La commission auditionne M. Benoît Hamon, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche.
Mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd'hui pour procéder à l'audition de M. Benoît Hamon, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Ce sont les questions relatives à l'enseignement scolaire qui nous occuperont en préparation de la rentrée de septembre. Une audition de Mme Geneviève Fioraso, secrétaire d'État à l'enseignement supérieur et à la recherche est prévue le 9 juillet et nous pourrons évoquer ces deux questions à cette occasion.
Le 8 juillet 2013, le Parlement adoptait la loi d'orientation pour la refondation de l'école de la République. Près d'un an plus tard, nous pouvons commencer à mesurer le chemin parcouru : les choix budgétaires ont confirmé la priorité donnée au primaire, depuis trop longtemps parent pauvre du système éducatif ; la politique d'éducation prioritaire est relancée avec une révision de sa distribution géographique ; la préscolarisation des enfants de moins de trois ans, notamment dans les zones les plus fragiles, est reprise ; la formation des enseignants est reconstruite au sein des écoles supérieures du professorat et de l'éducation (ÉSPÉ) dont notre commission a suivi pas à pas la mise en place.
Vous nous en parlerez, monsieur le ministre, de même que de l'avancement du chantier des auxiliaires de vie scolaire (AVS) en vue de consolider leurs contrats de travail et de pérenniser l'accompagnement qu'ils dispensent, ce qui est attendu par beaucoup de familles d'élèves handicapés.
Je ne doute pas que mes collègues trouveront également matière à vous interroger sur la généralisation des nouveaux rythmes scolaires et sur la poursuite des travaux du Conseil supérieur des programmes.
Je vous cède la parole pour une courte intervention générale, avant de répondre aux questions des membres de la commission.
Permettez-moi de vous présenter tout d'abord ma perception de la situation de l'école aujourd'hui. Si beaucoup de défiance s'exprime à l'égard de l'institution scolaire, c'est que celle-ci ne parvient plus à assurer l'égalité des jeunes citoyens face à la réussite. Nous sommes en effet loin du mythe d'une école qui assurerait l'égalité républicaine ! L'institution scolaire ajoute désormais au déterminisme social une forme de déterminisme scolaire. Il nous faut redonner de la paix et de la sécurité à l'école pour qu'elle accomplisse sa mission fondamentale : assurer la réussite de chacun. Il nous faut une école apaisée pour une France apaisée.
Depuis deux ans, le Gouvernement a consacré les moyens nécessaires à la réussite de cette démarche. 60 000 postes ont été créés afin de pallier partiellement la suppression de 80 000 postes durant la présidence de M. Nicolas Sarkozy et d'assurer la réalisation des objectifs, notamment qualitatifs, de la refondation de l'école initiée dès le début du quinquennat. Près du tiers des nouveaux moyens a été consacré à la formation initiale des enseignants. Le ministère de l'éducation nationale est ainsi devenu, avec près de 22 000 professeurs stagiaires qui partagent leur temps entre la classe dont ils sont responsables et l'apprentissage des techniques pédagogiques et éducatives, le premier employeur par alternance en France. Le contenu de la formation des personnels enseignants et d'éducation a singulièrement évolué depuis ces dernières années et inclut également les relations avec les parents. Mais l'effet d'une telle évolution ne pourra être évalué que dans plusieurs années.
La formation continue des enseignants constitue également une priorité. Un effort est tout particulièrement consacré à l'utilisation des ressources numériques qui permettent, lorsqu'elles sont adossées à des pédagogies efficaces, de lutter contre les inégalités et d'améliorer l'apprentissage des élèves dyslexiques ou dyspraxiques. L'utilisation de ces technologies permet de réaliser l'ambition du Gouvernement que l'école réponde aux intérêts des élèves, à l'instar de la réforme des rythmes éducatifs et scolaires. À ce titre, les dernières décisions du tribunal administratif de Cergy-Pontoise, qui annulent les délibérations des conseils municipaux d'Asnières-sur-Seine et de Levallois-Perret de ne pas appliquer la réforme, rappellent que l'organisation du temps scolaire relève de l'État, tandis que celle du temps périscolaire incombe aux collectivités locales. D'ailleurs, pour la rentrée prochaine, un site Internet devrait permettre aux parents de connaître l'organisation des nouveaux temps scolaires dans près de 80 % des établissements publics. Une part croissante des établissements privés sous contrat s'engage dans la réforme et je salue le soutien qu'apportent les responsables de l'enseignement catholique.
Il est vrai que la réforme des rythmes scolaires a quelque peu cannibalisé, dans les médias, la perception de l'ambition éducative globale du Gouvernement, qui vise notamment à recentrer l'école primaire sur les apprentissages fondamentaux que sont la maîtrise du français et des mathématiques. Les récentes études, qui ont démontré que la lecture des enfants ne s'accompagnait pas de la compréhension de ce qu'ils lisaient, se révèlent inquiétantes et des moyens doivent être mobilisés pour corriger une telle situation.
En outre, les enquêtes du programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA) ont souligné que les enfants français demeuraient les champions d'Europe du poids de l'origine sociale dans leur évolution scolaire. Cette situation est d'autant plus paradoxale qu'elle est antinomique avec la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen pourtant affichée dans toutes les écoles de la République. Notre mission doit être d'assurer aux élèves les moyens de s'extraire de leur origine sociale modeste et de réussir. Les principes de la République sont remis en cause par l'inertie sociale du système éducatif. C'est pourquoi une grande réforme pédagogique est nécessaire. En ce sens, le Conseil supérieur des programmes élabore la définition du socle commun de connaissances, de connaissances et de culture, qui sera soumis aux enseignants. Ce travail sera aussi déterminant pour rénover la procédure d'orientation scolaire qui est aujourd'hui trop subie.
J'en viens à présent à l'évaluation qui fait l'objet d'une grande conférence nationale. L'étude PISA a indiqué que les enfants français répondent le moins aux questions posées par leurs enseignants par peur de la sanction infligée en cas d'erreur. Il ne s'agit pas de mettre fin à la notation, mais de l'utiliser à bon escient. L'exemple européen des niveaux d'évaluation en matière d'apprentissage des langues étrangères peut nous inspirer, en ce qu'il permet de mieux appréhender la progression dans l'acquisition des savoirs et la complexité des apprentissages que les critères de notation actuellement en vigueur. La mise en oeuvre de nouvelles méthodes d'évaluation, au service d'une école qui soit à la fois plus exigeante et bienveillante, pourrait du même coup profiter à nos élites que le mode de sélection actuel ne dote pas des outils nécessaires au travail collaboratif qu'il leur faut conduire de plus en plus !
S'agissant de la formation des enseignants, ceux-ci, lorsqu'ils se trouvent face à une classe, se retrouvent la plupart du temps démunis. C'est pourquoi le tronc commun de leur formation devrait être modifié par l'inclusion de nouvelles thématiques comme la laïcité ou encore l'égalité entre filles et garçons et ce, quel que soit le niveau des élèves auxquels ces enseignants s'adressent. Je respecte bien évidemment la liberté pédagogique des enseignants, mais il faut introduire de nouvelles normes et régulations afin que l'école parvienne à se libérer des déterminismes scolaires qui viennent conforter les déterminismes sociaux.
Les zones d'éducation prioritaires devraient, elles aussi, évoluer du fait de l'introduction d'un nouvel indicateur social à l'aune duquel 104 nouveaux réseaux d'éducation prioritaire devraient être identifiés. Cet indicateur repose sur quatre variables, à savoir le nombre d'élèves cumulant un retard en matière d'apprentissage, le nombre de boursiers, la proportion d'entre eux issus de milieux défavorisés et leur localisation dans des zones urbaines sensibles ou des zones rurales isolées. La mise en oeuvre de cette nouvelle carte de France de l'éducation prioritaire ne devrait pas, pour autant, s'avérer trop brutale puisqu'un dispositif d'accompagnement des territoires qui ne seront plus reconnus comme prioritaires dans cette nouvelle cartographie, alors qu'ils l'étaient précédemment, devrait être assuré pendant trois ans.
Cette reconfiguration des réseaux doit aller de pair avec une stabilisation des équipes pédagogiques qui doivent être renforcées par une meilleure rémunération et une formation adaptée. Les enseignants de l'éducation prioritaire devraient également bénéficier d'allègements, à hauteur de 54 heures par an, pour travailler en équipe sur différents progrès pédagogiques. Enfin, une meilleure articulation entre l'école primaire et le collège, dans ces réseaux, devrait être assurée. La loi de refondation de l'école a ouvert la possibilité de constituer des conseils école-collège.
L'ensemble de ces mesures constitue le fondement de la politique éducative du Gouvernement, c'est-à-dire le refus de l'inertie et de l'immobilisme. Notre objectif est de s'attaquer durablement aux blocages qui conduisent trop d'enfants de la République à considérer qu'ils sont voués à l'échec.
Merci, monsieur le ministre, pour votre exposé complet, qu'anime un réel volontarisme. Je passe la parole à mes collègues qui ne manqueront pas de vous interroger sur les nombreux points que vous avez soulevés au cours de votre intervention.
Je vous remercie, monsieur le ministre, de vos précisions sur la réforme des rythmes scolaires et sur la formation des enseignants qui me paraissent aller dans le bon sens. Je souhaite évoquer le métier d'enseignant qui est aujourd'hui malmené. Il est loin le temps où les professeurs étaient des notables ! Une telle évolution est sans doute la raison de la crise des vocations que nous constatons actuellement dans l'éducation nationale.
Par ailleurs, je reviendrai sur la question de la notation. Nous avions, avec notre collègue Jacques Legendre, auditionné un professeur de l'Université Paul-Sabatier de Toulouse qui déplorait la « constante macabre », signe de défiance envers les élèves. La conférence nationale de l'évaluation, que vous venez d'ouvrir, prendra-t-elle en considération de tels travaux ? Enfin, en tant que rapporteur pour l'enseignement agricole, j'attire votre attention, monsieur le ministre, en cette période d'arbitrage interministériel, sur la nécessité de soutenir le programme 143 de la loi de finances qui regroupe les crédits qui y sont consacrés.
Je vous remercie pour votre démonstration d'énergie, monsieur le ministre, et nous espérons que celle-ci transparaisse dans vos actes pour transformer un système inégalitaire et inepte. Mais selon quelles modalités ? La nouvelle conférence de l'évaluation que vous venez de constituer n'a-t-elle pas vocation à concurrencer le Conseil supérieur des programmes ? Une telle situation ne reflète-t-il pas un problème plus général affectant le fonctionnement de l'éducation nationale où s'enchevêtrent diverses structures qui travaillent de manière isolée sur des thématiques parfois redondantes. Comment comptez-vous diffuser une méthode de travail plus coopérative entre ces diverses instances ?
Pourriez-vous, monsieur le ministre, évoquer les perspectives de coopération entre votre ministère et le ministère des affaires étrangères, qui met en oeuvre un plan d'action défini en août 2013 et dont le renouvellement du pilotage de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE) est l'un des aspects ?
Monsieur le ministre, je salue votre enthousiasme et votre énergie. Nous avons, avec certains de mes collègues, pu suivre plus avant la mise en oeuvre de la réforme des rythmes scolaires dans le cadre d'une mission commune d'information qui vient d'achever ses travaux. Je reconnais ainsi que votre politique de changement du système éducatif a bel et bien été occultée par cette réforme, qui requiert du temps pour que son contenu soit approprié par les acteurs concernés. Mais, l'absence de concertation préalable me paraît une erreur de méthode qui obère le reste de la démarche du Gouvernement. Il eût mieux valu intégrer la réforme des rythmes scolaires dans la loi sur la refondation de l'école afin de remédier à l'incompréhension des élus locaux, notamment en milieu rural, qui connaissent de réelles difficultés, tant financières que logistiques.
Ne pourrait-on pas mettre en oeuvre une expérimentation approfondie dans certaines zones avant de généraliser ultérieurement cette réforme ? Pourrait-on profiter de cette expérimentation pour tirer un premier bilan des conséquences induites par le changement des rythmes scolaires sur les enfants ? En outre, je ne peux que me faire l'écho des élus qui souhaitent que soit pérennisé le fond d'accompagnement de la réforme.
Pourriez-vous enfin, monsieur le ministre, nous indiquer comment vous concevez la coopération entre votre ministère et celui de la culture, à l'occasion de l'insertion de la réalisation du plan d'éducation artistique et culturel dans la réforme des rythmes scolaires ?
Nous en sommes à la première étape de la réforme de la formation, qui a déjà enregistré d'importants résultats. Ainsi, l'augmentation de plus de 30 % du nombre d'étudiants dans les filières des masters « Métiers de l'enseignement, de l'éducation et de la formation » (MEEF), l'amélioration de la formation professionnalisante destinées aux professeurs, la recherche de meilleures conditions de travail et l'ouverture d'un plus grand nombre de postes que par le passé, ne peuvent que renforcer le soutien aux élèves.
Par ailleurs, la réforme des rythmes scolaires constitue une formidable opportunité pour les associations d'éducation populaire qui, comme dans ma communauté de communes forte de 9 000 habitants et de 900 élèves, réinvestissent l'école.
Cependant, comme notre collègue Mme Corinne Bouchoux, je reconnais que de nombreuses instances, qui sont acteurs des différentes réformes, ne communiquent pas assez entre elles. Par exemple, le foisonnement d'idées qui émane d'eux n'est pas toujours relayé vers le Conseil supérieur des programmes. Pourtant, la réforme des programmes ne doit pas se limiter à un échange entre experts ; il importe que les praticiens soient entendus. Enfin, monsieur le ministre, je salue votre enthousiasme.
Il est vrai qu'un grand nombre d'enseignants constate la précarisation de leur métier dans une école dont il faut changer la structure. Un tel sentiment, je vous l'accorde, n'est pas sans nourrir une certaine forme d'anxiété. Les instruments de formation continue et les référentiels des métiers, ont cependant évolué, comme jamais, depuis ces deux dernières années. La crise des vocations - même s'il faut demeurer prudent en la matière - semble s'être enrayée, comme en témoigne l'augmentation du nombre de candidats aux concours, de plus de vingt mille entre 2013 et 2014, y compris dans les disciplines considérées comme sensibles. L'attractivité de la carrière nous préoccupe toujours, mais la restauration de la formation dans les ÉSPÉ nous semble de nature à l'améliorer.
S'agissant de la notation, vous faisiez référence aux travaux du Professeur Antibi qui visent à faciliter la réussite des élèves en préconisant une nouvelle forme de notation. Il est certain que ses recherches seront prises en considération par le jury de la conférence nationale qui sera présidé par le Professeur Étienne Klein, dont la double culture philosophique et scientifique en fait la personne idoine pour assumer de telles fonctions. La composition de ce jury fera également l'objet d'un appel à candidatures et rassemblera trente personnes issues du monde de l'éducation et d'autres secteurs d'activités. Ce comité devrait remettre ses conclusions d'ici au 30 décembre prochain.
Cette réforme ne peut aboutir que si elle repose sur un consensus. Nous sommes responsables du changement d'une situation qui nous arrange par ailleurs, car nous faisons partie de ceux qui connaissent les codes de la réussite et les clefs de l'école, que nous pouvons transmettre à nos enfants. Ce n'est pas un mince défi que de convaincre les élites de modifier, elles-mêmes, le système dont elles sont issues. C'est pourquoi il nous faut nous concentrer sur les freins qui préviennent, ou retardent, cette évolution.
S'agissant du Conseil supérieur des programmes, dont je salue deux représentants dans cette salle, la démission de son président n'est nullement la conséquence de l'installation de la conférence nationale sur l'évaluation des élèves, qui a pour vocation de trouver de nouvelles perspectives sur cette question. La définition du socle commun devra, avant tout, être conduite par son successeur. Il est vrai que ma démarche profite de ma méconnaissance de certaines chasses gardées au sein du ministère ; j'ignore d'autant plus facilement les totems susceptibles de freiner le déroulement de la réforme. Mais si ma démarche ne suscite pas le consensus nécessaire, je prendrai mes responsabilités.
La coopération et la coordination des actions avec le ministère des affaires étrangères, dont l'AEFE assure la gestion du réseau, fort de 488 établissements qui rassemblent quelque 319 000 élèves, sont le gage de la promotion du français et du rayonnement culturel de notre pays en dehors de ses frontières. Nous devons cependant être particulièrement vigilants lorsque ces établissements, qui assurent la formation des enfants d'expatriés et des élites étrangères qui sont appelés à devenir les décideurs de demain, sont situés dans certains territoires en proie à l'instabilité politique.
S'agissant de la carte scolaire, une première expérimentation s'est déroulée dans le département du Cantal, en relation avec le rectorat, l'inspection académique, et les élus pour permettre de jeter les bases d'une méthode qui ne heurte pas les territoires. Car la fermeture d'une classe, voire d'une école, peut apparaître aux élus comme l'acte de décès de territoires déjà en proie à la désertification. Ceci implique un travail collectif de coopération sur trois ans au moins.
La réforme des rythmes constitue un plus et donne des opportunités nouvelles pour l'éducation artistique qui, à mes yeux, doit cependant conserver toute sa place dans le socle des programmes.
La conduite de la réforme des rythmes scolaires a fait l'objet d'une évaluation sur quatre mille communes dans huit séminaires inter-académiques. Une telle démarche a entraîné, notamment pour les femmes enseignantes, en raison de la suppression des congés du mercredi, des bouleversements sur la vie tant professionnelle que personnelle. Cependant, cette réforme a conduit à trois avancées significatives. D'abord, une matinée de plus c'est une chance de plus de réussir. Ensuite, les écoles, qui ont mis en oeuvre la réforme, ont pris de l'avance sur leur programme et ont permis d'aborder des matières parfois délaissées, ou d'insister sur les apprentissages fondamentaux avec certains élèves en difficulté. Enfin, les projets éducatifs conduits au niveau local ont bénéficié de la réforme, qui a permis d'améliorer les contenus des activités périscolaires au bénéfice des écoliers. Mais une telle démarche s'inscrit sur la durée et il est difficile, à l'échéance d'une seule année, d'en évaluer la portée !
La pérennisation du fond d'amorçage, destiné à aider les communes à l'application de cette réforme, devrait être assurée pour une année supplémentaire et je ne m'interdis pas de revoir son attribution par l'introduction de critère de ressources. Je suis ouvert à des propositions de modulation des sommes allouées par le fonds. Il fallait veiller que la mise en oeuvre de cette réforme des rythmes scolaires ne conduise pas à créer de nouvelles inégalités entre les communes. Elle ne doit pas non plus nourrir une certaine conception consumériste de l'établissement scolaire. C'est pourquoi, la réaffirmation du rôle de l'État, comme l'illustrent les deux décisions des juridictions administratives que j'ai évoquées, me paraît une bonne chose.
À la suite de votre propos, monsieur le ministre, je ne peux que me faire l'écho des conclusions de notre mission commune d'information qui avait déjà identifié certains bénéfices de l'application du nouveau temps scolaire. Une diminution très significative des accidents sur la pause méridienne a ainsi été constatée dans les villes difficiles qui accueillent des populations marginalisées, ainsi qu'une baisse globale de la violence. La réforme participe à l'amélioration du climat de vie scolaire. Nous avions aussi proposé que le fonds de soutien aux communes fonctionne de manière plus équitable qu'actuellement en tenant compte du potentiel fiscal ou de l'importance de l'effort éducatif des communes. Nous sommes animés par des préoccupations identiques !
Beaucoup de choses ont déjà été dites. Sans vouloir divulguer le contenu du projet de rapport de la mission commune qui n'a pas été adopté, certaines préconisations peuvent être émises, s'agissant notamment du choix de la journée pour les activités périscolaires, qui ne sauraient être cantonnées au vendredi après-midi. Une organisation en deux séances d'une heure trente est préférable à un fractionnement en quatre périodes de quarante-cinq minutes, bien plus difficiles à assurer pour des communes ne disposant pas des moyens suffisants. À cet égard, nous n'avions pas anticipé les effets dommageables de l'exemple de Lyon : contrairement à ce qui s'y pratique, le choix du vendredi après-midi doit induire la scolarisation le samedi matin ! En outre, il importe d'insister sur la gratuité de ces activités qui permettent à des écoliers, issus d'un milieu modeste, de découvrir d'autres horizons.
Enfin, je me ferai l'écho d'un article du journal La Croix qui présente le nouvel aménagement du temps scolaire comme favorisant l'essor d'activités patronnées par des associations religieuses. Prenons garde à ce que les bénéfices de cette réforme ne soient pas confisqués au détriment des enfants et au bénéfice des cultes ! Il faudrait que les rectorats préviennent un tel détournement avec force et vigueur ! Il va sans dire, à l'inverse, que la promotion de la laïcité dans la formation des élèves-professeurs stagiaires, comme vous l'avez évoquée, monsieur le ministre, suscite ma pleine et entière adhésion.
Je partage les craintes qui viennent d'être exprimées par ma collègue sur la récupération du temps non scolaire par d'autres institutions que l'école publique.
S'agissant des écoles supérieures du professorat et de l'éducation (ÉSPÉ), de la constitution de leurs équipes de formation ainsi que des conseils d'école, il est important d'ouvrir ces instances aux organisateurs des activités périscolaires pour éviter que leur approche des problèmes se limite à une dimension strictement universitaire. Les recteurs ne pourraient-ils pas siéger, à titre personnel, au sein de ces établissements ?
J'entends votre optimisme prudent sur l'enrayement de la crise des vocations. Mais le niveau académique des nouveaux recrutés est-il satisfaisant ? Comment s'assurer de la qualité des stages destinés aux nouveaux personnels alternants ? Ne faut-il pas également constituer des équipes d'enseignants autour de projets pédagogiques partagés ?
Par ailleurs, quelle peut être l'évolution du statut de directeur d'école, actuellement précaire puisqu'il s'agit d'un enseignant auquel est confiée une fonction supplémentaire sans pouvoir hiérarchique, afin d'asseoir son autorité sur ses collègues ?
Il nous paraît important de redéfinir l'évaluation au niveau du lycée en articulation avec la stratégie nationale de l'enseignement supérieur afin que les élèves du secondaire soient en mesure de mieux préparer leur orientation vers l'enseignement supérieur. La Conférence nationale sur l'évaluation, que vous venez d'installer, monsieur le ministre, ne pourrait-elle pas se saisir de cette question ?
Enfin, je me ferai l'écho de mon expérience en Guyane où j'ai pu mesurer le déficit de maîtres et de moyens éducatifs. Les technologies numériques ne pourraient-elles pas remédier à de telles situations, non seulement pour y prodiguer des cours à distance, mais aussi pour y élever le niveau de la formation au métier d'enseignant ?
Le numérique me paraît en effet un enjeu de civilisation, mais les enseignants sont très rarement formés à son utilisation, alors même que de nombreuses communes ont déjà fortement investi dans ce domaine. Pourquoi ne pas utiliser les MOOC (massive open online course) ou plutôt les cours en ligne ouverts à tous (CLOT) pour former les enseignants au numérique ? Par ailleurs, la relation entre les enseignants et les élus locaux est essentielle et la formation des professeurs devrait insister sur ce point.
Monsieur le ministre, votre souci de modifier les critères de la notation me touche particulièrement et corrobore mon expérience de professeur de lettres. Afin de faire en sorte qu'un élève ne se considère pas en échec dès le début de l'année scolaire, j'ai eu à coeur d'individualiser l'évaluation des travaux qui m'étaient rendus afin d'encourager et de suivre au mieux les progrès de mes élèves. Il me paraît en effet essentiel, pour enrayer la spirale de l'échec, de fixer des objectifs précis et individualisés qui concourent au progrès de chacun. Je vous apporte ainsi mon soutien plein et entier sur la réforme de la notation et je suis prêt à exposer ma propre expérience d'enseignant à l'occasion de ce débat.
Nous sommes plusieurs dans cette salle à partager l'expérience de la pédagogie et par conséquent de l'évaluation. Les interrogations sur cette dernière ne sont pas nouvelles et concernent jusqu'aux examens, comme le brevet des collèges ou le baccalauréat, dont la finalité doit aussi être interrogée. Notre réflexion sur le système éducatif ne peut occulter ce que d'autres instances, comme le Conseil de l'Europe, préconisent, notamment en matière de socle commun de connaissances. Cependant, il serait dommageable que l'élève soit incité à relâcher ses efforts si la réforme que vous appelez de vos voeux se réalisait. À cet égard, j'ai été choqué par la pétition signée par les candidats au baccalauréat dénonçant la difficulté de l'épreuve de mathématiques et mettant en cause, de facto, les jurys en charge de l'harmonisation des évaluations. Je crains que cette démarche ne constitue un fâcheux précédent. D'ailleurs, quelle conception avez-vous du baccalauréat, auquel j'avais consacré un rapport en 2008 ? En quoi constitue-t-il une étape d'évaluation des connaissances acquises à l'orée du supérieur au sein d'un continuum allant de la 2nde à la licence ? Comment envisagez-vous l'évolution des notations qu'il met en oeuvre ?
J'ai eu l'occasion de m'exprimer sur cette pétition visant une épreuve qui portait strictement sur le programme de terminale. Je ne changerai en rien les épreuves ou les programmes en fonction des réactions qui s'expriment sur les réseaux sociaux, alors même qu'existent des commissions d'harmonisation des corrections placées sous le pilotage de l'inspection générale. En dépit des grèves de la SNCF et de l'impact des réseaux, les épreuves du baccalauréat se sont déroulées dans de bonnes conditions.
En outre, contrairement à ce qui a pu être dit, il n'y a pas eu de fuites de sujets des épreuves de philosophie du baccalauréat général ou de français du baccalauréat professionnel. Mais nous avons dû consacrer près d'une journée à démentir la rumeur. Saluons, à cette occasion, la réactivité de l'État et de ses différents services. Dans une école apaisée, on ne peut travailler en fonction de l'immédiateté qui est la règle des réseaux sociaux et j'aimerais que la presse tienne plus compte de cette réalité.
S'agissant de la notation, il est vrai que le système actuel peut décourager certains élèves qui ont le sentiment de ne jamais faire aucun progrès. Les nouveaux modes d'évaluation constituent un complément à expérimenter Il importe donc que la progression dans l'acquisition des connaissances soit davantage encouragée. D'ailleurs, à la question de savoir si le brevet des collèges ou le baccalauréat doivent évoluer, la réponse réside dans l'évaluation du socle de connaissances tout au long de la scolarité. La bienveillance doit primer et le témoignage de M. Maurice Antiste corrobore l'expérience de nombreux enseignants qui militent en faveur d'un usage de la note à bon escient.
S'agissant de l'utilisation du numérique, la formation des enseignants devrait bénéficier également de la mise en oeuvre du plan e-éducation en cours d'élaboration avec le ministère de l'économie, car il importe d'assurer l'usage massif de cette technologie dans les classes. Si 97 % des enseignants souhaitent utiliser cette technologie dans leur enseignement, ils ne sont plus que 5 % à s'estimer en mesure de le faire ! Équiper les établissements et former les enseignements sont les deux faces d'une même priorité ; un appel à projets est en cours. Remarquons aussi que le numérique entraîne un changement du statut de l'erreur qui améliore la confiance des élèves.
Le choix effectué par la ville de Lyon en matière de rythmes scolaires a été validé par les conseils d'école conformément au décret du 5 mai 2014 autorisant des expérimentations. La possibilité de concentrer sur un après-midi les activités périscolaires s'adressait en priorité aux intercommunalités rurales qui éprouvent de grandes difficultés à mobiliser des intervenants de qualité. Il ne m'appartient pas de juger de l'utilisation des après-midi, mais je dois reconnaître que ce créneau horaire peut être une formidable opportunité pour les associations d'éducation populaire. Nous évaluerons les bienfaits de cette réforme à l'issue de sa première année de mise en oeuvre.
L'année en cours est par ailleurs décisive pour le fonctionnement des ÉSPÉ dont le lancement a pu connaître quelques difficultés désormais surmontées. Le comité de suivi présidé par le recteur de Grenoble Daniel Filâtre s'attache à examiner la gouvernance de ces établissements, ainsi que le contenu des maquettes de formation et les modalités de l'alternance des étudiants.
Le statut professionnel des directeurs d'école, qui se sont vus accorder une décharge d'un tiers de temps si leur établissement contient plus de neuf classes, doit également être examiné.
L'usage des CLOT doit en effet être proposé, non seulement aux enseignants mais aussi aux publics des universités, y compris étrangères, où sont formés des étudiants francophones.
Je terminerai mon propos en évoquant la situation des auxiliaires de vie scolaire, désormais dénommés « accompagnants des élèves en situation de handicap » (AESH). Nous avons porté un terme à leur précarisation grâce à une validation des acquis de l'expérience (VAE) et au passage à des contrats à durée indéterminée (CDI). Le travail accompli par ces personnels, auprès des quelque 239 000 élèves en situation de handicap, est essentiel et l'évolution de leur statut est, pour moi, une priorité.
La réunion est levée à 18 h 35.