Commission des affaires sociales

Réunion du 11 octobre 2022 à 14h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • PLFSS
  • handicap
  • mourir
  • palliatifs

La réunion

Source

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

présidente. – Nous entendons cet après-midi Mme Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée chargée des personnes handicapées auprès du ministre des solidarités, de l’autonomie et des personnes handicapées, sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2023.

J’indique que cette audition fait l’objet d’une captation vidéo qui sera retransmise en direct sur le site du Sénat et disponible en vidéo à la demande.

Je rappelle à nos collègues qu’un scrutin pour l’élection d’un juge suppléant à la Cour de justice de la République se tient à partir de 14 h 30 et jusqu’à 15 heures en salle des Conférences.

Debut de section - Permalien
Geneviève Darrieussecq, de l’autonomie et des personnes handicapées, chargée des personnes handicapées

ministre déléguée auprès du ministre des solidarités, de l’autonomie et des personnes handicapées, chargée des personnes handicapées. – Je vous remercie de votre invitation à venir m’exprimer devant vous non seulement sur le PLFSS, mais aussi, plus largement, sur les orientations qui seront les miennes et celles du Gouvernement en matière de handicap.

Le handicap est une politique prioritaire du Gouvernement, comme l’a affirmé avec force Mme la Première ministre dès son discours de politique générale du 6 juillet 2022. Elle l’a réaffirmé lors du Comité interministériel du handicap (CIH), qui s’est tenu jeudi dernier en présence du Gouvernement, des associations et des représentants des élus locaux. Avec cette instance, Élisabeth Borne a fixé un cap, une méthode et des priorités à notre action. En inscrivant le handicap dans la feuille de route de chacun des ministres, nous nous assurons que le handicap soit toujours inclus dans leur action.

Notre conviction est simple : les personnes en situation de handicap doivent être prises en compte systématiquement dès la conception de toute politique publique. En désignant dans chaque préfecture un sous-préfet « référent handicap », nous nous assurons que ces politiques sont mises en œuvre sur l’ensemble du territoire en coopération avec tous les acteurs locaux concernés et au plus proche des besoins de chacun. C’est une nécessité parce que notre politique du handicap n’a de sens que dans les effets directs qu’elle produit sur le quotidien de nos concitoyens.

Le caractère prioritaire de cette politique se traduit dans ce PLFSS par une augmentation sans précédent de l’Objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam) pour le volet « Personnes en situation de handicap » de 5,2 %, soit 730 millions d’euros supplémentaires. Nous poursuivons ainsi les engagements pris lors de la dernière Conférence nationale du handicap (CNH) du 11 février 2020, alors même que nous préparons activement la CNH de l’an prochain.

Nous pouvons constater les résultats de l’action menée depuis cinq ans dans chaque ministère, mais beaucoup reste à faire. L’attractivité des métiers du secteur social et médicosocial est un enjeu essentiel qui concerne l’ensemble des politiques de l’autonomie. Nous ne pouvons être à la hauteur de nos ambitions sans le travail admirable sur le terrain. C’est pourquoi 300 millions d’euros supplémentaires seront consacrés dans ce PLFSS aux revalorisations de salaires, conformément aux engagements du Premier ministre Jean Castex lors de la Conférence des métiers de l’accompagnement social et médicosocial du 18 février 2022.

Par ailleurs, le secteur social et médicosocial fait face à une inflation importante. C’est pourquoi près de 150 millions d’euros supplémentaires seront alloués aux établissements sociaux et médicosociaux pour personnes en situation de handicap. Comme l’a annoncé Jean-Christophe Combe, le bouclier tarifaire bénéficiera également aux établissements pour adultes en situation de handicap. Et les négociations sont en cours de finalisation pour les établissements pour enfants.

Avec le PLFSS pour 2023, nous poursuivons et amplifions la mise en œuvre de grands objectifs et de politiques prioritaires.

D’abord, 70 millions d’euros supplémentaires seront alloués au développement de l’école inclusive et à la scolarisation des enfants et des adolescents en situation de handicap. Cela favorisera la création de places pour les élèves polyhandicapés et le déploiement des unités d’enseignement en maternelle (UEM) et en élémentaire autisme (UEEA). Nous allons également accroître les coopérations opérationnelles entre l’école et les établissements médicosociaux pour favoriser la scolarisation en milieu ordinaire des enfants en situation de handicap.

Ensuite, 80 millions d’euros supplémentaires seront fléchés en direction des publics prioritaires. Je pense aux adultes en situation de polyhandicaps et aux personnes handicapées vieillissantes. Ces crédits financeront aussi la politique du handicap outre-mer, qui accuse des retards inacceptables.

Par ailleurs, une partie de ces financements vise à prévenir les départs forcés vers la Belgique, tout en permettant le retour en France de ceux qui le souhaitent.

Dernier grand bloc des actions financées par le PLFSS : 80 millions d’euros supplémentaires seront dédiés à l’autisme et aux troubles du neurodéveloppement en dehors de la scolarisation. Ainsi, nous étendons aux enfants âgés de sept à douze ans la politique de détection précoce, qui a permis depuis trois ans à près de 30 000 enfants d’être détectés à temps et mieux accompagnés. C’est pourquoi nous voulons renforcer l’accompagnement suivant le diagnostic, ainsi que le déploiement des unités résidentielles pour les adultes autistes.

Ce PLFSS est donc résolument ambitieux pour le secteur du handicap, qui s’inscrit dans le cycle long de la concertation présidant à la construction de toutes les politiques du handicap. Ce projet tend à appuyer la dynamique des progrès accomplis depuis la dernière CNH, par une hausse des moyens d’ampleur inédite. Le terrain est préparé pour que la prochaine conférence soit un vrai tremplin pour la suite de notre action. Du fait du caractère transversal de ces politiques, leur financement est assuré par de nombreux budgets différents.

Par ailleurs, ce PLFSS peut être qualifié de « transition ». La future CNH, sous l’égide de la Première ministre, sera l’occasion de proposer un changement de paradigme à la hauteur des attentes des personnes en situation de handicap. Ont été fixés quatre grands axes : l’acte II de l’école et de l’université inclusive, la mobilisation pour le plein emploi des personnes en situation de handicap, la simplification des parcours et l’accessibilité universelle. En parallèle, nous prévoyons de prolonger les efforts sans précédent menés sur l’autisme et les troubles du neurodéveloppement, en construisant une nouvelle stratégie nationale. Des concertations sont d’ores et déjà lancées en ce sens.

Pour terminer, je vous livrerai les deux points fondamentaux, qui seront la boussole de mon action : la simplification, aussi bien des démarches que des procédures, et l’effectivité des mesures.

Toutes nos politiques, nous les mènerons en concertation étroite avec l’ensemble des acteurs concernés. Je pense au Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH), mais aussi aux élus locaux, en particulier les départements. Nous souhaitons y associer la représentation nationale, car je sais que vous êtes nombreux à vous investir sur ces sujets.

Cette logique de coconstruction, qui est la norme depuis bien longtemps et que j’ai aujourd’hui l’honneur de porter, c’est précisément ce que veulent introduire le Président de la République et la Première ministre dans l’ensemble de nos politiques publiques. Je terminerai en soulignant le rôle d’avant-garde que jouent les acteurs du handicap en la matière. Je suis prête à répondre à toutes vos questions à ce sujet.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Mouiller

rapporteur pour l’autonomie. – Je ne peux que souscrire à la simplification, nécessaire sans être forcément très coûteuse. Le Comité interministériel du handicap a déclaré que les grandes priorités seraient fixées lors de la CNH. Les intentions correspondent aux besoins, mais les associations sont très critiques sur les moyens alloués dans ce PLFSS. Selon elles, il s’agit d’une mise en œuvre a minima des engagements pris lors du dernier CIH. Quel est votre regard sur ces retours ? Le 6 octobre dernier, vous avez évoqué la mise en place des sous-préfets dans les territoires. D’autres mesures ont-elles été annoncées lors du CIH pour l’année 2023 ? Lors de son audition, le ministre Jean-Christophe Combe a indiqué que le PLFSS pour 2023 était « un PLFSS de fin de cycle structurel sur les grandes politiques et qu’il fallait laisser le temps à la concertation sur le handicap avec la préparation de la future CNH » ? Pouvez-vous nous dire comment sera organisée cette CNH ?

Par ailleurs pouvons-nous imaginer que cette CNH soit l’occasion d’aborder le sujet de l’accompagnement des élèves en situation de handicap (AESH), il s’agit d’un point crucial. Le système que vous avez mis en place est transversal. Comment répondre aux attentes des familles, sachant que de nombreux dysfonctionnements sont constatés au lendemain de la rentrée scolaire ?

Vous avez évoqué la stratégie pour l’autisme, dont le cycle actuel s’achèvera en 2022. Faut-il attendre le CNH de 2023 pour avancer sur ces questions et prolonger les actions entreprises ?

Plus globalement, l’annexe B du PLFSS indique que la situation de la branche autonomie serait excédentaire à compter de 2024, avec un excédent à hauteur de 0,9 milliard d’euros. Cet excédent diminuerait ensuite, notamment au regard des engagements de création de postes dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) et du financement du temps dédié au lien social auprès des personnes âgées. Dans ce contexte, quelle marge budgétaire resterait disponible pour faire évoluer la situation et les conditions de vie des personnes handicapées?

Vous avez aussi évoqué les moyens consacrés au fonds d’intervention pour éviter les départs en Belgique. Les crédits de l’année n-1 ont-ils été utilisés ? Comment cela peut-il se traduire concrètement, sachant que les fonds, même s’ils existent dans la maquette budgétaire, semblent inaccessibles ?

Pour conclure, nous avons voté la « déconjugalisation » de l’AAH (Allocation adulte handicapé) et participé aux rencontres dédiées à la préparation de mise en place opérationnelle de cette réforme. Un décret est attendu à la mi-décembre. Pourriez-vous nous confirmer ce calendrier, sachant que la publication de ce texte conditionne le respect du calendrier de mise en œuvre de la réforme ?

Debut de section - Permalien
Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée

– Vous avez évoqué les critiques des associations sur la mise en œuvre a minima des engagements précédents. Un bon texte ne passe pas nécessairement par des mesures législatives nouvelles. Et en l’espèce, il ne s’agit pas du tout d’un texte a minima, puisqu’il est question de la plus forte augmentation de crédits en direction des personnes en situation de handicap : 5,2 %, alors que l’Ondam est à 3,4 %. Le thème du handicap est bien pris en compte de façon importante. En outre, le budget de l’éducation sur l’école inclusive, qui s’élève à 3,5 milliards d’euros, a été augmenté cette année de 200 millions d’euros. Nous portons aussi l’ambition de recruter 4 000 AESH supplémentaires. La montée en charge est progressive et il faut que nous mettions en œuvre nos ambitions sur le long terme.

Les politiques du handicap se construisent avec toutes les personnes concernées. Nous arrivons en fin de cycle et préparons une nouvelle Conférence nationale du handicap. Pour ce faire, nous nous référons à la méthode de la Première ministre donnée lors du CIH de la semaine dernière. Nous aurons une feuille de route pour les cinq ans à venir et mettons en œuvre aujourd’hui les politiques qui ont été décidées. Par exemple, dans la stratégie autisme, nous continuons de déployer de façon très active les unités spécialisées en école maternelle et élémentaire, ou encore les unités localisées pour l’inclusion scolaire (Ulis).

Pour la nouvelle CNH, nous devons construire avec les associations la feuille de route, à partir de laquelle nous déterminerons les moyens. Je pense à l’accessibilité, pour laquelle il nous faut donner une vraie impulsion pour tenter de respecter la date butoir de 2024.

La nomination de référents handicap sera systématique. La Première ministre a annoncé la nomination d’un délégué interministériel à l’accessibilité, sur laquelle l’accent sera mis par le biais des agendas d’accessibilité programmée (Ad’AP) et des annonces de Christophe Béchu pour 2023.

Concernant le statut des AESH, qui sont employées par l’éducation nationale, le Président de la République et la Première ministre se sont engagés sur des dispositifs de « déprécarisation » et d’inclusion périscolaire. Le travail, réalisé conjointement par l’éducation nationale et les collectivités territoriales, sera poursuivi activement cette année.

Le nombre des AESH a, lui, augmenté de 42 % par rapport à 2017. On en compte aujourd’hui 132 000, soit un AESH pour huit professeurs. Je souhaite que nous entamions collectivement une réflexion sur ce sujet. Je suis frappée de constater que, lors de chaque rentrée scolaire, les enfants handicapés sont systématiquement aidés par un AESH. Or certains enfants ont surtout besoin d’outils, d’autres d’une pédagogie adaptée, telle que la formation des enseignants ; certains appellent une aide humaine permanente, quand d’autres requièrent une aide ponctuelle. Avec le ministre de l’éducation nationale, je souhaite que nous nous dirigions vers une évaluation des besoins et des moyens, afin de faire entrer davantage le médicosocial dans les collèges et les lycées. Cette force d’appui doit bénéficier aux enfants en situation de handicap, mais également à toute la communauté éducative. Nous continuerons à y travailler avec force.

Lors de la prochaine CNH, nous travaillerons sur l’acte 2 de l’école inclusive, avec comme objectif de mieux intégrer les professionnels du secteur médico-social au sein de l’école.

Nous avons également lancé une stratégie autisme ambitieuse, dotée de 500 millions d’euros, avec la volonté de toucher tous les troubles du neuro-développement. Des plateformes de dépistage précoces sont désormais proposées à l’attention des enfants âgés de 0 à 6 ans. Plus le repérage est précoce, plus il est possible d’entourer l’enfant et d’agir efficacement pour lui permettre d’entrer à l’école dans les meilleures conditions.

Nous avons demandé à la délégation interministérielle à l’autisme (DIA) de travailler à la conception d’une nouvelle stratégie en matière d’autisme et de troubles du neuro-développement, en portant une attention particulière aux autistes adultes. Comme toujours, cette stratégie sera construite de concert avec les associations.

Si les objectifs de dépenses pour les personnes âgées et les personnes handicapées sont intégrés à la branche autonomie, je précise qu’ils constituent deux sous-objectifs financièrement distincts.

Dans le champ du handicap, la trajectoire pluriannuelle intégrée à l’annexe B du PLFSS prévoit une évolution tendancielle des moyens et 200 millions d’euros environ par an consacrés au financement de mesures nouvelles. Les crédits fléchés vers la branche permettront aussi de revaloriser les concours de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) aux départements afin qu’ils puissent financer la hausse de la prestation de compensation du handicap (PCH).

Nous avons, je le crois, réussi à enrayer la dynamique de départs en Belgique, très négative pour notre pays et pour les familles, même si 8 500 personnes en situation de handicap, adultes et enfants, sont encore prises en charge par le secteur médico-social wallon.

Un moratoire a été mis en œuvre pour les enfants depuis 2015, la Conférence nationale du handicap a fait de l’arrêt des départs contraints vers la Belgique une priorité et 2 500 solutions nouvelles sont en cours de déploiement, en Île-de-France et dans les régions Hauts-de-France et Grand Est. Le plan de prévention des départs contraints en Belgique est doté de 90 millions d’euros.

L’individualisation de l’allocation aux adultes handicapés (AAH) a été votée en juillet. Nous avons reçu des parlementaires au ministère pour leur expliquer les raisons de la parution tardive du décret. Sa rédaction est en effet particulièrement technique et complexe.

Nous prévoyons de présenter un projet au CCPH et aux parlementaires à la fin du mois d’octobre, et nous espérons que le décret pourra être publié courant décembre.

Nous voulons nous assurer que la réforme ne fera aucun perdant, alors que certaines estimations prévoyaient jusqu’à 45 000 perdants après le vote de la loi.

Dans le même temps, la caisse d’allocations familiales (CAF) travaille sur la mise à jour de son système d’information, car toutes les prestations qu’elle versait jusqu’à présent étaient conjugalisées. Nous voulons éviter les couacs.

S’il est possible de mettre le nouveau système en œuvre avant le 1er octobre 2023, nous le ferons bien évidemment, dès que nous serons prêts.

Mme Nadia Sollogoub. – Vous avez dit que tout enfant en situation de handicap n’avait pas nécessairement besoin d’un AESH. Toutefois, l’école inclusive ne semble pas non plus constituer une solution universelle. Elle peut aussi être source de difficultés, notamment pour les enfants sourds.

Le projet de budget prévoit-il suffisamment de moyens pour que ces derniers puissent être pris en charge de façon adaptée ?

Mme Jocelyne Guidez. – Nous avons effectué une visite commune à Sainte-Geneviève-des-Bois, et nous avons pu constater que les parents étaient confrontés à un manque de places pour leurs enfants à la fin du cursus en école maternelle. Quelles solutions pouvons-nous leur apporter ?

Par ailleurs, les lieux d’accueil permanents sont souvent loin du domicile, et certaines familles sont parfois contraintes de faire plus de 300 kilomètres par week-end. Elles s’épuisent dans ces trajets, sans compter que le coût du transport n’est pas toujours intégralement compensé. Mme Cluzel avait engagé un travail sur le sujet, me semble-t-il. Qu’en est-il ? Pourrait-on imaginer un système de conventions avec les départements ?

Enfin, je suis très heureuse d’entendre que vous voulez prendre en compte tous les troubles du neuro-développement. C’est en effet indispensable.

Mme Annie Le Houerou. – Je reviens sur les mesures de revalorisation des personnels. Les emplois administratifs et techniques restent exclus du Ségur. Or il est important que tout le monde soit traité de la même manière, surtout au sein des petites équipes.

Par ailleurs, même quand les revalorisations de salaires sont acquises, il semblerait que les associations aient du mal à assumer leurs obligations, les crédits n’étant pas toujours délégués par les agences régionales de santés (ARS).

Il me semble également qu’il reste encore beaucoup de travail à faire sur le dépistage précoce de l’autisme, en dépit des progrès réalisés.

Si nous sommes tous favorables à l’idée de société inclusive, celle-ci n’exclut pas à mon sens la prise en charge de certaines personnes en situation de handicap dans des établissements spécialisés, l’un n’excluant pas l’autre au demeurant. Il s’agit de répondre de façon adaptée à des besoins différents.

Des crédits avaient également été prévus pour créer des lieux de répit à destination des familles dont les enfants sont accompagnés à domicile, mais j’ai l’impression que ces projets peinent à voir le jour – j’ai des exemples en ce sens dans mon département.

Enfin, nous nourrissons quelques inquiétudes sur l’accompagnement des personnes en situation de handicap dans l’emploi. Comment la création de France Travail va-t-elle influer sur leur prise en charge ?

Mme Michelle Meunier. – À entendre nos collègues, vous constatez, madame la ministre, qu’il reste des points durs à traiter en termes de prise en charge du handicap dans notre pays.

Quand vous parlez d’un PLFSS ambitieux pour la branche autonomie, j’ai quelques doutes. Il me semble qu’il conforte surtout l’existant. Les difficultés de recrutement dans le secteur montrent pourtant qu’il y a urgence, comme le disent les associations.

La semaine dernière, lors d’un débat dans l’hémicycle, votre collègue Agnès Firmin Le Bodo a invité à changer de regard sur le monde du handicap. Nous sommes d’accord, mais par où commencer ?

Mme Corinne Imbert. – Nous avons beaucoup parlé d’inclusion, mais nous avons encore besoin d’établissements spécialisés, notamment de foyers d’accueil médicalisés (FAM). Des crédits sont-ils fléchés vers la création de places en maisons d’accueil spécialisées (MAS) et en FAM, les établissements où les listes d’attente sont les plus longues ?

Mme Cathy Apourceau-Poly. – Il me semble en effet temps de répondre à la demande de simplification administrative portée depuis longtemps par les associations. Remplir les dossiers, c’est à chaque fois un parcours du combattant pour les familles.

Philippe Mouiller a abordé le problème des jeunes et des adultes qui sont obligés d’aller en Belgique. Certains enfants doivent même s’y rendre en taxi… Quel coût pour la société ! On pourrait quand même envisager de créer des structures dans le Pas-de-Calais et les autres départements afin de garder nos enfants chez nous.

Plusieurs associations m’ont en outre interpellée dans mon département sur un autre point. Beaucoup de parents d’enfants atteints de troubles du spectre autistique essayent de monter des projets visant à accueillir quelques enfants, avec l’assistance de professionnels. Mais quand ils s’adressent à l’ARS pour créer leur structure, celle-ci les renvoie vers le département ou la région pour obtenir des subventions, sans les accompagner...

– Madame Sollogoub, les moyens existent s’agissant de l’école inclusive pour les enfants sourds, mais nous manquons vraiment de professionnels formés. C’est un problème de formation, et non de moyens.

Madame Guidez, vous m’interrogez sur les solutions disponibles pour les enfants atteints de troubles du neuro-développement après la maternelle ?

Les classes Ulis fonctionnent bien pour certains enfants.

Les dispositifs d’autorégulation permettent pour leur part de former l’ensemble du personnel d’un établissement à l’accueil des publics en situation de handicap. Dans ce cas, il est possible de répondre aux demandes des familles sans avoir besoin de recourir à des AESH.

Mon souci est de proposer une solution adaptée à chacun et d’éviter toute rupture dans sa prise en charge.

Le système de financement des transports est en effet devenu illisible, et je souhaite engager une démarche de simplification en la matière. Le Comité stratégique relatif à la compensation du handicap des enfants et aux transports des personnes en situation de handicap, prévu par la loi du 6 mars 2020, a été installé ; il associe tous les niveaux de collectivités territoriales ainsi que les parlementaires et se devra de proposer des solutions simples, lisibles et facilement mobilisables par les familles.

Le Ségur s’est traduit par un effort important en direction des professionnels du champ sanitaire et d’une partie du champ médico-social : 12 milliards d’euros ont été consacrés en 2022 à l’ensemble des mesures de revalorisation.

En février dernier, la conférence des métiers sociaux a permis de nouvelles avancées, avec l’annonce de 1,3 milliard d’euros supplémentaires destinés à la revalorisation des métiers de la filière socio-éducative, dont 500 millions d’euros pour converger vers une convention collective unique permettant à tous ceux qui n’entrent pas dans le champ des augmentations de bénéficier également d’une revalorisation. Les débuts de carrière à des niveaux inférieurs au SMIC, ce n’est plus possible !

En revanche, s’agissant des revalorisations qui ont été décidées, l’ARS a bien versé les fonds, madame Le Houerou. Certaines associations gestionnaires attendent toutefois la part départementale pour les mettre en œuvre. Mais la part de l’État a été mobilisée au niveau des ARS.

Mme Annie Le Houerou. – J’ai des exemples contraires.

– Si vous voulez bien me les transmettre, nous les examinerons en détail, madame la sénatrice.

Sur l’autisme et l’inclusion en général, je prône une ligne pragmatique. La France a été mise à l’index par l’ONU pour non-respect des recommandations internationales visant à une inclusion totale des personnes handicapées dans la société. Les avis sur notre gestion du handicap sont sévères, mais l’autodétermination des personnes handicapées doit rester, me semble-t-il, notre principale boussole. Quels choix font-elles pour elles-mêmes, pour leur vie ?

Historiquement, nous avons une tradition de prise en charge très institutionnelle du handicap, et celle-ci a eu pour conséquence de placer ces personnes hors du regard de la société.

Quand nous parlons d’inclusion, c’est cette situation que nous voulons renverser : à l’école, dans le travail, dans le sport, dans la culture, les personnes en situation de handicap doivent être incluses à tous les niveaux de notre société.

Oui, notre société a besoin de changer de regard, mais nous savons aussi que nous aurons toujours besoin d’établissements spécialisés pour certains types de handicaps très lourds. Le PLFSS prévoit d’ailleurs des moyens spécifiques pour créer des structures inclusives destinées à accueillir dans de bonnes conditions des jeunes atteints de troubles autistiques particulièrement sévères.

Nous devons continuer l’inclusion – je reste persuadée que l’inclusion scolaire est une bonne chose, qui permet souvent aux enfants de progresser –, mais il nous faut envisager un vrai parcours de vie adapté à chaque typologie de handicap.

La journée nationale des aidants se tenait la semaine dernière. De nombreuses personnes sont concernées dans notre pays, un certain nombre d’entre elles ignorant d’ailleurs qu’elles sont dans une position d’aidantes. Nous devons porter une attention toute particulière aux aidants jeunes et âgés, notamment, en effet, en multipliant les lieux de répit : 252 plateformes ont déjà été déployées, et l’effort va se poursuivre.

L’emploi accompagné fait partie du budget de mon ministère, mais il est rattaché au PLF, et non au PLFSS. Nous avons reconduit l’enveloppe de ce dispositif très pertinent, que j’ai l’intention de faire prospérer, voire d’amplifier, tant les résultats sont encourageants pour l’insertion dans l’emploi des personnes en situation de handicap.

France Travail se construit actuellement avec tous les acteurs concernés, et le handicap sera pleinement pris en compte dans sa construction.

Nos ambitions sont importantes, madame Meunier, et elles se traduisent dans les budgets. Par exemple, 500 millions d’euros sur la table pour la stratégie autisme, c’est ambitieux !

Oui, notre société dans son ensemble doit changer de regard. Les jeux Paralympiques de 2024 seront notamment l’occasion de porter un éclairage très positif sur le handicap et son apport à notre société. J’attends ce moment avec impatience.

Madame Imbert, plus de 1 000 places en MAS et en FAM sont inscrites dans le PLFSS 2023, pour 55 millions d’euros.

Enfin, oui, je souhaite vraiment simplifier les procédures, de concert avec les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH). Ce chantier a été lancé avec le soutien de la CNSA, qui a engagé un travail important avec les MDPH sur l’outil numérique harmonisé afin que les personnes en situation de handicap puissent aussi bénéficier du principe « Dites-le-nous une fois ».

Tandis que nous constatons une nette amélioration des délais de réponse des MDPH, il reste le problème de l’hétérogénéité des réponses données selon les départements. À chaque déménagement, il faut refaire un dossier et, bien souvent, des prises en charge différentes sont proposées. Nous devons donc travailler à une homogénéisation des pratiques des MDPH.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

présidente. – Je vous remercie pour vos réponses, madame la ministre.

Ce point de l’ordre du jour a fait l’objet d’une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

présidente. – Nous entendons maintenant M. Jean-François Delfraissy, président du Comité consultatif national d’éthique (CCNE), pour la présentation de l’avis publié le 13 septembre dernier sur les questions éthiques relatives aux situations de fin de vie. Sont également présents les deux rapporteurs de l’avis, M. Régis Aubry et M. Alain Claeys.

J’indique que cette audition fait l’objet d’une captation vidéo qui sera retransmise en direct sur le site du Sénat et disponible en vidéo à la demande.

Cet avis fait suite à une autosaisine du CCNE et a vocation, selon ses propres termes, « à éclairer le débat citoyen, les pratiques des professionnels de santé et le législateur ».

Le CCNE considère de façon inédite qu’« il existe une voie pour une application éthique de l’aide active à mourir ». Dans le même temps, l’avis relève deux insuffisances : celle du développement des soins palliatifs dans notre pays, bien documenté dans un récent rapport de notre commission, et celle de la connaissance et de la mise en œuvre de la loi du 2 février 2016, dite Claeys-Leonetti.

Partageant ce constat mais en tirant une conclusion différente, huit membres du CCNE ont souhaité publier une réserve, considérant que « franchir ce pas législatif sans ces efforts préalables représenterait un risque de renoncement que nous ne souhaitons pas prendre ».

Le 13 septembre dernier, le Président de la République a annoncé le lancement d’une Convention citoyenne sur la fin de vie, dont le pilotage a été confié au Conseil économique, social et environnemental (CESE) et que la Première ministre a saisie de l’interrogation suivante : « Le cadre d’accompagnement de la fin de vie est-il adapté aux différentes situations rencontrées ou d’éventuels changements devraient-ils être introduits ? ». Les conclusions de la convention sont attendues pour la fin mars 2023.

Dans cette attente, pourriez-vous nous exposer quelle serait cette « voie pour une application éthique de l’aide active à mourir » et en quoi le cadre législatif actuel devrait être modifié, le cas échéant, pour ouvrir cette voie ?

Debut de section - Permalien
Jean-François Delfraissy, président du Comité consultatif national d’éthique

– Permettez-moi de rappeler les conditions dans lesquelles a été élaboré l’avis 139 intitulé Questions éthiques relatives aux situations de fin de vie : autonomie et solidarité.

En juin 2021, j’ai souhaité que le CCNE s’autosaisisse de ce sujet, indépendamment d’une commande politique. Un groupe de travail a été constitué et trois rapporteurs ont été nommés. Ils ont auditionné plus de 40 personnes et ont présenté leur travail au CCNE en séance plénière. Toutefois, en fin d’année, une partie des membres du CCNE a changé. Ainsi l’avis 139 n’a-t-il été voté, à une très large majorité, que fin juin 2022.

Une partie des membres du groupe de travail a porté un avis minoritaire sur les recommandations qui pouvaient être faites, ce que je considère comme très sain sur un sujet aussi difficile. Elle a ensuite réfléchi aux conditions dans lesquelles elle souhaitait présenter cet avis minoritaire. Cela s’est fait sous la forme d’une réserve.

Le CCNE est une instance d’intelligence collective. Elle doit tenir compte des avis minoritaires ou différents. Toutefois, sur le fond, la très large majorité des membres du CCNE a voté cet avis, la réserve n’ayant été adoptée que par huit membres sur quarante-cinq.

L’avis comporte trois parties. La première rappelle tout ce qui a déjà été discuté au cours des vingt dernières années, et dresse le bilan de la loi Claeys-Leonetti. Cette loi est-elle suffisamment connue et appliquée ? La réponse est non, qu’il s’agisse du grand public ou des professionnels de santé. La politique de soins palliatifs menée en France depuis de nombreuses années n’est pas à la hauteur d’un grand pays comme le nôtre. Ainsi, dans un certain nombre de départements, il n’existe pas encore de soins palliatifs. Autre cas de figure, les soins palliatifs sont dans un corner par rapport à la structure hospitalière. En outre, dans les Ehpad ou à domicile, les soins palliatifs sont très peu développés.

Dans la deuxième partie de l’avis, nous nous sommes intéressés aux situations auxquelles la loi Claeys-Leonetti ne répondrait pas totalement. Nous avons identifié un certain nombre de cas concernant les personnes atteintes de maladies chroniques dégénératives ou de maladies incurables à moyen terme, soit au bout de quelques semaines ou quelques mois. Nous avons précisé les conditions éthiques dans lesquelles une porte pourrait être entrebâillée sur une vision nouvelle de ce que pourrait être une mort dans la dignité.

La troisième partie vise à permettre qu’un grand débat national puisse s’ouvrir sur ce sujet. Le Président de la République, dans son communiqué, a suivi le CCNE. Ce débat concernera le CESE, qui organisera une convention citoyenne, le CCNE et les espaces éthiques régionaux, qui mettront en place des réunions d’information pour les citoyens, lesquels sont perdus dans la terminologie, mais aussi le Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie, qui sera à l’écoute des équipes soignantes impliquées dans les soins palliatifs. Car, dans notre pays, on a médicalisé la mort depuis de nombreuses années, puisque 90 % des décès surviennent à l’hôpital.

Finalement, la question essentielle est la suivante : notre mort nous appartient-elle ou appartient-elle à la société, qui l’a déléguée aux médecins ? Cette question fondamentale est désormais sur la table.

Debut de section - Permalien
Alain Claeys, rapporteur sur l’avis n° 139 du Comité consultatif national d’éthique sur les questions éthiques relatives aux situations de fin de vie

– Le président du CCNE a posé le sujet de l’équilibre entre la solidarité et l’autonomie de la personne. Pourquoi avons-nous décidé de nous en autosaisir ?

Tout d’abord, le débat animait la société et des initiatives parlementaires avaient été prises. Ensuite, la situation des soignants dans les hôpitaux et les Ehpad témoignait d’un véritable mal-être, ces derniers constatant un manque de moyens pour prendre correctement en charge les patients. Enfin, la période du covid a engendré des drames dans les Ehpad.

Depuis vingt ans, les parlementaires ont travaillé pour relier les deux bouts de la chaîne, à savoir la solidarité et l’autonomie. Je pense à la loi de 1999 visant à garantir le droit à l’accès aux soins palliatifs - sous doute faudrait-il les renommer « soins d’accompagnement » -, qui témoigne de la volonté de solidarité de la Nation. Je pense également à la loi Kouchner de 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, qui vise à renforcer le pouvoir des patients dans le cadre de l’arrêt d’un traitement. Et je pense aussi à la loi Leonetti de 2005, qui concernait l’obstination déraisonnable. Ce sujet reviendra d’actualité dans les jours qui viennent, dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité. Je pense enfin à la loi de 2016, qui visait à créer trois nouveaux droits : la directive anticipée opposable, la personne de confiance et la sédation profonde et continue jusqu’au décès.

Dans ce cadre législatif, on a toujours cherché l’équilibre entre solidarité et autonomie, ce qui soulève trois questions.

Les trois questions auxquelles nous devions répondre sont assez simples.

D’abord, les lois que j’ai énumérées sont-elles correctement appliquées sur l’ensemble du territoire ou bien y a-t-il des inégalités sociales ou territoriales dans leur application ? Nous répondons que, clairement, de telles inégalités existent, par exemple en matière d’offre de soins palliatifs selon les départements, mais nous déplorons également l’absence, à l’échelon national, de recherche et de professeurs d’université-praticiens hospitaliers (PU-PH) dans cette discipline. Du reste, je parlais d’accompagnement et on constate une volonté de mobilité de la part des familles, afin de ne pas terminer sa vie à l’hôpital. Or le retard des soins palliatifs est grand, tant dans les Ehpad qu’à domicile.

Ensuite, y a-t-il une dévaluation la loi de 2016 ? Selon nous, non ; simplement, elle demeure méconnue. Par exemple, le centre hospitalier universitaire (CHU) de Poitiers a dû recruter une infirmière ayant travaillé en cancérologie, en soins palliatifs et dans un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), afin de populariser la notion de directive anticipée, auprès tant des patients que du corps médical. On constate la même ignorance à l’égard de la sédation profonde et continue. Cette loi va faire l’objet d’une évaluation de l’Assemblée nationale.

J’en viens enfin à la troisième question, qui ne doit pas être dissociée des deux autres, car ce serait un contresens que de réduire l’avis du CCNE à l’aide active à mourir : existe-t-il des situations particulières auxquelles même la loi de 2016 ne répond pas et sur lesquelles on peut légitimement s’interroger ? On touche là à la question de l’autonomie, car il ne saurait y avoir d’autonomie sans solidarité. Une société qui laisserait aux personnes seules la prise en compte de la mort serait inacceptable. Nous avons donc abordé ce sujet, en nous demandant s’il était éthique pour le législateur de l’aborder et comment l’encadrer.

Sur les recommandations, je ne développe pas ; sans doute, il ne nous appartient pas de nous prononcer sur l’opportunité d’un référendum, mais, d’après nous, eu égard à la complexité du sujet, c’est à la démocratie représentative de s’en emparer, après l’organisation d’une conférence citoyenne.

Debut de section - Permalien
Régis Aubry, rapporteur sur l’avis n° 139 du Comité consultatif national d’éthique sur les questions éthiques relatives aux situations de fin de vie

– Je vous remercie, d’être attentifs à ces questions complexes. Ce sujet est difficile, car personne n’a d’expérience personnelle de la fin de vie et les expériences liées à un proche sont forcément douloureuses. C’est pourquoi il est difficile de débattre et c’est pourquoi nous avons tâché, pendant un an, de prendre de la distance par rapport à nos propres expériences.

Je veux insister sur les spécificités de notre autosaisine. Je précise que je suis médecin, professeur de médecine palliative et engagé sur le sujet depuis longtemps.

Nous ne devons pas ignorer le changement important de paradigme qui a lieu dans le champ médical sur ces questions. Nous sommes aujourd’hui confrontés à des situations impensées de fin de vie, engendrées par le progrès médical : nous sommes confrontés à des personnes souffrant de maladies chronicisées, incurables. C’est comme si l’on avait allongé le temps de la fin de l’existence et repoussé la question de la propre finitude de l’homme. Ainsi, certains cancers sont transformés en maladies chroniques, on augmente l’espérance de vie de certaines maladies neurodégénératives. Ces situations impensées sont liées au vieillissement, conséquence de ces avancées techniques : de plus en plus de personnes atteignent un âge très avancé et souffrent alors d’une polypathologie, de plusieurs maladies synchrones.

Dans ce contexte, nous sommes confrontés à trois types de questions.

D’abord, comment faire pour que la médecine ne fabrique pas de situations insensées ? Elle peut faire beaucoup de choses, mais ce n’est pas parce que l’on peut faire que l’on doit faire, quand faire conduit à de la souffrance.

Ensuite, les différents plans de développement des soins palliatifs suffisent-ils ? Nous insistons sur la nécessité d’intégrer une culture palliative à la pratique professionnelle de tous les professionnels de santé. Il faut, pour cela, actionner deux leviers, la formation et la recherche, insuffisamment mobilisés aujourd’hui. On ne forme pas assez à la réflexion sur la finitude de l’homme – les humanités médicales ont presque disparu – et à la réflexion éthique, interprofessionnelle et exigeant de savoir débattre, de savoir ne pas être trop sûr de soi.

Au-delà de ces deux questions, nous sommes et serons confrontés à des situations, rares, de personnes dont l’existence, avant la toute fin de leur vie, avant le champ d’application de la loi Claeys-Leonetti, n’est plus que souffrance. Ces personnes, qui doivent avoir bénéficié de soins palliatifs – on imagine mal que ce soit optionnel –, demandent une aide active à mourir. Nous avons réfléchi à la notion d’aide active à mourir.

Il faut distinguer, dans ce domaine, l’assistance au suicide de l’euthanasie. La première consiste à permettre à une personne d’accéder à un produit létal, qu’elle se délivre elle-même. Il faut savoir que, dans l’Oregon par exemple, un nombre important de personnes qui ont demandé l’aide active à mourir ne vont pas chercher le produit létal et que, parmi celles qui vont le chercher, plusieurs ne l’absorbent pas ; ainsi, ce n’est pas parce que l’on fait une demande que l’on va au bout de celle-ci. Par opposition, l’euthanasie – l’administration d’un produit létal par un tiers – est sans recours. Cette nuance est fondamentale. Nous essayons de travailler sur le respect de l’autonomie de la personne autant que sur notre devoir de solidarité à l’égard des personnes en grande souffrance. Nous insistons également sur le fait que, à la lumière de quelques travaux de recherche, une demande ne signifie pas forcément une volonté ; elle peut exprimer, par exemple, un épuisement de vivre. Aussi, avant d’être l’expression d’une volonté, toute demande doit être analysée. On imagine mal que l’on accède, par simple demande, à l’assistance au suicide ; la demande doit être finement analysée et confirmée par un collectif, réitérée, ferme. Nous insistons sur cette distinction entre l’assistance au suicide et l’euthanasie.

L’assistance au suicide est le segment sur lequel il pourrait être, selon nous, éthique de faire évoluer le droit, afin de répondre, par solidarité, par respect pour l’autonomie de la personne, à certaines demandes. Ces situations sont, d’après mon expérience, très rares, mais cela ne doit pas nous empêcher d’y réfléchir.

Il nous faut donc tout à la fois concevoir une politique d’accompagnement de la vulnérabilité – vieillissement et soins palliatifs – qui soit à la hauteur des besoins, lesquels ne sont pas couverts aujourd’hui, et mener une réflexion sur l’assistance au suicide. Même s’il ne faut pas conditionner la seconde à la première, il nous semble indispensable de mener les deux de front ; on n’imagine pas de faire évoluer le droit relatif à l’assistance au suicide sans avoir une politique volontaire d’accompagnement des situations de vulnérabilité.

Toutes ces nuances nous paraissent essentielles. Nous avons la fâcheuse tendance de vouloir simplifier ce qui est complexe, mais, en l’occurrence, il ne faut pas y céder. D’où l’importance du débat public, car cette complexité doit être exposée et assumée. Il nous paraît fondamental de garder des nuances essentielles ; ensuite, sur ce fondement, on peut imaginer une évolution du droit.

Mme Corinne Imbert. – Six ans seulement se sont écoulés depuis la dernière intervention du législateur. La situation a-t-elle à ce point changé que le CCNE, qui jugeait en 2013 qu’il n’était pas souhaitable de légaliser l’assistance au suicide, estime maintenant nécessaire de le faire, en identifiant dans son avis une voie pour une application éthique d’une « aide active à mourir » ? Pour le justifier, cet avis fait référence à des éléments objectifs – des situations limites, l’allongement de la fin de vie en raison de la médicalisation – et des éléments subjectifs, comme l’extension de situations de solitude ou une demande croissante d’autonomie psychique. Pourrait-on circonscrire plus précisément les situations objectives ? Au fond, la voie qu’identifie l’avis ne revêt-elle pas une dimension plus subjective qu’objective, en prenant en compte les personnes qui veulent mourir plus que celles qui vont mourir, le suicide plus que la fin de vie ?

Un argument en faveur de la législation sur l’aide active à mourir consiste à affirmer que cela correspond à une demande claire de la société. Mais, d’une part, encore faudrait-il connaître l’état exact de l’opinion sur le sujet ; selon certains sondages, une partie importante de nos concitoyens préfère les soins palliatifs à l’aide active à mourir. D’autre part, la volonté peut changer : nombre de personnes arrivant dans une structure de soins palliatifs avec la volonté de mourir finissent, après quelque temps passé dans cette structure, par souhaiter vivre un peu plus longtemps. Or, une fois la loi votée, elle s’applique à tous.

Par ailleurs, la modification de la loi pour autoriser l’aide active à mourir ne pourrait-elle servir de prétexte à ne pas développer les soins palliatifs, qui sont, tout le monde en convient, insuffisants sur notre territoire ?

Enfin, que pensez-vous de l’évolution de l’expression « mourir dans la dignité », transformée par certains en « mourir dans la liberté » ?

M. Bernard Jomier. – Vos explications orales m’ont parfois semblé plus convaincantes que ce qui est écrit dans le rapport, ce qui renvoie à la difficulté de parler du sujet.

Le principe d’autonomie n’a cessé de prendre de l’importance au fil des lois de bioéthique, de sorte qu’il nous faut désormais nous interroger sur ses limites : est-ce que ma mort m’appartient ? Il est très difficile d’apporter une réponse à cette question.

Si cette évolution correspond à une demande de la société, il ne faut pas pour autant négliger le principe de l’intérêt général. Le législateur ne pourra pas trancher la question de la nécessité d’une nouvelle loi sans apporter une réponse à celle des limites du principe d’autonomie.

Vous tracez des lignes rouges, et la principale porte sur le réel accès des Français aux soins palliatifs. Mais qui peut croire que d’ici trois à cinq ans tous les Français auront accès à ces soins ? Je n’en suis vraiment pas convaincu, car la situation évolue à un rythme bien trop lent. On entend dire, dans le débat public, que le CCNE « ouvre la porte à une législation sur l’aide active à mourir » : j’en conclus que ce n’est pas pour demain.

On ne légifère pas à partir de l’expérience personnelle. C’est la raison pour laquelle je me suis abstenu lors du vote sur le texte de Marie-Pierre de La Gontrie, car le débat avait été trop empirique. En revanche, il a permis de poser la question fondamentale du suicide assisté par opposition à l’euthanasie. Jusqu’où accepte-t-on que les soignants interviennent ? Peuvent-ils participer directement au processus qui consiste à donner la mort ? Toute société fonctionne sur une répartition des rôles qui doit être compréhensible pour chacun.

Peut-on au nom du principe d’autonomie permettre qu’un citoyen accède au suicide assisté ? Et doit-on donner aux soignants la possibilité de participer au processus ? Telles sont les deux questions que la loi doit prendre en compte de manière bien distincte si l’on veut qu’elle soit applicable.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

présidente. – L’Ordre des médecins travaille sur le sujet des soignants et rendra un rapport au début du mois de novembre prochain.

Debut de section - Permalien
Alain Claeys, rapporteur sur l’avis n° 139 du Comité consultatif national d’éthique sur les questions éthiques relatives aux situations de fin de vie

– La loi de 2016 ne couvre pas tous les sujets que nous abordons dans cet avis, notamment les situations exceptionnelles que nous avions déjà mentionnées dans nos précédents avis.

Parmi les facteurs objectifs, figure le fait que la sédation profonde ne peut pas être administrée médicalement quand le pronostic vital est engagé non à court mais à moyen terme. Or, sous réserve que des soins d’accompagnement existent, la question peut se poser dans certaines situations. C’est dans ce cadre que nous avons abordé le sujet de l’aide active à mourir.

Notre rapport manque-t-il de précision ? Je ne saurais le dire. Quoi qu’il en soit, il ne suffira pas d’un plan financier annoncé par le ministre pour régler le problème des soins d’accompagnement. Il faudrait, y compris dans la communauté médicale, une petite révolution pour que ces soins figurent dans le processus de prise en charge d’un patient dès lors que l’on diagnostique telle ou telle maladie. Les situations sont diverses. Parfois, ces soins n’existent pas au sein de l’hôpital, mais sont pratiqués ailleurs. Dans certains cas, les soins palliatifs sont prévus dès le début.

Il n’est pas forcément nécessaire d’en passer par une nouvelle loi, mais si le législateur décide d’aborder ce sujet, il faudra qu’il prévoie des programmes fléchés vers les soins d’accompagnement.

Quant à l’aide active à mourir, elle recouvre deux cas, à savoir l’assistance au suicide qui passe par la recherche du consentement, à travers une autonomie exprimée par la personne, et l’euthanasie, dès lors que nous avons voulu prendre en compte toute demande formulée par une personne autonome psychologiquement, mais incapable de la réaliser physiquement.

Notre groupe de travail n’a pas voulu trancher sur ce dernier point, laissant cela au législateur. Il s’est contenté d’établir l’existence de deux possibilités : soit la responsabilité incombe au médecin sous le contrôle d’un juge, soit on lève l’interdit, ce qui ouvre la possibilité de l’euthanasie. Les avis sont très partagés sur la question.

Debut de section - Permalien
Régis Aubry, rapporteur sur l’avis n° 139 du Comité consultatif national d’éthique sur les questions éthiques relatives aux situations de fin de vie

– Il nous faudrait bien plus que le temps imparti pour débattre de l’autonomie et de la dignité.

Quoi qu’il en soit, une vision absolutiste de l’autonomie n’est effectivement pas adaptée. Plus on est malade, plus on a besoin d’autrui pour exercer son autonomie. C’est ainsi que s’établit une relation de confiance entre le malade et son entourage. Plusieurs études publiées par l’Institut national d’études démographiques (Ined) montrent que plus on s’approche de la fin de son existence, plus souvent on change d’avis.

Toutefois, on ne peut pas nier son autonomie à une personne au seul motif qu’elle est malade. Certains cheminent pendant des semaines et des mois. Leur demande est élaborée, fruit de longues discussions. Il serait irrespectueux et indigne de considérer que la personne n’est plus capable d’autonomie au seul motif qu’elle est en fin de vie. D’où l’importance du travail d’accompagnement, d’écoute et d’aide au cheminement, qui reste insuffisamment valorisé. Trop souvent, l’acte technique prime le relationnel et l’humain. Or on prendrait un risque à se cantonner à la question du droit sans entreprendre de développer une culture palliative.

La priorité est moins l’évolution du droit que l’orientation des politiques publiques dans le domaine de la santé. L’accompagnement des personnes en situation de vulnérabilité doit-il s’inscrire plus largement dans un devoir de solidarité ? En effet, c’est au prisme de notre rapport à la solidarité que le débat public doit se faire. Je reste convaincu, quant à moi, que nous faisons société parce que nous faisons solidarité.

Enfin, je préfère employer le mot « dignité », comme le faisait Robert Badinter en l’appliquant à toute personne en vie. La dignité est une notion presque ontologique, dès lors que l’on est en vie. Voilà pourquoi il vaudrait mieux réfléchir à « vivre dans la dignité » plutôt qu’à « mourir dans la dignité ».

Debut de section - Permalien
Alain Claeys, rapporteur sur l’avis n° 139 du Comité consultatif national d’éthique sur les questions éthiques relatives aux situations de fin de vie

– Mais nous n’avons pas retenu l’expression dans le rapport.

Mme Corinne Imbert. – Certains disent « mourir dans la liberté ».

Debut de section - Permalien
Régis Aubry, rapporteur sur l’avis n° 139 du Comité consultatif national d’éthique sur les questions éthiques relatives aux situations de fin de vie

– La liberté est encore une autre notion.

Nous nous en sommes tenus aux mots d’« autonomie » et de « solidarité » en les nuançant. Ceux de « dignité » et de « liberté » sont des mots-valises que l’on peut utiliser dans un sens ou dans l’autre.

Debut de section - Permalien
Jean-François Delfraissy, président du Comité consultatif national d’éthique

– Le CCNE prend la mesure de la complexité des enjeux. Son ambition est que ses travaux servent de boussole dans les discussions. La main ne peut que trembler lorsqu’on écrit sur un sujet aussi fondamental. Toutefois, d’autres pays ont su évoluer sur la question, de sorte qu’il est légitime que nous l’examinions aussi en France.

Il y a sept ou huit ans, nous n’aurions pas forcément rendu un avis très différent. J’en veux pour preuve que dans l’avis 129, publié à la suite des États généraux de la bioéthique, en 2018, figurait la mention de certaines situations très particulières.

Toutefois, le rôle du CCNE est-il de défendre quoi qu’il en coûte des valeurs qui se contredisent entre elles ou bien de prendre en compte les évolutions de notre société ?

Les soins palliatifs ont considérablement évolué au cours des dernières années, même si ce n’est sans doute pas suffisant. La médecine en vient à créer des conditions très particulières, certains patients pouvant se retrouver en cinquième ou sixième ligne de chimiothérapie pour un cancer en stade quatre. Que faire de ces cas très complexes qui n’existaient pas il y a dix ans ? N’est-ce pas le rôle du CCNE que de tenir compte des progrès de la science et des évolutions sociétales ?

En ce qui concerne les soignants, j’ai vécu les transformations qu’ils ont connues dans les années 1990, au moment de l’épidémie de sida. Il n’existait pas alors de loi et nous prenions des décisions en notre âme et conscience. Puis, le Parlement a élaboré des lois avec lesquelles la jeune médecine doit désormais composer.

N’y a-t-il pas une contradiction à demander au médecin de sauver de la mort et de donner la mort ? C’est certain. Dans les modèles, il faudra donc préciser la notion d’assistance à l’euthanasie : par exemple, dans le modèle suisse, la décision de fournir le médicament doit être collégiale.

Il conviendra aussi de prendre en compte le devoir de réserve. En effet, dès lors que 90 % des décès ont lieu en milieu médicalisé, faut-il que les médecins restent seuls à décider ou bien qu’une partie des décisions soit laissée dans les mains de l’individu ? D’autant que si les médecins ne souhaitent pas prendre de décision, ils peuvent exercer leur devoir de réserve.

L’Espagne a voté une loi sur le sujet, il y a trois ans, mais sans prendre le temps de se concerter avec les équipes soignantes, de sorte que le texte est bloqué, car personne ne veut l’appliquer. Il faut écouter les équipes soignantes et l’ensemble du corps médical qui accompagne les patients.

Debut de section - Permalien
Régis Aubry, rapporteur sur l’avis n° 139 du Comité consultatif national d’éthique sur les questions éthiques relatives aux situations de fin de vie

– On ne peut pas mettre sur le même plan l’implication du professionnel de santé dans l’assistance au suicide et dans l’euthanasie. Cette différence est fondamentale et n’apparaissait pas suffisamment dans la proposition de loi de M. Falorni.

M. Olivier Henno. – Monsieur Delfraissy, lorsque nous vous avions entendu au sujet du projet de loi relatif à la bioéthique, vous avez prononcé cette phrase terrible mais juste : « On meurt mal dans notre pays. »

Quand vous avez dit que 90 % des personnes mouraient à l’hôpital ou bien quand vous avez posé la question de savoir si notre mort nous appartenait à moins qu’elle n’appartienne à la société, qui l’a déléguée aux médecins, ces propos m’ont interpellé. Le principe d’autonomie semble l’emporter, dans notre société, sur celui de solidarité.

Très souvent, ceux qui se rapprochent de la mort souhaitent mourir chez eux ; or c’est loin d’être toujours possible, ce qui accentue l’angoisse de la mort et contribue à la montée du principe d’autonomie. Est-il inéluctable que 90 % des personnes meurent à l’hôpital ? Ne peut-on pas mourir dans la dignité même chez soi ?

M. Daniel Chasseing. – Certaines situations sont difficiles à tous les âges, qu’il s’agisse du cancer ou des maladies neurodégénératives. La loi suffit-elle à encadrer ces situations rares ? Dans certains cas, je ne le crois pas.

Si les personnes meurent rarement à domicile, c’est par manque d’accompagnement, qu’il s’agisse de la famille, des infirmiers ou du médecin. Tout est problème d’accompagnement. Même si l’immunothérapie a beaucoup progressé, de sorte que certains patients vivent jusqu’à des stades très avancés de leur maladie, il arrive toujours un moment où l’on est en difficulté et où l’on a besoin d’un accompagnement plus important.

La loi Claeys-Leonetti a permis des progrès considérables, notamment dans les départements ruraux comme la Corrèze. Dans les Ehpad, les familles ont pu apprécier l’accompagnement des soins palliatifs. Il faudrait les développer encore davantage, en amont.

Faut-il changer la loi pour ce faire ou bien simplement l’adapter ? Il convient en tout cas de la renforcer pour favoriser le développement des soins palliatifs, en collaboration avec les équipes soignantes.

Mme Victoire Jasmin. – Je suis heureuse d’entendre parler, dans ce débat, de « solidarité », de « dignité » et de « souffrance des soignants ». Cependant, comment a-t-on pu en venir à banaliser l’administration du Rivotril dans les Ehpad, il y a quelques mois ?

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

présidente. – Nous avons je crois tous connu dans notre entourage des situations de fin de vie et n’aurions jamais qualifié quiconque d’indigne, même lorsque la mort n’était pas celle que la personne souhaitait ou que l’on aurait souhaitée pour elle. L’expression « mourir dans la dignité », qui donne son nom à une association, m’a toujours perturbée, voire choquée, car il me semble que la dignité existe jusqu’au dernier souffle.

Quel regard portez-vous sur le cas de cette jeune femme belge qui s’est retrouvée en grande souffrance après les attentats, et qui a été euthanasiée à sa demande ?

Certains articles de presse laissent entendre que les mutuelles pourraient se positionner sur le sujet. Sans vouloir invoquer de manière caricaturale la motivation économique, ne faut-il pas craindre de ce type de positions une moindre incitation à développer les soins palliatifs ?

Debut de section - Permalien
Régis Aubry, rapporteur sur l’avis n° 139 du Comité consultatif national d’éthique sur les questions éthiques relatives aux situations de fin de vie

– Qu’est-ce que « bien mourir » ou « mourir heureusement » ? La mort est toujours une épreuve. Quand nous parlons de « mourir mal », c’est pour souligner l’insuffisance des moyens en matière d’accompagnement.

Le temps de la fin de vie s’accroît de sorte qu’il faut distinguer le lieu de la fin de vie et celui du mourir. Si mourir à domicile est l’option plébiscitée, elle reste difficile à mettre en œuvre, car la société a changé et que les familles multigénérationnelles se raréfient. En outre, certaines professions ne sont pas assez valorisées, comme les aides à domicile, qui restent insuffisamment formées et rémunérées. C’est pourtant le nœud gordien du maintien à domicile.

Autre point important, la possibilité de ne pas être seul. Or l’on constate que la solitude en fin de vie est un phénomène qui se répand de manière très inquiétante dans notre pays.

L’enjeu concerne aussi certaines personnes âgées. L’avis 128 que nous avions publié montre qu’elles doivent souvent aller finir leur existence en Ehpad alors qu’elles ne le souhaitent pas. Certaines choisissent le suicide.

Quant au Rivotril, il se trouve que pendant la première vague de covid, le Midazolam, médicament utilisé pour provoquer la sédation, est venu à manquer. Or certaines situations de fin de vie dans les Ehpad ou à domicile ont nécessité de recourir au Rivotril pour endormir les personnes. Ce n’est toutefois pas le médicament le plus adapté.

Debut de section - Permalien
Alain Claeys, rapporteur sur l’avis n° 139 du Comité consultatif national d’éthique sur les questions éthiques relatives aux situations de fin de vie

– Que de progrès ont été accomplis en matière de soins palliatifs ! Toutefois, une petite révolution reste à mener sur les soins d’accompagnement. Si on ne prend pas de mesures, on tournera en rond. Par exemple, la tarification à l’activité (T2A) a été un progrès à l’hôpital. Les soins d’accompagnement ne peuvent-ils pas sortir de son champ ? Ce serait une décision à la portée directement efficace.

La réflexion sur la notion d’obstination déraisonnable est loin d’être aboutie. Le CCNE et le législateur devront s’en emparer.

M. Jean Sol. – Je vous remercie pour ce rapport riche sur un sujet compliqué.

Selon vous, avons-nous les moyens d’évaluer la loi de 2016 dans toutes ses composantes avant d’aller plus loin sur le sujet ?

Enfin, cessons de considérer la finitude comme un échec.

Debut de section - Permalien
Jean-François Delfraissy, président du Comité consultatif national d’éthique

– Nous avons en France une culture assez faible en matière d’évaluation des politiques publiques. En outre, ce sont des cabinets d’audit externes qui s’en chargent. Il manque une expertise universitaire. À ce jour, alors que nous l’avions demandée dès le mois de juin 2021, nous ne disposons d’aucune évaluation claire de la loi. La Cour des comptes a été sollicitée par l’Assemblée nationale de sorte qu’une première forme d’évaluation devrait nous être transmise au mois de mars prochain.

Si la loi doit évoluer, il est essentiel que le Parlement inscrive dans le texte une évaluation des nouvelles dispositions dans un délai donné.

Debut de section - Permalien
Régis Aubry, rapporteur sur l’avis n° 139 du Comité consultatif national d’éthique sur les questions éthiques relatives aux situations de fin de vie

– Les médecins ont tendance à assimiler la fin de vie et la mort à un échec, ce qui nuit à l’idée d’un cheminement possible. Il est nécessaire de réfléchir aux niveaux de soins, d’interroger le sens des mots « soigner » ou « traiter ». Parfois, le médecin doit décider de ne pas faire. Dans un avis en préparation, nous nous questionnons sur les notions de « vivre » et de « soigner ». En miroir de ces notions, il y a la souffrance des soignants. Il est essentiel de développer une culture de la réflexion éthique, qui implique de savoir hésiter, de ne pas être sûr de soi et surtout de travailler collectivement.

Parfois, le temps des personnes malades et des familles ne croise plus celui des soignants. C’est dramatique.

Debut de section - Permalien
Jean-François Delfraissy, président du Comité consultatif national d’éthique

– Nous publierons un nouvel avis d’ici à la fin du mois d’octobre qui portera sur les enjeux éthiques et les valeurs à privilégier pour la reconnaissance du système de soins. Nous y poserons la question du temps des soignants pour les familles et pour les patients.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

présidente. – Nous vous remercions.

Ce point de l’ordre du jour a fait l’objet d’une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 16 h 40.