La séance, suspendue à onze heures, est reprise à quinze heures cinq, sous la présidence de Mme Michèle André.
La séance est reprise.
L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi relative au droit de préemption et à la protection des locataires en cas de vente d'un immeuble ( n ° 306).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte commun sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi relative au droit de préemption et à la protection des locataires en cas de vente d'un immeuble s'est réunie le 11 avril dernier et est parvenue à un accord.
Les conclusions de cette commission ont été adoptées ce matin, en séance publique, par l'Assemblée nationale.
Tout au long de la navette parlementaire, cette proposition de loi, déposée par notre collègue député Michèle Aurillac, n'a cessé de s'enrichir, grâce aux travaux tant de l'Assemblée nationale que du Sénat.
La volonté du Sénat a été, dans le cadre des deux lectures, d'assurer un équilibre entre la nécessaire protection des locataires et le droit pour les propriétaires d'immeubles à usage d'habitation de disposer de leurs biens. Il a également été nécessaire d'assurer l'effectivité juridique des dispositifs nouvellement créés.
Je mettrai en exergue les principaux apports de ses travaux : l'autonomisation du dispositif de préemption créé au profit du locataire d'un logement faisant l'objet d'une vente dans le cadre d'une vente « en bloc » ; l'extension de ce droit de préemption à l'hypothèse où l'immeuble est détenu par une société et où la vente envisagée porte sur les actions ou parts de cette société ; la communication préalable des résultats d'un diagnostic technique établi par un contrôleur technique ou un architecte sur l'état de l'immeuble ; l'information préalable du maire sur le prix et les conditions de la vente ; la confirmation expresse de la possibilité d'utiliser le droit de préemption urbain afin d'assurer le maintien dans les lieux des locataires.
À ces différentes mesures, il convient d'ajouter la faculté pour la commune et le département de réduire le taux de la taxe additionnelle aux droits d'enregistrement ou à la taxe de publicité foncière lorsque, dans le cadre d'une vente à la découpe et quelles que soient ses modalités, l'acquéreur d'un logement occupé s'engage à le maintenir en location. Il faut aussi retenir la modification de la majorité d'opposition à l'extension par décret d'un accord collectif intervenu au sein de la commission nationale de concertation de manière que ces accords puissent être plus largement généralisés, ainsi que le renforcement des sanctions en cas de méconnaissance de ses obligations par le bailleur.
C'est donc sur de nombreux points que le Sénat a pu apporter des améliorations au texte.
Au terme de ces deux lectures, deux articles seulement sur les cinq que comporte la proposition de loi restaient en discussion.
La commission mixte paritaire a apporté deux modifications très ponctuelles au texte adopté en deuxième lecture par le Sénat.
La première est purement rédactionnelle.
La seconde supprime, afin de prévenir les contentieux, la précision introduite par le Sénat imposant que l'auteur du diagnostic technique sur l'état de l'immeuble vendu en bloc n'ait pas, avec l'un des locataires concernés, de lien de nature à mettre en cause son impartialité ou son indépendance. La mesure ne concernera donc que l'indépendance du technicien vis-à-vis du propriétaire de l'immeuble.
En réalité, la seule divergence sérieuse entre les deux assemblées tenait au nombre de logements de l'immeuble vendu en bloc au-delà duquel le nouveau droit de préemption doit s'appliquer.
Notre assemblée avait, dès la première lecture, entendu privilégier le seuil de plus de dix logements pour deux séries de raisons.
Il s'agissait d'abord de répondre à un souci de protection des propriétaires personnes physiques. Le phénomène des ventes en bloc d'immeubles de logements, suivies d'une division par lots en vue de la vente de ces derniers, est, dans la grande majorité des cas, le fait de propriétaires institutionnels. Ce sont d'ailleurs ces ventes par des propriétaires institutionnels qui avaient suscité l'émotion de certains locataires, et non pas des micro-opérations qui auraient pu être réalisées par des propriétaires personnes physiques.
C'est donc cette catégorie des bailleurs institutionnels qu'il convient d'encadrer, sans pour autant pénaliser les personnes physiques propriétaires de petits ensembles de logements privés qu'ils mettent en location, ni, surtout, les décourager de mettre en location des immeubles de taille restreinte.
Il s'agissait ensuite d'affirmer, ce qui est également important, notre volonté d'assurer la cohérence juridique de l'ensemble des textes encadrant les ventes à la découpe dans lequel la présente proposition de loi, dont l'objet est très circonscrit, a vocation à s'insérer.
Les dispositifs actuels s'appliquent en effet à des immeubles de plus de dix logements. C'est le seuil retenu par l'article 11-1 de la loi du 6 juillet 1989, qui permet la reconduction du bail pour une durée inférieure à la durée légale normale lorsqu'un congé pour vente est délivré par un bailleur de certains secteurs locatifs. Ce seuil est également repris dans les accords collectifs du 9 juin 1998, rendus obligatoires par décret, ainsi que dans les accords du 16 mars 2005, négociés entre les organisations de locataires et de propriétaires.
Dans le cadre de la commission mixte paritaire, les députés ont reconnu la pertinence de ces raisons et ont accepté d'adopter, sur ce point, le texte voté par le Sénat.
Au final, le texte adopté par la commission mixte paritaire comporte des avancées indéniables pour les locataires dont l'immeuble fait l'objet d'une vente à la découpe, sans méconnaître les garanties constitutionnelles attachées à la propriété privée.
Pour autant, je souhaiterais rappeler que la protection accrue des locataires ne proviendra pas uniquement de ce texte. Elle résultera également de la bonne et pleine application des accords collectifs négociés entre les bailleurs et les locataires. À cet égard, et compte tenu des dispositions de la présente proposition de loi, il est nécessaire que les accords collectifs du 16 mars 2005 soient le plus rapidement possible rendus obligatoires par décret.
Dans ces conditions, je vous invite, mes chers collègues, à adopter le texte de la proposition de loi dans la rédaction élaborée par la commission mixte paritaire.
Applaudissements sur les travées de l'UMP
Madame la ministre, mes chers collègues, j'ai le plaisir et l'honneur de saluer la présence, dans notre tribune officielle, d'une délégation de la Chambre des conseillers tunisienne, créée en 2005, et conduite par son président, M. Abdallah Kallel.
Je me réjouis de la création de cette nouvelle chambre haute, qui peut compter sur le soutien du Sénat de la République française pour l'aider à jouer pleinement son rôle.
Je forme des voeux pour que cette visite contribue encore un peu plus au renforcement des liens d'amitié qui unissent nos deux pays depuis si longtemps et participe au rayonnement de la francophonie.
Applaudissements
Nous reprenons la discussion des conclusions du rapport de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi relative au droit de préemption et à la protection des locataires en cas de vente d'un immeuble.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.
Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les sénateurs, permettez-moi tout d'abord de vous prier d'excuser l'absence de mon collègue Jean-Louis Borloo, actuellement retenu à l'Assemblée nationale par la discussion du projet de loi portant engagement national pour le logement.
Je crois que nous partageons tous l'analyse selon laquelle les ventes à la découpe posent des problèmes sociaux et économiques qui appellent des réponses politiques. C'est le sens de la présente proposition de loi déposée, comme l'a rappelé M. le rapporteur, au début de l'année 2005 par Mme Martine Aurillac.
Nous arrivons aujourd'hui à la fin de la discussion parlementaire de ce texte, et il est urgent désormais de le publier le plus rapidement possible, dans l'intérêt évident des locataires victimes de ventes à la découpe.
Je tiens à saluer une nouvelle fois, au nom du Gouvernement, la contribution remarquable du Parlement sur ce texte de loi, et notamment l'excellent travail accompli par votre rapporteur, Laurent Béteille, ...
... qui a permis d'accroître fortement les garanties offertes aux locataires victimes de ventes à la découpe.
Le Gouvernement rappelle qu'il privilégie fondamentalement la voie contractuelle pour protéger au mieux les locataires en place. Cette voie, c'est celle des « accords collectifs nationaux de location » signés entre les organisations représentatives de locataires et de propriétaires : l'exemple de 1998, au moment de la première vague de « ventes à la découpe », a bien montré que cette voie contractuelle apportait de réelles protections aux locataires qui en étaient victimes.
De ce point de vue, il faut donc regretter l'attitude de certaines organisations de locataires qui ont empêché l'extension par décret de l'accord du 16 mars 2005, qui protégeait pourtant davantage les locataires que l'accord de 1998.
Cela dit, la vague spéculative actuelle présente des caractéristiques nouvelles par rapport au phénomène de découpe précédent de 1997-1998, notamment en raison des interventions d'intermédiaires marchands de biens qui poussent à des hausses de prix en cascade, phénomène nouveau des « ventes en bloc » successives.
Face à la gravité des conséquences sociales et économiques qui en découlent, il y a urgence à réguler la situation, et la solution de l'accord collectif ne peut plus suffire à elle seule. Il faut recourir aujourd'hui à la loi, au-delà des possibilités offertes par les accords collectifs.
C'est bien ce souci de réguler le phénomène actuel des ventes à la découpe et de mieux protéger les locataires qui en sont les victimes qui a inspiré le dépôt, par votre collègue député Martine Aurillac, de la proposition de loi relative au droit de préemption et à la protection des locataires en cas de vente d'un immeuble, texte cosigné par de nombreux autres parlementaires.
Cette proposition de loi, qui crée un dispositif très pertinent de préemption pour les locataires dès le stade de la première « vente en bloc », a reçu le soutien appuyé du Gouvernement.
C'est bien la volonté d'obtenir un subtil équilibre entre le respect du droit de propriété, inscrit dans la Constitution, et l'obligation de faire le plus grand cas des locataires, qu'ils soient potentiellement acquéreurs de leur logement ou contraints de déménager, qui a guidé les rédacteurs de ce texte.
En effet, tous doivent être juridiquement protégés et accompagnés dans leur démarche, laquelle doit s'effectuer dans les conditions les plus acceptables possible.
Au total, avec l'accord collectif du 16 mars 2005, qui pourra être bientôt étendu par décret une fois cette proposition de loi promulguée, il faudra désormais une majorité globale des représentants des propriétaires et des locataires pour refuser l'extension.
Par ailleurs, avec les dispositions supplémentaires figurant dans cette proposition de loi, comme le droit de préemption du locataire, l'incitation fiscale au maintien pendant six ans sous statut locatif en cas de vente du logement au détail et le délai de deux ans donné au locataire victime de vente à la découpe pour se « retourner », les occupants d'immeubles découpés disposeront de protections très efficaces, qu'ils soient en mesure d'acheter le bien qu'ils occupent ou qu'ils doivent rester locataires de leur logement.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je le répète, l'essentiel est maintenant de promulguer au plus vite cette excellente proposition de loi.
Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.
Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous voici parvenus au terme d'un long processus législatif, puisque la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui a été étudiée en première lecture par le Sénat le 16 juin 2005.
Quel paradoxe ! Il nous aura fallu pratiquement un an pour parachever un texte dont l'existence tient aux désordres d'une situation créée en quelques minutes de séance publique, le 27 novembre 2002, lorsque a été institué le statut des sociétés d'investissement immobilier cotées, dont on sait qu'elles ont eu - c'est le moins que l'on puisse dire ! - un rôle essentiel dans la multiplication exponentielle des opérations décrites au fil de nos débats sur la présente proposition de loi.
Cette disposition a, en quelque sorte, ouvert la chasse aux bonnes affaires dans l'immobilier, notamment parisien, instituant une large défiscalisation, fort coûteuse pour les comptes publics, et engendrant la floraison d'un important contentieux juridique sur certains ensembles immobiliers, bien connus de tous depuis un an que nous débattons du sujet.
Quelles leçons peuvent être tirées des échanges que nous avons eus depuis un an ?
Le développement des ventes à la découpe avait motivé le dépôt de propositions de loi par plusieurs parlementaires, notamment par des membres du groupe CRC. Force est de constater, au bout d'un an de controverses, que seuls les termes de la proposition de loi Aurillac ont été retenus, aucune des idées formulées dans les propositions émanant de la gauche parlementaire n'ayant trouvé place dans le texte final qui est aujourd'hui soumis à notre vote.
La loi qui va être adoptée ne comportera pas de mise en oeuvre du permis de diviser, de droit de regard laissé aux élus locaux sur l'évolution du marché locatif et immobilier, ni de renforcement notable des droits des locataires soumis aux opérations de vente à la découpe.
En quelque sorte, tout se passe comme si l'on avait pris en compte la situation créée par le développement des transactions immobilières et la réalisation des plus-values en découlant sans souhaiter remettre plus que cela en cause son caractère intolérable au regard du droit des locataires et du droit au logement lui-même.
La loi qui sera prochainement promulguée va-t-elle ou non renforcer les droits des locataires et mettre un terme à des situations juridiques conflictuelles et complexes ? Hélas ! il est à craindre que nous ne soyons, in fine, en présence d'un texte ne faisant qu'apporter des aménagements cosmétiques au droit existant, revenant d'ailleurs pour partie sur certains des acquis de la jurisprudence favorables aux associations de défense des locataires et laissant aux opérateurs, c'est-à-dire aux sociétés foncières, toute latitude pour persévérer dans leur stratégie de spéculation, avec toutes les conséquences qui en découlent.
On peut voir une illustration de cette réalité dans le fait que la commission mixte paritaire n'a finalement pas retenu le seuil de cinq logements pour le déclenchement des quelques garanties que la proposition de loi instaure, sans remise en cause globale du processus, devons-nous le rappeler ?
Au début de la discussion, nous étions placés devant un choix politique assez clair.
Nous pouvions nous accommoder de la situation créée et ménager, par conséquent, les intérêts des investisseurs immobiliers, en évitant de mettre trop en péril l'activité du marché et en cherchant à gommer ses excès les plus significatifs.
Nous pouvions, a contrario, nous appuyer sur un renforcement des droits des locataires, créer un nouveau droit d'intervention pour les élus locaux, quitte à remettre en question le fonctionnement du marché spéculatif.
Nous devions donc choisir entre les intérêts des actionnaires de quinze sociétés foncières cotées et la préservation des droits de plusieurs milliers de familles de résidents.
Or, une fois encore, et quoi qu'en disent certains, ce sont les intérêts des quinze sociétés foncières qui auront été le plus préservés, alors même que la loi devrait être l'expression de la volonté générale et offrir des garanties aux plus vulnérables.
Sans résumer nos débats à ce positionnement de principe, ne serait-ce que pour ces raisons, nous ne pouvons que voter contre le texte issu des travaux de la commission mixte paritaire.
Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes arrivés au stade final de l'examen de cette proposition de loi, et il se dégage comme une impression d'inachevé, d'une action volontairement tronquée. Comme si, tout en ayant pris conscience du phénomène, la majorité, tant à l'Assemblée nationale qu'au Sénat, n'avait pas su prendre ses responsabilités pour donner aux pouvoirs publics les moyens d'enrayer le phénomène désastreux des ventes à la découpe.
Or, au nom de la justice sociale et de l'égalité des chances, il était de notre devoir, de votre devoir, mes chers collègues, de freiner ce mécanisme délirant conduisant à la ségrégation et à la reproduction des inégalités.
Les ventes à la découpe entretiennent et accentuent le phénomène de pression sur les prix de l'immobilier. C'est pourquoi nous devions tous ensemble les combattre avec force.
La philosophie qui nous a guidés dans l'approche de cette question et dans la rédaction de nos amendements, tous rejetés à l'exception de quelques mesures mineures, repose sur une idée simple : en matière de logement, nous ne pouvons plus laisser agir librement les forces du marché. Contrairement au texte résultant des travaux de la commission mixte paritaire, qui offre comme seule réponse l'accession à la propriété ...
Mais, mon cher collègue, certains locataires n'ont pas les moyens d'acheter !
Contrairement, disais-je, au texte issu de la commission mixte paritaire, qui ne propose pas de réelle solution à la grande majorité des locataires n'ayant pas les moyens de racheter leur logement, sinon celle d'attendre de trouver à se loger ailleurs, l'objectif des membres du groupe socialiste était d'offrir au plus grand nombre d'entre eux la possibilité de rester dans leur appartement, en intervenant fortement sur le marché locatif.
Il serait injuste de mépriser les quelques améliorations qui ont été apportées à la proposition de loi au cours de la navette parlementaire. Mais finalement, face aux problèmes qu'entraîne la multiplication du nombre de ventes à la découpe, vous avez choisi d'agir comme un médecin qui ne ferait qu'atténuer la douleur de son patient sans s'attaquer aux causes réelles des maux qui le frappent.
Vous ne visez concrètement que la situation du locataire qui peut exercer son droit de préemption, en l'accompagnant de manière imparfaite dans son acte d'acquisition. Pour celui qui ne peut pas acheter, la situation n'est pas réglée.
Vous avez également dénaturé le principe même de la concertation entre associations de bailleurs et de locataires dans le cadre de la Commission nationale de concertation.
Enfin, ce texte n'est pas assez ambitieux : toutes nos propositions visant à encadrer la profession des marchands de biens en vue de ralentir les tendances spéculatives ont été rejetées.
II aurait fallu, au contraire, sécuriser davantage les locataires futurs acquéreurs, mieux protéger les locataires qui ne peuvent acheter, spécialement les personnes en situation de fragilité, défendre le principe de la concertation et encadrer la profession des marchands de biens.
Surtout, il convenait d'apporter une réponse concrète aux locataires qui se sentent démunis face au phénomène des ventes à la découpe. Ces personnes constatent que la législation, qui est en train d'être élaborée, ne s'applique pas aux opérations en cours. Nous avions pourtant proposé, en première comme en deuxième lecture, d'instaurer un moratoire pour éviter toute nouvelle vente jusqu'à ce que les décrets d'application soient publiés.
Nous avions également souhaité inscrire dans le texte que les opérations en cours entrent bien dans le champ d'application de la nouvelle législation.
Ces deux propositions ont été rejetées. C'est regrettable. Sur ce point, le Gouvernement est resté dans le flou.
Nous avons surtout pu constater, lors de la discussion de certains points de cette proposition de loi, combien la majorité sénatoriale était tiraillée et en pleine contradiction.
Ainsi, tant sur la question du seuil d'application du droit de préemption au profit du locataire que sur le principe de la décote, la majorité n'a pas hésité à déjuger ses représentants les plus éminents.
Des divergences sont également apparues entre la majorité de l'Assemblée nationale et celle du Sénat à propos du seuil de cinq logements. Le rapport de force qui s'est dégagé sur cette question aurait dû tourner en faveur de la position de l'Assemblée nationale. Je ne peux qu'exprimer ma surprise de voir que les travaux de la commission mixte paritaire ne reflètent pas fidèlement ce rapport de force.
Il semble que la pression des professionnels de l'immobilier ait eu gain de cause alors qu'il était évident que, si le seuil était abaissé, le dispositif se révélerait plus protecteur des droits des locataires.
Je peux le prédire sans trop risquer de me tromper : ce texte va décevoir tous ceux qui étaient en droit d'attendre du législateur une implication résolue, franche et responsable pour lutter contre une situation qui, par son ampleur, ne fait qu'exacerber les tendances à la ségrégation sociale des agglomérations. Je le regrette profondément.
Dans ces conditions, les membres du groupe socialiste voteront contre les conclusions de la commission mixte paritaire.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte élaboré par la commission mixte paritaire.
Je rappelle que, en application de l'article 42, alinéa 12, du règlement, lorsqu'il examine après l'Assemblée nationale le texte élaboré par la commission mixte paritaire, le Sénat se prononce par un seul vote sur l'ensemble du texte.
Je donne lecture du texte de la commission mixte paritaire.
I. - Après l'article 10 de la loi n° 75-1351 du 31 décembre 1975 relative à la protection des occupants de locaux à usage d'habitation, il est inséré un article 10-1 ainsi rédigé :
« Art. 10-1. - I. - A. - Préalablement à la conclusion de la vente, dans sa totalité et en une seule fois, d'un immeuble à usage d'habitation ou à usage mixte d'habitation et professionnel de plus de dix logements au profit d'un acquéreur ne s'engageant pas à proroger les contrats de bail à usage d'habitation en cours à la date de la conclusion de la vente afin de permettre à chaque locataire ou occupant de bonne foi de disposer du logement qu'il occupe pour une durée de six ans à compter de la signature de l'acte authentique de vente qui contiendra la liste des locataires concernés par un engagement de prorogation de bail, le bailleur doit faire connaître par lettre recommandée avec demande d'avis de réception à chacun des locataires ou occupants de bonne foi l'indication du prix et des conditions de la vente, dans sa totalité et en une seule fois, de l'immeuble ainsi que l'indication du prix et des conditions de la vente pour le local qu'il occupe.
« Cette notification doit intervenir à peine de nullité de la vente, dans sa totalité et en une seule fois, de l'immeuble. Elle s'accompagne d'un projet de règlement de copropriété qui réglera les rapports entre les copropriétaires si l'un au moins des locataires ou occupants de bonne foi réalise un acte de vente, ainsi que des résultats d'un diagnostic technique, portant constat de l'état apparent de la solidité du clos et du couvert et de celui de l'état des conduites et canalisations collectives ainsi que des équipements communs et de sécurité. Ce diagnostic est établi par un contrôleur technique au sens de l'article L. 111-23 du code de la construction et de l'habitation ou par un architecte au sens de l'article 2 de la loi n° 77-2 du 3 janvier 1977 sur l'architecture, qui ne doit avoir avec le propriétaire de l'immeubleou son mandataire aucun lien de nature à porter atteinte à son impartialité ou à son indépendance. Les dépenses afférentes à ce diagnostic sont à la charge du bailleur.
« Nonobstant les dispositions de l'article 1751 du code civil, cette notification est de plein droit opposable au conjoint du locataire ou occupant de bonne foi si son existence n'a pas été préalablement portée à la connaissance du bailleur. Elle vaut offre de vente au profit du locataire ou occupant de bonne foi.
« L'offre est valable pendant une durée de quatre mois à compter de sa réception. Le locataire ou occupant de bonne foi qui accepte l'offre ainsi notifiée dispose, à compter de la date d'envoi de sa réponse au bailleur, d'un délai de deux mois pour la réalisation de l'acte de vente. Si, dans sa réponse, il notifie au bailleur son intention de recourir à un prêt, son acceptation de l'offre de vente est subordonnée à l'obtention du prêt et, en ce cas, le délai de réalisation est porté à quatre mois. Passé le délai de réalisation de l'acte de vente, l'acceptation de l'offre de vente est nulle de plein droit.
« Lorsque, en raison de la vente d'au moins un logement à un locataire ou un occupant de bonne foi, l'immeuble fait l'objet d'une mise en copropriété et que le bailleur décide de vendre les lots occupés à des conditions ou à un prix plus avantageux à un tiers, le notaire doit, lorsque le propriétaire n'y a pas préalablement procédé, notifier au locataire ou occupant de bonne foi ces conditions et prix à peine de nullité de la vente. Cette notification vaut offre de vente à leur profit. Elle est valable pendant une durée d'un mois à compter de sa réception. L'offre qui n'a pas été acceptée dans le délai d'un mois est caduque.
« Le locataire ou occupant de bonne foi qui accepte l'offre ainsi notifiée dispose, à compter de la date d'envoi de sa réponse au propriétaire ou au notaire, d'un délai de deux mois pour la réalisation de l'acte de vente. Si, dans sa réponse, il notifie son intention de recourir à un prêt, l'acceptation par le locataire ou occupant de bonne foi de l'offre de vente est subordonnée à l'obtention du prêt et le délai de réalisation de la vente est porté à quatre mois. Si, à l'expiration de ce délai, la vente n'a pas été réalisée, l'acceptation de l'offre de vente est nulle de plein droit.
« Les dispositions du présent A doivent être reproduites, à peine de nullité, dans chaque notification.
« B. - Préalablement à la conclusion de la vente mentionnée au premier alinéa du A, le bailleur communique au maire de la commune sur le territoire de laquelle est situé l'immeuble le prix et les conditions de la vente de l'immeuble dans sa totalité et en une seule fois. Lorsque l'immeuble est soumis à l'un des droits de préemption institués par les chapitres Ier et II du titre Ier du livre II du code de l'urbanisme, la déclaration préalable faite au titre de l'article L. 213-2 du même code vaut communication au sens du présent article.
« II. - Les dispositions du I ne sont pas applicables en cas d'exercice de l'un des droits de préemption institués par le titre Ier du livre II du même code ou lorsque la vente intervient entre parents ou alliés jusqu'au quatrième degré inclus.
« Elles sont applicables aux cessions de la totalité des parts ou actions de sociétés lorsque ces parts ou actions portent attribution en propriété ou en jouissance à temps complet de chacun des logements d'un immeuble de plus de dix logements.
« Elles ne sont pas applicables aux cessions de parts ou actions susvisées lorsque ces cessions interviennent entre parents ou alliés jusqu'au quatrième degré inclus. »
II. -- Après l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme, il est inséré un article L. 210-2 ainsi rédigé :
« Art. L. 210-2. - En cas de vente d'un immeuble à usage d'habitation, la commune peut faire usage de son droit de préemption pour assurer le maintien dans les lieux des locataires. »
I. - Après l'article 1584 du code général des impôts, il est inséré un article 1584 bis ainsi rédigé :
« Art. 1584 bis. - Le conseil municipal peut, sur délibération, réduire le taux de la taxe additionnelle aux droits d'enregistrement ou à la taxe de publicité foncière jusqu'à 0, 5 % pour les mutations visées au 1° du 1 de l'article 1584, lorsque les conditions suivantes sont réunies :
« 1° La mutation s'inscrit dans le cadre d'une opération consistant :
« a) Soit en des ventes par lots déclenchant le droit de préemption prévu à l'article 10 de la loi n° 75-1351 du 31 décembre 1975 relative à la protection des occupants de locaux à usage d'habitation ou le droit de préemption prévu à l'article 15 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986 ;
« b) Soit en la vente d'un ou plusieurs lots, consécutive à la mise en copropriété d'un immeuble en raison de l'exercice, par l'un des locataires ou occupants de bonne foi, du droit de préemption prévu à l'article 10-1 de la loi n° 75-1351 du 31 décembre 1975 précitée ;
« 2° La mutation porte sur un logement occupé ;
« 3° L'acquéreur s'engage dans l'acte d'acquisition à affecter le logement à la location pendant une période minimale de six ans à compter de la date d'acquisition.
« Les dispositions de l'article 1594 E sont applicables. »
II. - Après l'article 1594 F quinquies du même code, il est inséré un article 1594 F sexies ainsi rédigé :
« Art. 1594 F sexies. - Le conseil général peut, sur délibération, réduire le taux de la taxe de publicité foncière ou des droits d'enregistrement jusqu'à 0, 5 %, lorsque les conditions suivantes sont réunies :
« 1° La mutation s'inscrit dans le cadre d'une opération consistant :
« a) Soit en des ventes par lots déclenchant le droit de préemption prévu à l'article 10 de la loi n° 75-1351 du 31 décembre 1975 relative à la protection des occupants de locaux à usage d'habitation ou le droit de préemption prévu à l'article 15 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986 ;
« b) Soit en la vente d'un ou plusieurs lots, consécutive à la mise en copropriété d'un immeuble en raison de l'exercice, par l'un des locataires ou occupants de bonne foi, du droit de préemption prévu à l'article 10-1 de la loi n° 75-1351 du 31 décembre 1975 précitée ;
« 2° La vente porte sur un logement occupé ;
« 3° L'acquéreur s'engage dans l'acte d'acquisition à affecter le logement à la location pendant une période minimale de six ans à compter de la date d'acquisition.
« Les dispositions de l'article 1594 E sont applicables. »
III. - Dans la première phrase du I de l'article 1840 G ter du même code, les mots : « ou de taxe de publicité foncière » sont remplacés par les mots : «, de taxe de publicité foncière ou de taxe additionnelle aux droits d'enregistrement ou à la taxe de publicité foncière ».
Quelqu'un demande-t-il la parole sur l'un de ces articles ?
Le vote est réservé.
Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à Mme Adeline Gousseau, pour explication de vote.
Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, depuis plusieurs années, la France connaît une grave crise du logement. Le cas de l'Île-de-France est assez symptomatique de ce contexte. En effet, cette région doit surmonter deux principales difficultés : d'une part, des prix de l'immobilier atteignant un niveau excessivement élevé et, d'autre part, une spéculation croissante sur la vente à la découpe d'immeubles.
Aucune région n'est à l'abri de ces dangers. Nous sommes tous confrontés à ces questions. Tous, nous tentons de trouver les réponses efficaces pour lutter contre ce phénomène.
Nous voici au terme de la navette parlementaire. À cette occasion, je tiens à féliciter notre rapporteur, Laurent Béteille, de son excellent travail. Je me réjouis, d'une part, que le Sénat ait utilement participé à ce débat en enrichissant nettement la proposition de loi initiale et, d'autre part, que le texte que nous nous apprêtons à adopter aujourd'hui émane, pour l'essentiel, des travaux de notre Haute Assemblée.
Au cours de nos discussions, nous nous sommes attachés à trouver une solution juste et équilibrée entre les projets - qu'il ne faut pas entraver - de nombreux Français d'accéder à la propriété et la protection des droits de ceux qui ne peuvent pas devenir propriétaires.
Parmi les mesures phares adoptées, le Sénat a ainsi renforcé le droit de préemption du locataire lors d'une vente à la découpe, créé des instruments d'incitation fiscale pour que les communes et les départements encouragent les personnes acquéreurs d'un logement occupé à y maintenir leur locataire pendant au moins six mois, et augmenté de cinq à dix logements le seuil au-delà duquel le dispositif de préemption s'appliquera.
Ce seuil apparaît plus cohérent avec, d'une part, le dispositif des accords du 9 juin 1998 et du 6 mars 2005 applicables aux ventes d'immeubles comprenant plus de dix logements et, d'autre part, le dispositif en vigueur de l'article 10 de la loi du 31 décembre 1975.
Ce relèvement de seuil devrait, de facto, exclure la quasi-totalité des bailleurs personnes physiques du dispositif, dans la mesure où une infime minorité d'entre eux est propriétaire d'immeubles de dix logements et plus.
Malgré les mesures indispensables et attendues qui ont été prises, il faut avoir conscience que tous les problèmes qui affectent le logement dans les villes de France n'ont pas été résolus.
Ce texte constitue néanmoins une étape essentielle dans la lutte contre les spéculations immobilières qui peuvent exclure de l'accession à un logement trop de nos concitoyens.
Nous avons la responsabilité politique de mettre un terme à cette menace et de protéger nos concitoyens les plus fragiles et les plus exposés aux caprices du marché immobilier.
C'est la voie dans laquelle s'est engagé le Gouvernement, soutenu par sa majorité, depuis 2002. Une politique efficace en matière de logement ne peut être appréhendée que dans sa globalité. Tel est le sens de notre politique, suivie d'actions puisque, dans les faits, la construction de logements sociaux demeure sans précédent.
Applaudissements sur les travées de l'UMP.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Je tiens à faire quelques observations, car il est des contrevérités que je ne saurais laisser passer.
M. David Assouline proteste.
Vous êtes de toute façon coutumier du fait, monsieur Assouline !
Vous avez parlé des personnes les plus fragiles. Je vous rappelle qu'elles sont protégées par l'accord du 9 juin 1998 - ce qu'il ne faut pas oublier de dire - et qu'elles l'auraient été mieux encore par celui de juin 2005 s'il ne s'était pas trouvé quelques associations de locataires pour refuser de le signer, ce qui, en fin de compte, a empêché de protéger les plus fragiles et nous a obligés à légiférer. Sans ces associations, tout était résolu !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat fait un signe de protestation.
Nous avons dû légiférer, mais il est bon de dire que d'autres moyens contractuels et conventionnels s'offraient à nous, qui étaient bien meilleurs.
Monsieur Assouline, dans l'accord de 1998, comme dans celui de 2005 et comme dans la proposition de loi socialiste figurait le seuil de dix logements, parce que telle est la règle traditionnelle dans les accords collectifs, règle que nous n'avions pas de raison de changer puisque nous n'avions noté aucun problème particulier à Paris ou en Île-de-France pour les immeubles de moins de dix logements. Prétendre le contraire relève du pur fantasme !
Je tenais à apporter ces précisions pour bien montrer que, lorsque certains nous reprochent de ne pas protéger les personnes les plus fragiles, ...
Mais non, c'est faux, monsieur Assouline !
Quelques personnes ont mené toute une campagne alors qu'elles ont bénéficié de rentes de situation pendant de très nombreuses années et qu'elles auraient pu depuis longtemps acheter leur logement. Ce ne sont tout de même pas ces personnes-là que nous devons protéger en premier ! Voilà la cause de toutes les difficultés qui sont survenues. Le vote de cette proposition de loi est devenu indispensable à partir du moment où l'accord de 2005 n'a pas été étendu.
Applaudissements sur les travées de l'UMP.
Personne ne demande plus la parole ?...
Conformément à l'article 42, alinéa 12, du règlement, je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire.
La proposition de loi est adoptée définitivement.
J'ai reçu de M. Gaston Flosse une proposition de loi organique portant modification de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française.
La proposition de loi organique sera imprimée sous le n° 373, distribuée et renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.
J'ai reçu de M. Jean-Louis Masson une proposition de loi tendant à instaurer une obligation de parité pour l'élection des vice-présidents de conseils régionaux, à assurer la représentation des listes minoritaires dès le premier tour des élections régionales et à clarifier les choix au second tour.
La proposition de loi sera imprimée sous le n° 374, distribuée et renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.
Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 6 juin 2006 :
À dix heures :
1. Dix-huit questions orales.
(Le texte des questions figure en annexe.)
À seize heures et le soir :
2. Discussion du projet de loi (n° 362, 2005-2006), adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif à l'immigration et à l'intégration ;
Rapport (n° 371, 2005-2006) de M. François-Noël Buffet, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : lundi 5 juin 2006, avant dix-sept heures ;
Délai limite pour le dépôt des amendements : lundi 5 juin 2006, à seize heures.
Personne ne demande la parole ?...
La séance est levée.
La séance est levée à quinze heures trente-cinq.