Commission de la culture, de l'éducation et de la communication

Réunion du 25 octobre 2011 : 1ère réunion

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • enseignant
  • maternelle
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La réunion

Source

La commission procède à l'audition de M. Jean-Michel Blanquer, directeur général de l'enseignement scolaire (DGESCO) au ministère de l'éducation nationale, sur l'évaluation à l'école maternelle.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Christine Blandin

J'ai souhaité vous entendre aujourd'hui, monsieur le directeur général, à la suite des informations parues dans la presse concernant une évaluation en classe maternelle, qui a suscité un certain émoi, parce que, d'une part, le Parlement n'est que trop souvent tenu à l'écart d'arbitrages qui conditionnent la vie scolaire et l'éducation, et d'autre part, certains collègues et moi-même avons eu l'impression d'une réitération d'un célèbre débat sur l'inné et l'acquis. Je reprendrai les titres de la presse : « virus de l'évaluation des risques chez les jeunes enfants : le retour », « M. Chatel invente l'étiquetage des élèves de maternelle », « vers l'évaluation des enfants à risques dès cinq ans », « le ministre : un repérage précoce est nécessaire ».

Je sais que le ministre de l'éducation nationale a démenti cette information mais a cependant été évoquée la mise en place d'un outil de travail pour - je cite cette fois - « déceler les difficultés des jeunes enfants ».

Demain, nous devons examiner en commission une proposition de loi relative à la scolarisation en maternelle, c'est vous dire que nous sommes attentifs au sujet des jeunes enfants à l'école. Il m'a donc paru utile de vous entendre sur cette question.

Debut de section - Permalien
Jean-Michel Blanquer, directeur général de l'enseignement scolaire (DGESCO) au ministère de l'éducation nationale

Je vous remercie, madame la présidente, de l'occasion qui est offerte à la direction générale de l'enseignement scolaire de pouvoir donner des éclaircissements sur cette question qui a été présentée dans la presse. Les titres de la presse ne sont pas le meilleur point d'appui pour avoir une idée claire de cette question.

L'objectif principal de tout le système scolaire est d'arriver à ce que plus aucun enfant ou presque ne sorte de CM2 sans savoir lire, écrire et compter, c'est-à-dire sans maitriser les fondamentaux. Notre priorité est le niveau des élèves à la sortie de l'école primaire. Nous savons, par ailleurs, que beaucoup de choses se jouent avant six ans. Sur les 15 à 20 % des élèves qui sont en difficulté à la fin du CM2, la majorité d'entre eux peut être repérée dès l'âge du cycle 2, c'est-à-dire en grande section de maternelle, en cours préparatoire ou en CE1. Il s'agit de prendre à la racine les problèmes qui se posent.

Sous cet angle, il existe une stratégie qui repose sur trois points : la refonte des programmes de l'école primaire qui s'est centrée sur les apprentissages fondamentaux, la réforme de l'aide personnalisée qui permet à tous les élèves d'en bénéficier deux heures par semaine à l'école élémentaire mais aussi à l'école maternelle afin de donner toute son utilité au dispositif, et la question de l'évaluation en CE1 et CM2. Ces évaluations permettent de disposer d'éléments d'information sur le niveau des élèves dans toute une série de compétences très précises. Aujourd'hui, à toutes les échelles, on est capable de voir les progrès ou l'absence de progrès des élèves sur des notions très précises. Cela permet d'avoir véritablement un pilotage pédagogique fin à l'échelle des territoires, puisque les problèmes s'y posent différemment.

Ce triptyque suppose que nous ayons une action en maternelle, en distinguant le cycle 1 et le cycle 2. Comme vous le savez, la loi de 1989 a introduit cette notion de cycle qui est très importante et qui permet en particulier, s'agissant du cycle 2, d'avoir une approche complète de ce qui se passe en grande section, en cours préparatoire et en CE1. Explicitement, on considère depuis lors que la grande section est pour chaque enfant une préparation au CP, afin de lui permettre de disposer de toutes ses chances à l'entrée à l'école élémentaire.

L'école maternelle est, si on devait la définir, l'école du langage par excellence. Or la première inégalité, qui est la racine des problèmes qui apparaissent ensuite à la fin de l'école primaire, est l'inégalité devant le langage et le vocabulaire en particulier. On a donc des actions intensives à mener aussi bien pour la maîtrise du langage que pour le développement de la conscience phonologique. Dans ce contexte, depuis de nombreuses années, existent ce que l'on appelait les évaluations de maternelle qui se pratiquent selon des modalités hétérogènes. Elles ont fait l'objet de multiples travaux pour essayer d'améliorer les instruments existants. On a commencé à travailler au ministère sur un nouveau protocole comme un outil à disposition des enseignants. Ce protocole reposait sur les travaux d'un laboratoire de l'université de Grenoble, lui-même très articulé avec la recherche internationale et qui avait parachevé un travail permettant de fournir aux enseignants un protocole d'évaluation des élèves pour identifier les difficultés mais aussi les entrainements nécessaires pour en analyser la nature. Trois temps étaient envisagés : en novembre-décembre, pour tester les élèves, ensuite de janvier à mai, des entrainements dans le cadre de l'accompagnement personnalisé afin éventuellement de remédier aux difficultés des élèves et enfin, en cas d'absence d'amélioration, en mai-juin, pour prendre un certain nombre de dispositions avec la possibilité d'orienter vers un bilan médical si nécessaire.

Ce projet, qui était destiné aux inspecteurs, est sorti dans la presse de façon caricaturée. Or, il n'était pas terminé puisqu'on a mis l'accent sur les questions comportementales qui faisaient encore l'objet de discussions internes et qui constituent un vrai problème. Ainsi, un sujet d'intérêt général important qui renvoie à la question de l'école maternelle, et plus précisément de la grande section, a fait l'objet de polémiques.

Le ministre s'est exprimé pour rappeler qu'il s'agissait d'un outil facultatif, que la question des comportements ne serait pas prise en compte pour s'orienter vers les autres questions pédagogiques, en particulier la conscience phonologique qui fait déjà l'objet d'exercices mais réclament des outils toujours plus précis, et qu'il ne devait pas être confondu avec les évaluations de CE1 et de CM2 qui jouent un rôle tout à fait différent. Nous allons continuer ces travaux sur ce projet, notamment dans le cadre de concertations avec les syndicats. L'objectif est de fournir un outil utile dès cette année scolaire pour l'utiliser dans la prévention de l'échec en CP.

Des mots qui ont été notés comme ceux que vous avez rappelez, « risque » et « haut risque », étaient ceux du laboratoire dans un document daté du mois d'août, qui a été donné à la presse, probablement avec l'intention d'effrayer ; ce sont bien entendu des mots que nous ne retenons pas. Il s'agit de venir en aide aux élèves qui ont le plus de difficultés.

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Cartron

Je trouve un motif de satisfaction dans votre exposé, mais je ne retrouve pas l'école maternelle dans laquelle j'ai enseigné. Ma satisfaction réside en ce que l'intérêt porté par des laboratoires de recherche participe à la reconnaissance du rôle essentiel de l'école maternelle. Cela m'encourage encore à défendre la proposition de loi que j'ai déposée pour rendre la scolarité obligatoire à trois ans et ainsi sanctuariser l'école maternelle et la distinguer de tout dispositif du type des jardins d'éveil.

Un enfant se construit dès le plus jeune âge et il est nécessaire que très tôt il soit confronté à des stimulations de tous ordres qui l'aideront à développer son intelligence et sa maîtrise du langage. Cela, notre école maternelle le faisait excellemment et était reconnue internationalement dans ce domaine. Elle savait s'adapter et construire des parcours pédagogiques différenciés.

Les évaluations que vous proposez m'inquiètent. C'est le lancement de la course au classement et à l'étiquetage. Il faut plutôt tenir compte des différences de rythmes et de maturité des enfants. Il faut laisser le temps aux enfants. Le mot « entraînement » que vous employez, je ne le reprends pas. L'éducation, c'est la stimulation et l'ouverture mais pas la répétition et l'entraînement.

Enfin, je tiens à souligner qu'il faut repenser la formation des maîtres car on n'enseigne pas en maternelle comme en élémentaire.

Debut de section - Permalien
Jean-Michel Blanquer, directeur général de l'enseignement scolaire (DGESCO) au ministère de l'éducation nationale

Je pense qu'il existe bien une spécificité très nette de l'école maternelle. La direction générale de l'enseignement scolaire en tient compte et en tire les conséquences. Nous faisons la distinction entre les petite et moyenne sections d'une part, la grande section, d'autre part. On retrouve trace de l'évaluation en grande section dès les années 70. Nous ne faisons rien de nouveau mais nous avons aujourd'hui affiné les outils et nous recourons aux comparaisons internationales. Nous n'avons ni à rougir, ni à nous endormir sur nos lauriers, si nous regardons la situation prévalant dans les autres pays européens. L'existence de programmes dès la maternelle permet de préciser les progressions attendues tout en construisant des stratégies ludiques d'apprentissage, qui n'ont rien à voir, je peux vous l'assurer, avec un dressage spartiate. Le mot « entraînement » n'implique pas de répétition mais le repérage de difficultés et de progressions.

Lorsque l'on connaît le rôle fondamental de l'école maternelle dans l'épanouissement de l'enfant et la préparation du cursus élémentaire, il serait désastreux de ne rien faire pour les 10 à 15 % d'élèves en grave échec dès le CP.

Debut de section - Permalien
René Macron, chef du bureau des écoles

Plus que le terme d'entraînement, peut-être faudrait-il employer le mot anglais « training » dont les connotations sont plus positives. Les dispositifs pédagogiques que nous utilisons sont appuyés sur les recherches menées à Grenoble par Michel Zorman et Catherine Bianco. Ils visent à éveiller la conscience phonologique des enfants. Ce sont des éléments de compétence qui peuvent être travaillés entre cinq et six ans beaucoup plus facilement qu'après. En revanche, le décodage nécessaire à l'apprentissage de la lecture intervient efficacement au CP. Un an après, ce serait trop tard, un an avant, trop tôt.

Il faut ajouter que tous les enfants n'en ont pas forcément besoin. Les enfants dont le système phonologique est en place ne seront pas soumis aux tests, mais il est très important d'identifier les causes des déficiences constatées chez les autres élèves. En outre, dans les outils de dépistage proposés aux enseignants, il est prévu un étalement de l'utilisation dans l'année pour tenir compte plus finement de l'âge des enfants.

Debut de section - PermalienPhoto de Sylvie Goy-Chavent

L'idée même d'une évaluation en maternelle n'est pas mauvaise, mais elle soulève quelques questions.

Je voudrais revenir sur le contenu de ces évaluations. Vous nous dites qu'il s'agit d'un outil de prévention, et vous nous parlez d'évaluer uniquement la question pédagogique et non psychologique ; mais les enfants évoluent de façon différente. Certains, par exemple, apprennent mieux avec la méthode globale et d'autres avec la méthode syllabaire : comment avez-vous pensé ces questions ?

Ensuite, y aura-t-il une trame fournie aux enseignants ? Ou bien est-ce que chacun créera son outil d'évaluation ? Qui corrigera, l'enseignant de la classe ou ses collègues ?

Enfin, une fois les résultats reçus, les contenus du CP s'y adapteront-ils ?

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Laborde

En entendant votre exposé, on ne peut être contre tout. Mais je suis étonnée que monsieur le ministre ait laissé passer certaines choses...

Debut de section - Permalien
Jean-Michel Blanquer, directeur général de l'enseignement scolaire (DGESCO) au ministère de l'éducation nationale

Je vous rappelle qu'il s'agit de fuites. C'est un document de la fin du mois d'août, capté par on ne sait qui. Le ministre n'était pas décidé à ce stade à soutenir de tels propos.

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Laborde

Je retire donc ce que j'ai dit. Bien que j'aie quitté mes fonctions de directrice d'école plus récemment, je vous rejoins sur cette différence de génération. Nous faisions nos outils dans chaque classe. La problématique actuelle, c'est le manque de formation. La mastérisation fait que nos jeunes enseignants manquent de recul, et qu'ils n'ont pas les moyens de se fabriquer leurs propres outils car ils n'ont pas de cours de pédagogie. Je me demande donc si cette batterie d'exercices n'est pas là pour suppléer la faiblesse de la formation.

Concernant la grande section, nous pouvons redouter qu'elle se transforme en mini-CP. Nous craignons que cela n'entraîne la disparition de l'école maternelle, et plusieurs propositions de loi ont été déposées à ce sujet.

Enfin, se pose le problème de l'évaluation. Elle crée une pression, pour les parents et les enfants, qui est négative et qui n'est vraiment pas nécessaire. Les missions récentes sur les apprentissages ont mis en exergue les effets négatifs de l'évaluation pour les enfants. On peut craindre que ce soient justement les élèves qui ont vraiment besoin d'aide qui seront alors mis de côté.

Debut de section - PermalienPhoto de Brigitte Gonthier-Maurin

Je me réjouis que l'on pose la question de la place de l'école maternelle dans la réduction de l'échec scolaire. Les propositions annoncées cependant, bien que tronquées par les médias, m'ont profondément inquiétée. L'évaluation est stigmatisante et elle contribue à créer une école du tri, une école du dépistage. Elle naturalise les différences au nom du principe d'égalité des chances. Je trouve cela dangereux. Or les parcours sont différents, et on ne peut pas avoir de schéma en la matière.

J'ai également du mal à croire à une maladresse, parce que ces idées ne sont pas nouvelles : je citerai le rapport du député Bénisti de 2004 « De la langue maternelle à la délinquance infanto-juvénile » et les propositions de Jean-Marie Bockel sur le repérage des troubles du comportement en 2010.

Non seulement cela va sélectionner les enfants, mais cela va aussi trier les enseignants et les établissements. Cela correspond à la logique de mise en concurrence que l'on cherche à introduire dans l'école en général. On veut repérer des conduites, mais supprimer les manifestations de souffrances sans en traiter les causes et les racines est complètement inefficace et très dangereux. On ne fera qu'aggraver la mésestime de soi et l'angoisse des élèves, des parents et des enseignants, dans une situation déjà complexe. L'étude sur le « burn-out » a pu être contestée par M. Luc Chatel, mais la question des conditions d'enseignement ne peut plus être ignorée. Elles se sont terriblement dégradées en raison du manque de formation. C'est un problème de mastérisation mais pas seulement : la formation continue aussi est en jeu. On a d'autant plus de mal à croire à une maladresse, par ailleurs, dans ce contexte de suppression des effectifs.

La prévention doit s'appuyer sur un postulat d'éducabilité, selon la capacité de chacun à comprendre et acquérir des codes, à apprendre à devenir élève à son rythme. Nous exprimons tous une grande inquiétude, et votre exposé n'a pas permis de la lever du tout.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Le Scouarnec

Je suis maire d'une ville où il y a cinq écoles, dont trois publiques, avec des populations très différentes. L'une se trouve en zone de renouvellement urbain, elle est donc un peu protégée par l'inspectrice d'académie. Ses effectifs sont plus légers qu'ailleurs, mais l'école a été maintenue grâce à un effort renouvelé depuis dix ans.

Les enfants avec des difficultés dès le départ ont été repérés, notamment sur les difficultés de vocabulaire ; et grâce à un travail avec des effectifs de 20 ou 22 enfants par classe, cette école est devenue la meilleure école à l'arrivée en 6e. Le réseau d'aide spécialisée aux élèves en difficulté (RASED) intervient également, mais ce sont surtout les effectifs qui ont permis ces résultats. Je m'interroge sur l'efficacité de ce type de réformes, si, dans le même temps, les effectifs explosent, avec les conséquences que l'on sait sur la délinquance.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Gillot

D'après ces interventions, il semble y avoir un sentiment d'inquiétude partagé. Personnellement, je mesure que vous vous livrez là à une démarche de rattrapage, mais les craintes persistent. Il s'agit-là d'une école de la compétition et du tri, avec des classements anxiogènes. L'école maternelle devrait rester un lieu d'accueil, d'éveil, qui permet de cultiver le plaisir d'apprendre, le plaisir de la découverte de ses aptitudes et des autres.

La méthodologie que vous proposez - que vous présentez certes avec prudence - répond à une pseudo-nécessité de la performance, dans une société de la réussite. Est-ce que nous allons vers une exigence de réussite, un droit opposable à la réussite scolaire ? Avec un esprit de « juste retour sur investissement » ? C'est très inquiétant.

Vous vous appuyez sur des travaux de spécialistes pour préconiser la généralisation de dispositifs que vous qualifiez « d'outils non obligatoires », mais qui visent à repérer les besoins spécifiques et qui seraient généralisés à l'ensemble des enfants. Quid des enfants à besoins vraiment spécifiques ? On se concentre sur la formation de l'élève parfait, au détriment de l'élève réellement handicapé. Il y a un glissement de la prise en charge des enfants handicapés, vers le traitement de l'ensemble des enfants avec les mêmes outils que les premiers. Ce glissement a déjà été observé par le passé. Il y a une confusion entre le rôle de la médecine scolaire spécialisée et celui des enseignants de l'éducation générale, qui doivent pouvoir se reposer sur ces personnels spécialisés pour prendre en charge les enfants qui ont vraiment des besoins spécifiques. Nous devrions préférer à la stratégie de lutte contre l'échec scolaire, une stratégie de pédagogie pour la réussite scolaire.

Je m'inquiète également de la prédominance de la grande section intégrée dans le cycle 1, au détriment des toutes petites sections et donc de la scolarité précoce.

Debut de section - PermalienPhoto de Cécile Cukierman

Il est important de se souvenir du rôle d'épanouissement de l'école maternelle. C'est le lieu où se développe le plaisir au sens noble du terme, le goût de la rencontre. C'est par ce plaisir que l'on peut acquérir les apprentissages. Cela s'évalue et se quantifie difficilement, mais l'école maternelle doit rester ce lieu-là.

Je suis de plus en plus surprise lorsque j'assiste à ces réunions de rentrée où l'on intellectualise trop l'école maternelle : cela affole les parents. On crée la pression d'un apprentissage réussi avant la fin de l'année scolaire. C'est une logique qui voudrait que tout soit fait au même moment par tous les enfants ; or ils doivent pouvoir évoluer chacun à leur rythme. Les orthophonistes ont alerté sur cette tendance : il est aberrant de vouloir que tel son soit prononcé de telle façon à tel âge. Une évaluation globale et généralisée, c'est dangereux y compris pour l'évolution de l'enfant.

Sur les formations, s'il s'agit de donner les moyens aux enseignants de se créer eux-mêmes des outils adaptés à chaque élève (et là se pose le problème des sureffectifs), alors évidemment nous l'approuvons. Mais la logique d'évaluation que vous proposez est différente.

D'autre part, les grands absents dans votre discours sont les parents. L'évaluation met pourtant une pression sur tout le monde. Enfin, je me demande quelles seront les conséquences de l'évaluation. Y aura-t-il des moyens supplémentaires alloués au CP ? La grande section a certes une place « charnière », de passage ; mais alors pourquoi créer une évaluation qui marque la fin d'un cycle ? C'est un peu contradictoire.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Boyer

Mon intervention ne sera pas très différente, sauf peut-être sur le plan de la parité puisque les sénatrices semblent porter plus d'intérêt à l'enseignement. Sur le plan de la profession aussi, car je suis un ancien agriculteur.

Monsieur le directeur, madame la présidente, l'école maternelle n'est-elle pas l'arbre qui cache la forêt ? La forêt, c'est le malaise de notre société. Notre société est malade, et l'admettre, c'est reconnaître que la famille l'est aussi. Dans ma génération, il y avait une complémentarité entre l'école et la famille, un relais qui se faisait lorsque l'enfant rentrait à la maison et qu'on lui demandait ce qu'il avait appris. Aujourd'hui, les familles sont souvent éclatées. Peut-il alors encore y avoir une complicité entre enfants et parents ? Avant de regarder le détail de l'école maternelle, il faut prendre en compte la toile de fond. Ce n'est pas nous qui règlerons ce problème de la société. Mais si l'école a des difficultés, si les enseignants n'ont jamais eu autant de mérite, et s'ils n'ont jamais été aussi déçus, c'est parce qu'ils ne peuvent pas redonner tout ce qu'ils ont reçu.

Voilà la contribution que je voulais apporter, en tant qu'ancien, à la réunion d'aujourd'hui.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Étienne Antoinette

La République intervient de manière différenciée dans certains territoires. Le risque de ces évaluations, c'est leur fiabilité dans ces zones différenciées, où le français est la langue étrangère et n'est pratiqué qu'à l'école. N'y a-t-il pas un risque de mettre de côté une catégorie de la population, si on généralise ces évaluations, et de les exclure définitivement ?

Debut de section - Permalien
Jean-Michel Blanquer, directeur général de l'enseignement scolaire (DGESCO) au ministère de l'éducation nationale

Chaque intervenant a exprimé un point de vue commun sur l'école maternelle : elle est particulière, essentielle, elle est l'école du plaisir et du langage. Le ministère est évidemment d'accord sur le fait que l'enfant ne doit pas être soumis à une pression qui n'a rien à voir avec sa classe d'âge. Nous devons éviter les malentendus sur ces bases, qui sont aussi les nôtres. C'est un sujet fondamental, et quand on voit tout ce qui se joue avant six ans sur les courbes d'évolution de l'enfant, on est convaincu qu'il faut y concentrer l'effort.

La grande question, c'est ce qui se passe concrètement dans les écoles maternelles au niveau pédagogique, dans les relations entre professeurs, parents et enfants.

Nous ne sommes pas dans la situation que les journaux avaient décrite. Il y a un problème de vocabulaire : le mot « évaluations » donne lieu à des malentendus, aussi nous utiliserons le terme « outils ». Les évaluations en école maternelle existent depuis 1970, tout dépend ce que l'on met derrière ce terme. Outre les principes que je viens d'énoncer, nous avons élaboré des méthodes différenciées qui soulèvent des questions auxquelles je vais répondre séparément.

Mme Sylvie Goy-Chavent a évoqué les contenus pédagogiques et leur adaptation en CP. Le mot-clé de notre politique est celui de « personnalisation ». L'objectif est de personnaliser le parcours de l'élève à travers certaines stratégies pédagogiques. Les deux heures de soutien par semaine en primaire sont un dispositif fondamental, qui produit des effets positifs. Nous fournissons de plus en plus d'outils de ce type aux professeurs pour réussir la personnalisation.

En ce qui concerne la transparence du Gouvernement vis-à-vis du Parlement, et que vous évoquiez également madame la Présidente, il y a un sujet. Le site destiné aux enseignants « Eduscol » ( www.eduscol.education.fr), qui est accessible à tout un chacun, diffuse de plus en plus de ces outils au service de la formation continue.

L'évaluation est une problématique présente sur toute la durée du cursus, jusqu'au baccalauréat. Mais elle se pose en des termes très différents en maternelle. Le livret personnel de compétences vise à identifier les compétences que l'enfant a acquises à chaque étape.

Madame Laborde, vous vous demandiez s'il s'agit d'une compensation au manque de formation. Nous ne faisons pas nôtre l'expression « batterie d'outils », et préférons parler « d'outils à disposition des enseignants ». Nous vous transmettrons sous peu les exercices en question, qui sont très intéressants. Le but n'est pas le rabâchage, ni de ficher les élèves ou de les stigmatiser. Il n'est pas de mettre une étiquette qui suivrait l'enfant toute sa vie. C'est simplement un outil qui permet d'identifier des problèmes pour y répondre, ce que les enseignants font déjà aujourd'hui en pratique.

Mme Gonthier-Maurin a parlé de naturalisation des différences et de sélection. Il faut être capable d'aller à la racine des problèmes, et cela suppose un travail d'équipe à l'échelle des écoles. Il y a eu également des soupçons de médicalisation des problèmes, et nous sommes conscients du sujet. Cet outil est l'une des façons d'y faire face. Plus de 10 % des enfants sont considérés à tort comme relevant d'un orthophoniste, alors que le chiffre réel avoisine les 4 ou 5 %. L'objectif est de démédicaliser le sujet, en ayant une série de tests permettant d'aller graduellement chez le médecin ; ensuite, chacun fait son métier, le professeur d'un côté et le médecin de l'autre. Notre outil est bien sûr évolutif, et ces débats ont lieu pour que nous puissions l'améliorer.

Monsieur Le Scouarnec, sur les effectifs réduits : la politique nationale a suivi cette logique depuis des années, surtout en zone d'éducation prioritaire, quand l'école le réclame. L'enseignant peut actuellement travailler pendant une demi-heure par semaine avec un petit groupe d'élèves (3 à 5 enfants), dans la même perspective de personnalisation.

Madame Gillot souhaite éviter une école du tri anxiogène. Il est difficile de passer sa journée à penser quelque chose, et de se le voir retourner sous forme d'accusation. L'école maternelle doit à tout prix ne pas être anxiogène. Nous y travaillons, et ce que nous faisons n'est pas parfait, mais croyez bien que le principe est celui-là. Dans le futur, la philosophie de l'évaluation sera affirmée, mais ce ne sera pas une philosophie anxiogène.

Quant aux enfants handicapés que vous mentionnez, je crois qu'il y a un consensus sur les progrès accomplis depuis 2005. Il y a eu une augmentation de 50 % du nombre d'enfants handicapés dans les écoles, et un effort national très important sur cette question. Cela montre la capacité de personnalisation du système, et sa capacité à maintenir le principe d'égalité.

Mme Cukierman pose la question des parents d'élèves. C'est évidemment une question clé. Le dialogue entre les familles et les écoles est primordial, à travers des opérations comme « la mallette des parents » qui se tient chaque année. Cette opération met en place un accueil des parents en début d'année, pour les informer sur les enjeux de l'école et diffuser des messages anti-anxiogènes.

Monsieur Antoinette, je vous remercie d'avoir mentionné l'outre-mer. Je suis heureux que vous terminiez par cet exemple, qui illustre la problématique d'adaptation. En effet, notre outil est fait pour être adapté, et d'abord aux élèves qui sont non francophones, pour des raisons culturelles. C'est l'accompagnement de ceux-là qui est important. Depuis deux ans et demi, les inspecteurs de l'éducation nationale de maternelle travaillent auprès des académies pour faire vivre ce principe d'adaptation. Nous n'oublions pas qu'à Mayotte ou en Guyane, le premier objectif est déjà de s'assurer que les élèves aillent à l'école dès trois ans.