Commission des affaires européennes

Réunion du 15 juin 2022 à 8h30

Résumé de la réunion

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La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Rapin

Dès sa désignation comme candidate à la tête de la Commission européenne en juillet 2019, Ursula von der Leyen avait annoncé son intention d'organiser une Conférence sur l'avenir de l'Europe pour écouter la voix des citoyens, et elle avait pris l'engagement de suivre les recommandations de cette instance, qu'elles soient législatives ou qu'elles nécessitent un changement des traités. Retardée par la pandémie de Covid et par des désaccords entre institutions, la Conférence a finalement entamé ses travaux le 9 mai 2021 et les a achevés le 9 mai dernier, avec la présentation d'un Rapport sur les résultats finaux contenant 49 propositions, détaillées en 300 mesures.

Le président du Sénat nous ayant fait l'honneur, à Gisèle Jourda et à moi-même, de nous confier le soin de représenter notre institution au sein de cette conférence, nous avons souhaité ce matin vous rendre compte de ses travaux.

Ayant pour objectif d'écouter les citoyens, la Conférence a consisté principalement en un exercice de démocratie participative. Ses travaux ont ainsi été alimentés par de nombreux panels citoyens, organisés au niveau tant européen que national ou local, et par une plateforme numérique en ligne. L'ensemble de ces propositions constituait en quelque sorte la matière première de la Conférence. Mais nous avons eu parfois le sentiment que les propositions des citoyens étaient en quelque sorte inspirées par le Parlement européen ; nous avons été étonnés de ne pas vraiment entendre de voix critique vis-à-vis de l'Union : on était au pays des Bisounours !

En termes de gouvernance, la Conférence était co-présidée par trois représentants de chaque institution européenne - Parlement européen, Conseil et Commission.

Gisèle Jourda et moi siégions à l'Assemblée plénière, avec les autres représentants des Parlements nationaux et du Parlement européen, des autres institutions ou des citoyens. Cette assemblée devait convertir les recommandations des citoyens en propositions concrètes et les adopter sous forme de rapport final. Pour cela, elle s'est organisée en neuf groupes de travail. Gisèle Jourda était membre du groupe « l'Union européenne dans le monde » tandis que, pour ma part, j'ai siégé dans le groupe « Santé ». La répartition des membres au sein des groupes de travail n'a pas été chose facile ; il a fallu faire preuve de diplomatie...

La Conférence était également dirigée par un comité exécutif, composé paritairement de représentants des trois institutions, au sein duquel j'ai eu le plaisir de siéger en tant qu'observateur, en ma qualité de président de la Commission des affaires européennes du Parlement exerçant la présidence tournante du Conseil.

Enfin, l'ensemble des représentants des Parlements nationaux se sont systématiquement réunis en marge des sessions plénières pour aborder des sujets d'intérêt commun. J'ai également eu l'honneur de co-présider ces réunions où les échanges ont parfois été vifs.

Debut de section - PermalienPhoto de Gisèle Jourda

Le rapport final de la Conférence ne constitue pas un projet concret de modification des traités ou de mesures législatives. C'est une liste thématique de propositions exprimées par des panels citoyens, retravaillées au sein de la Conférence, au cours des quelques mois de travail effectif. Je précise en effet que les travaux de la Conférence ont été extrêmement denses, car ils se sont en fait concentrés sur un semestre, les premiers mois ayant été essentiellement consacrés à des questions de gouvernance et à la mise en place des différentes composantes - ce qui a été très fastidieux. Nous avons d'ailleurs regretté que le temps de travail effectif soit finalement aussi court. Les sujets de fond ont commencé à être abordés lors de la réunion plénière d'octobre, sous présidence slovène, mais ont surtout été traités au cours des cinq plénières du premier semestre de 2022, sous présidence française.

J'en reviens aux propositions du rapport. Chaque composante de l'assemblée plénière, y compris les Parlements nationaux, a accepté que ces propositions soient transmises au comité exécutif pour publication du rapport final, sans que cela emporte un accord sur le fond. Le président Rapin a d'ailleurs clairement exprimé ce principe lors de la dernière réunion plénière, au nom de l'ensemble des Parlements nationaux.

Le Conseil a lui aussi veillé à ce que sa validation du projet de rapport ne soit pas interprétée comme un accord sur le fond. Et ce n'est un secret pour personne que beaucoup d'États membres ont de très fortes réserves sur certaines propositions.

Le Parlement européen a pour sa part apporté un soutien plus net aux propositions. Dans une résolution adoptée le mois dernier, il a considéré qu'elles étaient « ambitieuses et constructives » et a notamment soutenu une extension des domaines du vote à la majorité qualifiée, une extension des compétences de l'Union, par exemple en matière de santé, et un renforcement des prérogatives du Parlement européen.

Il a également considéré que ces propositions nécessitaient une modification des traités et a donc chargé sa commission des affaires constitutionnelles de préparer des propositions de modification. Enfin, il y a quelques jours, il a activé la procédure de l'article 48 de révision des traités. Il appartiendra désormais au Conseil européen de décider, à la majorité simple, de la convocation d'une Convention, chargée le cas échéant d'élaborer un projet de révision des traités.

Les chefs d'État ou de gouvernement aborderont la question lors du Conseil européen des 23 et 24 juin. Plusieurs États membres ont déjà apporté leur soutien à une révision des traités, tandis que d'autres ont exprimé leur opposition.

En définitive, les propositions du rapport de la Conférence constituent donc avant tout un document de référence, qui sera incontournable dans les discussions qui auront lieu dans les années qui viennent, quel que soit leur cadre.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Rapin

Nous ne pouvons présenter de façon exhaustive les 300 mesures envisagées, mais nous voulions attirer votre attention sur certaines d'entre elles.

En ce qui concerne les questions institutionnelles, le rapport final de la Conférence reprend les propositions habituellement portées par le Parlement européen, telles que la réforme des élections européennes pour mettre en place une circonscription unique dans laquelle seraient élus une partie des eurodéputés sur une liste transnationale, et la désignation du président de la Commission européenne à partir du système des candidats tête de liste (ou Spitzenkandidaten), bien qu'une élection directe par les citoyens européens soit également envisagée.

Dans le rapport d'information que Laurence Harribey et moi-même avions présenté l'an dernier sur ces deux sujets, nous avions qualifié ces propositions de « fausses bonnes idées », dans la mesure où elles comportent des risques importants sans garantir une réelle démocratisation de l'Union.

Le rapport souhaite également que l'ensemble des décisions prises aujourd'hui à l'unanimité soient à l'avenir adoptées à la majorité qualifiée, sauf en matière d'élargissement et d'État de droit. Cette proposition aurait des conséquences très importantes et soulève de nombreuses questions, comme nous le verrons dans un instant s'agissant de la politique étrangère.

Le rapport propose également de renforcer les compétences budgétaires du Parlement européen et de lui accorder un réel droit d'initiative. La possibilité de convoquer un référendum à l'échelle européenne est également mentionnée.

En ce qui concerne les prérogatives des Parlements nationaux, le texte est très limité, puisqu'il se contente d'évoquer la possibilité d'un droit d'initiative indirecte des Parlements nationaux - le « carton vert » - et une réforme imprécise de la subsidiarité.

Nous avons tenté d'obtenir des avancées plus substantielles à travers une déclaration commune des parlementaires nationaux et européens membres de l'Assemblée plénière. Nous étions même parvenus à obtenir, de haute lutte, un accord entre le Parlement européen, le Sénat et l'Assemblée nationale, soutenu par un nombre significatif de parlementaires nationaux. Mais en l'absence d'un consensus suffisamment large, ce projet n'a malheureusement pas abouti. Que de temps perdu en palabres !

Le groupe de travail sur le rôle des Parlements nationaux, mis en place dans le cadre de la conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires (Cosac) à notre initiative et que j'ai eu l'honneur de présider, a en revanche pu adopter un texte commun, hier matin au Sénat. Nous vous enverrons très prochainement la version définitive de ses conclusions, qui proposent notamment des modalités concrètes de mise en place du fameux « carton vert », un renforcement du contrôle de subsidiarité et l'ouverture d'un droit de questionnement écrit des institutions européennes par les parlementaires nationaux. Je relève que le Parlement européen s'oppose à ces mesures lorsque nous les présentons dans une initiative propre - alors qu'il y adhérait lorsque nous avions tenté de construire un texte commun avec lui...

Debut de section - PermalienPhoto de Gisèle Jourda

Le thème de la place de l'Union dans le monde a naturellement pris une place particulière dans les travaux de la Conférence, à la suite de l'invasion russe en Ukraine. Sur certains thèmes, la conception des propositions a été bouleversée. Au sein du groupe de travail consacré à ce sujet, où je siégeais, les citoyens européens ont notamment soutenu l'idée que, dans un monde de plus en plus instable, l'Union européenne devait se concevoir comme une puissance et agir en conséquence, en respectant naturellement les règles de droit.

Très concrètement, le rapport recommande de passer à la majorité qualifiée pour la prise de décision habituelle dans le domaine de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC), de fonder la coopération en matière de politique de sécurité et de défense sur la boussole stratégique, mais aussi de renforcer le rôle du Haut représentant pour faire en sorte que l'Union parle d'une seule voix. Il a fallu beaucoup discuter pour arriver à cette position.

Il préconise également de mettre en place des forces armées communes - demande forte des jeunes présents dans ce groupe. Celles-ci seraient « utilisées à des fins d'autodéfense et destinées à prévenir toute action militaire agressive de quelque nature que ce soit, ayant la capacité de fournir une assistance en temps de crise, y compris en cas de catastrophe naturelle ». Cela va au-delà de la force de réaction rapide de 5 000 hommes prévue par la boussole stratégique.

Il s'agit d'un enjeu de souveraineté éminemment sensible, et il me semble nécessaire d'être prudent en la matière. Cela nécessite à coup sûr une réelle évaluation préalable et un dialogue approfondi avec nos forces armées et le Quai d'Orsay. Quant au renforcement du rôle du Haut représentant, il est à apprécier à cette aune. Les conséquences du nouvel état des menaces résultant de la guerre en Ukraine mériteraient aussi une analyse complémentaire.

Enfin, les implications de la clause d'assistance mutuelle déjà prévue par le traité sur l'Union européenne et ses conditions d'utilisation mériteraient d'être évaluées. Le rapport prône le renforcement des capacités opérationnelles nécessaires pour en assurer l'efficacité. Mesurons bien d'abord de quoi l'on parle, notamment dans la perspective d'une éventuelle intégration à terme de l'Ukraine ou des pays des Balkans occidentaux soumis à des menaces. Nous pourrions engager un travail spécifique sur ce thème au sein de notre commission.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Rapin

Sur l'immigration et l'asile, les propositions reprennent pour l'essentiel des mesures déjà adoptées ou en cours de discussion. Y figure la répartition des demandeurs d'asile entre les États membres, en négociation depuis 2016, mais sans résultat pour l'heure - malgré une petite avancée récente au Conseil.

Une proposition mérite enfin spécifiquement notre attention : l'accès uniformisé de l'ensemble des demandeurs d'asile de l'Union au marché du travail. Cette dernière initiative, peut-être inspirée par certaines entreprises recherchant une main d'oeuvre bon marché, remettrait en cause les prérogatives de chaque État membre en matière d'accès au travail des migrants et aurait pour conséquence immédiate une pression à la baisse sur les rémunérations et les conditions de travail. C'est sans doute la raison pour laquelle le rapport insiste justement sur la nécessaire convergence par le haut des conditions de travail des ressortissants de pays tiers au sein de l'Union européenne.

Concernant les propositions relatives à l'État de droit, le rapport final se contente de pétitions de principe et d'une vision exclusivement punitive, illustrée par le mécanisme de conditionnalité et par la nécessité, affirmée avec vigueur, de sanctionner les violations constatées par « toutes les voies juridiques nécessaires ». On aurait pu aussi souhaiter que des préconisations soient faites pour mieux définir l'État de droit, mieux garantir la liberté d'expression des citoyens en Europe et conforter les initiatives d'intérêt général comme le service volontaire européen.

J'ajoute quelques mots sur les propositions en matière de santé, dans la mesure où j'étais membre de ce groupe de travail.

Le rapport propose notamment de renforcer l'Union de la santé « en exploitant tout le potentiel du cadre actuel », mais aussi en faisant de la santé et des soins une compétence partagée entre l'Union et ses États membres.

Je suis très réservé cependant sur la proposition d'investir plus spécifiquement dans le secteur public que dans le secteur privé. Ce qui importe, c'est de développer l'offre de soins en fonction de ce qui existe déjà dans les territoires, ce n'est pas que cette offre soit publique ou privée. Dans les Hauts de France, il y a des territoires où seul le secteur privé est présent. L'oncologie, par exemple, a été assurée pendant trente ans à Boulogne-sur-Mer par le privé, avant que le public ne commence à s'y intéresser. Il y a peut-être des États membres où le secteur privé de la santé est mercantile, mais ce n'est pas le cas en France.

Debut de section - PermalienPhoto de Gisèle Jourda

Relevons aussi que le document ne consacre à l'agriculture qu'une place limitée, et exclusivement sous l'angle environnemental.

On ne peut au demeurant que souscrire aux objectifs retenus, qui s'apparentent à un catalogue de bonnes intentions : protection de la diversité, des insectes, soutien au reboisement, lutte contre les microplastiques, soutien à une alimentation saine et variée, établissement de normes minimales de qualité et de traçabilité des denrées alimentaires...

Tout cela semble consensuel, même s'il faudra examiner les dispositions techniques susceptibles de traduire les objectifs sur le plan opérationnel. Mais le coeur du sujet, à savoir l'impact du Pacte vert sur la production agricole et la souveraineté alimentaire de l'Union européenne, n'est pas abordé.

Concernant le numérique, les propositions sur la protection des données à caractère personnel témoignent d'une prise de conscience par les citoyens européens de cet enjeu crucial. Les conclusions de la Conférence recommandent, classiquement, d'améliorer les mécanismes de coopération entre les autorités nationales de régulation pour rendre plus efficace la protection permise par le règlement général sur la protection des données (RGPD), mais appellent aussi à renforcer les sanctions contre les contrevenants. Cette proposition intéressante mériterait d'être étudiée plus avant.

La mise en oeuvre d'un principe de respect de la vie privée dès la conception - privacy by design -, suggérée à plusieurs reprises par la commission des affaires européennes du Sénat, est à saluer, tout comme l'appel à établir des règles plus protectrices pour les données des mineurs.

Les propositions mentionnent bien les technologies numériques à propos de la réduction de la dépendance stratégique à l'égard des acteurs étrangers, mais ne comprennent aucune mesure détaillée dans ce domaine, ce qui est regrettable au vu des enjeux actuels. La recommandation de « veiller à ce que les entreprises non européennes respectent les règles européennes en matière de protection des données » est bienvenue, alors que le futur accord d'adéquation entre les États-Unis et l'Union annoncé fin avril, dont les détails ne sont pas connus, ne semble pas pouvoir protéger les données des citoyens européens contre les lois extraterritoriales américaines.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Rapin

Les propositions en matière d'environnement, d'énergie et de transports renvoient à des objectifs généraux largement partagés par les citoyens européens, tels que la nécessité d'accélérer la transition écologique et de réduire la dépendance énergétique de l'Union, plutôt qu'à des mesures concrètes.

Ces propositions recoupent très largement celles de la Commission européenne dans le cadre du Pacte vert pour l'Europe et en matière de réduction des déchets et des emballages. L'utilisation de l'énergie nucléaire dans le cadre de la transition écologique est évoquée sous le seul angle de l'évaluation, ce qui laisse penser qu'elle ne pourrait constituer une solution pérenne. D'autres mesures proposées sont déjà en cours d'examen par les institutions européennes, telles celles qui concernent le stockage ou des achats communs d'énergie.

En ce qui concerne les sujets économiques, je relève particulièrement la consolidation de la monnaie unique, ainsi que l'achèvement de l'union bancaire en zone euro et de l'union des marchés de capitaux. Le chemin sera rude, comme le montrent les divergences de vues récurrentes entre États membres sur la mutualisation des risques ou la quantification du risque souverain. Un programme de travail à l'horizon de 2030 pourrait toutefois être adopté la semaine prochaine par l'Eurogroupe.

Les citoyens appellent également au développement de technologies stratégiques dans l'industrie européenne. La nouvelle stratégie industrielle révisée, avancée par Thierry Breton, qui promeut les projets importants d'intérêt européen commun (PIIEC) et les entreprises communes, va dans ce sens, comme les aides européennes en matière de recherche et développement.

Reste à veiller à ce que ces financements, qui peuvent bénéficier à des entreprises de pays tiers, ne profitent pas systématiquement plus à certains États membres qu'à d'autres. Intel a ainsi prévu d'installer sa recherche européenne en matière de microprocesseurs en France, mais ses usines de production en Allemagne. Au-delà, c'est l'articulation entre la politique industrielle et le bon fonctionnement de la concurrence dans le marché intérieur à laquelle il faut veiller.

Debut de section - PermalienPhoto de Gisèle Jourda

En ce qui concerne l'éducation, la plupart des propositions de la Conférence visent à approfondir et élargir des politiques existantes. Il faut cependant noter une proposition qui détonne : faire de l'éducation civique européenne, voire de l'éducation en général, une compétence partagée. C'est aujourd'hui une compétence d'appui de l'Union, mais celle-ci joue un rôle non négligeable, en particulier par l'intermédiaire d'Erasmus+. C'est une idée très controversée ; si elle prospérait, il faudrait imaginer une stricte limitation de son champ d'application.

En matière sociale, le rapport final appelle à renforcer les compétences de l'Union, avec la mise en oeuvre intégrale du socle européen des droits sociaux, tout en insistant sur le respect des principes de subsidiarité et de proportionnalité, des traditions nationales et de l'autonomie des partenaires sociaux. Le rapport propose l'inclusion, dans les traités, d'un protocole sur le progrès social.

Parmi les mesures demandées, figure l'introduction de salaires minimaux légaux, garantissant à chaque travailleur une qualité de vie décente et définis en fonction de critères clairs, tels que le coût de la vie ou le salaire moyen. Sur ce point, l'Union a en partie répondu à l'attente des citoyens, puisque la directive proposée par la Commission européenne en octobre 2020 sur le sujet a fait l'objet d'un accord en trilogue le 8 juin dernier. Ce texte vise toutefois non pas à fixer un salaire minimum identique partout en Europe, mais à prévoir - là où il existe - un niveau de salaire garantissant un niveau de vie décent.

Autre mesure évoquée dans le rapport : le renforcement des droits des travailleurs des plateformes. Sur ce sujet aussi, que nos collègues Pascale Gruny et Laurence Harribey étudient en ce moment, la Commission européenne a publié une proposition de directive assez ambitieuse, prévoyant une présomption réfragable de salariat pour ces travailleurs.

Certains points ne sont pas abordés, ou alors très superficiellement. Ainsi, les propositions en matière de culture ou de patrimoine demeurent très limitées et, en tout état de cause, bien en deçà des propositions du récent rapport de nos collègues Catherine Morin-Desailly et Louis-Jean de Nicolaÿ.

Je note également que le sujet de l'élargissement est à peine évoqué, alors que trois nouveaux États ont demandé à adhérer à l'Union et que leur intégration poserait des questions fort complexes.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Rapin

Cet angle mort de la Conférence sur l'avenir de l'Europe me semble aussi particulièrement regrettable, d'autant que le Conseil doit se prononcer sur ce sujet bientôt. Cela conditionne l'avenir du projet européen.

Je salue l'implication de Gisèle Jourda, qui a accepté de passer beaucoup de vendredis et samedis à Strasbourg, pour participer à des réunions qui n'étaient pas toujours très productives. Il était important de montrer l'exemple pendant la présidence française.

Je regrette que nous n'ayons pu trouver de consensus sur le texte partagé avec le Parlement européen. Nous y avons beaucoup travaillé.

C'est une expérience intéressante. J'observe que, dans les panels censés avoir été établis aléatoirement, s'exprimait un angélisme qui ne reflétait pas du tout ce que nous entendons sur nos territoires. Nous n'avons pas ressenti la moindre opposition à l'Europe.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Leconte

L'objectif de cette Conférence était de faire participer tous les citoyens. Nous étions circonspects à son égard, compte tenu du calendrier et de la volonté de conclure avant la fin de la présidence française.

Si nous voulons vraiment un débat citoyen sur la politique européenne, nous devons sauter le pas concernant les listes transnationales et la désignation du président de la Commission par un processus politique, et non plus par consensus entre les États membres. Il faut de l'audace sur ce sujet.

Je renchéris sur l'absence de débat sur l'élargissement : je regrette que les candidats à l'adhésion à l'Union n'aient pas été représentés. C'était déjà le cas lors de la convention présidée par Valéry Giscard d'Estaing. Si nous avons aujourd'hui des décalages avec les États d'Europe centrale, c'est peut-être aussi parce que nous avons réfléchi à notre avenir sans eux.

En ce qui concerne les migrations, il faudrait clarifier la répartition des compétences. Nous l'avons vu lorsque nous avons entendu Fabrice Leggeri, l'ancien directeur exécutif de Frontex : on ne peut pas considérer les frontières comme une compétence exclusive de chaque État membre et en même temps construire une agence commune, Frontex. On voit bien en Grèce que cela ne peut plus tenir.

Nous avons constaté, avec la protection temporaire accordée aux réfugiés ukrainiens, que la liberté de circulation des demandeurs d'asile en Europe n'était pas une mauvaise chose. Cela se passe mieux ainsi. Même constat concernant l'accès immédiat au marché du travail qui leur a été offert. L'intégration se fait d'abord par le travail. Il n'est pas très logique de demander à des personnes qui réclament une protection de ne pas travailler pendant six mois, voire un an.

En ce qui concerne la santé, il ne faut pas sous-estimer la différence entre le système français et celui des autres États membres. En France, les soins assurés par le secteur privé sont remboursés, alors qu'ailleurs, secteur privé et secteur public sont totalement séparés.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Rapin

J'ai eu le soutien du président de mon groupe de travail quand je lui ai expliqué ce qu'il en était en France. Ce qui compte, c'est le soutien à la santé dans les territoires. Il faut peut-être revoir les inconvénients du double système dans certains États, mais on ne peut pas accepter les appels très idéalistes à un système uniformisé partout en Europe.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Leconte

Ailleurs qu'en France, secteur privé et secteur public n'ont pas le même rôle, le privé agissant plus dans le domaine du confort et laissant souvent le public se charger des maladies graves.

Je regrette aussi que la Conférence n'ait pas abordé la question financière : le plan de relance sera-t-il une opération unique ou préfigure-t-il le développement de capacités d'investissement et donc de ressources propres ? Si on ne parle pas du nerf de la guerre, on ne parle pas de la guerre.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Rapin

Ces sujets n'ont pas été abordés, car, pour les citoyens, tout est possible.

S'agissant des revendications du Parlement européen, j'avais cédé du terrain pour obtenir un accord. En contrepartie d'avancées au profit des Parlements nationaux, auraient pu s'envisager les spitzenkandidaten et l'élection de 25 eurodéputés sur des listes transnationales. Mais certains États membres sont totalement réfractaires sur ce point.

Debut de section - PermalienPhoto de Gisèle Jourda

La difficulté a été de donner la parole aux citoyens. Il y a eu une plateforme en ligne, mais, dans mon département, personne ne connaissait son existence. L'Union ne s'est pas donné les moyens de ses ambitions, même si les conseils économiques et sociaux de chaque pays étaient présents à chaque groupe de travail.

Les premières séances ont été perdues parce qu'il a fallu du temps aux panels citoyens pour comprendre qu'ils devaient s'exprimer dans un cadre contraint.

Nous avons pu néanmoins constater l'efficacité d'Erasmus. Dans mon groupe de travail, il y avait de nombreux jeunes qui témoignaient d'une vraie foi, d'une espérance dans l'Europe. Ma peur, face aux réserves du Conseil envers les résultats de la Confédence, est qu'elle n'aboutisse à un marché de dupes.

Ce qui s'est passé en Ukraine a constitué un tournant dans la Conférence et a contribué à y faire entrer un peu de pragmatisme.

Il est dommage que l'élargissement n'ait pas été pris en compte.

J'ai trouvé cette expérience enrichissante, mais complexe. Dans certains secteurs, les propositions sont pointues, mais dans d'autres, c'est très léger, ce qui donne aux panels le sentiment que leur parole ne peut pas aboutir.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Rapin

Nous avons plaidé pour que l'exercice, qui a été accéléré à la fin, soit prolongé. Nous avons malheureusement perdu six mois au départ dans des discussions sur la représentativité des uns et des autres, au lieu de travailler sur le fond. A l'ego des personnalités, s'ajoutait celui des États et des institutions...

Les Parlements nationaux ont failli être laissés de côté ; il a fallu s'imposer.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Leconte

Nous avions voté des résolutions dans ce sens.

Debut de section - PermalienPhoto de Marta de Cidrac

Je partage vos réserves. Dès lors, la question qui se pose est : à quoi servira ce rapport ?

Je préside une maison de l'Europe dans mon département. À part les gens qui travaillent sur ce sujet, personne ou presque n'était au courant de la Conférence.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Rapin

Une étude qu'avait commandée la commission des affaires européennes a estimé que 6 % seulement des élus locaux en avaient connaissance, et que 12 % en avaient vaguement entendu parler. Cet exercice est passé sous les radars.

Il y a des divergences sur ce qu'on doit faire de ce rapport. Beaucoup de propositions passent par une modification des traités. Nous savons que cela représente des années de palabres.

Pour les mesures de niveau inférieur, tout est dans la main des institutions. Il y a eu de grands discours plaidant pour que le rapport ne finisse pas sur une étagère.

Debut de section - PermalienPhoto de Marta de Cidrac

Attention au message que nous envoyons aux citoyens en tant que parlementaires nationaux.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Rapin

Beaucoup de mesures sont inspirées par le Parlement européen, qui rêve par exemple d'avoir des pouvoirs budgétaires comparables à ceux d'un Parlement national. Aujourd'hui, il vote un budget totalement contraint.

S'il a fallu tenir cette conférence, c'est que l'Europe est en crise identitaire. Mais le fonctionnement de l'Union européenne est tellement compliqué à comprendre ! Nous sommes membres de la commission des affaires européennes, mais certains de nos collègues qui n'en sont pas membres ne comprennent pas bien eux-mêmes, sans parler des élus locaux, qui voient dans l'Union un simple guichet à subventions. Si au moins cet exercice a pu servir de formation pour les citoyens participants.... Les panels citoyens ont effectivement évolué au cours des rencontres.

Debut de section - PermalienPhoto de Gisèle Jourda

Cette Conférence a été organisée selon la logique de la démocratie participative, et non de la démocratie représentative. Nous avons eu des difficultés à nous exprimer en tant que parlementaires, à nous faire entendre par les panels citoyens, qui avaient une vision décalée au regard de ce qu'il était possible de faire.

A contrario, les institutions européennes n'hésitaient pas à influencer les panels pour faire passer leurs idées.

Dans mon groupe de travail, j'ai eu un mal fou à retenir les jeunes qui commençaient à parler du conflit israélo-palestinien et réclamaient que l'Union soit dotée d'une puissance militaire. J'ai dû batailler pour faire comprendre qu'elle n'était pas encore une union fédérale. Il y a des attentes, et il ne faudrait pas qu'il y ait trop de déception. Ma crainte, c'est que l'exercice ait été un marché de dupes pour ces panels.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Michel Houllegatte

Merci de votre compte rendu. Quelle sera la suite ?

Des États comme la Roumanie ou la Suède ont déjà affirmé qu'ils s'opposeraient à l'extension de la majorité qualifiée.

La Conférence a-t-elle rempli son objectif de rapprocher les citoyens de l'Europe ? Il y a eu beaucoup de critiques sur les panels, dont les membres étaient à 43 % des diplômés de l'enseignement supérieur - ce n'est pas très représentatif de la population. Comment faire pour que l'Europe infuse dans toutes les strates de la société ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Rapin

Le Conseil européen décidera tout d'abord de l'opportunité de mettre en place une convention, mais l'accord sera difficile. Il y a eu des débats tendus, certains membres de panels citoyens considérant leurs élus comme non représentatifs.

Certains ont envisagé continuer l'exercice avec une convention citoyenne qui se réunirait régulièrement.

Debut de section - PermalienPhoto de Amel Gacquerre

Merci pour votre retour et pour votre franchise.

Peu de citoyens et d'élus ont entendu parler de ce rendez-vous, je le confirme. Mais c'est un exercice démocratique intéressant. Faire que les citoyens s'intéressent à l'Europe passe par là. Il serait effectivement imaginable d'organiser une consultation régulière, peut-être en passant par le numérique.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Rapin

Le rapport comprend des propositions dans ce sens. La vraie question est celle de l'échelle. Organiser annuellement une conférence de ce type poserait des problèmes logistiques.

Nous-mêmes pouvons nous dire que nous ne faisons pas suffisamment d'information sur les sujets européens. Nous avons un devoir pédagogique. Dans le futur, il faudrait prévoir un élargissement des panels, avec beaucoup plus de diversité, non seulement de niveau scolaire, mais aussi d'opinions politiques. Sinon, cela restera un exercice unilatéral. En tant que sénateurs, nous avons sans doute une dimension départementale à porter.

Debut de section - PermalienPhoto de Gisèle Jourda

Certaines régions ont organisé des réunions publiques, avec l'aide du préfet de région, dont nous n'avons eu aucun retour. Quand j'ai voulu m'y associer, le message était clair : « Circulez, il n'y a rien à voir ». Il ne faut pas avoir peur de cet exercice, mais il faut d'abord clarifier la question : par qui et comment sont fabriqués ces panels ? Il faut que le cadre soit bien clair et que nous en soyons informés. Personne n'était au courant de l'existence du portail numérique. C'est lourd de conséquences : il aurait pu ouvrir la participation.

La réunion est close à 9 h 40.