Nous tenons aujourd'hui la première audition de notre mission d'information créée à l'initiative du groupe Les Indépendants- République et Territoires et nous accueillons M. Édouard Geffray, Directeur général de l'enseignement scolaire et M. Christophe Kerrero, Recteur de l'Académie de Paris compte tenu de leurs importantes responsabilités dans le domaine de l'éducation.
M. Édouard Geffray, vous êtes le directeur général de l'enseignement scolaire depuis juillet 2019, après avoir été notamment directeur général des ressources humaines des ministères de l'éducation nationale et de l'enseignement supérieur. Vous nous direz peut-être ce que vous avez pu faire au niveau de la formation initiale et continue des enseignants pour assurer le droit à une scolarité sans harcèlement.
M. Christophe Kerrero, votre parcours vous a permis d'observer l'école et ce qui s'y joue sous des angles très variés. Vous avez une expérience de terrain puisque vous avez été professeur, proviseur adjoint et inspecteur général de l'éducation nationale. Vous avez également travaillé pour le ministre Luc Chatel et pour Jean-Michel Blanquer, dont vous avez été le directeur de cabinet avant de devenir Recteur de Paris, en juillet 2020.
Avec mes 22 collègues membres de la mission, nous sommes pleinement conscients de l'ampleur du phénomène du harcèlement scolaire, et de son extrême gravité. Nous souhaitons donc, au travers de vos deux regards experts, que vous nous aidiez à bien cerner et d'abord à définir la notion.
Nous souhaitons également disposer des termes de référence pour mesurer son évolution dans le temps et savoir si l'utilisation des réseaux sociaux est bien un facteur aggravant. Nous voulons également connaître la situation de nos principaux partenaires en Europe, et savoir si vous avez connaissance d'expériences intéressantes qui pourraient nous apporter des enseignements utiles.
Vous connaissez l'engagement de longue date du Sénat pour défendre les libertés. Nous sommes pleinement déterminés à ce que les plus jeunes puissent suivre paisiblement une formation qui les guidera toute leur vie. Dans le cours de nos travaux, nous souhaitons donc connaître les mesures déjà prises et savoir quelles actions concrètes sont effectivement menées au quotidien, sur le terrain, pour lutter contre ce fléau.
Je vous propose donc de nous dresser chacun un panorama du phénomène puis je passerai la parole à notre rapporteure pour qu'elle vous interroge avant de faire intervenir l'ensemble de nos collègues qui le souhaitent.
J'invite M. le directeur général à commencer avant que M. le Recteur complète ses propos, notamment en nous apportant un point de vue plus territorial et de terrain, à travers l'exemple de l'académie de Paris.
Je vous remercie de nous convier sur un sujet qui est pour nous une préoccupation quotidienne, à la fois au niveau central, en académie et dans les établissements.
Le harcèlement est une violence avant tout, multiforme, répétée, intentionnelle, systématique, généralement « en meute », à plusieurs contre un. Il y parfois des harcèlements à un contre un, mais souvent on constate un effet d'entraînement, qui vise à dégrader moralement, à « pourrir la vie » d'un élève dans l'environnement scolaire et en dehors de cet environnement.
Le harcèlement repose sur des ressorts connus que sont le déséquilibre des forces - la victime étant en situation de faiblesse par rapport au groupe ou au harceleur, la répétition et le caractère systématique, la diversité des atteintes (rumeurs, coups, vol, dégradation matérielle, humiliations diverses et variées) et l'intentionnalité de nuire. Le type de réponse vise à travailler sur ces ressorts.
Il connait un prolongement dans l'espace cyber qui traduit une mutation des lieux d'expression associée à un plus grand sentiment d'impunité car il est anonyme, mais aussi hors de la présence et de la possibilité de contrôle des adultes et notamment de ceux de l'établissement scolaire. En pratique, il libère encore plus la parole et la violence des élèves harceleurs.
Le cyberharcèlement a pris le relai et démultiplié ce que l'on remarquait dans le harcèlement physique. On constate un phénomène de vases communicants. Sur longue période, le harcèlement commence à baisser : les chiffres de la direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) montrent cette baisse et lorsqu'on interroge les établissements, on constate une baisse réelle dans l'environnement « physique » : - 5,6 % en 2018. Les témoignages concordent. En revanche, on relève une augmentation dans l'univers cyber : 25 % des collégiens déclarent avoir connu au moins une atteinte via les nouvelles technologies, 14 % des lycéens ont été victimes d'une attaque sur internet, avec un phénomène croissant de harcèlement sexuel, de diffusion de photos et vidéos intimes, pour dégrader l'enfant.
Sur la période 2015-2018, le nombre est passé de 4,1 % à 9 % des lycéens ce qui donne un ordre de grandeur de l'explosion du phénomène. Sur la même période, on note un tassement voire une diminution dans l'univers physique.
Ce phénomène est ancien : le tournant date de 2011 et depuis des actions ont été menées par tranches successives autour de 4 axes. D'abord informer, soit faire savoir que cela existe pour mobiliser les professeurs et les élèves. Prévenir par un processus éducatif. Former le personnel pour une meilleure prise en charge des victimes et y apporter des réponses. Assurer une prise en charge et un suivi de l'élève, y compris adaptée au type de harcèlement car ce n'est pas la même chose de faire face à un harcèlement sexuel qu'à un échange de coups. Il faut ainsi garantir une réactivité de l'institution, car chaque jour, voire chaque heure compte, pour éviter que les enfants victimes ne se retrouvent dans des situations préjudiciables, voire soient animés de pensées suicidaires.
Depuis cinq ans avec la loi sur l'école de la confiance a été instauré un droit à une scolarité sans harcèlement. Cette disposition porte la force symbolique d'un droit qui justifie et déclenche des actions diverses.
Il s'agit en premier lieu de savoir et de comprendre : on a créé un comité d'experts en octobre 2019, pour pouvoir caractériser les choses, qui regroupe universitaires, chercheurs, membres de la société civile, représentants du ministère, des partenaires associatifs - je pense notamment à l'association Marion la Main tendue. Nous avions un retard dans ce domaine. Cela permet d'améliorer la connaissance sur les ressorts collectifs psychologiques et nous aide à élaborer des solutions.
Nous devons ensuite offrir une réponse la plus systématique et la plus diversifiée possible. Deux numéros existent, le 3020 et le 3018 spécifiquement pour le cyberharcèlement. Ces deux numéros sont portés par des associations subventionnées par le ministère. Le 3020 fonctionne de 9 heures à 20 heures du lundi au samedi et nous avons élargi les horaires. Cela permet aux élèves de communiquer plus facilement de chez eux, le cas échéant accompagnés par leurs parents.
En troisième lieu, nous veillons à la structuration d'un maillage territorial fin, pour prendre en charge ces situations, former les collègues et intervenir sur site en cas de difficultés. 335 référents existent soit entre trois et quatre par département. Nous avons ainsi des équipes académiques qui interviennent de manière systématique.
Nous avons également une politique de sensibilisation au phénomène avec la création d'un prix national de sensibilisation « non au harcèlement » qui fait l'objet d'une diversification : élargissement à la lutte contre les harcèlements sexuels et sexistes, au cyberharcèlement en 2017 et 2018 notamment.. Nous avons également élargi le spectre pour intervenir dès le primaire jusqu'au lycée. Cette année, pas moins de 40 000 élèves ont été mobilisés autour de 950 projets car il n'y a rien de tel que de faire parler les élèves à d'autres élèves : un élèves fait plus attention au propos d'un élève qu'à ceux d'un adulte. Une fois la sélection d'un projet national opéré, il est repris sous forme d'affiches et de vidéos diffusés sur tout le territoire.
Le dernier axe consiste en l'implication des élèves qui doivent être des ambassadeurs pour dire non au harcèlement, pour prévenir et faire savoir. On en dénombre aujourd'hui 10 000.
L'ensemble de ces dispositifs est démultiplié dans le programme Phare testé en 2019 dans six académies et qui sera généralisé à la rentrée 2021, suivant l'annonce faite la semaine dernière. Il y a une présence et une formation systématique de quatre à cinq adultes par établissement, sur la base d'une formation de haut niveau - d'une durée de huit jours. Il y a également un déploiement et une formation pour les élèves ambassadeurs.
Des mesures de suivi et d'intervention sont également mises en place avec l'ensemble des partenaires et des instances. Je pense notamment aux conseils de vie collégienne et conseil de vie lycéenne : Il faut que l'ensemble de l'infrastructure et de la communauté scolaire qui se mobilisent.
Comme vous l'avez rappelé, j'ai occupé de nombreux postes dans l'éducation nationale.
Le harcèlement n'est pas un phénomène récent, mais on voit une accélération dans la dernière décennie et que l'on objective afin de commencer à traiter les choses. En 2010, lors des États généraux de la sécurité à l'école c'est Eric Debardieux qui a examiné les phénomènes de micro violence dans lesquelles il y incluait le harcèlement. À partir de ce moment-là, il y a eu une prise de conscience de l'institution et depuis quatre ans un engagement au plus haut niveau de l'État.
Dans l'Académie de Paris, il y a eu une première phase de 2016 à 2020 de sensibilisation, de formation, de prise en charge qui a permis de fixer une procédure de signalement des phénomènes de harcèlement, en coopération avec la police et les commissaires d'arrondissement. Nous avons déployé des enquêtes locales de victimation, nées à la suite des travaux d'Eric Debarbieux, avons travaillé sur la prévention du harcèlement et du cyberharcèlement, en ciblant les témoins avec une action d'ampleur auprès des élèves. Dans soixante collèges, des élèves ont été spécifiquement formés pour devenir des ambassadeurs de la lutte contre le harcèlement.
Il a fallu former le monde adulte, notamment les chefs d'établissement, les enseignants, les conseillers principaux d'éducation, mais aussi les directeurs du premier degré, car le harcèlement scolaire touche également l'école. Nous avons formé les cadres du premier degré à hauteur de 80 personnels par an, organisé des séminaires académiques : 200 cadres ont été formés par ce biais.
Nous avons fait participer les écoles et les établissements à la journée « non au harcèlement » et au concours national. Nous avons recensé les actions. Une dynamique s'est enclenchée entre 2016 et 2020.
À mon arrivée, j'ai demandé un bilan. Ce que montrent les enquêtes de victimation et de climat scolaire, c'est que le taux de déclaration de 9 % de cyberharcèlement au collège dans l'académie. Cela correspond au taux relevé par le DEPP au niveau national. Ce taux est de 10 % pour le harcèlement présentiel. L'académie de Paris est tristement normale, elle connait les mêmes proportions que dans le reste de la France.
Les élèves ont témoigné de beaucoup d'intérêt à la formation d'ambassadeurs et de délégués. On s'est aperçu que les élèves avaient une bonne connaissance du phénomène, y compris sur la question des réseaux sociaux. Cela nous interroge sur les formes de prévention que nous devons mener.
Nous avons enclenché une seconde phase qui débute avec l'année 2021, pour approfondir la démarche et la systématiser, avec un plan de prévention des violences et du harcèlement. Pour gagner en efficacité et lisibilité, nous allons nous doter d'un référentiel commun de données et d'une prise en charge adaptée. Un plan de formation pour accompagner ces orientations a été lancé.
Quatre pôles d'intervention sont en cours de déploiement pour couvrir l'ensemble du champ du harcèlement.
Un pôle climat scolaire, avec une équipe pluri-catégorielle, en partenariat avec l'Université de Cergy qui forme à un diplôme universitaire visant à la prévention de la violence quotidienne. Il a plusieurs missions : mesurer le climat scolaire, restituer ces résultats, accompagner les équipes pour mettre en place un plan propre à chaque établissement et former afin d'avoir un relai dans chaque circonscription et bassin.
Un pôle prévention du harcèlement avec une équipe dédiée pour maintenir à bon niveau la sensibilisation autour du phénomène et permettre l'action dès les premiers signaux. Il est important de déceler les signaux faibles, de former élèves et enseignants. Nous avons commencé avec une dizaine d'établissements jugés prioritaires en raison de situations aigües.
Un pôle prise en charge du harcèlement avec une équipe.. Il couvre le premier et le second degré. Ce serait une erreur de négliger ce qui se passe à l'école primaire : prise en charge des victimes et des auteurs, faire le lien avec les familles, assurer le suivi jusqu'à la résolution de la situation.
Un pôle gestion de crise qui vise à la sécurisation en partenariat avec la protection judiciaire de la jeunesse, le Parquet et la préfecture de police. Cela permet d'actualiser les plans de mise en sécurité des établissements et de veiller à ce que les chefs d'établissement soient bien accompagnés au quotidien.
Nous avons une force dans l'académie, c'est la signature d'une convention entre protection judiciaire de la jeunesse, la Préfecture, le Parquet et le rectorat qui permet une chaine de réaction et de réactivité face aux phénomènes de violence et de micro violence dont fait partie le harcèlement.
Nous disposons des outils qui nous permettent de réagir au mieux.
Je vous remercie pour vos très intéressantes présentations liminaires qui nous ont permis de bien cerner les enjeux et les problématiques du harcèlement scolaire à l'heure des réseaux dits « sociaux ». Je me permets donc de revenir sur certains de vos propos et de développer quelques-unes de mes préoccupations.
Nous sommes très intéressés, au titre des mesures prises par le ministère de l'éducation nationale pour lutter contre le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement, par les actions concrètes que vous conduisez notamment en lien avec la communauté éducative. Dans le triangle harceleur/harcelé/témoin, avez-vous une action spécifique à l'endroit de ces « témoins » ? Pouvez-vous nous expliciter dans quelle mesure vous avez repris les recommandations formulées par le défenseur des droits et la défenseure des enfants dans leur rapport de novembre 2019, recommandations qui proposaient, entre autres choses, une formation de tous les acteurs de l'éducation nationale au repérage du harcèlement scolaire.
Je souhaite également connaitre les conséquences du harcèlement scolaire et du cyberharcèlement : avez-vous des données chiffrées sur le sujet, avez-vous mis en place des moyens de suivi et d'accompagnement des élèves harcelés et fragilisés, enfin, comment la médecine scolaire est-elle mobilisée ?
Il nous est également important de connaitre vos partenaires pour prévenir le harcèlement scolaire et lutter contre ce phénomène : police/gendarmerie, justice, services déconcentrés de l'État et associations ainsi que la façon dont s'organise la coordination entre les différentes actions. Quels sont les points d'amélioration en la matière ?
Monsieur le Recteur, quel regard portez-vous sur le récent sondage de l'IFOP concernant le harcèlement entre pairs en milieu scolaire, réalisé en partenariat avec l'Association Marion la main tendue et la Région Île-de-France ? Selon ce sondage, et malgré l'action menée par l'éducation nationale, 93 % des parents interrogés considèrent que ce « phénomène n'est pas appréhendé à sa juste mesure par les pouvoirs publics ».
Il y a bien un triangle : harceleur, harcelé, témoins. Il faut agir sur ces trois dimensions. Dans le cadre du programme « stop au harcèlement », nous lançons annuellement des campagnes qui partent de supports imaginés par des élèves, qui sont ensuite retravaillés par des professionnels en lien avec les élèves lauréats. La campagne 2019-2020 a été centrée sur le rôle du témoin, les petits héros du quotidien. On invite ces témoins à appeler les numéros 3018 et 3020 car ces numéros ne sont pas réservés aux victimes.
Au sein des établissements, il n'est pas rare que l'information soit découverte par un témoin, souvent un camarade, et remonte via les parents.
Ce témoin, qui est souvent un témoin jeune ou un enfant, doit trouver un écho dans le regard de l'adulte. D'où la formation. En ce qui concerne la formation initiale, a été généralisée dans tous les instituts nationaux supérieurs du professorat et de l'éducation (Inspé) depuis la rentrée 2020 une formation aux violences scolaires en générale et au harcèlement en particulier. En ce qui concerne la formation continue, nous avons voulu tester une formation de très haut niveau dans 6 académies. Dans tous les établissements, on note une amélioration sensible du climat scolaire et une baisse du phénomène. L'idée est que l'on ait dans chaque établissement entre trois et cinq personnes, une équipe, qui soit formée de manière spécialisée, au-delà de la sensibilisation quotidienne des collègues. Ainsi les personnels de santé - médecin et infirmier scolaire - sont souvent le premier dépositaire du témoignage des élèves.
Les conséquences du harcèlement scolaire sont connues mais difficiles à mesurer. Je n'ai pas de chiffre à donner, on y travaille avec la DEPP et le conseil des experts autour de la thématique du risque d'échec scolaire (difficulté à travailler, à se concentrer, risques de déscolarisation liée au développement des phobies scolaires). Nous travaillons sur ces aspects avec les victimes, soit en les changeant d'établissement, soit en passant par un sas via une poursuite des études à domicile par un CNED réglementé et en travaillant avec l'enfant pour l'aider à retrouver confiance en lui. Les conséquences peuvent aussi être d'ordre physique : perte de sommeil, irritabilité, voire violence.
S'agissant des relations avec les partenaires, nous avons mené un gros travail avec les partenaires associatifs à la fois au niveau national comme e-enfance/ net-écoute, éducateurs des parents ou l'association Marion, la main tendue qui est une de nos partenaires privilégiés, avec également une déclinaison au niveau régional.
Nous avons aussi comme partenaire les mutuelles scolaires : la MAE qui soutient le concours, la MGEN qui fait partie de ceux qui ont une capacité à communiquer vers les familles. Ce partenariat permet également d'aborder le problème sous un autre angle ; celui de la santé.
En ce qui concerne le suivi répressif, nous sommes en lien avec les forces de police et de gendarmerie ainsi qu'avec la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). On a signé cette année une convention sur le suivi des élèves « hautement perturbateurs », pour lesquels on retrouve souvent des phénomènes de harcèlement. Un protocole a été mis en place avec la PJJ pour leur permettre de reprendre pied et ne plus commettre de tels actes.
L'une des difficultés du harcèlement, c'est qu'il s'agit souvent d'un « phénomène de chasse en meute » de sorte que, pour l'institution, la solution de facilité est de déplacer l'élève victime plutôt que de lutter contre le phénomène. Nous essayons d'inverser ce rapport.
Une équipe académique de six personnes accompagne les établissements confrontés aux situations les plus complexes et ils reçoivent les appels au numéro académique « stop harcèlement » ou le courrier.
Les équipes médico-sociales sont fortement mobilisées pour accompagner les élèves victimes. En cas de danger, il n'y a plus d'hésitation pour informer le Parquet, la maison des adolescents et les centres psychologiques qui sont aussi des partenaires de l'académie de Paris. Les établissements savent vers qui orienter les élèves les plus fragiles pour mettre en oeuvre la prise en charge la plus adaptée.
Pour revenir sur la mesure du phénomène reflétée par le sondage de l'IFOP, le chiffre que vous avez mentionné peut traduire deux choses : soit on s'y intéresse davantage, soit il y a une explosion. Je pense que c'est par ce qu'il est davantage connu et reconnu, plus traité ce qui est plutôt encourageant sans bien évidemment minimiser le phénomène.
Ce phénomène qui est ancestral doit nous interroger sur l'ensemble de la formation depuis la maternelle jusqu'à la fin de la scolarité obligatoire. Parmi les savoirs fondamentaux que l'élève doit acquérir - régulièrement mis en avant par le ministre -, il y a lire, écrire, compter, respecter autrui. La notion d'empathie doit être développée dès la maternelle. À Paris, je souhaite qu'avec des équipes de recherche nous soyons à la pointe car cela fait partie de la résolution d'un problème à long terme pour atteindre une composante de la devise de la République : la fraternité.
L'école doit bien être le lieu de la formation de futurs citoyens responsables et capables d'empathie pour leurs prochains. Enfin, le cyberharcèlement est le prolongement du harcèlement.
J'ai été ravie de vous écouter et de faire partie de cette mission d'information qui me semble essentielle. C'est un phénomène qui est pernicieux et prend naissance dans la cour d'école. C'est une question qui existe depuis très longtemps. Mais je ne partage pas l'idée que ce soit une question ancestrale. Ce qui est ancestral, c'est la violence scolaire. Pour moi le harcèlement est nouveau et je suis étonnée que vous n'ayez pas plus parlé du cyberharcèlement. Ce dernier est difficile à résoudre car s'il prend naissance dans la cour d'école - il faut se connaître physiquement au départ -cela se poursuit dans les réseaux : le déplacement d'un enfant ne suffit donc pas car le harcèlement dépasse la barrière physique. J'ai plusieurs questions précises : quelle est la part respective du cyberharcèlement et du harcèlement scolaire classique ? Y a-t-il plus de filles que de garçons harcelés, constate-t-on une forme de misogynie ? Comment s'opère la prise en charge de la détresse des parents et des familles qui entourent les parents harcelés ? Quelle est la durée moyenne de la durée de harcèlement ?
Un vaste arsenal a été mis en place. Or, le harcèlement explose. Au début de mon mandat de Sénateur cela constituait une grande cause du quinquennat et on m'avait répondu que les personnels étaient formés. Or vous me dites que la formation est en cours. Cela m'inquiète.
Le harcèlement un phénomène de société qui nous inquiète tous. Je m'interroge car vous nous avez expliqué ce qui se met en place pour lutter contre le harcèlement. Vous nous avez indiqué que maintenant cela concerne aussi le primaire et avez parlé de sentiment d'impunité. Mais vous n'avez pas parlé des parents. Vous avez expliqué le maillage associatif, le partenariat avec la protection judiciaire de la jeunesse, mais vous n'avez parlé ni des associations de parents d'élèves, ni des parents des harceleurs et des harcelés. À quel moment les incluez-vous ? On ne peut pas lutter contre le harcèlement sans impliquer les parents : ils sont acteurs de l'éducation de leurs enfants et ils doivent être partie prenante pour lutter contre le harcèlement pour l'enfant harceleur, et protéger pour l'enfant harcelé.
Veuillez trouver ici le témoignage d'un parlementaire qui est élu local et siège au conseil d'administration d'établissements scolaires depuis une dizaine d'année. Je souscris à ce que vous avez dit dans vos présentations respectives. Je suis confronté année après année, conseil d'administration après conseil d'administration à des faits qui reviennent depuis 10 ans et malgré tous les efforts, il y a des comportements résiduels qui continuent à exister. Des outils existent comme les fiches de signalement « faits établissement » qui doivent être utilisées pour signaler tout fait qui survient dans un établissement, mais beaucoup d'équipes ont des réticences à utiliser. L'institution met des outils pour signaler le harcèlement au DASEN et au rectorat, mais je continue à trouver des chefs d'établissements qui ne les relaient pas et on découvre les faits via la presse locale. Lorsque je leur demande pourquoi ne pas avoir utilisé ces outils, ils me disent que c'est parce que c'est chronophage, mais aussi parce qu'ils ne veulent pas donner une mauvaise image de leur établissement. En effet, les classements des meilleurs collèges et lycées prennent en compte les faits qui ont trait à la vie scolaire. On se rend alors compte qu'il y a parfois de l'autocensure de la part des chefs d'établissement.
Lorsqu'un fait de harcèlement survient, la tentation est grande de changer la victime d'établissement. Mais cela s'apparente pour celle-ci à la double peine car elle doit s'acclimater à un nouvel environnement et il n'y pas toujours de transport en commun ce qui contraint les parents à s'adapter. En outre, au lycée, on retrouve les mêmes protagonistes dans le lycée de secteur - les bourreaux se retrouvent avec la victime. Par commodité on préfère faire changer de place la victime, plutôt que de devoir trouver trois ou quatre places pour mettre fin au phénomène de meute que vous avez évoqué.
Quel lien avez-vous avec la plateforme Pharos du ministère de l'intérieur ? Elle est très volontaire, mais en raison de sous-effectifs, les personnels doivent se concentrer sur les infractions les plus graves comme le proxénétisme ou le trafic de drogue. Quant au cyberharcèlement, il est traité avec moins de diligence.
J'ai évoqué un sentiment d'impunité, mais cela ne concerne que le cyberharcèlement. D'ailleurs il n'est pas propre aux élèves. Ceci n'est pas sans influence par rapport à cela : si les adultes se sentent libérés sur Twitter, c'est que le climat collectif est en décalage par rapport à ce que l'école et les parents prônent comme message.
La très grande difficulté du cyberharcèlement, c'est qu'il établit un continuum entre différents environnements. Dans ma génération, il y avait une pause, en rentrant chez soi. Aujourd'hui, cela poursuit l'enfant jusque chez lui. Le plus souvent les deux phénomènes se superposent, au moins en partie. Que peut-on faire ? D'abord, « l'éducation à ». On ne se comporte pas comme ceci ou comme cela sur les réseaux sociaux. On rappelle que le fait de passer en mode cyber ne constitue pas une barrière de protection pour le harceleur, y compris en matière pénale.
Puis éduquer aux bons usages, et dans certains cas, au non-usage aux technologies avant un certain âge. En 2017, on a posé l'interdiction du téléphone au collège ce qui permet de créer un sas.
Enfin, lors de la conférence internationale organisée à l'initiative de la France et de l'UNESCO en novembre 2020 sur le harcèlement, on a précisé que ce que l'on est en droit de demander aux réseaux sociaux en termes de réactivité, pour faire disparaitre rapidement des contenus viraux. Je vais ici le lien avec la platerforme Pharos. Mais il y a une difficulté supplémentaire : quand Pharos intervient, c'est sur des réseaux qui présentent une forme de publicité. Or, aujourd'hui le harcèlement a lieu sur des applications qui fonctionnent en circuit fermé, et donc la visibilité du drame est faible pour le public mais très grande pour le groupe.
Depuis le mois d'avril, le ministère de l'éducation nationale fait passer du GIP cybermalveillance -avec notamment l'ANSSI - qui mène une politique de prévention des bons usages du numérique. Nous espérons ainsi changer les usages.
Concernant l'écart fille/garçon, on a des écarts substantiels, notamment au lycée. Les jeunes filles sont nettement plus nombreuses (5 à 6 fois) à être victimes de propos déplacés à caractère sexiste, sexuel, avec des injures ou de publication de vidéos sur internet de type revenge porn. À l'inverse, les garçons sont un peu plus concernés par les coups, la violence physique. Les jeunes lycéennes sont plus victimes de cyberharcèlement.
Concernant la question des parents, j'ai voulu tenir des propos ramassés. Il y a plusieurs dimensions. Le programme Phare vise à les impliquer totalement à travers différents leviers, dont un pédagogique avec la mallette des parents.
L'idée est également de les mobiliser à l'intérieur des instances. En mobilisant les différentes instances (comités d'éducation à la citoyenneté et à la santé, conseil d'école, conseil des parents), l'objectif est qu'un protocole soit élaboré établissement par établissement et transmis aux parents expliquant « voilà ce qui se passe, voilà la photographie chez nous, voilà comment on va agir, et voilà comment vous pouvez y contribuer ». Objectivement, cela fonctionne bien.
Nous avons aussi des relations suivies avec les associations de parents d'élèves avec la volonté également de les impliquer au niveau du traitement de la situation. La prise de conscience n'est pas aisée, y compris pour les parents de harceleurs : certains parents n'imaginent pas une seconde que leur enfant est coupable. Il faut un travail avec un psychologue de l'éducation nationale pour que le comportement dont se vante l'enfant le soir comme étant très drôle ne l'est pas du tout pour les autres.
Par principe, ce type de procédure résulte d'un dialogue avec les familles, du côté du harceleur et de celle de la victime : le harceleur peut faire l'objet d'une procédure d'expulsion. Mais parfois la victime sollicite ce déplacement. Un dialogue est nécessaire. Depuis un an, nous avons demandé aux établissements un renforcement du suivi disciplinaire à l'encontre des individus faisant des actes répréhensibles. Nous avons demandé aux établissements, dans le cadre du bilan annuel, de présenter le bilan de tout ce qui s'est passé et la façon dont cela a été traité. Nous sommes collectivement comptables de la façon dont la suite d'une situation signalée est traitée.
S'agissant du suivi des jeunes qui sont amenés à être exclus, et notamment des polyexclus, on s'appuie notamment sur les classes relais et les internats relais : on sort le jeune coupable de méfaits de son environnement scolaire, avec un suivi renforcé pendant plusieurs mois voire toute l'année scolaire, le temps de lui faire prendre conscience de ses actes.
La difficulté que nous rencontrons au quotidien c'est que les violences répétées sont parfois peu visibles aux yeux des adultes. C'est particulièrement exacerbé sur les réseaux sociaux où elles sont souvent inconnues des familles et de l'école. La situation est portée tardivement à la connaissance des adultes, alors qu'elle est largement enkystée.
La formation est un éternel renouvellement : il faut former aux signaux faibles, au traitement des informations. Monsieur le Sénateur, vous indiquiez que les personnels de direction ont parfois des scrupules de parler de ces phénomènes par peur que cela rejaillisse sur l'image de leurs établissements. Je crois que cela est de moins en moins vrai. L'omerta est de moins en moins courante dans l'académie de Paris. Une relation de confiance s'est installée.
S'agissant de la convention avec les autorités de police et de justice, dans chaque arrondissement, nous avons des réunions avec l'ensemble des directeurs d'école, des chefs d'établissement, l'inspecteur de l'éducation nationale, la police, pour insister sur la nécessité de faire remonter les informations. La réticence existe car souvent le chef d'établissement se sent seul, or, la seule réponse face aux harcèlements est la réponse d'équipe. Le chef d'établissement doit être soutenu pour avancer. La difficulté pour rendre compte et relayé vient de la peur d'être mal vu, mal noté. Il faut agir sur l'ensemble des chaines à savoir les cadres, les professeurs et les élèves en même temps. La formation entre pairs est un grand progrès. Il faut que le harceleur devienne honteux. A Paris, on est soucieux que ce soient les bourreaux qui soient inquiétés et pas la victime. Il y parfois des cas où il faut sécuriser la victime, et parfois, c'est une demande des familles.
Avez-vous commandité des études sur la sociologie des enfants harcelés et harceleurs, je pense à leur origine géographie et aux milieux socio-éducatifs. Cela me semble indispensable, car il s'agit d'un phénomène d'entraînement.
À Paris, on constate que tous les milieux sont concernés, que la violence physique touche tous les âges. Les insultes, les rumeurs, les intimidations touchent plutôt le 1er degré et le cyberharcèlement naît avec le collège. Ce harcèlement porte sur tous les sujets : le vêtement, la religion, l'apparence physique, l'orientation sexuelle, parfois au sein d'un même lycée on constate des clivages entre filières générales et professionnelles. Il n'y a pas de sociologie particulière et on trouve aussi bien du harcèlement dans les lycées favorisés que dans ceux plus difficiles.
Il me semble que c'est plutôt entre les catégories d'établissements que les typologies du harcèlement sont différentes. Les violences, les rixes se retrouvent dans des établissements accueillant une population scolaire plus fragile. Mais les cas de diffusion de vidéos arrivent aussi dans des établissements dits favorisés. Le harcèlement concerne tous les établissements scolaires mais prend des formes différentes.
Je connais un cas de harcèlement sur une jeune fille été harcelée à l'âge de 17 ans il y a quelques années. Par meute, des jeunes « très bien » ont commencé du jour au lendemain à la harceler par téléphone, puis a subi un isolement. Pour les parents, c'est compliqué car ils ne s'en aperçoivent pas toujours car cela survient à l'adolescence, période particulière où le caractère change. Il faut protéger la famille.
Je vois qu'il y a eu des améliorations et il faut s'en féliciter. Est-ce que ces conventions existent partout, dans tous les collèges, lycées, y compris ruraux car elles sont très importantes, et permettent de se rencontrer, d'être sensibilisés aux harcèlements ?
L'ensemble des dispositifs que nous avons mis en place aujourd'hui que ce soit au titre de la protection judiciaire de la jeunesse, des liens avec la Police, du concours « Non au harcèlement ont vocation à couvrir l'intégralité du territoire, tous lycées, collèges confondus quelle que soit son appartenance à une aire urbaine.
On ne parle pas assez de ces deux numéros 3018 et 3020, à nous aussi de faire passer ces messages.
L'année dernière, nous avons engagé une démarche pour que les numéros de lutte contre le harcèlement et de prévention de la maltraitance soient inscrits dans les cahiers de liaison. En outre, nous avons encouragé les éditeurs d'agendas à faire de même. Plus la mobilisation de chacun pour faire connaître ces numéros sera forte, plus ils seront utiles à la société.
Y a-t-il des procédures judiciaires qui existent concernant des phénomènes de harcèlement ? Êtes-vous associés ? Quelle est la place de l'institution scolaire ?
Il y a des cas où des plaintes sont déposées. Dans le cadre de cyberharcèlement notamment, et après échange avec le parquet des mineurs, cela permet le déclenchement d'enquêtes de police.
Dans le rectorat de Paris existe une procédure de remontée et d'échange d'information : quand une infraction est commise dans un établissement scolaire, les directeurs ou chefs d'établissement ont un formulaire type qu'ils communiquent à l'académie et au service de police dédié. Il y a des référents de police dans les commissariats et nous sommes là pour accompagner et soutenir les chefs d'établissements. Dans les commissariats, la remontée d'information se fait directement auprès du parquet des mineurs. Le substitut prend sa décision, me la communique et je fais le lien avec l'établissement scolaire ce qui fait que tous les acteurs ont le même niveau d'information.
Les difficultés dans la remontée d'information tenaient à ce que les chefs d'établissement n'étaient pas toujours au courant des suites données par la justice au signalement qu'ils avaient effectués.
J'ai eu à accompagner des familles d'enfants victimes de cyberharcelement en raison d'un handicap. Il existe un sentiment de culpabilité des parents très fort. Ces parents se trouvent démunis.
Lorsque le harcèlement et le cyberharcèlement touchent à l'intime, quand des collégiens ou lycéens ont eu une relation amoureuse et que le jeune dévoile des photos dénudées de son ex partenaire, il est très difficile pour l'enfant de le dire à ses parents, et très difficile pour les parents de faire quelque chose. En matière d'orientation sexuelle, il y a plusieurs tabous qui se superposent pour les parents : la sexualité, l'homosexualité, le harcèlement.
Merci pour vos contributions qui nous permettent d'avancer utilement dans nos réflexions.
La réunion est suspendue à 17 h 55.
La réunion est reprise à 18 heures.
Nous poursuivons notre première journée d'auditions de la mission d'information sur le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement créée au titre du droit de tirage du groupe Les Indépendants - République et Territoires.
Pour cela nous accueillons maintenant Me Laurent Bayon, Avocat au Barreau de Paris et ancien conseiller du ministre de l'Éducation Luc Chatel.
Maître, je tenais au nom de l'ensemble de notre mission d'information à vous remercier d'être venu pour nous parler de votre expérience du harcèlement scolaire.
Vous « cumulez » en effet plusieurs fonctions.
En tant qu'avocat, vous avez certainement eu à connaître de tels dossiers, et cela d'autant plus que vous avez un parcours professionnel très diversifié. Après avoir été magistrat, vous avez en effet été le conseiller d'un ministre de l'éducation qui, tout en étant confronté à ce fléau du harcèlement scolaire, a contribué à sa prise de conscience et a mis en oeuvre les premières politiques consistantes pour le combattre.
Par ailleurs, à titre plus personnel, vous vous êtes investi dans le fonctionnement d'une des plus importantes associations en charge de la lutte contre le harcèlement.
Votre regard nous est donc très utile pour bien cerner et définir la notion.
Nous souhaitons en effet disposer des termes de référence pour mesurer son évolution dans le temps. Ainsi, quelles étaient les priorités du ministère de l'éducation nationale dans la lutte contre le harcèlement scolaire lorsque vous étiez conseiller du ministre ?
Aujourd'hui, estimez-vous que l'utilisation des réseaux sociaux est un facteur aggravant ?
Nous sommes aussi très désireux de connaître la situation de nos principaux partenaires. Avez-vous connaissance de pays particulièrement en pointe dans la lutte contre le harcèlement ? Certains d'entre eux ont-ils constitué des modèles pour vous lorsque vous étiez conseiller de Luc Chatel ?
Maître, vous le savez, le Sénat est de longue date engagé pour défendre les libertés. À ce titre, nous sommes pleinement déterminés à ce que les élèves puissent suivre paisiblement une formation qui les guidera toute leur vie.
Je vous propose donc de nous présenter votre analyse et votre vision du harcèlement scolaire, notamment dans ses aspects historiques et contentieux, pendant 8 à 10 minutes, à partir du questionnaire qui vous a été adressé par notre rapporteure Colette Mélot.
Je lui passerai ensuite la parole pour qu'elle puisse vous poser un certain nombre de questions.
Puis je donnerai la parole à l'ensemble de nos collègues qui le souhaitent.
Me Laurent Bayon, Avocat au Barreau de Paris. - J'ai pris mes fonctions au sein du cabinet ministériel de Luc Chatel le 15 novembre 2010, la même année où se sont tenus les États généraux de la sécurité à l'école, qui avaient fait suite à un meurtre d'un lycéen au Kremlin-Bicêtre à la sortie d'un établissement scolaire. Après cet incident, le ministre, à la demande du Président de la République, avait mis en oeuvre les États généraux de la sécurité à l'école, avec une grille d'analyse touchant principalement à des problématiques de sécurité exogènes : en effet, les établissements scolaires étaient soumis à une pression extérieure du fait d'évènements environnants ou des quartiers dans lesquels ils étaient situés.
Nous évoquions avec le ministre le bilan des États généraux sur la sécurité, mis en oeuvre en 2010, et prévoyant un certain nombre de mesures : un plan de sécurisation des établissements, une réforme des sanctions disciplinaires, une formation des enseignants à la « tenue de classe » pour leur permettre de répondre à une problématique d'autorité au regard de leurs élèves - et la question du climat et des violences scolaires.
Le ministre étant sensibilisé sur le sujet des tueries scolaires, je lui ai fait part de certaines études existantes sur le sujet, provenant des États-Unis, démontrant que ce sont majoritairement des enfants anciennement harcelés qui commettent des tueries au sein d'établissements scolaires. Une étude du FBI, datant des années 2000 portant sur les années 1975-2000, montrent que dans 75 % des cas les personnes responsables des tueries étaient par ailleurs soumises à du harcèlement scolaire, ce qui « expliquait » pour partie leur action. Ce constat a été vrai en Allemagne, mais aussi en Finlande où, dans les années 1987-1988, le programme « KiVa », a été lancé à la suite d'une tuerie dans un établissement scolaire.
La France est un des rares pays européens où le phénomène de tueries scolaires nous a été épargné. Cette thématique nourrit une angoisse auprès des politiques en charge, encore aujourd'hui.
Après ma prise de fonction, et à la demande du ministre, je lui relayais chaque jour l'ensemble des faits signalés par les établissements scolaires, via la chaîne hiérarchique afin de dresser une synthèse quotidienne sur leur situation.
En décembre, le ministre nous demandait un état des lieux sur la politique de violences scolaires. Je lui ai alors fait part d'un problème : le défaut de prise en compte des micro-violences.
Le président du Conseil scientifique de la sécurité à l'école, Éric Debarbieux, s'était vu mandaté par le ministre pour aider en matière de sécurité scolaire. Nous bénéficions alors à la fois d'une enquête en cours au nom du Fonds des Nations-Unis pour l'enfance (Unicef), qui donne lieu au rapport d'Éric Debarbieux sur le harcèlement, et à la sollicitation de la Direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP), afin de faire une enquête de victimation sur les collèges. Ces deux éléments permettent d'évaluer la réalité de la multi-victimation chez les élèves.
Nous avions décidé de prendre certains critères afin de suivre les faits par catégorie. Avant cela, il n'était pas regardé si un élève avait été multi-victime dans un même espace-temps.
De cette enquête sort un constat : la première lancée sur les écoles élémentaires va toucher 12 000 élèves interrogés dans 157 écoles, et la seconde 18 000 élèves dans 300 collèges. En primaire, 8 élèves interrogés sur 100 déclarent des faits de harcèlement ; ils sont 6 % en collège. À partir de ce constat, nous avons pris la décision avec le ministre d'avancer sur le sujet, en partenariat avec des pédopsychiatres.
La question du harcèlement est une violence qui s'exerce, c'est un fait connu, établi, qui existe dans toute communauté humaine. Il a divers effets : tout d'abord un effet sur la scolarité de l'enfant, sur son état psychique et mental. Ensuite, il révèle une problématique de sécurité : le risque de tuerie dans un établissement scolaire.
C'est en ayant des discussions sémantiques avec les services scolaires, qui parlent, eux, de « petites violences quotidiennes », que je réalisais que le harcèlement était en fait passé sous silence.
Je me suis intéressé aux travaux de la pédopsychiatre Nicole Catheline, seule à écrire sur ce sujet à l'époque. Elle nous a accompagnés sur l'ensemble de la réglementation. Cela nous a permis de tenir les assises, les 2 et 3 mai 2011, avec une seule vocation : parvenir à sensibiliser l'Éducation Nationale sur un problème qu'elle a, jusqu'à présent, nié.
Nous nous sommes appuyés en interne, au sein de l'Éducation nationale sur deux personnes : Monique Sassier, médiatrice de l'Éducation nationale et de l'Enseignement supérieur, et Claude Bisson-Vaivre, à la tête de l'inspection « vie scolaire ».
Le rapport d'Éric Debarbieux, remis au ministre, a permis de traiter le harcèlement, mais aussi et dès le départ le cyberharcèlemen car à l'époque Facebook existait déjà. Nous avons tout de suite pris en compte ce phénomène.
La presse s'y est rapidement intéressée. Nous recevions les syndicats enseignants, peu bavards sur le sujet, tout comme ceux des personnels de direction estimant qu'il s'agissait de « chamailleries d'enfants ».
Nous nous sommes retrouvés face à un véritable clivage quant à la conception de l'école, avec une seule question : l'école doit-elle instruire les enfants ou les éduquer ? Qu'est-ce qui ressort du rôle de l'école et de celui de la famille ? C'est un débat théorique qui imprègne en réalité la culture professionnelle de tous les enseignants et chefs d'établissements. Ce débat-là explique aussi le comportement que nous avons aujourd'hui dans la lutte contre le harcèlement en France.
Notre objectif, à travers les assises, était de mettre en lumière le silence qui existait sur le harcèlement. Afin de démontrer que ce phénomène était effectivement pris en charge dans de nombreux pays, nous avons choisi d'y inviter les États-Unis, l'Angleterre, et Israël.
Cinq axes sont nés de ces assises : faire connaître et reconnaître le harcèlement par la communauté éducative adulte, faire de la prévention du harcèlement à l'école l'affaire de tous, construire et expérimenter une politique globale de sécurité d'amélioration du climat scolaire et de la lutte contre le harcèlement, mettre en place des procédures pour traiter le harcèlement avéré, et intégrer dans la formation initiale la question du repérage et du traitement du harcèlement.
Il en sort deux guides. Le premier créé avec des pédopsychiatres, a été mis à disposition des enseignants dès la rentrée 2012. Le second était un guide pratique pour prendre en charge le cyberharcèlement avec la possibilité pour tout chef d'établissement et pour tout enseignant confronté à un problème de cyberharcèlement, d'être accompagné par l'association e-Enfance qui, le 6 juin 2011, signe une convention nationale avec le ministère de l'Éducation nationale pour prendre en charge le cyberharcèlement.
La première des responsabilités de l'école étant de surveiller les enfants qui y sont, nous avions pour priorité de nous assurer que les chefs d'établissements et enseignants ne se retrouvent pas désemparés face au harcèlement scolaire. C'est l'Éducation nationale qui prend en charge la surveillance de nos enfants dès lors qu'ils sont déposés à l'école. Le juge administratif s'est d'ailleurs prononcé sur le sujet. Le Conseil d'État a ainsi estimé qu'un chef d'établissement pouvait sanctionner un élève qui commettait des faits de violence à l'égard d'un autre élève dans le cadre du ramassage scolaire. À partir du moment où une violence commise a un lien avec l'école, l'école a la possibilité d'intervenir. C'est d'ailleurs un point important par rapport à la problématique des réseaux sociaux.
Dès la circulaire de rentrée 2012, l'ensemble de la politique établie par le ministère de l'Éducation nationale est mis en place, accompagnée de la création d'un nouveau numéro téléphonique, le « 3020 ». Il fallait instituer un numéro national en matière de harcèlement. C'était une volonté personnelle du ministre. Initialement, j'avais proposé au groupement d'intérêt public enfance en danger (GIPED) qui gère le 119. Celui-ci n'a pas voulu prendre s'occuper de ce numéro. J'ai également proposé à l'association e-Enfance de le prendre, car il me paraissait pertinent qu'elle agrège les données liées au cyberharcèlement et au harcèlement à l'école, les phénomènes étant liés. Mais, elle n'avait pas la capacité d'assumer ces appels. Au final nous avons sollicité l'association des parents éducateurs de France. Elle recueille des informations sur les familles et les transmet à l'académie. Aux services académiques de prendre contact avec la famille dans les 48 heures. Cela permettait une prise en charge des enfants et des parents, malgré un mouvement de résistance de la base.
Nous avons ensuite utilisé la réforme des sanctions disciplinaires prévue initialement dans le cadre des États généraux de la sécurité à l'école. Elle avait en premier lieu vocation à limiter les exclusions scolaires. En effet, en 2010 une enquête menée sur les sanctions prises par les commissions de discipline révélait que la sanction de référence pour l'Éducation nationale est l'exclusion définitive de l'élève (plus de 20 000 exclusions définitives par an pour 25 000 conseils de disciplines qui se réunissaient). Il fallait tendre à ce que cette sanction se retrouve en fait marginale dans le système. En réponse à cela, nous avons choisi de mettre en place une méthode de responsabilisation scolaire, à la demande du ministre, afin de permettre à des partenaires, en lien avec les familles, de prendre en charge l'enfant, plutôt que de se focaliser sur des procédures d'exclusion. Le 25 août 2011 était publié un numéro spécial du Bulletin Officiel de l'Éducation nationale dans lequel était énoncée la réforme des sanctions disciplinaires, auxquelles s'ajoutaient toutes les nouvelles mesures entreprises. La question du harcèlement scolaire s'y retrouvait particulièrement mise en avant, avec un modèle de règlement intérieur qui intègre le harcèlement.
Dix ans après les mesures entreprises, je reste assez critique sur les politiques publiques en matière de harcèlement scolaire. Elles doivent, selon moi, reposer en priorité sur l'Éducation nationale. Pour l'essentiel, nous avons de nos jours des associations qui interviennent et sensibilisent la communauté scolaire sur ces sujets. Ce n'est pas normal. Nous faisons face aujourd'hui à la difficulté que pose la formation des enseignants à l'école. En 2010, Nicolas Sarkozy a fait le choix de supprimer les IUFM et de former les futurs enseignants par master au sein des Inspé, dépendant des universités. Le ministère de l'Éducation nationale a perdu la main sur la formation des enseignants : chaque université est souveraine pour décider de son programme et de son contenu. Je suis incapable de vous dire si aujourd'hui le harcèlement scolaire est pris en compte lors de la formation des enseignants. La lutte contre le harcèlement scolaire doit relever en priorité de l'éducation nationale. Déléguer la tâche à la police et la justice revient en réalité, pour l'éducation nationale à se défausser de ce sujet sur lequel elle a pourtant un rôle moteur. En effet, la connaissance de l'altérité, des émotions de l'autre, c'est à l'école que l'enfant le découvre.
Concernant les différents acteurs devant être mobilisés, il faut davantage sensibiliser le corps enseignant, qui n'a pas véritablement intégré les enjeux que comprend le harcèlement, et doit comprendre ce que représentent ces enfants harcelés. En effet, en raison du nombre d'enfants harcelés chaque année - entre 800 000 et un million d'enfants - chaque enseignant va nécessairement être confronté au phénomène du harcèlement au cours de sa carrière. Aujourd'hui, la capacité à appréhender le problème reste encore en deçà de ce qu'elle devrait-être.
Vous m'avez demandé si la France était en phase avec ses principaux partenaires. À ce sujet, en 2018, une enquête démontre qu'au niveau européen la France n'est pas si mal placée (enquête PISA, 2018). Selon cette enquête, 8 % des élèves sont harcelés. La dernière enquête de la DEPP date également de cette époque. Les chiffres sont globalement les mêmes. Mais depuis 2018, il n'y a plus d'enquête de victimisation dans les écoles. Les seules portant sur le climat scolaire concernent désormais les enseignants - ceux du lycée, et en 2021 les enseignants du primaire. Depuis 2018, il n'y a pas d'enquête sur les élèves. Je ne sais pas comment on peut afficher des chiffres à la baisse sans enquête. Aux assises, l'engagement avait été pris de réaliser des enquêtes tous les deux ans, afin de pouvoir mesurer ce phénomène.
Vous m'avez demandé si la question du cyberharcèlement était prise en compte. Depuis 2010, les smartphones font partie de l'usage quotidien de tous les enfants. Le cyberharcèlement est le prolongement du harcèlement scolaire physique dans les écoles. Or, il n'y a pas aujourd'hui le réflexe de traiter le cyberharcèlement. Aujourd'hui, très peu de chefs d'établissements considèrent encore que ce qui se passe sur les réseaux les concerne, bien que les groupes d'harceleurs soient des groupes d'élèves. Le prolongement du harcèlement sur le smartphone ou sur les réseaux sociaux est un phénomène naturel.
E-enfance a été désignée par la Commission européenne comme l'interlocuteur privilégié des réseaux sociaux pour la France. Elle est « tiers de confiance ». Le but est de permettre de traiter dans un délai d'une heure tout signalement de sa part en matière de cyberviolence. Toute affaire touchant un enfant est traité de manière prioritaire par les réseaux sociaux qui ont des rapports quotidiens avec e-Enfance. En l'espace d'une heure des contenus peuvent être effacés voire des comptes fermés. Encore faut-il être saisi. Or, toute la problématique du cyberharcèlement est la rapidité et la viralité.
Le phénomène du harcèlement scolaire ne peut pas laisser insensibles les adultes. La logique incitative qui repose sur l'autonomie des établissements scolaires laisse à désirer. À titre d'exemple, en 2013 a été mis en place un prix annuel sur le harcèlement scolaire, reposant sur le bon vouloir des établissements à y participer. 142 écoles primaires y participent cette année - sur 50 000 écoles -, 529 collèges - sur 7230 -, et 175 lycées sur 4 150. En outre, 10 000 élèves ambassadeurs ont été nommés sur 12 millions d'élèves. Pour moi, le fait de mettre en avant les élèves pour prendre en charge le harcèlement est une manière pour les adultes de se défausser sur une question qui doit relever de leur ressort en priorité.
En 2019, le ministère de l'Éducation nationale a initié un programme « pHARe » (« plan de lutte contre le harcèlement à l'école »), qui sera ensuite généralisé. Ce programme « clé en main » prévoit une labellisation des établissements. Dix ans après les assises, la prise en compte du harcèlement repose sur l'éthique de conviction et non de responsabilité.
Un an après sa prise de fonction, Claire Hédon s'est étonnée du nombre de courriers relatifs au cas de traitement de harcèlement non traités qu'elle a reçus depuis qu'elle a été nommée Défenseure des droits.
Concernant les textes juridiques, nous avons un arsenal juridique dédié. Ce qui pose problème, si vous me permettez cette expression, est « le dernier kilomètre », la prise en charge du harcèlement scolaire dans les établissements. En 2014, à l'initiative du Sénat, a été créé le délit de harcèlement moral, englobant la problématique du cyberharcèlement. Ces dispositions ont été complétées par un amendement en 2018 à l'Assemblée nationale pour inclure les communications sur les réseaux sociaux.
En 2018, le problème se trouvait dans la définition du délit de harcèlement. Pour que le délit soit constitué il fallait que l'action se fasse dans la répétition, que le même individu ait agi plusieurs fois sur la même victime. Avec le cyberharcèlement scolaire, nous n'avons pas de co-auteurs, mais une agrégation d'enfants qui vont chacun commettre un fait particulier, à l'égard d'une même victime.
L'amendement apporté en 2018, dans le cadre de la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, a finalement permis de qualifier le harcèlement dès lors que chacun des auteurs - alors même qu'il n'a commis qu'un fait - savait qu'il participait comme « co-auteur », y compris sur les réseaux sociaux. Avant 2018 il n'était pas possible de retenir la qualification de harcèlement moral si un enfant commençait et les autres venaient s'agréger par la suite. C'est à présent le cas.
La loi aujourd'hui a tout pour être appliquée. Contrairement à ce que proposent l'«AssociationHugo!» et M. Balanant, il n'est pas nécessaire de créer un « délit de harcèlement scolaire ». Tous les outils sont déjà fournis. Ils permettent d'ores et déjà d'engager la responsabilité de tout adulte qui ne dénonce pas des faits de violence à l'égard d'un enfant.
Une autre question a été identifiée tant par l'Institut Montaigne que par le rapport de M. Balanant : celle du guichet unique. Cette question est primordiale. Le premier interlocuteur de l'enfant harcelé et de ses parents devrait rester l'établissement scolaire. L'Éducation nationale indique que la plateforme « 3020 » reçoit 75 000 appels. Cela montre que le harcèlement n'est pas traité au niveau où il devrait l'être, à savoir dans l'établissement. Il y a une véritable difficulté de prise en charge au niveau local.
Je vous remercie pour votre très intéressante présentation qui est la traduction de votre parcours diversifié et de votre expérience. Cette présentation nous a permis de mieux cerner ce phénomène et ses développements, notamment contentieux.
Permettez-moi donc en revenant sur certains de vos propos de vous faire part de préoccupations qui sont les miennes en tant que rapporteure.
Estimez-vous que les personnels de l'éducation nationale (enseignants et personnels administratifs) soient suffisamment formés ? Les réponses proposées par les enseignants et les personnels de direction en cas de harcèlement scolaire vous paraissent-elles adaptées ? Au contraire, avez-vous des exemples de réponses non adaptées ?
Constatez-vous une évolution des politiques menées par les réseaux sociaux ces dernières années face à ce phénomène ? Ces réseaux mesurent-ils pleinement l'ampleur du phénomène ou restent-ils passifs ? Comment les impliquer plus activement dans la lutte contre le cyberharcèlement ?
Les réponses juridiques et judiciaires à la lutte contre le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement vous semblent-elles adaptées ? Avez-vous des pistes d'amélioration à proposer ? Dans sa rédaction actuelle, le code pénal permet-il, selon vous, de lutter pleinement contre le cyberharcèlement ?
Souscrivez-vous aux recommandations formulées en novembre 2019 par le Défenseur des droits et la Défenseure des enfants dans leur rapport « Enfance et violence : la part des institutions publiques » ? Ils proposaient notamment d'inscrire dans le code de l'éducation « l'interdiction de tout châtiment corporel ou traitement humiliant à l'égard de l'enfant ».
Dans ce cadre, et compte tenu de ce que vous pouvez connaitre de l'expérience d'autres pays, la France se situe-t-elle plutôt du côté de la « répression » ou de la « prévention »?
Maître, je vous remercie d'avance pour vos réponses.
Merci pour vos explications qui m'ont beaucoup éclairée. Vous nous avez expliqué que vous avez mis en place de nombreux documents, des circulaires dès 2012. Que s'est-il passé depuis 2012 ? Ces préconisations et outils ont-ils été mis en oeuvre ? Tout cela date d'il y a maintenant dix ans ; qu'en est-il aujourd'hui, alors même que les choses se sont accélérées, mais aussi aggravées et que c'est un problème d'éducation nationale ?
Me Laurent Bayon, Avocat au Barreau de Paris. - La question de la violence institutionnelle est primordiale. Dès lors qu'un enfant est victime dans un établissement scolaire, que les adultes s'en moquent, c'est de la violence institutionnelle. Tous les enfants de la République passent par l'école. Il faut se saisir de ce moment pour transmettre concrètement des valeurs. La grande force des enfants est leur résilience. Mais certains sortent de l'école marqués à vie.
La société téléphonique « Orange » a fait un clip vidéo publicitaire en Espagne pour sensibiliser sur le harcèlement scolaire, dans lequel des adultes jouent le rôle d'enfants : quels adultes supporteraient ce que supportent ces enfants ?
J'ai participé à l'action d'un ministère qui vantait l'autonomie des établissements scolaires. C'est la raison pour laquelle nous n'avons jamais été directifs. Pour sensibiliser les enseignants une campagne avait été entreprise en deux temps par l'Éducation nationale : pour la rentrée 2012 puis en janvier de l'année suivante. Ce sont des outils formidables pour les enfants. Ils restent d'actualité. La victime finit par exploser et va se faire punir des adultes, car elle va s'exprimer dans un cadre qui n'est pas maîtrisé.
Ces clips traitent de sexisme, de réputation. Dix ans après, ces phénomènes ne sont pas pris en compte à la hauteur de ce qui devrait être fait. Il n'y a plus d'enquête de victimisation et la dernière concerne le lycée. Or, c'est en primaire et au collège que les choses se jouent. Les enfants sont victimes dès le primaire et cela les poursuit tout au long de leur scolarité. Ils s'enferment dans ce caractère de victime.
Nous voyons aujourd'hui comment le harcèlement au travail (moral ou sexuel) est pris en compte. Il y a une obligation dans le code du travail pour l'employeur de mettre en place toute disposition nécessaire pour prévenir les agissements de harcèlement. Un employeur peut être mis en cause s'il ne le fait pas. Le droit de chaque enfant à vivre une scolarité sans harcèlement a été consacré dans la loi pour une école de la confiance, mais aucune conséquence n'en a été tirée. Il faudrait reprendre ce qui se fait pour l'employeur dans le cadre professionnel, et se rendre compte que tout chef d'établissement a une obligation pour prévenir et sanctionner le harcèlement.
En 2012, une première décision du tribunal administratif de Rouen condamnait l'Éducation nationale pour une affaire de harcèlement à l'école. La direction des affaires juridiques du ministère souhaitait que nous fassions appel. Pour moi, cela n'était pas possible : au moment où nous allions lancer un plan de lutte contre le harcèlement, il me semblait important de donner aux parents la possibilité d'engager la responsabilité administrative de l'État pour une absence de prise en compte de harcèlement. Je ne crois pas à l'engagement de la responsabilité pénale. Le temps de la justice n'est pas le temps de l'éducation.
Le « 3020 » doit basculer et être pris en charge par la Défenseure des droits. Elle gère aujourd'hui un numéro pour les prisonniers qui peuvent appeler s'ils s'estiment victimes de faits dans l'administration pénitentiaire. La prise en charge du « 3020 » par une autorité extérieure à l'éducation nationale est nécessaire pour faire bouger les choses. Aujourd'hui, le « 3020 » est une association payée par l'Éducation nationale. Il faut pouvoir saisir une autorité indépendante qui aura la possibilité de remettre en cause l'Éducation nationale.
Je pense que la situation n'évoluera pas tant que la responsabilité ne peut pas être engagée. Aussi, s'il y a un article à écrire dans le code de l'éducation nationale, c'est celui de la responsabilité pour non-dénonciation de harcèlement scolaire. Cela permettrait de prendre en compte cette thématique au-delà du seul réflexe déontologique et forcerait les Inspé à inclure cette thématique dans leurs formations.
Merci Maitre pour ces propos très complets.
La réunion est close à 19 h 05.