À la suite du départ de notre collègue François Pillet, la commission doit procéder à la nomination d'un nouveau membre du Bureau au titre du groupe Les Républicains. M. Pillet était en effet premier vice-président du Bureau.
Le groupe Les Républicains propose la nomination de Mme Marie Mercier au sein du Bureau, et par ailleurs de modifier la liste des postes relevant du groupe en nommant M. André Reichardt, actuellement secrétaire, parmi les vice-présidents. En conséquence, Mme Mercier serait nommée secrétaire.
En conséquence, le Bureau de notre commission serait ainsi constitué :
- MM. François-Noël Buffet, Jean-Pierre Sueur, Mme Catherine Di Folco, MM. Jacques Bigot, André Reichardt, Mme Sophie Joissains, M. Arnaud de Belenet, Mme Nathalie Delattre, MM. Pierre-Yves Collombat et Alain Marc, vice-présidents ;
- M. Christophe-André Frassa, Mme Laurence Harribey, M. Loïc Hervé et Mme Marie Mercier, secrétaires.
La composition du Bureau est ainsi modifiée.
Nous accueillons M. Jacques Toubon, que je remercie d'être présent. Les liens de notre commission des lois et du Défenseur des droits ne sont pas qu'institutionnels. Notre commission a en effet à coeur de défendre les libertés et les droits individuels. Elle s'occupe aussi de la législation des collectivités territoriales. Or le Défenseur des droits a cette année mis l'accent dans son rapport sur le sentiment d'abandon que ressentent certains habitants des territoires les plus éloignés des centres urbains, allant jusqu'à se percevoir comme les oubliés de la République. Le recul des services publics est en effet inégalement compensé par l'accès dématérialisé aux démarches administratives, ce qui accentue la difficulté que représente la déshumanisation de la relation entre l'administration et nos concitoyens. Je suppose que nos discussions ne pourront que faire naître des convergences sur ces sujets, car ce que décrit le Défenseur des droits correspond aux remontées qui nous parviennent du terrain, en particulier dans les départements les plus ruraux.
Je sors d'une réunion de la commission des affaires sociales où nous avons débattu des conséquences de la dématérialisation des procédures administratives en matière d'accès aux services publics. La Haute Assemblée ne peut qu'être sensible aux inégalités qui se créent dans ce domaine. Mon rapport est en ligne et vous a été distribué dans sa version papier. J'en ai choisi personnellement la couverture : il s'agit d'une aquarelle peinte par des usagers de la Maison des habitants de Maubeuge, dans le quartier difficile de Sous-le-Bois. Je les ai rencontrés au mois de mai, et ils m'ont remis ce tableau que je trouve très en phase avec ce qui se passe dans notre pays. J'ai installé cette aquarelle dans mon bureau.
Humanité et hospitalité : tels sont les deux mots-clefs de ce rapport. La présence humaine recule dans nos services publics, désormais ressentis comme moins accueillants et hospitaliers, au sens propre du mot. Les pouvoirs publics, le législateur, et notamment la chambre qui représente les territoires et les collectivités territoriales, doivent se saisir du problème.
L'idée-force de mon rapport est qu'il ne doit pas y avoir de laissés-pour-compte de l'action publique, notamment dans la relation entre les usagers et les services publics. L'an passé, nous avons reçu 96 000 réclamations sur ce sujet, et 140 000 demandes d'information au total, dont 80 % ont été traitées par les 510 délégués du Défenseur des droits sur le terrain. Cette activité d'information a augmenté de 6 % à 7 % cette année, et de 25 % depuis mon entrée en fonction, en juillet 2014. La part des demandes des usagers du service public a augmenté de 10 %, avec 56 000 dossiers.
Comme vous l'avez dit, monsieur le président, mon ressenti est celui d'une difficulté d'accès aux services publics. Il ne faudrait pas aboutir à un recul en la matière, et encore moins à un sentiment d'inégalité chez nos concitoyens, les personnes les plus vulnérables se retrouvant discriminées pour des raisons soit territoriales, soit électroniques, ou encore à cause de la réduction des effectifs qui entraîne une moindre qualité des services d'accueil, de renseignement ou d'orientation. Cette réduction d'effectifs touche désormais les services de production, créant ainsi des retards dans la liquidation des dossiers d'assurance-retraite.
Depuis 2014, je suis le gardien du respect des droits fondamentaux, comme le droit à la santé ou à l'éducation, tous ces droits individuels et collectifs posés par les conventions internationales, mais aussi par notre Constitution ou par les différentes lois que vote le Parlement. Ce cinquième rapport d'activité ne porte pas seulement sur l'année 2018, il tire aussi le bilan des cinq ans où j'ai exercé mes fonctions. Le Défenseur des droits veille au respect du service public et de la déontologie de la sécurité ; il lutte contre les discriminations, préserve le droit des enfants et garantit l'orientation et la protection des lanceurs d'alerte. Une nouvelle directive européenne devrait bientôt modifier cette dernière mission.
Parmi les points négatifs de ce bilan, certains textes font reculer les libertés, qu'il s'agisse de la loi sur l'état d'urgence ou de la transposition de certaines mesures relevant de l'état d'urgence dans des textes de droit commun. Depuis trois ou quatre ans, le maintien de l'ordre suscite un certain nombre de difficultés. Il y a eu Notre-Dame des Landes, mais aussi les manifestations contre la loi El Khomri en 2017, qui ont donné lieu à un rapport que j'ai remis en janvier 2018 au président de l'Assemblée nationale. J'y mentionnais la nécessité d'adapter les règles, les méthodes et les moyens du maintien de l'ordre.
Autre point négatif, le recul de l'implantation de la justice. Nous avions souligné que l'accès au juge était un droit fondamental. La baisse de la présence des juridictions dans les territoires et leur remplacement par des procédures numériques est un nouveau risque. Par exemple, si la loi de réforme pour la justice est promulguée, les juges d'instance seront remplacés par des juges de proximité. Comment fera-t-on, lors des prochaines élections européennes, pour le contrôle des votes par procuration qui est assuré par ces juges, souvent installés à proximité des mairies ?
Des reculs ont aussi été constatés sur le droit d'accès à la santé, avec des situations de discrimination dans l'accès aux soins. Nous entretenons de fortes préoccupations sur les politiques migratoires et sur le traitement des mineurs, qui ressemble de plus en plus à celui des étrangers, alors qu'ils relèvent de la politique de l'action sociale.
Les personnes en situation de handicap voient leur situation se dégrader, avec un recul de l'accessibilité et de l'inclusion dans la loi Elan. L'inclusion scolaire est un enjeu de la loi Blanquer actuellement en débat. Quant aux personnes âgées, dont la situation recule aussi, je lance un nouveau chantier sur l'avancée en âge.
Parmi les points positifs de ce bilan, le Sénat a adopté des mesures favorables aux majeurs incapables dans la loi de programmation pour la justice, à la suite de mon rapport d'il y a trois ans et du récent rapport de Mme Caron-Déglise. Il a ainsi abrogé l'article 5 du code électoral pour permettre aux majeurs incapables de voter, ce qu'ils ne pouvaient pas faire auparavant.
La protection de l'enfance, compétence des départements, est un autre sujet sur lequel le Sénat s'est montré attentif. Un ministre dédié a été nommé il y a trois mois pour encourager un pilotage national dans ce domaine. C'est un progrès.
Le développement des maisons de services au public (MSAP) est très positif, à condition qu'elles réalisent les objectifs qui leur ont été fixés.
Quant à la lutte contre les discriminations, nous avons connu quelques succès judiciaires, même si le sujet reste difficile. Le conseil des prud'hommes de Paris a condamné plusieurs employés d'une entreprise pour harcèlement sexuel contre des femmes assurant le nettoiement des trains à la gare du Nord, ce qui est positif. En revanche, alors que nous avions jugé discriminatoire le contrôle d'identité de lycéens dans cette même gare du Nord, le tribunal de grande instance de Paris ne nous a pas suivis.
La loi sur le droit à l'erreur, qui est devenue la loi pour un État au service d'une société de confiance, est aussi une avancée. La personne qui commet une erreur en matière fiscale ou sociale, tout en étant de bonne foi, ne sera pas soumise à pénalité. Cependant, si le principe est posé, les instructions n'ont pas suivi, de sorte que certains organismes n'appliquent pas la loi. Il faut aussi appliquer strictement le reste à vivre : on ne peut pas mettre des gens à la rue en leur supprimant l'intégralité des prestations familiales.
Enfin, sur la dématérialisation, les pouvoirs publics ont fait preuve d'une écoute attentive. Dans le premier épisode du grand débat, le Président de la République a cité le rapport du Défenseur des droits sur la dématérialisation des services publics, en précisant qu'il faudrait s'emparer du sujet.
Le paysage est contrasté. L'augmentation de notre activité et les difficultés d'accès grandissantes aux services publics qui en résultent sont les deux traits qui caractérisent le déploiement de mes compétences. Nous devons satisfaire nos concitoyens en procédant aux changements qu'ils appellent de leurs voeux. Ces réformes devront prendre en compte, dès le départ, les besoins des personnes les plus vulnérables. C'est sur ce principe que nous construirons des mesures satisfaisantes pour tous nos concitoyens.
Votre travail, que je salue, concorde largement avec ce qui nous remonte du terrain ; le décalage entre droits théoriques et droits effectifs explique bien des frustrations de nos concitoyens.
Je me retrouve moins dans le chapitre de votre rapport consacré à la déontologie des forces de l'ordre ; j'y ressens un décalage avec la réalité telle que je l'ai perçue, notamment en tant que rapporteur de la commission d'enquête sur l'état des forces de sécurité intérieure. Je crains que ce rapport ne conforte nos forces de l'ordre dans le sentiment, injustifié, que le Défenseur des droits défend ceux de tout le monde, hormis les leurs. Selon nombre d'entre eux, vous avez une vision unilatérale, une appréciation à charge de leur action.
Vous évoquez la dégradation, réelle, des relations entre les forces de l'ordre et tout ou partie de la population. Les sociologues comme les maires constatent un repli général sur soi, une irascibilité de nos concitoyens ; M. Alain Juppé parlait de « détérioration de l'esprit public ». On en rend souvent responsables, très injustement, les forces de l'ordre. Elles sont de moins en moins respectées, victimes du rejet, par certains, de l'ordre républicain. Leur taux de suicide est le plus élevé parmi les catégories professionnelles, avec les agriculteurs. Cela traduit, outre des conditions matérielles de travail épouvantables, un malaise profond et sincère. C'est pourquoi votre approche me semble parfois quelque peu binaire.
Quant aux lanceurs de balles de défense (LBD), ils ont été récemment utilisés, certes plus fréquemment que d'habitude, mais dans un contexte de violences urbaines plus massives et violentes. Votre conclusion, choquante pour bien des policiers, a été d'appeler à en interdire l'usage. Or, samedi dernier, à la suite d'une forme d'autocensure quant à l'usage de cette arme, on a vu notre capitale complètement livrée au pillage.
Plutôt que de prôner l'interdiction, il faudrait adopter une position équilibrée : les LBD devraient être utilisés contre des voyous en action, et non contre des manifestants dispersés ; ils pourraient aussi être techniquement améliorés. Un dialogue avec les forces de l'ordre aurait permis d'aboutir à des conclusions plus opératoires et acceptables par chacun.
Il en est de même pour la vieille histoire du récépissé en cas de contrôle d'identité. Un équipement effectif en caméras-piétons réglerait le problème.
Nous faisons, nous aussi, le constat de la déshumanisation des services publics, sujet que nous avons abordé à maintes reprises auprès de Mme Belloubet. Face à l'informatisation à outrance, beaucoup de nos concitoyens sont perdus. Le remplacement des juges par des fonctionnaires, des médiateurs, ou encore des psychologues, nous semble également une façon de déshumaniser la justice ; le juge est en effet garant du caractère humain de celle-ci.
Concernant les majeurs incapables, le juge des tutelles ne devrait pas être écarté : il veille, mieux que d'autres, à la qualité de la vie de ces personnes et à la bonne gestion de leurs biens. Quant aux personnes atteintes de déficiences mentales, les renvoyer dans la vie ordinaire peut parfois se révéler problématique. On dirait qu'on ne peut même plus évoquer ces problèmes de santé mentale.
Quant à la protection des enfants, je conçois bien qu'il soit positif d'avoir un ministre habilité dans ce domaine. Le travail accompli par les services de protection de l'enfance est selon vous de bonne qualité, mais beaucoup de dérapages sont encore relevés. Par manque de moyens, des enfants restent dans leurs familles au risque de subir des violences.
Nous affrontons des contradictions et des difficultés : il nous faut lutter à la fois pour la liberté de manifester et contre la violence ; il faut tenir les deux bouts. Afin de lutter contre le terrorisme, nous avons adopté des lois pour lesquelles je n'aurais sans doute pas voté il y a cinq ou dix ans. Le respect de notre vie privée est important, mais il faut se donner les moyens de ne pas se faire tuer. Vous êtes conscient de ces difficultés. Quel regard portez-vous sur les annonces faites hier par le Gouvernement concernant les manifestations ?
J'ai relevé dans votre rapport des expressions qui m'ont choqué. Vous dites vouloir défendre hospitalité et dignité : que cela signifie-t-il du point de vue du droit ? Vous évoquez un « renforcement de la sécurité et de la répression face à la menace terroriste, aux troubles sociaux et à la crainte d'une crise migratoire alimentée par le repli sur soi ». Je trouve étonnant que cette dernière notion vienne s'appliquer de manière uniforme à ces trois problèmes. Les politiques sont adaptées à chaque situation ; les associer à un « repli sur soi » me semble sujet à caution.
Tout sentiment d'injustice n'est pas forcément légitime ; notre société de droits et de créances considère que l'État est en deçà de ses aspirations, mais notre pays a atteint un niveau d'État de droit jusqu'alors inconnu. Vous semblez dire que nous régressons de ce point de vue ; j'ai l'impression inverse. Votre rapport omet également les devoirs dus envers un État qui se veut protecteur et sans lesquels la cohésion sociale sera fragilisée.
Vous critiquez l'usage des LBD et des grenades de désencerclement, mais les forces de sécurité doivent disposer de tels outils leur permettant d'éviter les affrontements et les corps-à-corps.
Vous vous présentez comme un sismographe qui enregistre les aspirations de la société. Je suis, comme l'an dernier, préoccupé par les droits des femmes musulmanes, invitées plus ou moins fermement à ne pas fréquenter certains lieux de sociabilité. Je m'étonne que, au vu de votre rapport, aucune saisine n'ait fait état de cette situation.
La compétence sociale des départements les oblige à prendre en charge les mineurs non accompagnés (MNA), ce qu'ils font correctement en dépit d'une forte augmentation du nombre de ces mineurs et donc des coûts encourus. L'Aveyron y dépense aujourd'hui 4 millions d'euros, soit cinq fois plus qu'il y a deux ans, sans que l'État compense cette augmentation. Les départements auront du mal à garantir les droits de ces mineurs à l'avenir si rien ne change.
Vous affirmez qu'il faudrait éviter l'usage des LBD pendant les manifestations, mais celles-ci sont encore devenues plus violentes depuis vos déclarations. Votre doctrine a-t-elle changé en conséquence ?
La liberté de chacun s'arrête où commence celle des autres. Je suis content de l'existence du Défenseur des droits, mais j'aimerais que l'État institue un promoteur des devoirs. Un tel équilibre permettrait à tout le monde de s'y retrouver.
Vous avez dressé le constat de la déshumanisation de certains services publics ; nous le partageons, et cela ne fera que s'accélérer. Toutes les réformes qu'on nous propose comportent des éléments de dématérialisation. On grappille sans arrêt sur le nombre de fonctionnaires. Où est l'équilibre ? Comment retrouver le service qui existait, il n'y a pas si longtemps ?
Je salue votre engagement visant à sensibiliser les pouvoirs publics aux risques de la numérisation des services publics, qui se traduit souvent par leur virtualisation. Notre société en ressort plus tendue, les droits semblent moins respectés : tout cela est porteur de nouvelles violences.
Hier, M. Laurent Nunez vous a implicitement et indirectement rendu responsable des événements de samedi dernier, tout en reconnaissant des dysfonctionnements dans sa propre chaîne de commandement. Trouvez-vous logique qu'un ministre vise de la sorte une institution chargée par la Constitution de faire respecter la déontologie des forces de sécurité ?
L'intérêt de votre institution est qu'elle permet d'éviter que tout, dans notre société, soit judiciarisé. Nos concitoyens s'interrogent parfois sur l'opportunité de soulever une question prioritaire de constitutionnalité relative à une décision les concernant, notamment dans le domaine des interactions entre droit européen et droit national. Serait-il opportun, selon vous, de modifier l'article 61-1 de la Constitution de manière à vous permettre d'inviter le Conseil d'État ou la Cour de cassation à déposer une QPC sans que le sujet soit déjà posé devant une juridiction ?
Vous avez évoqué, parmi les reculs que vous relevez, les problèmes d'accès à la santé et le traitement des mineurs étrangers, qui ressemble plus à celui des étrangers qu'à celui des mineurs. Ce sont deux sujets très sensibles dans mon département. Vos récentes déclarations sur la problématique migratoire ont suscité une forte émotion chez les Mahorais, qui les ont jugées binaires. Les droits des Mahorais sont-ils oubliés par le Défenseur des droits ? Ne vous faudrait-il pas adopter du moins une doctrine particulière quant à vos prises de position sur des sujets localement très sensibles ?
Je vous félicite pour la vigueur avec laquelle vous vous êtes attaqué au problème de la dématérialisation. Que le Défenseur des droits soit devenu le seul recours des citoyens, notamment dans le cas de la crise des cartes grises, donne une idée de l'état de délabrement du système ! Vous êtes d'autant plus louable qu'il est ringard de critiquer la modernisation !
Vos conclusions en la matière me laissent plus rêveur : selon vous, on n'arrêtera pas les réformes ; il faudrait juste qu'elles prennent en compte les besoins réels des usagers. Mais tel n'est pas leur but : il s'agit juste de faire des économies ! On fait faire le travail de l'administration par les usagers eux-mêmes, ce qui crée plein de problèmes, et il n'y a plus personne au bout du fil. Ne faudrait-il pas mettre en évidence l'origine de ces pratiques, qui découlent de l'idée selon laquelle on peut se passer du facteur humain ?
Dans les départements en déprise démographique, les services publics ont fondu. Les personnes restant dans nos villages sont souvent très âgées ; la dématérialisation leur pose des difficultés considérables. Les maisons de services au public y sont très importantes. Comment sont-elles implantées ? De tels départements ne pourraient-ils pas bénéficier d'un maillage plus serré qu'ailleurs ?
L'actualité conduit à se focaliser excessivement sur une seule des compétences du Défenseur des droits, à savoir la déontologie de la sécurité, et sur un seul sujet, les LBD. C'est une vision déformée et inexacte de notre activité et de la demande sociale dont notre institution est le sismographe.
Cette compétence, avec quatre autres, a été confiée au Défenseur des droits à la suite de longues réflexions, menées notamment au Sénat. Je cite le 4° de l'article 4 de la loi organique du 29 mars 2011 : le Défenseur des droits est chargé de « veiller au respect de la déontologie par les personnes exerçant des activités de sécurité sur le territoire de la République », mission auparavant confiée à la Commission nationale de déontologie de la sécurité, créée en 2000. Il apprécie donc le caractère proportionné de l'usage de la force par les forces de sécurité dans l'ensemble des situations dont il est saisi, à la lumière, notamment, des dispositions de l'article R. 434-18 du code de la sécurité intérieure, qui imposent le respect des principes de nécessité et de proportionnalité.
Dans le cadre de cette mission, je suis amené à traiter les réclamations qui me sont soumises. La sensibilité du public français semble être plus à vif dans ce domaine qu'elle ne l'était auparavant. On relève une hausse de 24 % des demandes reçues à ce titre entre 2017 et 2018. Il ne s'agit pas seulement de ce qu'on appelle « violences policières », mais aussi de réclamations pour refus de dépôt de plainte. Du fait de cette hausse, j'ai confié à certains délégués territoriaux le soin de traiter des réclamations que je traitais jusqu'à présent exclusivement au niveau national.
Je ne sais s'il y a un « malaise », pour reprendre l'expression de M. Grosdidier, mais il existe des sujets sur lesquels une partie de la population et une partie des forces de l'ordre se trouvent en conflit. La justice pénale traite souvent de ces questions. Contrairement à ce qu'impliquent les mots fréquemment entendus - « unilatéral » et « binaire » - le Défenseur des droits est, dans ce domaine comme dans les autres, indépendant, libre et impartial. Notre pratique diffère de celle qu'aurait une association militante : une réclamation ne porte en elle-même ni tort ni raison ; il faut l'instruire afin de déterminer si les droits de la personne qui met en cause un service ou une personne ont été respectés ou bafoués, et s'il y a donc nécessité de réclamer la restitution de l'effectivité du droit. Dans plus de 90 % des cas relatifs à la déontologie de la sécurité, je conclus qu'il n'y a pas eu manquement ; c'est seulement dans les autres cas que je demande une sanction disciplinaire. Je conduis l'instruction de ces dossiers avec tact et délicatesse, car je sais combien est difficile la tâche des forces de sécurité, qu'il s'agisse de la police du quotidien ou d'opérations de maintien de l'ordre.
En cette dernière matière, mon prédécesseur et moi-même avons été amenés à nous prononcer sur des dizaines de réclamations relatives à des blessures ; nous avons également examiné ces questions au titre de notre activité de promotion des droits ; enfin, j'ai publié à plusieurs reprises des rapports et des recommandations sur les armes de force intermédiaire.
J'ai traité, d'une manière que j'ose croire assez exemplaire, le drame de Sivens - le 24 octobre 2014, un jeune militant a été tué par une grenade offensive -, en examinant non pas l'aspect pénal de l'affaire, qui est entre les mains du tribunal de Toulouse, mais le comportement professionnel du gendarme qui a lancé la grenade et, plus largement, la manière dont tous les acteurs de ce dispositif de maintien de l'ordre se sont comportés.
J'en ai conclu que le gendarme n'avait pas commis de manquement. En revanche, j'ai identifié un certain nombre de défaillances dans l'organisation du commandement ; d' où ma décision d'exonérer le gendarme et de mettre en cause certains échelons responsables. Le ministre de l'intérieur de l'époque, M. Bernard Cazeneuve, a rappelé aux préfets, par circulaire, leur responsabilité dans ce type d'opération de maintien de l'ordre. Quelques jours plus tard, il retirait de la dotation des gendarmes les grenades offensives, compte tenu de leur dangerosité. Cet épisode est emblématique de la manière dont le Défenseur des droits exerce ses responsabilités.
Pour ce qui est de la situation actuelle du maintien de l'ordre dans notre pays, seul le respect des droits fondamentaux m'importe, et notamment le droit à l'intégrité physique qui vaut tant pour les manifestants que pour les forces de l'ordre.
Au printemps 2017, à la suite des manifestations contre la loi El Khomri, M. Bartolone, alors président de l'Assemblée nationale, m'avait commandé un rapport sur la manière dont le maintien de l'ordre était exercé dans notre pays et sur les possibilités de l'adapter. Nous avons mené de nombreuses auditions, et j'ai remis ce rapport en janvier 2018 à son successeur, M. François de Rugy. J'y mettais en valeur le fait que la nature des manifestations avait fortement évolué ces dernières années, avec le développement d'une agressivité croissante. Je recommandais d'ouvrir une réflexion sur le principe de la mise à distance, mais aussi sur la formation du personnel chargé d'assurer l'ordre. Je me suis rendu au Centre national d'entraînement des forces de gendarmerie, à Saint-Astier. Après examen, nous avons constaté que les unités dédiées n'étaient pas les seules à être sollicitées dans les opérations de maintien de l'ordre. L'intervention d'autres unités qui ne bénéficient pas de la même formation ni de la même pratique du maintien de l'ordre pose question.
Mon rapport portait aussi sur les moyens et notamment les armes intermédiaires. J'avais demandé un moratoire sur les pistolets Flash Ball super pro, et ils ne sont plus utilisés depuis deux ans. Le lanceur de balles de défense et la grenade d'encerclement posent le même type de problème. Ne faudrait-il pas adapter nos méthodes de maintien de l'ordre ? Telle était la question que je posais, il y a quinze mois, bien avant les troubles qui sévissent depuis le 17 novembre 2018.
Cependant, soyons précis. Lorsque je demande la suspension de l'usage et de la dotation de certaines armes de force intermédiaire, cela ne vaut que dans le cadre des opérations de maintien de l'ordre, et les unités de police qui y ont recours pour lutter contre la délinquance peuvent continuer à le faire, qu'il s'agisse du Taser, du Flash Ball ou du LBD. Ces armes de force intermédiaire créent une dangerosité particulière dans le cadre du maintien de l'ordre, mais pas dans celui des autres opérations de la gendarmerie, en matière pénale notamment.
Monsieur Bonhomme, nous n'avons rien inventé. Le Défenseur des droits reçoit des réclamations, mène les enquêtes, examine les vidéos, regarde les procès-verbaux et confronte les intervenants, avant de rendre ses recommandations. Nous sommes comme le sismographe ou le notaire par rapport aux événements sociaux dans notre pays.
L'État de droit fonctionne quand le droit s'applique à l'État. Et dans le cas contraire, il n'y a plus d'État de droit. Un certain nombre de pays ont choisi cette voie, évoluant de manière pour le moins inquiétante. Le droit qui s'applique à l'État, c'est la force légitime pour mettre en oeuvre la loi. Selon nous, l'État n'est plus suffisamment protecteur de la population.
En ce qui concerne précisément le LBD, mon rapport de janvier 2018 établit un tableau comparatif avec les pratiques des pays voisins. Beaucoup d'entre eux ont participé à l'évolution de leur doctrine au fil du temps, l'Allemagne ayant même commencé en 1986. Nous devrions nous inspirer de ces expériences de désescalade dans le maintien de l'ordre. La semaine dernière, juste avant les événements du weekend, j'ai constaté avec plaisir que le ministre de l'intérieur prévoyait de réunir des experts pour travailler à l'adaptation de nos méthodes de maintien de l'ordre.
Sur bien des sujets, nous échouons à tenir des débats rationnels. Le principe d'égalité ayant été peu à peu remplacé par le principe d'identité, les débats sont désormais nourris de conflits verbaux et d'invectives, au détriment de la construction des solutions.
C'est me prêter beaucoup d'influence que de souhaiter que je me prononce sur la responsabilité des pouvoirs publics dans le maintien de l'ordre tel qu'il s'est exercé durant les manifestations du weekend dernier. Encore une fois, seule m'importe la défense des droits fondamentaux.
En 2014, j'ai pris une décision qui a satisfait les uns et provoqué des ricanements chez d'autres, à la suite d'une manifestation organisée le 14 juillet 2013 par les opposants au mariage pour tous : ils avaient essayé de troubler les festivités, notamment en déployant des banderoles et des fanions et en portant des tee-shirts marqués de leurs slogans. Saisi au titre de la liberté de manifester, j'ai conclu que l'instruction du préfet de police ordonnant aux forces de l'ordre de faire ôter ou couvrir fanions et tee-shirts revêtait un caractère tellement général qu'elle nous paraissait porter atteinte à la liberté de manifester, d'autant qu'elle ne faisait nullement référence à des troubles à l'ordre public.
Je suis très attentif à la situation des mineurs non accompagnés, et je connais la nature des relations entre l'État et les départements relativement au financement de leurs obligations en ce domaine. Pour ma part, je suis chargé de défendre les droits de l'enfant, et je ne dis qu'une chose : un mineur n'est pas un étranger, c'est un enfant...
Un enfant n'a pas à avoir de papiers ; il n'est donc jamais sans papiers. C'est une question extrêmement difficile.
Mme Lherbier a évoqué très justement les majeurs incapables. Les dispositions figurant dans la loi de réforme pour la justice ne sont que le début d'évolutions nécessaires.
M. Wattebled a regretté le recul du facteur humain. De fait, beaucoup de bureaux sont aujourd'hui vides dans les préfectures ; on assiste à un recul de l'État territorial.
Monsieur Leconte, je n'ai pas réfléchi à de possibles modifications de la Constitution. Un chantier important s'ouvrira dans quelques mois ; je ne suis pas sûr qu'il soit nécessaire que je mêle d'ores et déjà ma voix à ce débat. J'essaie de faire ce que j'ai à faire ; c'est déjà beaucoup.
Monsieur Mohamed Soilihi, Mayotte est un département ; tous ses habitants doivent jouir de l'égalité qui s'impose partout dans la République. J'estime que des droits fondamentaux n'ont pas été respectés à Mayotte ; je dirais la même chose s'il s'agissait de tout autre département. Cela dit, j'entends les préoccupations de certains élus et je me rendrai à l'automne prochain à Mayotte, ainsi qu'à la Réunion, pour leur répondre.
Les propos de M. Collombat sont largement dans la ligne de ce que j'ai proposé, mais il ne faut pas opposer les économies nécessaires à la prise en compte des droits des usagers. On devrait plutôt prendre en compte leur point de vue lors de l'élaboration des réformes.
Quant aux MSAP, madame Costes, elles sont bien au coeur du dispositif ; il faudrait faire, avec Mme Gourault, un point sur ces questions. Ce mouvement est très positif, à condition que ces maisons rendent de vrais services.
Bien entendu ! Pour autant, il ne faut pas se payer de mots et faire des MSAP une réponse automatique à la désertification. Il faut aller regarder ce qu'il y a dedans !
Je vous laisse en testament une citation de mon propre rapport : « Le Défenseur des droits n'est donc pas, d'évidence, l'observateur impavide des temps calmes. Il marque les temps gris, les averses, les chemins difficultueux et les souffrances de celles et ceux qui sont contraints de les emprunter. Rien, hormis le respect des principes républicains, ne peut l'empêcher de dire ces vérités. Son indépendance institutionnelle et sa liberté l'autorisent, lui imposent même, de proclamer l'absolu des droits fondamentaux que tout contribue à relativiser aujourd'hui. » C'est dans cet esprit que je vous ai parlé aujourd'hui.