Nous reprenons notre cycle d'auditions en entendant sous la forme d'une table ronde les représentants des principaux syndicats de personnels médico-sociaux de l'Éducation nationale. Je vous prie de bien vouloir excuser la présidente Sabine Van Heghe qui est retenue par des obligations impératives dans son département et ne pourra donc pas nous rejoindre cet après-midi.
Votre présence traduit concrètement la volonté de notre mission d'information, volonté partagée par l'ensemble des groupes politiques du Sénat, de mieux comprendre ce phénomène et sa démultiplication dans l'espace « cyber ». Votre éclairage est essentiel car nos premières auditions l'ont souligné : ce sont les personnels médico-sociaux, compte tenu de leurs liens de confiance avec les élèves, qui sont souvent les premiers à être informés de ces violences « en meute » par les victimes.
Le harcèlement scolaire est un fléau surtout quand il s'opère presque sans limite dans le monde « cyber » de façon anonyme, hors de l'enceinte physique de l'école, ce qui en décuple les effets dévastateurs. J'insiste sur ce point, car on ne peut pas parler de harcèlement sans évoquer le cyberharcèlement, les deux allant de pair. Nous voulons, à l'issue de nos travaux en septembre, aboutir à des conclusions opérationnelles en s'appuyant sur l'ensemble des parties concernées.
Votre regard est donc très important pour bien cerner et définir la notion, apprécier son ampleur et ses manifestations, mais aussi décrire le rôle des personnels médico-sociaux face au phénomène et évoquer les difficultés auxquelles ils sont confrontés tant dans la mise à jour des situations de harcèlement que dans leur traitement.
Je vous propose donc à tour de rôle de vous présenter et de préciser votre approche du harcèlement scolaire.
Permettez-moi de vous poser deux questions pour lancer le débat et qui peuvent servir de fil conducteur à vos interventions successives.
Estimez-vous que les enseignants, et de manière générale les personnels de l'éducation nationale (directeurs d'école, CPE, chefs d'établissements) soient suffisamment formés et armés pour détecter les harcèlements, y compris les cyberharcèlements qui se déroulent en dehors des salles de cours ? J'insiste sur ces mots : on ne peut pas être armé si l'on n'est pas assez formé. Dans les précédentes auditions, il a été souligné la nécessité de détecter les signaux faibles de harcèlement.
Par ailleurs, quelle est la procédure suivie face à un cas de harcèlement scolaire ?
Après vos interventions, je passerai la parole à Colette Mélot, notre rapporteure, pour qu'elle vous pose les questions qu'elle souhaite, avant de la donner à l'ensemble de nos collègues qui le souhaitent.
Je propose de commencer par les représentants des psychologues du SNES FSU.
Je suis secrétaire nationale des psychologues et directeurs de centres d'information et d'orientation (CIO) au SNES-FSU (syndicat national des enseignements du second degré - fédération syndicale unitaire). Je représente aussi les collègues du premier degré puisque nous avons un corps commun, qui va de la maternelle à l'université et qui se décline en deux spécialités : les collègues qui travaillent à l'école et ceux qui travaillent dans le second degré, c'est-à-dire dans les CIO, les collèges et les lycées - et pour certains d'entre eux à l'université, voire dans d'autres structures.
Nous vous remercions pour cette audition, car nous nous sentons concernés, en tant que personnels. Nous ne sommes pas, pour les psychologues de l'éducation nationale, des personnels de santé. La psychologie requiert une formation, mais en dehors du champ de la santé, et travaille dans de nombreux domaines, y compris l'Éducation nationale. Nous y travaillons car nous sommes formés à la psychologie dans des domaines qui concernent l'école : l'éducation, le développement psychologique et social, les apprentissages et l'orientation.
Nous travaillons, avec tous nos collègues, dans les établissements scolaires et nous faisons partie de la FSU. Certains de nos collègues ont été interrogés la semaine dernière, mais pas de psychologues. Nous venons apporter l'éclairage de la psychologie sur le harcèlement à l'école ou en milieu scolaire.
Sur le sujet du harcèlement en milieu scolaire, se posent les questions de la prévention et du repérage des situations. Nous aborderons aussi le phénomène du cyberharcèlement.
Pour nous, la situation du harcèlement en milieu scolaire ne se distingue pas vraiment du « climat scolaire ». L'école, le collège et le lycée constituent un monde bien identifié des élèves, mais il faut aussi comprendre l'école comme un milieu poreux à ce qui se passe dans la société. Le confinement a ainsi eu des conséquences à l'école. L'installation du cadre scolaire et du climat est donc importante nos yeux.
Nous avons aussi pour habitude de ne pas seulement travailler seuls mais aussi avec d'autres équipes : les enseignants, les infirmiers, des assistants de service social, des conseillers principaux d'éducation (CPE), des directeurs et équipes de direction. Dans la question du repérage et de la prévention du harcèlement, le but est de travailler en équipe. La détection de signes d'alerte n'est pas le fait d'une seule personne. On peut parfois être amené à recueillir la parole d'un enfant, mais c'est vraiment une question de travail d'équipe pluri-professionnelle, où chacun va apporter son éclairage en fonction de sa place et de sa formation.
Pour nous, ce qui ressemble à des changements d'attitude et de comportement sont des informations qu'on échange, ou bien dans le cadre de réunions formelles, les cellules de veille, ou bien lors de discussions moins formelles en salle des professeurs, en cours d'école. Cette question se travaille dans le temps, non seulement à l'échelle de l'année scolaire, mais aussi à tous les moments de la journée, quel que soit le cadre.
Dans le cadre de réunions plus institutionnelles, les psychologues apportent un éclairage qui doit aussi s'appuyer sur le regard de chacun, y compris la parole des parents.
L'échange, de façon générale, prend beaucoup de temps, dans le temps scolaire. Nos équipes pluri professionnelles ne sont pas extensibles : rencontrer un collègue assistant de service social n'est pas toujours facile. Certes, les échanges par mail facilitent les choses. Mais les temps sont parfois partagés, avec des bureaux occupés par les mêmes personnes à des moments différents, ou bien parce que nous avons plusieurs établissements à charge. Il n'est pas facile d'échanger dans ces conditions.
Je voulais aussi rappeler qu'en tant que psychologues, il nous arrive d'avoir à accueillir la parole sur une question de harcèlement. Les questions de cyberharcèlement explosent mais dépassent le cadre de la seule institution scolaire. Les messages envoyés sur les boucles créées par des enfants parfois très jeunes se font dans un temps hors institution scolaire, et ressurgit sur l'institution. On ne peut être seuls à ce niveau : il faut impliquer les parents.
Je suis psychologue de l'Éducation nationale et présidente de l'APsyEN, association professionnelle qui rassemble les psychologues qui interviennent du collège à l'enseignement supérieur. Notre association fête ses 90 ans cette année.
En avant-propos, je vous remercie et je réaffirme qu'en tant que psychologue, nous ne nous situons pas au niveau médico-social. Vous avez dû avoir des échos du mouvement et de la grève des psychologues le 10 juin dernier à l'échelle nationale et de tous les champs d'intervention des psychologues. Nous ne sommes pas d'accord pour nous englober dans cette appellation. Nous travaillons avec le corps médico-social, mais l'exercice de notre profession ne se réduit pas à ce champ d'intervention, et ce d'autant plus dans l'école et avec des adolescents.
En ce qui concerne les questions posées en introduction sur la formation des enseignants et des personnels, il se trouve que je suis aussi formatrice dans mon académie, celle de Créteil. Le système scolaire est déstabilisé, tout comme les professionnels, par de nombreuses réformes qui se cumulent à des échéances très courtes. La question est systémique : au niveau de la formation continue et initiale des enseignants, beaucoup de moyens sont redirigés vers l'accompagnement des réformes (approches didactiques, examens), et toutes ces questions transversales importantes (harcèlement, genre, inégalités) passent au second plan, voire sont mises de côté. Les enseignants qui partent en formation ne sont plus devant les élèves.
Je dis que la question est systémique car, et c'est mon deuxième élément, dans les établissements, beaucoup d'adultes, de CPE, par la déstabilisation de leur milieu et de leurs conditions de travail, sont fatigués et « ne savent plus vraiment où ils habitent ». Au niveau du lycée, les classes n'ont de classes que le nom et les groupes sont à géométrie variable. Les adultes sont déstabilisés. On ne peut pas agir sur le bien-être et limiter les effets de harcèlement et cyberharcèlement en l'absence de communauté éducative où les adultes vont bien et tiennent. Je souligne cet aspect systémique : on ne peut pas demander à l'école de réguler des pratiques qui vont mal, si eux-mêmes vont mal.
En lisant le titre de votre mission, et de façon anecdotique, je me demandais si vous évoqueriez ce que l'école peut générer d'anxiété auprès des professionnels et des enfants. Pour des enfants anxieux, recevoir, dans le cadre de Parcours Sup, des notifications tous les matins s'apparente à des phénomènes de stress, voire de harcèlement - selon le profil de l'élève bien sûr. Mais j'ai bien compris que vous parliez du harcèlement en milieu scolaire.
Sur la procédure suivie, vous posez la question comme si le paysage était unique. Elle dépend de la personne à qui le jeune vient déclarer, de comment la découverte va se faire, de la façon dont le jeune qualifie le harcèlement. En effet, des jeunes sont victimes de harcèlement mais ne le qualifient pas ainsi. Ils peuvent relier un comportement à de la jalousie, ou à d'autres émotions. La conduite à tenir est donc spécifique aux situations rencontrées.
En revanche, un travail collaboratif est mené en amont pour sensibiliser aux discriminations - qui sont souvent à l'origine du harcèlement -, à ce qui est acceptable dans les comportements amicaux et amoureux, et à ce qu'on est en droit de refuser venant d'adultes et d'adolescents. Cela s'étend au cyberharcèlement.
Enfin, il ne faut pas négliger que, par rapport à ces questions de harcèlement et cyberharcèlement, une autre question va s'emboîter : celle des jeunes en situation d'inclusion scolaire parce qu'ils sont porteurs de handicap ou de caractéristiques spécifiques. Les moyens pour les accompagner ne sont souvent pas à la hauteur : il faut prendre du temps pour intégrer l'élève. Il ne faut pas sous-estimer ces aspects systémiques. On doit penser aux moyens donnés pour que les adultes qui travaillent à l'école aillent bien et pour que la différence soit acceptée dans l'école. Il faut du temps, de la formation et de la continuité pour cela, et peut-être, donc, arrêter les réformes au niveau scolaire.
Merci Madame, pour votre intervention, qui montre que la définition du harcèlement, bien que ce soit un phénomène ancien, doit encore être précisée dans son contour.
C'est avec plaisir que je vous présente l'analyse du SNIES Unsa Éducation.
Le harcèlement scolaire existe depuis que l'école existe, mais la reconnaissance des traumatismes que subissent les acteurs de ces drames est relativement récente.
Le harcèlement est le résultat de comportements conscients ou inconscients qui s'inscrivent dans la durée et placent les protagonistes dans des postures d'agresseur, de victime ou de témoin, qui peuvent évoluer et s'interchanger au fil du temps. Chacun porte une part de responsabilité et détient une clé de la porte de sortie de ce cercle délétère.
L'école est propice à ces comportements car elle constitue le lieu où, justement, on apprend à vivre ensemble, hors du cercle familial, en interagissant avec des individus ou des groupes étrangers à son univers connu.
Chaque membre de la communauté éducative a potentiellement un rôle à jouer pour permettre à nos jeunes d'acquérir les compétences psychosociales pour faire de ces interactions des leviers de développement et de l'épanouissement personnel ainsi que du bien-être. C'est un sujet de préoccupation qui nécessite des regards croisés et complémentaires de toute la communauté éducative.
De découverte toujours trop tardive, ce comportement induit de la souffrance pour la victime, la famille, mais aussi de la frustration et de l'incompréhension pour les professionnels de l'éducation. C'est le travail en synergie qui permet d'oeuvrer contre ce fléau et donne de la cohérence et de la force à nos actions de prévention. Des temps d'échanges et de formations transversales pluridisciplinaires permettraient de fédérer les équipes et de partager une culture commune de prévention.
Cette dernière décennie voit se développer une forme particulière : le cyberharcèlement. Il se traduit par une action négative plus rapide, en parallèle du harcèlement qu'il accompagne toujours. Il s'y surajoute avec un effet de propagation rapide. Les participants sont seuls, derrière un écran qui est, tour à tour, protecteur et persécuteur. La solitude engendre des comportements exacerbés, sans les ressources sociales pour les tempérer.
L'interdiction du portable à l'école et au collège est une mesure qui permet en partie de limiter cette forme de harcèlement pendant le temps scolaire. Mais malheureusement, il commence en « vrai » dans la cour de l'école, et les réseaux estompent la frontière entre le scolaire et le personnel, ce qui induit un envahissement pour les élèves, dans tous espaces de l'enfant via le canal des réseaux sociaux.
Les frontières entre la vie familiale, les vacances, les activités sportives ou culturelles et les temps scolaires sont gommées. L'élève n'a plus d'échappatoire.
Alors que faire ? Notre rôle, en tant qu'infirmières dans les établissements, est d'écouter, accompagner et orienter les protagonistes vers les partenaires internes ou externes. L'infirmière scolaire est souvent alertée par une modification du comportement. La difficulté du repérage réside dans la distinction à faire entre le registre du conflit et celui du harcèlement. Ce repérage s'effectue notamment lors d'un passage à l'infirmerie où les élèves qui se présentent bénéficient d'un accueil et d'une consultation de l'infirmière. Les motifs annoncés sont souvent bien loin du ressenti réel. Il faut alors toute notre expertise professionnelle pour déceler le besoin qui a motivé la demande.
Le repérage est également le fait des enseignants ou des services de vie scolaire. Ceux-ci ont alors besoin de relais, et se tournent vers les partenaires à leur disposition. La présence des infirmières dans les établissements, au plus près des élèves, est pourtant un atout indispensable.
En matière de prévention, nous participons à la construction des projets au sein même des établissements et des comités d'éducation à la santé et à la citoyenneté (CESC) en y apportant notre expertise professionnelle, et éventuellement les relais et les ressources à mobiliser. Cela constitue une de nos spécificités d'exercice d'infirmier.
Si la remédiation et la prévention sont l'affaire de tous (communauté éducative, famille, et partenaires internes et externes), nous constituons les seuls partenaires internes en santé affectés dans les établissements scolaires. Pour cela, chaque établissement devrait être doté d'un personnel infirmier, ce qui n'est pas le cas au regard de plusieurs dossiers qui nous mettent à mal.
Pour le SNIES, les missions des infirmières autour de ce thème doivent être mieux connues et reconnues pour s'exercer pleinement. Une communication appuyée constituerait un levier pour y parvenir.
Pour répondre à votre première question, la formation est incontournable, mais dans une dimension pluri professionnelle et au niveau des équipes. L'objectif est d'avoir un programme commun et une politique commune dans la prévention du harcèlement.
Je suis le secrétaire général du syndicat majoritaire des assistantes sociales dans l'Éducation nationale.
Je vais resituer rapidement le fonctionnement du service social en faveur des élèves dans l'Éducation nationale. Ce service concourt à l'égalité des chances et à la lutte contre les inégalités sociales et territoriales en matière de réussite scolaire et éducative. Il est présent essentiellement dans le second degré (collèges et lycées) et est constitué d'environ 2 500 agents. Si on met cela en regard des 12 millions d'élèves, cela constitue un petit corps d'agents, qui interviennent souvent sur cinq à six établissements, selon les choix faits dans chaque département par la direction académique. Cela entraîne une présence d'une à deux journées par semaine.
Le rôle de l'assistante sociale au sein des établissements est d'abord le conseil social auprès des équipes et des chefs d'établissement et l'accompagnement auprès des élèves et des familles, à la demande de l'un ou de l'autre, voire d'un tiers au sein de l'équipe.
S'agissant du harcèlement, et si l'on reprend leur circulaire de mission, les assistantes sociales participent, par une approche globale de la qualité de vie des élèves au plan social, familial, sanitaire, économique, culturelle, à assurer des conditions favorables à leur réussite. C'est en lien avec la question du harcèlement et du cyberharcèlement. La question du harcèlement scolaire commence à être ancienne, à la différence de celle du cyberharcèlement. On observe une espèce de continuum entre l'intérieur et l'extérieur de l'établissement scolaire, sur des temps familiaux ou de loisirs. Cela rejaillit sur le temps scolaire, ce qui conduit - certes pas systématiquement - à une forme de boucle. Cela peut partir de l'établissement, se continuer en dehors, puis revenir sous une forme différente, voire aggravée via les réseaux sociaux, dans l'établissement.
Il existe des équipes pluri professionnelles, qui comprennent les assistantes sociales, les infirmières scolaires, les psychologues de l'Éducation nationale (PsyEN), les personnels de direction, les CPE et l'équipe pédagogique. Le travail de concertation et d'élaboration en équipe est indispensable dans la prise en charge des situations de harcèlement, et permet de pouvoir s'appuyer sur la richesse des compétences et des formations de chaque professionnel. Mais au regard des moyens disponibles et du temps de présence de chaque professionnel, ce temps d'équipe est relativement restreint. Il est parfois compliqué d'arbitrer entre la nécessité de prendre un temps d'échange en commun et le besoin de pouvoir accueillir les élèves et les familles, et les accompagner. C'est pourtant par cette complémentarité entre différents professionnels qu'on peut avoir une approche globale de la question du harcèlement et du cyberharcèlement.
Deux niveaux sont à mentionner en la matière. Tout d'abord, le niveau préventif : que met-on en place pour éviter que n'adviennent les situations de harcèlement, ou qu'en tout cas elles soient identifiables y compris par les élèves ? Les actions de prévention collective au sein des établissements scolaires jouent un rôle et se travaillent notamment dans le cadre des CESC, auxquels l'ensemble de l'équipe pluri professionnelle participe. Encore une fois, cela dépend des temps de présence au sein de chaque établissement, sachant que certains d'entre eux ne comptent pas d'assistante sociale en leur sein.
Ensuite, se pose la question aussi du traitement des situations. Vous avez parlé de procédure, mais comme l'a dit la collègue psychologue, il n'y a pas de procédure type. Cela dépend fortement de la spécificité de chaque situation, et de chaque établissement. Des politiques sont différentes : cela dépend aussi du territoire et des problématiques auxquelles il est confronté. En revanche, dans le traitement des situations, il faut avoir une approche la plus fine possible en échangeant le plus possible et en croisant les regards. Cela permet de définir les moyens d'action et l'accompagnement à mettre en place.
Je voudrais évoquer le travail avec les parents, en particulier autour du cyberharcèlement, qui se déroule à travers les outils numériques à disposition des élèves. On parle du téléphone, mais on peut aussi parler des tablettes et des ordinateurs. Pour pouvoir questionner le cyberharcèlement et l'usage des réseaux sociaux, le travail avec les parents est indispensable. Il commence par la prévention - ce qu'on peut appeler le soutien à la parentalité. Comment accompagne-t-on les parents pour pouvoir se repérer dans les usages des réseaux sociaux ? On peut très vite être dépassé sur son fonctionnement. Les enfants savent mieux que nous comment le contrôle parental fonctionne et savent très bien le contourner. Se pose aussi la question d'autres réseaux sociaux. Facebook est apparu il y a 15 ans, avant que n'émergent Twitter et Snapchat, et désormais on passe à TikTok et Instagram. Il faut en permanence se remettre à jour, ce qui est déjà compliqué pour les professionnels, mais aussi pour les parents.
Sur la question de la formation des enseignants et des personnels, je pose un point d'interrogation. Vous parliez du vocable du harcèlement scolaire. Je mets aussi un bémol sur ce qu'on entend par la formation. Je fais ainsi une distinction entre formation et sensibilisation, qui ne nécessitent pas les mêmes moyens. La réelle formation sur le harcèlement permet d'appréhender la complexité de la situation de harcèlement, repérer les signaux faibles, savoir comment agir et vers qui se tourner : elle nécessite un vrai temps. Elle pourrait être reliée à la question de la formation sur le développement de l'enfant, l'adolescence, qui élargit au-delà du pédagogique la formation des enseignants.
Enfin, en ce qui concerne le repérage au sein des établissements, le plus compliqué n'est pas de repérer les signaux forts, où un événement précis se produit et permet de mettre à jour une situation compliquée. Le plus difficile est de repérer les situations avant qu'elles ne s'installent dans la durée et n'empirent. Cela demande d'identifier les signaux faibles, ce qui requiert un vrai travail d'équipe. L'infirmière a évoqué les consultations au sein des infirmeries, où les élèves viennent d'eux-mêmes, ce qui constitue une porte d'entrée. Chacun d'entre nous, au sein de nos missions, a des portes d'entrées différentes, avec un regard situé à un autre endroit. Le croisement permet d'identifier ce qui pourrait mis en place pour répondre à une fragilité particulière, voire une situation de harcèlement.
Je vais vous parler du rôle des infirmières de l'Éducation nationale dans les dispositifs de lutte contre le harcèlement. Ma collègue complètera sur les deux questions que vous avez posées.
Les personnels de l'Éducation nationale interviennent du premier degré est le sens de leur recrutement est la réussite scolaire. Un élève ou un étudiant harcelé a malheureusement de grandes chances de décrochage.
Les infirmières de l'Éducation nationale sont au centre des dispositifs de lutte contre le harcèlement, qui a un grave impact sur la santé mentale et physique et la réussite des élèves et étudiants. Elles sont au coeur des établissements : leurs missions sont l'accueil, l'écoute, le conseil, les soins, l'orientation et la protection. De par leur rôle propre, les infirmières de l'Éducation nationale sont seules à pouvoir pratiquer des consultations infirmières libres et gratuites à proximité des élèves en garantissant le secret professionnel.
Le besoin de libérer la parole des jeunes est facilité par notre présence au quotidien dans les établissements, où l'infirmerie est un lieu neutre identifié par nos jeunes. Elles assurent l'accompagnement des jeunes au long cours, grâce à des consultations régulières qui leur permettent d'analyser et repérer des situations de harcèlement et de protection de l'enfance. Bien souvent, les jeunes expriment des symptômes (maux de ventre ou de tête...) derrière lesquels se cachent souvent un mal-être et une souffrance. La relation de confiance avec le personnel de santé peut permettre de libérer leur parole et de dépister les situations de souffrance psychologique. Selon les situations, un suivi au long cours peut être proposé et si besoin, un accompagnement des familles et une orientation vers des structures de soins extérieures, ou d'autres professionnels de santé, ou encore des professionnels internes (assistants sociaux, PsyEN).
L'infirmière veille à la discrétion de la diffusion de l'information pour éviter la stigmatisation des élèves ou étudiants concernés.
L'infirmière de l'Éducation nationale fait partie intégrante des équipes éducatives et pédagogiques. Elle oeuvre dans la coordination des dispositifs et l'harmonisation des pratiques. Elle entretient un langage commun, aide à la mise en route des protocoles et des cellules de veille en assurant son rôle de conseillère technique des chefs d'établissement et, dans le premier degré, des PsyEN et des directeurs d'école. Elle travaille en équipe avec les assistants sociaux, les CPE, les psychologues scolaires et les professeurs. Grâce à son expertise, l'infirmière de l'Éducation nationale analyse des situations au quotidien qui lui permettent d'impulser des séances d'éducation à la santé, collectives ou individuelles. Par ses compétences, elle assure la formation des jeunes mais aussi des adultes, la sensibilisation au harcèlement notamment en lien avec le sujet réseaux sociaux. Je rebondis sur ce qu'a dit Brice Castel : il s'agit plus souvent de sensibilisations ; pour avoir des formations, il faut du temps.
L'infirmière permet le développement des compétences psychosociales des élèves, qui constituent des mesures de protection aux situations de harcèlement, notamment dans le premier degré. C'est en effet dès le plus jeune âge qu'il faut prévenir et sensibiliser sur ces phénomènes, et renforcer l'estime de soi, et ainsi éviter que les élèves et étudiants ne se retrouvent comme victime, agresseur ou témoin. En effet, sans spectateur, il n'existe le plus souvent pas de harcèlement.
Il faudrait renforcer le nombre d'infirmières sur le terrain, ce qui permettrait d'augmenter le nombre de consultations d'infirmières et le nombre de séance d'éducation à la santé. Nous constatons hélas que de nombreux établissements ouvrent sans poste d'infirmière. Il faudrait a minima une assistante sociale et une infirmière dans chaque établissement du second degré. Il est impératif de dégager du temps pour travailler en équipe. La lutte contre le harcèlement ne peut pas se départir du climat et de l'inclusion scolaires, car chaque membre de l'équipe éducative et pédagogique doit être à même de repérer les signaux pour intervenir au plus vite.
Je complète les propos de ma collègue.
Les enseignants sont-ils assez formés ? Je pense que ce n'est pas à nous de répondre à leur place.
Comme nous travaillons en professionnels et en équipes éducatives, on peut effectivement constater des manques de moyens et de temps. Je répète et soutiens ce qui a été dit à ce niveau : au-delà du besoin de formation, nos collègues et nous-mêmes avons besoin de temps pour prévenir et traiter les situations de harcèlement. Des phénomènes évoluent, ce qu'a remarqué l'assistant social. Mais former n'est pas suffisant. Il faut avoir du temps dans les équipes pour se réunir, discuter des situations, mettre en place les protocoles. Je souligne aussi, comme le SNICS en avant fait la demande pendant le confinement, la nécessité de pouvoir exercer des consultations infirmières à distance. Nous voudrions insister sur cette difficulté ressentie pendant le confinement et sur ce besoin qui n'a pas été facilité.
En ce qui concerne les procédures, il existe un protocole national, décliné dans chaque académie. Chaque département s'en est emparé. Notre rôle en tant que conseillère technique des chefs d'établissement - et dans le premier degré - est de favoriser la mise en place de ces protocoles et d'y sensibiliser les acteurs. Ce n'est toutefois pas suffisant : il faut des moyens humains et du temps pour être efficace dans la prévention et le repérage des phénomènes de harcèlement et cyberharcèlement.
Vous avez résumé ce qui s'est dit au cours de cette belle table ronde. Je note à quel point la question du temps a été essentielle. Elle l'est dans la lutte contre le phénomène de harcèlement et ce, à double titre. Tout d'abord, le temps manque dans l'appréhension du phénomène, la formation et la sensibilisation. Deuxièmement, on sent aussi que la lutte contre le harcèlement est une course contre la montre, avec la difficulté à repérer les signaux faibles et précoces, ce qui a un impact sur l'efficacité. Plus le phénomène a été identifié tôt, plus on peut lutter efficacement.
Vous avez aussi beaucoup utilisé le mot de continuum, qui illustre la conscience que nous avons, au sein de cette mission, que, une fois franchis les murs où le phénomène prend sa source, celui-ci se développe avec un effet boule de neige dans le foyer.
Mesdames, Monsieur, je vous remercie pour vos présentations qui constituent une substantielle contribution à notre réflexion.
Je voudrais prolonger ce moment pour préciser ce que vous avez dit.
Vous avez évoqué les stratégies que vous mettez en place pour repérer et désamorcer les cas de harcèlement et de cyberharcèlement, qui en est le prolongement. Comment se fait le lien avec le reste de la communauté éducative sur ce sujet ? Vous en faites partie : il y a les enseignants, les personnels médico-sociaux, et il y a les parents !
Il nous a été dit lors de précédentes auditions que les psychologues interviennent principalement dans les établissements sur le volet orientation et moins sur le volet psychologique. L'idée a été émise de mettre en place à l'échelle d'un bassin ou d'une ville, un psychologue de l'éducation nationale. Serait-ce un référent ? Il aurait en tout cas un poste ad hoc. Il s'occuperait des victimes, mais aussi du harceleur, et de toute la classe - dans une situation donnée. Qu'en pensez-vous ?
Je veux évoquer un troisième point : le signalement et les numéros consacrés au harcèlement scolaire : le 30 18 et le 30 20. Ces numéros sont-ils suffisamment connus des acteurs de la communauté éducative et des élèves ? Lors des auditions, il nous a été indiqué que le 30 20 était plus un numéro de signalement d'un harcèlement que d'accompagnement des enfants ou des familles. Estimez-vous que ces deux numéros répondent aux attentes ? Pensez-vous qu'il faille un numéro unique ? Dans ce registre, il apparaît que ces numéros devraient aussi être mieux affichés dans les établissements afin que tout le monde l'ait bien en tête.
Vous avez évoqué, dans vos interventions, le fait que parfois les adultes de l'établissement scolaire n'allaient pas bien, et donc qu'ils ne pouvaient pas prendre correctement en charge les élèves. Est-ce lié spécifiquement à la situation que nous connaissons depuis près de deux ans avec la Covid qui a eu de nombreuses répercussions, notamment sur les relations enseignants-élèves, ou est-ce que globalement les adultes ne vont pas bien ?
Vous avez évoqué les difficultés de mettre en place un travail transversal et pluridisciplinaires. Quelles sont les raisons, qui au sein d'un même établissement, rendent difficile ce travail collectif ?
Le harcèlement scolaire est un sujet identifié par le ministère depuis 10 ans. On en reparle aujourd'hui, en raison d'évènements récents. Estimez-vous que le phénomène de harcèlement scolaire soit en extension ? C'est un phénomène plus compliqué à cerner qu'il y a quelques années.
Vous évoquez la nécessité de pouvoir disposer d'un temps dans l'institution scolaire. Il me semble important qu'il y ait aussi un temps avec les parents. Lorsque vous évoquez ce temps partenarial, c'est uniquement « en intra-muros », au sein de l'institution scolaire. Quels sont vos liens avec d'autres institutions ? Je pense à la police/gendarmerie, la justice, le tissu social extérieur à l'établissement.
Dans mes fonctions de directrice d'école, à Saint-Barthélemy, j'ai eu à traiter des cas de harcèlement scolaire. Je souhaite apporter un témoignage qui viendra conforter ce qui a été dit en matière d'effectif, d'encadrement et de mal-être des enseignants. Le premier degré, l'école doit être une bulle de sérénité, où le contact est normalement plus facile. Plus une équipe est soudée, plus les enseignant se sentent à l'aise, et plus il y aura une prise en compte des enfants et de la famille, un développement d'un lien de confiance, qui va permettre de déceler des petits phénomènes de harcèlement, en lien avec la préadolescence. Je pense notamment aux élèves de 8-9 ans. Il est donc important de pouvoir disposer d'une équipe infirmière/éducatrice spécialisée pour pouvoir travailler avec l'école et les familles. Or, il se trouve que les établissements de Saint-Barthélemy sont dépendants de Saint-Martin - où se situe le psychologue de l'éducation nationale. Il était ainsi difficile de mettre en place quelque chose avec ce dernier. C'est la raison pour laquelle nous travaillons avec des bénévoles, parfois avec des parents d'élèves psychologues.
J'ai également été amenée à gérer du harcèlement scolaire qui prenait naissance en dehors de l'école : dans les activités périscolaires, dans des conflits de voisinage... La confiance mise en place faisait que les enfants se livraient plus facilement aux enseignants. Il y a en effet des situations où les enfants ont peur d'expliquer aux parents ce qui leur arrivent.
Ce qui m'a le plus touché, c'est la non-prise en compte du jeune harceleur : il est pointé du doigt, l'approche est principalement répressive, sans chercher à comprendre pourquoi il harcèle un autre enfant. À titre anecdotique, nous avions réussi à nouer une telle relation de confiance, que certains élèves du collège, revenaient nous voir et se confier à l'équipe du premier degré sur des sujets de harcèlement et de manière générale en cas de problème.
Nous constations que souvent, dans les cas de harcèlement que nous avons eu à connaître, l'enfant auteur connaissait des problèmes familiaux importants. Or, le collège n'était pas forcément au courant de la situation familiale de l'enfant. Si on veut endiguer le phénomène de harcèlement, il faut chercher ses causes.
Il y a souvent un effet « boule de neige » dans le harcèlement scolaire : un élève lance le harcèlement, et plusieurs élèves, pour faire partie du groupe, entrent dans le jeu, le font par amusement, sans se rendre compte du mal qu'ils font à autrui.
Il n'y a pas assez d'infirmiers scolaires ou de psychologues de l'éducation nationale. Les enseignants peuvent se trouver démunis, et certains parents agressifs. Certains parents sont également en détresse, et ont besoin d'être accompagnés pour gérer leurs adolescents.
Je souhaite intervenir sur l'identification des signaux faibles. Quel rôle doit jouer la vie scolaire, surtout au secondaire ? Il faut que les parents soient systématiquement informés en cas de bousculades, de chahut dans les couloirs, constatés par ces équipes qui connaissent très bien les élèves. Aujourd'hui ce n'est pas le cas. Cela pourrait conduire le parent à être plus attentif au comportement de son enfant. Les assistants d'éducation n'ont pas les outils pour cela : on ne fait pas entrer le parent dans l'établissement pour discuter.
Permettez-moi de vous faire part de mon expérience d'enseignante spécialisée. On nous a retiré de nombreux moyens jusqu'en 2008, à tel point qu'il était devenu impossible de faire correctement notre travail, car dans les mêmes temps les demandes augmentaient. Les psychologues de l'éducation nationale n'ont plus le temps de répondre aux sollicitations en cas de suspicion de handicap, en lien avec les maisons départementales des personnes handicapées.
Je suis convaincue qu'il faut mettre davantage de moyens très tôt à l'école. Au début de ma carrière il existait les groupes d'aide psycho-pédagogique. Il n'y a aujourd'hui plus de moyens. À la fin de ma carrière, je m'occupais de 43 communes, avec 230 demandes d'aide par année scolaire, soit 10 % de la population scolaire. Et nous étions deux. Une telle situation est difficile à vivre pour les personnels assistants sociaux et infirmiers de l'éducation nationale : leur travail n'a plus de sens. Quand j'entends parler de manque de temps, ce que cela veut dire de manière très concrète c'est un manque de personnels. Les personnels spécialisés sont constamment sur le terrain, et ne peuvent pas donner plus que ce qu'ils donnent déjà aujourd'hui.
Avant de vous répondre, je souhaite préciser que j'ai focalisé mon intervention liminaire sur la question du climat scolaire afin de condenser mes propos. Bien évidemment, je partage tout ce que mes collègues ont dit.
Si j'ai parlé du climat scolaire et de l'état psychologique des équipes, c'est parce que des études démontrent que les phénomènes de harcèlement scolaire et de violence sont amoindris, même dans des milieux très durs - une étude portait sur les favelas au Brésil - si le climat scolaire est positif, si les gens s'y sentent bien pour travailler et si les enfants estiment que les adultes sont des personnes ressources. C'est en ce sens que je parlais d'une approche systémique. C'est un mode de prévention à moindre coût, puisqu'il s'agit non pas d'augmenter les moyens mais de faire en sorte que les gens travaillent dans de bonnes conditions. Or, ce n'est pas le cas actuellement.
Une école bienveillante, avec un bon climat scolaire, doit avoir une vraie relation avec les parents. Le climat scolaire est constitué de sept piliers, dont la justice et la coéducation.
Ce malaise est-il lié au contexte sanitaire ? La crise sanitaire a eu des conséquences, mais comme je l'ai dit le train actuel des réformes qui touchent tous les contenus, les formes pédagogiques, les diplômes, et absorbent toutes les formations, ont un impact déstabilisant sur ces questions transversales.
Faut-il des psychologues dédiés en matière de harcèlement ? Pour moi, ce serait une erreur, car la prévention du harcèlement s'inscrit dans un travail d'équipe et dans un lieu. C'est la différence entre une démarche collective et systémique qui vise à prévenir le harcèlement, et une démarche d'accompagnement qui intervient a posteriori pour la victime et l'auteur.
Madame l'a évoqué. Il existait auparavant des groupes d'aides, des réseaux. Ceux-ci ont été déconstruits en raison d'un manque de recrutement. Même en matière d'orientation, nous sommes dans de la gestion de crise, alors qu'il s'agit d'une de nos missions importantes.
Un collège, un lycée ou une école travaille avec des partenaires extérieurs à l'établissement, notamment les associations de préventions éducatives, les centres médico-psychologiques (CMP). Les psychologues de l'éducation nationale tiennent aussi des permanences dans les CIO. Tout se tisse dans le temps long. On apprend à travailler ensemble sur des bases qui doivent être connus. Or, les équipent changent beaucoup. 40 % des psychologues de l'éducation nationale sont non-titulaires. Il y a un turn-over important, notamment en début d'année. Ce dernier, associé à des contrats précaires, ne permet pas une parole solide de l'institution.
Ce turn-over est également important dans les équipes de vie scolaire. Assistant d'éducation (AED) est un métier usant, peu reconnu. Les AED ont également des contrats de droit privé. Dans mon collège, l'équipe est solide. Certains AED sont référents de classe, ils peuvent appeler les familles et faire le lien avec eux. Mais cela dépend de chaque établissement.
Enfin, les adultes présents dans un établissement vont au-delà de la seule communauté éducative. Il ne faut pas les oublier. Mais le turn-over peut également être important en fonction des communes.
Vous posiez la question des élèves médiateurs. La médiation par les pairs est quelque chose de très intéressant. C'est une formation que l'on dit normalement « en cascade ». Des gens formés à la médiation - par des associations souvent - par les pairs, peuvent eux-mêmes former des élèves mais aussi des adultes, qui pourront à leur tour former des élèves et des adultes.
C'est très intéressant et cela aborde beaucoup d'éléments dont on ne parle pas dans les phénomènes de harcèlement.
Les élèves harceleurs et harcelés ont souvent des difficultés à s'exprimer, à exprimer leurs émotions, leurs difficultés, et deviennent soit violents, soit moqueurs, soit victimes. Avec la médiation par les pairs, est beaucoup travaillée l'expression des émotions, des besoins, de la reconnaissance des émotions, l'estime de soi. Tout un travail est fait sur l'élève. Les adultes enseignants formés découvrent cela car il n'y a pas de formation en psychologie de l'enfant et de l'adolescent. C'est très dommage. Cela devrait être une fondation et pas une décoration dans la formation des enseignants : cela permettrait au professeur d'enseigner sa matière mais aussi de se sentir à l'aise avec les élèves, ce qui n'est pas toujours le cas.
Je trouve la fonction d'élèves médiateurs très intéressante. En revanche, pour l'avoir mis en place dans mon établissement, c'est extrêmement chronophage et cela demande énormément de travail avec toutes les équipes. C'est difficile à faire perdurer dans le temps, mais c'est néanmoins très intéressant.
Concernant les référents, il existe des référents académiques dans le cadre de l'éducation à la sexualité pour laquelle on parle aussi de « discrimination » et de « harcèlement ». Il serait utile d'avoir des référents académiques concernant le harcèlement, les violences scolaires, et le climat scolaire, ce qui permettrait de former les adultes au niveau du temps.
Je partage ce qui a été dit. Concernant le travail en équipe au sein d'un même établissement, vous nous demandiez pourquoi ce serait difficile à mettre en oeuvre. Je suis assistant scolaire depuis 15 ans et je n'ai jamais pu rencontrer la psychologue scolaire de mon établissement car nous partageons systématiquement le même bureau, ce qui fait que nous sommes présents sur des jours différents. C'est une illustration d'une des difficultés de pouvoir travailler en équipe. Cette question-là de temps de présence sur les établissements génère parfois une incapacité de se rencontrer.
Je souhaitais revenir sur le travail de partenariat. Effectivement, au sein des territoires nous travaillons avec des partenaires, notamment les parquets. En tant qu'assistants sociaux et assistantes sociales, en lien avec la protection de l'enfance, nous sommes régulièrement amenés (tout dépend des secteurs et des situations) à transmettre des signalements à la justice pour des situations de protection de l'enfance. Un lien se fait donc, une connaissance réciproque. Pareillement, des conventions sont souvent établies entre l'Éducation nationale, les Parquets et les conseils départementaux sur ces sujets-là.
Il nous est demandé depuis des années d'avoir un service social du premier degré. Nous sommes bien conscients, lorsque l'on parle du premier degré, que le harcèlement peut être élargi à d'autres problématiques. Une vraie difficulté persiste sur le fait que dans le premier degré, bien souvent, les équipes enseignantes sont seules en interne, il n'y a pas d'équipe complémentaire comme il peut y en avoir dans le second degré. Dans le second degré elles ne sont souvent pas assez abondées en termes de moyens pour avoir une équipe pluri professionnelle à temps plein dans chaque établissement. Le service social est très peu présent. C'est pourtant un point qui nous parait essentiel.
Vous évoquiez le travail fait avec les services sociaux des départements. Il y a un vrai apport sur ces sujets-là. Le service social scolaire a cette double culture à la fois du service social mais aussi de l'Éducation nationale qui est un peu un « monde à part » avec ses codes, ses cibles, ses fonctionnements. Nous avons cette spécificité de pouvoir faire le lien plus facilement et expliciter de chaque côté les points de tension qui peuvent émerger parce que ces deux mondes ne se connaissent pas forcément dans le détail, n'ont pas la même temporalité et ont d'autres contraintes.
Concernant les numéros, pour le harcèlement le 30 18 et le 30 20 ont été évoqués. Je mets de côté le 30 18 car j'en maîtrise moins les dessous. Je connais le 30 20, son utilité, comment il fonctionne, etc. Il peut être utile pour des parents, des familles en conflit avec les établissements, lorsque le dialogue est parfois rompu puisque cela permet de faire intervenir un tiers médiateur externe à l'établissement et essayer de renouer le dialogue. Le traitement de ces situations de harcèlement passe avant tout par un dialogue soutenu, commun, le plus souvent possible.
Pour les élèves, c'est vraiment le temps de présence au sein des établissements qui est important. C'est toute la richesse des équipes car les enfants choisissent l'adulte auprès duquel ils vont se confier. Ce dernier peut ensuite travailler en équipe et y trouver un soutien quand il est interpellé sur des choses pour lesquelles il ne sait pas comment faire.
Le téléphone est complémentaire mais souvent les appels redescendent jusqu'à nous : ma cheffe de service m'interpelle alors, m'énonce que nous avons été saisis de telle situation, et me demande ce que l'on peut faire, et comment traiter les choses.
La question du harcèlement est traitée « à côté » : il y a l'élève au centre, la pédagogie, et le harcèlement ensuite, comme l'on peut traiter de la protection de l'enfance ou de la santé dans des sphères séparées. Nous sommes au contraire convaincus qu'il faut prendre en charge l'enfant dans la globalité pour ensuite traiter les questions pédagogiques et la réussite scolaire de tous. C'est bien pour cela que nous revenons sur ces questions. Il y a un changement logique. La question sociale de santé doit infuser tout le reste, plutôt que d'être traitée dans un second temps.
Je partage tout ce qui a été dit.
J'ai participé au système des élèves médiateurs mis en place dans mon collège. C'est un très bon dispositif. Il est à suivre de très près, notamment pour les élèves de collège qui sont parfois tellement investis par la mission qu'ils peuvent eux-mêmes commencer à aller mal. Certains accumulent, ce sont des éponges, et il faut faire attention à ce que ce travail soit fait sérieusement, et qu'ils soient accompagnés par des personnes formées.
Dans l'académie de Lyon, a été mise en place une formation au harcèlement qui s'est écoulée comme formation par rapport au climat scolaire. On arrivait toujours à la même conclusion : le harcèlement arrivait suite à une défaillance du climat scolaire, du bien vivre ensemble et du bien-être dans les apprentissages.
Il faut vraiment s'investir dans le développement de compétences psychosociales dès le plus jeune âge, pour renforcer la possibilité pour les élèves de ne pas se retrouver ni témoins, ni agresseurs, mais qu'ils puissent avoir les signaux et les portes à ouvrir quand ils ont un problème (que ce soit à la maison ou à l'école). Plus on désamorcera tout ça tôt, moins on se retrouvera face à une situation dramatique. Des suicides surviennent malheureusement encore aujourd'hui. C'est inadmissible.
Des cellules dans les collèges existent. Tout un protocole est mis en place. On ne reste jamais seul face à une situation de harcèlement.
Concernant la communication et le travail en équipe, ce n'est pas un problème de volonté, mais la communication ne sera pas forcément évidente qu'elle soit répartie sur plusieurs écoles ou qu'elle soit sur un établissement public local d'enseignement (EPLE), en fonction des profils de postes des collègues, en fonction de la structure de l'EPLE ou de l'architecture (1 hectare ou 9 hectares), en fonction des missions aussi. D'autant plus que des missions supplémentaires nous ont été attribuées avec le contact tracing, les tests antigéniques...
Certes, la cellule de veille permet d'avoir un regard croisé avec les collègues, mais la mission de prévention de l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (Inpes) a montré que les chiffres du mal être ont quasiment doublé : elle a constaté une augmentation du mal-être sans cause initiale apparente et sans facteur de vulnérabilité préalable.
Malgré la bonne volonté de la communauté, et sans compter sur la perspective de la loi 4D pour les collègues infirmières, beaucoup d'éléments compliquent la vie de la communauté éducative.
Pour les enseignants, c'est la réforme à laquelle se sont ajoutés le protocole sanitaire, l'hybridation et les enseignements à distance. Le personnel se retrouve fragilisé et peu disponible pour faire le reste.
Pour les assistants d'éducation, on retrouve une bonne volonté de chacun mais parfois un manque de formations car étant liés par des contrats privés, il reste compliqué de les financer.
Concernant les partenaires extérieurs, il y a certes les référents de prévention de la police, avec lesquels nous travaillons autant que possible, mais aussi la maison des adolescents et les promeneurs du net, le Centre médico-psychologique (CMP). C'est un travail d'adhésion. Tout se fait au cas par cas.
Concernant les numéros 30 18, 30 20, pour la communauté éducative, ils ne sont pas forcément connus et reconnus.
Pour les ambassadeurs, c'est un système intéressant de pairs par les pairs, mais il est important qu'il y ait un accompagnement, un étayage, pour ne pas qu'ils se retrouvent seuls, tout en sachant que c'est la libération de la parole de l'élève qui importe, afin de lui permettre de s'expliquer. On découvre parfois des années plus tard qu'il s'est passé des choses.
J'ai regardé les publications faites par l'administration, que l'on demande quand il y a des concours, des classes. Je suis impressionnée par le manque de présence des adultes dans les vidéos et photomontages. Ils apparaissent parfois très loin. C'est un signal plutôt négatif et très fort que l'on envoie aux enfants : « les adultes ne sont pas présents ». C'est assez grave et il faut que l'on y fasse attention.
Nous sentons à quel point vous connaissez bien le sujet et avez la volonté de faire changer les choses malgré le manque de temps et de moyens. Je vous remercie pour la qualité de ces échanges.
La réunion est close à 18 h 05.