Mes chers collègues, M. Jean-François Rapin me prie de vous demander de bien vouloir excuser son absence ce matin. Il accompagne le président Larcher en déplacement et leur départ intervient finalement trop tôt aujourd'hui pour lui permettre de présider notre réunion de commission. Il m'a donc demandé de le suppléer et, en premier lieu, de vous présenter la communication qu'il avait préparée pour dresser le bilan de la présidence française de l'Union européenne qui s'est achevée le 30 juin dernier. J'aurai sur ce sujet l'occasion de m'exprimer à titre personnel mardi prochain en séance plénière.
Le Gouvernement tire évidemment un bilan très positif de la présidence française qui s'est déroulée au premier semestre 2022, malgré - nous l'avions déjà déploré - la concomitance d'échéances électorales importantes pour notre pays. C'était un choix délibéré du Président de la République que de ne pas demander de report. Il faut pourtant reconnaître que, même si des accords ont été trouvés au Conseil jusqu'aux derniers jours de juin sous l'impulsion des fonctionnaires français, ce fut de fait, du point de vue politique, une présidence accélérée, voire tronquée. La France a d'ailleurs manqué de temps pour convaincre ses partenaires sur certains projets législatifs, notamment le financement des partis politiques européens et la transparence de la publicité politique, dont le Président de la République voulait faire une priorité afin de renforcer la démocratie en Europe et sur lesquels notre commission avait dû se positionner en urgence avant la suspension des travaux parlementaires.
Il reste que, dans l'ensemble, les grands dossiers européens ont indéniablement avancé sous la présidence française ; le Gouvernement ne manque d'ailleurs pas de s'en vanter. Mais il nous revient de gratter un peu derrière ce vernis de façade : les avancées enregistrées ce semestre tiennent autant, voire plus, à la Commission européenne qu'aux efforts français : c'est la Commission qui a donné le tempo, elle a suivi son programme de travail et publié les textes annoncés aux dates prévues. Quant au Conseil, il faut souligner que la voilure de la présidence française était réduite en 2022 par rapport à 2008 : d'une part, le Conseil européen n'était pas cette fois-ci présidé par la France, puisque celui-ci a dorénavant un président permanent, actuellement M. Charles Michel ; d'autre part, le Conseil n'était pas non plus présidé par la France dans sa formation Affaires étrangères, puisque cette présidence est désormais assumée par le haut représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, aujourd'hui M. Josep Borrell. On ne doit pas pour autant négliger les réels efforts qu'a fournis la France, qui présidait les dix autres formations du Conseil, pour y favoriser l'obtention de compromis.
Avant de parler du fond, je veux émettre une réserve d'ordre général : dans le bilan élogieux que le Gouvernement dresse de ce semestre, il revendique pêle-mêle comme des avancées françaises aussi bien des accords politiques trouvés au Conseil que le simple lancement d'initiatives dont l'aboutissement est très loin d'être acquis ; le poids du Parlement européen lors des trilogues délicats qui s'annoncent pour finaliser certains textes emblématiques est aussi passé sous silence.
Sur le fond, la présidence française fut à nouveau, comme en 2008 avec la crise financière, bouleversée par une crise d'envergure, cette fois-ci géostratégique : l'agression russe contre l'Ukraine. L'Union européenne s'est naturellement mobilisée pour y réagir ; de fait, cette réponse a été le point focal des deux derniers tiers de la présidence française. La France n'a pas failli à sa mission, parvenant à maintenir l'unité des États membres et à faire adopter le déploiement rapide d'une aide militaire à l'Ukraine, six paquets de sanctions envers la Russie, une protection temporaire et une aide humanitaire pour l'accueil de 5 millions de réfugiés ukrainiens, comme le président Rapin a pu le constater en Slovaquie et en Pologne au mois de mai, ou encore une réorientation de l'approvisionnement énergétique de l'Europe.
Comment la crise ukrainienne a-t-elle interféré avec les priorités de la présidence française ? On peut en dernière analyse considérer qu'elle a plutôt servi l'ambition française d'amener l'Europe à se penser comme puissance, en fournissant des arguments en faveur de l'impératif de souveraineté stratégique pour lequel la France plaide depuis longtemps, mais que certains États membres refusaient d'entendre.
De fait, des progrès importants ont été accomplis sur la voie de la souveraineté stratégique, mais il nous revient d'en révéler les zones d'ombre. Certes, en matière de défense, l'Europe est enfin sortie de la naïveté : l'activation de la facilité européenne pour la paix en soutien à l'Ukraine, l'adoption de la boussole stratégique, avec le projet de création d'une capacité de déploiement rapide, le soutien des États membres réunis à Versailles à un renforcement des investissements européens en matière de défense, toutes ces étapes assurément décisives sont mises en avant par le Gouvernement. Néanmoins, il ne faut pas occulter que le retour en force de l'OTAN et le rééquipement militaire accéléré des États membres profitent surtout aux États-Unis. Le discours sur l'Europe de la défense s'en trouve décrédibilisé ; dans les faits, l'achat d'équipements américains par la Pologne, la Roumanie, ou même l'Allemagne place l'Europe dans une dépendance nouvelle envers les États-Unis pour plusieurs décennies et rien ne garantit que l'effort d'investissement européen annoncé en matière de défense profitera à l'industrie militaire européenne et en particulier française.
Deuxième volet de souveraineté brutalement devenu prioritaire : la souveraineté énergétique. Sur ce plan, le semestre de présidence française a donné lieu à une réorientation des approvisionnements européens, avec l'interdiction des importations de charbon et pétrole russes, à l'adoption d'un règlement sur les réserves stratégiques de gaz prévoyant la constitution de stocks pour l'hiver et un partage solidaire des installations de stockage, et à de nouvelles propositions législatives visant à accélérer le développement des énergies renouvelables. Cela ne suffira cependant pas à rendre l'Europe souveraine en matière énergétique, et pourrait même la faire entrer dans de nouvelles dépendances vis-à-vis de fournisseurs alternatifs d'énergie fossile, mais aussi de la Chine, dont l'Europe a besoin pour s'équiper en batteries électriques et en panneaux photovoltaïques si elle veut atteindre ses objectifs climatiques.
En matière spatiale, le volontarisme de la présidence française a permis, après seulement quatre mois de négociations, de trouver un accord sur la proposition de règlement visant à mettre en place une constellation de connectivité sécurisée européenne. C'est un élément important de souveraineté, mais, là aussi, il ne faudrait pas céder au triomphalisme : il y a encore un long chemin à parcourir, technologique et financier, et nous espérons que notre lanceur Ariane 6, dans le cadre de la préférence européenne, pourra être prêt et disponible pour la mise en place de la constellation.
Autre avancée valorisée par le Gouvernement : les nouveaux outils de régulation au service de la souveraineté numérique. La présidence française peut se targuer de l'accord obtenu en trilogue sur une législation sur les services numériques, le Digital Services Act (DSA), qui crée un cadre européen commun pour retirer d'internet les propos ou produits illicites et préjudiciables et qui interdit la publicité ciblée sur des données personnelles sensibles. L'accord obtenu sur le Digital Markets Act (DMA), qui régule les marchés numériques, est aussi une bonne nouvelle si l'on veut freiner la domination des grandes plateformes, devenues de véritables contrôleurs d'accès. Mais au plan industriel, ne rêvons pas ! Ainsi, il n'est pas dit que le European Chips Act permettra d'augmenter la production européenne de puces : l'effort financier européen pourrait là encore bénéficier à des entreprises étrangères. En outre, le développement d'écosystèmes industriels européens reste entravé par le statu quo des règles de concurrence européenne, qui empêchent toujours les concentrations nécessaires à l'émergence de champions européens.
Il faut néanmoins saluer le progrès que représente pour la souveraineté économique européenne l'adoption, après dix ans de négociations, du règlement destiné à assurer la réciprocité dans l'accès aux marchés publics et la prochaine finalisation de l'outil de lutte contre les subventions étrangères qui rendent les entreprises d'États tiers plus concurrentielles que nos entreprises soumises aux règles européennes en matière d'aides d'État.
Malgré ces progrès, un pan entier de notre souveraineté économique reste négligé : la souveraineté alimentaire. Ce sujet est le grand absent du panégyrique du Gouvernement sur son semestre de présidence : on n'y trouve aucune allusion à l'enjeu agricole. En dépit de nos demandes répétées, en dépit des électrochocs du covid, puis de la guerre en Ukraine, la nouvelle politique agricole commune délaisse les objectifs de production ; la priorité reste donnée à son verdissement, malgré le spectre d'une pénurie alimentaire mondiale. Seules les règles de jachère ont été suspendues, et non le volet agricole du Green Deal. Cela fait partie des angles morts de la présidence française. J'ajouterai à cela l'inquiétude que provoque l'annonce par l'Union européenne, trois jours après la fin de la présidence française, de la prochaine conclusion d'un accord de libre-échange avec la Nouvelle-Zélande.
Je ne saurais être exhaustif, mais je veux déplorer les autres lacunes les plus importantes de cette présidence. D'abord, la France a perdu la direction de l'agence la plus puissante de l'Union européenne, Frontex. Je ne reviendrai pas sur les conditions de la démission de son directeur exécutif, mais je veux ici dénoncer la passivité du Gouvernement : il se flatte d'avoir désembourbé les négociations sur le projet de pacte asile-migration grâce à une approche graduelle - dégel qui tient aussi à l'afflux de réfugiés ukrainiens, qui a changé le contexte des négociations -, mais il n'a pas ouvertement pris parti pour affirmer que la mission de Frontex est de surveiller les frontières extérieures dans le respect des droits fondamentaux et non de contrôler le respect par les États membres des droits fondamentaux, ce à quoi une autre agence européenne se consacre déjà.
Un deuxième enjeu me semble avoir été négligé par la présidence française : l'avenir de la zone euro. Le débat attendu sur l'évolution du pacte de stabilité et de croissance n'a pas eu lieu. Surtout, alors que les dettes publiques ont été creusées par la crise sanitaire et que les taux d'intérêt remontent pour contrecarrer la flambée inflationniste, les écarts de taux obligataires vont nécessairement s'accentuer, menaçant la cohésion de la zone euro. En outre, aucun progrès substantiel n'a été enregistré en matière d'union bancaire, dont le troisième pilier - la garantie des dépôts - fait cruellement défaut, ni en matière d'union des marchés de capitaux. On peut aussi s'inquiéter de la crédibilité de l'Union sur les marchés, dès lors que les nouvelles ressources propres destinées à rembourser le plan de relance européen restent très floues. Même la taxe carbone aux frontières, dont la France revendique d'avoir obtenu la création, reste à finaliser.
Troisième sujet délaissé par la présidence française, alors que c'était l'une de ses trois priorités affichées : le sentiment d'appartenance. Ce sujet de long terme n'a pas été suffisamment investi, alors qu'il conditionne l'avenir de l'Union. L'élargissement accéléré que celle-ci s'apprête à vivre sous la pression du conflit ukrainien rend pourtant vital un renouvellement de son fonctionnement, de manière à favoriser l'appropriation citoyenne du projet européen, notamment par la jeunesse. La proposition de « communauté politique européenne » a été avancée in extremis par le Président de la République et à peine débattue au Conseil européen ; elle ne résoudrait pas, de toute façon, le défi fondamental de la démocratisation de l'Union européenne et élude la contribution que les parlements nationaux pourraient apporter en ce domaine. La Conférence sur l'avenir de l'Europe qui s'est achevée le 9 mai aurait pu permettre de dessiner des pistes d'avenir pour rendre l'Union capable de supporter de nouveaux élargissements, mais elle ne l'a pas fait. Son calendrier contraint l'en a sans doute empêchée ; il a surtout créé une nouvelle confusion chez nos concitoyens, qui ont peiné à distinguer cette conférence de la présidence française de l'Union européenne. Ce chantier de long terme reste donc devant nous. Espérons qu'il sera mené par nos successeurs tchèques !
Nous recevons à présent l'ambassadeur de la République tchèque en France, Son Excellence M. Michal Fleischmann. Merci, monsieur l'ambassadeur, d'avoir accepté de venir ce matin présenter devant notre commission les priorités de votre pays, qui prend le relais du nôtre à la présidence du Conseil de l'Union européenne.
Il nous intéressera de voir quels axes la présidence tchèque entend poursuivre et, notamment, si elle sera à même de combler les lacunes que j'ai pu pointer en tirant le bilan de la présidence française, s'agissant de la souveraineté alimentaire de l'Union européenne, de l'enjeu migratoire, de l'avenir de la zone euro, ou encore de l'appropriation citoyenne du projet européen.
La République tchèque a remplacé la France à la présidence du Conseil de l'Union européenne le 1er juillet dernier, dans un contexte très grave. C'est la deuxième fois que mon pays assure cette présidence.
Je veux commencer mon propos par un aperçu historique : l'histoire offre des enseignements, mais elle a aussi des retombées sur toutes les présidences. En 1996, lors de la remise du prix Charlemagne, le président de la République tchèque, Vaclav Havel, s'est penché sur l'avenir de notre continent dans un discours intitulé « L'Europe comme mission ». Il s'y appuyait sur la phrase de Hegel : « C'est au crépuscule que la chouette de Minerve prend son envol », pour souligner qu'il faut se rendre compte des leçons du passé pour mieux aborder notre avenir. On n'apprend la réalité des choses qu'après les avoir achevées, toujours un peu trop tard. Dans le contexte international d'alors, très favorable aux démocraties occidentales, Havel invitait les Européens à redécouvrir leur conscience et à assumer la responsabilité des défis environnementaux, sociaux et économiques. Il ne s'agissait pas pour l'Europe de retrouver son rôle de chef d'orchestre universel ou d'imposer ses valeurs au reste du monde : elle devait plutôt servir d'inspiration et d'exemple.
L'invasion de l'Ukraine par la Fédération de Russie a radicalement modifié la situation géopolitique de notre continent. L'Europe a découvert une crise provoquée par des menaces extérieures auxquelles elle ne s'attendait pas. Elle a réagi de manière impressionnante, rapide, efficace et unie, à la surprise de certains observateurs, voire du chef du Kremlin.
L'unité européenne n'est pas une unanimité autoritaire ; elle se trouve dans la diversité d'un débat polyphonique guidé par des valeurs communes qui tend vers le consensus. On constate que la culture du dialogue politique forgée par des décennies de travail en commun se trouve être un élément fort du projet européen et non l'une de ses faiblesses.
L'agression brutale aux frontières orientales de notre communauté nous a également montré que nous devons trouver le courage de réviser bon nombre de nos approches et de nos présupposés. C'est pourquoi nous interprétons la devise « L'Europe comme mission », choisie par la Tchéquie pour sa présidence, comme un appel à mener une réflexion commune, mais surtout à la responsabilité et à une action résolue fondée sur les valeurs. Si nous voulons être à la hauteur de ce moment historique, il nous faut repenser, reconstruire et renforcer l'Europe, comme Vaclav Havel nous y invitait.
La réflexion commune sur les défis européens doit donc trouver le plus rapidement possible une traduction politique qui garantisse la sécurité et la paix sur notre continent et guide l'Union dans la poursuite de ses objectifs de long terme, comme les transitions écologique et numérique. Ainsi, on fera face à la crise actuelle en matière de sécurité énergétique et d'aide humanitaire, et l'on résoudra les questions économiques et sociales engendrées par la pandémie et exacerbées par l'agression russe.
L'objectif général de la présidence tchèque est de créer des conditions propices à la sécurité et à la prospérité de l'Union européenne en s'appuyant sur les valeurs de liberté, de justice sociale, de démocratie, d'État de droit et de responsabilité environnementale. L'UE doit s'attacher à assurer la sécurité du continent, avec l'OTAN, et à garantir la résilience stratégique et la compétitivité de l'économie européenne. Aux côtés des États-Unis et d'autres États démocratiques, elle doit devenir une base solide pour une communauté stratégique défendant les valeurs fondamentales, les droits de l'Homme, le mode de vie libre et la démocratie libérale.
Pour atteindre cet objectif, la République tchèque a identifié cinq domaines prioritaires pour sa présidence du Conseil de l'Union européenne, tous liés au contexte actuel.
Le premier thème dont nous souhaitons la discussion à l'échelle européenne est la gestion de la crise des réfugiés et la préparation de la reconstruction de l'Ukraine. Notre présidence soutiendra les efforts déployés par l'UE pour défendre la souveraineté et l'intégrité territoriale de l'Ukraine, y compris le renforcement des sanctions. Le soutien politique et militaire de l'Union et de ses États membres à l'Ukraine est dans l'intérêt vital de l'Union. Nous sommes donc très heureux de l'octroi du statut de candidat à l'Ukraine et à la Moldavie.
L'agression russe a provoqué la plus grave crise de réfugiés en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale. L'UE doit prendre toutes les mesures nécessaires pour faire face à cette vague, constituée largement de femmes et d'enfants fuyant la guerre. Il faut mobiliser toutes les ressources et l'expertise disponibles et les utiliser de manière coordonnée, selon les principes de solidarité, d'efficacité et de flexibilité. La Tchéquie accueille 370 000 réfugiés, soit 3,7 % de sa population, une proportion énorme, quoique bien moindre qu'en Pologne. Les Tchèques parviennent à bien s'en occuper : plus de 25 % des adultes réfugiés ont trouvé du travail et tous les enfants sont scolarisés. L'accent sera mis, avec la Commission, sur des transferts souples de fonds et la mise en place des structures nécessaires pour aider les États membres et les organisations civiles les plus touchées. La priorité sera la protection des enfants et leur accès à l'éducation. La participation des femmes au marché du travail nécessitera des capacités d'accueil suffisantes pour les petits enfants et les activités extrascolaires. La coordination en matière de soins sera aussi une priorité importante. Notre présidence recherchera une coopération européenne solidaire et efficace pour que l'intégration de long terme des réfugiés ukrainiens dans les États membres de l'UE soit couronnée de succès.
Une autre tâche importante de la présidence tchèque consistera à reconstruire l'Ukraine après la guerre, que nous espérons rapidement terminée. Nous mettons l'accent sur le rétablissement des infrastructures critiques, la fourniture des services essentiels, le renforcement de la résilience et la stabilisation de l'économie ukrainienne. Certains pas ont été faits dans ce sens à Lugano ; une réflexion est en cours pour répartir les secteurs d'aide économique entre les États membres en fonction de leurs compétences. Une coopération étroite de l'UE avec l'Ukraine sera essentielle, ainsi que la mise à disposition de tous les fonds nécessaires provenant de tout le monde libre.
Le deuxième thème de notre présidence est également lié à l'invasion russe : il concerne la nécessaire sécurité énergétique de l'Union européenne. Celle-ci ne peut pas dépendre de pays qui menacent directement sa sécurité, au premier rang desquels la Russie. Notre présidence se penchera sur ces questions, qui ont pris une place prépondérante dans le cadre de la transition énergétique, et agira pour une mise en place rapide de l'initiative REPowerEU.
La diversification des sources d'énergie, les économies d'énergie et l'accélération de la transition vers les sources faiblement émettrices et renouvelables participent à la sécurité énergétique. Nous entendons travailler à la mise en oeuvre de la régulation des stocks de gaz et encourager les achats groupés sur une base de volontariat, afin de bénéficier d'effets de levier similaires à ceux que l'UE a utilisés pour l'achat de vaccins. La décarbonation de l'industrie européenne et le passage du gaz naturel à l'hydrogène nécessiteront la mise en place de plans très ambitieux de développement des infrastructures, du stockage et des terminaux pour l'hydrogène. Le paquet « Fit for 55 » constitue la base de la politique de décarbonation de l`Union.
Notre présidence accordera la priorité à l'objectif principal de court terme : l'élimination de la dépendance européenne à l'égard des combustibles fossiles russes. Elle s'intéressera également à l'efficacité énergétique et à l'utilisation des énergies renouvelables, ainsi qu'au développement des structures permettant de renforcer la résilience énergétique dans son ensemble. Nous affirmerons aussi le rôle de l'énergie nucléaire pour la sécurité énergétique et l'atteinte des objectifs climatiques de l'Union et de tous ses membres. Hier, à Strasbourg, un grand pas a été fait : l'inclusion de l'énergie nucléaire dans la taxonomie verte européenne. Nous remercions la France d'avoir été au coeur de ce combat, d'importance également vitale pour un pays comme le nôtre, dépourvu de ressources fossiles et trop petit pour l'énergie éolienne. Dans le domaine des transports, la présidence tchèque se focalisera sur la réduction des émissions par la promotion de modes de transport respectueux de l'environnement et des infrastructures pour les carburants de substitution. Elle se concentrera également sur le développement du réseau transeuropéen de transport (RTE-T), afin de faciliter les flux entre les États, tout en favorisant la décarbonation - il y a des pays qui sont insuffisamment reliés aux autres et il faut y remédier.
La présidence tchèque se penchera également sur la mise en avant d'une combinaison appropriée d'instruments permettant de réduire les conséquences sociales et économiques néfastes de la hausse des prix de l'énergie. La transition vers la neutralité carbone doit s'accompagner de mesures sociales efficaces, comme la promotion des économies d'énergie par les ménages. En République tchèque, l'inflation sera cette année de 13,5 %, mais les prix de l'énergie auront augmenté de 16 % - cette hausse énorme met en danger la vie des entreprises et plonge les ménages dans les difficultés.
Troisième priorité : renforcer la capacité de défense de l'Europe, et la sécurité du cyberespace. Compte tenu de l'instabilité croissante à l'échelle mondiale, la présidence tchèque se concentrera sur le renforcement de la sécurité et des capacités de défense, notamment en partenariat avec l'OTAN. L'accent sera mis spécifiquement sur le soutien à la mise en oeuvre des tâches clés identifiées dans le cadre de la « boussole stratégique ». Le logo de la présidence tchèque, avec les aiguilles d'une boussole aux couleurs de tous les drapeaux des États membres de l'Union, témoigne de notre attachement à ce symbole.
Il est essentiel de développer une coopération à long terme sur les systèmes militaires stratégiques. Outre la mise en place des capacités existantes, y compris des capacités de soutien qui s'appuient sur les technologies existantes, la présidence tchèque se focalisera sur la coopération et les investissements visant à réduire la dépendance technologique, en particulier en ce qui concerne les nouvelles technologies disruptives, et sur le renforcement de la résilience des chaînes de valeurs critiques nécessaires à ces technologies. Il est également essentiel de renforcer la base industrielle de technologie et de défense au sein de l'Union européenne.
La présidence tchèque se penchera en même temps sur les cybermenaces et le contexte géopolitique des nouvelles technologies, notamment dans l'espace. Elle mettra également l'accent sur le développement rapide de la boîte à outils hybride, la lutte contre la désinformation et la sécurité du cyberespace. La présidence tchèque accordera une attention particulière à la cybersécurité des institutions et agences de l'Union ainsi qu'à la connectivité spatiale sécurisée à l'échelle mondiale.
Quatrième priorité : assurer la résilience stratégique de l'économie européenne, confrontée à un choc inflationniste et aux incertitudes sur les marchés provoquées par la pandémie et l'agression russe contre l'Ukraine, lesquelles ont aussi révélé la fragilité des chaînes d'approvisionnement mondiales.
L'invasion russe a provoqué la plus grande perturbation des marchés des produits de base des cinquante dernières années. L'Union doit réduire considérablement sa dépendance à l'égard des régimes hostiles ou instables, mais sans pour autant rechercher une autosuffisance totale. Elle doit encourager la compétitivité technologique sur la base de ses propres capacités de production, tout en approfondissant le libre-échange avec les États démocratiques dans le monde. De l'alimentation aux produits pharmaceutiques et aux puces semi-conducteurs, il convient de comprendre en détail les chaînes d'approvisionnement et leurs vulnérabilités pour renforcer leur résilience. Nous devons garantir aux entreprises européennes la disponibilité de matières premières et de composants stratégiques.
La présidence tchèque souhaite accélérer la signature d'accords commerciaux avec les États démocratiques et approfondir la coopération en matière de technologies entre l'Union européenne et les États-Unis, dans le cadre du Conseil du commerce et des technologies (TTC). La politique d'investissement de l'Union européenne, en particulier la politique de cohésion, jouera un rôle crucial pour renforcer la résilience des chaînes d'approvisionnement.
L'accélération de la numérisation et de l'automatisation de l'industrie européenne permettra d'accroître notre compétitivité. Une économie circulaire plus efficace contribuera à réduire les besoins d'importation de matières premières. La manière dont seront mises en oeuvre les transitions verte et numérique doit favoriser la convergence vers les régions les plus développées. Il faut également soutenir le développement des compétences des Européens. Enfin, il faudra approfondir encore et encore le marché intérieur, en particulier dans le domaine des services et de l'économie numérique, tout en améliorant le climat des affaires et en soutenant la science, la recherche et l'innovation.
La présidence tchèque mettra l'accent sur le développement d'un outil paneuropéen permettant d'établir l'identité du citoyen de manière sûre et fiable, le portefeuille européen d'identité numérique, et sur la création d'un marché des données efficace et équitable.
Dernier point : la résilience des institutions démocratiques - j'aurais pu commencer par là, car c'est la base de tout. L'agression russe nous a rappelé avec un sentiment d'urgence que la prospérité à long terme de l'Europe repose sur des mécanismes démocratiques qui doivent être en état de fonctionner. La présidence tchèque s'attachera donc au renforcement de la résilience des institutions qui jouent un rôle essentiel dans le maintien et le développement des valeurs de la démocratie et de l'État de droit dans l'Union européenne, comme le financement transparent des partis politiques ou l'indépendance des médias de masse. La conférence sur l'avenir de l'Europe a créé un espace unique pour les citoyens, en particulier pour les jeunes - or nous sommes dans l'année de la jeunesse. Nous devons débattre de l'avenir de l'Europe et donner une impulsion au futur politique de l'Union. La présidence tchèque cherchera à poursuivre ce débat, à améliorer le dialogue avec les jeunes et à promouvoir leur participation aux processus politiques.
La présidence tchèque se penchera également sur le renforcement des libertés et des valeurs européennes hors ligne et en ligne, l'alignement des conditions pour les entreprises européennes et non européennes, notamment en ce qui concerne leur impact sur le climat, ainsi que leur respect des droits de l'Homme pour le développement d'échanges commerciaux sur les marchés ouverts. De concert avec d'autres États démocratiques, la présidence tchèque travaillera à ce que les libertés et les droits fondamentaux soient respectés dans l'environnement numérique et à ce que les normes mondiales s'appuient sur une approche centrée sur l'humain. Dans certaines technologies telles que l'intelligence artificielle, l'Union européenne est à l'avant-garde et peut donc promouvoir ses normes au niveau mondial.
La présidence tchèque souhaite également renforcer la transparence des cryptomonnaies et réduire les risques d'abus. Elle mettra en oeuvre un plan d'action européen en faveur des droits de l'Homme et de la démocratie en utilisant des instruments tels que les régimes de sanctions. Elle renforcera les capacités de soutien à la société civile et aux médias indépendants ainsi que l'aide à la résilience des pays partenaires face aux cybermenaces et aux menaces hybrides.
Les priorités de la présidence tchèque s'inscrivent pleinement dans l'actualité, car il y a danger. L'Union européenne ne doit pas avoir d'autres buts que d'arrêter la guerre en Ukraine et de poser les jalons d'une nouvelle Union plus forte. C'est en se basant sur son unité, sa capacité à réagir ensemble, à se coordonner, à trouver des consensus - ce qu'elle sait faire le mieux - qu'elle pourra servir d'exemple pour les démocraties en devenir. La République tchèque, reprenant les thèmes de Vaclav Havel - repenser, reconstruire, renforcer l'Europe - se donne comme mission d'apporter à l'Europe le renforcement de ses valeurs.
Merci beaucoup, monsieur l'ambassadeur, pour cette présentation des ambitions de la présidence tchèque - comme le disait Vaclav Havel, il faut avoir des ambitions hautes pour agir.
Beaucoup de paroles sont prononcées sur la reconstruction de l'Ukraine, alors que le pays est encore en pleine guerre. On parle même d'un coût de 450 milliards de dollars. Sans doute faut-il commencer à prévoir cette reconstruction, mais la priorité du moment n'est-elle pas d'abord l'arrêt de la guerre ?
Conforme à la réputation libre-échangiste de votre pays, vous avez évoqué l'accélération de la signature d'accords commerciaux avec des pays tiers. Les Français, qui ont eu des expériences douloureuses - je pense aux accords avec le Mercosur, avec la Nouvelle-Zélande ou au Comprehensive Economic and Trade Agreement (CETA) avec le Canada - sont beaucoup plus réservés.
C'est toujours avec émotion que nous évoquons Vaclav Havel, qui a marqué nos mémoires. Reprendre ses mots comme devise de votre présidence est un très beau symbole !
Vous dites que vos priorités sont inscrites dans l'actualité, parce qu'il y a danger ; elles repositionnent effectivement l'Europe dans sa dimension diplomatique et politique. Mais il ne faut pas oublier que l'Europe est aussi un marché unique et connaît des difficultés sociales.
Les élections en France ont plutôt réussi à des partis eurosceptiques, ou du moins qui remettent en cause l'évolution de l'Europe. Il y a urgence à montrer que l'Europe peut être autre chose qu'un marché unique. Même si vous avez parlé de résilience de l'économie et des institutions démocratiques, je m'étonne que cette dimension sociale ne figure pas dans vos cinq priorités. Des textes sont d'ailleurs en préparation dans ce domaine, notamment une directive sur les travailleurs de plateformes, et je sais que vous avez joué un rôle important dans ce processus.
Pascale Gruny et moi travaillons aussi à un rapport sur l'Europe du médicament. Un paquet de textes est en préparation à la Commission, à la suite de la communication de novembre 2020 sur la stratégie pharmaceutique. Nous serions heureuses d'approfondir cette question avec vous dans le cadre de la présidence tchèque.
Le paquet consacré à l'économie circulaire a été peu évoqué par la présidence française, pour ne pas dire pas du tout, alors qu'il a été présenté au printemps par la Commission. Il rassemble des textes ambitieux qui pourraient rendre l'Union moins linéaire - objectif d'autant plus souhaitable que cela pourrait éviter les pénuries.
Quelle est l'ambition de votre présidence sur ce paquet législatif ? Avez-vous fixé un calendrier de discussion autour du sujet de l'économie circulaire ?
Sur la reconstruction de l'Ukraine, notre idée est qu'il faut dire aux Ukrainiens : il y aura un coût, certes, mais nous sommes là, nous sommes prêts à vous aider. Nous devons aider l'Ukraine en guerre, mais aussi anticiper ce qui se passera après et l'assurer que nous accompagnerons sa reconstruction et son chemin vers l'intégration dans l'Union d'ici huit ou dix ans peut-être.
J'ai très bien connu Vaclav Havel personnellement. Nous évoquions souvent la nécessité de fixer des buts ambitieux en politique...
J'ai entendu en France, y compris au plus haut niveau, exprimer l'idée que le libre-échange, c'est terminé. Nous ne le pensons pas. Nous pensons que le libre-échange est toujours une nécessité. Bien sûr, il faut le développer avec les pays démocratiques, proches des valeurs européennes, et non avec des pays qui se déclarent ouvertement nos ennemis.
Oui, il faut réguler le marché intérieur. Chaque pays a son histoire. La République tchèque est un pays minier, dont l'industrie a été abandonnée sous le communisme. Il nous faut la reconstruire. Chaque pays a ses atouts et ses fragilités ; il faut trouver une répartition équilibrée.
La question sociale est importante. De ce point de vue, l'accord trouvé sur le salaire minimum, tout en s'adaptant aux situations des différents pays, assure à tous la possibilité de vivre dignement.
Vous m'interrogez sur l'Europe des médicaments. La République tchèque n'est pas une puissance pharmaceutique, à la différence de la France.
Certes, nous avons vu avec la pandémie que même la France ne pouvait se passer des importations. Il faut investir dans la recherche et dans l'industrie pharmaceutique pour que cela cesse. Mais je connais la puissance de l'industrie pharmaceutique française, qui n'emploie pas moins de 15 000 personnes en République tchèque.
Je ne peux malheureusement pas vous répondre précisément sur le paquet consacré à l'économie circulaire. Je regarderai cela de plus près et vous enverrai un mémo documenté sur cette question.
Le contexte de cette présidence est très particulier. Comme Laurence Harribey, je pense qu'il y a urgence à agir face aux eurosceptiques. Nous, Européens convaincus, n'arrivons pas à « vendre » l'Europe, que les eurosceptiques présentent toujours comme un censeur, un empêcheur de tourner en rond.
Je partage vos objectifs d'une industrie décarbonée grâce au nucléaire.
L'Ukraine et la Moldavie sont désormais officiellement candidates à l'adhésion ; un troisième pays avait aussi posé sa candidature, la Géorgie, qui est en grande difficulté à cause de la situation en Abkhazie et en Ossétie du Sud. Pensez-vous qu'il puisse y avoir une issue favorable à sa candidature ?
Merci de vos propos et des priorités que vous avez définies pour cette présidence. J'ai trois séries de questions à vous poser.
La première porte sur le sujet principal que vous avez évoqué, à savoir l'Ukraine, la crise des réfugiés et la reconstruction de ce pays. L'Union européenne a accordé un statut de protection temporaire aux réfugiés ukrainiens, donc, par définition, pour une durée limitée. Or l'Europe est aujourd'hui en panne en matière d'asile et d'immigration. Pensez-vous qu'il soit nécessaire de réexaminer ce statut pour permettre aux Ukrainiens qui ne souhaiteraient pas retourner dans leur pays, y compris à la fin de la guerre, de rester dans les pays d'accueil ? Envisagez-vous, dans le cadre de votre présidence, de relancer les discussions sur le paquet asile et immigration ? Si oui, comment allez-vous le faire ?
Deuxième série de questions : nous sortons de la présidence française, un certain nombre de dossiers sont engagés, mais n'ont pas encore abouti. Je pense, notamment, au paquet climat ; nous avons obtenu un accord de principe, mais le trilogue doit être engagé. Le fonds social pour le climat a fait l'objet d'un arbitrage qui, personnellement, ne me satisfait pas : 72 milliards d'euros étaient prévus pour accompagner les publics les plus fragiles face à la transition écologique et énergétique, mais ce montant a été ramené à 59 milliards. Or cette somme provient pour beaucoup de fonds qui existent déjà et ont simplement été redéployés pour l'occasion. Envisagez-vous de relancer des discussions sur le fonds social pour le climat afin de le conforter ?
Autre dossier, la France a également engagé des négociations au sujet de la taxe internationale sur les bénéfices des grandes entreprises, fixée à 15 %, après un accord trouvé au niveau de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Ce projet d'accord européen s'est heurté au veto de la Hongrie, pour des raisons qui n'ont rien à voir avec la taxe en tant que telle. Comment comptez-vous relancer cette négociation ?
Dernier chantier engagé par la France, la politique d'élargissement, en particulier concernant la Macédoine du Nord. La France a obtenu du parlement bulgare, après négociation, une position qui irait dans le sens de la levée de son veto. Mais ce n'est pas ainsi que l'apprécie la Macédoine du Nord. Comment envisagez-vous de poursuivre la discussion pour que ce veto soit définitivement levé ? Par ailleurs, comment envisagez-vous de protéger les institutions de Macédoine du Nord qui, depuis quelques jours, connaissent certaines secousses ?
Enfin, troisième série de questions, la République tchèque ou Tchéquie est membre du groupe de Visegrad, avec la Pologne, la Hongrie et la Slovaquie. Si la Hongrie a bloqué les discussions sur la taxe sur les grandes entreprises, c'est qu'elle demande une plus grande mansuétude des vingt-six autres États membres en matière de respect de l'État de droit, ce qui ne nous paraît pas possible. Comment comptez-vous peser auprès de la Pologne et de la Hongrie pour que les manques sur ces questions puissent être revus, et que ces deux pays se mettent en ligne avec les autres États européens en matière de démocratie, d'indépendance de la justice et de liberté de la presse ?
Commençons par les eurosceptiques. Effectivement, depuis que l'Union européenne existe, nous avons du mal à expliquer aux populations les avantages que procure une appartenance à l'UE. De ce point de vue, nous pouvons remercier la Russie de nous avoir aidés à faire comprendre que l'Union européenne est un espace de sécurité, de liberté et d'unité face à un occupant que les Tchèques, les Polonais et les Hongrois connaissent bien. J'évoquerai simplement l'entrée des chars soviétiques dans Prague en 1968, mettant un coup d'arrêt au « Printemps ».Les sondages le montrent, le taux de confiance dans l'Union européenne a largement augmenté dans tous les pays frontaliers de l'Ukraine et de la Biélorussie. Il faut saisir cette chance. J'ai travaillé pendant trente ans dans le secteur de la communication et des médias privés. Je puis vous dire qu'il existe des techniques de communication. Les institutions gouvernementales et européennes devraient parfois se tourner vers les spécialistes et leur demander une aide pour convaincre. C'est ce que nous allons essayer de promouvoir au sein de l'Union européenne. Nous devons cesser de vivre sous la menace des eurosceptiques, qui ne cherchent finalement qu'à servir leurs intérêts politiques dans leurs pays respectifs. Certes, il y aura toujours des personnes pour affirmer que les directives européennes sont incompréhensibles et rédigées par des technocrates, mais ces personnes sont minoritaires, car nos institutions sont tout à fait capables de trouver des thèmes d'action intéressants pour l'avenir de nos concitoyens.
Vous m'avez interrogé sur l'élargissement de l'Union à l'Ukraine, à la Moldavie et à la Géorgie. En ce qui concerne la Géorgie, elle doit donner des assurances à l'Union européenne. Et il est important de donner de l'espoir aux Géorgiens. Il est vrai que le partenariat oriental, dans son ensemble, souffre énormément. La Biélorussie en est sortie. La Russie fait pression sur les autres États. De quelle manière concevoir aujourd'hui le partenariat oriental ? Cette question sera certainement mise sur la table du Conseil de l'Union européenne par la République tchèque.
Les pays des Balkans de l'Ouest ont été évoqués. La priorité de la République tchèque est d'organiser à Prague, au cours des six prochains mois, une conférence sur la question. Il ne faut pas les laisser de côté et se focaliser uniquement sur l'Ukraine et la Moldavie, voire la Géorgie. L'adhésion de ces pays à l'Union est un projet européen. Si les pays de l'Europe centrale insistent pour accélérer la procédure d'adhésion de la Macédoine du Nord et de l'Albanie, c'est pour contrer l'influence continue et de plus en plus forte de la propagande russe, sans parler de la présence économique russe et des investissements chinois...
Ces dernières années, la France a renouvelé les conseillers économiques dans les ambassades en Croatie, en Macédoine du Nord, etc. C'est le bon chemin, mais il faut aussi investir dans ces pays, comme la France et la République tchèque le font. En tout état de cause, ne prenons pas le risque de décevoir les Balkans de l'Ouest.
Nous avons beaucoup apprécié le non paper de la France relatif au conflit entre la Bulgarie et la Macédoine du Nord. On espère qu'il sera accepté, mais cela peut faire tomber des gouvernements. Il faut en avoir conscience !
Quoi qu'il en soit, il est très difficile pour la République tchèque de régler le problème entre ces deux pays ; nous ne sommes pas les mieux placés pour agir ; nous partageons un même espace, avec des difficultés et un historique presque communs. De ce point de vue, l'initiative française est bonne et nous la soutenons, mais il pourrait être contre-productif que la République tchèque soit placée à la tête des négociations...
Idem pour Visegrad : il est très difficile pour les Tchèques de peser sur la Hongrie. Je rappelle que le groupe de Visegrad a été créé par Lech Walesa, Jozsef Antall et Vaclav Havel pour faire face à la résistance de l'Allemagne et de la France à l'égard de l'intégration de l'Europe centrale dans l'Union européenne. Trente ans après, tout cela n'est plus d'actualité. À présent, Visegrad 4 est un bon moyen de pression lorsque nos quatre pays sont d'accord entre eux, ce qui est de plus en plus rare ces derniers temps. Le conflit entre la Pologne et la Hongrie, par exemple, est grand. Mais nous ne pouvons pas perdre cet axe qui est encore utilisable, car il traduit une certaine unité de pensée.
Dans le cadre de la guerre en Ukraine, l'attitude polonaise est formidable et courageuse. Nous soutenons la Pologne dans son effort et nous l'invitons à profiter de ce moment de bonne entente dans l'Union européenne pour régler ses problèmes en matière d'État de droit.
Pour la Hongrie, c'est très compliqué. Viktor Orban est un personnage unique, intelligent et fort. Comme pour la Bulgarie, il nous est très difficile de peser sur la Hongrie. Viktor Orban, à l'occasion d'un grand discours, a annoncé que la Hongrie reviendrait un jour dans ses frontières d'origine : cela nous concerne ! Il faut tourner la page : de tels élans nationalistes ne font plus partie de l'Union européenne. La République tchèque est-elle en mesure d'apporter une solution par rapport à la Hongrie ? Je l'ignore, mais nous devrons travailler de concert avec les autres pays de l'Union européenne.
Quant au volet asile-immigration, il est évident que la situation ukrainienne a changé les esprits. À l'avenir, nous serons plus ouverts. Quid des Ukrainiens qui ne voudraient plus partir ? Toutes les aides prévues par l'Union européenne vont jusqu'à la fin de l'année, tout en s'atténuant progressivement. C'est à l'Union européenne de trouver des solutions pour l'année 2023 si la situation devait perdurer. Ne nous mentons pas, la République tchèque souffre d'un manque énorme de main-d'oeuvre. Nous avons un taux de chômage de 2,3 % : les entreprises, notamment françaises, ne peuvent pas s'y développer, et les salaires augmentent, etc. Il y a un changement d'état d'esprit dans la population. C'est ce qui explique l'élan national qui a conduit à récolter 40 millions d'euros de dons pour l'aide humanitaire en Ukraine.
Je souhaite revenir sur le nouveau Bauhaus européen, mis en place par Ursula von der Leyen. Avec ma collègue Catherine Morin-Desailly, nous avons travaillé sur les nouveaux enjeux du patrimoine dans le cadre du nouveau Bauhaus. Le patrimoine est une source de fierté. Il est le fruit d'une identité nationale, mais aussi européenne. Il constitue également un facteur d'attractivité et de rayonnement pour nos villes et villages. Nous souhaitons que l'Europe affirme le rôle des collectivités territoriales et fédère celui des associations et réseaux - par exemple, le réseau des villes minières, qui pourrait se mettre en place. Nous souhaitons aussi créer une liste du patrimoine européen. Nous avons évoqué tous ces points hier avec le cabinet de la commissaire Mariya Gabriel.
Il convient de relever le défi du financement en communiquant mieux sur les programmes qui existent et sont souvent méconnus, comme Europe Créative ou Horizon Europe. Par ailleurs, il faut vulgariser auprès des collectivités le guide interactif CulturEU, qui n'est toujours pas traduit dans les différentes langues de l'Union européenne et seulement disponible en anglais, alors que le Royaume-Uni a quitté l'Union...
Monsieur l'ambassadeur, je me réjouis comme vous du positionnement du Parlement européen sur la taxonomie verte et le nucléaire. Deux décisions importantes ont été prises par le Parlement européen en l'espace d'un mois : la première confirme l'interdiction des moteurs thermiques en 2035 ; la deuxième est relative au défi et à l'indépendance énergétiques. Effectivement, la République tchèque et la France seront confrontées aux mêmes défis pour atteindre la neutralité carbone en 2050.
Notre choix du tout électrique nécessite de recourir à des terres rares quasi inexistantes en Europe, notamment pour produire certains aimants. Ne serait-il pas utile d'anticiper cette situation de grande fragilité dans les choix que nous sommes en train de faire ?
Comme la République tchèque, la France ne veut pas opposer le nucléaire au renouvelable. Or nous avons également besoin de certaines terres rares pour le renouvelable, lesquelles ne se trouvent pas non plus en grandes quantités sur notre territoire. N'avons-nous pas intérêt à travailler sur l'indépendance énergétique de nos territoires au moyen d'innovations technologiques ? Il ne s'agirait pas, en voulant sortir de notre dépendance par rapport à l'Organisation des pays exportateurs de pétrole, de tomber dans un piège tout aussi dramatique.
Ma question porte sur le partenariat oriental, car c'est un sujet dont j'ai eu la charge au sein de notre commission. Un accord est en préparation avec l'Azerbaïdjan. Nous avons également trois accords en cours avec l'Ukraine, la Géorgie et la Moldavie. Idem avec l'Arménie. Dans la période de crise que nous traversons, comment développer la politique de voisinage de l'Union européenne dans le cadre du partenariat oriental ?
Je me suis déplacée en Ukraine, en Géorgie et en Moldavie un an avant la pandémie pour faire le point sur les contrats signés avec ces trois pays. Force est de constater qu'il n'y a pas de bon élève ou de mauvais élève : les trois pays sont à égalité. J'ai été donc stupéfaite d'apprendre que le statut de candidat à l'Union européenne n'avait pas été accordé à la Géorgie. Cette décision, dure pour la Géorgie, s'explique-t-elle par la situation géopolitique du moment ?
On exige de ces pays des choses que l'on ne demande pas aujourd'hui à des États qui appartiennent à l'Union européenne, par exemple en matière de droits de l'Homme. Le processus d'adhésion sera certainement long, d'autant que la situation est dramatique en Ukraine. Comment faire coexister ce processus avec le partenariat oriental et la politique de voisinage, signe d'espérance pour les peuples qui veulent entrer dans l'Union européenne, comme l'Azerbaïdjan ?
Concernant le patrimoine, je vous confierai d'abord avoir dès mon enfance baigné dans un milieu très culturel : mon père était écrivain, ma mère photographe. Je me souviens que Jack Lang rayonnait au début des années 1990 : pour la première fois, il avait réussi à obtenir pour la culture 1 % du budget de l'État.
En République tchèque, cette année, 1,2 % de notre budget va à la culture ! Récemment, l'institution tchèque chargée du patrimoine qui siège à Brno m'a demandé de trouver des contacts en France susceptibles de lui apprendre comment votre pays structure la valorisation de son patrimoine. Notre patrimoine est important ; nous cherchons à mieux le gérer.
Dans chaque pays, il y a des savoir-faire. Avec l'Unesco, nous travaillons pour la reconnaissance de nos villes d'eau et de notre verrerie. Notre ministre de la culture sera bientôt à Paris pour l'inauguration d'une exposition sur les villages qui ont été rasés pendant l'occupation nazie ; j'espère qu'il pourra rencontrer à cette occasion sa nouvelle homologue française. Nous sommes un petit pays avec une grande culture ; toutes les cultures sont égales, il importe surtout de les faire connaître, par l'institution de structures européennes partagées.
Enfin, j'espère que ce semestre pourra voir l'inauguration quelque part à Paris d'un « banc Vaclav Havel » : plus de 25 de ces sculptures ont déjà été installées dans le monde entier. Nous peinons pour l'instant à nous mettre d'accord avec la mairie de Paris sur un endroit intéressant... Je salue par ailleurs la réédition récente par Gallimard du texte phare de Milan Kundera, Un Occident kidnappé. Je vous en conseille la lecture, au regard notamment de la guerre en Ukraine.
Concernant la taxonomie verte, les décisions prises sont très importantes pour la transition écologique et l'indépendance énergétique. La République tchèque n'était pas un grand partisan de l'arrêt des voitures à essence dès 2035, mais nous avons donné notre accord à cette mesure. Pour autant, nous savons que ce sera très difficile.
On a évoqué tout à l'heure le libre-échange. Certains pays affirment qu'il serait plus ou moins terminé, qu'il n'existerait plus. Mais on ne peut pas se passer de libre-échange ! Nous serons toujours dépendants des importations dont nos industries ont besoin, mais il faut choisir les pays où l'on va acheter ou investir : va-t-on collaborer avec ceux qui se déclarent ennemis de l'Union européenne ? On ne peut pas, en revanche, refuser des partenariats avec d'autres pays, qui peuvent nous aider à être plus indépendants.
Les fragilités de chaque pays ne peuvent être conjurées que par des investissements énormes, à l'échelle européenne et dans les pays qui ne sont pas nos ennemis.
Souvent, les minerais qui nous sont nécessaires - lithium, cobalt... - ne se trouvent que dans des pays qui ne sont pas vraiment nos amis...
En effet, la République tchèque a rencontré un grand problème : l'uranium nécessaire aux centrales nucléaires était importé de Russie. Mais en quelques mois, nous avons réussi à sortir de cette dépendance, grâce à un contrat passé avec Framatome : nous recevons de l'uranium recyclé depuis la France. Des possibilités existent toujours, à 90 % sinon à 100 %. Nous devons continuer dans cette voie.
Quant au partenariat oriental, vous avez raison : si l'on n'en parle pas maintenant, si l'on ne cherche pas à renouveler ces accords, si l'on ne développe pas une stratégie européenne vis-à-vis de ces pays et que l'on n'y investit pas, il arrivera la même chose qu'avec l'Ukraine ! Il ne faut pas oublier ces partenariats, que la République tchèque a toujours soutenus, alors que la France s'est montrée plus en retrait, même si elle a toujours apporté son aide.
Je tiens à vous adresser un grand merci pour cet échange, qui nous a éclairés sur les priorités de la présidence tchèque pour le semestre. Vous nous avez exprimé toute votre motivation à faire avancer l'Europe dans le bon sens.
Je veux également vous remercier de m'avoir permis de vous présenter nos priorités. J'ai apprécié vos questions, je vous ferai parvenir la réponse que j'ai été incapable de fournir aujourd'hui.
Mes chers collègues, il me revient de vous faire part du fait que notre collègue Pierre Ouzoulias, qui fut membre de notre commission, va la réintégrer et succédera à Jérémy Bacchi, qui la quitte.
Par ailleurs, après consultation des groupes politiques, il vous est proposé de compléter le bureau de la commission, qui a perdu deux membres avec le départ de la commission de notre collègue Henri Cabanel et le décès de notre collègue Catherine Fournier : Amel Gacquerre serait désignée comme secrétaire et Véronique Guillotin comme vice-présidente. La commission désigne membres du bureau de la commission Mmes Véronique Guillotin, en qualité de vice-présidente, et Amel Gacquerre, en qualité de secrétaire.
La réunion est close à 10 h 45.