La commission entend la communication de M. Gilbert Barbier sur le rapport « Perturbateurs endocriniens, le temps de la précaution » établi au nom de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst).
A la suite du vote de la loi interdisant l'usage du bisphénol A dans les biberons, issue d'une proposition de mon groupe, le RDSE, l'office avait été chargé, sur demande de notre commission, de mener une étude sur les perturbateurs endocriniens, dont j'ai assuré seul la conduite, Jean-Claude Etienne ayant été appelé sous d'autres cieux.
Ce domaine, qui touche à des questions très sensibles de santé publique et environnementale, est, depuis deux ou trois décennies, en pleine évolution. Le système endocrinien qui inclut de multiples organes, depuis l'hypophyse jusqu'aux organes de la reproduction, en passant par la thyroïde, est fort complexe. Les hormones, substances chimiques sécrétées par ces glandes, contrôlent la croissance, le métabolisme, le développement, y compris sexuel, et la reproduction. Leur rôle est de mieux en mieux connu du fait des capacités de dosage de plus en plus précises.
On sait aujourd'hui que certaines molécules synthétiques libérées dans l'environnement - au nombre de 100 000, auxquelles 900 nouvelles viennent s'ajouter chaque année - perturbent le fonctionnement du système endocrinien, le problème se compliquant encore de leur interaction. Elles sont dégagées par des produits pharmaceutiques, dentaires, vétérinaires, de combustion, des produits à usage industriel ou domestique, des produits phytosanitaires, des phyto-oestrogènes, des mycotoxines... La plus emblématique d'entre elles, le Bisphénol A, entre dans la fabrication de multiples plastiques de type polycarbonates mais aussi des résines époxy. On en retrouve la trace dans les bouteilles en plastique, les canettes et boîtes de conserve, les emballages alimentaires. Elle entre également dans la composition des CD, des DVD, de composants électroménagers et automobiles, comme les pare-chocs, mais aussi dans les téléphones portables, les lunettes, les lentilles de contact, et même les tickets de caisse à encre thermique. Quant aux résines époxy, elles sont utilisées dans les systèmes de stockage et de transport de l'eau et dans certains ciments dentaires. Les dérivés halogénés du bisphénol A, se retrouvant également dans les retardateurs de flamme, peuvent contaminer l'atmosphère de certains logements. La molécule a cependant son utilité, comme antioxydant, stabilisateur, protecteur mécanique anti corrosion, si bien qu'il convient d'établir, pour chaque type de produit, une balance bénéfices-risques.
Certains autres constituants des plastiques comme les phtalates ou des produits cosmétiques et médicamentaux comme les parabènes posent également des problèmes, en raison de leur effet potentiellement reprotoxique. A ces substances de synthèse s'ajoutent des substances naturelles, présentes par exemple dans le soja. Autant d'éléments qui causent des interférences dans le jeu hormonal.
Sur le rôle des perturbateurs endocriniens, les observations sont déjà anciennes. C'est ainsi que l'on connaît de longue date les effets néfastes du DDT. Dans son livre Silent Spring, Rachel Carson s'étonnait déjà de la disparition de l'aigle, symbole de l'Amérique. Des études ont été menées sur les malformations génitales des alligators de Floride, la diminution de l'épaisseur des coquilles d'oeufs de faucons. Au Canada, l'expérience de pollution volontaire d'un lac de l'Ontario a permis d'observer la disparition d'une race de cyprinidés. Bien d'autres observations ont été conduites sur le milieu aquatique, y compris en France où une étude de 2009-2010 concluait à la contamination en oestrogènes de l'estuaire de la Seine et ses conséquence sur les mâles d'une espèce de poisson, le flèt. Complétées par de nombreux travaux de laboratoires diligentés par des programmes de recherche, tous ces travaux permettent de conclure au rôle majeur des perturbateurs endocriniens dans l'environnement.
Face à quoi il convient, cependant, d'agir avec toute l'objectivité scientifique requise, ainsi que le souligne l'audit collectif récemment publié par l'Académie de médecine, qui relève l'écart entre les conclusions des agences sanitaires et les annonces alarmistes de certaines organisations non gouvernementales (ONG). Sans nier la nécessité d'alerter, gardons-nous de prendre des décisions précipitées, sous la pression de l'opinion, avant de disposer d'une évaluation scientifique menée auprès de tous les acteurs concernés.
J'ai, pour ma part, essayé, dans ce rapport, de respecter le principe d'objectivité. Il m'était impossible d'aborder tous les problèmes soulevés par les perturbateurs endocriniens, sachant que cet important sujet de santé publique doit suivre au plus près les avancées de la science, de l'industrie et des données expérimentales. C'est ainsi que l'agence nationale de sécurité sanitaire, l'Anses, a rendu, le 27 septembre dernier, une étude faisant le point sur les différentes substances et les réglementations existantes, principalement celles relatives au bisphénol A. L'institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) avait publié en mars dernier une étude sur les effets reprotoxiques des perturbateurs endocriniens, suivie en novembre par le rapport de l'Académie de médecine sur leur rôle cancérigène.
Deux grands domaines occupent la recherche expérimentale. Le premier, largement exploré par les laboratoires, concerne les incidences de ces produits sur le développement sexuel, les malformations génito-urinaires induites, la croissance et la fertilité. Le second tend à mesurer leur incidence sur l'augmentation des cancers hormono-dépendants - cancer du sein, de la prostate, de la thyroïde, du testicule.
Ces études ont provoqué une révolution dans la recherche toxicologique. De fait, elles mettent en cause les fondements établis au XVIe siècle par Paracelse. « Toute chose est poison et rien n'est poison, seule la dose fait le poison » : ce précepte, qui fonde aujourd'hui toute la réglementation de protection en définissant des doses d'exposition maximales, ne saurait s'appliquer, de fait, aux perturbateurs endocriniens, pour lesquels la réponse n'est pas toujours linéaire, puisque leur effet peut être fort à faible dose, faible à forte dose, et qu'ils peuvent même agir comme la clé dans la serrure, leur seule présence, fût-elle infinitésimale, pouvant déclencher les perturbations. Sans compter les effets synergiques et de potentialisation qui résultent de leur mélange, fréquent. S'ajoute enfin le fait que les organismes peuvent leur être plus sensibles en certains temps de la vie, comme durant la période intra-utérine, si bien que ce n'est plus la dose qui fait le poison, mais le moment. On observe des effets transgénérationnels, comme on l'a vu avec le Distilbène, prescrit à des femmes enceintes dans les années 70, responsable de malformations génito-urinaires graves sur les enfants, malformations que l'on retrouve à présent à la deuxième génération. On peut encore déplorer d'autres utilisations malheureuses de certains produits, comme celle du chlordécone dans les bananeraies antillaises, objet d'un rapport de Catherine Proccacia, et qui serait à l'origine d'un taux de cancer de la prostate élevé dans la population, ou celle de la thalidomide qui, prescrite aux femmes enceintes, dans les années 50 et 60 comme antinauséeux, est responsable de malformations graves chez les enfants - on reparle pourtant de la thalidomide qui pourrait être utilisée dans les traitements de la maladie d'Alzheimer. Beaucoup de ces molécules sont aujourd'hui retirées du marché, et ne sont plus utilisées par l'agriculture et la pharmacie. L'Union européenne a d'ailleurs adopté une législation restrictive, qui s'applique aujourd'hui aux nouvelles molécules. Le programme Reach (registration, evaluation and autorisation of chemicals), en vigueur depuis le 1er juin 2007, contraint ainsi les entreprises produisant ou important plus d'une tonne de produits chimiques par an à s'enregistrer et à référencer les produits en démontrant leur innocuité. Les substances cancérigènes, mutagènes ou reprotoxiques, en particulier celles qui sont persistantes, sujettes à bioaccumulation ou qui comprennent des perturbateurs endocriniens, et sur la nocivité desquelles on dispose d'éléments scientifiques, font l'objet d'un système particulier.
Une question de fond reste cependant posée, qui doit interpeller les chercheurs et la puissance publique : dans quelle mesure une expérimentation in vitro sur l'animal est-elle transposable à l'homme sans étude épidémiologique encadrée et précise, comme cela se passe pour une majorité de produits ? De telles études requièrent une observation de plusieurs années sur une cohorte homogène de générations. Comment, de même, s'assurer du caractère incontestable des résultats, sachant que bien des troubles et bien des maladies ont des origines plurifactorielles et que l'individu est exposé à une multitude de produits, inégalement répertoriés, susceptibles de provoquer des perturbations endocriniennes ?
C'est pourquoi je me réjouis que la France ait engagé, depuis trois ans, le programme de recherche Elfe, étude longitudinale française depuis l'enfance, qui, entamé en 2007 auprès de cinq cents familles pilotes, vise à suivre 20 000 enfants de la naissance à l'âge adulte. Ce programme mobilise plus de soixante équipes de recherche, soit quatre cents chercheurs, autour de plus de quatre-vingt-dix sujets. Il fait partie des priorités du Gouvernement et a bénéficié, via le grand emprunt et les investissements d'avenir, d'un financement spécifique.
Dans la préface au rapport de l'Inserm, on lit que si « la compréhension fine des mécanismes mis en jeu chez l'homme représente un travail considérable, qui ne pourra pas aboutir prochainement », cela n'empêche pas d'envisager des pistes d'action, en appliquant le principe de précaution « à partir du moment où la suspicion fondée sur des données scientifiques impose d'agir pour supprimer ou réduire des effets graves ou irréversibles pour la santé du fait d'expositions non obligatoires ». Et les auteurs ajoutent qu'il ne faut pas attendre la preuve de la causalité et la compréhension de tous les mécanismes en jeu pour protéger la santé des populations et se tourner vers des substances de substitution.
Je partage leur analyse. Les données sont suffisamment nombreuses pour inciter à l'action, en développant une politique évolutive de protection en fonction des résultats scientifiques. Cette politique devrait reposer sur trois piliers : savoir, prévenir, interdire.
Développer les connaissances disponibles est une priorité. La France, comme l'Europe, y consacre déjà des moyens importants - plan d'action du ministère de la santé, programme national de recherche sur les perturbateurs endocriniens, agence nationale de la recherche, programme Elfe, investissements d'avenir. Mais foisonnement n'est pas stratégie. On y voudrait plus de coordination, autour d'une stratégie interministérielle, à laquelle il conviendrait d'associer le monde industriel, eu égard aux enjeux économiques des découvertes potentielles sur les matériaux, le fonctionnement du système hormonal et les médicaments du futur.
Un élargissement des recherches est également nécessaire, sur un plus large éventail de substances et d'organes cibles, et la priorité devrait être accordée aux tests internationalement reconnus d'identification des perturbateurs endocriniens. Un suivi politique et parlementaire s'impose pour prendre en considération l'évolution des connaissances.
Dans l'intervalle, il convient de mettre en oeuvre une démarche de prévention, visant à limiter l'usage des substances incriminées, à prendre en compte leur potentiel perturbateur, à réduire leur rejet dans l'environnement. La bonne application des plans polychlorobiphényles (PCB) et Echophyto 2018 est à cet égard essentielle. Ainsi que le recommande l'Académie de médecine, une attention toute particulière devrait être portée au problème des résidus médicamenteux dans l'eau, soulevé encore récemment au sujet des pilules contraceptives. Réduire l'exposition périnatale, de la conception aux premières années de la vie, doit être une priorité pour nous. Les produits de consommation courante contenant des substances présentant un risque élevé de perturbation devraient être soumis à étiquetage particulier, pour inciter les mères à en utiliser d'autres.
Des mesures d'interdiction, enfin, peuvent être nécessaires, en fonction des produits, des usages, des possibilités de substitution et de la balance avantages-risques. C'est dans cette logique que je demande le retrait des phtalates à chaîne courte dans les applications médicales - tubulures, poches plastiques, perfusions - à destination de la femme enceinte et du jeune enfant, et plus généralement que tous les produits qui leur sont destinés soient exempts de perturbateurs endocriniens.
Enfin, il me semble que le Parlement, plutôt que multiplier les lois d'interdiction partielles dans le seul cadre national, devrait inviter le Gouvernement, via une résolution, à agir au niveau européen, sur l'ensemble du marché communautaire.
Vous avez évoqué l'usage de la thalidomide dans le traitement de la maladie d'Alzheimer. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Vous militez pour une action concertée au niveau européen. D'autres pays se sont-ils déjà saisis du problème ?
Une étude que j'ai lue récemment mentionnait des expérimentations conduites pour mesurer l'efficacité de la thalidomide sur la maladie d'Alzheimer, étant entendu que le problème du cycle reproductif ne se pose plus pour les femmes concernées. Je ne saurais vous en dire plus...
Oui, plusieurs pays, au premier rang desquels les pays du Nord, veulent avancer sur la question de l'uniformisation de la réglementation. L'étude qui paraîtra prochainement, commandée par la direction de l'environnement de la Commission européenne au professeur Kortenkamp, devrait ouvrir des pistes.
Je remercie Gilbert Barbier de ses utiles recommandations. Il faut penser au service après-vente d'un tel rapport, à sa diffusion. Concernant la prévention, le registre des cancers est fort utile à la recherche sur les perturbateurs endocriniens, pour autant qu'il suive des règles pérennes sur longue période, ce qu'une récente diminution des aides de l'Etat risque de mettre en péril...
Sur le problème des stations d'épuration, il conviendrait d'assurer la bonne information des collectivités locales et des gestionnaires. Je n'insisterai pas, pour ma part, sur la question des traces, infimes, de contraceptifs, au risque de ranimer une récente controverse... En revanche, parlons de la collecte des médicaments, qui est essentielle : elle est efficace pour les cabinets médicaux mais moins bien assurée pour les familles, qui pouvaient autrefois rapporter en pharmacie leurs médicaments périmés.
Je ne reviens pas sur les turbulences vécues autour de la sécurité du médicament. Mais l'agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) s'est vu attribuer un nouveau rôle et il lui faudra effectuer un travail transversal, avec l'Anses. La recherche sur un produit doit prendre en compte les questions environnementales, ainsi que la balance bénéfices-risques, sans se limiter à l'étude sur individus. Il faudra y insister car je ne suis pas certain que l'agence soit à ce sujet très convaincue.
Je me félicite que les rapports de l'office, qui dispose de beaucoup plus de temps que nous pour ses investigations, soient présentés devant notre commission, fût-elle ou non à l'origine de la saisine. La semaine dernière, un amendement a été voté lors de la discussion budgétaire en séance, sur les perturbateurs endocriniens : je regrette, dans le même esprit, que nous n'en ayons pas été informés en amont. Gilbert Barbier lui-même n'est pas au courant.
Oui, il faut travailler de concert en Europe, et même au-delà : une réglementation qui resterait franco-française serait, en la matière, sans grand effet.
La présidente Muguette Dini avait en effet saisi l'Opecst, au nom de notre commission, sur les perturbateurs endocriniens à la suite du vote de la loi sur le bisphénol A. J'ai donc souhaité que le rapport nous soit présenté. Nous avions procédé de même voici quelques mois pour le travail de Brigitte Bout sur l'obésité. On pourrait certes élargir l'exercice à d'autres études de l'office, si les thèmes intéressent notre commission, à condition que ses membres soient prêts à suivre...
L'amendement voté en séance, madame Procaccia, lors de l'examen de la mission « Environnement », visait à étendre la redevance pour pollutions diffuses aux perturbateurs endocriniens. Il répond donc à nos préoccupations.
Je ne saurais vous retracer les débats sur cet amendement n° 235, la mission « Environnement » ne figurant pas parmi celles sur lesquelles nous présentons un avis. Mais il est certain qu'un peu plus de coordination entre nous ne ferait pas de mal.
Merci à M. Barbier de son exposé clair et pédagogique, qui nous offre, une fois n'est pas coutume, une véritable approche globale. Voilà encore un rapport de qualité du Sénat. Comment s'assurer qu'il ne reste pas, comme cela reste trop souvent le cas, sur les étagères ? Ceci pour dire que nous devrions veiller au suivi qui est donné à nos travaux.
Une question sur les cancers liés aux perturbateurs endocriniens : pourquoi n'avoir pas cité, à côté des cancers de la prostate et du sein, le cancer du pancréas, dont l'augmentation du taux de prévalence semble avoir les mêmes causes ?
Sur la présence d'oestrogènes dans les eaux, dont Jean-Louis Lorrain dit qu'elle est infime, existe-t-il des mesures précises ? Les villes, les grandes agglomérations en particulier, sont-elles davantage concernées ? Car je ne pense pas que le monde rural, où se posent d'autres problèmes comme celui des pesticides, le soit autant. Sur cette question des eaux, ne serait-ce pas de bonne politique que d'associer à la recherche les grands délégataires de services publics et les services en régie ?
On a trop tendance à aborder le problème des perturbateurs endocriniens par segments. Si l'on entend souvent parler de l'Alzheimer induit, on parle peu de la maladie de Parkinson, dont les statistiques, que les neurologues peinent à faire reconnaître, font apparaître qu'elle touche des personnes de plus en plus jeunes, surtout chez les agriculteurs.
Les normes européennes ? Fort bien, mais n'oublions pas que la Suisse, notre voisine, autorise beaucoup plus de produits que nous. Preuve que l'approche doit être plus large encore que les frontières de l'Union. D'autant que se pose également la question des importations. Il faut proposer des solutions à un problème qui inquiète toujours plus les populations, et dont les familles qui vivent sous le seuil de pauvreté sont les premières victimes, via l'alimentation en particulier. J'espère que notre arsenal se fera, à l'avenir, beaucoup plus sévère.
Je veux vous conter une anecdote. Lors d'un G7, une réunion avait été consacrée à la santé environnementale, les recherches menées dans différents pays nordiques, aux Etats-Unis, au Canada, au Brésil et au Japon avaient été exposées. Toutes concluaient à la dangerosité du bisphénol A pour les jeunes enfants. J'avais donc, au retour, alerté le ministère de la santé de ce sujet, qui en a saisi ses agences. Elles ont répondu qu'il ne posait aucune difficulté. Je suis revenue à la charge et j'ai obtenu qu'une étude soit conduite par l'Anses : elle a fait ressortir la réalité du problème.
Notre culture reste trop marquée par les principes de Pasteur. Les institutions de santé ont du mal à intégrer le fait que certaines substances, dont les pesticides, ont un réel effet à long terme sur l'environnement, ce qui pose le problème de la coordination et du pilotage des questions liées à la santé environnementale. J'ai évoqué le problème à deux reprises lors du débat budgétaire, sans obtenir de réponse. Je ne sais qui devrait être le pilote, du ministère de la santé ou de celui de l'environnement, mais ce que je sais, c'est que le terme de précaution fait réagir. Or, s'il est souvent appliqué à l'environnement, il ne l'est jamais à la santé.
Un mot sur les résidus médicamenteux. Si des programmes de recherche existent, reste que les systèmes de traitement coûtent cher. Nous avons déjà du mal à appliquer les directives européennes sur l'environnement, qu'en sera-t-il lorsque celles-ci aborderont les résidus des médicaments dans l'eau... Et elles y viendront prochainement, car si les éléments chiffrés manquaient jusqu'à présent, ils sont aujourd'hui disponibles, et l'on sait ce qu'il en est des problèmes de fertilité que pose, à terme, la féminisation des poissons.
Je tire mon chapeau à Gilbert Barbier pour ce rapport très intéressant dont j'ai pris connaissance en prévision de notre réunion.
Il a rapidement évoqué le soja. C'est à mon sens un vrai sujet. On continue d'importer des organismes génétiquement modifiés (OGM) de soja, dont on connaît les potentiels effets néfastes. Une seule décision s'impose : arrêter ! Dans mon département, il existe un pôle de compétitivité industrie et agro-ressources, autour de la bio-raffinerie végétale : on sait fabriquer des plastiques à base non de pétrole, mais de biomasse, comme on sait en faire par voie fermentaire et non acide. Cela mérite d'être soutenu : il faut poursuivre la recherche, avec des pilotes industriels.
Patricia Schillinger a relevé l'augmentation des cas de Parkinson chez les agriculteurs, liée à un effet dose. Mais dans le cas des perturbateurs endocriniens, on sait que la réponse, Gilbert Barbier l'a rappelé, n'est pas linéaire. C'est cela qui est inquiétant. Certains individus sont susceptibles de développer des pathologies, d'autres non. Le principe de précaution doit donc s'appliquer d'une autre façon. Il ne s'agit pas, comme pour le cancer du poumon, de recommander l'arrêt du tabac. Les choses, ici, sont plus complexes.
Un mot, pour finir, sur l'augmentation des cancers hormono-dépendants que sont le cancer de la prostate et du sein - tandis que les cancers des ovaires sont en diminution. Sait-on pourquoi ? Peut-on en expliquer tout uniment les causes ? Elles peuvent tenir, pour partie, aux progrès du dépistage.
Je salue, à mon tour, la qualité du travail de Gilbert Barbier et j'adhère à ses orientations : savoir, prévenir, interdire. D'accord sur la nécessité d'une approche transversale. La multiplicité des acteurs, avec l'institut national de la recherche agronomique (Inra), l'institut de veille sanitaire qui collecte l'information et rencontre en effet des difficultés, l'Anses, pose de fait la question du pilotage. Doit-il être interministériel ? Si non, qui doit piloter ? Il faut trancher, pour avancer.
Le principe de précaution se heurte au mur des lobbies industriels. Beaucoup de questions se posent sur les pesticides : ils sont utilisés dans une forme d'agriculture qui est industrielle, et les lobbies sont derrière. Et je me félicite que l'Anses ait également travaillé sur les effets de ces substances sur la santé des agriculteurs, non pas seulement sur les consommateurs.
Merci à Gilbert Barbier de ce rapport approfondi dont je me réjouis qu'il ouvre le débat sur la santé environnementale. Je l'ai déploré en séance plénière : nous restons englués dans les arbitrages financiers de court terme, alors que le sujet, qui concerne toute la population, exige une vision de plus large portée. Le Parlement doit faire des propositions qui, pour être opérationnelles, doivent aussi être financières. Passons aux actes dans le débat budgétaire. Je présenterai dans l'avenir des propositions sur le sujet.
Je rejoins Chantal Jouanno sur l'argument pernicieux des faibles doses, qui nous est souvent opposé. Mais le problème est dans l'addition des expositions, même à faible dose chacune. Il faudra y travailler.
Le cadre Reach a fait l'objet de débats et de contestations. Il a suscité une forte opposition, qui perdure : les blocages sont terribles ! L'office a-t-il réfléchi à l'articulation possible entre réglementation européenne et politique nationale ? Je ferai également des propositions sur le sujet.
Le nombre de cancers de la prostate et de cancers du sein augmente, mais cette croissance est due également au vieillissement de la population et à un dépistage plus efficace : l'analyse des causes est difficile parce que celles-ci sont multifactorielles.
L'idée d'un suivi parlementaire me paraît judicieuse. Il pourrait prendre la forme d'un débat en séance publique sur ce thème.
Il est en effet déjà arrivé que nous organisions en séance publique un débat sur une question traitée par l'Opecst.
Effectivement, nous avons débattu dans le passé des lignes à haute tension ou encore de l'obésité, objets d'étude de l'office, mais je crains que nous ne puissions trouver, d'ici à fin février 2012 date de l'interruption de nos travaux, un créneau dans l'ordre du jour de la séance publique pour organiser un débat sur les perturbateurs endocriniens.
Sur les résidus médicamenteux, les grands groupes chargés de la gestion de l'eau avancent... très lentement. C'est que la diversité des molécules rend le traitement très coûteux. Oui, il y a des mâles féminisés et des femelles masculinisées : les prélèvements de poissons en aval des stations d'épuration sont fort intéressants pour les chercheurs.
Dans les perturbateurs endocriniens, ce n'est pas la dose qui fait systématiquement le danger : je l'ai dit, une dose forte pourra n'avoir aucun impact ; l'effet, statistiquement, suit une courbe de Gauss. Il y a tout de même des cibles sensibles, j'en ai parlé, femmes enceintes, enfants dans leur vie intra-utérine et à leur naissance. On a interdit le bisphénol A dans la fabrication des biberons, mais le lait maternel en contient tout autant...
Sur les cancers hormono-dépendants, j'ai noté que l'Académie nationale de médecine était d'une grande prudence à l'égard des études menées sur les perturbateurs endocriniens et leur influence sur les cancers, du testicule par exemple... Je précise à Catherine Deroche que les statistiques relatives aux cancers de la prostate ou du sein comportent toujours une correction de l'effet vieillissement. Le cancer du sein - mais n'oublions pas qu'il y en a de multiples formes - subit l'incidence de nombreux facteurs, bien sûr. Quant au dépistage du cancer de la prostate, on s'interroge actuellement sur son utilité en fonction de l'âge - jusqu'à quel âge faut-il le maintenir, soixante-dix ans ou plus ? Je vous renvoie au rapport de Bernard Debré.
Dans les problèmes environnementaux, la dimension européenne est essentielle. Il a fallu du temps pour installer le système Reach mais aujourd'hui celui-ci fonctionne. La procédure se met en place progressivement, elle a d'abord visé les molécules les plus dangereuses. En matière de pesticides, plusieurs ont été interdits. La France peut prendre des mesures de prévention, mais s'agissant de l'industrie, c'est au niveau européen qu'il faut agir. J'ai rencontré des industriels, les grands groupes ne sont pas fermés à la discussion. Certains se sont interdit de recourir à des phtalates à chaîne courte - plus on allonge la molécule, moins elle passe du contenant au contenu mais cela renchérit le coût de fabrication.
Il faudrait approfondir le travail interministériel. Sur le médicament, les laboratoires Servier n'ont pas été exemplaires...
mais d'autres se préoccupent de rechercher des produits de substitution - lesquels posent parfois des problèmes.
Il faut faire avancer les choses. Un mouvement est à l'oeuvre. Je suis attaché à la figure et à l'apport de Pasteur, mais aujourd'hui nous vivons dans une ère différente. Nous pouvons néanmoins travailler et faire des propositions. Monsieur Jeannerot, je n'ai pas d'information fiable sur l'intervention des perturbateurs endocriniens dans le cancer du pancréas, c'est pourquoi je n'en ai pas parlé.
Je veillerai au suivi parlementaire de ce travail. J'observe d'ailleurs que l'analyse du rapport bénéfices-risques concerne pareillement l'amiante. Or, les perturbateurs endocriniens, si l'on n'y prend garde, pourraient bien susciter, demain, un scandale du même ordre. La question est suffisamment grave pour être prise en considération.
Nous avons déjà légiféré sur le bisphénol A, même si le problème, comme nous l'a expliqué Gilbert Barbier, n'est pas pour autant résolu. Il serait intéressant de voir avec les industriels comment nous pouvons progresser ensemble.
Nous en venons à la demande de saisine et la nomination d'un rapporteur pour avis sur la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relative à la simplification du droit et à l'allègement des démarches administratives - autrement dit, la « Warsmann 4 ». Y a-t-il des candidatures, sachant que la commission doit examiner le texte avant Noël, pour un passage dès la première semaine de janvier en séance publique. Les articles relevant de notre commission concernent le droit du travail, des sociétés, de la famille...
La commission décide de se saisir pour avis de la proposition de loi et désigne Catherine Procaccia en qualité de rapporteur pour avis.
C'est notamment à l'initiative de Patricia Schillinger que nous avions, l'an dernier, demandé une étude à la Cour des comptes sur le régime d'assurance maladie complémentaire obligatoire d'Alsace-Moselle. La Cour nous ayant rendu son rapport, accepterait-elle d'en être notre rapporteure ?
La commission désigne Patricia Schillinger en qualité de rapporteure sur l'étude de la Cour des comptes.