre nos travaux sur ce sujet, nous avons le plaisir de recevoir ce matin trois représentants des administrations centrales concernées à titre principal par ce sujet : Madame Murielle Bouldouyre, chef du bureau des affaires fluviales, Monsieur Nicolas Trift, sous-directeur des ports et transports fluviaux et Monsieur Philippe Merle, chef de service des risques technologiques.

Avant de céder la parole à mes collègues et afin de lancer nos échanges, je souhaite vous interroger sur trois points : premièrement, comment jugez-vous le niveau de protection globale en France s’agissant des ammonitrates à haut dosage, que ce soit au stade de leur transport ou de leur stockage ?

Deuxièmement, certains critiquent la méthodologie du rapport du CGEDD, indiquant que les acteurs concernés n’auraient pas été suffisamment entendus et que certains constats seraient trop « alarmistes » : partagez-vous cette impression ? Globalement, quelle est votre appréciation sur les conclusions de ce rapport ?

Enfin, quelles suites avez-vous déjà données à ce rapport ? Outre le projet de décret sur les seuils de déclaration des sites de stockage et l’arrêté qui vient d’être publié sur les conditions de stockage du nitrate d’ammonium dans les ports maritimes, des mesures complémentaires sont-elles en cours de préparation ?

Debut de section - Permalien
Philippe Merle, chef du service des risques technologiques au ministère de la transition écologique

– Je commencerai par répondre au nom de la Direction générale de la prévention des risques (DGPR). Comme vous venez de l’indiquer, Monsieur le Président, la question du transport, et particulièrement celle du transport maritime et des opérations annexes, n’est qu’une partie de la question. Je vais donc commencer par quelques propos plus généraux.

Vous le savez, les produits à base de nitrate d’ammonium comprennent les explosifs – comme à Beyrouth – et les engrais, qui ont subi une opération de « prilling », autrement dit d’enrobage ou de grelonage, visant à limiter les surfaces d’échange. Quand on cherche une propriété explosive, il faut que l’ammonitrate soit comme une sorte d’éponge. Quand on cherche une propriété fertilisante, il faut au contraire limiter les surfaces d’échange entre le nitrate d’ammonium et des éléments extérieurs.

Lorsque cette opération se passe mal, elle produit des éléments « déclassés » et nous renvoie à l’accident d’AZF. Lorsque cette opération se passe bien, cela conduit d’abord à produire de l’ammonitrate haut dosage.

Si l’on souhaite obtenir un moyen dosage, qui présente des risques nettement inférieurs, il faut le mélanger. Cela entraîne une opération supplémentaire et il faut davantage d’ammonitrates pour obtenir la même quantité d’azote.

Autrement dit, il est tout à fait logique que l’intérêt des producteurs d’ammonitrates soit de vendre du haut dosage dans les pays qui le permettent, dont la France, sachant que les producteurs sont essentiellement constitués d’un duopole norvégien et autrichien.

Le principal risque des ammonitrates, concernant les engrais non déclassés, est l’incendie, car ces produits n’explosent pas à température ambiante. En revanche, en cas d’incendie et quand il y a un apport de combustible pour une raison x ou y on se retrouve dans une situation où une détonation peut se produire, détonation qui est d’ailleurs tout à fait spectaculaire. Citons par exemple l’accident d’Oppau en Allemagne en 1921 – 560 morts – ou celui survenu sur des navires à Texas City en 1947, qui a entraîné 580 morts, ainsi que l’accident qui a eu lieu à Brest la même année, ou encore celui de Saint-Romain-En-Jarez en 2003 pour 10 tonnes de matière, qui a occasionné 9 morts.

En France, l’ammonitrate à haut dosage est majoritaire et représente environ 60 % de la consommation contre environ 40 % pour le moyen dosage, ce qui est assez atypique.

On trouve ces produits dans les ports maritimes. Compte tenu de l’évolution des connaissances techniques récapitulées dans un rapport de l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (Ineris), nous avons fait évoluer les règles sur le dépôt à terre, qui est une opération de déchargement exceptionnelle.

En principe, le déchargement s’effectue dans un cadre régi par le droit international et doit être direct, c’est-à-dire qu’il doit être effectué du navire vers un autre moyen de transport.

Il peut toutefois arriver, exceptionnellement et dans des conditions encadrées, que nous soyons contraints de faire un dépôt à terre. Dans les ports maritimes, le dépôt à terre en vrac est interdit. En cas d’incendie, il est plus difficile de déplacer le chargement que s’il se trouve dans des big bags.

Pour les dépôts à terre, la réglementation impose un dépôt en big bags, avec des îlots d’une quantité limitée et des espacements minimum. Les règles régissant ces îlots ont été fortement durcies par l’arrêté publié cette semaine au Journal officiel sur la base du rapport de l’Ineris que je mentionnais.

Voilà pour les ports maritimes.

La mission du CGEDD et du CGE a toutefois constaté qu’il pouvait exister un contournement de cette règle d’interdiction du dépôt à terre en vrac et de limitation stricte du dépôt à terre en big bags dans des ports fluviaux, notamment situés à proximité immédiate de ports maritimes. Nous avons engagé des travaux interministériels et avec la profession, afin de parvenir à des dispositions similaires à celles des ports maritimes, dans le cadre d’un règlement des ports fluviaux qui serait l’homologue des règlements des ports maritimes et qui donnerait lieu à des règlements locaux, comme c’est le cas aujourd’hui pour chaque port maritime. Les travaux et consultations nécessaires vont débuter très prochainement.

Voilà pour le transport et les opérations connexes.

En ce qui concerne les lieux de stockage, le régime en vigueur est celui de l’autorisation, qui correspond à des dangers et des inconvénients graves, à partir, seulement, de 1 250 tonnes. Le régime de déclaration s’impose, pour les ammonitrates à haut dosage, à partir de 500 tonnes, vrac et big bags compris ; le seuil de déclaration pour le vrac seul est quant à lui fixé à 250 tonnes.

À la suite à l’accident Saint-Romain-En-Jarez que j’évoquais tout à l’heure, le Conseil supérieur des installations classées, ancêtre du Conseil supérieur de la prévention des risques technologiques (CSPRT) avait préconisé de descendre le seuil de déclaration en vrac à 100 tonnes et le seuil d’autorisation à 500 tonnes.

À ce stade, le projet de décret, soumis à la consultation du public, concerne uniquement le seuil de déclaration et viserait à ramener ces seuils de 500 tonnes et 250 tonnes à 150 tonnes. Vous n’ignorez pas que les professionnels et producteurs considèrent que cela pose un certain nombre de difficultés.

Pour terminer mon propos liminaire, je rappellerai que le choix de la France consiste à encadrer plus fortement les substances les plus dangereuses, c’est-à-dire le haut dosage et plus particulièrement en vrac. D’autres pays, en Europe et en dehors, ont choisi d’interdire les ammonitrates haut dosage et/ou le haut dosage en vrac ou de mettre en place des conditions extrêmement draconiennes.

Toutefois, ce choix est compliqué à mettre en œuvre et il est nécessaire de prévoir une période transitoire. En effet, la répartition du haut et du moyen dosage n’est pas homogène sur le territoire et il est, par exemple, beaucoup plus aisé de trouver du haut dosage que du moyen dosage dans le sud de la France. Une interdiction du jour au lendemain ne permettrait donc pas d’assurer la continuité de la production agricole. C’est une autre voie possible, mais ce n’est pas celle que nous suivons. À ce stade, nous avons choisi de renforcer l’encadrement sur les stockages. Pour les ports maritimes, c’est fait. Pour les ports fluviaux, c’est en cours.

Debut de section - Permalien
Nicolas Trift, sous-directeur des ports et du transport fluvial - Ministère de la transition écologique - Direction générale des infrastructures, des transports et de la mer

– S’agissant des ports maritimes, nous rejoignons les conclusions du rapport inter-inspections : le transit des matières dangereuses, notamment des ammonitrates, est encadré à la fois par un règlement national et des règlements locaux, qui adaptent le règlement national aux configurations portuaires particulières et qui font l’objet de contrôles par les capitaineries des ports, qui sont tenues par des agents de l’État, des officiers de port. La mission inter-inspections a ainsi considéré que les risques concernant les ports maritimes sont maîtrisés.

Concernant le transport fluvial, vous l’avez souligné, la mission émet quelques recommandations, sur la base des constats qu’elle a faits.

Le transport de matières dangereuses par voie fluviale est régi par la réglementation internationale et nationale, qui porte sur les bateaux, les équipements et la qualification des personnels.

Debut de section - Permalien
Muriel Bouldouyre, cheffe du bureau des voies navigables au ministère de la transition écologique

– Le transport fluvial de matières dangereuses obéit à une réglementation extrêmement précise et engageante, imposant la détention d’un certificat « ADN », en vertu d’un accord européen relatif au transport intérieur de matières dangereuses, qui doit être renouvelé tous les 5 ans.

Un contrôle étroit est opéré par l’administration en France, notamment par les services en charge de la sécurité de la navigation intérieure des directions départementales des territoires (DDT). La profession est très encadrée et soumise à des exigences de sécurité et de conformité technique des bateaux qui sont extrêmement précises et très contrôlées.

M. Jean-François Longeot. – Je cède la parole à nos trois rapporteurs.

M. Pascal Martin. – Merci pour les éléments dont vous venez de nous faire part, qui prolongent les échanges que nous avons eus ces dernières semaines. Je souhaiterais vous poser plusieurs questions, qui s’adressent plutôt à M. Merle.

La recommandation n° 7 du rapport CGEDD-CGE préconise que la DGPR et les DREAL privilégient les ICPE soumises à déclaration stockant des ammonitrates à haut dosage dans le cadre de l’action nationale 2021. Cela a-t-il bien été mis en œuvre en 2021 ? Combien de contrôles et de visites d’inspection ont eu lieu en 2021 ? Des sites relevant du régime de la déclaration ont-ils été contrôlés ? Quelles situations avez-vous observées ?

Concernant la prévention des risques dans les installations de stockage, vous avez fait allusion à la consultation publique sur un projet de décret proposant d’abaisser à 150 tonnes (au lieu de 250 tonnes pour le vrac et 500 tonnes pour les big bags) le seuil de déclaration des installations de stockage d’ammonitrates à haut dosage.

Cela suscite des réactions assez vives, notamment de la part des exploitants agricoles, qui avancent des critiques de deux ordres. Premièrement, ils indiquent que cet abaissement de seuil, en contraignant l’utilisation des ammonitrates à haut dosage, risque d’inciter les agriculteurs à privilégier le moyen dosage, ce qui poserait selon certains acteurs plusieurs difficultés. D’une part, une telle évolution fragiliserait la souveraineté alimentaire de la France, puisque les ammonitrates à moyen dosage sont en grande partie importés. D’autre part, cela induirait une hausse des quantités de produits mises sur les routes et donc, des émissions polluantes, puisque les agriculteurs devront utiliser davantage d’engrais pour conserver les mêmes rendements.

Deuxièmement, certains acteurs estiment que l’abaissement du seuil de déclaration pour le haut dosage conduirait à davantage concentrer les stockages d’ammonitrates dans certains sites, ce qui aurait pour effet d’augmenter les risques localement.

Selon vous, ces inquiétudes sont-elles fondées ? Une étude d’impact environnementale et économique a-t-elle été réalisée dans le cadre de la rédaction de ces projets de textes ? Enfin, pourquoi avoir choisi d’abaisser le seuil de déclaration à la fois pour le vrac et le big bag alors que ces derniers présentent moins de risques, comme vous l’avez rappelé vous-même ? Ne pensez-vous pas qu’il serait plus judicieux de renforcer uniquement la réglementation relative aux ammonitrates à haut dosage utilisés en vrac afin d’inciter les exploitants agricoles à privilégier les produits conditionnés ?

Enfin, vous avez évoqué votre volonté de rapprocher les régimes en vigueur dans les ports maritimes et dans les ports fluviaux et je salue cette initiative, car il semble en effet que la réglementation dans les ports fluviaux soit insuffisante.

M. Philippe Tabarot. – En complément des questions posées par mon collègue et sur la base des échanges que nous avons déjà eus sur le terrain, j’aimerais vous poser des questions sur le fluvial, sur le maritime et sur le ferroviaire.

En prenant connaissance du premier arrêté du 7 février 2022 qui s’applique aux ports maritimes, il me semble que paradoxalement vous n’ayez pas commencé par traiter les problèmes là où ils sont les plus importants !

De même, le projet de décret et le projet d’arrêté évoqués, dont la consultation s’est achevée il y a une semaine, concernent les stockages agricoles.

Ma première question est donc la suivante : quid des ports fluviaux ? Travaillez-vous à une réglementation pour les ports fluviaux ? C’est notre principale inquiétude, Pascal Martin vous l’a très justement rappelée.

Concernant les ports maritimes, le rapport inter-inspections formule deux recommandations intéressantes : charger la DGITM et à la DGPR d’assurer un pilotage des capitaineries au niveau national, au moyen de réunions régulières, d’appui et de conseils ou encore de formations et de partage d’expérience, afin d’augmenter leur efficacité et développer un système de gestion des matières dangereuses unique pour tous les ports maritimes, au-delà des grands ports maritimes (GPM) permettant une consolidation des données au niveau national.

Quel regard portez-vous sur ces propositions et allez-vous concrètement les mettre en œuvre ? Serait-il opportun d’étendre ce système de gestion unique à l’ensemble des ports fluviaux également ?

S’agissant du transport fluvial, le rapport inter-inspections souligne des écarts d’organisation entre les ports fluviaux et maritimes en ce qui concerne la gestion des matières dangereuses (absence de capitainerie et d’autorité chargée de la police portuaire ou des matières dangereuses notamment). Des évolutions réglementaires ou législatives vous sembleraient-elles pertinentes pour rendre plus robuste l’organisation des ports fluviaux sur ce point ?

J’en viens à ma question sur le ferroviaire, qui concerne une situation particulière. Lors d’une précédente audition sur ce sujet, notre collègue le sénateur Gilbert-Luc Devinaz, a porté à notre connaissance le cas d’une gare de triage dans le Rhône dans laquelle des matières dangereuses transitent et stationnent parfois de manière prolongée.

Ces gares deviennent de facto des espaces de stockage, sans que la législation nationale ne s’applique puisqu’elles sont soumises à la réglementation internationale sur le transport ferroviaire.

En revanche, les installations industrielles avoisinantes sont soumises à la directive « Seveso ». Cette situation est préoccupante à deux titres : d’une part, elle peut conduire à des contournements de la réglementation Seveso et, d’autre part, elle induit une différence de niveau de protection entre les riverains, selon le lieu où ils vivent. Avez-vous eu vent de cette situation ? Pouvez-vous nous confirmer cette situation ? Avez-vous connaissance d’autres cas de figure similaires sur le territoire ?

Est-ce que la réglementation internationale fait « écran » à l’obligation, prévue par l’article 6 de la loi de 2003 sur les plans de prévention des risques technologiques (PPRT) de réaliser une étude de danger pour l’infrastructure concernée dans le Rhône ?

Mme Martine Filleul. – Je souhaiterais que vous précisiez vos réflexions sur deux sujets : le transport d’ammonitrates en vrac et le transport fluvial, en complément des interventions de mes collègues rapporteurs.

La recommandation n° 8 du rapport inter-inspections vise à mieux réglementer le transport d’ammonitrates en vrac, à haut dosage non conditionnés, comme le prévoit le règlement 2019-1009 qui s’appliquera à compter du 16 juillet 2022. Prévoyez-vous des évolutions réglementaires d’ici le mois de juillet pour nous mettre en conformité avec ces nouvelles règles ?

Cette recommandation préconise également l’interdiction du chargement et du déchargement d’ammonitrates à haut dosage en vrac dans les ports fluviaux : avez-vous prévu, et si oui comment, de mettre cette proposition en application ?

Concernant le transport fluvial, le code des transports prévoit une obligation d’annonce lors du passage d’un bateau transportant des matières dangereuses sur une voie fluviale, mais celle-ci n’est pas transposée dans l’ensemble des règlements de navigation qui s’appliquent dans nos différents bassins fluviaux. Que pensez-vous de l’idée d’imposer cette transposition dans tous les règlements de navigation intérieure ?

Ensuite, le rapport inter-inspections préconise l’élaboration d’un règlement de transport et de manutention des matières dangereuses transportées par voie fluviale, qui serait le pendant du règlement applicable dans les ports maritimes. Il propose aussi que ce règlement soit décliné localement dans les règlements de police de navigation intérieure (RPPNI) par VNF et d’identifier les lieux de déchargement de matières dangereuses. Que pensez-vous de cette proposition ? Pensez-vous enfin que VNF devrait avoir un rôle plus important dans le suivi du trafic des matières dangereuses par voie fluviale ?

Debut de section - Permalien
Philippe Merle, chef du service des risques technologiques au ministère de la transition écologique

– L’action nationale 2021 a conduit à contrôler 246 installations, principalement pour vérifier le respect des conditions de stockage. 170 de ces installations relevaient des règles de placement ICPE dont 125 étaient soumises au régime de la déclaration. Sur ces 125 contrôles, nous avons malheureusement recensé plus 550 non-conformités qui ont conduit à 38 arrêtés de mise en demeure. Nous avons donc plus de 20 % d’installations qui présentent de véritables problématiques de non-conformité, ce qui représente une proportion importante. 34 % des non-conformités portaient sur l’obligation de tenue d’un état des stocks et la localisation des engrais, qui sont des sujets essentiels en cas d’incendie car il est nécessaire de savoir où se situent les stocks pour pouvoir les protéger. S’agissant de l’éloignement des stockages des matériaux combustibles, nous avons constaté 40 % de non-conformités, de même que sur le respect de la distance d’éloignement entre les engrais. Enfin, la non-réalisation des contrôles périodiques est apparue dans des proportions légèrement supérieures à ce qui est habituellement constaté. Il existe donc une vraie problématique de respect de la réglementation sur ces sites soumis à déclaration.

En ce qui concerne le haut et le moyen dosage, la différence d’un point de vue environnemental et agronomique n’est pas majeure et l’urée pose davantage de problèmes environnementaux. Déplacer le curseur du haut dosage vers l’urée poserait des difficultés à ce titre, mais déplacer le curseur vers le moyen dosage ne nous paraît pas primordial, au regard des enjeux de sécurité, voire de sûreté posés par le haut dosage qui ont conduit de nombreux pays à réglementer plus strictement, voire interdire le haut dosage. Cela entraînerait effectivement probablement un accroissement du trafic routier, mais le débat à ce sujet fait ressortir des positions contrastées. La consultation publique sur le projet de décret a donné lieu à une cinquantaine de commentaires, se regroupant en quatre catégories. Outre l’opposition frontale, qui est habituelle dans ce type de consultation, la première série d’arguments concerne l’absence d’étude d’impact. Nous avons eu beaucoup de rencontres avec des professionnels et nous leur avons demandé, de façon régulière, de nous fournir des informations afin d’évaluer où positionner le curseur pour être les plus efficients possible, mais, à part une réponse récente affirmant que la réforme allait conduire à fermer 40 % des sites, nous n’avons jamais obtenu les informations demandées pour étayer nos travaux. Quelques informations d’ordre économique nous ont été données sous le sceau d’une totale confidentialité, je vous invite donc à vous tourner directement vers les producteurs en question. Sur l’étude d’impact, nous avons fait ce que l’on pouvait avec ce dont on disposait.

Un autre argument portait sur l’inclusion des engrais mélangés avec du sulfate, mais cette question peut s’analyser de façon précise, afin de définir un abaissement de seuil qui ne concerne que les ammonitrates.

Enfin, le dernier argument porte sur la non-différenciation entre vrac et non-vrac, sachant que le Gouvernement nous a demandé de travailler sur un seuil à 150 tonnes pour les deux. Je rappelle qu’en 2005, à la suite de l’accident de Saint-Romain-En-Jarez qui a fait 9 morts, le Conseil supérieur des installations classées avait préconisé un seuil à 100 tonnes pour ce qui concerne le vrac. Si, à la fin des discussions, nous arrivons à moins de 150 tonnes pour le vrac et un peu plus de 150 tonnes sur le big bag, l’objectif est également atteint : cela envoie le signal que le haut dosage est un problème et encore davantage que le stockage en vrac est un problème.

Philippe Tabarot considérait que nous n’avions pas commencé par le plus impactant. Effectivement, nous avons peut-être commencé par le plus facile. Nous avions en effet l’occasion de modifier le règlement port maritime et nous avons fait ce qu’il fallait sur une problématique technique concernant la taille des îlots et la distance entre eux. En revanche, nous n’avons pas de matrice réglementaire concernant les ports fluviaux, mais elle est en cours de constitution. Les groupes de travail vont s’engager avec les professionnels dans les prochaines semaines, pour élaborer des règlements fluviaux déclinés par des règlements locaux. Je rappelle à ce sujet que la réglementation internationale sur le transport ne permet pas d’interdire le chargement/déchargement dans les ports maritimes, mais que nous pouvons encadrer ces opérations en fixant des lieux pour leur conduite. Nous pouvons en revanche interdire ou encadrer plus fortement le dépôt à terre, qui doit rester une exception justifiée, à défaut de pouvoir faire autrement, et soumise à des conditions sécurisées, avec des îlots plus écartés et de taille inférieure. Je rappelle que dans les ports maritimes, le dépôt en vrac est interdit. La même idée sera reprise pour les ports fluviaux. Cependant les ports fluviaux ne sont pas ma principale source d’inquiétude, elle porte plutôt les sites de stockage, que ce soit sous le régime de la déclaration ou de l’autorisation.

S’agissant de l’espace de stockage dans le Rhône évoqué par Philippe Tabarot, le code de l’environnement requiert effectivement une étude de danger au-dessus de certains seuils pour des infrastructures de transport de matières dangereuses. Rappelons toutefois que les réglementations du transport et du stockage sont fondamentalement différentes, y compris au niveau européen, et que les aspects annexes aux opérations de transport ne rentrent pas dans le cadre de la directive Seveso. À notre connaissance, l’obligation française de faire une étude de danger porte sur des seuils qui sont au-delà de ce qui se passe dans le Rhône. La DREAL Rhône-Alpes est informée du sujet, c’est à ce stade sa conclusion et les discussions se poursuivent pour s’assurer que nous ne sommes effectivement en dehors du champ d’application de ces dispositions du code de l’environnement même si tout n’est pas forcément satisfaisant. À ce stade, ce sont les informations dont je dispose sur ce sujet, que nous avons identifié.

Enfin, s’agissant du règlement qui entrera en vigueur le 16 juillet prochain, à notre sens, il fonctionne déjà avec la réglementation française actuelle des transports et matières dangereuses.

Quant au cas particulier des ports fluviaux, vous l’aurez compris, nous cherchons à nous aligner sur les ports maritimes s’agissant des matières dangereuses.

Debut de section - Permalien
Nicolas Trift, sous-directeur des ports et du transport fluvial - Ministère de la transition écologique - Direction générale des infrastructures, des transports et de la mer

– Concernant les ports maritimes, vous avez signalé une nécessité de meilleure information des services locaux et notamment des capitaineries qui sont en charge de contrôler les déclarations faites par les armateurs lorsqu’ils transportent des matières dangereuses. Nous n’avons pas attendu le rapport pour ce faire et animons déjà des groupes de travail. Nous allons, à la suite du rapport du CGEDD et de votre proposition, renforcer ce travail afin de systématiser ces réunions au niveau national, en lien avec la Direction Générale de la Prévention des Risques et avec les responsables des capitaineries, de façon à faire remonter des situations particulières et à mieux informer les acteurs locaux sur les évolutions de la réglementation du transport de matières dangereuses.

S’agissant du suivi du transit des matières dangereuses, vous avez probablement raison de pointer une méconnaissance assez forte. Tel est l’objet du travail que nous allons engager avec la DGCCRF qui elle aussi dispose d’informations sur le trafic de matières dangereuses, afin de mieux suivre dans les ports maritimes et surtout dans le transport par voie fluviale le trafic de ces matières. Parmi les pistes de travail figure l’introduction d’une obligation d’annonce de transport de matières dangereuses. L’opérateur VNF prendrait en charge ce suivi et la diffusion de cette information aux administrations concernées.

Debut de section - Permalien
Muriel Bouldouyre, cheffe du bureau des voies navigables au ministère de la transition écologique

– Je vous informe que le groupe de travail évoqué précédemment se réunira le 1er mars avec l’ensemble des acteurs de la voie d’eau (VNF, Compagnie nationale du Rhône, association française des ports intérieurs ainsi que des ports, dont HAROPA) et des représentants de la filière des engrais, afin d’explorer l’ensemble des pistes de travail à l’œuvre. L’objectif est très clair : tirer le bénéfice des conclusions du rapport du CGEDD, afin de compléter utilement l’arrêté du 29 mai 2009 relatif au transport de marchandises dangereuses par voie terrestre, notamment sur les conditions techniques des opérations de chargement-déchargement, de transbordement et d’avitaillement, et faire en sorte que les lieux pour conduire ces opérations soient conformes aux dispositions de l’annexe. Nous entendons également faire en sorte que les différents règlements de navigation intérieure puissent être clarifiés au plan local, sachant que ces règlements de police sont sous la responsabilité des préfets. L’ensemble des acteurs étant fortement motivé, je pense que nous parviendrons rapidement à un consensus large. La question n’est donc pas de savoir si les recommandations seront appliquées, mais comment.

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Nicolas Trift, sous-directeur des ports et du transport fluvial - Ministère de la transition écologique - Direction générale des infrastructures, des transports et de la mer

– Je vais consulter les personnes en charge du ferroviaire afin d’apporter une réponse à la situation évoquée par Philippe Tabarot.

M. Hervé Gillé. – Plus la logistique est complexe, plus le risque est élevé, ce qui souligne l’intérêt de produire l’ammonitrate au plus près des zones de production agricole. Avons-nous une estimation de la production d’ammonitrate en France, au regard de son utilisation ? Y aurait-il un intérêt, pour limiter la logistique, de pouvoir produire davantage en France, au plus près de l’utilisation de ces matières ?

M. Jean-Claude Anglars. – Je n’ai pas compris la réponse concernant l’abaissement du seuil à 150 tonnes. Pourquoi cela a-t-il été décidé à part pour gêner les agriculteurs ? Je ne comprends pas bien les fondements de cette décision. En outre, les organisations professionnelles mettent en avant les coûts engendrés et demandent une étude d’impact en amont.

Mme Martine Filleul. – Je voudrais revenir sur le rôle qui pourrait être confié à VNF dans le transport de matières dangereuses par voie fluviale. Vous parlez d’une obligation de porter à sa connaissance des informations sur les matières transportées, mais ne devriez-vous pas accorder à cet acteur plus d’importance sur la partie contrôle ?

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Philippe Merle, chef du service des risques technologiques au ministère de la transition écologique

– Il est assez difficile d’avoir des chiffres sur l’import-export, mais il semble que le marché français serait à peu près équilibré, avec légère dominante de l’import. Si nous voulons fabriquer davantage de moyen dosage que de haut dosage en France, ce qui impliquera des coûts de fabrication supérieurs, il faudra investir dans les installations en question, qui sont vieillissantes pour l’essentiel et, pour certaines, sujettes à des non-conformités récurrentes. Il y a un sujet d’investissement industriel pour disposer d’installations capables de fabriquer du moyen dosage en France, mais cela n’est pas insurmontable. Si on raisonne à l’échelle européenne, fabriquer du moyen dosage ne pose pas de difficulté car le haut dosage est quasiment inexistant en Allemagne, en Belgique, au Royaume-Uni, en Autriche, aux Pays-Bas, en Irlande, au Danemark et en Suède.

Par ailleurs, s’agissant du projet de décret proposant d’abaisser les seuils de déclaration, je ne crois pas que la volonté soit de gêner les agriculteurs. Il s’agit à mon sens de prendre une initiative législative visant à envoyer un message clair sur le refus des hauts dosages ou, autre option, à décourager le recours au haut dosage par rapport au moyen dosage, en insistant sur la nécessité de prendre plus de précautions. Tel est l’objectif du projet de décret qui abaisse à 150 tonnes le seuil de tous les modes de stockage, même s’il pourrait être tout aussi pertinent de parvenir à des seuils différenciés entre vrac et non-vrac. Nous n’avons pas eu les éléments demandés aux professionnels pour estimer plus finement les impacts, si ce n’est quelques chiffres sous couvert de la confidentialité que vous pourrez leur demander. Effectivement, on pilote un peu à l’aveugle. Sur le fait d’envoyer un signal selon lequel le haut dosage est plus dangereux que le moyen dosage et nécessite d’investir dans des conditions de sécurité plus fortes, le signal est bien reçu si l’on en juge par les réactions lors de la consultation.

Debut de section - Permalien
Nicolas Trift, sous-directeur des ports et du transport fluvial - Ministère de la transition écologique - Direction générale des infrastructures, des transports et de la mer

– Je pense qu’il nous faut distinguer l’information du contrôle. L’information peut être recueillie par VNF, mais le contrôle est déjà assuré par les forces de l’ordre (police et gendarmerie fluviales) et les services instructeurs des directions départementales des territoires, qui vérifient la validité des certificats de déclaration de transport de matières dangereuses, en lien avec le constat ou pas du transport de matières dangereuses. Nous pourrons néanmoins évoquer la possibilité de renforcer les pouvoirs de police de la navigation fluviale de VNF, cette discussion pourrait être ouverte.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Longeot

président. – Je vous remercie.

Ce point de l’ordre du jour a fait l’objet d’une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Philippe Tabarot. – Je souhaitais vous faire part de notre intention commune, avec plusieurs de nos collègues, d’adresser un courrier au Premier ministre au sujet des insuffisances du projet de contrat de performance entre SNCF Réseau et l’État.

Le cycle d’auditions que nous avons conduit ces dernières semaines a mis en lumière les nombreuses lacunes de ce projet de contrat. Pour ne rappeler que quelques points saillants, les moyens en matière de régénération et de modernisation sont insuffisants, la trajectoire d’augmentation des péages est insoutenable, et les indicateurs de performance manquent cruellement. En définitive, ce document n’est pas à la hauteur des ambitions que nous avons inscrites dans la loi « Climat et résilience », tant en matière de transport de voyageurs qu’en matière de fret.

Je vous propose donc de co-signer un courrier au Premier ministre qui, comme vous le savez, est très attaché au développement du train dans ce pays, pour inviter le Gouvernement à réviser ce contrat pour tenir compte des remarques formulées par les acteurs consultés et notamment par l’Autorité de régulation des transports.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Longeot

président. – Je vous remercie pour cette proposition et vous invite, mes chers collègues, à cosigner ce courrier dès cet après-midi.

La commission approuve.

La réunion est close à 11 h 10.