Nous entendons cet après-midi Gilles Leblanc, candidat proposé aux fonctions de président de l'Autorité de contrôle des nuisances aéroportuaires (Acnusa).
En application du 5ème alinéa de l'article 13 de la Constitution, cette nomination ne peut intervenir qu'après l'audition de la personne pressentie devant les commissions compétentes de l'Assemblée nationale et du Sénat, ces auditions étant suivies d'un vote. Conformément aux dispositions de la loi organique et de la loi ordinaire du 23 juillet 2010, cette audition est publique et ouverte à la presse. À l'issue de cette audition, je demanderai aux personnes extérieures de bien vouloir quitter la salle afin que nous puissions procéder au vote qui se déroulera à bulletin secret. Le dépouillement aura lieu demain matin à l'issue de l'audition de M. Leblanc à l'Assemblée nationale. Enfin, je vous rappelle qu'il ne pourrait être procédé à cette nomination, si l'addition des votes négatifs de chaque commission représentait au moins 3/5ème des suffrages exprimés dans les deux commissions.
Monsieur Leblanc, vous êtes familier des questions d'aménagement du territoire et de transport. Vous avez commencé votre carrière à la direction de l'aménagement foncier et de l'urbanisme au sein du ministère de l'environnement. Vous avez occupé par la suite divers postes au sein des services départementaux et nationaux de l'équipement. Vous avez notamment été directeur général du Port autonome de Paris et directeur interrégional de Voie navigable de France (VNF). De 2003 à 2008, vous occupez la fonction de commissaire général aux transports et aux entreprises au sein du ministère de l'écologie. En 2012, vous êtes nommé membre permanent du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD), au sein duquel vous êtes coordonnateur du collège « prévention des risques naturels et technologiques ». Enfin, vous êtes, depuis 2014, directeur régional et interdépartemental de l'équipement et de l'aménagement de la région Ile-de-France.
Vous êtes désormais pressenti pour devenir président de l'Autorité de contrôle des nuisances aéroportuaires (Acnusa), pour un mandat de six ans, non renouvelable. L'Acnusa est une autorité administrative indépendante qui a été créée en 1999 afin d'accompagner la croissance du transport aérien tout en maîtrisant les nuisances sonores pour les riverains. Elle a pour principales missions de définir, pour les principaux aéroports, les modalités de mesure des nuisances sonores ; de contrôler le respect par les aéroports des prescriptions existantes en matière de bruit ; d'informer le public sur les nuisances sonores ; et de rendre des avis sur des documents de planification comme les plans d'exposition au bruit (PEB) ou les plans de gêne sonore (PGS).
L'Acnusa dispose d'un pouvoir de recommandation sur toute question relative aux nuisances environnementales générées par le transport aérien, d'un pouvoir d'alerte sur les manquements aux règles relatives à ces nuisances, d'un pouvoir d'investigation sur le bruit lié au trafic aérien, et d'un pouvoir de sanction à l'égard des compagnies aériennes qui ne respecteraient pas les restrictions relatives à l'usage de certains avions ou les mesures de restrictions des vols de nuit. En 2010, la compétence de l'Acnusa a été étendue à la lutte contre la pollution atmosphérique générée par le transport aérien. Elle peut désormais formuler des propositions d'études pour améliorer les connaissances dans ce domaine et les diffuser auprès du public. Enfin, l'Acnusa est une petite structure, qui compte une dizaine de collaborateurs, pour un budget annuel d'environ 1,7 million d'euros.
Nous inaugurons cet après-midi une nouvelle procédure, puisque deux de nos collègues ont été désignés rapporteurs et sont en charge d'interroger M. Leblanc sur son parcours et ses motivations : il s'agit de Nicole Bonnefoy, qui est rapporteure pour avis des crédits relatifs au transport aérien et de Cyril Pellevat qui travaille aussi sur les questions aéroportuaires au sein de notre commission. Cela n'empêchera bien évidemment pas les autres collègues qui le souhaitent de poser par la suite toutes les questions qu'ils jugent utiles.
Monsieur Leblanc, vous pouvez à présent nous présenter les raisons qui motivent votre candidature à ce poste ainsi que votre projet pour l'Acnusa.
J'ai exercé des responsabilités dans les services de l'État au sein de plusieurs départements, au niveau de la direction d'administration centrale et de la direction régionale. J'ai effectué une partie de mon parcours en collectivité territoriale et j'ai été détaché à la tête d'établissements publics, Port autonome de Paris et Voies navigables de France. J'ai aussi travaillé en cabinet ministériel dans les secteurs du transport et du tourisme, avec notamment un détachement au ministère des Affaires étrangères que j'ai effectué au Maroc et un autre dans le cadre de la mission française pour la reconstruction d'Haïti. Que ce soit en tant que directeur ou conseiller, mon expérience a été centrée sur l'aménagement, l'environnement et les transports. Je suis particulièrement sensible aux questions de sécurité, de protection, de prévention et de gestion de crise, tout comme à celles que posent la formation, la pédagogie et le management public.
Je suis actuellement directeur régional et interdépartemental de l'équipement et de l'aménagement en Ile-de-France, sous la double autorité du préfet de région et du préfet de police, ce qui constitue une charge lourde et intéressante, car j'ai été confronté à un certain nombre de points de tension liés à la politique que l'État mène dans la région capitale.
L'Acnusa est une autorité de petite taille. Ce qui la rend intéressante, c'est qu'elle s'appuie sur des compétences, avec notamment dix membres experts, chacun dans leur secteur, qu'il s'agisse d'environnement, de santé ou d'aviation. Son action est fondée sur une approche juridique, puisqu'elle dispose d'une autorité morale d'avis sur l'élaboration des plans de prévention ou des plans de gêne sonore. Elle exerce un rôle de médiation en cas de crise. Elle émet des recommandations pour faire progresser l'action au niveau territorial ou national. Enfin, une rapporteure générale instruit les décisions que l'Acnusa prend lorsqu'elle exerce son pouvoir de sanction pour faire respecter la réglementation existante.
La nécessité de concilier, d'une part, les enjeux du développement économique et social du territoire et d'autre part, le respect de l'environnement au sens large : voilà ce qui m'a intéressé lorsque le Secrétaire général du Gouvernement m'a annoncé que j'étais pressenti pour assurer la présidence de l'Acnusa. Une question prioritaire de constitutionnalité fragilise actuellement l'exercice du pouvoir de sanction de cette autorité. Il faudra conforter ce pouvoir avant la fin du mois de juin, si l'on veut que la régulation s'exerce dans des conditions satisfaisantes.
Le trafic aérien est depuis plusieurs années en forte croissance. Les derniers chiffres publiés par l'Union des aéroports français (UAF) montrent que le trafic des aéroports français a augmenté de 5,7 % en 2017, avec plus de 10 millions de passagers supplémentaires. Et cette tendance n'est pas prête de s'arrêter.
Tous les grands aéroports internationaux sont lancés dans une course pour augmenter leurs capacités afin de capter le maximum de cette croissance. Aéroports de Paris (ADP) prévoit de construire un nouveau terminal au sein de l'aéroport de Roissy Charles de Gaulle. Face à la saturation de ses capacités, la question du déplafonnement du nombre de décollages et d'atterrissages à l'aéroport d'Orly finira peut être par être sérieusement envisagée. Or qui dit plus d'avions, dit plus de nuisances pour les riverains. Comment appréhendez-vous le rôle de l'Acnusa face à cette réalité ? Comment tenir l'équilibre entre la croissance du trafic aérien et la protection des populations ?
Ma deuxième question porte sur les pouvoirs de sanction de l'Acnusa : dans une décision du 24 novembre 2017, le Conseil constitutionnel a déclaré contraire à la Constitution la procédure de sanction de l'Acnusa qui ne prévoit pas de séparation entre les fonctions de poursuite et de jugement des manquements, ces deux fonctions étant assurées par le président de l'autorité. Cette procédure de sanction doit être réformée avant le 30 juin 2018. Quelles sont selon vous les évolutions organisationnelles à mettre en place au sein de l'Acnusa pour garantir une procédure de sanction impartiale ?
Ma troisième et dernière question porte sur la pollution de l'air. Comme l'a rappelé le président Maurey dans son propos introductif, la compétence de l'Acnusa a été étendue à ce champ en 2010. Pour l'instant, son rôle consiste principalement à réaliser des études et des guides pratiques relatifs à la réduction des émissions polluantes. Faut-il selon vous aller plus loin et donner à l'Acnusa le pouvoir de fixer des prescriptions pour les aéroports et les compagnies aériennes en matière de pollution de l'air, ou lui confier un droit de regard sur les programmes d'actions de réduction des émissions de polluants mis en place par les aéroports depuis la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte de 2015 ?
Le président a rappelé en introduction les principaux éléments de votre carrière. Il en ressort, sauf erreur de ma part, que vous n'avez eu aucune expérience dans le domaine aéroportuaire ou du transport aérien. Cela ne constitue-t-il pas une difficulté, au regard de la technicité des sujets traités par l'Acnusa en matière de prévention des nuisances sonores ? Avez-vous eu à connaître de problématiques liées au bruit dans vos fonctions au Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD), ou dans d'autres fonctions que vous avez occupées ?
Une des missions de l'Acnusa, et qui est essentielle, est de participer à l'information des citoyens qui habitent à proximité d'aéroports sur les nuisances environnementales auxquelles ils sont exposés. Comment envisagez-vous ce rôle d'information des riverains ? Est-ce quelque chose que vous avez déjà eu à pratiquer dans vos fonctions passées ? En vous posant cette question, je pense particulièrement aux riverains de l'aéroport Nantes Atlantique qui sont inquiets des projets d'agrandissement de cet aéroport à la suite de l'abandon du projet de Notre Dame des Landes.
J'ai été administrateur d'ADP et je suis actuellement censeur au conseil d'administration de l'entreprise. Je démissionnerai bien évidemment de ces responsabilités, si je suis nommé président de l'Acnusa.
Le Conseil constitutionnel a considéré qu'il y avait une atteinte à la séparation des pouvoirs en matière de sanction au sein de l'Acnusa, car le président a compétence pour procéder aux classements sans suite. Pour régler la question, il suffirait que la rapporteure générale puisse porter l'ensemble des dossiers devant le collège, ce qui annulerait toute possibilité de classement sans suite. Le Gouvernement préfèrerait proposer une séparation claire des pouvoirs entre la rapporteure générale et le président. Si l'on suit cette voie, il faudrait préciser dans un décret que les cas de classement sans suite sont clairement encadrés d'un point de vue juridique. Pas moins de 80 décisions de l'Acnusa sont en instance de contentieux. C'est beaucoup. D'où la nécessité de sécuriser le pouvoir de sanction.
Pour ce qui est de l'équilibre entre la croissance du trafic aérien et la protection des populations, on constate que le nombre des passagers augmente mais pas forcément sur toutes les plateformes et que le nombre d'appareils augmente tout autant. La progression technologique des appareils est efficace en ce qui concerne le bruit ; elle reste encore insuffisante pour ce qui concerne la pollution de l'air. Il faudrait améliorer l'offre des aéronefs pour les compagnies de fret, car les caractéristiques des avions de fret en matière de nuisances sonores sont inférieures à celles des avions transportant des passagers. La ministre souhaite que l'on progresse sur ce point.
L'insonorisation des logements dans les zones de bruit nécessite une procédure longue et difficile : après quinze ans, la moitié du parc seulement a été insonorisée. À la nécessité d'accélérer la politique d'insonorisation, s'ajoute celle de veiller à ne pas aggraver la situation dans les zones où les plateformes n'ont pas atteint le seuil requis pour mettre en place la taxe. La prévention joue un rôle essentiel, et il revient à l'Acnusa de veiller à ce que les problèmes que les systèmes d'insonorisation visent à résorber ne se recréent pas par un autre biais.
Au cours de ces deux dernières années, l'Acnusa a su développer un dialogue fructueux avec les associations et les acteurs aéroportuaires et du transport aérien. À Orly, elle pilote et suit un travail sur les trajectoires des avions au-dessus de la vallée de Chevreuse et dans le secteur d'Athis-Mons. Sa capacité d'écoute et son pouvoir de sanction sont ses deux principaux atouts.
Le dispositif de suivi et d'information des riverains sur la pollution de l'air n'est pas homogène. Les outils de mesure pourraient être davantage normalisés. Les dispositifs d'information en temps réel sont encore en test. Chacun doit pouvoir disposer des éléments nécessaires pour éclairer le débat. Améliorer les moteurs des aéronefs ne suffira pas, même si c'est une voie de progrès non négligeable. Il faut une meilleure compréhension des conséquences de la pollution de l'air sur l'environnement et sur la santé des riverains.
Monsieur Pellevat, j'ai exercé des responsabilités sur la plateforme civilo-militaire de Nîmes-Garons où j'ai été confronté au problème des nuisances sonores liées à l'utilisation de cette base qui est devenue la base principale pour les appareils de la sécurité civile. L'aéroport opérait pour le compte du ministère de la défense, de sorte que le bruit et les plans de protection faisaient partie des données à prendre en compte.
Dans le cadre de mes fonctions au CGEDD, j'ai travaillé sur plusieurs missions dont l'une concernait une plateforme locale et une autre l'accompagnement des réformes.
Dans mes fonctions actuelles de directeur général du Conseil départemental du Val d'Oise, j'ai contribué à améliorer les dispositifs d'information et d'indemnisation des riverains victimes des nuisances sonores de l'aéroport de Roissy. J'ai également oeuvré à résoudre les problèmes d'incompréhension liés aux PEB et aux PGS. Le récent rapport de Jean-Pierre Blazy reprend un certain nombre de mes propositions. Je suis également confronté au problème du bruit ferroviaire et routier en région Ile-de-France.
En matière d'information des citoyens, il est possible de progresser au-delà de la gestion décalée des procédures de révision des PEB et des PGS. Ces documents, qui sont des servitudes d'urbanisme dans le cas des PEB, doivent être mieux compris, rendus publics, opposables et accessibles, ce qui n'est pas toujours le cas sur le géo portail de l'urbanisme. Ils doivent être intégrés dans les documents locaux d'urbanisme, ce qui est déjà prévu par la loi, mais pas assez mis en oeuvre.
Quant aux documents qui figurent sur les sites des aéroports, ils sont majoritairement agrégés, c'est-à-dire qu'ils fournissent des données environnementales intéressantes, mais peu de données en temps réel. Or la perception que chacun peut avoir de l'instant T ne correspond pas forcément à la compréhension que l'on a des données.
S'agissant du déplafonnement du nombre de vols autorisés annuellement à Orly, les riverains manifestent certes une inquiétude, mais, à ma connaissance, il ne s'agit nullement d'un sujet d'actualité. Au contraire, les gouvernements successifs se sont engagés en faveur du statu quo, confirmé récemment par la ministre des transports. L'objectif est plutôt de poursuivre, en collaboration avec les commissions consultatives de l'environnement (CCE), l'amélioration des trajectoires, afin de limiter les nuisances, en encadrant plus efficacement les conditions de décollage par l'Ouest et le retournement des appareils au-dessus Athis-Mons, ainsi qu'en prenant des dispositions relatives aux vols de nuit pour l'ensemble des aéroports, notamment la plateforme nantaise. Des études sont en cours sur ces différents sujets.
Le long et rocambolesque dossier de Notre-Dame-des-Landes a considérablement fragilisé les autorités indépendantes. Nous avions ainsi entendu votre prédécesseur, qui se plaignait d'avoir été sermonné par le préfet compétent concernant une prise de position de l'Acnusa sur ce dossier. La mission de médiation a montré tout l'entêtement de la direction générale de l'aviation civile (DGAC) à présenter des plans d'exposition au bruit (PEB) erronés, avant que le dernier document ne confirme finalement les contre-expertises menées par les opposants au projet. Dans ce contexte, comment imaginez-vous pouvoir vous opposer à l'État, à vos anciens collègues en somme, sur des sujets où, via la DGAC, il fait souvent preuve d'une imparfaite transparence ? J'ai, par ailleurs, été quelque peu surpris de vos propos relatifs au fret : la majorité des nuisances est imputable aux vols de nuit, dont nombre concernent justement le fret, conduisant à l'établissement de PEB plus larges. L'Acnusa pourrait-elle aller vers une interdiction des vols de nuit comme le souhaitent les riverains, malgré l'opposition des compagnies aériennes et des exploitants d'aéroports, qui appellent au maintien de leur compétitivité par rapport au low cost ?
Partagez-vous les recommandations du rapport de l'Acnusa présenté le 13 mars 2017, qui proposait de doubler le montant de l'amende - je rappelle à cet égard que le produit des amendes s'est élevé à 4,8 millions d'euros en 2016, pour un budget de l'Acnusa de 1,7 million d'euros seulement, différence qui laisse à l'État la jouissance d'une belle somme - et de déplafonner la taxe sur les nuisances sonores aériennes, afin, via une affectation directe, de mieux indemniser les riverains. Je rejoins par ailleurs mon collègue Ronan Dantec quant à la position délicate de l'Acnusa face aux pressions.
Par votre parcours, vous disposez sans nul doute d'une expertise technique incontestable sur les sujets de sécurité et de sûreté, mais qu'en est-il de votre fibre environnementale ? Quelle détermination mettrez-vous à sanctionner les contrevenants malgré les enjeux économiques ? Estimez-vous, à cet égard, que les sanctions conduisent à une amélioration des comportements ? La directive du 25 juin 2002 relative à l'évaluation et à la gestion du bruit dans l'environnement, applicable en France depuis le mois de juillet 2008, n'est ainsi pas convenablement mise en oeuvre s'agissant de l'établissement des PEB. Récemment, le Conseil d'État a ainsi jugé recevables, sur ce fondement, deux recours d'associations de riverains contre le bruit engendré par les aéroports parisiens. Quel signal adresserez-vous aux populations concernées ?
Nous sommes, dans mon département, en réflexion sur les conséquences des nuisances sonores provoquées par les lignes ferroviaires à grande vitesse vers l'Ouest de la France. Les évaluations dont nous disposons me semblent biaisées, dans la mesure où les nuits, pendant lesquelles ne circulent pas de trains, entrent dans les calculs de bruit moyen. En est-il de même pour les nuisances aériennes ? Pour l'ensemble des modes de transport, les pics de bruit diurne pourraient-ils être pris en considération ? Quels sont les conditions de saisine de l'Acnusa et quel est son délai de réponse moyen, considérant qu'elle ne dispose que d'une équipe de dix personnes ? S'agissant par exemple des modifications qui seront apportées à l'aéroport Nantes-Atlantique, l'autorité peut-elle s'autosaisir ? Quelle est, enfin, votre position sur la réglementation européenne relative aux nuisances aéroportuaires ?
Le plafonnement à 250 000 vols annuels de l'activité de la plateforme aéroportuaire d'Orly constitue une limite à mon sens indépassable. Vous m'avez, sur ce point, rassuré.
Vous n'avez pas choisi, avec ce poste, la facilité : la structure est de taille modeste, les enjeux environnementaux et économiques considérables et les passions suscitées par ces sujets, violentes. L'Acnusa dispose d'une équipe réduite pour mener de larges missions (avis, médiation, recommandation, sanction, etc.), ce qui conduit son président à être souvent directement pris à partie. Comment, avec de telles contraintes, envisagez-vous votre rôle, qui diffèrera sur nombre d'aspects de vos précédents postes ? Quel est votre degré de résilience dans ce contexte de pression ?
Quelle politique songez-vous mener en matière de défense de la biodiversité sur les plateformes aéroportuaires ? Quelle sera votre exigence en faveur de la transparence des décisions prises par l'autorité ? Les normes ont beau être respectées, telle n'est parfois pas la perception des habitants des zones concernées...
Votre prédécesseur souhaitait que l'Acnusa puisse ester en justice, notamment pouvoir faire appel des décisions de première instance prises en sa défaveur, prérogative actuellement, et de façon surprenante d'un point de vue juridique, attribuée à la DGAC. Quelle est votre opinion sur ce sujet ?
S'agissant de mon indépendance et de ma capacité de résilience, sachez que j'ai exercé des fonctions dans plusieurs postes difficiles. Je pense notamment à celles de haut fonctionnaire de défense et de sécurité au ministère de l'écologie auprès de Gilles de Robien. J'ai été nommé à ce poste, qui visait à engager les différentes directions du ministère à tirer les conséquences de l'attentat survenu en 2001 à New-York, en raison justement de mon indépendance. J'ai, à plusieurs reprises, dû entrer en conflit avec ma propre administration ! Lorsque Gilles de Robien me remit la légion d'honneur, il rappela d'ailleurs mon indépendance et mon impertinence et m'encouragea à les conserver ! Je dus également faire preuve d'indépendance comme directeur général du Port autonome de Paris et directeur interrégional de Voie navigable de France (VNF), alors que je travaillais avec le préfet sur les questions environnementales et le risque d'inondation, notamment pour réviser le plan d'assainissement de la région Ile-de-France. Je sais donc faire bouger les lignes lorsque cela est nécessaire !
Plusieurs d'entre vous l'ont évoqué : l'Acnusa est une petite autorité indépendante, dont l'essentiel des modestes effectifs est occupé à l'instruction des plaintes. Il lui faut donc trouver les moyens d'exercer néanmoins ses autres missions. Je ne sous-estime pas non plus la délicatesse de son positionnement vis-à-vis de la DGAC. Au sens du règlement européen du 16 avril 2014, le Gouvernement a déclaré auprès de la Commission européenne que la DGAC était en charge des questions relatives aux nuisances sonores aéroportuaires, alors que l'Acnusa, autorité indépendante, dispose d'un pouvoir de surveillance, en particulier de la qualité et de la sincérité des documents, ainsi que de sanction.
Vous m'avez également interrogé sur les recommandations figurant au rapport de l'Acnusa de mars dernier. S'agissant du doublement de l'amende, il convient d'abord de rappeler qu'il en existe plusieurs : celle pour défaut de trajectoire est plafonnée à 20 000 euros ; elle concerne un certain nombre de plateformes, est établie souvent au plafond et semble convenablement fonctionner eu égard au faible nombre de contentieux et de classements sans suite - je rappelle ici l'importance de fonder juridiquement ces derniers par décret dès que le législateur aura réalisé les modifications rendues nécessaires par la récente décision du Conseil constitutionnel. Les manquements aux horaires de décollage et aux volumes sonores sont, pour leur part, passibles d'une amende de 40 000 euros, que mon prédécesseur proposait de doubler dans le rapport précité. Sans avoir d'opinion définitive, je m'interroge sur les conséquences possibles d'une telle décision sur les contentieux, alors même que le plafond de cette seconde amende est rarement utilisé, et sur son efficacité. Les compagnies les plus importantes, Air France en tête, ont modifié leurs comportements mais de nombreuses petites compagnies posent encore problème et sont fréquemment sanctionnées. Y aurait-t-il un effet mécanique si les amendes étaient encore plus dissuasives et utilisées au plafond ? Les experts qui se sont penchés sur cette question estiment qu'un équilibre doit être trouvé entre le niveau des sanctions et l'intérêt que trouvent les compagnies à s'affranchir des règles. Quel que soit le niveau de sanction, il est en effet délicat, monsieur Maurey, que l'autorité ne puisse pas faire appel lorsque ses décisions sont remises en cause... Je partage là l'analyse de mon prédécesseur.
S'agissant de mon expertise sur les questions environnementales, j'ai essentiellement travaillé sur les aspects relatifs au bruit et à l'eau ; ma formation initiale est d'ailleurs celle d'ingénieur hydraulicien. Je me suis également investi en faveur de la qualité de l'air comme directeur régional et interdépartemental de l'équipement et de l'aménagement de la région Ile-de-France, en travaillant sur les zones de circulation restreinte du Grand Paris et sur le plan de protection de l'atmosphère pour l'Ile-de-France, dont le volet aéronautique pourrait d'ailleurs être plus performant. Dans la mesure où, en Ile-de-France, les transports aériens ne représentent qu'une cause minoritaire de pollution, je me suis effectivement plutôt intéressé à d'autres modes de transport.
L'équipe restreinte de l'Acnusa gagnerait à intégrer un expert en motorisation et en carburant. L'autorité doit progresser en matière d'information des riverains s'agissant des polluants et de leurs mécanismes de dispersion, comme, plus largement, dans ses connaissances scientifiques sur la pollution.
Je reviens aux recommandations du rapport de mars 2017, qui envisageait également le déplafonnement de la taxe sur les nuisances sonores aériennes. Lorsque la taxe a été déplafonnée, on a pu observer une augmentation du nombre de dossiers déposés, puis, dans la mesure où les recettes n'ont pas été à la hauteur des attentes, un accroissement problématique des délais d'attente pour les riverains. Plus de 6 100 dossiers sont ainsi en instance en Ile-de-France. Une discussion avec les services de Bercy me semble nécessaire, afin de mettre en place, par exemple, un système d'avances remboursables pour accélérer les procédures d'insonorisation des logements.
Les questions liées à la biodiversité au sein des aéroports, d'une part, et autour des aéroports, d'autre part, sont traitées de manière cloisonnée ou segmentée. L'articulation n'est pas parfaite entre les actions des collectivités territoriales à l'extérieur des aéroports - pour reconquérir les espaces, mettre en place des trames verte ou des corridors, etc. -, et les actions menées à l'intérieur des enceintes aéroportuaires. Il convient d'avancer pour que ces deux mondes ne s'ignorent pas.
La formule de calcul de la marge acoustique cumulée est fort complexe. Il n'y a pas d'équivalent pour le transport routier ou ferroviaire. L'Acnusa retient le seuil de 13 EPNdB (Effective Perceived Noise Decibel). C'est une valeur moyenne, retenue aussi par les associations. Cette formule a le mérite de prendre en compte les phénomènes de pics et de lissage. Il serait bon de communiquer les valeurs en temps réel, ou du moins avec un léger différé. La technologie permet de le faire. Il existe d'ailleurs déjà des applications mais elles ne sont pas normalisées. Il serait aussi pertinent de le faire pour les polluants.
L'Acnusa est composée d'une petite équipe de douze personnes. Celle-ci est sous pression car le nombre de dossiers à traiter est important. Il serait souhaitable que l'Acnusa se réunisse de manière régulière tous les mois afin de ne pas accumuler de retard dans le traitement des affaires. Si la loi n'est pas modifiée rapidement pour conforter l'Acnusa, le stock de dossiers pendants risque d'augmenter encore dans la mesure où elle ne pourra plus statuer. Les sanctions seront donc prononcées de manière tardive par rapport aux manquements, ce qui ne me parait pas être une bonne politique.
J'ai entendu vos remarques sur les interventions du préfet en Loire-Atlantique. L'Acnusa est une autorité indépendante. Son indépendance, son impartialité et son autorité doivent être garanties. En même temps, il est utile qu'elle entretienne une relation de confiance avec les autorités administratives, ne serait-ce que pour faciliter le suivi de ses observations et veiller à ce que ses recommandations ne restent pas lettre morte. L'Acnusa est une petite structure et n'a pas les moyens de mettre en oeuvre elle-même ses préconisations. La publication de ses recommandations a représenté une avancée. Elles donnent lieu depuis quelques années à une réponse écrite de la DGAC. Je ne comprends toutefois pas pourquoi la DGAC est la seule administration à répondre, alors que les recommandations peuvent concerner d'autres directions. La médiation de la DGAC est-elle justifiée pour des affaires concernant le financement de la rénovation énergétique et de l'insonorisation ? Il s'agit plutôt d'affaires relevant de la direction générale de l'aménagement, du logement et de la nature (DGALN), qui appartient au ministère de la transition écologique, ou du ministère de la cohésion des territoires. Il importe là aussi que le président de l'Acnusa noue une relation de confiance avec la DGAC, comme avec les autres directions.
La fermeture des aéroports la nuit est l'une des grandes questions qui se posera lors des années à venir. Pourriez-vous nous donner des compléments à ce sujet ?
La directive européenne de 2014 se fonde sur la notion d'approche équilibrée. Des études fondées sur cette approche sont obligatoires. Elles doivent être réalisées de manière transparente et rendues publiques. Des couvre-feux ont déjà été mis en place à Paris-Orly, à Bâle, à Mulhouse et à Beauvais. Les aéroports de Toulouse, Blagnac et Nice imposent des restrictions aux aéronefs les plus bruyants, dont la marge acoustique cumulée est inférieure à 13 EPNdB. Les études concernant l'aéroport de Nantes sont bien avancées, même si je n'en ai pas pris connaissance. Elles pourraient aboutir au même type de restrictions qu'à Nice ou Toulouse. Des études sont engagées pour l'aéroport de Lyon-Saint-Exupéry et sont sur le point d'être engagées pour celui de Marseille-Provence. La situation de Roissy est très spécifique, ce qui se comprend.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La commission procède au vote sur la candidature de M. Gilles Leblanc, candidat proposé aux fonctions de président de l'Autorité de contrôle des nuisances sonores aéroportuaires, en application de l'article 13 de la Constitution.
La réunion est close à 19 h 20.