À l'occasion de cette table ronde sur l'économie circulaire dans le secteur du bâtiment, nous accueillons M. Jacques Vernier, président de la Commission des filières de responsabilité élargie des producteurs, Mme Yolaine Paufichet, membre du Conseil national de l'ordre des architectes et M. Franck Perraud, président du conseil des professions de la Fédération française du bâtiment.
Je salue la présidente du groupe d'études « Économie circulaire », notre collègue Marta de Cidrac, ainsi que l'ensemble des membres de ce groupe d'études, qui nous ont proposé la tenue de cette table ronde pour tirer un bilan de la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire, promulguée en février 2020, dite loi « Agec ».
À l'origine de 15 % des déchets produits en France, le secteur du bâtiment est - après celui des travaux publics - une des principales sources de déchets dans notre pays. Ce secteur occupe à ce titre une place stratégique dans notre politique d'économie circulaire. Depuis la loi de transition énergétique de 2015, le bâtiment et les travaux publics font ainsi l'objet de cibles spécifiques : d'une part, ce secteur est identifié par la loi comme contributeur à l'objectif de réduction de 5 % des quantités de déchets d'activités économiques en 2030 par rapport à 2010 ; d'autre part, le législateur de 2015 avait prévu une valorisation sous forme de matière de 70 % des déchets du bâtiment et des travaux publics en 2020.
Selon les travaux préparatoires de la loi « Agec », le taux de valorisation matière des déchets du secteur du bâtiment n'atteignait pourtant que 54 % en 2019, soit 16 points de moins que l'objectif qui lui était assigné.
Cette trop faible valorisation matière des déchets du bâtiment est dommageable d'un point de vue environnemental et économique. Ces déchets exercent une double pression foncière : « en aval », car ils contribuent à la saturation des sites de stockage ; « en amont », car l'absence de circularité induit l'ouverture de nouveaux sites d'extraction de matériaux. Il faut également rappeler le bilan carbone associé à certains matériaux neufs : la seule production de ciment génère 7 % des émissions mondiales de dioxyde de carbone (CO2).
Autre élément de contexte qui avait nourri les travaux préparatoires de la loi « Agec » : la multiplication des dépôts sauvages, alimentés notamment par les déchets du bâtiment.
Pour répondre à ces défis, la loi « Agec » a mis en place une filière de responsabilité élargie du producteur (REP) pour les produits et les matériaux de construction du secteur du bâtiment. Le législateur a confié plusieurs missions aux éco-organismes en charge de l'organisation de cette filière REP : le développement du réemploi, de la réutilisation et du recyclage de ces déchets, par l'instauration d'objectifs contraignants inscrits dans le cahier des charges des éco-organismes ; le principe d'une reprise sans frais de ces déchets lorsqu'ils font l'objet d'une collecte séparée ; l'instauration d'un maillage territorial des points de collecte, afin que chaque artisan soit en mesure de trouver à proximité une solution de reprise de ses déchets.
Parmi les autres mesures introduites par la loi « Agec » affectant directement le secteur du bâtiment, je citerai l'amélioration du diagnostic déchets, et notamment son extension aux opérations de démolition ou de réhabilitation significative, ou encore l'amélioration de la traçabilité des déchets du bâtiment dans les devis de construction et de démolition.
Malheureusement, la mise en oeuvre de ces avancées prend du retard. Le délai législatif initial était au 1er janvier 2022, il a été repoussé au 1er janvier 2023. Les pouvoirs publics ont justifié ce retard par la crise sanitaire et la situation actuelle de tension sur l'approvisionnement pour certaines matières premières de construction ; des motifs qui, aussi légitimes soient-ils, ne doivent pas cacher la lenteur initiale des travaux préparatoires. Notre commission est consciente des difficultés inhérentes au lancement de la plus grande filière REP, mais il faut avancer.
Cette table ronde doit donc nous permettre de faire un bilan d'étape de la mise en oeuvre de la loi « Agec » et des difficultés d'application qui persistent. J'espère qu'elle ouvrira également des perspectives : en matière de réemploi et de réutilisation, notamment, nous devons et nous pouvons faire beaucoup mieux, alors que le contexte géopolitique et économique nous pousse à réduire notre dépendance à certaines matières premières.
La notion de REP est antérieure à la loi « Agec » : la première filière a été l'emballage, il y a une trentaine d'années, puis la REP s'est progressivement élargie à une douzaine de filières. La loi « Agec » y a ajouté une dizaine de filières, dont le bâtiment. La REP oblige le producteur à prendre en charge les déchets de la construction et de la démolition, techniquement et financièrement. Cette responsabilité est importante quantitativement, puisque le volume de déchets dépasse 40 millions de tonnes pour le seul bâtiment, hors travaux publics, c'est l'équivalent de l'ensemble des déchets ménagers ; elle est importante qualitativement aussi, car si certains déchets se collectent et se recyclent bien - les métaux, par exemple, sont recyclés à 90 %, le bois à 50 % - d'autres se recyclent mal, comme le plastique, le plâtre, le verre, où les taux descendent sous les 20 %.
Pour mieux collecter ces matériaux qui trop souvent se retrouvent dans des décharges sauvages, l'idée de la REP, c'est de constituer un réseau maillé de points de reprise, pour que tout artisan trouve un point de reprise à moins de 10 kilomètres de chez lui, ce qui représente entre 5 000 et 10 000 points où la reprise des déchets serait gratuite, pour peu que le tri en ait été fait, alors que la reprise est aujourd'hui payante. Ces points de reprise peuvent être des déchetteries publiques ou privées, mais aussi des distributeurs de matériaux de construction, que la loi oblige à jouer ce rôle. Il faut aussi que dans chacun de ces points de reprise, tous les déchets soient accueillis, pour qu'un artisan n'ait pas à se disperser entre plusieurs points.
Dans ce schéma, les producteurs délèguent la REP à des éco-organismes : 4 ont été agréés à ce jour par l'État. Voilà pour la présentation générale, liminaire.
Le Conseil national de l'ordre des avocats, au sein duquel je suis élue, vient de publier un plaidoyer présentant l'architecture comme solution à la ville et à nos territoires - un document que je vous invite à télécharger sur le site du conseil. Nous y présentons 5 axes de propositions face à l'urgence climatique, qui appellent à un changement de paradigme.
Le meilleur déchet est celui que l'on ne produit pas - et comme architectes, nous devons aider à construire sobre et frugal. Or, la ville existant déjà, le premier déchet à ne pas produire est celui des bâtiments actuels. Il faut donc regarder de près quelle y est la vacance, comment réutiliser les bâtiments vides, retrouver des usages, pour que ces mètres carrés construits ne deviennent pas des déchets. La réflexion doit aussi porter sur la façon d'utiliser les matériaux, privilégier ceux qui sont bio-sourcés parce qu'ils viennent de la terre, qu'ils demandent donc moins de transformation et qu'ils sont renouvelables d'eux-mêmes, comme par exemple la terre, le bois ou le chanvre, qui sont aussi compostables en fin de vie. Nous proposons ainsi une architecture de circuit court, une « architecture des 100 kilomètres ».
Nous réfléchissons aussi à l'architecture du réemploi des matériaux, ce qui suppose de faire le diagnostic de ce qui existe, avec un nouveau circuit de traçabilité, de stockage et de redistribution aux entreprises. Des sites référencent déjà les matériaux, il faut les développer plus largement, nous en sommes à une trop petite échelle.
Il faut également penser les choses dès la conception du bâti, en particulier la « démontabilité » des bâtiments. Un exemple parlant : il est beaucoup plus facile de démonter une menuiserie vissée que collée ou clouée, cela aura une incidence sur le réemploi.
Le secteur du bâtiment représente 50 000 entreprises, dont 35 000 artisans, et 150 milliards de chiffre d'affaires. Nous nous félicitons de la loi « Agec ». La Fédération française du bâtiment travaille sur les déchets depuis au moins 1992. L'importance du sujet s'est considérablement accrue ces dernières années. Les industriels ont fait des progrès spectaculaires, nous ne pensions pas que les habitudes pourraient changer à ce point ; nous parlons désormais d'adaptabilité des bâtiments pour une seconde vie, pour accompagner nos concitoyens tout au long de leur vie. Nous parlons du tri des matériaux, du réemploi et aussi de la lutte contre les dépôts sauvages.
Un gros travail a été fait cette année pour préparer la REP. Nous remercions les pouvoirs publics d'avoir prolongé le délai d'un an. Il y a beaucoup à faire, l'ensemble de la REP représenterait 2,7 milliards d'euros à gérer pour les éco-organismes. Nous nous félicitons qu'une tarification progressive ait été introduite.
Cependant, nous avons écrit à la Première ministre avec l'ensemble de la filière, pour lui faire part de nos inquiétudes. D'abord, la REP va démarrer, mais rien n'a été contractualisé avec les déchetteries, certaines arrêtent de reprendre les déchets du bâtiment, sans organisation apparente : on dit que les choses sont en cours, mais cela veut dire qu'elles ne sont pas encore faites, alors que les déchets sont là. Ensuite, il a été beaucoup dit que la reprise des déchets serait gratuite, mais nous ne connaissons toujours pas précisément les conditions du tri qui doit être éligible à la gratuité de la reprise. Des informations contradictoires circulent, il y a beaucoup d'incertitudes, par exemple sur la recevabilité, ou pas, d'une plaque de plâtre dès lors qu'il reste du papier peint collé dessus, ou encore d'une benne vitrée dont le vitrage sera un peu fissuré...
Nous rencontrons aussi un problème sur le prix, parce que les éco-organismes proposent des éco-contributions avec des montants différents, mais aussi parce que ces montants devraient s'accroître rapidement, alors que les délais peuvent être longs pour les chantiers. Nous demandons donc un report du paiement de la REP et que, pour la suite, les tarifs soient connus bien à l'avance, pour les intégrer dans les devis. Pour certains matériaux, la reprise est déjà gratuite, il faut répartir les charges de l'éco-contribution entre les autres matériaux.
Nous avons un sujet technique, également, sur la définition du producteur. Nous avions compris que la responsabilité était celle des industriels ; cependant, dans certains métiers, par exemple la charpente bois ou métal, l'artisan serait le producteur, dès lors qu'il met le produit sur le marché. Or, la mise en place de la REP représente un travail administratif dont la lourdeur risque de décourager des artisans, qui en seront d'autant moins incités à fabriquer et plus à acheter des produits industriels. Nous demandons donc que la REP intervienne le plus en amont possible, pour éviter ce découragement.
Enfin, nous croyons au réemploi, nous avançons sur le sujet, mais un problème se pose sur l'assurabilité des objets récupérés - ils ne sont pas toujours assurables dans les normes actuelles. Nous comptons sur les industriels pour une éco-conception plus vertueuse, comme on l'a fait pour les produits bio-sourcés - car nous sommes tout à fait d'accord : les meilleurs déchets sont ceux que l'on ne produit pas.
Quatre éco-organismes - Ecominero, Ecomaison (ex-Ecomobilier), Valdelia et Valobat - ont, enfin, été agrées pour la filière REP bâtiment, qui entrera en vigueur le 1er janvier prochain. Même si on ne peut que regretter le retard d'un an par rapport à la date initialement fixée par le Parlement, on ne peut que se réjouir de voir l'axe de réforme le plus ambitieux de la loi « Agec » devenir réalité.
Pour accompagner le démarrage de la filière, le Gouvernement a annoncé, lors des assises du BTP du 22 septembre dernier, une période de tolérance jusqu'au 30 avril 2023 pour la mise en conformité des petites entreprises concernées par la REP et une démarche de sensibilisation pédagogique à cette nouvelle obligation. L'accompagnement des acteurs vous semble-t-il suffisant ? Faut-il en faire plus en la matière ?
Je note que l'agrément de plusieurs éco-organismes exauce le voeu exprimé par le rapport Vernier de 2018 d'une plus grande concurrence au sein des filières, voeu que je partage personnellement. Comment envisagez-vous l'articulation entre les différents éco-organismes ? Les conditions sont-elles réunies pour qu'une concurrence saine et efficace améliore les résultats de la filière ?
Connaît-on le coût de la filière REP pour l'année à venir ? C'est important, puisque certains acteurs ont souhaité que le paiement des éco-contributions soit intégralement répercuté sur le client final, ce qui me semble peu avisé en cette période d'inflation. Le principe de la REP est de faire porter la prévention et la gestion des déchets sur l'amont, et non sur l'aval : c'est à ce prix que les pratiques pourront s'améliorer.
Enfin, la question de l'économie circulaire dans le bâtiment ne se résume pas à la mise en place de la filière REP. La loi « Agec » a prévu un autre dispositif très intéressant pour la planification et l'organisation des flux de déchets du bâtiment : le diagnostic déchets. Les auditions dans le cadre du groupe d'études « Économie circulaire » nous ont permis d'identifier des difficultés d'application actuelles ou potentielles.
Nous regrettons le retard pris dans la publication de l'arrêté d'application. Cette situation est d'autant plus dommageable que l'application du diagnostic avait déjà pris du retard avec la publication tardive des décrets, six mois après la date fixée par la loi. Où en sommes-nous aujourd'hui ?
Enfin, l'absence de sanction en cas de non-application du diagnostic pourrait inciter les acteurs de la chaîne de valeur à ne pas changer leurs pratiques. Une obligation de remise d'attestation de réalisation du diagnostic lors de la demande de permis pour les rénovations et démolitions pourrait constituer un levier incitatif fort : qu'en pensez-vous ?
Les filières REP étant innovantes, il faut les mettre en place de manière progressive, pour qu'elles soient digérables et digérées par les secteurs économiques. Le réseau maillé ne peut pas se faire en un jour : les textes précisent que la moitié du réseau devra être installée pour fin 2024, et l'intégralité pour fin 2026, nous avons donc du temps. La loi prévoit que la filière prendra en charge les coûts de transport entre le chantier et le point de reprise - jusqu'à 80 % des frais seront ainsi pris en charge, mais progressivement : les textes fixent d'abord un seuil de 50 % des frais de transports, avant le passage à 80 %. Les éco-contributions seront donc payées par les producteurs, mais progressivement, et les barèmes établissent une charge de 2 ou 3 centimes par kilogramme de produit. Cette progressivité va se traduire par une montée en charge lente.
Ensuite, il y aura un organisme coordinateur pour organiser le réseau maillé, qui sera commun aux éco-organismes. Il y aura un contrat-type entre les éco-organismes et les collectivités, qui sera lui aussi unique. Cet organisme coordinateur est en cours de mise en place, car les quatre éco-organismes agréés ont deux mois pour le faire à compter de leur agrément.
Qui paie la REP ? Le producteur du matériau, ou de l'objet fini ? Des professionnels du bâtiment, et avec eux la FNB, posent la question : le menuisier est-il le producteur ? Est-ce à lui de payer la REP ? Ces professionnels et la FNB répondent par la négative, mais l'État a tranché dans l'autre sens : le menuisier est bien le producteur. Il s'agit ici de respecter le principe général de la REP : l'important, ce n'est pas seulement le matériau, c'est surtout la façon dont le produit est fabriqué. Il faut tendre vers une meilleure éco-conception, par exemple en rendant l'objet démontable. Dans la filière des meubles, par exemple, l'ébéniste est bien producteur, avec un barème simplifié.
Pourquoi le diagnostic déchets est-il en retard ? Le texte de référence est un peu complexe, cela prend donc du temps.
Est-ce sain d'avoir quatre éco-organismes qui vont se concurrencer ? La concurrence a ses vicissitudes, certes, mais la REP nécessitant de l'innovation, elle a aussi des vertus. On ne parle pas assez de l'aval, du réemploi et du recyclage, il y a donc de la place pour la concurrence et l'innovation. Cela dit, les éco-organismes se sont effectivement lancés dans une course à l'échalote avec des éco-contributions basses pour avoir le plus de clients possible. Cette concurrence sauvage, ce dumping sur les prix n'est pas très correct pour les producteurs, car les tarifs bas pour l'an prochain masquent le fait qu'ils vont fortement augmenter l'année suivante. La FFB a appelé à des tarifs stables, elle a raison.
J'ai une proposition : renommer le diagnostic « déchets » en diagnostic « ressources », car le diagnostic suppose qu'on va pouvoir réutiliser le bâti et ses matériaux, qui ne seront donc pas nécessairement des déchets. Je pense aussi que ce diagnostic devrait être obligatoire dès qu'il y a projet de réhabilitation ou de démolition, y compris sous le seuil actuel de 1 000 m2.
Sur le prix, ensuite, l'idée n'était pas que le maître d'ouvrage paie la REP, alors que c'est ce qui va se passer : c'est difficile pour nous, surtout quand le prix des matériaux augmente. Une piste : le propriétaire ne pourrait-il pas payer la REP du bâtiment à démolir ?
Le diagnostic déchets a été long à se mettre en place, mais le rythme est maintenant bon, parce qu'il est beaucoup plus demandé désormais.
L'annonce faite par Bruno Le Maire la semaine dernière de reporter d'un trimestre le paiement de l'éco-contribution pour les PME est une bonne chose, mais c'est une sorte de concurrence déloyale et malvenue envers les entreprises plus importantes.
La reprise de nos déchets est aujourd'hui payante, la REP va permettre une reprise gratuite, donc il ne devrait pas y avoir de surcoût pour le maître d'ouvrage.
Nous ne savons toujours pas jusqu'où les entreprises du bâtiment vont être considérées comme émettrices de déchets, s'il leur faudra donc adhérer à un éco-organisme. Ceci pour un prix que nous ne connaissons pas bien, puisque les tarifs annoncés cette année pourraient quadrupler ou quintupler dès l'an prochain...
L'ébéniste serait l'émetteur de déchets sur le marché ? Ce serait méconnaître le fait que, de plus en plus, nous sommes des assembleurs, pas des concepteurs des produits, c'est le cas par exemple pour les fenêtres où c'est le fabricant qui choisit les matériaux et les procédés de montage, nous n'avons pas la main sur ces critères. Cela n'enlève rien au fait que nous soutenons la démarche - il faut concevoir les bâtiments dans le temps - mais nous nous interrogeons sur la cible. Ce qui nous inquiète également, c'est la charge administrative supplémentaire de la REP, qui risque de décourager les artisans à fabriquer eux-mêmes.
Le réemploi des matériaux est une piste intéressante, surtout quand on mesure l'importance des déchets du bâtiment et leur rôle dans les dépôts sauvages - l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) a publié une étude sur le sujet. La loi a prévu une REP « bâtiment » pour mieux gérer ces déchets. Il a fallu attendre le décret d'application, puis le cahier des charges, qui n'a été disponible qu'en mai dernier. J'ai une première question sur le réseau maillé dont vous parlez : sera-t-il bien réparti sur le territoire, ou bien y'aura-t-il des régions ou des filières moins bien dotées ?
Le réemploi est d'autant plus utile quand les matériaux se raréfient et aussi pour réduire les gaz à effet de serre. Le Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) identifie une trentaine de filières de produits ré-employables : quels sont les leviers pour avancer, ou à l'inverse les freins - et faut-il aller plus loin dans la loi pour aider le réemploi ?
Vos propos ne me rassurent guère, car à un mois de l'échéance, il reste encore beaucoup d'incertitudes sur la REP - il aurait été utile que nous entendions aussi les quatre éco-organismes et les services de l'État sur le sujet. En juillet dernier, j'ai demandé à Christophe Béchu que l'éco-contribution soit visible, comme cela se passe par exemple pour l'électroménager, parce que la transparence est la meilleure façon que cette éco-contribution n'augmente pas d'échelon en échelon jusqu'au destinataire final, le consommateur : qu'en pensez-vous ?
Une remarque sur la concurrence entre les éco-organismes : s'il y en a, c'est à cause du cahier des charges - et il faut regarder de ce côté-là si l'on veut en arrêter les effets.
Un exemple, ensuite, de réemploi : le charpentier Briand vient de démonter une ancienne usine Alstom à Nantes, il a pu récupérer plus de 100 tonnes de matériaux pour les utiliser ailleurs, cela montre que c'est possible, et qu'il faut aller plus loin dans ce sens, en priorisant le réemploi. La démarche « qualité environnementale », du reste, existe depuis plus de vingt ans et vise précisément la gestion des déchets dans le bâtiment : en réalité, les outils existent, à chacun de les prendre en charge.
Si la filière n'est pas structurée, il y a des règles qui encouragent le réemploi, des collectivités territoriales volontaristes s'engagent dans leurs appels d'offres, avec des clauses incitatives : dans quelle proportion ces outils sont-ils utilisés ? Le renchérissement des matériaux accélère-t-il la dynamique ?
Constatez-vous des changements dans les écoles d'architecture ou dans les formations d'apprentis, y prend-on en compte les messages vertueux sur la réhabilitation et la « démontabilité » du bâti ? Je suis, depuis longtemps, frappée par le décalage entre les lois que nous prenons et ce qui a cours dans la formation - et pour ce que j'en sais, les architectes sont encore éduqués au béton plutôt qu'à la réhabilitation, laquelle est une révolution dans le métier d'architecte. Les enseignements vous paraissent-ils avoir changé ?
Vous ne mentionnez pas l'amiante : est-ce un sujet derrière nous ?
L'amiante a fait l'objet d'un débat et elle a été incluse dans la REP. Elle pourrait être accueillie dans les lieux de collecte publics. Une précision sur les termes : le réemploi vise la réutilisation d'objets, tandis que le recyclage vise la réutilisation des matériaux. Pour le réemploi, il faut que l'objet soit suffisamment intègre pour être réutilisé, c'est pourquoi les objectifs sont bien plus modestes que pour le recyclage, ils ne dépassent guère 5 %. Cependant, nous avons désormais des objectifs de réemploi dans toutes les filières, cela n'existait pas avant la loi.
À titre personnel je ne suis pas partisan de la contribution visible, telle qu'elle existe pour les meubles et les déchets électriques. Car la contribution visible peut inciter les producteurs à se contenter de la payer et de la transmettre... jusqu'au client final.
Le principe est la responsabilité du producteur, je ne vois pas pourquoi on exigerait qu'il reporte la contribution sur le consommateur, ce serait le déresponsabiliser. Si le producteur transmet la charge, quelle sera l'incitation à l'éco-construction, au changement des comportements ?
Pour ma part, je pense que la charge est toujours reportée sur le consommateur, le producteur répercute le coût ; l'avantage, avec la transparence, c'est que ce coût n'augmente pas à chaque intermédiaire au détriment du consommateur - et je crois que c'est faire un procès d'intention au producteur de considérer qu'une contribution visible le déresponsabiliserait.
Pour enseigner en école d'architecture, je peux témoigner des nouvelles manières de voir l'architecture, le travail sur l'existant, la réhabilitation, le réemploi... Nous abordons ces sujets, la répercussion peut ne pas être immédiate, il faut de la pédagogie - un étudiant m'a demandé s'il fallait attendre pour s'y mettre, à quoi je lui ai répondu qu'on n'avancerait pas si chacun attend les autres : il y a des pionniers, il faut les suivre.
Nous abordons bien sûr le sujet de la formation dans notre plaidoyer : il faut sensibiliser dès le secondaire au thème de l'éco-construction. Il y a des métiers nouveaux et il faut que des jeunes s'y engagent. Pour avancer, il faut financer la formation des acteurs, stimuler recherche et développement et renforcer les budgets des écoles d'architecture.
Il n'est guère possible pour nous de répondre à la question de la densité adéquate du maillage sur le territoire, par type de déchets, car nous ne savons pas encore comment il va se mettre en place.
Sur le réemploi, ensuite, nous avons un problème avec l'assurabilité, car des objets et des matériaux ne remplissent pas toujours les normes, les performances environnementales et de sécurité qui s'imposent aujourd'hui. Il faut donc démonter et requalifier les éléments, c'est une démarche qu'on doit laisser à la main des entrepreneurs du métier, qui connaissent les règles de l'art, et que la maîtrise d'ouvrage doit prendre en compte quand elle demande du réemploi.
Nous étions favorables à l'affichage visible, pour éviter que l'éco-contribution n'augmente à chaque étape. Cependant, la difficulté est administrative, parce que l'imputabilité de l'émission de déchet peut être très complexe à établir, bien trop pour de petites entreprises et des artisans. Cela dit, les fournisseurs font déjà apparaître cette taxe, de gré à gré.
Sur la formation, il y a au moins deux sujets. Premièrement, la transformation numérique : il faut que les apprentis connaissent les outils numériques, ce qui n'est pas gagné étant donné les équipements des lycées professionnels. Ensuite, la transformation énergétique : sur ce point, l'esprit a changé, car les jeunes sont très sensibles aux défis du changement climatique.
Dans la construction, les matériaux neufs viennent avec leur fiche de déclaration environnementale et sanitaire (FDES), mais il n'y en a pas pour les matériaux réemployés. Cela pose un problème pour l'assurabilité, mais aussi pour la santé dans le bâtiment, sachant que des matériaux sont aujourd'hui interdits alors qu'ils étaient couramment employés par le passé et qu'ils peuvent encore être dangereux.
Certaines de vos réponses ne sont pas complètes, ce qui montre bien la complexité du sujet. La REP devait être mise en place début 2022, elle a été reportée d'un an. Je pense qu'il est temps qu'on avance, même s'il y a encore des choses à régler. J'entends vos inquiétudes, elles sont normales, il y a des réglages à faire, par exemple sur l'assurabilité et les propriétés techniques des matériaux pour leur réemploi ; je retiens également votre suggestion sémantique : il me semble plus pertinent de parler de diagnostic « ressources » plutôt que de diagnostic « déchet ».
Nous aurons d'autres auditions sur l'économie circulaire, mais il faut surtout continuer à travailler ensemble.
Dans mon rapport d'information sur la pollution plastique, j'ai souligné les difficultés du recyclage par exemple des fenêtres en PVC ou des sols qui ont parfois des perturbateurs endocriniens : comment envisagez-vous en prendre en compte cette dimension du problème ? Que faire des matériaux présents dans l'habitat, dont on découvre qu'ils sont dangereux pour la santé et l'environnement ?
C'est une question fondamentale, pour le réemploi comme pour le recyclage, des matériaux autorisés hier sont interdits aujourd'hui, cela peut compliquer les opérations.
Le Conseil d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE) du Calvados vient d'organiser un colloque « Bâtir pour une santé », sur la place des matériaux biosourcés et géosourcés dans la construction : j'y ai entendu Suzanne Déoux et me permets de vous renvoyer à ses travaux. Le réemploi suppose surtout de bien connaître les matériaux, qui peuvent être réutilisés parfois à certaines conditions - une poutre coffrée, par exemple, n'émane plus de produits dangereux. Il faut en connaître les caractéristiques, c'est aussi notre travail d'architecte.
Merci pour ces contributions.
La réunion est close à 11 h 00.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.