Mes chers collègues, nous examinons le rapport d'information relatif à la perception, par les élus locaux, de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), dont M. Rémy Pointereau et Mme Céline Brulin sont les rapporteurs. Cette réunion intervient après l'examen du rapport d'information sur la simplification des normes imposées aux collectivités territoriales, que nous avons produit avec le vice-président Rémy Pointereau, rapport qui a eu un certain écho. Il s'agit d'éviter l'inflation des normes - à ce titre, cette semaine de travaux fut un régal.
Nous préparons des États généraux de la simplification des normes applicables aux collectivités territoriales : nous espérons y conclure une charte d'engagement ; nous invitons aussi le Conseil national d'évaluation des normes (CNEN), le Parlement et le Gouvernement à y définir une conduite collective sur la fabrique de la loi. L'ensemble des associations d'élus nous soutiennent.
L'ANCT a été créée au Sénat, à partir d'un constat toujours valable : les élus locaux ont besoin d'ingénierie face au désengagement des services de l'État. Nous pensions que l'ANCT serait la solution. Lors des débats, il s'agissait de définir la forme que prendrait l'agence, notamment vis-à-vis de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) et du Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema).
Nous exerçons sur l'ANCT une « filature bienveillante mais exigeante ». L'ANCT existe, elle s'ancre dans les territoires, mais elle n'a pas atteint la profondeur de nos campagnes et de nos villes.
Par ailleurs, au sein du groupe de travail sur la décentralisation, groupe transpartisan sur l'initiative du Président Larcher, nous réfléchissons à l'efficience de l'action publique. Au sein de ce groupe, Mathieu Darnaud et moi-même encourageons une fusion de toutes ces agences et plaidons pour une meilleure territorialisation.
Nous reviendrons sur ce que nous proposons pour le Cerema, l'Ademe et l'ANCT à la fin de notre présentation.
La promesse du Président de la République faite au Congrès des maires de France en novembre 2017 était claire : l'ANCT avait pour mission d'être cet État facilitateur des projets des élus locaux. Trois ans après la création de cette agence, les élus locaux sont toujours à la recherche de ce facilitateur.
La première chose qui nous a frappés est que l'ANCT reste largement méconnue des élus locaux ; son image est floue. À titre d'illustration, à la question « connaissez-vous l'ANCT ? », 52 % des élus répondent par la négative, tandis que 74 % reconnaissent ne pas avoir fait appel à ses services.
Même lorsque l'existence de l'ANCT est connue, les élus locaux peinent à comprendre son organisation et à s'approprier ses dispositifs et son offre de services. Ces difficultés s'expliquent certes par la nouveauté de l'ANCT, mais sont surtout liées à un déficit d'incarnation de l'ANCT sur nos territoires et au rôle joué par les préfets.
Par ailleurs, les collectivités qui connaissent et apprécient l'Agence sont la plupart du temps les collectivités bénéficiaires des programmes nationaux, comme Petites Villes de demain (PVD) ou Action coeur de ville (ACV), ou bénéficiaires de dispositifs d'ingénierie sur mesure. Je précise que 1 162 projets ont pu être soutenus au bénéfice de 494 communes, 594 établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) et 74 collectivités d'autres strates en trois ans.
La perception de l'Agence par les élus locaux est donc très variable. Mon collègue Charles Guené va maintenant présenter la façon dont les élus locaux apprécient son action.
Il est vrai que certains élus locaux ont mis en avant des éléments positifs du bilan de l'action de l'ANCT. Cependant, les élus auditionnés ont surtout été majoritairement critiques à l'égard de l'action de l'Agence.
Trois critiques s'adressent à l'Agence. La première est une implication des préfets inégale en matière d'ingénierie et une action qui ne vient pas suffisamment soutenir les écosystèmes locaux. Si dans plusieurs départements les services déconcentrés animent le dialogue entre les élus et l'ingénierie locale, c'est loin d'être une généralité. L'intervention de l'Agence est parfois accusée de générer des effets contreproductifs lorsqu'elle se déroule en décalage avec les équilibres locaux ou en substitution de ses acteurs. L'annonce de prestations d'ingénierie gratuites a, par exemple, entraîné une forte confusion chez les élus locaux et une forme de pénalisation des écosystèmes organisés. Le recours en majorité à des bureaux de consultants privés est parfois adapté, mais il ne contribue pas à renforcer l'écosystème local. Ces consultants ont tendance à livrer des prestations « copier-coller », sans ancrage dans le territoire et sans lendemain. Les territoires ont besoin d'être accompagnés par des acteurs dans la durée.
La deuxième critique est une approche encore trop descendante, peu attentive aux dynamiques locales. Les élus attendent que l'État respecte les dynamiques et les coopérations existantes, et vienne les appuyer plutôt que d'en lancer de nouvelles. Que ce soit les programmes nationaux ou les contrats de relance et de transition écologique (CRTE), l'Agence déroule ses actions à marche forcée selon les élus. Enfin, elle doit trouver une articulation avec le niveau régional, qui est celui des grandes contractualisations en matière d'aménagement du territoire et de cohésion territoriale.
La troisième critique est une promesse non tenue de simplification et de meilleur soutien aux projets locaux. En un mot, l'espoir de simplification s'est transformé en sentiment de complexification.
Même si ce tableau est un peu décevant, trois ans d'existence, pour toute organisation, cela reste très court, et l'Agence s'est constituée pendant la crise du covid. En trois ans, les attentes qui pesaient sur elle n'ont fait que se renforcer. Le besoin d'ANCT dans les territoires reste très fort, particulièrement pour les territoires défavorisés.
Notre mission propose 14 recommandations, regroupées en trois grandes idées : rapprocher l'Agence des élus locaux, faire de l'ingénierie la priorité et consolider et simplifier l'existant.
Notre première série de recommandations vise à rapprocher l'Agence des élus locaux. Nous avons été frappés par la différence de perception et de discours entre les élus et l'ANCT.
Les besoins sont les suivants : créer du dialogue direct entre l'ANCT et élus locaux, au cours de temps d'échange, hors préfecture, par exemple sur des réalisations de l'Agence ; utiliser ces échanges dans le débat entre l'État et les territoires au sein du conseil d'administration de l'Agence, pour élaborer une feuille de route stratégique 2023-2026 qui fixera les grandes priorités de l'ANCT ; délivrer une instruction aux préfets pour les remobiliser et positionner par défaut le sous-préfet d'arrondissement comme interlocuteur de premier niveau sur les questions d'ingénierie ; enfin, de façon plus générale, privilégier une communication plus simple, plus sobre et déconcentrée, qui repose aussi sur le retour d'expérience des élus locaux et de leurs associations. Cette communication pourrait prendre la forme d'un guide pratique pour les élus locaux.
Notre deuxième série de recommandations porte sur l'accès des collectivités à cette ingénierie. Nous avons pris conscience qu'il existe un immense besoin des collectivités en matière d'ingénierie opérationnelle, stratégique et financière. La fin de l'assistance technique de l'État pour des raisons de solidarité et d'aménagement du territoire (Atésat) représente un manque pour beaucoup.
Il est temps que l'Agence opère un rééquilibrage entre ses missions. Les programmes nationaux sont bien installés et ses efforts doivent maintenant porter sur la principale attente des collectivités relative à l'ingénierie. Le moment est charnière, alors que l'ANCT change de gouvernance.
Nous recommandons d'étudier la mise en place d'un système de fonds national « 1 % ingénierie » ou plus vraisemblablement « 0,1 % ingénierie », qui serait financé par les dépenses d'investissement des collectivités. Il s'agit d'une proposition de l'Association nationale des pôles d'équilibres territoriaux et ruraux et des pays (ANPP), qui a reçu plus de 11 000 signatures d'élus et d'acteurs locaux.
Ensuite, nous préconisons de terminer les recensements départementaux de l'ingénierie - mission de l'ANCT qui n'est pas encore menée à bien - et de positionner la délégation locale de l'ANCT en animateur de l'ingénierie locale.
Nous suggérons de doter les préfets de moyens humains ou financiers de soutien à l'ingénierie. Nous pourrons revenir sur des exemples précis de soutien sur mesure assuré par les préfets.
Nous proposons aussi d'accroître la couverture du territoire en agences techniques départementales et en conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE).
Enfin, il faudrait instituer un comité de direction commun, trimestriel, entre l'ANCT, l'Ademe et le Cerema, pour réaliser une feuille de route stratégique partagée. La fusion ne nous a pas semblé être la réponse idéale.
Notre troisième série de recommandations vise à consolider et simplifier l'existant.
L'Agence est aujourd'hui un empilement de programmes, de politiques publiques, de dispositifs, d'expérimentations et de labels qui contribuent à nourrir la confusion des élus. Les élus réclament une pause pour bien intégrer l'existant et gagner en cohérence et en transversalité.
Nous souhaitons conforter l'outil des CRTE, notamment élargis à la dimension sociale, comme le cadre de référence de la mise en oeuvre des politiques publiques de l'État.
Il faut sortir de la vision en silo induite par des programmes spécialisés - pour les petites villes, les villes moyennes, les villes de montagne - pour mieux identifier les dynamiques locales de coopération entre ces catégories de collectivités, les valoriser, les soutenir et y inscrire les interventions de l'Agence.
Nous souhaitons enfin renforcer l'évaluation à travers un système de mesure simple de satisfaction et de réponse aux attentes, pour les programmes nationaux et les dispositifs, et instituer un calendrier pluriannuel d'évaluations externes.
La philosophie sous-jacente à ces trois séries de recommandations est que l'État fasse plus confiance aux acteurs locaux : aux élus, aux collectivités et même à ses propres services déconcentrés. Nous avons entendu des critiques à cet égard.
En conclusion, signalons que l'Agence a renouvelé sa gouvernance politique, avec la désignation de M. Christophe Bouillon, maire de Barentin et président de l'Association des petites villes de France (APVF), et administrative, avec la nomination de M. Stanislas Bourron, ancien directeur général des collectivités locales (DGCL) au poste de directeur général.
Nous aurons le plaisir de remettre ce rapport, avec vous, madame la présidente, le mercredi 8 février à 13 heures à Mme Dominique Faure, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité.
Chers collègues, je vous remercie pour cet excellent bilan et la qualité de votre binôme.
La constance de la « filature bienveillante » de la délégation est très importante, a fortiori au moment du changement de gouvernance.
Je me réjouis de la cohérence de la réflexion des sénateurs. Les services déconcentrés sont parfois dans un état de fatigue avancé. Vous avez insisté sur le besoin d'ingénierie des collectivités, ingénierie qui peut être financière, technique, sous forme d'assistance à maîtrise d'ouvrage - voyez le cas des ponts, qui exige l'expertise des ingénieurs du Cerema. Les élus ont besoin de s'appuyer sur une ingénierie neutre, et non de se mettre entre les mains de business men. Des intercommunalités instaurent déjà des fonctions d'ingénierie au service des communes membres, comme la communauté d'agglomération de Saint-Malo. Les mutualisations sont ainsi encouragées.
Mathieu Darnaud et moi-même poussons à la fusion. Nous avons décidé d'être un peu disruptifs, car, même si le Cerema est un organisme de grande qualité, il faut partir des besoins des usagers avant tout, et non se focaliser sur les réticences des personnels. Le préfet de département pourrait piloter le guichet unique de cette ingénierie. Le Cerema dit pouvoir organiser des réunions de concertation, mais ce n'est pas la meilleure manière de créer des dynamiques pour les territoires - lors de réunions pour organiser l'installation d'une entreprise dans un territoire, on trouve bien souvent plus de fonctionnaires que de représentants des entreprises. Soyons agiles. Si l'État souhaite accompagner les collectivités, les élus doivent accéder facilement aux services compétents.
Je serai peut-être un peu provocateur. Avez-vous envisagé la suppression de cette agence ?
Cela valait-il la peine de supprimer la direction départementale de l'équipement (DDE) pour la remplacer par trois agences différentes ? La DDE fonctionnait plutôt bien, son action avait du sens.
L'ANCT est une coquille vide. Les préfets n'ont pas de moyens supplémentaires, notamment humains. Il n'y a pas de dialogue avec les départements, les services ne se parlent pas, tout est fait en silo. L'utilité de l'Agence est vraiment en question ; la fusion entre le Cerema et l'ANCT serait sûrement une bonne chose. Les élus ne connaissent pas cette agence et il n'y a aucun référent dans les territoires.
Vous avez la tentation de jeter le bébé avec l'eau du bain. Nous nous sommes posé la question. Je rappelle que le Sénat est à l'origine de l'Agence ! Il est légitime de voir ensuite si elle répond bien aux besoins. Entre 60 et 70 départements n'ont pas besoin d'ingénierie, soit parce que les territoires se sont déjà organisés, puisqu'ils en avaient les moyens, soit parce que des personnels motivés, dans les conseils départementaux, ont pris les choses en main. Cependant, 30 départements sont dans un dénuement presque total en la matière. Je serai plus précis : dans ces 30 départements, en général, les grandes villes et grandes communautés d'agglomération se sont organisées, tandis que règne autour un no man's land, où les petites communes ne bénéficient pas de cette ingénierie. Quand les départements, ensuite, essaient de mettre en place des agences départementales, ils n'ont plus assez de masse critique pour organiser les choses.
Ainsi, faut-il donner la main aux départements ou aux préfets ? Ce serait aujourd'hui difficile pour les départements ; les préfets semblent les mieux placés pour organiser le terrain et travailler avec tous les acteurs, dont le département. Voilà le bon niveau d'action.
L'ingénierie regroupe des réalités différentes. Dans les 30 départements évoqués, nous parlons souvent d'ingénierie classique, celle qui correspond au retrait de la DDE et à l'ancien périmètre de l'Atésat. Aujourd'hui, une nouvelle ingénierie émerge, sur la transition énergétique, le numérique, la démographie et la désertification médicale. Enfin, l'ingénierie du Cerema est une ingénierie d'expertise, dont les petites communes n'ont pas besoin, mais qui répond à des demandes importantes des grandes collectivités.
Quoi qu'il en soit, il convient d'apporter une réponse à tous les besoins d'ingénierie que Charles Guené vient d'évoquer. Cela nous a conduits à réfléchir à des moyens humains et financiers supplémentaires dans les préfectures. Je pense à des experts sur certains sujets très pointus, mais aussi à de l'ingénierie opérationnelle, énormément recherchée par les petites communes.
Au-delà du phénomène de « copier-coller » pour ce qui concerne les études, l'ANCT doit être en mesure d'avoir des référents régionaux connaissant mieux le terrain et apportant des réponses sur mesure.
Avant une fusion entre le Cerema, l'Ademe et l'ANCT, ces trois acteurs doivent se mettre « au chevet des territoires », conformément à la logique des CRTE. À l'heure actuelle, ils travaillent en silo et ne considèrent pas l'ensemble des problématiques du territoire.
Je ne suis pas sûre que la fusion de grands organismes contribue de fait à un décloisonnement. Je pense notamment aux agences régionales de santé (ARS), résultat de la fusion de sept entités différentes, qui n'ont pas vraiment donné les résultats attendus.
Nous avons privilégié un travail en commun, sans passer par une fusion, qui demande du temps.
Je salue le travail des deux rapporteurs, qui traduit bien ce que nous vivons sur le terrain.
Dans le département de la Seine-Maritime, qui compte un peu plus de 700 communes, dont 600 ont moins de 1 000 habitants, l'immense majorité des maires ignore totalement l'existence de l'ANCT. Et ceux qui la connaissent s'interrogent sur son utilité !
Nous retrouvons le constat que vous avez dressé pour de très nombreuses agences, avec une approche en silo, une simplification manquée, une démarche descendante et presque jamais ascendante, qui ne répond pas à l'attente des maires et une absence d'évaluation.
L'empilement des agences pose un véritable questionnement. J'entends ce que disent nos collègues de manière quelque peu provocatrice concernant la raison d'être et la plus-value de l'ANCT.
vice-président. - Dans mon département, l'ANCT est également méconnue par les acteurs, notamment du monde rural.
Vous proposez une sorte de modèle type, en faisant référence à des agences existantes. Toutefois, d'un département à un autre, la situation est très contrastée. En effet, certains besoins ont d'ores et déjà été pris en compte. Je rappelle à cet égard le rapport d'information intitulé Faire confiance à l'intelligence territoriale. Dans ce contexte, sans doute un modèle type n'est-il pas applicable partout.
Certes, en évoquant une agence nationale, on rêve peut-être d'un modèle idéal. Cependant, il convient d'introduire davantage de pragmatisme.
Enfin, si l'objectif est d'arriver au résultat des ARS, cela laisse songeur !
Nous devons retrouver quelques principes simples : proximité, solidarité territoriale et égalité de traitement.
Finalement, plusieurs niveaux d'ingénierie cohabitent : l'État, mais aussi des structures de niveau départemental, lesquelles ont été déconstruites par l'émergence des intercommunalités, et la « ligue des champions » de l'ingénierie, avec les intercommunalités de premier niveau, qui ont leurs propres structures. Les structures départementales vieillissent mal, parce qu'il n'y a plus de solidarité territoriale. Quant aux petites intercommunalités, elles disposent d'une ingénierie « déportée », qui est un peu trop loin.
Sans doute existe-t-il une solution avec certains financements associés à des postes dédiés localement, dans le cadre d'une politique contractuelle.
Il semble que l'ANCT n'ait pas répondu complètement à cette problématique.
À un moment donné, l'État a décidé d'externaliser ses fonctions, en créant des agences, sources, semblait-il, d'efficience. Or aujourd'hui, ces dernières, quelle que soit la diversité des territoires, n'assurent pas le service.
Face aux directions régionales du Cerema, structure remarquable, comment une commune située au coeur de la région peut-elle se faire connaître ?
Je ne suis pas étatiste ni nostalgique. Simplement, nous avons besoin d'un accompagnement de l'État et des collectivités pour la réalisation des missions.
Vous avez évoqué la fusion de ces énormes « machins », qui nous prendrait des années. Certes, mais la crise montre l'importance d'un État déconcentré à une échelle d'efficacité de proximité, qui correspond très souvent à l'échelle départementale, que je ne confonds pas avec le conseil départemental. Les services doivent être largement déconcentrés, avec la capacité d'agir. Quant au préfet, il doit être l'interlocuteur privilégié, le chef d'orchestre.
Vous avez qualifié nos propos, mon cher collège, de « provocateurs ». À mes yeux, ils ne le sont pas !
Le premier enjeu, c'est la différence de perception des élus locaux et la façon dont l'Agence se voit elle-même. Il convient de faire en sorte que chacun s'appuie sur la même réalité.
Nous n'envisageons absolument pas un modèle type ! Au contraire, il convient de doter les territoires, au niveau départemental, d'une ingénierie développée, afin de répondre aux différents besoins. Il est d'abord nécessaire de coordonner ce qui existe déjà, ensuite de compléter les solutions, l'Agence apportant une ingénierie propre, mobilisable sur le terrain, à la demande des collectivités territoriales. Enfin, l'État doit se positionner sur les grands domaines stratégiques : comment aider les territoires à affronter les enjeux à venir ?
Permettez-moi d'apporter une autre approche.
En réalité, l'Agence possède trois secteurs d'action. Tout d'abord, elle est le promoteur des politiques publiques. Dans ce rôle de missi dominici, elle a assez bien réussi.
Ensuite, s'agissant du service qu'elle rend aux territoires, l'Agence possède des moyens relativement faibles. Elle oeuvre à une sorte de mise en cohérence des grands acteurs et apporte une réponse, lorsqu'elle est demandée par le territoire.
Enfin, elle doit faire l'analyse du terrain, dans chaque département, pour évaluer les besoins, les mettre en cohérence, afin de répondre à l'attente des élus. Si l'Agence accomplissait partout cette mission, ce serait déjà très bien !
Ainsi, dans quelques départements, il existe un guichet unique pour l'État, le département et la région. Or c'est exactement ce que les élus souhaitent ! En la matière, la marge de progression est énorme.
L'Oise a eu le privilège de traiter avec une présidente de l'ANCT issue de son territoire, qui a fait beaucoup de « propagande ». Nous avons ainsi eu droit à quelques grands-messes en préfecture. Toutefois, à l'arrivée, l'ANCT n'a quasiment rien fait dans l'Oise ! La nature ayant horreur du vide, les collectivités se sont dotées elles-mêmes de leur propre ingénierie.
Cela dépend ! Jérôme Durain a évoqué une « ligue des champions ». Ainsi, Beauvais ou Compiègne disposent de moyens d'ingénierie qui fonctionnent très bien. Les intercommunalités de taille plus restreinte ont aussi mis en place des systèmes d'ingénierie fonctionnant plus ou moins bien. Quant au département, il avait instauré une assistance départementale pour les territoires de l'Oise, qui propose ses services moyennant cotisation. Cela fonctionne plus ou moins bien.
Une agence n'est pas là pour remplacer l'État ! Est-ce un « machin » ? C'est vraiment le sentiment qu'en ont les élus de l'Oise !
Le cas de la Drôme ressemble fort à ceux qui viennent d'être décrits. Au moment de la disparition de l'Atésat, un service d'ingénierie plutôt efficace avait été mis en place pour les petites communes au niveau du département. Dans ce contexte, l'ANCT n'a pas su trouver sa place : les maires ne la connaissent pas. Les rares qui savent de quoi il s'agit sont ceux des Petites Villes de demain.
vice-président. - Je partage l'essentiel des remarques qui ont été faites. Lorsqu'il a été décidé de créer l'ANCT, il s'agissait de répondre au besoin réel de mieux accompagner les élus locaux et les territoires dans leurs démarches, qui sont de plus en plus complexes. Le besoin d'ingénierie a changé : au temps de l'Atésat, les petites communes avaient surtout besoin d'accompagnement en matière de voirie communale...
Les résultats ne sont pas au rendez-vous, sachant que la situation est très différente d'un département à l'autre. La création de l'ANCT ne s'est pas assortie de moyens supplémentaires ; on aurait pu au moins imaginer une réorganisation des services de l'État... Ce besoin d'accompagnement n'a pas disparu ; il concerne essentiellement les petites communes, qui sont précisément celles qui ne savent pas du tout ce qu'est l'ANCT. Cette dernière est identifiée seulement par les communes qui bénéficient de programmes nationaux, Petites Villes de demain notamment ; mais, justement, celles-là n'ont pas besoin de l'ANCT...
L'ANCT ne répond pas complètement au besoin : les petites communes ne tirent aucun bénéfice de sa création, les grandes s'en passent très bien. Il faut donc réorienter l'action de l'ANCT en redéfinissant son rôle ; ce chantier reste à mener.
Je rejoins ce qui a été dit sur l'évaluation : aucun miracle n'est à attendre de la fusion.
Une question sur le « 1 %o » : comment imaginez-vous concrètement un tel dispositif, sachant que l'accompagnement en ingénierie qui a été mis en place dans le cadre du programme Petites Villes de demain s'est révélé efficace ?
Vos exemples, mes chers collègues, vont dans le sens de ce que nous proposons : les préfets et sous-préfets doivent s'impliquer beaucoup plus et beaucoup mieux pour répondre aux besoins de tel ou tel territoire ; même en supposant qu'elle soit parfaite, ce ne peut être le rôle de l'Agence, depuis Paris, d'y pourvoir.
À la faveur de l'apparition de nouveaux enjeux complexes - gestion de l'afflux touristique, problèmes écologiques, etc. -, on en oublie qu'il faut répondre aussi aux problèmes de voirie. Or, telle n'est pas la vocation de l'ANCT, dont le rôle est plus général - il est d'organiser la réponse.
Pour ce qui est du 1 %o, l'idée est la suivante : à chaque fois que des investissements sont réalisés, on prélèverait une toute petite partie - 1 %o - des montants dépensés pour abonder un fonds commun national d'ingénierie. Comme on dit, il pleut toujours là où c'est mouillé : les grandes collectivités, qui ont les moyens de développer de l'ingénierie, ont par là même accès à des financements dont les petites collectivités sont privées. Nous appelons de nos voeux une forme de ruissellement vertueux : comment faire en sorte que les dépenses globales d'investissement profitent aux territoires qui ont moins de moyens d'ingénierie ?
Il existait une règle, autrefois, qui faisait obligation de réserver 1 % des dépenses engagées dans le cadre d'un grand chantier à la réalisation d'une oeuvre d'art... C'est un peu le même principe que nous proposons d'appliquer à l'ingénierie. Vu le montant des investissements locaux, la somme ainsi dégagée ne serait pas neutre.
Bernard Delcros a dit que les politiques publiques nationales n'avaient pas besoin de l'ANCT. Mon sentiment est que l'inaction ou la méfiance des préfets vient de là : eux aussi se sont demandé ce que c'était que ce « bidule ». Il a été assez difficile de leur expliquer que l'ANCT avait vocation à se décliner localement, à leur niveau, son rôle étant de mettre en cohérence l'ingénierie mobilisée sur le terrain. Des ressources sont souvent déjà en partie disponibles au niveau de leur département, mais elles ne sont pas toujours utilisées de façon judicieuse...
Les préfets disent avoir besoin à la fois de « petites mains » et de chefs de projet ; l'ANCT, qui met beaucoup de monde, désormais, sur le terrain, pourrait mettre certains de ses agents à leur disposition. Gardons en tête, néanmoins, que les collectivités se sont longtemps battues pour disposer, en interne, de leurs propres ressources d'ingénierie.
Dans les départements où il ne « pleut » pas assez, où le niveau d'ingénierie est faible, les marges de progression sont considérables ; il peut suffire, y compris à moyens constants, de mieux organiser les choses. Et les préfets sont les mieux placés pour conduire ce travail.
Lors de l'examen du projet de loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale (3DS), il a beaucoup été question des relations du préfet avec les ARS ou avec l'Ademe : nous avons fait officiellement du préfet le « référent Ademe », mettant fin à une situation dans laquelle une agence fonctionnait pour ainsi dire en autonomie, définissant elle-même ses propres objectifs sans comptes à rendre à personne.
Dès lors qu'une agence est financée par l'État et exerce des fonctions pour son compte, il me semble normal que celui-ci ait une réelle autorité sur les services de ladite agence. Mais, comme l'Ademe nous l'a expliqué, dépendre du préfet, quand on a pris goût à l'autonomie, peut se révéler insupportable...
Dans le cadre de la loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur de M. Darmanin, un progrès énorme a été accompli : dorénavant, le préfet de département, en cas de crise, aura autorité sur tous les établissements publics de l'État et services déconcentrés. De la même façon, le préfet doit exercer une autorité réelle sur l'ANCT. Abstraction faite de la bonne volonté de chacun de travailler en intelligence, il faut une véritable chaîne d'efficience à l'échelle déconcentrée. Le préfet doit avoir à sa disposition des chefs de projet compétents et les prérogatives de chacun doivent être clairement établies.
Pour ce qui est du programme Petites Villes de demain, je n'ai eu que des échos très positifs de la fonction de chef de projet, qui donne aux élus la capacité de réfléchir à ce qu'ils vont faire avant de le faire...
Je pense notamment au financement de la transition écologique, qui va reposer sur les collectivités. Quid de l'efficience de la dépense ? On l'estime à 12 milliards d'euros par an. Il est évidemment nécessaire, et d'ailleurs obligatoire, d'agir en la matière, mais ce sujet emporte aussi des questions d'image. À cet égard, confier le travail aux seuls cabinets privés est dangereux : ceux-ci peuvent répugner à vous dire non et vous laisser vous engager dans des investissements dont la pertinence n'a pas été mesurée.
Je plaide ainsi pour que le Cerema intervienne en tant qu'assistant à maîtrise d'ouvrage. Le recours à des sociétés privées ne doit pas être systématique.
Les collectivités ont désormais la possibilité d'adhérer directement au Cerema ; cela fait partie du paysage complexe qu'elles ont à s'approprier...
Un mot sur la complexité des chaînes de commandement : l'ANCT est sous tutelle de la direction générale des collectivités locales quand les préfets sont rattachés au ministère de l'intérieur. Autrement dit, il n'est pas toujours facile de communiquer et d'imposer des décisions...
Le nouveau directeur général de l'ANCT est confronté à ce problème : quel véhicule utiliser pour dialoguer avec les préfets ?
C'est précisément la raison pour laquelle nos collègues Agnès Canayer et Éric Kerrouche, dans leur rapport d'information déposé en septembre dernier, ont proposé que les préfets soient dorénavant rattachés au Premier ministre, ce qui favoriserait l'exercice de leur mandat interministériel. Une telle recommandation est si disruptive qu'elle n'a pas été sans créer quelques malaises, mais la question mérite d'être posée, car le fonctionnement en silos n'est pas efficace !
La délégation adopte le rapport d'information et en autorise la publication.
Monsieur Bouillon, je vous adresse mes félicitations pour votre désignation à la présidence de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT). Cette dernière fait l'objet de la part de notre délégation d'une filature bienveillante et exigeante, le Sénat étant pleinement conscient que les lois doivent faire l'objet d'évaluations. Je salue également M. le directeur général de l'Agence : nous nous réjouissons du binôme que vous formez.
En tant que sénateurs, nous constatons, du fait de notre proximité avec les territoires, le besoin d'ingénierie des collectivités. Il peut différer selon sa nature, selon la taille de la collectivité ou l'existence d'agences locales ; toujours est-il qu'il s'avère de plus en plus pressant, du fait de la complexité et de l'entrecroisement des problématiques. Auparavant, l'élu pouvait rapidement s'engager dans l'action ; désormais, une réflexion plus systémique est nécessaire, notamment sur l'efficience des investissements.
Pourtant, face aux besoins croissants, il n'existe pas de déficit d'ingénierie ; le problème est plutôt celui d'une absence de lisibilité. En effet, les élus locaux, face à la multiplicité des guichets, ne savent pas où s'adresser. En attente de services et de simplification, ils aiment pouvoir s'adresser à leur préfet ou à leur sous-préfet afin que l'intéressé agite, organise ou coordonne le back office, l'objectif étant que l'État vienne compléter l'accompagnement des collectivités.
L'ANCT a été créée sur l'initiative du Sénat, lequel a pris acte de ce besoin d'ingénierie. Si le développement de cette jeune agence a été frappé par le covid et si elle fonctionne bien là où s'appliquent des programmes comme Petites Villes de demain, les avis sont toutefois partagés sur les évolutions à lui apporter.
En parlant de « filature bienveillante et exigeante », j'ai tout résumé : nous ne sommes pas de ces personnes versées dans les reproches systématiques, mais nous nous permettons de porter un regard critique. En effet, si nous reconnaissons l'utilité de l'Agence, si nous ne nions pas son efficacité, nous ne pouvons plus nous dispenser d'efficacité dans l'action publique de l'État en direction des collectivités.
Il est de nos jours fréquent de dresser des rapports d'étonnement. À l'aune de votre expérience d'élu, quelles sont vos premières réflexions sur l'Agence ?
J'ajouterai un autre enjeu, peut-être impertinent, en tout cas disruptif. À la suite de la crise sanitaire, il est devenu nécessaire de coordonner les politiques de l'État ; un chef d'orchestre doit avoir autorité sur ses musiciens, tout en reconnaissant l'expertise de chacun. À l'occasion de l'adoption de la loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale (3DS), le Sénat avait voté en faveur de la désignation du préfet comme délégué territorial de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe).
Nous en avons parlé la semaine dernière avec le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema) lors d'une audition tenue dans le cadre du groupe de travail sur la décentralisation présidé par le Président Larcher. À cette occasion, nous avons osé penser que la fragmentation de toutes ces agences, à l'expertise reconnue et au travail remarquable, contrevenait à l'efficience de l'action publique. Nous avons même parlé de fusion... Il faut déconcentrer et simplifier : il doit y avoir un pilote dans l'avion !
Il y a deux façons d'entendre votre mot « filature ». Moi qui suis originaire d'une région d'industrie textile, je le comprends non pas comme un exercice de police, mais plutôt comme un acte de transformation de matière...
C'est en tant que maire que j'exerce la présidence de l'ANCT, au sein d'un conseil d'administration où siègent des représentants de différentes associations et collectivités - Association des maires ruraux de France, association des intercommunalités, départements, régions, etc. -, étant moi-même président de l'Association des petites villes de France. En somme, tous les acteurs directement concernés par les dispositifs et actions menées dans leur direction de l'Agence nationale de la cohésion des territoires sont représentés.
Il me semble important de rappeler trois points essentiels : le texte, le contexte, le prétexte.
Les textes sont importants. Vous l'avez souligné, l'acte de naissance de l'ANCT s'est écrit ici même au Sénat. La proposition de loi de Jean-Claude Requier - nous nous en souvenons - a représenté la première mouture de cet acte de naissance, définissant la raison d'être de l'Agence. En relisant l'exposé des motifs de cette loi du 22 juillet 2019 portant création d'une Agence nationale de la cohésion des territoires, nous voyons que l'une des premières missions qui lui a été attribuée est l'ingénierie.
Le décret du 18 novembre 2019 relatif à l'Agence nationale de la cohésion des territoires est venu compléter ce texte, précisant l'organisation de l'Agence en respectant l'esprit de la loi.
Il est essentiel de commencer par parler des textes, car la vocation de l'Agence est présente dans son intitulé même. J'insisterai sur celui de « cohésion ». En effet, la loi précise que « son action cible prioritairement, d'une part, les territoires caractérisés par des contraintes géographiques, des difficultés en matière démographique, économique, sociale, environnementale ou d'accès aux services publics, avec une attention particulière accordée aux zones mentionnées à l'article 174 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, et, d'autre part, les projets innovants ».
D'autres cibles ont été définies par voie d'amendement. Je pense à l'enjeu démographique, qui a fait l'objet d'une attention particulière de la part de Loïc Hervé ; en effet, certains sénateurs ici présents le vivent dans la circonscription qu'ils représentent, des phénomènes de dépopulation frappent certains territoires.
Je rappelle que la première mission de l'Agence est de conseiller et de soutenir les collectivités territoriales et leurs groupements dans la conception, la définition et la mise en oeuvre de leurs projets.
Une feuille de route, en 2020, et un contrat d'objectifs et de performance (COP) avec la direction générale des collectivités locales (DGCL) ont été établis. Le contrat d'objectifs et de performance répond à la question sous-jacente de savoir si l'ANCT est une agence ou une direction, en établissant une relation avec la tutelle qu'est la DGCL et en précisant et encadrant le rôle et les missions de l'Agence.
À cela s'ajoute à une instruction du 15 mai 2020 à l'intention des préfets, qui sont les délégués territoriaux de l'agence. Ils sont d'ailleurs aussi délégués territoriaux de l'Agence nationale de l'habitat (Anah) et de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru), ce qui permet d'avoir un vrai maillage du territoire et de profiter de leur expérience acquise dans ces missions.
Le contexte est quand même important, puisque l'acte de naissance de l'Agence intervient en pleine période de covid, alors que l'obsession première des préfets et des collectivités territoriales est de gérer la crise sanitaire. Cette pandémie a absorbé beaucoup d'énergie et de concentration des services de l'État.
Par ailleurs, au même moment, se sont déroulées les élections municipales, avec un renouvellement de 40 % des maires. Des élus ayant peu d'expérience se sont donc retrouvés aux prises avec un phénomène d'ampleur inédite dans notre pays.
Rappelez-vous, on a beaucoup évoqué le couple maire-préfet. C'est peu de dire que ce tandem a été très sollicité durant cette période. Les budgets des communes ont, pour la plupart, été votés au mois de juillet 2020, mais les projets de mandat ont souvent dû être décalés à cause de la crise sanitaire.
Ce contexte a bien évidemment pesé sur les premiers pas de l'ANCT.
J'ajoute un élément évoqué dans votre rapport. L'ANCT résulte de la fusion de trois entités, le Commissariat général à l'égalité des territoires (CGET), l'Établissement public national d'aménagement et de restructuration des espaces commerciaux et artisanaux (Épareca) et l'Agence du numérique (Anum), elles-mêmes issues de fusions. Il a fallu construire une culture commune, ce que ne favorise pas le télétravail.
Malgré ce contexte défavorable, l'Agence a lancé le 1er octobre 2020 le programme Petites Villes de demain et elle a assuré le déploiement d'un certain nombre de programmes.
J'en viens au prétexte, ou plutôt une opportunité de développer l'Agence, qui, ne l'oublions pas, est très jeune, comparée à l'Ademe ou au Cerema, sans parler de la Caisse des dépôts et consignations (CDC), qui date de 1816. Cette filiation est exigeante et bienveillante.
Nous sommes liés par cinq conventions avec la Banque des territoires, l'Anah, l'Anru, l'Ademe et le Cerema. En 2023, elles seront toutes renouvelées. Avec le retour d'expérience, ce sera l'occasion de nous donner une nouvelle feuille de route renforcée.
Il s'agit aussi de poursuivre la réflexion, déjà entamée, sur l'ingénierie. Monsieur Guené, avec votre collègue Josiane Costes, vous avez commis en juillet 2020 un rapport d'information intitulé Les collectivités et l'ANCT au défi de l'ingénierie dans les territoires. Vous y évoquez une forme de nostalgie de l'ingénierie d'antan, aux grandes heures des directions départementales de l'équipement (DDE).
Le rapport est aussi l'occasion de passer en revue tous les besoins exprimés par les collectivités en matière d'ingénierie. Il s'agit d'un enjeu d'importance pour l'ANCT. C'est aussi un prétexte à poursuivre un travail sur l'État déconcentré. Un rapport de l'inspection générale de l'administration (IGA) de 2022 insiste sur la nécessité de réarmer l'État local, notamment au travers de sous-préfectures, comme l'ont aussi souligné les deux rapporteurs.
Ce rapport évoque même le concept d'État-plateforme. Je trouve l'expression très intéressante. Il s'agit d'offrir aux élus locaux le meilleur niveau d'ingénierie.
Il ne faut tout de même pas oublier ce qu'a fait l'Agence depuis qu'elle a été portée sur les fonts baptismaux dans un contexte, je le rappelle, extrêmement difficile. Je ne veux pas vous abreuver de chiffres, mais ils permettent quand même de rappeler notre niveau d'intervention : 2 538 maisons France Services ; 1 600 territoires Petites Villes de demain ; 149 Territoires d'industrie, 229 programmes Action coeur de ville ; 4 000 conseillers numériques répartis sur l'ensemble du territoire, 1 514 quartiers prioritaires de la ville, etc. Cela traduit l'empreinte territoriale qui est aujourd'hui celle de l'Agence. Il est trop tôt pour faire un bilan, mais l'activité est déjà considérable.
Il nous faut renforcer sa visibilité, mais ne confondons pas notoriété et popularité. Selon les chiffres récoltés par la plateforme du Sénat, 74 % des personnes ayant répondu au questionnaire n'ont pas bénéficié des services de l'ANCT. Néanmoins, quand cela est le cas, ils sont satisfaits à 95 %.
Mon objectif est de donner plus de poids aux élus pour faire vivre l'ANCT. J'entame à cet égard un tour de France des collectivités qui commencera le 1er mars à Évreux.
La valeur n'attend pas le nombre des années, et la jeunesse de votre institution ne doit pas justifier d'éventuelles critiques quant à la qualité des actions qu'elle mène.
Nous partageons globalement votre constat sur les premières années de l'ANCT.
Néanmoins, il demeure une question à laquelle vous n'avez pas répondu dans votre exposé au sujet des perspectives d'évolution que vous envisagez. Considérez-vous qu'il faille rééquilibrer les missions de l'Agence entre, d'une part, la mise en oeuvre des grands programmes nationaux, et, d'autre part, la nécessité de répondre aux besoins des collectivités territoriales, autrement dit entre l'ascendant et le descendant ? Pour notre part, nous pensons qu'il est important de prendre en compte les besoins des territoires.
Plus concrètement, que pensez-vous des préconisations de notre rapport ?
Sur la forme, il semblerait que notre rapport ait été perçu comme trop dur, mais nous n'avons fait que restituer ce que nous avons entendu lors de nos auditions.
Sur le fond, l'ANCT a plutôt réussi ses missions de transmission des politiques publiques et de recours à des organismes capables de répondre à des questions d'ingénierie de deuxième génération. Ses carences portent sur les quelque 30 ou 40 départements où l'ingénierie n'a pas trouvé sa place pour des raisons d'organisation territoriale : soit les conseils départementaux y sont bien placés pour jouer ce rôle, soit ces territoires sont trop ruraux pour que cette mission soit menée à bien. À cet égard, la qualité de la réponse donnée par les préfets est très importante.
Madame Brulin, les textes indiquent qu'il existe des cibles prioritaires. Le décret dispose que l'Agence, qui assume trois missions principales, agit sur toute la France : telle est sa zone d'intervention.
On a beaucoup utilisé, lors de l'examen de la proposition de loi, les termes « ascendante » et « descendante ». La démarche ascendante consiste à partir de la vision que portent des élus à l'échelle de leur territoire : si le niveau local n'est pas suffisant, il convient de mobiliser des moyens d'expertise au niveau national pour accompagner l'ingénierie de conception des projets issus du territoire ; c'est le fameux « sur-mesure », un axe sur lequel nous devons travailler dans le cadre de la nouvelle feuille de route. La démarche descendante désigne des politiques nationales, telles que les maisons France Services ou les programmes Petites Villes de demain, Action coeur de ville, Territoires d'industrie, lesquels sont appréciés sur le terrain et sont utiles, mais dont certains ont besoin d'un second souffle pour tenir compte des retours d'expérience.
Vous proposez de rapprocher l'Agence des élus locaux ; c'est le mandat qui m'a été donné lors du conseil administration du 13 décembre dernier. L'ensemble des représentants des associations d'élus ou de collectivités adressent le même message que vous, ce qui me semble essentiel.
Nous devons continuer à travailler sur la question de l'État local, déconcentré. Initialement, toute latitude était laissée à l'Agence pour organiser ce guichet unique, cette rencontre entre les élus locaux et l'État local. Comme vous l'indiquez dans votre rapport, il faut conduire une analyse granulométrique pour repenser le niveau d'intervention de l'ANCT localement.
Vous dites, monsieur Guené, que certains départements seraient moins concernés par cette politique et qu'il faut achever les recensements départementaux de l'ingénierie. Nous sommes d'accord. Il est essentiel d'animer les comités locaux de cohésion territoriale (CLCT) : nombre de sénateurs et de députés souhaitaient les utiliser pour organiser localement le bon niveau de réponse en termes d'ingénierie avec l'ensemble des opérateurs. Il faut encourager cette animation, qui est inégalement répartie d'un département à l'autre.
La question de la coordination relève de la responsabilité du directeur général de l'Agence et de l'ensemble des opérateurs avec lesquels nous conventionnons. Pour réaliser ce travail de filature, nous retenons plusieurs propositions formulées dans le rapport.
Nous avons organisé en silo l'assistance en matière d'ingénierie. Concernant votre comparaison avec la filature, il arrive aussi que l'on file des fibres mixtes... Le problème est qu'il manque un chef d'orchestre. Le guichet unique permet d'établir un diagnostic des besoins du territoire et de choisir le bon interlocuteur, le spécialiste compétent, sachant que l'ingénierie se décline en plusieurs pôles - nous l'avons vu lors de nos travaux sur la sécurité des ponts - : ingénierie financière ; assistance à maîtrise d'ouvrage (AMO) ; pertinence de la dépense dans le cadre de la transition écologique.
Le mot « fusion » est peut-être maladroit ; pour autant, une transformation doit avoir lieu pour « filer le bon coton ».
La grande affaire de l'ANCT, avez-vous dit, est l'ingénierie, initialement prévue pour soutenir les petites collectivités. Or, les écarts en ce domaine entre celle-ci et les grandes collectivités créent des disparités et renforcent les inégalités territoriales. À cet égard, les résultats ne sont pas au rendez-vous et l'objectif n'est pas atteint. Dans nos départements ruraux, des maires ne connaissent pas l'existence de l'Agence, ou ne savent pas quelle plus-value elle peut apporter. Comment comptez-vous répondre à ce constat ? Comment faire en sorte que les petites collectivités bénéficient du soutien en ingénierie ?
Les programmes nationaux que vous avez cités sont intéressants et utiles ; pour autant, il existait des programmes nationaux qui fonctionnaient avant la création de l'ANCT, comme les pôles d'excellence rurale (PER) ou les emplois aidés. Comment identifier la plus-value apportée par l'Agence, après trois ans d'existence, dans le cadre de ces politiques publiques ?
Le ministère de la transition écologique et celui de la transition énergétique viennent de publier un guide pour le fonds vert à l'intention des décideurs locaux, dont le treizième axe est l'appui en ingénierie. Il y est mentionné que vingt-six départements sont dépourvus des compétences et de l'expertise nécessaires à la conduite de projets complexes et multi-acteurs.
Pour ce qui concerne le fonds vert, il existe trois types d'actions : la « haute couture », c'est-à-dire des projets très complexes - prévention des inondations ; recul du trait de côte, etc. - ; le « cousu main », qui permet de s'adapter aux conditions locales, notamment les projets de rénovation énergétique des bâtiments ; et le « prêt-à-porter », c'est-à-dire des opérations itératives et récurrentes. N'y a-t-il pas, à cet égard, un enjeu de lisibilité, de diffusion ? Vous avez mis en place une « projétothèque », qui s'apparente à un catalogue d'actions dont peuvent s'inspirer des élus locaux, mais qui n'est pas opérationnelle en termes d'ingénierie. Comment comptez-vous répondre à cet enjeu ?
Des géographes considéraient qu'il y avait deux France, l'une dans la modernité, l'autre oubliée ou dans le déclin. Comment évaluez-vous l'action des différentes composantes de l'ANCT ? Utilisez-vous des indicateurs quantitatifs ? Des indicateurs qualitatifs ne permettraient-ils pas de progresser sur le terrain ? Cette dimension pratique et sociologique, voire sociétale, me paraît être au coeur de la mission de l'Agence.
Ma seconde question est plus pratique. Je n'ai jamais compris pourquoi, si ce n'est pour des raisons budgétaires, les Territoires d'industrie étaient réservés à des zones périphériques des métropoles, laissant de côté des pans entiers du territoire. Cette situation est aberrante et inéquitable, même s'il faut reconnaître que la plupart des régions accompagnent les entreprises quand cela est nécessaire. Avez-vous l'intention de rendre éligible l'ensemble du territoire national ?
Monsieur Delcros, vous avez évoqué le besoin d'ingénierie, notamment pour les plus petites communes. Je rappelle la décision prise par le conseil d'administration de l'Agence : la gratuité de l'appui apporté en termes d'ingénierie aux communes de moins de 3 500 habitants. Le défaut d'ingénierie concerne non pas seulement l'ANCT, mais l'ensemble des opérateurs oeuvrant en la matière. Dans le cadre du sur-mesure, 1 100 collectivités ont été accompagnées, parmi lesquelles des petites communes. Sur les 1 600 territoires concernés par le programme Petites Villes de demain, nous ciblons les communes de moins de 20 000 habitants et, parmi elles, les très petites communes, avec une concentration de moyens pour revitaliser les centres-bourgs.
Petites Villes de demain est l'une des nombreuses mesures de l'agenda rural, un objectif essentiel. Concrètement, les 4 000 conseillers numériques sont souvent implantés dans des territoires ruraux. Il faut regarder ce que l'ANCT peut apporter aux très petites villes des territoires ruraux. C'est ce que font les CLCT, dans lesquels siègent non seulement un ensemble d'opérateurs, mais aussi les associations d'élus.
Le paradoxe, c'est que l'on voudrait, à la fois, un guichet unique avec une formule magique et du sur-mesure, pour s'adapter aux demandes de chaque territoire. Le dispositif Avenir montagnes ingénierie est ainsi complètement adapté à la problématique des territoires situés dans les massifs.
Le guichet unique, qui ne consiste pas à prendre une mesure unique, passe par le préfet, qui est le délégué territorial de l'ANCT. Il peut faire intervenir les organisations départementales - l'Anah ou l'Anru - ou régionales - le Cerema, l'Ademe. Quand les compétences n'existent pas localement, il faut solliciter l'expertise de l'ANCT.
Monsieur Houllegatte, sur le fonds vert, une enveloppe déconcentrée de 25 millions d'euros sera à la main des préfets pour permettre l'accompagnement des collectivités, notamment pour les friches et la renaturation. Le dispositif est relativement simple, si l'on se souvient des complexités auxquelles nous étions confrontés pour demander certaines aides. Il s'inscrit dans le droit fil de la proposition, formulée dans le rapport, de permettre aux préfets de disposer d'enveloppes déconcentrées pour accompagner et soutenir les collectivités en termes d'ingénierie.
La projétothèque comprend 130 projets et nous en ajouterons, car il y en a beaucoup plus ! Elle va dans le sens de la plateforme des solutions. Certains maires de petites communes pensent que des projets ne sont pas faits pour leur territoire, car ils leur paraissent trop compliqués à mettre en place. Il est bon que d'autres maires puissent leur montrer comment ils ont monté un projet, et quels opérateurs ils ont mobilisés.
Monsieur Montaugé, je pourrai vous adresser un document sur les ruralités qui a été présenté au conseil d'administration de l'ANCT le 13 décembre 2022. Les parlementaires qui siégeaient au conseil d'administration ont souligné la qualité de cette cartographie très pertinente, qui examine la réalité selon des prismes différents, par exemple par le biais de l'industrie. Car 70 % des emplois industriels se trouvent dans les villes de moins de 20 000 habitants. Les 150 Territoires d'industrie couvrent tout de même 551 intercommunalités, mais nous arrivons au bout de la démarche. Une nouvelle version du dispositif doit être travaillée, en lien d'ailleurs avec Intercommunalités de France, qui est très sensible à la dimension du développement économique, et avec les régions.
En effet, deux collectivités sont essentielles pour le travail que nous devons mener : les départements et les régions.
Les conseils départementaux sont les premiers financeurs des communes. Dans 75 départements, il existe des agences techniques départementales. On conventionne avec les départements, qui sont aussi partie prenante dans les contrats de relance et de transition écologique (CRTE).
De la même façon, les régions sont les premiers partenaires des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), et sont, avec le schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (Sraddet), des aménageurs du territoire. La contractualisation avec les territoires se fait par les contrats de territoire. Elles ont leur place dans le dispositif, notamment dans le cadre de la conférence régionale des financeurs.
Pour une meilleure visibilité, il faut que le département et la région soient dans le tour de table, pour apporter leur valeur ajoutée à celle de l'ANCT.
Je vous remercie, monsieur le président, du temps que vous nous avez consacré. Vous sentez l'espérance qui est la nôtre. Nous avons aussi le souci d'évaluer. Lors des débats au Sénat sur la création de l'ANCT, certains ont fait remarquer que celle-ci devait être l'agence d'ingénierie et de cohésion de l'ensemble des territoires dans leur diversité.
J'entends la pertinence d'une composition thématique des ingénieries, si l'on prête attention à la cohérence et à l'efficacité. Aujourd'hui, il est très important que l'ingénierie complexe dont on a besoin puisse accompagner les collectivités. La communauté d'agglomération de Saint-Malo, qui est composée de villes de tailles différentes, a créé une fonction d'ingénierie qui assure en quelque sorte une assistance à la maîtrise d'ouvrage pour les plus petites communes, afin d'encourager les mutualisations et les échanges de bonnes pratiques.
Aujourd'hui, nous avons une obligation de résultat et la dépense doit être pertinente. L'ANCT est excellente dans l'accompagnement et la mise en oeuvre des programmes d'État. Doit-on redéfinir ainsi sa mission ? Doit-on l'élargir ? Comment travailler en circuit court, avec efficacité ?
J'ai vu la situation des deux côtés de la barrière. Quand j'ai été élue et que l'on devait accueillir une entreprise, il y avait autour de la table la région, le département, la chambre de commerce et d'industrie (CCI) etc., bref beaucoup plus de représentants d'institutions que de représentants d'élus ou des entreprises. Quand j'ai travaillé dans une chambre de commerce, je trouvais que l'on passait beaucoup de temps à s'articuler avec différentes structures pour que l'entreprise ne voie pas le travail de filature qu'il fallait faire pour être performant...
Nous sommes impatients d'avancer sur ce sujet. Il faut muscler l'échelon départemental ou les sous-préfectures pour apporter des réponses fournies. Nous voulons que l'État et ses structures portent le même regard sur le maire d'une petite commune et sur celui d'un chef-lieu de département ou sur le président d'une métropole.
Monsieur le président, vous faites partie de nos marronniers, comme on dit dans la presse ! Nous aurons sans doute un rendez-vous annuel. Nous voulons exercer notre mission d'évaluation et d'échanges, et sommes à votre disposition pour croiser nos regards, au service de notre pays et nos territoires. Il y va de la démocratie et de la confiance de nos concitoyens dans l'efficacité de l'action publique et l'engagement des élus. En 2020, 110 communes n'ont pas eu de candidats aux élections, contre 80 en 2014. C'est un grave sujet qui nous préoccupe tous.
La réunion est close à 11 h 45.