- MM. Jean-Jacques Milteau, président de la Société civile pour l'administration des droits des artistes et musiciens interprètes (ADAMI), Bruno Boutleux, directeur général, et Benjamin Sauzay, directeur des affaires institutionnelles ;
- M. Ludovic Pouilly, président du Syndicat des éditeurs de musique en ligne (ESML) ;
- Mme Suzanne Combo, déléguée générale de la Guilde des artistes de la musique (GAM) ;
- MM. David El Sayegh, secrétaire général de la Société des auteurs compositeurs et éditeurs de musique (SACEM) et Blaise Mistler, directeur des relations institutionnelles ;
- M. Guillaume Leblanc, directeur général du Syndicat national de l'édition phonographique (SNEP) ;
- MM. François Nowak, président de la Société de perception et de distribution des droits des artistes-interprètes (SPEDIDAM), et Guillaume Damerval, gérant ;
- M. Jérôme Roger, directeur général de l'Union des producteurs phonographiques français indépendants (UPFI)
- M. Marc Slyper, secrétaire général de l'Union nationale des syndicats d'artistes musiciens (SNAM-CGT).
Nous débutons nos travaux préparatoires à l'examen du projet de loi relatif à la liberté de création, à l'architecture et au patrimoine, prévu au mois de janvier. Des auditions de rapporteurs ont déjà eu lieu, hier après-midi. Cette première table ronde de commission réunit les principaux acteurs de l'industrie musicale. Les articles 4, 5, 6, 6 bis et 7 du projet de loi traitent de la protection contractuelle des artistes-interprètes, des relations entre les producteurs et les plateformes de musique en ligne, du régime de rémunération des webradios et de la création d'un médiateur de la musique. Les articles 11 bis et 11 ter introduits par l'Assemblée nationale modifient les règles de quotas applicables aux musiques francophones sur les radios. Ce sujet sera repris plus en détails, cet après-midi, lors d'une audition organisée par notre rapporteur Jean-Pierre Leleux.
L'ADAMI, société civile pour l'administration des droits des artistes et musiciens, est une société de gestion collective des droits des artistes. Moi-même artiste-interprète, j'en suis le président depuis trois ans. C'est un métier que l'on choisit par souci de liberté, ce qui ne va pas sans un besoin d'égalité, d'équité et de fraternité dans le partage de la valeur. Loin d'être une utopie, la notion de gestion collective est précieuse. Interface entre l'oeuvre et le public, l'artiste porte en lui quelque chose qui le dépasse : les attentats du 13 novembre, qui ont visé des artistes et leur public, en sont la preuve. Le mot « artiste » apparaît 52 fois dans le projet de loi : j'espère que c'est pour mieux les prendre en considération, car trop souvent on ne fait appel à eux que lorsqu'on en a besoin.
Les revenus du streaming, au coeur de nos préoccupations, alimentent d'abord l'État, puis les plateformes, les auteurs, les distributeurs et les producteurs, qui rémunèrent l'artiste. La plupart du temps, l'exploitation en streaming n'est pas un choix mais une obligation imposée aux artistes - pour se permettre de la refuser, il faut s'appeler Francis Cabrel ou Jean-Jacques Goldman.
Marc Schwartz a été missionné par la ministre de la culture et de la communication pour un travail préalable à l'élaboration du projet de loi. Le protocole d'accord qu'il nous a proposé est cependant trop incomplet pour que nous puissions le signer. À croire que l'on a du mal à entrer dans le XXIe siècle : on en reste à un dispositif correspondant plus à l'exploitation physique que numérique. Ainsi, proposer un système d'avances revient à faire vivre les artistes à crédit, alors que les producteurs éprouvent des difficultés de trésorerie.
La proposition de l'ADAMI, qui a été signée par tous les artistes-interprètes en Europe, prévoit un droit complémentaire à celui versé par le producteur, sur le modèle de l'audiovisuel. Les musiciens américains ne tarissent pas d'éloges sur le système français de gestion collective. Je regrette la dérive américaniste qui se dessine dans notre branche, notamment en ce qui concerne les moyens de diffusion. Quelle sera la nationalité des plateformes dans quelques années, voire quelques mois ? La législation devrait être le contraire de la loi du plus fort. Nous avons besoin d'une juste régulation. Vous seuls pouvez nous la donner.
Je représente l'ensemble des plateformes françaises présentes sur notre territoire. Notre objectif est de favoriser le développement durable d'un marché légal de la musique en ligne, pour favoriser l'émergence d'une pluralité d'acteurs tout en préservant l'indépendance culturelle nationale. Nous sommes favorables aux mesures du projet de loi sur la liberté de la création. Nous souhaitons l'instauration d'un médiateur de la musique, dont le premier travail consistera à élaborer un code des usages pour encadrer les relations entre producteurs et plateformes. Il y a effectivement un vrai problème de partage de la valeur. En 2011, nous avions signé les treize engagements pour la musique en ligne, concluant la mission confiée à Emmanuel Hoog. Échus depuis trois ans, ils n'ont pas été renouvelés malgré nos demandes incessantes. Ils ont été réintroduits dans le cadre du protocole d'accord de Marc Schwartz : c'est une préfiguration du code des usages que nous appelons de nos voeux. L'accord Schwartz prévoit que le médiateur de la musique pourra être saisi de tout litige dans le cadre de la mise en oeuvre du dispositif. On aura là l'occasion de créer une jurisprudence essentielle.
Il n'y avait aucune disposition sur la copie privée dans le projet de loi initial. Vos collègues députés ont cependant introduit des mesures, qui auront un impact sur le dispositif qui organise la copie privée. Je salue l'élargissement de l'article L. 321-9 et des fameux 25 % à l'aide à l'éducation artistique et culturelle. Reste un sujet essentiel qui a été discuté à l'Assemblée nationale sans donner lieu à aucun article : l'appréhension des nouvelles technologies qui ont trait à la copie privée.
À la suite du rapport Lescure sur l'acte II de l'exception culturelle et de celui du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique en 2012, le député Marcel Rogemont a lancé une réflexion relative à l'application de l'exception pour copie privée aux nouvelles technologies de cloud computing. On ne peut que constater un décalage entre la législation française, qui restreint la copie privée aux particuliers qui ont la garde des matériels, et l'évolution technologique qui permet de réaliser des copies privées hors de cette garde. Acheter un titre sur une plateforme de téléchargement relève du droit exclusif ; la possibilité d'en obtenir une copie subséquente, en cas de perte de son iPad, par exemple, relève de la copie privée. Sans substituer un dispositif de copie privée à un droit exclusif, il s'agit de prendre en compte l'évolution des usages. Les supports numériques ont remplacées les cassettes et VHS de jadis ; on commercialise déjà des nPVR, ces boxes avec disque dur décentralisé. Après quatre ans de discussion, le temps est venu de légiférer. Si le Sénat ne le fait pas, la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne s'imposera. Il est temps d'accompagner l'évolution technologique en veillant à préserver la rémunération des acteurs, producteurs, auteurs-compositeurs et artistes-interprètes. Le travail de M. Rogemont constitue un bon point de départ. La commission en charge de l'élaboration des barèmes a besoin d'un cadre juridique clair. Au législateur français de prendre ses responsabilités, sachant que le Parlement européen et la Commission européenne travaillent déjà sur le sujet.
Artiste-compositeur-interprète depuis plus de dix ans, je suis également déléguée générale de la Guilde des artistes de la musique, créée il y a deux ans. Il y a sur le terrain une crise de confiance par rapport à l'architecture de l'industrie de la musique enregistrée, telle qu'elle a été conçue dans les années 60. La rémunération des artistes a été lourdement impactée par la révolution numérique, bien que celle-ci nous ouvre aussi de nouvelles opportunités. Un sentiment d'injustice nous a conduits à nous regrouper. Nous évoluons dans un univers de plus en plus complexe. D'une économie de l'achat à l'acte, on est passé à une économie d'accès, ce qui constitue pour les artistes la « boîte noire » de l'industrie du disque, selon les termes de David Byrne.
Nous avons identifié quatre enjeux, qui requièrent le consentement de tous les acteurs de la filière. Nous avons signé l'accord Schwartz, mais une loi est également nécessaire. Premièrement, il faut garantir plus de transparence pour assurer une meilleure rémunération à chaque acteur de la chaîne ; deuxièmement, instaurer un devoir fiduciaire, pour que les producteurs prennent en compte l'intérêt des artistes ; troisièmement, partager équitablement la valeur collective pour s'assurer que les artistes reçoivent une juste part de la valeur générée par leur travail ; quatrièmement, prévoir un droit à rémunération protégé et adapté au nouvel environnement du streaming, en tenant compte des droits exclusifs cédés via les contrats.
Je suis producteur de disques depuis vingt ans ; j'ai exercé ce métier dans des sociétés de taille différente. Je suis aujourd'hui président de Sony music ; comme président du SNEP je représente les majors mais aussi beaucoup d'indépendants. Je travaille au quotidien avec des artistes, certains très connus, d'autres pas encore.
La musique n'a jamais été aussi exposée, accessible et écoutée. Pourtant, depuis dix ans, les revenus que génère la création musicale ont baissé de 65 %. Face au raz-de-marée de l'Internet, nous avons travaillé à préserver notre métier, en luttant contre l'usage illégal qui a d'abord prévalu, puis en créant une offre légale. Grâce à des plateformes comme Deezer, nous disposons désormais d'une offre diversifiée, avec plus de 35 millions de titres accessibles. Le nouvel usage qui nous est imposé par l'Internet devient concret pour les producteurs comme pour les artistes, mais aussi pour les médias, le public et les politiques.
Les revenus de l'industrie doivent être partagés entre les producteurs et les artistes. Il est essentiel de récupérer la perte de valeur que nous constatons depuis dix ans. Nous pourrons le faire en consolidant l'offre légale et en nous efforçant de protéger nos droits. Certaines plateformes qui bénéficient du statut d'hébergeur ne permettent pas de rémunérer correctement la création : la différence de rémunération varie de un à dix pour un même stream sur YouTube et sur Deezer.
La récupération de la valeur est importante pour le financement de la création et l'investissement dans la carrière des artistes. Dans un marché en décroissance, le modèle émergeant du streaming, dont la part dans nos revenus est croissante, doit être protégé. C'est ainsi que l'on générera de la croissance sur l'ensemble de la filière. Le projet de loi devra permettre un développement serein de ce nouvel usage, pour que nous puissions reconstruire paisiblement nos revenus.
Pas moins de 34 000 artistes ont confié leurs droits à la SPEDIDAM. Avec l'ADAMI, nous représentons plus de 60 000 artistes et 120 000 ayants droit. Dans le projet de loi, les droits des artistes-interprètes sont conçus pour être cédés à un producteur, pas pour être exercés. Basé sur la convention collective de 2008, l'accord Schwartz est incomplet, car il ne règle pas le problème des services à la demande, pour lequel l'artiste ne touche qu'un cachet forfaitaire - pour 70 ans et pour une diffusion planétaire ! Il est indispensable qu'une organisation contrôlée par les artistes-interprètes perçoive des droits auprès des diffuseurs ; c'est pourquoi nous soutenons un amendement, qui crée une gestion collective obligatoire pour les services à la demande.
Le partage de la valeur entre artistes et producteurs a fait l'objet de nombreuses controverses, les rapports se sont empilés, car le débat a été mal posé. L'émergence du modèle de streaming, avec sa consommation titre par titre et non plus par album, bouleverse tout. Le partage des rémunérations au prorata des titres consommés concentre les revenus. Notre diagnostic est que l'artiste-interprète sera le grand gagnant de ce système : dans un secteur hyperconcurrentiel, les producteurs se battent pour signer avec un artiste prometteur. Conseillé par des avocats, des managers, des agents, l'artiste n'est pas une victime exploitée de façon éhontée. Les contrats d'exclusivité prévoient une rémunération qui n'est jamais inférieure à 8 % et peut aller jusqu'à 90 % comme Fauve ; de plus en plus d'artistes se produisent eux-mêmes, un bon tiers d'entre eux négocient des contrats-licences : le contrat en exclusivité n'est plus la norme.
Le streaming rémunère mal : il faut 10 000 écoutes pour générer 62 euros, à partager entre le producteur et l'artiste. L'association WIN (Worldwide international network), que nous avons créée pour revoir contractuellement nos relations avec les artistes, dans un contexte de défiance sur les abattements et les rémunérations, a publié une Fair Digital Deals Declaration en juillet 2014 faisant état de notre position d'ouverture.
Les accords Schwartz représentent une avancée considérable, mais si beaucoup reste à faire, la convention collective aussi, malgré les critiques dont elle est l'objet, car elle détermine le principe d'une rémunération minimale des musiciens, unique au niveau européen. Ne cédons pas à la désinformation. La gestion collective des droits voisins est un outil et non une fin en soi ; nous ne sommes pas contre, mais nous sommes opposés à l'idée de la rendre obligatoire. Je regrette que le Gouvernement ait déposé, sans étude d'impact, un amendement sur les webradios, symptomatique d'une croyance selon laquelle les artistes seraient mieux rémunérés avec une licence légale qu'avec un droit exclusif, alors que c'est l'inverse qui est vrai.
Le projet de loi acte déjà des points qui nous paraissent essentiels : par exemple, qu'un contrat doive prévoir une rémunération distincte pour l'exploitation physique et l'exploitation numérique. Il comporte des avancées importantes pour la protection des intérêts des artistes-interprètes.
Mais il fallait aller plus loin sur le partage de la valeur, d'où la mission Schwartz. Toute une partie de la valeur créée est détournée, via la diffusion numérique, par les GAFA - Google, Amazon, Facebook et Apple - ces industries du tuyau qui génèrent un chiffre d'affaires considérable, mais dont les retombées pour les créateurs de valeur sont inexistantes. À quand une réelle taxation ?
La France est souvent brocardée pour son inaptitude à la négociation : avec le protocole Schwartz et la convention collective, nous avons un cas unique envié dans toute l'Europe. Notre fédération a signé cet accord sans état d'âme. Cas unique, parce que les auteurs-interprètes sont présumés être des salariés, ce qui rend le contrat de travail entre l'artiste et le producteur décisif, et nécessite son encadrement par la loi et la convention. Je suis en désaccord avec M. Roger sur bien des points, mais nous avons, avec ce texte, une promesse d'avenir négocié. Je le dis à ceux qui ne l'ont pas signé : la porte est encore ouverte.
Les amendements à la loi ne règlent pas tout et la négociation sera compliquée. Nous sommes favorables à la gestion collective volontaire, notamment si elle garantit des recettes proportionnelles aux recettes d'exploitation des vidéos-musiques. C'est ce que prévoit convention collective. Qu'ajouterait une gestion collective obligatoire ? Ne détruisons pas le salariat des artistes, le contrat de travail, fondement d'un vrai partage de la valeur.
Merci de vos exposés, qui donnent à voir les positions des uns et des autres, sur le caractère obligatoire de la gestion collective des droits d'exploitation numérique par exemple. L'accord Schwartz, en plus de poser le principe d'une rémunération minimale, est avant tout un engagement à trouver un accord. C'est une avancée considérable, mais il reste beaucoup de travail. Que pensez-vous de la procédure prévue pour le cas où les partenaires n'arriveraient pas à un accord, et de la création du médiateur de la musique, calqué sur le modèle des médiateurs du cinéma et du livre, mais qui disposera de bien plus de pouvoirs ?
Certains souhaitent le Grand Soir - je crains que leurs espoirs ne soient déçus. Nous ne pensons pas opportun de taxer les plateformes, comme l'ont proposé l'ADAMI et la SPEDIDAM. Il y a eu dix-huit signataires à l'accord Schwartz ; pour un secteur balkanisé, c'est historique. Cela donne toute légitimité à la négociation qui va s'ouvrir dans le cadre de la convention collective. Un amendement du Gouvernement a été adopté, qui vise à l'encadrer ; nous en prenons acte, même si nous faisons bien sûr davantage confiance au dialogue social.
Il est faux de dire que le régime de la licence légale rapporterait plus aux ayants droit. C'est aux diffuseurs de webcasting qu'elle est le plus favorable : 12 % de chiffre d'affaires pour les producteurs de webradio, 3 % pour les grandes radios traditionnelles.
Nous contestons la légitimité du médiateur de la musique. Il sera le surveillant généralisé de la profession de producteur, accablée de tous les maux. Ses pouvoirs, largement étendus, sont très intrusifs, puisqu'il pourra être saisi de tout engagement contractuel. Le médiateur du cinéma ne s'occupe, lui, que d'exploitation, et celui du livre, que de prix. Son mode de saisine est en outre très large.
Seul sujet consensuel, les quotas radio...
Au mieux, le médiateur ne servira à rien. Au pire, il deviendra un Politburo de la musique. Je penche pour la première possibilité : expliquer à YouTube ou Apple que s'ils ne paient pas, ils auront affaire à un médiateur français, c'est brandir un pistolet à eau. J'y vois plus d'inconvénients que d'avantages : la préfiguration d'un futur tribunal du copyright, tel qu'il en existe dans d'autres pays, et que la directive sur la gestion collective de février 2014 autorise. Les médiateurs du livre et du cinéma n'interviennent pas sur l'économie de ces secteurs, mais pour l'un sur les prix et pour l'autre sur la diversité dans l'exploitation. Le médiateur me semble être une solution franco-française à une problématique internationale.
Le protocole Schwartz n'engage que sur la rémunération minimale. Pour le reste, c'est un engagement à négocier. Comment, sans médiateur, vérifier que les dispositions décidées seront bien dans les contrats individuels ? Le protocole ne serait pas opérationnel : nous n'irons pas devant le juge civil à chaque manquement constaté. Ceux qui s'opposent au médiateur sont les corps constitués ; les nouveaux entrants ou les parties faibles, comme les artistes, y sont favorables. Les parties fortes ne veulent pas qu'on se mêle de leurs affaires, c'est dans l'ordre des choses.
Les artistes sont favorables au médiateur ; d'ailleurs le protocole que nous avons signé y renvoie. Dans le petit village qu'est notre milieu, faire appel à un avocat est peu apprécié. Le diable se nichant dans les détails, il faudra bien sûr être attentif à son statut et à ses compétences. Les efforts de la SACEM ont payé puisque les droits d'auteur ne sont pas concernés. Je ne vois pas ce qui vous inquiète, puisque vous n'avez rien à cacher et qu'il ne servira à rien ! L'accord Schwartz n'est pas qu'un engagement à négocier ; il régule aussi des domaines où la loi n'intervient pas. C'est l'expression de la confiance réciproque d'une filière ; la loi, quant à elle, doit être celle de la protection des arts, l'un des fondements de la République.
Si le médiateur doit exister, nous souhaiterions que ses compétences soient élargies aux relations entre artistes-interprètes, sociétés de gestion et plateformes de diffusion.
Au cas où aucun accord ne serait trouvé sur la rémunération minimale, nous avons demandé un filet de sécurité en une commission présidée par un représentant de l'État. Le Gouvernement doit prendre ses responsabilités. Nous n'avions pas demandé de médiateur, mais il peut contribuer à rassurer. Des accords collectifs encadreront les contrats de travail entre artiste et producteur, mais quid des autres contrats, commerciaux ou de licence, qui ne sont encadrés ni par la loi, ni par le code de la concurrence ?
Il y a certes des différences avec les médiateurs du cinéma et du livre, mais le domaine de la musique ne compte aucun équivalent au fonds de soutien au cinéma. Nous revendiquons un fonds de soutien à la musique !
L'enfer est pavé de bonnes intentions. Le médiateur est une fausse bonne idée ; il créera un climat délétère de suspicion permanent. Les conflits peuvent déjà être réglés par l'arbitrage ou les tribunaux. Il est toujours désagréable de négocier sous contrainte, comme sur la rémunération minimale, mais nous prenons acte de l'épée de Damoclès que représente la fixation autoritaire faute d'accord. J'émets toutefois un doute sur la constitutionnalité de la fixation par une autorité administrative indépendante de royalties minimum, qui n'existe dans aucun domaine.
Deux ans pour arriver à un accord, une éternité ! Je ne pense pas vouloir le Grand Soir. Les pratiques de l'audiovisuel peuvent être adaptées au son. Personne ne ralentit devant les pancartes « pollution, ralentir » ; seules les limitations de vitesse sont efficaces.
Il y a dix ans, le numérique, encore à ses débuts, forçait à réfléchir sur une offre globale ; l'idée d'une rémunération plus juste des artistes était déjà le leitmotiv des discussions. Entendre aujourd'hui les mêmes postures est assez désespérant. Nous sommes à un moment important, celui d'un projet de loi qui doit améliorer, réguler, encourager. Au jour du lancement des Trans Musicales de Rennes, personne n'a parlé des salles ou des festivals. Il y a pourtant là matière à avancer collectivement, autour d'objectifs partagés. L'accord Schwartz n'est qu'un début, qui encourage à négocier.
Je trouve que la création d'un médiateur est une bonne idée. Il ne sera pas un surveillant général, mais aura une activité de veille et d'accompagnement. Je regrette que vous ne soyez pas plus nombreux à le voir comme un atout, pour avancer ensemble.
Que pensez-vous des contrats à 360 degrés ? Sont-ils en développement ? Je suis très attachée à la diversité culturelle : cela implique que la puissance publique ne laisse pas le marché bafouer la justice sociale.
Ce projet de loi commence par affirmer que « la création artistique est libre », puis décline douze objectifs. Cela a-t-il du sens ? Est-il nécessaire de légiférer sur les objectifs de la création artistique ?
En tant que juriste, je suis stupéfait du niveau d'encadrement de votre profession. Au code de la propriété intellectuelle s'ajoutent des conventions, vos futurs accords et, à défaut, une commission présidée par un représentant de l'État. Même en droit social, pourtant d'ordre public, je ne retrouve pas une telle disposition. Et je ne parle pas du médiateur ! En êtes-vous arrivés à un tel niveau de blocage que l'État ait besoin d'aller si loin ? Il y a certes une autorité administrative indépendante dans le domaine de la presse, mais il s'agit de protéger l'objectif d'intérêt public de qualité et de pluralité de l'information - ce n'est pas le cas en matière musicale.
Enfin, les producteurs ont tous des filiales dans les autres pays européens et au-delà. Quelle est la portée réelle du droit positif franco-français en la matière ?
Avec une seule intervenante parmi tant d'intervenants, la musique est entre de mâles mains. Je suis stupéfaite d'entendre des producteurs se plaindre de la concurrence, en face de ces rois du pétrole que seraient les artistes. Concentrés sur le partage de la valeur, vous vous taillez des croupières... Aucun d'entre vous n'a parlé de l'article 11 A sur les pratiques amateurs ; or sans lieux de diffusion, sans festivals, comment la musique survivrait-elle ? J'aimerais avoir votre avis écrit sur le développement des pratiques actuelles.
Les négociations semblent aller dans le bon sens. Il y a une discussion, et non un blocage sur le partage de la valeur. La loi et la négociation sont les deux moteurs qui font avancer la société. Il est prématuré de dire que le médiateur sera un gendarme ou qu'il sera inutile. Vous n'avez guère parlé de formation, sur laquelle des avancées sont pourtant prévues à l'article 17, ainsi que sur le développement de l'éducation artistique et culturelle en direction des publics défavorisés et de la jeunesse.
Il y a dix ans, c'était la déprime généralisée, le désarroi absolu face au tournant technologique qui s'annonçait. On nous demandait de légiférer pour compenser le manque d'anticipation de la filière. L'offre commerciale était quasi-inexistante. Forcée par la situation, la filière a réalisé quelque chose d'exemplaire. J'ai vu les derniers chiffres de fréquentation des festivals depuis deux ans : ils sont bons pour une économie en faible croissance. Félicitations à vous tous pour ce bon résultat.
Reste le problème du partage de la valeur. Si vous étiez d'accord sur la manière d'aller chercher la valeur volée par les GAFA, peut-être y aurait-t-il moins de tensions entre vous, peut-être seriez-vous moins occupés à grappiller quelques sous les uns aux dépens des autres. La loi prévoit une rémunération minimale - cela semble la moindre des choses. La loi doit prévoir le cas où la négociation échouerait, sinon le rapport de forces serait déséquilibré et le plus faible serait amené à signer n'importe quoi. Le médiateur serait un Politburo ? Épargnez, je vous prie, les victimes des régimes auxquels vous faites référence : il ne s'agit vraiment pas de cela. Un médiateur sera plus intégré à l'écosystème que ne l'est le Gouvernement. Le dispositif prévu n'est pas fondamentalement différent des autres filières. Quels que soient vos intérêts, vous avez merveilleusement réagi à un état de fait qui aurait pu tuer la musique. Soyez solidaires, puisque vous avez les mêmes intérêts fondamentaux. Merci aux sociétés de gestion de droits d'aider les salles en difficulté.
Si les avis divergent sur les solutions à apporter, chacun s'accorde à vouloir assurer aux artistes-interprètes une rémunération équitable. Nous sommes au milieu du gué, avançons pour trouver une solution qui convienne.
Que pensez-vous de la Hadopi ? Est-elle dépassée ? Le streaming semble ouvrir la voie à une rémunération plus équitable que le téléchargement.
Je ne m'attendais pas à de tels propos sur les artistes, qui ne seraient pas des victimes... L'autoproduction ne représente certainement pas la majorité des cas. La convention collective de 2008 est sans doute incomplète, mais que voulez-vous y changer ? M. Slyper propose une taxation sur les grands groupes internationaux de diffusion sur Internet. Une telle solution fait-elle l'objet de travaux ? La loi doit protéger les artistes, sans préjuger de la négociation entre partenaires sociaux. Fixer une rémunération minimale ne me choque pas du tout. Le médiateur ne sera qu'un partenaire de plus, et non un surveillant.
Plusieurs questions pertinentes seront abordées lors des auditions du rapporteur, ouvertes à tous les membres de la commission. L'article 17 mériterait en effet d'être complété.
Nous n'avons parlé que des articles 4, 5, et 6, car c'était le sujet de cette table-ronde. J'aurais effectivement des commentaires à faire sur les articles 2 ou 11 A. Ma fédération proposera des amendements au Sénat, après l'avoir fait à l'Assemblée nationale. Un fonds d'urgence a été créé par le Centre national de la chanson, des variétés et du jazz (CNV). Les festivals se portent bien, dites-vous ? Selon le CNV, 70 % des recettes de billetterie sont versée par vingt entreprises, sur les 2 000 qui lui sont affiliées. Les structures de proximité, de leur côté, assurent 52 % des concerts, mais ne représentent que 10 % des recettes. Nous avons proposé des amendements pour lutter contre cette concentration autour de grands groupes verticaux rassemblant salles, production et vente de billets en ligne. Au moment de se pencher sur la sécurité des salles, le législateur devra penser à tous ces petits lieux qui assurent la diversité de la création.
Avant la signature de la convention collective, les relations entre producteurs et artistes-interprètes étaient réglées par le juge. Ce texte est un compromis - et une avancée considérable. J'invite donc toutes les organisations à signer le protocole Schwartz, qui prévoit notamment un fonds de soutien à l'emploi, doté de plusieurs dizaines de millions d'euros, ce qui est indispensable pour les petits labels qui assurent la diversité artistique avec peu de moyens. Permettre aux artistes de vivre de leur métier est la meilleure garantie de diversité.
Si vous avez eu l'impression d'assister à l'exposition d'intérêts conflictuels, il y a maldonne : nos intérêts sont convergents. Contrairement aux négociations précédentes, celle-ci a abouti à la signature d'un accord substantiel, ce qui représente une avancée notable. Jeudi, le comité de pilotage des accords Schwartz se réunira pour la première fois, sous la présidence de la ministre de la culture, rue de Valois. Il mettra en place un observatoire des pratiques contractuelles, qui analysera, à compter de janvier, les rémunérations négociées entre producteurs et artistes. Nous disposerons donc enfin de chiffres incontestables.
Les producteurs phonographiques, majors comme indépendants, souhaitent de bonne foi que la négociation avec leurs artistes-interprètes aboutisse. Je ne peux préjuger du résultat, mais nous allons vers un juste partage de la rémunération. Dans un métier où les revenus des producteurs et des artistes se sont effondrés de 65 % en treize ans, il a fallu s'adapter. Un producteur ne peut plus vivre uniquement de la musique enregistrée. Le métier d'éditeur de musique assure toujours heureusement des revenus significatifs et le montant global des droits d'auteur n'a pas diminué. Le spectacle vivant devient une alternative et nous sommes attentifs à la santé de ce secteur. En vingt ans, la musique est devenue un écosystème : il existe une solidarité objective entre les métiers et les compétences de chacun.
J'ai participé, entre 1981 et 1985, à la négociation préparant la loi de 1985 relative aux droits d'auteur, votée à l'unanimité par les deux chambres. L'État avait joué son rôle, n'hésitant pas, au besoin, à taper du poing sur la table pour faire respecter un équilibre. Nous souhaitions faire basculer l'analogique dans le numérique en conservant les mêmes licences légales. On a voulu renégocier, sans doute pour partager autrement la valeur. De fait, les rapports de force ont changé. La CGT, qui était proche des artistes, ne l'est plus : la convention collective a fait basculer l'ensemble de leurs droits dans les mains des producteurs. Résultat, depuis 2008, ils ne touchent plus rien. Pourtant, leur musique n'a jamais été autant utilisée.
Les accords Schwartz, signés par dix-huit parties, sont un symbole de solidarité. Malgré les différences entre nos métiers, nous avons conscience d'être tous dans le même bateau. Nous sommes pleinement entrés dans le numérique. Attention à ne pas trop encadrer les dispositions contractuelles dans la loi, au moment où nous ouvrons les négociations dans le cadre de notre convention collective. Nous nous en remettons à la sagesse du Sénat, qui saura corriger les dispositions relatives au médiateur.
Quant à la Hadopi, elle a mis plusieurs années à se mettre en place, mais le dispositif innovant qu'elle met en oeuvre fonctionne et donne des résultats satisfaisants.
La formation et l'aide au spectacle vivant bénéficient du quart du produit de la rémunération pour copie privée. L'Assemblée nationale a étendu cette aide à l'éducation artistique et culturelle, tant mieux. Au lendemain des attentats, la SACEM a décidé d'investir 500 000 euros dans le fonds de soutien de 4 millions d'euros ; l'ADAMI va nous suivre. Toutefois, si la collecte de la rémunération pour copie privée décroit, l'aide au spectacle vivant et à la formation se réduiront aussi.
Oui, il faudrait aller chercher l'argent auprès de ceux qui en font : réseaux sociaux, plateformes internationales, moteurs de recherche... Encore faudrait-il que nos interlocuteurs ne soient pas juridiquement irresponsables. Facebook ou Sound Cloud se déclarent hébergeurs et déclinent toute responsabilité sur les contenus qui transitent sur leurs plateformes. Cette question doit être traitée au niveau européen, par une modernisation de la directive Droit d'auteur et droits voisins dans la société de l'information, en séparant le bon grain de l'ivraie et en faisant rentrer les faux hébergeurs dans le schéma des licences.
Avant la Hadopi, près de 6 millions de personnes fréquentaient les sites de peer to peer. Le nombre de ces pirates du dimanche a été divisé par deux. Proposer une offre légale est une chose, mais si une offre entièrement gratuite lui fait concurrence, comment la compétition serait-elle juste ? Nous devons réfléchir à l'évolution des missions de la Hadopi.
Je comprends que le médiateur puisse protéger les plus faibles. Face à iTunes, qui dépend d'Apple dont le chiffre d'affaires trimestriel atteint 50 milliards de dollars, que pèsent les 800 millions d'euros annuels de nos producteurs et artistes ? De même, le rapport de force avec YouTube n'est pas en notre faveur, d'autant que la négociation est nécessairement internationale, puisqu'il est présent dans 128 pays.
Il y a la directive droit d'auteur et droits voisins, mais aussi celle sur le commerce électronique...
Liberté de la création, architecture et patrimoine - Table ronde sur les dispositions relatives à la musique
Il s'agit de les articuler au mieux.
La réunion est ouverte à 10 h 30.
La parité est encore loin d'être respectée, ici comme ailleurs - merci à Mme Blandin de l'avoir souligné. Bien sûr, nous sommes tous bouleversés et rassemblés. Les artistes sont particulièrement émus : c'est leur public qui a été visé. Notre responsabilité est de défendre la liberté d'expression et de création. L'article 1er de ce texte déclare que la création est libre. Il faut renforcer le lien entre le créateur et son public et la confiance de l'artiste en son métier. La France a une occasion historique de prendre la direction, en Europe, de la protection de la culture. La GAM est cofondatrice de l'International Artist Organisation (IAO), dont je suis secrétaire générale, et qui peut aider à donner une portée européenne aux principes fixés par les accords Schwartz.
La diversité concerne autant les acteurs que les producteurs et les labels : il est important de lutter contre toute concentration. La formation de l'entourage de l'artiste doit évoluer, car le métier de manager recouvre bien des réalités : certains sont avant tout nounou ou copain... L'artiste n'est pas à égalité avec la maison de disque au moment de contracter.
Le contrat à 360° se développe, surtout chez les majors, et donne une impression de hold-up. Produire un disque ne rapporte rien, c'est vrai. Faut-il prendre l'argent ailleurs ? Je compte sur la sagesse du Sénat. Attention aux excès : les artistes ne gagnent ni 0 % ni 90 % des recettes. Si le contrat de distribution leur attribue 80 % des gains, c'est en contrepartie de 80 % des efforts ! Le contrat de licence leur donne 60 % et le contrat d'artistes n'est évidemment pas à 90 %. Quoi qu'il en soit, le succès doit être collectif. Évitons les postures : les artistes ne demandent qu'un peu d'équilibre et d'équité.
L'encadrement de la négociation est nécessaire. En 2011, les treize engagements pour la musique en ligne déterminaient les rapports entre producteurs et plateformes. À leur expiration, nous n'avons pas pu les renouveler, alors qu'ils corrigeaient des anomalies contractuelles substantielles - qui, du coup, sont réapparues. Les accords Schwartz reprennent ces treize engagements, même si nous aurions souhaité aller plus loin. La situation des plateformes comme Deezer, Spotify ou Qobuz, dont beaucoup sont françaises, n'est pas excellente. Nous avons besoin du médiateur et d'un code des usages, que préfigurent les accords Schwartz. Il faut de la pérennité dans nos relations avec les producteurs. Les rapports de force ne sont pas favorables aux plateformes, non plus qu'aux artistes. Faute d'un partage équitable de la valeur, les investisseurs se détournent de la musique, certaines start-up changent de modèle.
Enfin, sans remettre en cause l'efficacité d'Hadopi, les plateformes légales de streaming gratuit comme Spotify et Deezer luttent efficacement contre le piratage. YouTube qu'on pourrait qualifier de concurrence déloyale pour ces plateformes, car il est protégé par son statut d'hébergeur, y participe également.
Nous travaillons en partenariat avec les artistes, mais même entre partenaires, il faut des règles précises, notamment pour savoir jusqu'où réguler, sans tomber pour autant dans les excès de la loi du marché. D'autres questions se posent, en termes de fiscalité : jusqu'à quel point l'État peut-il décider de manière unilatérale pour protéger ses prérogatives et ses finances ? La solidarité est une de nos valeurs fortes, nous l'avons montré après les attentats et sommes prêts à faire plus encore. L'ADAMI reste ouverte à toute proposition constructive. Tel qu'il nous a été présenté, le protocole n'en offrait pas assez pour que nous puissions le signer.
Je vous remercie. N'hésitez pas à nous faire parvenir tout complément d'information, de réflexion. Nous n'en sommes qu'au début de nos travaux.
La réunion est levée à 12h50.