Nous accueillons maintenant trois représentants de la Fédération pour la promotion de l'enseignement et de la formation agricoles publics (Aprefa) - ils interviendront par visioconférence en raison du contexte sanitaire - : M. Nicolas Bastié, président actuel de la Fédération et directeur de l'établissement public local d'enseignement et de formation professionnelle agricole (Eplefpa) de Toulouse-Auzeville, M. Patrick Delage, directeur de l'Eplefpa de Laval, et Mme Frédérique Elbé, ancienne présidente de la Fédération et directrice de l'Eplefpa d'Avize. Je les remercie d'avoir accepté de participer à nos travaux.
Je vous rappelle que cette réunion est captée et diffusée en direct sur le site internet du Sénat, et qu'elle pourra ensuite être consultée en vidéo à la demande.
L'enseignement agricole est une chance pour de nombreux jeunes et un outil essentiel pour l'avenir de nos filières agricoles et alimentaires. C'est un atout indispensable, d'une part, pour relever le défi du renouvellement des générations dans l'agriculture française et répondre aux défis de demain, et d'autre part, pour remplir l'une des missions principales de l'enseignement agricole : l'animation et le développement des territoires ruraux.
Au cours de nos travaux, nous souhaitons analyser comment l'enseignement agricole, technique et supérieur, devrait répondre aux besoins des filières agricoles et alimentaires en vue de la production, mais aussi de la transformation et de la commercialisation. Nous voulons évaluer la capacité de l'enseignement agricole à remplir cette mission, notamment au regard des contraintes qui pèsent sur lui, dont la plus forte est probablement de nature budgétaire. Notre rapporteure, Nathalie Delattre, avait tiré la sonnette d'alarme lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2021.
Au sein de l'enseignement agricole, l'enseignement public joue un rôle important, puisqu'il accueille 39,5 % des élèves, 60 % des étudiants et 70 % des apprentis.
Nous attendons également des éléments d'information sur le fonctionnement des 174 établissements publics locaux d'enseignement et de formation professionnelle agricole (Eplefpa). Ces structures regroupent plusieurs entités, telles que les lycées d'enseignement général, technologique et professionnel, les centres de formation d'apprentis (CFA), les centres de formation professionnelle et de promotion agricoles (CFPPA), des exploitations agricoles et des ateliers technologiques à vocation pédagogique, ainsi que, le cas échéant, des centres équestres.
Je suggère que vous nous présentiez votre vision des enjeux, à partir du questionnaire que vous avez reçu, durant dix à quinze minutes.
Merci pour votre invitation. Nous allons d'abord vous présenter l'enseignement public agricole, avant d'évoquer notre association, puis les établissements publics locaux d'enseignement et de formation professionnelle agricole. Enfin, nous exposerons les différents enjeux pour l'ensemble de la filière et pour le monde rural.
La situation n'est pas simple : notre territoire compte 164 établissements publics répartis dans l'ensemble des départements de métropole et d'outre-mer, dont le maillage répond à des impératifs de cohérence, 60 000 élèves, 20 000 étudiants, 30 000 apprentis et 11 millions d'heures-stagiaires. Ceux-ci sont formés au sein de 216 lycées, 94 centres de formation d'apprentis, 154 centres de formation agricole continue pour adultes, 11 établissements d'enseignement supérieur, 192 exploitations agricoles et 19 000 hectares cultivés, dont une forte proportion en agriculture biologique.
L'enseignement agricole public est spécifique en ce sens qu'il doit remplir cinq missions qui lui ont été confiées par le législateur.
La première mission est la formation générale, technologique et professionnelle, initiale et continue. Elle est dispensée dans des lycées, des CFA et des CFPPA, tandis que l'enseignement privé est plus présent dans les niveaux 4e et 3e, ainsi que pour la préparation aux bacs professionnels.
La deuxième mission est l'animation des différents territoires. Cette mission est symbolisée par la composition des conseils d'administration, présidés par des personnalités extérieures représentant souvent le conseil régional ou la chambre d'agriculture, ce qui donne un accès au monde professionnel et au conseil régional qui finance les locaux et les personnels. On y retrouve, entre autres, l'ensemble des collectivités territoriales - les régions, les départements et les communes -, la direction départementale des territoires (DDT), la direction académique des services de l'éducation nationale (Dasen), les centres d'information et d'orientation (CIO), la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte), la direction régionale de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (Draaf). Les conseils d'administration permettent ainsi de mettre autour de la table les professionnels, les collectivités et l'administration, pour évoquer la dynamique des territoires et la production.
La troisième mission est l'insertion, scolaire, sociale et professionnelle. Grâce à l'« ascenseur » de l'enseignement agricole, nombre de jeunes ont pu obtenir un BTS, intégrer une école d'ingénieur ou encore pour certains devenir enseignant ou inspecteur. L'insertion sociale est également très importante : elle passe par les bourses et un taux élevé de réussite aux examens. Enfin, l'insertion professionnelle est essentielle pour répondre aux besoins des territoires.
La quatrième mission, qui correspond à une spécificité forte de l'enseignement public agricole, est le développement de l'expérimentation et de l'innovation, notamment à travers les exploitations agricoles. On peut ainsi réunir des professionnels, des chercheurs de l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae), des enseignants du supérieur et des étudiants de l'enseignement technique autour de projets d'avenir pour l'exploitation agricole. Ces projets doivent aller dans le sens des orientations du ministère de l'agriculture, autour de l'agro-écologie et de la sortie du glyphosate, et répondre aux exigences de viabilité économique des exploitations. L'équilibre est parfois difficile à trouver entre les trois objectifs fixés - à savoir être exemplaires sur le plan environnemental, être des outils au service de la pédagogie et des territoires, et ne pas être « hors sol » - mais nous y parvenons presque toujours.
Enfin, la cinquième mission, qui n'est pas à nos yeux une mission annexe, est la coopération internationale. Proportionnellement, l'enseignement agricole envoie beaucoup de lycéens et d'étudiants à l'étranger, notamment grâce aux crédits du programme Erasmus+. Ce bon résultat tient à la culture de l'enseignement agricole et à la capacité à se fédérer et à monter des projets.
L'enseignement agricole accueille donc des publics variés et a un lien particulier au territoire. Jean-Michel Blanquer a souhaité la création de campus au sein de l'Éducation nationale. Son idée rejoignait, me semble-t-il, ce qu'est un établissement public d'enseignement agricole aujourd'hui : ils sont pratiquement tous dotés d'un internat en vue de la formation et de l'éducation des jeunes vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Ils favorisent l'éducation socio-culturelle, ce qui est une spécificité, au travers de face-à-face avec les élèves, de la découverte du monde associatif, de la mise en place de projets et d'animations en dehors du temps de classe. Ces enseignements confortent la grande maîtrise de l'expression orale des apprenants, qui se traduisent dans leurs parcours, notamment par leur implication dans la sphère élective. Pour appliquer la devise « Un esprit sain dans un corps sain », tous les établissements proposent de nombreuses activités sportives et développent la culture sportive. L'insertion professionnelle et sociale n'est pas en reste, puisque des classes préparatoires ont été créées à l'issue des BTS en vue de l'intégration dans des écoles d'ingénieurs agronomes ou des écoles vétérinaires, avec des résultats satisfaisants. Cette passerelle favorise la diversité des parcours. Les établissements agricoles publics présentent le mérite d'être à taille humaine et de compter en moyenne 300 élèves, une centaine d'apprentis et 80 000 heures-stagiaires. Les équipes ont à coeur de défendre et d'assurer le bon fonctionnement de leur établissement et elles peuvent s'enorgueillir d'un bon taux de réussite aux examens.
Nous avons la volonté d'aller de l'avant s'agissant de la production, de la transformation et de la commercialisation des produits agricoles - je reprends les termes de M. le président -, et ce afin de couvrir tous les champs de l'exploitation.
J'en viens à l'Aprefa, qui est une association. La moitié des établissements y sont adhérents, pour une cotisation variant de 200 à 400 euros en fonction de la taille de l'établissement. Les ressources de l'association sont donc limitées et ne permettent pas le déploiement d'une communication à l'échelle nationale, ni même régionale, ce qui est une faiblesse pour l'enseignement agricole public, alors que les autres composantes de l'enseignement agricole parviennent à dégager des moyens pour mener des opérations de communication spécifiques. Si le ministère de l'agriculture souhaite communiquer sur l'ensemble des familles de l'enseignement agricole, ce qui est légitime, la seule visibilité dont nous bénéficions résulte de notre présence au Salon de l'agriculture et lors de réunions auxquelles nous sommes convoqués. Nous souffrons par ailleurs d'une faiblesse d'organisation, due à la difficulté d'associer du bénévolat à des missions de direction d'établissement.
S'agissant des aspects budgétaires, le lycée ne représente en moyenne que 25 % du budget d'un Eplefpa. Sur les 250 personnes qui travaillent dans ma structure, à Toulouse, 150 sont financées sur budget. Nous devons tous les mois dégager 300 000 euros pour rémunérer ces personnels.
L'offre de formation initiale dans l'enseignement agricole public évolue peu. Les nouvelles formations s'adressent pour l'essentiel aux adultes et aux apprentis. Il s'agit de formations qui, depuis la réforme de la formation professionnelle, sont ouvertes à la concurrence. Nous avons ainsi un volet de notre d'activité qui s'insère dans un marché privé concurrentiel, tout en continuant à être soumis aux règles du secteur public. Nous n'avons ainsi pas pu prétendre au chômage partiel mis en place lors de la crise de la covid-19, contrairement aux autres composantes de l'enseignement agricole, ce qui nous a fortement pénalisés sur le plan financier. En tant que directeurs d'établissement, nous avons ainsi la double mission de faire vivre nos structures, mais aussi de préserver les emplois sur les territoires et de répondre à leurs besoins.
Nos collègues connaissent très bien l'enseignement agricole, sa structure, ainsi que les différents types d'établissements et de formations. En conséquence, je vous saurai gré d'axer plus particulièrement vos propos sur les difficultés que vous rencontrez, sur vos orientations, sur les adaptations ou les solutions que vous proposez face aux attentes de la société et du monde agricole.
Les problèmes financiers de l'enseignement agricole public, dont vous venez de nous faire part, ont été évoqués dans un rapport de l'Inspection de l'enseignement agricole de janvier 2020 intitulé « Missions des Eplefpa et nouvelles organisations territoriales. » Y étaient notamment soulignées vos inquiétudes relatives à l'avenir de vos centres, notamment du fait de la déprise démographique qui a des conséquences sur le recrutement des élèves. Puis est apparue la covid-19, avec le sentiment d'une accentuation de la concurrence avec le privé. Vous avez relevé que vous n'aviez pas été éligibles au chômage partiel. De leur côté, nombre d'établissements privés n'ont pas pu louer leurs internats durant la crise sanitaire. Et comment expliquez-vous que le coût unitaire de formation par élève (CUFE), entre le public et le privé, passe du simple au double ? Au risque de paraître quelque peu provocatrice, je pense que vos établissements ont été particulièrement surdotés dans le cadre de l'attribution de l'enveloppe d'aide d'urgence covid-19, en fonction du classement des établissements en très grande difficulté - P1, P2, P3. En effet, lors de l'examen du projet de loi de finances, ont été débloqués en urgence un peu plus de 10 millions d'euros, dont 3 millions pour le privé et 7 millions pour vous. Quel est votre sentiment sur l'écosystème financier qui vous entoure ?
Par ailleurs, vous faites état de la présence à vos conseils d'administration de tout le ban et l'arrière-ban des directions déconcentrées de l'État - Dasen, Direccte ou autres -, mais comment faites-vous remonter les besoins des filières agricoles pour vous y adapter ? Les Jeunes Agriculteurs nous ont fait part de leur souhait de mettre en place un tronc commun pour rendre plus lisibles les 163 diplômes existants. Y réfléchissez-vous de votre côté ?
S'agissant des difficultés financières, nous avions relevé que plusieurs questions posées à la directrice générale de l'enseignement et de la recherche concernaient l'enseignement agricole privé, d'où mon souhait de mettre l'accent sur les difficultés rencontrées par l'enseignement agricole public. Nos établissements ont connu exactement les mêmes difficultés financières que ceux du privé et n'ont pas pu louer leurs internats. La perte de loyers a représenté pour nous un grand manque à gagner. De plus, nous n'avons pas été éligibles au chômage partiel, ce qui a fortement pénalisé certains établissements de formation ou centres équestres, qui ont continué à supporter des charges sans pouvoir mener d'activités annexes. À cet égard, je tiens à remercier le ministère de l'agriculture, et plus particulièrement la direction générale de l'enseignement et de la recherche (DGER), de leur soutien qui a sans doute évité bien des plans sociaux en cette période de crise sanitaire.
Concernant votre question au sujet des CUFE, il faut tenir compte de la logique des territoires. On peut centraliser les lycées sur les métropoles, avec 35 élèves par classe. Les signaux budgétaires seront positifs, mais cela empêchera de maintenir des formations indispensables dans les territoires ruraux. Il faut accepter d'avoir des effectifs plus faibles dans certaines filières indispensables au développement des territoires ruraux.
Nos conseils d'administration sont souvent présidés par des élus de la chambre d'agriculture, qui sont également fortement représentés au sein de nos exploitations et de nos instances. Nous rencontrons plus de difficultés à assurer une représentation d'autres secteurs du monde professionnel, au-delà de l'agriculture : professionnels de l'équitation, etc. Quoi qu'il en soit, le lien avec les professionnels agricoles est fort et ceux-ci sont très présents au sein de nos établissements, notamment pour les formations à destination des adultes. L'intervention de nombreux vacataires est un gage de qualité. En outre, nous travaillons tous ensemble à l'élaboration d'une carte scolaire cohérente, notamment pour la formation en direction des adultes et l'apprentissage.
Vous évoquez le tronc commun proposé par les Jeunes Agriculteurs. Le tronc commun existe déjà pour de nombreux diplômes, comme le BTS, le bac professionnel ou le bac technologique. Les professionnels qui siègent dans les commissions travaillent à une harmonisation des diplômes et à des troncs communs depuis quelques années, même si les filières professionnelles requièrent des diplômes assez précis.
Il existe 163 diplômes, mais l'enseignement agricole ne concerne pas que les diplômes agricoles. Il délivre aussi des diplômes dans d'autres domaines d'activité : le service, le commerce, etc. Tous ne mènent pas forcément aux métiers de l'agriculture - qui sont eux-mêmes très variés, d'ailleurs. Sur le tronc commun, l'idée est d'arriver à un système qui se rapproche de ce qui existe en formation continue, avec le brevet professionnel Responsable d'exploitation agricole (BPREA). Déjà, pour le diplôme agricole-type qu'est le baccalauréat professionnel Conduite et gestion de l'entreprise agricole (CGEA), il existe un tronc commun important et des spécialisations.
S'agissant du CUFE, il faut comparer des systèmes comparables. Le nôtre peut paraître élevé, mais le système des maisons familiales n'est pas du tout le même. Les coûts de formation ne sont pas les mêmes. Dans un établissement agricole public, il y a un lycée, un CFA, un CFPPA, une exploitation, un atelier technologique ou même plusieurs, un centre équestre, etc. Ce n'est donc pas qu'un lycée. D'ailleurs, M. Bastié disait que 75 % de son budget était consacré à autre chose qu'à la partie lycéenne. Il en va de même à Laval : sur mes 8,5 millions d'euros de budget, 25 % vont au lycée, le reste allant aux autres centres. Pour ces derniers, il faut trouver un équilibre économique entre les produits et les recettes. Certes, nous sommes un établissement public, avec une mission de service public, qui est la formation initiale scolaire. Mais les autres centres évoluent sur un marché privé et ne peuvent bénéficier d'aucune des aides octroyées aux établissements privés ou aux exploitants agricoles, alors que les salariés de l'exploitation relèvent des conventions collectives.
Je n'ai pas dit que je trouve le CUFE trop élevé, je constate simplement qu'il va du simple au double entre le public et le privé. Le privé représente 60 % de l'enseignement agricole. C'est pourquoi il nous préoccupe aussi. Quelles sont vos difficultés financières propres, par rapport au privé ? Comment justifier que votre CUFE soit beaucoup plus élevé ? Il est vrai qu'il n'y a que 25 % de votre budget qui sont consacrés aux lycées...
Nous attendons beaucoup plus de cette audition. Vous faites état de la situation actuelle et des difficultés qui sont les vôtres. Mais l'objet de notre mission est d'aller au-delà et d'analyser les attentes sociétales actuelles. Pour l'instant, je reste sur ma faim. Quelles peuvent être les nouvelles orientations pour la formation ? Le fonctionnement actuel - mis à part les difficultés financières que vous avez mentionnées - vous convient-il ? Estimez-vous qu'il y a d'autres pistes, d'autres orientations à prendre pour l'enseignement agricole afin de mieux répondre aux évolutions sociétales, ou bien vous contentez-vous de fonctionner, avec votre budget actuel, les aides de la région et quelques financements complémentaires ? Quelles évolutions pouvez-vous envisager ?
Nous avons connu de grands chamboulements depuis un an ou deux. Il y a quelque temps, un établissement d'enseignement agricole vivait de subventions de l'État et de la région. Nous avons changé de paradigme avec la réforme de l'apprentissage, puisque ce sont désormais les opérateurs de compétences (Opco) qui nous financent. La visibilité qu'on avait autrefois procurait une certaine quiétude. Désormais, nous évoluons dans un contexte de concurrence en matière d'apprentissage et de formation professionnelle pour les adultes et nous devons faire valoir notre appareil de formation. Avec la crise sanitaire, nous sommes par exemple fortement sollicités dans le cadre de projets liés à la reconversion professionnelle.
Que faire évoluer ? La capacité de travailler en réseau et de fédérer les établissements pour gagner en cohérence et en complémentarité. Dans certains secteurs comme l'agroalimentaire ou l'agroéquipement, il y a des besoins énormes et, malgré tous les efforts que nous déployons avec les professionnels, nous avons du mal à recruter des apprenants alors qu'il y a des débouchés à la sortie de la formation. Nous devons mieux communiquer et travailler ensemble pour mieux faire connaître ces métiers qui offrent des postes bien rémunérés permettant d'entrer dans le salariat. Le métier d'agriculteur est difficile et rémunère parfois mal le travail accompli, d'où l'importance de travailler sur la valeur à l'échelle d'un territoire, de l'amont à l'aval, au travers de la production, de la transformation au niveau local et de la vente en circuit court. Le travail en réseau sur des projets et sur la communication doit progresser. Il existe une méconnaissance du monde et des pratiques agricoles qui ont fortement évolué, tout comme l'enseignement agricole. Nous devons recréer le lien entre le consommateur urbain et le monde rural : c'est aussi notre rôle que de réconcilier ces deux France. La crise sanitaire a souligné l'importance de la production locale.
Pourquoi ne pas parler du regroupement des différents établissements publics de Bretagne au sein d'un groupement d'intérêt public (GIP) pour illustrer vos propos ?
Il y en a un aussi dans les Pays de la Loire. En Bretagne, les établissements publics se sont regroupés en GIP. Dans les Pays de la Loire, ils n'ont pas fait ce choix, mais cela n'empêche pas le travail en réseau ! Nous menons des actions de communication et de lobbying de façon concertée. C'est la chambre d'agriculture qui nous a sollicités pour créer un GIP, autour d'une problématique de formation continue, dans le cadre des réponses à l'appel d'offres de la région. L'idée était d'être cohérent sur l'ensemble du territoire ligérien dans la réponse à l'appel d'offres et d'éviter qu'une concurrence effrénée ne se mette en place dans les départements. Le GIP a désormais démontré son utilité mais reste un outil fragile : il ne faut pas qu'un des opérateurs prenne le pouvoir à son avantage. On peut très bien travailler collectivement sans utiliser cette formule. Dans l'enseignement agricole public, les réseaux sont fréquents car nous avons mis en place des chartes de fonctionnement. La difficulté survient lorsqu'il y a des enjeux financiers : il faut trouver des solutions pour que l'argent circule, en respectant les règles de la comptabilité publique. C'est souvent ce qui conduit à créer une superstructure.
Si nous menons cette mission, c'est que nous avons constaté, sur le terrain, qu'il y avait des problèmes. Pour l'instant, les personnes auditionnées ont du mal à nous parler librement. Qu'attendez-vous de notre mission ? Si la captation vidéo vous pose des difficultés, vous pouvez nous faire remonter vos problématiques par écrit. Nous ne faisons pas une mission pour dire que tout va bien...
Si l'on vous donnait le choix, partiriez-vous dans le privé ? Vous avez évoqué les Opco, avez-vous l'impression que les fonds mis à votre disposition ont été réduits depuis la nouvelle loi sur la formation professionnelle ? Vous évoquez les difficultés à recruter des stagiaires mais j'ai compris qu'il n'y avait pas de problème de débouchés. Quel est le taux de réussite aux examens ? Le renouvellement des générations, notamment chez les chefs d'exploitation, se fait-il sans difficulté ? Arrivez-vous à récupérer les jeunes décrocheurs ? Travaillez-vous aussi sur le savoir-être ? Les investissements que vous devez faire sont souvent lourds. Comment les financez-vous ? En tant que rapporteure sur la santé et la sécurité au travail, je pense que cette thématique doit être intégrée dans les formations et suis convaincue qu'il faut commencer très tôt à apprendre aux jeunes à travailler correctement, pour leur santé et leur sécurité.
Vous êtes tenus d'apprendre aux futurs exploitants agricoles à se passer du glyphosate, puisque telle est la politique du ministère de l'agriculture. Pensez-vous que cela en fera des agriculteurs sachant faire la part des choses entre l'agriculture qui fonctionne et celle qui ne fonctionne pas ? Dans votre enseignement, apprenez-vous aux élèves la gestion, le calcul de la rentabilité ? Les échanges que j'ai avec le CER (centre de gestion et d'expertise comptable) me laissent penser que les jeunes agriculteurs qui s'installent ont parfois du mal avec ces notions, notamment quand ils ne sont pas issus du monde agricole. Je souhaite aborder enfin la commercialisation. Je suis toujours sidéré que l'on prenne la marchandise chez les agriculteurs sans que ceux-ci connaissent réellement le cours ni qu'ils aient la maîtrise de la facturation : ce n'est pas l'agriculteur qui facture, c'est la personne qui vient chercher les produits ! Dans l'enseignement agricole, développez-vous des orientations pour donner aux jeunes agriculteurs la maîtrise de la commercialisation et de la gestion ?
Vos établissements sont-ils dans une culture d'auto-évaluation ? Vos élèves remplissent-ils des questionnaires de satisfaction ? Cela vous aiderait à savoir si vous leur apportez l'enseignement qu'ils espéraient et, sinon, quels autres sujets ils trouveraient pertinents de traiter pour être bien armés dans la vie. Quelle est la vision des enseignants ? Vous avez évoqué la difficulté de mettre en adéquation l'offre et la demande. Pourquoi un tel blocage ? Est-ce parce que l'enseignement agricole a du mal à trouver une certaine dynamique et à développer son attractivité ? Il faut se poser la question. Enfin, ces écoles sont implantées sur un territoire. Les collectivités territoriales sollicitent parfois les établissements d'enseignement pour pouvoir ensuite recruter le personnel dont elles ont besoin. Êtes-vous ouverts à l'idée de faire bouger les lignes pour avancer avec les collectivités ?
Qu'attendons-nous de cette mission ? Que vous preniez meilleure conscience de ce qu'est l'enseignement agricole public, qui ne se résume pas aux lycées. Nous essayons d'en montrer les spécificités et de mettre en avant ses réussites et les voies d'amélioration. Voudrions-nous travailler dans le privé ? Non ! Ceux qui viennent dans l'enseignement agricole public, professeurs comme élèves, le font par passion. La formation est un petit monde et l'enseignement agricole offre une forme de relation pédagogique et de lien avec les élèves qui n'existe pas ailleurs. On ne s'y retrouve pas par hasard !
Nos établissements forment moins de 20 % de futurs agriculteurs. Le renouvellement des chefs d'exploitation est important, mais il est difficile de s'installer dans certaines filières quand on n'est pas fils d'agriculteurs : les investissements sont lourds - un tracteur coûte 600 000 euros ! - et l'accès au foncier est parfois difficile : à 10 000 euros l'hectare, une surface de 200 hectares coûte 2 millions d'euros. Nous travaillons avec des Cuma (coopératives d'utilisation de matériel agricole) et nous essayons de faire la promotion d'autres modèles, par exemple en permettant à un porteur de projet de le tester avant de le mettre en oeuvre. On voit émerger des projets de maraîchage exigeant moins de mécanisation, moins de surface, et donc plus accessibles. Le salariat se développe beaucoup. Enfin, les métiers para-agricoles sont nombreux mais méconnus, alors qu'ils offrent des perspectives.
La santé et la sécurité au travail sont une thématique importante qui est intégrée à nos programmes de formation. Nous y sensibilisons nos élèves avec le soutien de la Mutualité sociale agricole. L'enseignement agricole dispose d'une culture de la sécurité et de la prévention car l'activité agricole peut être dangereuse et entraîner des accidents. Quant à la comptabilité et à la gestion, leur maîtrise est nécessaire pour obtenir un bac professionnel agricole ou un BPREA, car elle est indispensable lors de l'installation. L'auto-évaluation se développe, avec le changement de culture qui se fait à travers l'apprentissage, même si la démarche peut encore être mieux formalisée. Les processus d'amélioration continue se multiplient. Au niveau pédagogique, nos élèves, qui sont très attachés à leur établissement, sont nos meilleurs ambassadeurs. Nous avons tous regretté de ne pas pouvoir organiser de journées portes ouvertes !
Quelle est l'évolution de vos effectifs ? Quelles sont les formations les plus prisées et celles les moins demandées ? Faire évoluer les formations et renforcer la communication est sans doute pertinent, mais que proposez-vous de nouveau en matière de formations ?
Vous évoquez la nécessité de travailler en réseau, de communiquer, d'être en phase avec les sujets porteurs du moment, comme l'alimentation durable et locale. Êtes-vous des acteurs des projets alimentaires territoriaux (PAT) ? Avec France Relance, 65 nouveaux PAT sont mis en oeuvre. Il serait souhaitable que vous vous retrouviez autour de la table avec tous les acteurs pour évoquer ces questions et leur lien avec l'enseignement agricole. Du point de vue des logiques de territoire, cela me paraît être un sujet important.
Quels sont vos rapports avec l'Éducation nationale ? Vous parlez de réseaux, de fluidité, de communication... De quoi s'agit-il concrètement ? Êtes-vous privilégiés, en termes de fluidité des échanges, par rapport à l'enseignement agricole privé ? Les passerelles entre privé et public fonctionnent-elles pour les élèves, mais aussi pour le personnel et les enseignants ? Certaines régions ont déjà montré leur engagement en faveur de l'apprentissage. Avec la réforme de l'apprentissage, cet engagement s'est-il confirmé ? D'autres ont-elles accru leur soutien ?
Je souhaite vous interroger sur l'enseignement des nouvelles technologies et la digitalisation. Les exploitations, désormais, sont agricoles mais aussi numériques. Quels sont les enseignements dispensés dans vos formations pour préparer les futurs exploitants aux défis du numérique ? La covid-19 n'a fait qu'accroître la digitalisation des marchés. Vos enseignements sur ce point sont-ils adaptés et évolutifs ? Cela concerne tous les métiers, y compris ceux de l'agriculture...
Les effectifs dans l'enseignement agricole public se maintiennent. Après des baisses dans les années passées, ils ont augmenté à la rentrée 2019 et la rentrée 2020. Au-delà des chiffres globaux, il faut regarder formation par formation. On remplit relativement bien les formations agricoles, c'est-à-dire celles qui destinent à un travail dans l'agriculture, comme les BTS en production animale, en analyse et conduite de stratégie d'exploitation, en production végétale, etc.
Nous avons davantage de difficultés à recruter en formation générale. Ces formations générales et technologiques sont l'une des particularités de l'enseignement agricole public. À Laval, par exemple, nous avons trois secondes générales, c'est-à-dire 96 places en seconde générale et technologique, contre 32 places en seconde professionnelle. L'enjeu est donc plus sur la formation générale et technologique que sur la formation agricole. Sans parler de concurrence avec l'Éducation nationale, même si cela s'y apparente, il y a un problème de méconnaissance de l'enseignement agricole par les professeurs principaux de collège, qui ne nous attendent pas sur la formation générale et technologique, pour laquelle nous occupons le même créneau que l'Éducation nationale. La communication des établissements agricoles publics montre bien qu'ils ont presque tous changé de nom pour essayer d'enlever la connotation agricole. Clairement, j'attends de cette mission une communication plus forte sur les formations générales et technologiques, pour y attirer des jeunes qui ne sont pas issus du milieu agricole. C'est là que se situe l'enjeu du renouvellement des générations. Nous mettons tout en oeuvre des stratégies de communication qui demandent du temps et des moyens, pour essayer de nous faire connaître sur un champ qui est plutôt celui de l'Éducation nationale, c'est-à-dire les formations générales et technologiques.
Ainsi, les formations générales et technologiques sont les moins prisées, par pure méconnaissance : le baccalauréat technologique est une excellente formation, qui ne ferme aucune porte, mais que les jeunes ne la connaissent pas. Pourtant, elle leur servira toute leur vie puisqu'elle ne parle que de choses qui nous entourent : la nature, le vivant, comment on élève des animaux, etc.
Sommes-nous impliqués dans les PAT ? Oui. Une enquête menée par la DGER cartographie notre engagement en la matière. C'est dans notre nature de participer à de tels projets, à partir du moment où il y a les mots « territoire » et « alimentaire »... L'établissement que je dirige a ainsi élaboré un projet alimentaire d'établissement, avec l'objectif de l'étendre à l'ensemble du territoire lavallois.
Vous nous interrogez sur la fluidité des échanges avec l'Éducation nationale. Bien sûr, les établissements publics communiquent mieux ensemble qu'avec les établissements privés - surtout quand il y a des difficultés de recrutement. Entre l'enseignement agricole public et l'enseignement agricole privé, les collaborations existent. Ainsi, pour répondre aux appels d'offres de la région sur les formations continues, nous constituons souvent des groupements communs entre enseignement agricole public, enseignement agricole privé et maisons familiales rurales.
Notre rapporteure étant appelée par ses obligations de vice-présidente du Sénat, je vous informe que notre mission d'information se rendra en Gironde le 2 avril prochain, où elle visitera notamment l'Eplefpa de Bordeaux-Gironde à Blanquefort.
Il y a plus de fluidité entre l'enseignement agricole public et l'Éducation nationale, ce qui est naturel entre établissements publics sur un même territoire. Cela ne signifie pas que c'est toujours facile ! J'ai la chance d'être sur un bassin où nous sommes bien intégrés et bien identifiés par le Dasen. Ce n'est pas le cas dans toutes les régions. Les passerelles entre le public et le privé, pour les élèves, fonctionnent très bien. Il y a deux ans, la majorité des élèves que l'on recrutait en seconde générale venaient de collèges privés.
Sommes-nous moins bien lotis depuis la réforme de l'apprentissage ? D'un côté, la prise en charge est meilleure qu'avant : nous avons davantage de rentrées d'argent aujourd'hui, je le constate dans mon centre. D'un autre côté, la relation administrative entre les Opco et les établissements est très chronophage et demande une bonne organisation pour régler les problèmes de trésorerie, car l'argent n'est pas versé en temps et en heure. Mon centre compte 330 apprentis et je n'ai pas de problème de financement pour le moment.
S'agissant de l'investissement, au-delà des subventions que nous pouvons recevoir du conseil régional pour le fonctionnement de la partie lycée, la taxe d'apprentissage demeure : même si, avec la réforme, celle-ci est versée directement aux Opco, il reste encore une quote-part de 13 % que les entreprises peuvent verser aux lycées. Celles-ci peuvent aussi faire des dons en nature aux CFA. Pour autant, il est indispensable, pour faire fonctionner nos établissements, de rechercher des subventions auprès de partenaires extérieurs. C'est un gros travail, réalisé à la fois par les équipes et par le chef d'établissement, que ce soit pour des projets de déplacement à l'international ou des projets pédagogiques. Souvent, ce sont les partenaires professionnels qui nous aident.
Nous avons dans nos cursus des stages d'éducation à la santé, mais aussi des partenariats avec des professionnels de la santé, et nous menons des projets en interne avec la vie scolaire. La place des conseillers principaux d'éducation est très importante dans nos établissements puisqu'ils sont le lien entre les élèves, les enseignants et la direction. Nous faisons parfois venir des psychologues ou des sophrologues pour travailler sur ces thématiques et accompagner les jeunes. De tels projets peuvent être menés avec des subventions du conseil régional lorsqu'il les finance ou en faisant appel à des sources de financement extérieures.
Irions-nous travailler dans un établissement privé si nous en avions l'occasion ? Pourquoi pas, mais je me sens très bien dans mes fonctions actuelles de directrice d'Eplefpa, qui mêlent l'approche du lycée, celle du CFA, celle du CFPPA et les exploitations et ateliers technologiques. Il y a aussi une grande mixité des apprenants et des personnels qui contribue à la richesse de ces établissements. Enfin, pour les personnels, il n'y a pas de passerelle car les concours sont distincts.
Merci. Les syndicats agricoles, et en particulier les jeunes agriculteurs, regrettaient que le bac pro ne se prépare plus en quatre ans, mais en trois. Qu'en dites-vous ?
Cela a été vécu à la fois bien et moins bien... D'un côté, cela a donné de la visibilité au bac pro, qui est devenu un bac comme les autres. De l'autre, notre public a parfois plus de mal à digérer l'information en trois ans seulement. C'est selon moi un débat qui appartient au passé, nous avons appris à faire avec cette nouvelle formule.
Cela ne pose pas spécialement de problème.
Je vous remercie.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 15 heures.