Nous recevons M. Jean-François Carenco, préfet de la région Rhône-Alpes et, à ce titre, préfet coordonnateur du bassin Rhône-Méditerranée qui comprend les bassins hydrographiques du Rhône et de la Saône et des différents fleuves côtiers qui se jettent dans la Méditerranée.
Dans chaque bassin, le préfet de la région où le comité de bassin a son siège anime et coordonne la politique de l'État en matière de police et de gestion des ressources en eau afin de réaliser l'unité et la cohérence des actions déconcentrées de l'État en ce domaine dans les régions et départements concernés. En outre, il anime et coordonne la politique de l'État en matière d'évaluation et de gestion des risques d'inondation.
Il constitue l'autorité administrative compétente pour le bassin au sens de la directive-cadre sur l'eau et de la loi du 30 décembre 2006 sur l'eau et les milieux aquatiques.
Notre mission portant sur les inondations qui se sont déroulées dans le Var et plus largement dans le Sud-est de la France, il est particulièrement important, Monsieur le Préfet, que nous vous entendions et que vous puissiez nous présenter, outre votre mission, la politique mise en oeuvre à l'échelle du bassin en matière de prévention du risque d'inondation, la façon dont elle se décline s'agissant des fleuves côtiers non domaniaux, ses résultats mais aussi ses limites, ainsi que la manière dont elle s'articule avec ses autres missions de police et de gestion des ressources en eau, dont on a perçu, en nous déplaçant sur le terrain, qu'elles pouvaient créer certaines incompréhensions...
Je rappelle vos responsabilités importantes comme préfet de département et de région et que vous fûtes, de 2008 à 2010, directeur de cabinet du ministre d'État chargé de l'écologie, du développement durable et de l'aménagement du territoire. Vous avez donc une vision très large des questions que nous allons aborder.
Je suis accompagné de M. Philippe Ledenvic, Directeur régional de la Direction Régionale de l'Environnement, de l'Aménagement et du Logement (DREAL) Rhône-Alpes.
Je tiens à préciser que je suis fier d'avoir impulsé un certain nombre d'évolutions dans mes fonctions précédentes, notamment en matière financière...
En second lieu, je suis absolument convaincu, du fait de mes fonctions précédentes mais aussi actuelles, que l'avenir en matière climatique est compliqué. Il va se caractériser par des périodes de sécheresse et par des crues et sera plus chaotique en matière d'eau que par le passé.
Mon équipe est composée d'une DREAL de bassin, du directeur de l'Agence de l'eau compétente Rhône-Méditerrannée et de la déléguée de l'Office National de l'Eau et des Milieux Aquatiques (ONEMA) qui a une semi-compétence sur la zone de défense Sud-Est. Je me concerte aussi avec le Président de l'Agence de bassin, Michel Dantin. Cette équipe forme l'état-major de réflexion sur l'eau.
Ce bassin comprend plusieurs régions : Provence-Alpes-Côte d'Azur (PACA), Languedoc-Roussillon, Rhône-Alpes mais aussi Bourgogne et Franche-Comté, de Belfort à Menton et de Belfort à Cerbère.
Cette mission de préfet de bassin est appréhendée de manière différente suivant les sujets ; elle vise d'abord à faire prendre conscience à chacun que l'eau est le problème du futur, qu'il s'agisse de crues ou de sécheresses.
Je n'aborderai pas le sujet de la navigation ; j'ai, dans le cadre de crédits européens et d'un programme spécifique interrégional d'ICPIER, abondé par les régions, mis en oeuvre depuis un an et demi une action volontariste pour que le Rhône et le canal du Rhône à sec soient réellement une bande de roulement pour transporter les marchandises. Il existe déjà, d'Ouest en Est, six zones de roulement : la N 86, la rive droite historique ferroviaire, le Rhône, la ligne historique rive gauche de la SNCF, la N 7, l'autoroute et la ligne TGV. Elles sont à peu près toutes saturées, sauf le Rhône. C'est pourquoi nous essayons de développer la navigation sur le Rhône -et c'est l'un de mes sujets favoris. Nous avons par ailleurs lancé une étude -dont j'attends les conclusions en fin d'années- sur l'adaptation au changement climatique...
Je passe sur la question de la qualité de l'eau qui est évidemment à préserver et sur laquelle j'essaye de travailler, ainsi que sur la question de la quantité de l'eau
Qu'est-ce qu'un préfet de bassin ? Pas grand-chose malheureusement ! Il a un pouvoir d'animation, comme le dit le texte, de coordination... C'est également un pouvoir de connaissances, puisqu'il a à sa disposition, au sein de la DREAL de bassin, des équipes outillées un peu plus que les autres. Il est très important d'avoir une connaissance technique, scientifique, de modélisation. Des équipes y travaillent.
Le préfet de bassin a enfin un pouvoir financier, puisqu'il dispose de crédits du ministère sur le programme 181 et sur le fond Barnier -que je m'honore d'avoir réussi à capter un peu plus que prévu au profit du ministère de l'environnement ! Le préfet de bassin a donc de l'argent...
Ils représentent 70 millions d'euros par an, ce qui peut constituer un bon effet de levier...
Sur le Rhône, ils varient d'une année à l'autre...
Le préfet dispose également d'un pouvoir d'influence puisqu'il est actif au sein du Comité de bassin, véritable Parlement de l'eau ; c'est le préfet qui prend un certain nombre d'arrêtés divers et variés mais il n'a pas de pouvoir hiérarchique sur les autres préfets en tant que préfet de bassin. Le sujet des submersions marines, très à la mode, est traité par le préfet de façade maritime.
On a donc globalement un système juridique et hiérarchique qui me semble incomplet. Je plaide -et je l'ai écrit- pour que les préfets de bassin aient une autorité hiérarchique, s'agissant de ces problèmes, sur l'ensemble des préfets et soient accompagnés par un sous-préfet délégué. C'est le problème de demain, j'en suis convaincu. Nous avons réalisé un petit pas mais n'avons pas progressé suffisamment.
S'agissant des inondations, avant les événements de 2010 qui se sont déroulés dans le Var, il n'existait aucun service de prévision des crues. Ce n'est plus le cas aujourd'hui et nous n'avons pas manqué d'argent pour le faire. C'est le service Sud-Est, confié à Météo France.
Le schéma directeur des prévisions de crues du bassin Rhône-Méditerranée.est un document de janvier 2012 approuvé par un arrêté pris par mes soins.
Je pense qu'il existe, en matière de submersion marine, des modèles en lice, généralement confiés au préfet de façade de Marseille, qui le confie lui-même au préfet de région compétent -celui de Montpellier. J'assiste aux réunions en tant que préfet de bassin.
En matière de travaux, il est de bon ton de dire qu'il faut ériger des digues partout. Au-delà de la circulaire nationale sur les digues existe une doctrine « Rhône ». Chacun imagine qu'il s'agit d'une circulaire plus dure que la circulaire nationale ; en fait, elle assouplit les contraintes relatives aux constructions derrière les digues. Or, tous les élus mettent en avant la circulaire Rhône, réputée dramatique pour les constructions derrière les digues, sans connaître la circulaire nationale. Il y a aujourd'hui, selon moi, suffisamment d'argent pour des Plans d'Action pour la Protection contre les Inondations (PAPI) et des digues.
Il est plus important de se mettre d'accord sur la définition des travaux qui restent à mener et de trouver un maître d'ouvrage efficace. Je pense que le système des PAPI, validé nationalement, pourrait être utilement déconcentré vers les préfets de bassin et de renforcer leur rôle : si l'on veut une autorité, il faut lui conférer des attributs...
Il convient de bien comprendre qu'une digue s'entretient ; je crois que Xynthia -que j'ai directement vécue- nous l'a appris. Une digue peut également s'effondrer ou être traversée. Si le risque est différent, il en existe toujours un...
Les digues sont donc là pour préserver l'existant et non pour autoriser des constructions nouvelles. C'est ce que dit la doctrine « Rhône », même si elle assouplit la circulaire nationale, notamment sur les sujets économiques.
N'est-ce pas un problème général ? Il existe toujours un risque : on ne fait que modifier la forme du risque, sa fréquence, etc.
En effet, notre pays ne supporte plus le risque...
Il ne s'agit pas de le supprimer mais les digues sont là pour atténuer le risque sans jamais arriver à un risque nul.
Il faut donc conforter les digues et les renforcer pour préserver les constructions existantes mais non pour construire derrière. On peut le faire quand on est dans l'absolue nécessité, comme aux Pays-Bas mais la France a de la place !
Nous avons auditionné hier les représentants des Pays-Bas, qui se situent sous sept mètres d'eau et ont 15.000 kilomètres de digues, qu'ils entretiennent et surveillent en les parcourant parfois même à pied.
Ce pays prouve donc que l'on peut construire derrière les digues, y avoir une activité économique et continuer à se développer. Notre doctrine, que vous venez de définir, affirme l'inverse : on construit une digue, on protège l'existant mais on ne peut faire plus.
Selon vous, en l'état actuel des choses et à votre connaissance, la bonne doctrine est-elle la doctrine française ou la doctrine hollandaise ?
La doctrine française est bonne parce que nous sommes dans une situation différente. Les Pays-Bas, avec une densité de population qui approche les 400 habitants au kilomètre carré, ont besoin d'espace. La France, elle, a besoin de sérénité -Xynthia a fait trente morts et a failli renverser la République- et de préserver ses espaces. La France risque de perdre sa biodiversité du fait de la consommation d'espaces. La région Rhône-Alpes a consommé en dix ans l'équivalent de 80 % de la surface agricole utile de la Savoie !
Certes mais la raison n'est pas liée à la spéculation immobilière. La culture de la maison est encore ce qui rapporte le plus ! Il y a également un rapport avec l'évolution de notre agriculture...
Je parle de consommation d'espaces. Je n'ai jamais dit qu'il n'y avait qu'un problème. Qu'est-ce qui consomme l'espace ? Les grandes infrastructures et l'immobilier ! Lorsqu'on réalise une digue, ce sont bien les constructions qui sont en cause. Le sujet est donc bien celui de l'immobilier. Selon moi, plus la France dispose d'espaces libres et plus sa construction est concentrée, mieux elle se porte.
Mais il faut protéger les constructions, notamment des inondations, au détriment d'autres espaces !
Nos ancêtres construisaient de manière concentrée dans des zones non-inondables. Il n'y a que nous pour avoir -bêtise absolue- construit dans la vallée du Var. Je suis de là-bas !
Peut-être les habitants des Alpes-Maritimes n'ont-ils pas envie de revenir à l'économie d'autrefois...
Il ne s'agit pas de cela !
Nous allons y revenir. Je voudrais en terminer avec les Plans de Protection du Risque Inondation (PPRI).
Vous avez dit que la France avait besoin de sécurité et de préserver ses espaces...
Et de construire ! Contrairement aux Pays-Bas, nous disposons d'espace. Or, notre problème est celui des maîtres d'ouvrage et de savoir pourquoi l'on construit des digues.
Nous avons une doctrine, que nous essayons de faire respecter fermement. Quand un préfet ne fait pas ce qu'on lui demande, je le dénonce au ministre. C'est ce qui s'est passé en Arles, où le ministre m'a appuyé. Trois préfets s'y sont cassé les dents sur le PPRI d'Arles. Je pense qu'il est sorti mais il a fallu que me je fâche, sans disposer d'aucun autre pouvoir que d'un pouvoir d'influence. Les préfets de l'époque étaient terrorisés par le maire d'Arles, qui menaçait de faire un scandale.
La situation est la même à Givors, dans la vallée du Gier. Le maire ne construira plus dans la vallée du Gier. Je le lui ai fait savoir ; il veut me rencontrer mais cela n'y changera rien !
Pourquoi est-on plus inondé qu'autrefois ? Tout d'abord, on construit en zones inondables et, plus on construit en zones inondables, plus on est inondé ! On artificialise des terres en zones inondables et l'eau dévale. Or, nous n'acceptons plus d'être inondés.
Prenez l'exemple de l'île de la Barthelasse, dont je refuse pour le moment d'empêcher l'inondation. Si on s'oppose à l'inondation de la Barthelasse, on inondera l'aval. Combien l'île de la Barthelasse compte-t-elle d'habitants ?
Ils ont l'habitude d'être inondés...
C'est le cas depuis toujours !
Ils ont la culture de l'inondation depuis des générations mais on peut les protéger davantage !
Cette culture de l'inondation ne doit pas se perdre !
En matière de construction en zones inondables, nous avons à présent des modèles mathématiques qui permettent de tracer la carte des aléas, ce qui n'était pas le cas auparavant. On a failli implanter au Pouzin une usine en pleine zones inondables, au sein d'une ZAC qui existe depuis quinze ans ! Les études réalisées après 2003 démontrent qu'il s'agit d'une zone menacée par les crues rapides de la Drôme.
Elles sont inégales sur le territoire. En matière de Plans de Protection des Risques Technologiques, (PPRT), il existe des directives nationales. Dans le cas présent, les préfets sont à peu près libres d'interpréter le modèle et de déterminer le moment où le danger peut survenir. Ces critères ne sont pas uniformisés nationalement et je pense que ce n'est pas une bonne chose.
On a donc besoin d'une norme nationale face aux aléas des inondations pour déterminer les zones bleues, rouges, hachurées, etc.
L'aléa, tel qu'il est défini par les nouvelles études, est-il fiable ? Ces aléas sont-ils correctement évalués ? J'ai tendance à le penser mais s'il s'avérait que ces études sont trop rigoureuses, cela ne me paraîtrait pas grave. Je suis un farouche partisan de la limitation de la constructibilité des terrains.
La France, en 1810, comptait 20 millions d'habitants. Elle en a aujourd'hui 65 millions. C'est un problème de place que l'on a essayé de résoudre en y inscrivant des notions de confort et d'espace. On a étalé la France. C'est dangereux pour les inondations, pour la diversité. Cela génère du CO2 et consomme de l'énergie. Nous ne pouvons poursuivre de la même manière. Une population mondiale de 10 milliards d'habitants ne peut croître de 5 % par an ! Il nous faut donc changer de modèle.
C'est ce pourquoi je me suis engagé au ministère, en concertation avec les élus. Quel est l'intérêt d'un maire comme celui de Givors d'être favorable à l'implantation de magasins à cet endroit précis ?
Je suis pour créer des espaces verts dans la vallée du Gier !
Leur fournirez-vous du travail ou doivent-ils tous en chercher à Lyon ?
Givors est entrée dans la Communauté Urbaine de Lyon (CURLY). Les emplois s'y répartissent. Dans le troisième arrondissement de Lyon, il n'y a pas d'emploi. Il n'y en a peut-être pas non plus à Givors mais on n'est pas obligé de tout avoir partout. C'est pour cela que l'on crée des communautés urbaines...
S'agissant des risques technologiques, il n'a pas été simple d'établir les plans de protection. On n'a pas forcément construit à l'endroit le moins dangereux !
On a construit lamentablement. L'agglomération de Lyon -et l'Etat y a sa part de responsabilité puisque c'est lui qui délivrait les permis de constuire- est une erreur collective majeure ! Je pense que, d'ici la fin de l'année, nous serons sortis des problèmes de PPRT de la vallée de la chimie, où les industriels ont fait de gros efforts. La DREAL a fort bien travaillé. Le grand Lyon y travaille. C'est autrement plus compliqué que les problèmes d'inondabilité de la vallée du Gier.
En tant que directeur de cabinet du ministre d'Etat, j'ai été obligé de racheter des lotissements dans la vallée du Gier ; il est inacceptable qu'aujourd'hui, en tant que préfet de région, je puisse conseiller de construire en aval de l'endroit qui a été racheté ! Il faut être cohérent. On me fait valoir qu'il s'agit de magasins et que c'est différent : non ! En outre, il y a des problèmes de circulation !
J'assume la position qui était la mienne au ministère et qui est la mienne en tant que préfet de région : quel est l'intérêt de construire en zones inondables ?
C'est pour cela que l'on fait de grandes agglomérations et que je milite fortement pour que les Plans Locaux d'Urbanisme (PLU) soient intercommunaux.
Si vous créez une intercommunalité avec Marseille, il est sûr que vous aurez de la place mais...
Givors est dans la CURLY ; cela pose suffisamment de problèmes pour en tirer pour une fois quelque avantage.
Ne pensez-vous pas que multiplier les déplacements pose aussi problème ?
Vous ne pouvez pas installer des usines en zones inondables ! Auparavant, on ne le faisait pas ! Pourquoi le fait-on maintenant ? Réfléchissons ! Par facilité, parce qu'on a cru que l'homme allait tout dominer...
Il existe 19.000 communes en zones inondables et 800 submersibles. C'est un problème massif. Dans quelles conditions et comment une zone est inondable, voilà la question.
On peut construire en zones inondables mais pourquoi le faire lorsqu'on n'y est pas obligé ? C'est pourquoi la doctrine « Rhône » a prévu d'assouplir les conditions.
J'ai été l'un un des premiers préfets, à Montauban, en 1999, à signer un PPRI urbain ; le maire a d'ailleurs été battu. Montauban n'est pas morte depuis, au contraire : cela va même bien ! Ce n'est pas le problème du préfet de savoir qui est maire ! Les inondations coûtent très cher ! J'étais directeur de cabinet lorsque la tempête Xynthia est survenue. J'aurais souhaité que le maire aille plus vite en prison ! Je le dis comme je le pense.
Je crois qu'il faut que la représentation nationale donne aux préfets le pouvoir de s'opposer à de tels sujets. Des événements du type de Xynthia, il y en aura d'autres ! Je pense que les préfets sont peu protégés et j'en connais beaucoup qui ont sauté à propos de ces sujets. Ce ne sont que des hommes : il faut être plus ou moins courageux. C'est ce qui s'est passé à Marseille : de grands préfets n'ont jamais osé s'opposer à ce qu'on leur demandait. Il y a toujours une élection à venir. C'est vrai, nous ne sommes pas très bons. Je l'assume. Tout le monde fait des erreurs.
Comme disait Napoléon III : « Je tiens à l'honneur qu'en France les fleuves rentrent dans leur lit et n'en sortent plus ! ».
Je demande tout simplement que chacun voie que les fleuves sortent de leur lit !
J'estime que les préfets devraient être plus durs à propos des PPRI. Il faut que chaque préfet fasse son examen de conscience. Il n'est pas question de construire n'importe quoi, n'importe où mais on peut faire un certain nombre de choses en zones inondables.
Si je comprends bien, il faut distinguer des zones qu'on appellera familièrement des « zones rouges », des « zones bleues » et des « zones blanches ».
On peut également faire du bleu foncé et du bleu clair.
Ce qui m'inquiète, c'est l'absence de normes nationales relatives aux inondations, notamment en matière de courant.
Dans mon département, on me dit que si l'on dépasse un mètre d'eau et une vitesse d'un mètre à la seconde, on ne peut y construire : c'est une zone rouge. A côté, il existe une zone bleue où l'on peut construire à hauteur de 30 %. A combien s'élève ce pourcentage chez vous, Monsieur le Préfet ?
C'est variable !
Je vous rejoins pour dire qu'il est anormal qu'on ait des zones rouges dans lesquelles la déclinaison de rouge et de bleu se fait par secteur et par préfet. Cela n'a donc pas grand sens, ce qui est dangereux chez l'un pouvant ne pas l'être chez l'autre. Il y a urgence à agir dans ce domaine en matière de normalisation nationale.
Par ailleurs, vous dites que vous autorisez la construction en zone bleue...
Sous réserve de normes de construction.
Avez-vous entendu parler des polygones ? Ce sont des îles artificielles que l'un de vos collègues a autorisées dans votre bassin pour installer une entreprise. Il a donc fait remonter le sol...
Cela ne se fait pas normalement en zone rouge mais certains cèdent lorsqu'il s'agit de sujets économiques. On a le cas à Tournon et nous serons à Pouzin la semaine prochaine à propos d'un autre sujet, où les études nouvelles font qu'une entreprise se trouve en zone rouge. Or, si elle ne peut s'étendre, elle s'en va !
Les préfets sont seuls pour décider : il n'existe ni norme, ni règle. Ce n'est pas la peine d'interroger les élus : ils disent toujours la même chose ! Il nous faut une connaissance partagée que nous n'avons pas, petit bassin par petit bassin !
Et avec la population...
On pourrait envisager un acte commun dans la préparation des PPRI. C'est une piste à explorer. Il existe des objectifs différents de chaque côté et cela se termine par une négociation absurde qui oppose risques et constructions.
Comment envisageriez-vous la coopération sur le plan pratique ? Nous l'avions évoquée avec le Préfet de région à Marseille...
On pourrait mettre en place un mini-débat public sur les grandes infrastructures...
Je suis d'accord avec vous, mais pensez-vous qu'un débat public, même bien mené puisse déboucher sur quelque chose ?
Je maintiens que notre pays n'a pas conscience de certaines choses et que le débat public doit servir de prise de conscience. On n'est pas obligé d'en faire des tonnes. La Commission Nationale du Débat Public (CNDP) ressemble un peu à Pinocchio sortant de sa boîte : il faudrait l'y ramener !
Avoir un débat public dans un bassin-versant est une bonne chose, afin que nul n'en ignore. Cela me paraît important !
Je pense que nous ne sommes pas au point concernant les PPRI mais nous avons beaucoup d'excuses : absence de normes, de débat public, de connaissances communes et partagées. Ceci débouche sur des catastrophes comme celle de Vaison-la-Romaine, la Vallée de l'Argens ou Xynthia. Cela fait beaucoup de choses ces dernières années. Je suis convaincu que l'artificialisation des sols et les changements climatiques renforceront l'occurrence de ces catastrophes.
Il existe deux possibilités : la première est l'interdiction, comme le fait la doctrine actuelle, qui n'est pas appliquée ; la seconde attitude consiste à reconnaître que cette doctrine n'est pas applicable, les gens voulant continuer à vivre où ils se trouvent et, si possible, y travailler. Il faut donc penser à maintenir ou créer un certain nombre d'activités. Ne peut-on plutôt raisonner en termes d'aménagement du territoire afin de faire en sorte de pouvoir continuer à vivre dans ces zones ? Ne pourrait-on arriver à des conclusions partagées et avoir ainsi une chance de voir les décisions qui ont été prises appliquées ?
Je ne suis pas sur cette ligne. Je pense qu'il faut tout d'abord une connaissance partagée. J'ai connu Nice à une époque où le champ de courses n'existait pas encore, il y a donc un certain temps. Les lavandières étaient encore sur le Paillon et on ne construisait bien évidemment pas sur le Var.
Le Gouverneur Eriau voulait « verticaliser » la Nouvelle-Calédonie -ce qu'il a d'ailleurs fait pour partie à Nouméa. Les facilités que nous accordons par confort, pour accéder aux envies des gens, ne sont plus possibles car trop dangereuses. Celui qui décide, in fine, c'est le juge. Eviter les morts relève de notre responsabilité ! Partageons la connaissance, essayons d'appliquer des règles souples mais de vraies règles. Souplesse et compréhension ne signifient pas laxisme. Je n'ai jamais eu de gros ennuis avec les élus quand je faisais des PPRI. C'est plus long mais je n'ai pas rencontré un élu qui ne soit pas d'accord, une fois les connaissances partagées. Il n'y a aucune raison de suspecter un élu de vouloir inonder les gens !
La loi dit que la terre et l'espace sont des biens rares dont les préfets ont la garde. La parcimonie dans la consommation de l'espace est une règle qui n'a pas été abrogée et qui reste de la compétence des représentants de l'Etat. Pour ce faire, il faut recourir aux zones d'expansion de crues. Il est très difficile d'expliquer à des gens que l'endroit où ils habitent est destiné à être inondé. C'est pourtant une des solutions.
Il existe en France une règle non contestée mais souvent critiquée qui veut que le droit de l'urbanisme ne s'indemnise pas. C'est ce que les inondations sont en train de mettre à mal.
En toute connaissance de cause ! Il existe une vérité historique. : l'île de la Barthelasse est inondable. L'histoire est plus forte que les hommes...
C'est ce qui exaspère les gens de la Barthelasse : le plan « Rhône » avait fait naître des possibilités de compensations...
Sur Piolinc et Mornas...
Evidemment ! Il n'y a personne sur les îles de la Motte et de l'Oiselet ! Vous avez tout arrêté d'un coup ! Vous avez fait rêver les gens pendant huit ans et vous faites un courrier en avril en leur annonçant que rien ne se fera, sauf s'ils réalisent eux-mêmes leur compensation hydraulique. C'est impossible ! L'écrêtement des crues majeures ne se présentait pas ainsi au départ, Monsieur le Préfet !
Il faudra une loi pour ce qui est de Piolenc et de Mornas. Il s'agit d'inonder volontairement certaines zones en cas de crues.
Piolenc et Mornas ne comptent pas d'habitations ! En contrepartie, on peut améliorer la fréquence des crues sur la Barthelasse.
Je suis d'accord avec vous mais je n'ai pas aujourd'hui la capacité juridique de le faire. Il faudra une loi pour pouvoir inonder Piolenc et Mornas. Il faut nous en donner les moyens juridiques.
J'ai participé à toutes les réunions durant huit ans. Ce n'est pas du tout ce qu'on nous disait. On nous assurait qu'on allait aboutir à des solutions et faire des propositions concrètes. Or, le plan « Rhône » s'arrête d'un seul coup !
Il y a une opposition de principe entre deux visions, celle de notre collègue, qui est une vision de terrain et la vôtre, Monsieur le Préfet, qui refusez de construire à cet endroit du fait de l'existence de zones de compensation historiques. Cependant, il vous faut une loi pour le faire. Si cette loi était votée, cela satisferait-il notre collègue ?
C'est un sujet très compliqué !
Il n'a jamais été dit qu'il ne fallait rien faire. La porte a été laissée ouverte à un certain nombre de travaux dans certaines zones afin qu'elles soient moins fréquemment inondées.
Le grand projet consistant à préserver une large zone de réceptacle des crues en amont se heurte à un problème juridique et à un problème technique compliqué.
Juridiquement, on ne peut pas inonder des personnes au profit d'autres qui sont plus loin. Ce sont des questions de responsabilité et de maîtrise d'ouvrage. Des études approfondies ont été rendues publiques en novembre, dans lesquelles on a expliqué toute la complexité de ce chantier. Elles concluent qu'une loi est nécessaire pour reconnaître l'utilité publique et modifier le cahier des charges de la concession de la Compagnie nationale du Rhône (CNR).
Le problème technique -et surtout financier est lourd : la ligne TGV et le remblai ferroviaire ne résisteraient pas à une surinondation. A supposer que l'on puisse juridiquement surinonder la zone correspondante au bénéfice des gens en aval, la ligne TGV ne tiendrait pas. Ce sont les deux points de blocage majeur.
La conclusion des travaux de janvier dernier n'a pas incité à ne rien faire mais à réaliser quelques travaux a minima au bénéfice des gens situés en aval. Sur une quinzaine de travaux listés, il s'agit d'en faire la moitié.
Etes-vous d'accord sur le fait qu'il ne se passe rien de Viviers à Beaucaire ?
En effet...
Celui qui a acheté sur l'île de la Barthelasse il y a trois ou quatre ans savait bien que la zone était inondable. C'est la raison pour laquelle il n'a pas payé cher !
Parce qu'il n'a pas payé assez cher son espérance ! Il a acheté à bas prix parce que c'est inondable !
Pas forcément ! Les aménagements pour vivre au premier étage coûtent cher. Les pertes sont à chaque fois importantes, y compris pour ceux qui ont des activités agricoles : tous les vergers sont morts lors des crues de 2003. L'eau y est restée trois jours.
Si on protège des villes ou des villages au détriment d'autres espaces, ceux qui se trouvent sur les autres espaces ont une sorte de servitude due à l'inondation du fait des zones d'expansion de crues. Peut-on imaginer une compensation pour les propriétaires du foncier dans ces secteurs, notamment les paysans ? On a vu cela dans les Alpes-Maritimes, dans le secteur de la Siagne, dont la rive droite comporte un lotissement. Sauf à raser tout le lotissement -ce qui entraînerait des coûts démentiels- on a prévu d'inonder la rive gauche. Or, la rive gauche abrite les terres d'un paysan, qui sait que ses hectares vont être inondés un jour ou l'autre. Il devrait donc recevoir une compensation. Peut-on imaginer une solution identique ?
Des solutions existent mais l'argent manque. Prenons un exemple : l'oedicnème criard est un petit oiseau qui niche au sol : à Lyon, la construction du grand stade va détruire sa zone d'habitat. On a donc trouvé un autre terrain pour l'abriter. La particularité de cet habitat nécessite que l'on retarde la période des semis. On indemnise donc les céréaliers à hauteur d'environ 600 euros l'hectare durant vingt ans.
Est-ce généralisable ? C'est toute la question ! Je ne le crois franchement pas...
Cet exemple montre bien qu'il existe deux poids, deux mesures : la Communauté Urbaine de Lyon peut s'affranchir des risques technologiques...
Il n'est qu'à voir la façon dont cela a été négocié. Je ne suis pas persuadé que s'il s'était agi d'un quelconque village cela aurait été pareil.
C'est moi qui négocie et je ne vous permets pas de dire cela !
J'ai lu quelques études sur le sujet : peut-être n'étiez-vous pas préfet à l'époque. Il y a eu des négociations comme le montre diverses études universitaires...
Je m'inscris en faux contre ce propos !
Vous nous dites que les habitants de Givors n'ont qu'à aller travailler au Nord de Lyon. Lorsqu'il existe un problème d'environnement et d'habitat, on le déplace : avouez qu'il est plus difficile d'y parvenir quand on a affaire à des collectivités riches et disposant d'une certaine influence politique ! Dans les zones d'expansion de crues, c'est simple, on règle le problème en interdisant toute construction !
Les problèmes ne sont pas les mêmes. Si les gens se sont agglomérés à certains endroits, c'est que ces endroits étaient plus propices à l'agglomération des gens que d'autres !
Si on a construit en zones inondables, c'est parce que la construction y était plus propice, en effet !
On construit depuis peu en zones inondables ! Les bourgs et villages français n'étaient pas en zones inondables...
Nous parlons des zones inondables. Il est faux de dire qu'il y a eu un quelconque laxisme...
Non, il n'y a pas de négociations et on négocie plus en matière d'eau que de PPRT.
ArcelorMittal, à Rives-de-Gier, nous propose 26 millions d'euros d'investissements et 150 emplois. Dieu sait si je suis attaché à l'industrie mais je leur ai indiqué que la règle des pollutions aux particules n'était pas négociable ! La France est soumise à des amendes de Bruxelles à ce propos.
J'ajoute que nous allons bientôt avoir des zones européennes d'inondation et des aides pour les Territoires à Risques Importants (TRI). Si ce dispositif était en vigueur aujourd'hui, la France paierait des amendes, les zones rouges n'étant pas là où elles devraient être.
Les choses sont en train de se faire à Bruxelles et je ne doute pas un instant que cela va déboucher. On se concerte davantage que vous ne le pensez avec l'ensemble des territoires pour définir ces aides mais on le fait à propos de l'effet du danger.
Je vous cite l'article de Mme November, professeur à Polytechnique de Lausanne, que nous recevrons bientôt : « Les débordements du Rhône, de Lyon à la Méditerranée, en 2005, mettent en évidence que la gestion des risques d'inondation est faite de manière à protéger certains centres urbains -notamment Lyon et Avignon- et qu'implicitement, on accepte le sacrifice d'autres territoires, moins peuplés, que l'on inonde au besoin ».
Malgré le titre universitaire de cette dame, ses affirmations ne reposent sur rien. C'est un sentiment !
Elle fait allusion à un rapport de 2002 : « Un rapport réalisé par l'Établissement public territorial de bassin Territoire Rhône, rendu public en 2002, montre que si les crues ont peu évolué depuis plusieurs siècles, les nombreux aménagements le long du fleuve -hydroélectricité, digues, etc.- ont, quant à eux, réduit les espaces inondables. Il est par ailleurs intéressant de noter que, dans ce rapport, la catastrophe et ses lieux exacts étaient annoncés, ce qui n'a pas contribué à réduire le danger, au grand dam de ses auteurs ».
Ce sont peut-être des inepties mais un certain nombre de gens le disent !
On a parlé des possibilités de construction derrière les digues ou en zones inondables ; ce qui a été fait à travers la doctrine « Rhône » validée en 2006 tient compte du fait que le Rhône et ses affluents à crues lentes sont précisément à crues lentes. On ne traite pas la constructibilité de la même façon face à des crues lentes, prévisibles, gérables en termes d'aménagement et face à des crues rapides du type de celle de Vaison-la-Romaine.
Le préfet coordonnateur de bassin a organisé en septembre une réunion de l'ensemble des préfets sur le Rhône. Nous avons fait le point sur l'avancement des PPRI sur le Rhône et la Saône ; la plupart étaient soit en cours, soit approuvés conformément à la doctrine « Rhône ». Il n'est donc pas vrai que celle-ci n'est pas appliquée concernant les PPRI.
Combien de temps va-il falloir pour mettre en place les aménagements ? Faire des lois, interdire ou autoriser a l'avantage de ne rien coûter
Je me permettais d'apporter des précisions par rapport à l'affirmation que les règles ne sont pas appliquées. Sur le Rhône, la doctrine est globalement appliquée !
La région Languedoc-Roussillon est une région où existent beaucoup de PPRI qui sont mis en oeuvre et appliqués avec des règles strictes. Il faut rappeler que les règles générales sont bien appliquées sur un certain nombre de territoires.
On sait qu'il existe des dérogations ou des exceptions pour certaines PPRI. Cela fait partie de la marge de négociations. Les inondations sont comme la cigarette : il y a le risque que l'on accepte ou que l'on consent pour soi-même mais aussi le risque que l'on fait subir aux autres.
S'agissant des PPRT, les règles définissent les aléas, ce qui n'existe pas de façon aussi nette pour les inondations. Il se trouve qu'un raffineur exerçait une pression très forte en faveur d'une interprétation...Total plaidait pour que le « boil over » soit considéré sous l'angle de la cinétique lente ; nous avons considéré, en centre urbain, avec accumulation de liquides inflammables, que l'aléa devait être appréhendé sous l'angle de la cinétique rapide, ce qui étend les zones de délaissement et d'expropriation de façon plus importante.
S'il y a un cas où l'on n'a pas négocié, c'est bien en matière de notion de territoire. Les universitaires peuvent dire ce qu'ils veulent, je me permets de remettre ce point au clair !
Moi, je constate que vous avez, dans l'agglomération lyonnaise, des industries très dangereuses. Que vous ne les agrandissiez pas est une chose ; une partie de l'activité de déstockage est maintenant sur les routes. Vous ne les faites pourtant pas déplacer...
Mais on fait déplacer la population autour ! On a instauré des zones d'expropriation et des zones de délaissement. C'est extrêmement sérieux !
Au Sud de Grenoble, on trouve le plus gros PPRT de France en termes d'engagement financier de l'Etat.
A Grenoble, la population dans les zones de délaissement et d'expropriation représentait 140 à 180 maisons.
Il existe certes une doctrine officielle, que vous défendez brillamment mais principalement dans le Var, le Vaucluse ou le Gard, la mise en place des équipements liés aux PPRI n'avance pas.
Les difficultés ne viennent-elles pas du fait qu'on se pose la question en termes de suppression d'un risque alors qu'un territoire comporte toujours des risques ?
La doctrine pourrait tenir si le problème ne concernait que quelques communes mais si 19.000 communes sont soumises au risque d'inondations -sans parler des autres risques- que fait-on ? Interdire ne nous paraît pas être une solution d'avenir : on va de blocage en blocage !
Y a-t-il vraiment interdiction ? Je ne le crois pas ! D'ailleurs, on construit même si c'est interdit et l'Etat n'a pas les moyens d'exercer sa surveillance. Il n'y a plus personne pour contrôler les permis de construire...
Ils se substituent en effet à la puissance publique mais sont vénaux et se rétractent lorsqu'on les achète !
Tout n'est pas complètement interdit : il existe des zones rouges, bleu foncé, bleu clair et blanches. On doit donc fixer des normes.
L'autre question est de savoir si l'on accepte le risque. Oui, s'il n'y a pas moyen de faire autrement et si c'est un sujet défendable mais si ce n'est pas le cas et qu'il y a moyen de faire autrement, pourquoi accepterait-on un risque qui, in fine, pèse toujours sur le contribuable français ? A La Faute-sur-Mer, on est allé chercher l'argent là où il fallait ! A Nîmes, en 1988, cela a coûté un maximum. Chaque fois, cela coûte beaucoup d'argent pour un petit plaisir immédiat.
Prenons le cas de Nîmes où des travaux considérables sont en cours : la commune n'est pas à l'abri en cas de crues ! On dit ensuite au maire qu'il ne peut construire un immeuble de sept étages parce qu'il densifie une zone inondable et densifier une zones inondables n'est pas une bonne chose ! Que peuvent faire les élus ?
On a construit à Nîmes des choses qui ne servent à rien sur des terres propices à la construction de choses utiles ! Nîmes n'est pas complètement inondable mais on n'est pas pour autant obligé de construire dans le bassin-versant du Cadereau. C'est plus facile et cela rapporte plus à certains mais c'est ensuite le contribuable qui paie ! Je suis contre cette pratique alors qu'on peut faire différemment. Les PLU servent à déterminer les zones constructibles ou non. Il existe 19.000 communes touchées par les PPRI. Sur ce chiffre, combien sont totalement interdites de construction ? Très peu.
Il n'y en a pas 19.000 ! Je crois que les gens seront heureux d'habiter dans une ville où l'on ne construit pas !
Ceux qui y sont ! On gèle en fait le territoire là et où cela arrange !
Il y a une question de principe à laquelle je n'ai jamais eu de réponse. A une certaine époque, j'avais beaucoup travaillé sur les PPRI, lorsqu'ils sont entrés en vigueur. Le Sénat m'avait désigné dans un comité sous l'égide de Nelly Ollin.
On avait dit -cela figure dans toutes les compte rendus- que les PPRI, une fois approuvés, n'étaient pas forcément figés dans le temps. Ils devaient être évolutifs. Lorsque des élus d'un bassin-versant -communautés de communes ou d'agglomérations- se demandent comment faire évoluer leur territoire pour que le PPRI diminue, on a du mal à trouver quelqu'un qui avalise les propositions !
C'est ce que nous venons de faire en Arles, à Vallabrègues et ailleurs ! Il faut les prévoir dans la première version du PPRI et qu'une loi en autorise la modification en cas de réalisation.
Pourquoi faut-il qu'ils soient déjà prévus ? Il peut y avoir des innovations !
C'est tellement long que si ce n'est pas prévu, rien ne se fait !
On nous interdit d'enlever les embâcles et de draguer les rivières. Or, à certains endroits, cela peut améliorer la fluidité et diminuer les PPRI !
On n'a pas évoqué le curage des rivières, sujet pourtant très important, notamment dans les bras morts du Rhône. La concession de la CNR n'est pas adaptée de ce point de vue. Il faudra veiller à ce que la prochaine, en 2023, prenne en compte un certain nombre d'éléments liés au problème actuel de l'eau.
Pourrait-on avoir connaissance des éléments qui pourraient modifier favorablement les choses pour les riverains et les villages, ne serait-ce que pour en parler et soulever le problème ?
Vous nous demandez de modifier la loi : nous allons essayer mais avez-vous des PPRI que vous avez modifiés suite à des travaux ?
Non car il n'y a pas eu de travaux pour le moment !
J'ai participé à la conception de la doctrine « Rhône » en 2005 et 2006, initiée par la question de la digue palière à Avignon et son impact sur la Durance.
A l'époque, on avait déjà pour idée de consolider la digue palière pour protéger l'existant. La commune et les habitants se posaient la question de savoir ce que l'on pourrait faire une fois la digue palière aménagée, les travaux de la Courtine et un certain nombre de choses étant déjà prévus...
Il était explicite que la consolidation de la digue palière permettrait de prévoir un règlement ainsi que l'aménagement du centre urbain et éventuellement de zones stratégiques.
La consolidation de la digue a nécessité un certain temps. Il en va de même des travaux prévus en Arles. Pour le moment, les services de l'Etat estiment que l'on pourra modifier le PPRI le jour où la digue sera efficace.
L'anticipation est donc liée à la réalisation effective des travaux, qui ont pris du temps...
Les choses ont évolué en dix ans. Elles se sont durcies mais sont aussi devenues plus dynamiques : il y a plus d'argent, de travaux, de réflexions communes, une meilleure connaissance.
Il existe des centaines de PPRI. Ont été également réalisés des contrats de rivière, des travaux financés dans le cadre du PAPI, etc.
Là où ces travaux sont achevés, le PPRI a-t-il été modifié en conséquence ?
Non car il faut distinguer les situations. Il y a tout d'abord les cas de crues rapides. En cas de crues rapides, on peut toujours imaginer une brêche. Cela renvoie à la question des études de danger et des hypothèses à prendre en compte. En règle générale, les travaux ont été faits pour protéger l'existant mais non pour faire évoluer quoi que ce soit.
La doctrine devrait être plus nette ! C'est la première fois que j'entends de manière claire qu'il n'y aura pas de modification du PPRI dans les rivières à crues rapides. On ne modifiera donc pas le PPRI de la plaine du Var, dans les Alpes-Maritimes, où l'on fait actuellement un PAPI ?
Ca relève des préfets de département. Si j'avais été préfet de département, je ne pense pas que j'aurais accepté que l'on construise de cette façon dans le lit du Var ! Je suis niçois d'origine : on ne construit pas dans le lit du Var ! Je pense que ce n'est pas une bonne chose.
Il avait été prévu dès le début de la doctrine « Rhône » que l'on pouvait faire bouger la règle dans le cadre des crues lentes, en tenant compte de la solidité des digues. Pour l'instant, on n'en a pas encore vu le résultat parce qu'on attend que les travaux se fassent.
Prenez l'exemple de la Camargue : on ne veut plus l'inonder ! Une fois qu'on a dit que le principe était de tout faire pour ne pas l'inonder, cela devient très compliqué.
C'est ainsi. C'est dans l'air du temps, le fait de la pression des uns et des autres, de l'intérêt économique de ceux qui font des lotissements ou qui veulent être élus, des préfets qui ont peur. Peu à peu, sans le dire, l'objectif est de ne plus inonder la Camargue. Si c'était le cas, tout le monde trouverait cela bien !
Lors de notre audition du préfet de la région PACA, l'idée avait germé de faire le PPRI ensemble. Le fait de détenir des connaissances partagées constitue une vraie piste de travail. Qui réaliserait toutefois les études de PPRI dans ce cas ?
Ces PPRI s'élaborent tous sous le contrôle du juge. Les parlementaires, dans leur grande sagesse, en ont confié la tâche à des gens lointains, saisis par des personnes qui ont de stricts intérêts particuliers.
Quand on ne sait pas quoi en faire, on renvoie l'affaire vers le juge qui est censé être omniscient et sans préjugés, ce qui est complètement faux et qui pose accessoirement le problème de la responsabilité.
Il ne s'agit pas de ne pas habiter les territoires à risques mais de les habiter dans les meilleures conditions possibles...
Et de l'accepter !
Ce qui signifie impérativement que ceux qui viennent s'installer savent à quoi ils s'engagent...
Et qu'il n'existe pas d'indemnités !
Plus exactement, il faut qu'ils l'acceptent sous certaines conditions ce qui impose, selon les endroits des travaux d'aménagement.
On nous rebat les oreilles avec la culture du risque. Deux jours après la catastrophe, tout le monde a oublié. C'est un problème de responsabilité. Le préfet et le maire se défaussent l'un sur l'autre. C'est une question qu'on refuse d'aborder de front parce qu'elle est redoutable.
Celui qui veut construire sur son terrain sera le premier à vous attaquer !
Mettons-nous à la place du malheureux élu : faire des investissements uniquement pour garder la situation en l'état, sans possibilité de développement n'est pas très incitatif.
Si j'en crois le nombre de digues à bâtir ou de terrains en zones inondables, la France devrait créer quelques millions d'emplois !
Le maire de Beaucaire veut sa zone immédiatement. Je comprends que les élus croient en leur commune mais je lui ai répondu négativement. Lorsque les travaux seront faits sa zone sera réalisable mais la programmation est confiée au Syndicat Mixte Interrégional d'Aménagement des Digues du Delta du Rhône et de la Mer (SYMADREM), sous notre responsabilité.
Ne pensez-vous pas que si l'on pouvait induire ce type de dynamique, on aurait de plus grandes chances d'aboutir ?
On est sur un système bloqué...
Le PPRI de Vaison-la-Romaine a été attaqué par la commune elle-même et le juge lui a donné satisfaction, le PPRI étant trop rigoureux dans la détermination du zonage.
Il y a eu trois PPRI dans le Vaucluse : quelquefois, les choses sont allées jusqu'au juge ; chaque fois, des correctifs ont été apportés. Les premiers projets ne sont pas forcément les bons : il existe des excès.
En discutant, on arrive à faire des PPRI consensuels, comme celui de Villefranche-sur-Saône, qui se situe pourtant en zone inondable, avec des usines, des ports... Nous nous sommes mis d'accord. Jamais un maire n'a attaqué un PPRI que j'ai fait en tant que préfet de département.
Un système doit fonctionner même si les acteurs ne sont pas des gens exceptionnels. Nous essayons de déterminer s'il ne faut pas promouvoir quelques orientations nouvelles ou réviser les textes afin d'éviter toute crispation, définir des PPRI plus rapidement et surtout réaliser les investissements qui les accompagnent.
Vous avez parlé de crispation. Il faut la lever. Cela signifie qu'il faut indiquer des normes aux acteurs ; ceci devrait pouvoir se faire autour d'une conférence de consensus, en liaison avec les élus.
Il faut aussi revoir le process de construction du PPRI. Aujourd'hui, celui-ci ne met pas assez l'accent sur le partage des connaissances et va trop vite vers l'enquête publique. Je pense donc qu'il faut formaliser un process où les oppositions s'expriment et peuvent être travaillées avant l'arrêté.
Pour autant, il ne faut pas que cela dure des années. Il convient donc de trouver des processus de modification simplifiée et non de révision en cas d'évolution du paysage géomorphologique, artificiel ou non.
S'agissant de l'application des PPRI, je reste favorable à des PLU intercommunaux qui permettent d'élargir le cercle de famille en cas de problème. C'est le même sujet que celui des zones humides : il faut considérer un territoire plus large. C'est très compliqué à faire passer politiquement ; il n'a pas existé de majorité pour le voter.
S'agissant des digues, on doit aujourd'hui distinguer les crues lentes et les crues rapides. Dans ce dernier cas, la construction n'est pas plus autorisée qu'en l'absence de digue. Les digues sont là pour protéger l'existant.
Pour ce qui est des crues lentes, le sujet est différent. On peut imaginer des zones bleu foncé et bleu clair qui permettent beaucoup de choses. Vous prétendez qu'on ne peut plus rien faire : ce n'est pas tout à fait vrai. Il se construit beaucoup de choses nonobstant toutes ces règles ! L'important, lorsqu'on fait une règle, c'est qu'elle soit respectée ; pour cela, elle doit être partagée par 90 % des personnes. Imposer une règle à 90 % de la population est une mauvaise chose. Il faut l'imposer à 10 % seulement. Cela se travaille...
Je répète que nous avons intérêt à préserver de vastes espaces sans construction dans notre pays ; comme je le dis souvent aux maires, les PPRI sont un outil d'urbanisme dont je dispose pour cela.
On a évoqué les liens avec la police de l'eau. Nous avons reçu l'ONEMA et il remonte de nos déplacements sur le terrain un cri unanime : la police de l'eau nous empêche d'agir ! Dans la vallée de la Nartuby, en 2010, on sait que si la crue a pris cette allure dramatique, c'est du fait de deux lâchés d'eau dus à des embâcles, la Nartuby n'étant plus entretenue depuis longtemps.
C'est bien plus que le résultat qu'une crispation sur les objectifs de préservation du milieu au détriment de l'entretien des berges et du lit.
Je pense que nos rivières ne sont pas entretenues. Je n'ai cependant pas de solution...
Elles le sont moins bien qu'avant ! Les agriculteurs le faisaient autrefois...
En effet, on a sur nos grandes rivières un problème de curage lié à la pollution. Dans les bras du Rhône, si l'on cure, on relâche les polychlorobiphényles (PCB) contenus dans le Rhône, qui vont se répandre partout peu à peu. J'y suis extrêmement sensible puisque nous avons, avec M. Ledenvic, après enquête publique, autorisé un lâchage des barrages suisses sur le Rhône. Cette opération va se dérouler du 4 au 20 juin. Je suis sûr que le taux de PCB va augmenter mais il fallait bien le faire : nous étions en train d'inonder Genève ! Ce sujet des pollutions des sédiments dans le Rhône est assez lourd.
Pourquoi ne réalise-t-on pas des lâchers permanents ? Les règles de la concession fait qu'il faut payer à chaque fois la CNR pour compenser sa perte de recettes de production électrique ; or, je n'ai pas d'argent pour cela...
Transmettez-nous des éléments qui nous permettront de faire passer les choses.
S'agissant de l'ONEMA, celle-ci applique la loi -et nous aussi ! Malheureusement, les préfets n'ont pas de pouvoirs sur l'ONEMA.
Que penseriez-vous d'étendre l'autorité du préfet au niveau local sur l'ONEMA pour donner une cohérence à l'application de la politique de l'eau, dans la mesure où des agents de plusieurs entités sont amenés à intervenir ? Cette mesure ne permettrait-elle pas une meilleure conciliation des objectifs, notamment en termes de prévention et de sécurité ?
Cela nous permettrait de progresser. C'est indispensable.
Si j'ai bien compris, toutes les Alpes-Maritimes sont des zones à crues plutôt rapides.
La commune de Sommières, dans le Midi, est inondée régulièrement. Le maire nous a dit que le village s'était adapté à la crue en prenant un certain nombre de précautions. Ils savent ce qu'est une crue ! Il existe, en Allemagne, le long du Danube, des villes entières qui vivent avec la crue -même si ce sont des crues plutôt lentes.
Dans le centre urbain de Sommières, le rez-de-chaussée des habitations n'est pas occupé et n'héberge que des activités économiques...
A Sommières, la vieille ville est sur la rive gauche du Vidourle ; les constructions neuves occupent la rive droite ; à chaque inondation, cela a provoqué un débat national pour savoir pourquoi on a autorisé la construction, les propriétaires attaquant l'Etat, le préfet, les assurances, etc. En centre urbain ancien, il n'y a pas de problème...
Pourquoi ce qui est valable dans le centre ancien ne l'est pas dans les quartiers plus modernes ?
On considère que le centre urbain est le coeur de vie du territoire ; si des choses doivent évoluer, c'est à cet endroit. L'obstacle à l'écoulement des eaux existe déjà. Il s'agit d'une adaptation au réel. Si vous êtes en dehors du centre urbain, dans des zones peu ou moyennement artificialisées, le fait d'ajouter des éléments crée une artificialisation supplémentaire et un obstacle de plus au libre écoulement des eaux.
En Arles, tout le débat a porté sur la délimitation du centre urbain. La doctrine « Rhône » comporte une notion de centre urbain dans laquelle il existe une question de densité et de mixité des fonctions -habitations, locaux commerciaux. En revanche, ajouter un lotissement à côté d'un autre crée de l'artificialisation.
Cela démontre qu'il existe une interprétation en fonction des données du terrain qui, comme en Arles, sont sujettes à discussion.
La marge de discussion reste limitée : les quelques discussions que nous avons eues avec le maire d'Arles ont été très ponctuelles et ne concernaient que deux ou trois sujets. L'une d'elle portait sur la manière de traiter les hameaux de Camargue...
La saline de Giraud doit-elle être une zone d'expansion de lotissement ? Faut-il le faire au prix d'une limitation des capacités de production de sel ? C'est un vrai débat...
Le problème ne devrait pas être de savoir si c'est ancien ou récent mais si les aménagements prévus tiennent ou non la route.
Il y a toujours un problème de solidarité entre les territoires. Tout ce qui est fait à un endroit donné a une incidence sur l'aval. Il ne faut jamais l'oublier en termes de responsabilités. L'impact de l'urbanisation sur la ligne d'eau et sur le rehaussement n'est pas négligeable.
On peut fort bien imaginer, comme dans les zones agricoles, que les populations occupent le premier étage. Par contre, s'il existe un obstacle substantiel à l'écoulement des eaux, la responsabilité se porte sur les personnes en aval qui en subissent les conséquences. C'est une question de risque consenti et de risque subi, comme pour la cigarette. Il est compliqué d'expliquer aux habitants de l'aval qu'on autorise en amont un élément qui les touche sans qu'ils puissent y trouver à redire.