En tant qu'émetteurs ou investisseurs, les banques et les assurances sont extrêmement concernées par les agences de notation. Elles font du lobbying auprès de Bruxelles, pour faire connaître leur point de vue. De plus, la Commission européenne est en train de rédiger un règlement pour encadrer l'activité de ces agences.
Nous aimerions connaître vos positions sur toutes ces questions.
Merci pour votre invitation. Les assureurs sont de gros investisseurs sur tout le segment obligataire et ils sont également des émetteurs réguliers : pour satisfaire aux exigences prudentielles, nous détenons des fonds propres mais également nous émettons régulièrement de la dette subordonnée qui est notée par les agences.
Le projet de réglementation européenne comporte des points positifs, mais aussi des points négatifs. Nous saluons ainsi l'objectif de réduire la dépendance règlementaire à la notation, conformément aux recommandations du G20. C'est d'autant plus bienvenu que nous sommes en train de revoir le cadre prudentiel avec la réforme Solvabilité II. Nous approuvons aussi la possibilité d'engager la responsabilité civile des agences de notation en cas de faute caractérisée ou de faute grave, ainsi que la volonté d'instaurer une plus grande transparence, l'obligation de consulter la partie concernée avant tout changement de méthodologies ou encore l'instauration d'un délai avant toute publication d'une note modifiée.
Non, plutôt à un délai de 24 heures avant la publication, ce qui permet d'informer l'entreprise notée avant que la note ne soit rendue publique.
D'autres points sont plus problématiques comme l'obligation de rotation des agences, l'harmonisation des méthodologies de notation, l'interdiction faite aux agences de notation de noter à la fois l'émetteur et son instrument de dette ou encore l'obligation de faire approuver les modifications de méthodologie par l'Agence européenne de supervision des marchés financiers.
En 2007, nous avons vu les conséquences que pouvaient avoir les erreurs de fonctionnement des agences de notation : même si elles n'ont pas provoqué la crise, elles y ont contribué. Cette question est essentielle et nous nous sommes régulièrement exprimés lors des consultations européennes.
L'idée d'une régulation européenne sur la base des principes qui ont été présentés par la Commission est évidemment une bonne chose, même si sa mise en oeuvre se révèle très difficile puisque nous avons affaire à trois agences américaines. Ces entités jouent un rôle très important dans le marché alors qu'elles sont anormalement peu nombreuses et qu'elles ont recours à des méthodes relativement opaques. C'est donc une bonne chose que la Commission s'occupe de leur méthodologie. Autant certaines des propositions nous semblent appropriées, autant d'autres ne répondent pas au problème. Diverses questions ne sont pas traitées.
Nous approuvons l'idée d'autoriser, de regarder les méthodologies. Même chose pour la responsabilité en cas de faute : l'irresponsabilité totale n'est pas normale mais on ne peut instaurer un délit d'opinion, car cela condamnerait à mort les agences de notation.
Nous approuvons aussi l'idée de réduire le recours aux agences de notation du moins dans la partie obligatoire et règlementaire. Cependant, la réforme proposée ne va pas au bout de la logique. Il est anormal qu'on soit obligé d'utiliser l'avis des agences alors qu'elles ne sont que trois et que leur culture est commune.
Les grandes banques sont beaucoup mieux équipées que d'autres opérateurs puisque toute leur activité de crédit suppose une analyse du risque. Plus les opérateurs sont petits, plus il leur est difficile d'avoir leurs propres services d'analyse. En France, nous avons peu de petites banques, mais ce n'est pas le cas dans d'autres pays européens.
La rotation qui est prévue n'est pas praticable avec trois agences. Comment faire émerger de nouvelles agences ? Cela suppose un effort sur le long terme car il faudrait des années avant qu'une nouvelle agence soit crédible, ce qui veut dire plusieurs exercices durant lesquels elle serait financée à perte. Les seules agences qui se développent à l'heure actuelle, mais qui restent petites, se trouvent en République populaire de Chine, mais leur modèle est bien différent du nôtre.
Il y a là un problème de fond que l'on peut tenter de circonscrire mais que l'on ne résoudra pas tant que le monopole actuel demeurera. Les agences profitent de cette situation. Elles utilisent leur pouvoir pour obtenir des informations que le marché n'a pas : le fonctionnement du marché est donc biaisé, puisqu'en théorie, tous les opérateurs devraient disposer des mêmes informations. En outre, le fait de détenir des informations cachées renforce l'aura des agences. Puisqu'elles sont supposées détenir des informations confidentielles, leur avis n'en a que plus de poids. Il serait donc approprié qu'elles soient tenues à ne fonctionner que sur des informations publiques ou que les nouvelles informations qu'elles obtiennent soient rendues immédiatement publiques.
C'est d'autant plus important si l'on souhaite l'émergence de nouveaux concurrents, car, nouveaux venus, ils ne pourraient prétendre à obtenir des informations confidentielles.
Il y a un biais dans les méthodes : aux Etats-Unis, les normes comptables, les critères et les ratios sont différents. Il serait bon qu'une autorité européenne fasse évoluer la méthodologie des agences.
Ce problème est donc très important mais difficile à traiter : les agences doivent évoluer, de nouvelles agences seraient souhaitables et la rotation envisagée par la Commission ne règle rien.
Il y a un paradoxe : on entend dire qu'il faut se désintoxiquer des agences de notation qui sont de plus en plus un passage obligé. La réglementation prudentielle des assurances les oblige-t-elle à passer par les agences pour apprécier les risques d'un actif ? Pensez-vous que Solvabilité II est de nature à amplifier - ou à réduire - le recours à la notation ?
Dans le cadre règlementaire et prudentiel actuel, nous ne sommes pas obligés d'utiliser les notations pour nos investissements. Le code des assurances contient une liste des actifs règlementés. Il impose principalement d'investir dans des titres qui sont négociés sur des marchés reconnus, mais il n'est pas fait mention des notations comme critère d'investissement, ni pour les exigences en capital.
Rien ne vous oblige, par exemple, à prendre uniquement du triple A ? Vous pouvez investir dans des junk bonds ?
Oui, dès lors qu'ils satisfont aux autres critères qui sont règlementés, ce qui ne veut bien sûr pas dire que les assureurs n'utilisent pas la notation comme un des éléments de prise de décision.
Solvabilité II va introduire deux modifications : des exigences en fonds propres calculées de façon beaucoup plus fine en fonction du risque pris au passif mais aussi à l'actif, ce qui s'analyse notamment au regard de la note de crédit de l'émetteur des titres dans lesquels l'investissement est réalisé. Nous aurons donc plus souvent recours à la notation. Mais on demande aussi aux assureurs d'avoir des systèmes internes d'analyse du risque, surtout pour les crédits, afin de ne pas être contraint de se fier exclusivement aux notes des agences. Notre politique sera donc fonction de cette double exigence.
Les banques doivent, depuis longtemps, disposer de fonds propres : l'analyse fine est donc intrinsèque au métier. La réglementation a eu tendance à privilégier l'usage, au moins a minima, de la notation extérieure. Elle tend aujourd'hui à la réduire, mais ce n'est pas facile. Les très grandes banques peuvent disposer de notations internes, mais plus les marchés ou les établissements sont petits ou exotiques, plus la notation externe est importante. En outre, la notation externe a une certaine importance dans la mesure où elle influence le marché lui-même. Si la notation de titres négociables se dégrade, l'impact est immédiat. Nous sommes donc obligés d'en tenir compte. En revanche, il faut bannir l'obligation légale.
Toute une série d'investisseurs et d'entreprises ne déposent des fonds dans des banques que si ces dernières sont notées au-delà d'un certain niveau. Si la banque tombe en-dessous, les dépôts repartent. Ces entreprises ont toute liberté d'agir ainsi, avec les effets mécaniques qui en découlent. Le poids des avis des agences de notation est donc démesuré. Sur un titre, l'avis d'un seul analyste financier ne fait pas la loi, mais les trois agences qui s'observent produisent un effet systémique pouvant entraîner l'assèchement des dépôts. Il ne faut pas rendre les agences de notation responsables de tous les problèmes actuels, mais elles peuvent les amplifier du fait de leur position tout à fait particulière.
Il serait utile d'obtenir un droit de réponse : les entreprises notées devraient pouvoir répondre aux agences de notation qui les dégradent, et les données objectives devraient être publiées. Le débat suppose que les différentes thèses en présence puissent s'affronter. Cette réforme améliorerait la situation actuelle.
Les banques et les assurances continuent-ils à investir dans les produits structurés ?
Les assureurs détiennent encore des produits structurés, mais dans des proportions assez faibles. Je n'ai pas de remarque particulière à formuler sur les notations des agences sur ces produits.
Je ne parlais pas du stock des produits structurés que vous détenez, mais des flux : continuez-vous à investir dans ce type de produits ?
Oui, car la gamme des produits structurés est très large.
Il faut distinguer selon le degré de complexité de ces produits. Si l'on appelle structuré tout ce qui consiste à retravailler les matières premières, qu'il s'agisse de crédits ou de valeurs mobilières existantes, on couvre un champ qui va de produits extrêmement clairs et lisibles à des produits beaucoup plus complexes et spécialisés. La crise de 2007 a montré que l'on avait très largement exagéré la capacité des investisseurs à analyser ces produits : souvent le travail n'en valait pas la peine si bien que les investisseurs s'en sont remis aux analyses des agences de notation, ce qui est malheureux, car elles ont été utilisées bien au-delà de ce qu'il aurait fallu faire. Les agences de notation ne notent en effet que la solvabilité ultime, c'est-à-dire le remboursement final. Or, ce qui peut affecter une banque, c'est la liquidité et le prix sur le marché. Si les deux s'effondrent, même si l'on est payé à la fin, l'effet est considérable. Or, les agences ne notaient pas ces phénomènes. En outre, elles notaient souvent ces produits structurés tout en intervenant en amont dans la structuration, ce qui s'est révélé extrêmement dangereux.
Il faut désormais distinguer entre les produits clairs et transparents et les produits plus complexes. La titrisation simple et les obligations foncières sont des produits assez lisibles. Il suffit de savoir quelle est la qualité des créances immobilières qui sont à l'origine de ces produits. Si les normes minimales sont respectées, il n'y a pas de problème de compréhension. C'est d'ailleurs pour cela que la titrisation s'est développée aux Etats-Unis pendant longtemps sans aucun problème, car les normes étaient relativement strictes. On aura même besoin de développer ces systèmes puisque Bâle III va aboutir à une exigence de capital beaucoup plus grande à activité identique. Il faudra donc recourir beaucoup plus au marché pour produire de nouveaux prêts. Il faut se montrer vigilant pour que le public comprenne bien de quoi il s'agit. Pour tous ces produits, le processus doit donc être encouragé. Les produits complexes, quant à eux, ne doivent pas être rejetés par principe, mais comme le marché a du mal à les analyser de manière responsable, les opérateurs doivent se montrer plus prudents et les traiter de façon plus rigoureuse d'autant que ces produits sont moins liquides.
Toutefois les pertes finales sur les produits structurés émis en Europe avant la crise de 2007 ont été extrêmement faibles. Les notations n'étaient donc pas si mauvaises. En revanche, l'erreur a été commise aux Etats-Unis avec les subprimes - les prêts à des débiteurs qui n'étaient pas en état de rembourser - et avec l'énorme bulle immobilière qui a surgi. Le fait de base, c'est que l'on n'a pas été assez sélectif sur les crédits eux-mêmes, contrairement à ce qui se passe en France où l'on tient compte de la capacité de remboursement des emprunteurs, indépendamment de la valeur du gage. Si l'on retient la seule valeur du gage, on transforme l'emprunteur et la banque en spéculateurs sur le marché immobilier. A l'évidence, l'achat d'une maison ne doit pas être une opération spéculative. La valeur du produit est là en garantie ultime. La conception était donc malsaine dès le départ.
S'il faut intervenir sur les agences, le point de départ reste le produit lui-même qui doit être clair, transparent et à risque faible. Si tel n'est pas le cas, le marché doit savoir qu'il s'agit de produits plus risqués et le traitement prudentiel doit être durci.
Vous avez évoqué un éventuel droit de réponse, lorsqu'un établissement est noté. Pourriez-vous nous dire comment il pourrait s'organiser ?
Comment aller vers plus de transparence ?
Quand une agence de notation dégrade, il serait intéressant que dans sa note figure le droit de réponse de l'entreprise ou de l'Etat dégradé, de telle façon que les deux opinions puissent se confronter.
Rien, mais rien ne l'oblige non plus ! Or, l'effet d'annonce de l'agence de notation serait réduit puisque son analyse serait remise en cause dans le même document.
En ce qui concerne la transparence, nous ne pouvons accepter que les agences de notation puissent faire état d'informations privilégiées. Qu'elles exigent des informations d'un émetteur, rien de plus naturel, mais il importe que ces informations soient immédiatement rendues publiques. Les avis des agences seraient ainsi démythifiés.
Il est sans doute excessif de prévoir une approbation, comme le demande la Commission, mais un dialogue entre l'autorité européenne et les agences sur les méthodes utilisées est nécessaire. Si les méthodes sont biaisées par mauvaise intention, mais aussi pour des raisons culturelles, il faut pouvoir demander aux agences de procéder à une rectification et le faire savoir au public. Plus les choses seront sur la table, plus la situation sera saine.
Les agences de notation feraient bénéficier de leur décision de dégrader tel ou tel opérateur certains privilégiés avant de rendre public leur décision. Qu'en pensez-vous ?
Ce comportement serait anormal. Si un émetteur dispose d'informations confidentielles, la loi l'oblige à informer le marché.
Si une agence donnait une information en avant première à quelqu'un, il s'agit d'un délit d'initié. De telles dérives relèveraient de poursuites pénales.
C'est une question qu'il faut poser à l'AMF. Il y a des cas de repérages et de sanctions : leur effet est double, puisqu'il y a la sanction elle-même mais aussi l'effet de cette sanction sur le public. C'est une procédure qu'il faut renforcer car les conséquences de tels agissements sont dévastatrices : l'initié vole autrui en effectuant des transactions à un prix qui n'est pas celui du marché, et il porte atteinte à l'intégrité du marché, d'où une perte de confiance des investisseurs qui doivent être mis à égalité.
Les banques ne devraient-elles pas favoriser l'arrivée de nouvelles agences ?
Le problème est financier car, pour créer une agence, il faut soutenir un effort financier sur une longue période. En outre, les notations doivent être techniquement crédibles, ce qui implique d'être à l'occasion désagréable. L'institution doit également apparaître indépendante des Etats, mais aussi des banques. Il n'est donc pas facile de mettre en place une agence en partie publique mais qui ne soit pas à la main des Etats et qui dispose d'une analyse technique crédible.
Pourquoi ne pas demander aux 100 plus grandes banques européennes de se cotiser pour créer une agence indépendante ? La dilution du pouvoir de chaque banque serait totale et l'indépendance de cette agence assurée.
Une autorité européenne ne pourrait-elle pas jouer le rôle de juge de paix face aux agences de notation ?
Il n'y a pas de raison que les banques fournissent de l'argent plutôt qu'un autre émetteur. Cela reviendrait à créer une taxe. En outre, qui organiserait cette agence de notation ?
Choisi par qui ? Il n'est pas facile de rendre des comptes tout en revendiquant son indépendance. Il faudrait favoriser l'éclosion d'une nouvelle agence en s'appuyant sur des volontaires, éventuellement aidés par des fonds publics.
Mon idée était différente. Le marché des agences de notation dégage des marges importantes. Il est entre les mains des Américains et ses décisions peuvent peser sur l'économie mondiale. Les erreurs faites en 2007 ont eu des conséquences financières, économiques puis sociales très importantes. L'Union européenne pourrait refuser que perdure cet oligopole en créant sa propre agence. Pourquoi ne pas imaginer que les banques européennes financent cette agence dont le conseil d'administration serait élu ?
Les banques n'ont pas besoin de ce genre d'agence puisqu'elles disposent de leurs propres services d'analyses. Ce serait donc plutôt aux émetteurs de financer cette agence. Ceci dit, comment sélectionner les membres du conseil d'administration ? Plus la décision est publique, moins elle est neutre.
A titre personnel, je dirai qu'il faudrait peut-être avoir recours aux banques centrales qui sont beaucoup plus neutres. Quand les agences de notation se sont développées aux Etats-Unis, c'était en liaison étroite avec la FED. Cela permettrait de faciliter l'émergence d'une nouvelle agence indépendante, puisque les banques centrales ne sont pas émettrices, contrairement aux Etats.
Un autre élément pourrait jouer en faveur de la transparence : il faudrait examiner la qualité rétrospective des notations effectuées par le passé. Il serait d'intérêt public que les agences de notation expliquent leurs notations au regard des fluctuations enregistrées. On saurait ainsi si leurs analyses s'apparentent à un tirage au sort ou si elles rendent compte de la réalité.
Des banques ou des assurances ont-elles déjà mis en cause la responsabilité civile des agences ?
Pas à ma connaissance. En droit, ces agences relèvent du droit américain où la liberté d'expression est garantie par le premier amendement de la Constitution. Il y a eu des actions, mais elles n'ont jamais abouti. Des actions pourraient-elles prospérer dans le cadre des produits structurés ? Peut être, mais les avocats de ces agences ont dû rédiger les statuts pour préserver les agences de toute poursuite.
Les nouvelles règles ont l'avantage de poser des garde-fous, d'adresser un signal.
Ne devrait-on pas s'interroger sur le rôle des régulateurs afin de mieux encadrer l'action des agences ?
Le projet européen prévoit un dialogue entre l'agence européenne et les agences de notation, mais ces dernières peuvent y échapper en arguant que leurs notations ne sont qu'une opinion. Il y a une disproportion entre leur statut juridique, qui en fait des entreprises comme les autres, et leur influence sur le marché. Dans une économie de marché, la réponse à cette difficulté se trouverait dans l'instauration d'une concurrence entre agences. Puisque la concurrence n'existe pas, le régulateur doit essayer de rééquilibrer les choses, mais ce n'est pas chose aisée. Si les méthodologies sont examinées et approuvées, on risque d'aboutir à un effet pervers, à savoir que les notations des agences seront encore plus légitimes, puisque validées par l'autorité de régulation. Le dialogue doit donc être serré mais le régulateur devra garder ses distances vis-à-vis des agences. Ce dialogue servira néanmoins de garde-fou et à déceler d'éventuels effets plus systémiques qui seraient communiqués aux autorités afin qu'elles interviennent s'il y a lieu. Par exemple, les banques françaises accusent les agences de trop favoriser la comptabilité américaine. Si l'AMF le vérifiait, elle pourrait demander aux agences d'utiliser la comptabilité de notre pays. Le régulateur doit donc avoir accès aux méthodologies des agences.
Tous ces grands principes auront à peu près l'efficacité d'un sinapisme sur une jambe de bois. L'opinion publique ne comprend pas de quoi il retourne. Seuls quelques spécialistes peuvent s'y retrouver, mais sommes-nous vraiment éclairés ?
Que pensez-vous du modèle de rémunération investisseur - payeur ? Je l'accuse d'être responsable de cette disproportion dont vous parliez entre le statut juridique des agences et leur influence sur le marché.
Il est en effet assez bizarre que celui qui paye la notation soit en même temps celui qui soit noté. Il faudrait que celui qui utilise la notation la paye. C'est comme si l'élève qui passait un examen payait ses professeurs après une tractation directe... Les résultats seraient sans doute curieux. Mais on ne sait comment passer à un autre modèle, à moins d'institutionnaliser les agences. Si l'on oblige les investisseurs à rémunérer les agences, il faut leur donner un statut. Nous sommes aussi frustrés que vous, car le système n'est pas satisfaisant.
Je commencerai en vous présentant la méthodologie retenue pour cette étude : nous avons interrogé un échantillon de 352 investisseurs professionnels qui utilisent les produits des agences de notation. Cet échantillon est représentatif des entreprises du secteur financier et de l'assurance. Nous avons utilisé la méthode des quotas pour assurer la représentativité de cet échantillon. Les interviews ont été réalisées par téléphone du 9 au 22 mai 2012. Le montant moyen annuel des sommes gérées par chaque investisseur s'élevait à plus de 1,4 milliard, mais 13% des sondés ont refusé de répondre à cette question. La fréquence d'utilisation des agences de notation est intéressante : un tiers les utilisent régulièrement, notamment dans les plus grandes entreprises de notre échantillon, un tiers les utilise parfois et le dernier tiers rarement. Cette question a induit des réponses de perceptions et de positionnement différentes au cours du sondage.
J'en arrive à l'image et à la confiance portée aux agences de notation : 59% des sondés déclarent avoir une bonne image de ces agences mais cette opinion doit être nuancée car il y a peu d'avis très positifs, ni d'avis très négatifs, d'ailleurs. Les deux tiers des investisseurs considèrent que les agences de notation font des analyses rigoureuses. Cet avis est surtout partagé par les courtiers, les investisseurs dans les grandes structures et les gestionnaires de fonds. Ensuite, l'impartialité, la responsabilité et la réactivité sont majoritairement salués, mais dans des proportions moindres. En revanche, les méthodes employées par les agences sont contestées : 58% des investisseurs leur reprochent leur opacité. C'est notamment le cas pour ceux qui gèrent les fonds les plus importants et pour ceux qui y ont rarement recours. En revanche, plus on utilise les agences de notation, plus on a tendance à trouver les méthodes employées transparentes.
Les notes attribuées par les agences influent sur les deux-tiers des investisseurs : sans doute ces 64 % doivent-ils être réévalués à la hausse, car il est toujours difficile d'avouer être sous influence. Un tiers des investisseurs disent ne pas avoir recours aux notations des agences.
Pourquoi utiliser les agences de notation si l'on ne tient pas compte de leurs notes ?
Il y a effectivement une contradiction mais, comme je l'ai dit, il est toujours difficile d'avouer être sous l'empire d'une influence extérieure.
Les notes attribuées par les agences sont jugées satisfaisantes pour appréhender les risques de crédit en ce qui concerne les émetteurs privés et publics. Pour autant, les investisseurs ont des jugements assez mitigés : 84 % ont déjà considéré que certaines évaluations étaient manifestement surévaluées, ce qui vient nuancer les appréciations globales en termes de rigueur et d'impartialité. L'image générale doit donc être nuancée.
La publication des méthodologies utilisées par les agences est jugée utile par 80% des investisseurs, mais elles sont trop complexes pour être exploitables. Autre élément qui écorne l'image et la confiance des investisseurs : les différentes polémiques sur le rôle des agences de notation ont modifié substantiellement l'image et la confiance accordée en ce qui concerne la dette souveraine, les produits structurés et, dans une moindre proportion, les obligations des entreprises.
60% des investisseurs considèrent que les agences de notation gèrent leur conflit d'intérêt de manière satisfaisante, mais une majorité d'entre eux souhaiterait davantage de garanties dans ce domaine. De même, le calendrier selon lesquelles les notes sont rendues publiques apparaît satisfaisant à une majorité d'investisseurs institutionnels, mais 8 0% d'entre eux considèrent qu'il faudrait faciliter la mise en cause de la responsabilité des agences de notation en alignant leur régime sur celui des commissaires aux comptes.
Nous avons voulu noter les agences de notation : elles ont obtenu toutes les trois une note moyenne de 2,9 sur 5.
Enfin, 77% des investisseurs accordent une confiance plus importante aux titres lorsqu'ils sont notés par plusieurs agences.
Nous en arrivons aux souhaits d'évolution des méthodes utilisées par les agences de notation. L'achat de titres en fonction des notations est une pratique minoritaire et l'instauration d'une obligation en ce sens n'est pas souhaitée. En revanche, 74 % des investisseurs voudraient pouvoir financer les agences de notation plutôt que ce soit le fait, comme aujourd'hui, des émetteurs. Deux tiers des investisseurs utilisent les notes de façon régulière et souhaitent que les réglementations internes et externes y fassent référence. De même, deux tiers des investisseurs ont régulièrement recours à des méthodes alternatives pour évaluer leurs risques.
Une grande majorité des investisseurs souhaitent plus de concurrence sur le marché de la notation : tous les critères proposés par l'étude leur ont semblé important, qu'il s'agisse d'une agence privée ou publique, mais la prépondérance est donnée à la qualité des analyses, à la transparence de la méthodologie et à la capacité à gérer les conflits d'intérêt. En revanche, la structure du capital a semblé moins importante aux investisseurs.
En conclusion, il faut noter la bonne image générale des agences de notation. Les investisseurs institutionnels leur trouvent beaucoup de qualité, ce qui légitime leur existence, en dépit des récentes polémiques.
Pourtant, cette image est écornée : un élément de doute est lié à l'opacité des méthodes de ces agences. Les investisseurs attendent une plus grande transparence. Il y a un paradoxe dans le fait d'avoir une image globale positive tout en considérant que les analyses sont opaques et que certaines notations sont surévaluées.
Les investisseurs attendent donc une réforme, un changement, une diversification des sources d'information et un meilleur contrôle des agences de notation.
La surévaluation reprochée par les investisseurs n'est-elle pas due au contexte boursier déprimé ? Les investisseurs regrettent-ils d'avoir payé trop cher ?
Nous ne leur avons pas posé la question de la cause de la surévaluation mais nous leur avons demandé s'ils avaient eu parfois le sentiment que les notes étaient surévaluées. Parfois, nous ont répondu 45 % d'entre eux, souvent, selon 16 % d'entre eux. Mais l'étude ne cherchait pas à savoir sur quoi se fonde ce sentiment.
63 % des investisseurs seraient d'accord pour financer les notations alors qu'aujourd'hui elles sont gratuites. C'est une information extrêmement surprenante et importante
Vous avez raison : en général, quand on demande aux gens de payer, ils sont plutôt défavorables. Il s'agit d'un indice important pour étayer cette attente de réforme de la part des investisseurs qui ont conscience qu'ils doivent eux aussi fournir des efforts. Cet élément vient battre en brèche la perception a priori très positive du travail des agences de notation. Au-delà du discours convenu i y a la conscience de la nécessité de procéder à des réformes.
Les investisseurs souhaitent être informés sur la qualité des produits qu'ils achètent, ce qui est bien normal. Les émetteurs peuvent être soupçonnés de chercher à se présenter de façon séduisante : les investisseurs veulent avoir des assurances.
Les investisseurs cherchent toujours à réduire les incertitudes. Le souhait d'avoir des résultats fiables est sans doute plus fort que le coût qu'il peut engendrer.
Puisque 52 % des investisseurs estiment que les notations des agences ne sont qu'un critère de choix parmi d'autres, ceux qui utilisent les notations le feraient avec d'autant plus de confiance qu'ils les financeraient.
Cette hypothèse est recevable. Il est toujours difficile d'avouer que l'on est sous influence. Peut être que dans les faits, les comportements sont un peu différents.
Effectivement, et c'est pour cette raison qu'ils utilisent plus de sources, qu'ils souhaitent plus de concurrence, qu'ils multiplient les informations pour pouvoir les confronter les unes aux autres.
Certains investisseurs souhaitent la notation par les trois agences avant de se lancer.