Nous devons nommer un rapporteur sur la proposition de directive E 8193 qui concerne l'entrée et le séjour des étudiants et chercheurs de pays tiers, et qui s'applique également à ceux qui demandent à entrer dans l'Union pour une activité de volontariat ou un travail au pair. J'ai reçu la candidature de Mme Tasca.
Mme Catherine Tasca est nommée rapporteure.
Le scandale du Libor est une affaire grave qui a éclaté l'année dernière et a été un peu trop vite oubliée. Il a été avéré que le Libor, taux qui sert de base à des transactions sur les monnaies, a été manipulé. Les banques concernées sont devant la justice et il convient d'adopter de nouvelles règles pour empêcher ce type de fraude. M. Yung va nous soumettre en ce sens, plutôt qu'un avis politique, une proposition de résolution.
Une proposition de résolution européenne risque d'y être réécrite, mais l'appartenance de notre rapporteur à cette commission limite le risque.
Je me suis saisi de cette affaire car, si les journaux anglo-saxons en sont remplis, en France il règne sur ce sujet un silence complet. J'ai interrogé le Gouvernement qui a répondu « circulez, il n'y a rien à voir »... J'ai interrogé différentes autorités, sans plus de succès. Certes, les Anglais sont plus concernés que nous, mais deux banques sur les dix-sept concernées sont françaises. Et les conséquences des manipulations de ce taux nous concernent tous, puisqu'ils servent de référence pour beaucoup de contrats financiers. Il est donc utile que nous en parlions et que nous fassions des propositions.
De quoi s'agit-il ? Le Libor est un indice de taux d'emprunt au jour le jour du marché interbancaire. Les grandes devises sont cotées ainsi : dollar, yen, dollar australien, l'euro aussi, mais pour l'euro il y a l'Euribor, de sorte que le Libor est un peu redondant. C'est - c'était - un marché de gentlemen : les représentants de dix-sept banques honorablement connues se réunissent tous les jours de marché à midi, après que les trésoriers des dix-sept banques ont communiqué, à 11 heures, leurs estimations. Les trésoriers répondent à la question suivante : à quel taux pensez-vous que vous pourriez emprunter des fonds en devises aujourd'hui ? Ils évaluent donc en fait la valeur du crédit de leur propre banque, ce qui doit évidemment être fait avec les plus grandes précautions pour ne pas déclencher de spéculations. La moyenne des dix-sept taux ainsi obtenus est ensuite publiée. L'Euribor est la moyenne de taux prêteurs uniquement en euros, sur une durée comprise entre une semaine et un an - en-dessous d'une semaine, le taux au jour le jour, appelé Eonia, est géré par la BCE. Une quarantaine de banques doivent donner leur estimation du taux de dépôt en euro entre deux banques le jour même. Les valeurs extrêmes sont rejetées, et l'on fait la moyenne, qui devient l'Euribor, qui est donc une estimation externe, à la différence du Libor.
En juin 2012, le scandale du Libor a éclaté, autour de la Barclay's Bank qui était la plus active, et a été accusée - à juste titre, semble-t-il - de manipulation des taux du Libor. Il est apparu ensuite que d'autres banques avaient trempé dans ces manipulations. Le scandale a abouti à la démission de M. Diamond, président-directeur général fort bien nommé, et de toute une partie des équipes de direction. L'autorité de surveillance britannique, la Financial Service Authority (FSA) n'a rien surveillé ; elle n'a pas déclenché des investigations quand elle l'aurait pu. Avant 2008, les manipulations visaient à augmenter les gains des banques : les opérateurs de marchés souhaitaient optimiser leurs opérations de marché, et donc leur rémunération. Ils faisaient donc pression sur le trésorier pour que celui-ci surestime ou sous-estime légèrement le taux qu'il annoncerait. Après 2008, la situation des banques a changé, elles voulaient désormais éviter de montrer leurs difficultés : c'était vraisemblablement les équipes de direction qui demandaient au trésorier de sous-estimer un peu le taux, afin d'afficher de la solidité. Comme ces taux sont devenus systémiques, servant de référence à des millions de contrats, ce qui en fait quasiment des biens publics, ces tromperies touchent tout le monde !
Les enquêtes diligentées aux États-Unis et en Angleterre se sont conclues par des transactions financières, selon les règles du droit anglo-saxon : des amendes d'un montant total de presque deux milliards d'euros ont éteint les poursuites. La Commission européenne a ouvert une enquête pour entente entre les banques, qui avance avec une sagesse toute bruxelloise... Les banques françaises concernées font éventuellement l'objet d'enquêtes des autorités françaises dans le cadre de la coopération internationale entre superviseurs.
Les Anglais ont réagi très vite : la réputation de la place de Londres était en jeu. Le responsable de la surveillance, M. Wheatley, a été chargé d'un rapport où il formule les propositions pour modifier la gouvernance du Libor. Un appel d'offres sera fait pour choisir le gestionnaire du taux, un steering committee installé, mais il n'y aura pas de surveillance publique : cela reste une affaire privée entre banques. Le marché interbancaire sur la place de Londres s'est beaucoup contracté, ce qui pose un problème de cotation : le volume de transactions n'est plus suffisant pour pouvoir faire des estimations sérieuses. Les Américains, par la voix du président de l'autorité de surveillance, ont donc annoncé qu'ils allaient explorer la création d'indices alternatifs probablement basés à New York. Mais on ne peut pas supprimer le Libor, puisqu'il sert à l'indexation de millions de contrats déjà conclus. Il va donc subsister encore un certain temps.
La Commission européenne va faire des propositions sur l'Euribor ; nous pourrions lui suggérer de réformer ses modalités d'élaboration et de gestion. L'important est de faire en sorte que la BCE participe à la gouvernance de l'Euribor. Elle sera l'autorité de surveillance des banques, il n'est pas déraisonnable de souhaiter qu'elle surveille aussi les taux du marché monétaire, qui feraient ainsi partie de la gouvernance de la zone euro. Il y aura des problèmes politiques : les Allemands ne seront sans doute pas favorables au départ, et les Anglais ne le seront certainement pas - mais après tout ils n'ont qu'à entrer dans l'euro s'ils veulent participer à la gouvernance de la zone !
Merci d'avoir su nous présenter clairement ce dossier complexe. Une idée m'est venue : ce qui était une proposition d'avis politique est devenu une proposition de résolution, car notre rapporteur souhaitait que la commission des finances en soit saisie. Pourquoi ne pas en faire à la fois une proposition de résolution européenne, qui s'adressera au Gouvernement, et un avis politique, qui s'adressera directement à la Commission européenne ?
Merci d'avoir choisi ce sujet très méconnu, et de l'avoir aussi bien expliqué. Avis politique, proposition de résolution : il ne s'agit que d'une différence d'appellation ?
L'avis politique est destiné à la Commission européenne. Nous pouvons faire connaître notre point de vue au Gouvernement par une proposition de résolution, ou directement à la Commission européenne, par un avis politique. Nous pouvons faire les deux, ces procédures étant complémentaires.
J'ai cru comprendre que les banques françaises se tournaient vers les juridictions américaines lorsqu'elles estimaient avoir été lésées par la falsification du Libor.
Le Libor, c'est Londres... Les banques françaises se financent sur l'Euribor. Elles ont tendance à se retirer du Libor, où elles estiment n'avoir que des mauvais coups à prendre.
Les entreprises peuvent déposer plainte aux États-Unis, cela doit arriver. L'élément important de ma proposition est de se tourner vers l'avenir et de confier un nouveau rôle à la BCE.
Le projet d'avis politique et la proposition de résolution européenne sont adoptés à l'unanimité dans les textes suivants :
sur la réforme européenne des indices de taux
Vu la proposition modifiée de directive du Parlement européen et du Conseil relative aux sanctions pénales applicables aux opérations d'initiés et aux manipulations de marché (E 7579),
Vu la proposition modifiée de règlement du Parlement européen et du Conseil sur les opérations d'initiés et les manipulations de marché (abus de marché) (E 7580),
Vu la consultation de la Commission européenne du 5 septembre 2012 sur la régulation de la formation et de l'utilisation des indices servant de référence dans les contrats,
Vu le rapport conjoint de l'Autorité Bancaire Européenne et de l'Autorité Européenne des Marchés Financiers sur l'administration et la gouvernance de l'Euribor,
La commission des affaires européennes du Sénat :
Soutient l'initiative de la Commission de proposer une régulation globale des indices ;
Invite toutefois la Commission à formuler une proposition dédiée à l'Euribor ;
Considère qu'une telle proposition devra viser à assurer la pérennité de l'Euribor au regard de ses spécificités et de son importance systémique ;
Juge indispensable que la Commission considère désormais que la contribution à un indice et son administration soient considérées comme des activités régulées ;
Estime que la Commission doit inscrire la supervision de l'Euribor dans le cadre du mécanisme de surveillance unique (MSU) de l'union bancaire ;
Souligne la nécessité de disposer d'un cadre européen cohérent et coordonné de supervision des indices de taux ;
Demande en conséquence que la Commission envisage la mise en place de mécanismes permettant une supervision européenne du Libor ;
Appelle à une adoption rapide de la directive et du règlement sur les abus de marché ;
Invite la Commission à tenir compte du statut de bien public de ces indices qui rend nécessaire une plus grande implication des autorités publiques dans leur gouvernance ;
Estime que la Banque centrale européenne est légitime et compétente pour assumer cette responsabilité ;
Le Sénat,
Vu l'article 88-4 de la Constitution,
Vu la proposition modifiée de directive du Parlement européen et du Conseil relative aux sanctions pénales applicables aux opérations d'initiés et aux manipulations de marché (E 7579),
Vu la proposition modifiée de règlement du Parlement européen et du Conseil sur les opérations d'initiés et les manipulations de marché (abus de marché) (E 7580),
Vu la consultation de la Commission européenne du 5 septembre 2012 sur la régulation de la formation et de l'utilisation des indices servant de référence dans les contrats,
Vu le rapport conjoint de l'Autorité Bancaire Européenne et de l'Autorité Européenne des Marchés Financiers sur l'administration et la gouvernance de l'Euribor,
Soutient l'initiative de la Commission de proposer une régulation globale des indices ;
Souhaite toutefois qu'une proposition dédiée à l'Euribor soit formulée ;
Considère qu'une telle proposition devra viser à assurer la pérennité de l'Euribor au regard de ses spécificités et de son importance systémique ;
Juge indispensable que la contribution à un indice et son administration soient désormais considérées comme des activités régulées ;
Estime que la supervision de l'Euribor doit s'inscrire dans le cadre du mécanisme de surveillance unique (MSU) de l'union bancaire ;
Souligne la nécessité de disposer d'un cadre européen cohérent et coordonné de supervision des indices de taux ;
Demande en conséquence que soit envisagée la mise en place de mécanismes permettant une supervision européenne du Libor ;
Appelle à une adoption rapide de la directive et du règlement sur les abus de marché ;
Souligne que le statut de bien public de ces indices rend nécessaire une plus grande implication des autorités publiques dans leur gouvernance ;
Estime que la Banque centrale européenne est légitime et compétente pour assumer cette responsabilité ;
Considère qu'une meilleure connaissance des transactions du marché interbancaire est de nature à renforcer l'intégrité du processus d'élaboration de l'Euribor ;
Notre commission a adopté le 20 mars dernier mon rapport sur la stratégie européenne en matière numérique. De manière polémique, je l'avais intitulé « L'Union européenne, colonie du monde numérique ? ». La place que prend le numérique dans notre vie et dans nos économies s'accroît si vite, et les Européens sont tellement distancés en matière d'équipement et de services numériques, que l'Union européenne risque de perdre sa souveraineté : il est urgent de réagir.
Je vous soumets aujourd'hui un avis politique : le président Barroso a invité les parlements nationaux à réagir au contenu des textes publiés par la Commission. La stratégie numérique est au programme du Conseil européen d'octobre prochain. La Commission européenne a bien identifié le numérique comme un gisement de croissance pour l'Union européenne : elle a recensé cent actions-clés, qui composent l'agenda numérique, et sont prioritairement destinées à approfondir le marché unique autour des usages du numérique. Mais notre continent ne doit pas avoir pour seule ambition de consommer des équipements asiatiques ou des contenus américains : nous devons devenir producteurs, créer de la richesse et de l'emploi. C'est la condition indispensable au maintien de la valeur ajoutée et des emplois sur notre continent : pour citer Mario Monti, « oui à la création d'un marché unique, mais qui ne soit pas un marché désarmé » !
Je regrette donc que l'agenda numérique de Mme Kroes n'exprime pas une vision stratégique de la place de l'Union européenne dans le cyberespace. Pour la vieille Europe, le numérique est un défi économique, car il bouleverse tous les modèles d'affaires connus des industries qui font la puissance européenne, un défi fiscal, puisque les géants d'internet exploitent la concurrence fiscale interne à l'Union européenne et mettent à profit la possibilité qu'offre le numérique de découpler le lieu d'établissement d'une société et le lieu de consommation de ses services, et un défi juridique, puisque les acteurs dominants des services en ligne - qui sont principalement américains - ne relèvent pas des juridictions européennes.
Je souhaite attirer l'attention de la Commission européenne sur les enjeux à long terme de la faible présence de l'Europe sur internet. La souveraineté de l'Europe sur les données qu'elle produit s'en trouve de plus en plus menacée - il s'agit pourtant de l'or noir du numérique - car le développement des services en nuage va les mettre entre les mains de fournisseurs de services américains ; le développement de l'internet des objets va multiplier les données et renforcer l'importance de leur maîtrise. La survie de l'identité européenne dans le monde numérique est en jeu : la création se fait de plus en plus sous forme numérique, et l'on y accède de plus en plus en ligne. La création d'un marché unique des contenus en ligne risque de profiter surtout aux opérateurs dominants de l'internet. La concentration qu'entraînent les effets de réseau est préoccupante pour la diversité culturelle. Le numérique n'est donc pas seulement un gisement de croissance : c'est aussi un enjeu de civilisation pour l'Union, qui doit prendre sa juste place dans l'univers numérique.
Je propose trois actions : faire de la souveraineté numérique un objectif politique pour l'Union européenne, miser sur l'unité européenne pour peser dans le cyberespace, et faire agir l'Union pour favoriser la numérisation de l'économie européenne.
Je propose donc la création d'une formation du Conseil de l'Union dédiée aux questions numériques pour incarner l'ambition transversale qu'est le numérique : elle pourrait être complétée par une enceinte consultative issue de la société civile susceptible d'éclairer l'exécutif européen. J'appelle à une meilleure intégration des différentes politiques européennes concernées par l'ambition de souveraineté numérique de l'Union. La politique de concurrence, notamment, doit prendre en compte d'autres objectifs que l'optimisation du bénéfice du consommateur : sécurité des réseaux, maîtrise des données, diversité culturelle, avenir de l'industrie numérique européenne. J'encourage la Commission à imposer aux géants d'internet des obligations d'équité et non de discrimination, afin de juguler leur domination. Certains acteurs de l'internet sont devenus des « facilités essentielles », car ils ont acquis une position dominante durable qui les rend indispensables à l'activité économique : 97 % des recherches sont faites sur Google. J'invite la Commission européenne à prévoir un mécanisme accéléré de règlement des différends pour s'assurer de manière indépendante du respect des engagements pris par les sociétés qui ont transigé avec la Direction générale « Concurrence », comme Google. Je suggère aux autorités européennes de la concurrence de se mobiliser pour la préservation de la neutralité des terminaux qui permettent de se connecter à internet : les systèmes propriétaires ferment les marchés. J'insiste enfin sur la nécessaire sécurisation de nos réseaux numériques, qui réclame de développer les capacités de cyberdéfense des États membres et de renforcer les obligations des opérateurs d'importance vitale en matière de sécurisation informatique. Je propose que l'Union européenne conditionne l'achat d'équipements hautement stratégiques, comme les routeurs de coeur de réseau, à leur labellisation par une autorité publique de sécurité, pour nous prémunir contre l'espionnage par les pays fournisseurs. Nous pourrions inclure de tels achats dans le périmètre des marchés de sécurité pour pouvoir leur appliquer la préférence communautaire, déjà implicitement reconnue par les règles européennes pour les marchés de défense et de sécurité.
J'appelle l'Union européenne à renforcer sa présence dans les instances mondiales de gouvernance de l'internet, mais aussi dans les instances de normalisation. La solidarité des États membres doit être renforcée pour lutter contre l'évasion fiscale des acteurs numériques, ce qui implique de respecter le calendrier prévu pour territorialiser de nouveau la perception de la TVA sur le lieu de consommation des services en ligne, et passe par l'exercice d'une pression sur les États membres dont les pratiques fiscales sont dommageables. L'Union doit exiger dans les instances internationales que les multinationales de l'activité numérique soient imposées en proportion de leur activité sur le territoire où résident leurs utilisateurs.
J'invite la Commission à proposer la création d'un impôt numérique européen qui contribuera au financement des réseaux de nouvelle génération et de la création. Faute d'un tel impôt, le modèle économique et social européen ne sera pas soutenable.
L'Union européenne doit promouvoir la protection des données, en interdisant le transfert de données hors de l'Union européenne sur requête d'une autorité d'un pays tiers, sauf autorisation expresse. Elle doit pour cela négocier avec les États-Unis un accord qui protège les données des Européens d'une manière conforme à la Charte des droits fondamentaux. Je suggère la création d'un droit de recours collectif des consommateurs contre les conditions générales de certains services en ligne, qui sont très changeantes et souvent opaques.
L'Union européenne peut améliorer la loyauté de la concurrence mondiale, qu'il s'agisse d'aides d'État ou d'ouverture de marchés publics. Elle dispose du levier puissant de l'achat public. Elle doit soutenir la mutation de ses entreprises vers le numérique, en adaptant les programmes européens d'aide à la recherche pour mieux prendre en compte une nouvelle conception de l'innovation. Elle doit encourager le capital-risque européen, faciliter l'introduction en Bourse des start-up, éviter leur rachat ; les fonds structurels européens pourraient aider les petites entreprises à créer leur site internet et à développer leur activité de manière dématérialisée. J'encourage l'Union à défendre les droits d'auteur tout en les adaptant à l'ère du numérique pour assurer le développement durable de la diversité culturelle européenne en ligne. Il est utile à ce titre de poursuivre les expérimentations menées, notamment en matière de chronologie des médias. Pour développer les contenus européens en ligne, j'invite la Commission à proposer l'application au livre et à la presse en ligne d'un taux de TVA au moins aussi bas que celui appliqué à ces biens dans le monde physique. Le budget européen doit soutenir l'industrie du jeu vidéo, qui représente une vraie modalité de création culturelle, et doit accompagner la transition vers le numérique des acteurs culturels en place.
C'est le sens de l'avis politique que je vous propose, auquel la Commission européenne devrait répondre dans les trois mois.
Cet avis politique reprend les grandes lignes du rapport qui nous a été présenté en mars dernier.
Je félicite la rapporteure pour son exposé qui témoigne d'une grande connaissance de ces problèmes. Vous avez parlé d'un impôt numérique : quels seraient son assiette et son montant ?
Si quelqu'un a une bonne idée, qu'il la partage ! Même le rapport Lescure ne formule pas de préconisation précise en l'espèce. J'avais auditionné MM. Colin et Collin, qui ont rendu un rapport préconisant une réflexion sur les données personnelles. La fiscalité doit se concevoir au niveau européen. La mission Lescure propose de taxer tous les acteurs de la nouvelle chaîne de l'économie numérique, notamment les fournisseurs d'accès à la création culturelle. Ceux-ci objectent qu'ils font l'effort de constituer un marché qui bénéficiera ensuite à des entreprises étrangères. Les propositions françaises sont donc insuffisantes. Personne n'a encore trouvé la bonne solution. Taxer les données, peut-être ? Les routeurs de réseaux... ? La réflexion est ouverte.
Merci pour ce travail complet. Vous avez évoqué la fiscalité numérique : M. Marini avait fait des propositions en séance publique, qui étaient intéressantes mais techniquement inabouties. La ministre a indiqué que la fiscalité numérique était un sujet prioritaire pour le Gouvernement, et qu'elle entendait faire des propositions en ce sens dans un délai raisonnable - sous quelques mois. Le sujet est complexe techniquement : il faut tenter d'évaluer les conséquences de toute décision. Plusieurs États européens s'en préoccupent, ce qui devrait aider à la formation d'un projet collectif à bref délai.
Le monde économique a été récemment stupéfait de découvrir que les grandes sociétés du numérique préféraient thésauriser quarante milliards de dollars aux îles Caïman et emprunter, ce qui est financièrement plus intéressant. Un article dans le Financial Times du 23 mai fait état d'une réaction forte des États-Unis, qui entendent bien fiscaliser ce qui a trait au numérique. Il est toujours plus facile de mener une action planétaire quand on a le poids des États-Unis... Indépendamment des questions de fiscalité, il y a un problème d'équité : le numérique faisant partie des commodities, tout le monde devrait avoir le droit d'y accéder. Nous n'y sommes pas ! Il y a vingt ans, des fonds structurels européens se sont déversés sur les pays du Sud et les Länder de l'Est. Nous pourrions à présent réclamer ces fonds structurels pour mettre nos campagnes au même niveau que les villes sur le plan numérique, ce qui aurait un effet multiplicateur : bien des acteurs économiques viendraient s'implanter loin des centres urbains, ce qui renforcerait la compétitivité française, car les coûts y sont moindres.
Pourrions-nous demander à l'Europe de trouver des moyens financiers pour faire émerger des champions européens ? L'Europe doit développer une force à la mesure de sa population de 500 millions d'habitants. J'ai visité l'entreprise Astrium : en matière de GPS, l'Europe a au moins quinze ans de retard sur les États-Unis. Si Airbus n'était pas une entreprise de taille européenne, nous n'aurions peut-être plus d'aviation en France. Si les contenus ne viennent que des États-Unis ou d'Asie, nous avons tout à craindre...
L'aménagement numérique du territoire se fait aujourd'hui aux frais du contribuable. Mais qui en sera le premier bénéficiaire ? Google, et d'autres géants du numérique. Nous devons poser un rapport de force. Dans les jeux vidéo, l'essentiel de la valeur revient au propriétaire de la console. Or il n'y a aucune console européenne ! Ce n'est pas parce que nous parlons de numérique qu'il n'y a plus besoin de structure dure. Le numérique se développe sur les ordinateurs et en ligne, mais aussi dans des systèmes propriétaires très puissants, comme Apple, qui exercent un droit de vie et de mort sur des créateurs de contenus. Disposer de leaders européens est donc essentiel si l'on veut qu'une industrie du numérique émerge en Europe. Nous avons fait un peu de téléphonie avec Nokia, mais l'avenir est incertain : nous dépendons des Américains et des Coréens. L'aménagement numérique du territoire est important, mais coûte très cher. Privilégions donc, plutôt que le droit du consommateur à télécharger, le droit des villes-bourg à être équipées du haut débit pour rester concurrentielles.
Je soutiens cette proposition de résolution. Un impôt sur le numérique ne serait pas une nouvelle taxe mais une taxe nouvelle sur un marché qui en est complètement dépourvu : l'industrie numérique, extrêmement concentrée, fait des profits considérables qui ne bénéficient pas aux grands enjeux que nous avons évoqués. L'Europe est très en retard sur le développement d'outils industriels. Sans capacité budgétaire appropriée, elle ne jouera pas dans la cour des grands.
Au début des années 1970, le téléphone était l'exception dans les campagnes. Le président Giscard d'Estaing a lancé un plan téléphone : cinq ans après nous avions le meilleur réseau téléphonique d'Europe. Il faudrait faire la même chose pour le numérique ! La mutualisation est primordiale : les opérateurs préfèrent évidemment avoir dans leur douaire les villes et ignorer les campagnes, mais il faut leur imposer de couvrir tout le territoire ; sinon les fractures numériques vont se traduire en fractures économiques et sociales. De plus, ces investissements auraient un impact sur le développement industriel de notre pays. C'est impératif, alors que l'on cherche actuellement des idées d'investissement. En voilà une dont l'impact sur le développement industriel de notre pays est assuré.
L'aménagement numérique du territoire est un sujet capital, mais les contenus ne sont pas moins importants que les tuyaux. Veillons à maintenir un certain équilibre et surtout, prenons garde à ce que les écosystèmes ne se développent pas sans les Européens. Organisons-nous. Nous ne nous laissons pas retirer le tapis de sous nos pieds.
Les prochaines politiques de cohésion, pour la période 2014-2020, font du déploiement du très haut débit une priorité. Depuis janvier 2013, le régime des aides d'État a changé afin d'aider les collectivités à investir dans l'aménagement numérique du territoire.
Notez que la mutation numérique et la mutation environnementale sont concomitantes. Nous devons relever ensemble ces deux grands défis, en promouvant par exemple les réseaux énergétiques intelligents.
Tous les acteurs de l'industrie numérique que nous avons rencontrés s'inquiètent des difficultés qu'ils rencontrent à grandir et à atteindre une taille critique sur le marché européen. Le rapport revient en détail sur ce point. Nous devrions encourager davantage le capital-risque européen, à l'instar de ce qu'ont fait les États-Unis, pour faire émerger des industries puissantes.
Afin de répondre aux préoccupations de Jean-Paul Emorine, je propose d'insérer la phrase suivante : « Estime que la politique de concurrence ne doit pas faire obstacle à l'émergence de champions européens dans le domaine du numérique ».
L'essentiel, c'est de mentionner la possibilité de faire émerger des leaders européens. Je voterai donc l'avis politique.
Lorsque j'ai évoqué ces sujets à la COSAC de Copenhague, il y a eu peu d'écho. La prise de conscience est récente, ici comme en matière d'évasion fiscale, sujet sur lequel même les États-Unis sont désormais mobilisés. Mais il y a un an et demi, ces questions n'intéressaient personne.
La phrase « estime que la politique de concurrence ne doit pas faire obstacle à l'émergence de champions européens dans le monde numérique » complètera donc l'avis politique.
L'avis politique est adopté dans le texte suivant :
Vu la communication de la Commission au Conseil, au Parlement européen, au Comité économique et social européen et au Comité des Régions du 26 août 2010 « Une stratégie numérique pour l'Europe » (COM (2010) 245 final),
Vu la communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions du 18 décembre 2012, « Une stratégie numérique pour l'Europe : faire du numérique un moteur de la croissance européenne » (COM (2012) 784 final),
La commission des affaires européennes du Sénat :
Fait valoir que la Commission européenne a bien identifié le numérique comme gisement de croissance pour l'Union européenne et recensé 100 actions-clés composant l'agenda numérique et destinées à approfondir prioritairement le marché unique autour des usages du numérique ;
Regrette que cet agenda n'exprime pas une vision politique de la place que l'Union européenne devrait occuper dans le monde numérique et n'ambitionne pas de faire de l'Union européenne, non seulement une consommatrice d'équipements asiatiques ou de contenus américains, mais aussi une productrice sur ce marché unique numérique, condition indispensable au maintien pérenne de la valeur ajoutée et des emplois sur le continent européen ;
Fait observer que le numérique défie la « vieille Europe » aux plans économique, en bouleversant les modèles d'affaires existant dans diverses industries, fiscal, en exploitant la concurrence fiscale interne à l'Union européenne et en mettant à profit le découplage entre lieu d'établissement et lieu de consommation, ou encore juridique, puisque les acteurs dominants des services en ligne ne relèvent pas des juridictions européennes ;
Attire l'attention de la Commission européenne sur les enjeux à long terme de la faible présence de l'Union européenne sur le web : d'une part, la souveraineté de l'Union européenne sur les données qu'elle produit en ligne est menacée et cette menace s'accroît avec le développement des services en nuage et celui de l'internet des objets qui va multiplier les données ; d'autre part, la survie de l'identité européenne dans le monde numérique est en jeu, ce qui appelle à trouver des solutions innovantes pour rémunérer justement la création culturelle en ligne et préserver la diversité culturelle de la concentration résultant des effets de réseau sur Internet ;
Concernant la souveraineté numérique de l'Union européenne :
Propose la création d'une formation du Conseil de l'Union européenne proprement dédiée aux questions numériques ainsi que d'une enceinte consultative issue de la société civile, afin d'éclairer l'exécutif européen et fédérer l'écosystème numérique européen ;
Appelle à une meilleure intégration des différentes politiques européennes concernées au service de l'ambition de souveraineté numérique de l'Union européenne, et notamment à une meilleure prise en compte par la politique de concurrence d'autres objectifs tout aussi légitimes que l'optimisation du bénéfice du consommateur ;
Demande à la Commission d'envisager d'imposer des obligations d'équité et de non-discrimination à certains acteurs de l'internet, devenus « facilités essentielles » parce qu'ils ont acquis une position dominante durable et que certaines activités économiques deviennent impossibles sans recourir à eux ;
Invite la Commission européenne à prévoir un mécanisme accéléré de règlement des différends pour s'assurer de manière indépendante du respect des engagements pris par les sociétés ayant transigé avec la DG Concurrence ;
Suggère de mobiliser également les autorités européennes de concurrence sur la préservation de la neutralité des terminaux permettant la connexion à l'internet ; estime que la politique de concurrence ne doit pas faire obstacle à l'émergence de « champions européens » dans le domaine du numérique ;
Insiste sur la nécessité de sécuriser nos réseaux numériques en développant les capacités de cyber défense des États membres et en renforçant les obligations des opérateurs d'importance vitale en matière de sécurisation informatique ;
Propose, au nom de la sécurité, de conditionner dans l'Union européenne l'achat d'équipements hautement stratégiques, comme les routeurs de coeur de réseaux, à leur labellisation par une autorité publique de sécurité, afin de se prémunir contre l'espionnage par les pays fournisseurs, et d'inclure dans le périmètre des marchés de sécurité l'achat d'équipements numériques hautement stratégiques, afin d'appliquer en ce domaine la préférence communautaire déjà implicitement reconnue par les règles européennes pour les marchés de défense et de sécurité ;
Concernant la place de l'Union européenne dans le cyberespace :
Appelle l'Union européenne à renforcer sa présence dans les instances mondiales de gouvernance de l'internet ainsi que dans les instances de normalisation, pour y défendre notamment les intérêts de son industrie ;
Considère que la solidarité des États membres doit être renforcée, dans le cadre de la lutte contre l'évasion fiscale des acteurs numériques, par le respect du calendrier prévu pour reterritorialiser la perception de la TVA sur le lieu de consommation des services en ligne, par une pression exercée sur les États membres aux pratiques fiscales dommageables et enfin par une mobilisation dans les instances internationales en vue d'imposer les multinationales de l'économie numérique en proportion de leur activité sur le territoire où résident leurs utilisateurs ;
Invite la Commission européenne à proposer la création d'un impôt numérique européen destiné à contribuer au financement des réseaux de nouvelle génération et à celui de la création, impôt sans lequel la soutenabilité du modèle économique et social européen serait largement compromise ;
Souhaite que l'Union européenne promeuve la protection des données, en interdisant notamment le transfert de données hors de l'Union européenne, sur requête d'une autorité d'un pays tiers, sauf autorisation expresse, et en négociant un accord avec les États-Unis conforme à la Charte européenne des droits fondamentaux ;
Encourage la création, à l'échelon de l'Union européenne, d'un droit de recours collectif de consommateurs contre les conditions générales d'utilisation de certains services en ligne ;
Concernant l'opportunité que peut représenter l'Union européenne pour la numérisation de l'économie européenne :
Appelle l'Union européenne à développer des opportunités de marché à ses entreprises du numérique en améliorant la loyauté de la concurrence mondiale d'une part, qu'il s'agisse d'aides d'État ou d'ouverture des marchés publics, et en usant du levier de l'achat public d'autre part ;
Incite l'Union européenne à soutenir la mutation de ses entreprises vers le numérique en adaptant les programmes européens d'aide à la recherche pour mieux prendre en compte une nouvelle conception de l'innovation, en encourageant le capital-risque européen, en facilitant l'introduction en bourse des start up pour éviter leur rachat ainsi qu'en utilisant les fonds structurels européens pour aider les petites entreprises à créer leur site internet ;
Encourage l'Union européenne à défendre les droits d'auteurs et à les adapter à l'ère numérique pour assurer le développement durable de la diversité culturelle européenne en ligne, et à poursuivre notamment l'expérimentation menée en matière de chronologie des médias ;
Invite la Commission européenne à proposer l'application, au livre et à la presse en ligne, d'un taux de TVA au moins aussi bas que celui appliqué à ces biens culturels dans le monde physique ;