La réunion

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Au cours d'une seconde réunion tenue en début de soirée, la commission procède à l'examen de la recevabilité financière de la proposition de loi visant à instaurer la scolarité obligatoire à trois ans (texte n° 63, 2011-2012).

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Marini

J'ai reçu, en début de soirée, la copie du courrier adressé ce jour au Président du Sénat par le ministre des relations avec le Parlement, concernant la proposition de loi de notre collègue Françoise Cartron visant à instaurer la scolarité obligatoire à trois ans. Cette lettre est ainsi libellée : « Le Sénat a inscrit à son ordre du jour le jeudi 3 novembre 2011 à 19 heures la proposition de loi de Madame Cartron visant à instaurer la scolarité obligatoire à trois ans. En application de l'article 40 de la Constitution, qui précise que les propositions et amendements formulés par les membres du Parlement ne sont pas recevables lorsqu'ils ont pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l'aggravation d'une charge publique, le Gouvernement considère que cette proposition de loi n'est pas recevable et qu'elle ne peut être mise en discussion ».

Le ministre de l'éducation nationale vient de réitérer l'invocation de l'article 40 de la Constitution en séance publique.

Qu'en est-il sur le fond ? Je vous rappelle qu'en application de l'article 45, alinéa 4, du règlement du Sénat, « tout sénateur ou le Gouvernement peut soulever en séance une exception d'irrecevabilité fondée sur l'article 40 de la Constitution. L'irrecevabilité est admise de droit et sans débat si elle est affirmée par la commission des finances ». Il revient donc à notre commission de se prononcer sur la recevabilité de la proposition de loi indiquée en référence dans le courrier du Gouvernement.

La proposition de loi de Mme Françoise Cartron et des membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés prévoit, dans son article 1er tel qu'il résulte des délibérations de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, d'abaisser l'âge à compter duquel s'applique l'obligation de scolarisation de six ans à trois ans. Je suis bien contraint de constater que cet abaissement aggrave manifestement les charges pesant sur le service public de l'éducation, puisque le champ de l'obligation est étendu. Il me semble que nous n'avons d'autre choix que de déclarer irrecevable la proposition en application des dispositions de l'article 40 de la Constitution.

Avez-vous des observations ou des oppositions ?

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Bricq

Je pense que, sur le plan de la technique, vous avez sans doute raison. Mais je me demande si, en bonne intelligence, il ne serait pas préférable de faire en sorte qu'une proposition de loi à l'initiative d'un groupe politique vienne en discussion et que l'article 40 ne soit invoqué qu'en séance. Si l'on invoque l'article 40 dès après le renouvellement sénatorial, alors qu'on essaie de faire en sorte que l'institution fonctionne... Monsieur le Président, vous étiez comme moi à la conférence des Présidents, je crains que tout cela ne soit de l'ordre du règlement de compte suite à un ordre du jour contrarié...

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Marini

Il faut éviter de se faire prendre en otage par un débat qui est étranger à la commission des finances et qui est avant tout formel. Il ne fait aucun doute que l'article 40 a été invoqué par le Gouvernement. Dès lors, il nous revient de nous prononcer. Nous devons constater l'évidence, en dépit de conditions de procédure qui ne sont pas satisfaisantes et dont nous devrons tirer les conséquences. L'extension de l'obligation de scolarisation crée des charges publiques, ce qui est impossible pour l'initiative parlementaire. Si nous décidons du contraire, il me semble que nous serions en contravention avec le texte de la Constitution. Si, par extraordinaire, une commission des finances devenue folle considérait qu'une charge n'est pas une charge...

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Marini

c'est pourquoi je prends le soin de dire « si » ! Si la commission des finances niait l'évidence, il y a bien un juge constitutionnel ! Y a-t-il une procédure qui permettrait au Gouvernement d'invoquer l'inconstitutionnalité de ce débat, qui ne devrait pas avoir lieu ? Sincèrement, sur le fond, faut-il vraiment jouer avec cela, serait-ce une bonne image à donner ? Ne vaudrait-il pas mieux qu'il y ait, en amont du dépôt des propositions de loi, un véritable examen de recevabilité ? Nous n'avons pas voulu le faire après la révision constitutionnelle de 2008 afin de ne pas limiter l'initiative parlementaire. Personnellement, j'étais très réservé : l'article 40 est l'article 40, une charge est une charge, c'est une réalité matérielle et nier la réalité matérielle n'est jamais à conseiller. Débattons-en et tâchons de prendre la meilleure décision possible.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique de Legge

Je rejoins votre analyse et ce qui me gêne le plus, c'est l'article 2. Il dit que « les conséquences financières résultant pour les collectivités territoriales de la présente proposition de loi sont compensées à due concurrence par une majoration de la dotation globale de fonctionnement ». Je crois qu'il y a là la preuve, au-delà du fond du débat, que les auteurs de la proposition sont parfaitement conscients qu'il y aura une dépense supplémentaire.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Marini

C'est un gage, mais il est inopérant, car de jurisprudence constante, tant à l'Assemblée nationale qu'au Sénat, la création d'une charge publique ne peut pas être compensée.

Debut de section - PermalienPhoto de Serge Dassault

Je trouve que cette proposition de loi n'est pas mal et, pour ma part, je pense qu'il faudrait même, en sens inverse, poursuivre l'obligation scolaire jusqu'à dix-huit ans. Demander que les enfants puissent entrer à l'école dès trois ans, ça soulage les mamans et ça permet d'être plus au fait des relations avec les enfants, ce qui n'est pas mauvais. Le problème, c'est le coût. Avez-vous analysé un chiffre quelconque ?

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Marini

Nous n'avons pas à l'analyser ! Serait-ce un centime, ce serait une charge publique. C'est un point de droit, quelle que soit l'importance des sommes en jeu.

Debut de section - PermalienPhoto de Serge Dassault

Et pourquoi le Gouvernement ne se l'applique-t-il pas ?

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Marini

La Constitution a été conçue pour limiter l'initiative parlementaire à la sortie de la Quatrième République.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Vincent Placé

Elle n'était pas si mal la Quatrième République !

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Bricq

En 2008, nous avons eu un débat très vif autour de l'article 40. Il y avait les partisans de sa suppression et ceux qui en faisaient l'apologie. Ces derniers l'ont emporté au moment de la réforme constitutionnelle. C'est un problème qui s'est posé. Cet article bride l'initiative parlementaire. Le Sénat avait une pratique plus tolérante que l'Assemblée nationale, qui a toujours censuré les amendements irrecevables avant leur discussion. Le Sénat avait une pratique plus libérale qui consistait à laisser venir les amendements en séance, et un commissaire de permanence prononçait alors l'article 40 une fois l'amendement défendu par son auteur. C'est pourquoi j'évoque cette possibilité, afin d'apaiser une crispation survenue sur un autre texte. Nous payons le prix fort de cette crispation... C'est un retour de bâton, qui nous empêche d'exposer nos propositions. C'est pourquoi je plaide pour que nous puissions avoir un débat général, pour que l'harmonie revienne entre majorité et opposition nouvelles et pour que le Sénat fonctionne selon ses principes, mais j'ai bien compris que ma plaidoirie n'était pas convaincante...

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Marini

Le Gouvernement vise la proposition de loi dans son ensemble, mais en réalité seuls les I et II de l'article 1er, qui abaissent de six à trois ans l'âge de la scolarisation obligatoire, sont irrecevables. En les déclarant seuls contraires à l'article 40 de la Constitution, nous répondrions à la demande du Gouvernement dans le strict respect du droit, et pour autant la discussion de la proposition de loi resterait possible.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Caffet

Cela voudrait dire que l'article 2 ne serait pas concerné ?

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Marini

L'article 2 n'est pas en tant que tel touché par l'article 40. Il est en pratique inopérant. Le coeur de la proposition de loi étant irrecevable, il ne peut être examiné. Mais le reste de la proposition de loi comme support à une discussion générale peut poursuivre temporairement sa vie...

Debut de section - PermalienPhoto de André Ferrand

J'ai été très sensible à la plaidoirie de notre rapporteure générale et je suis content de vous voir formuler cette proposition d'irrecevabilité partielle, à laquelle je souscris car elle a le grand mérite de contribuer à entretenir une ambiance telle que nous la souhaitons dans cette maison.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Berson

Nous devons concilier deux exigences. Une exigence juridique et une exigence politique. Moi je vois un beau symbole : une nouvelle législature, et en début de législature, on examine un grand droit fondamental, le droit à l'éducation. Interdire au Sénat de débattre de cette question est profondément choquant. Comment peut-on lui interdire de débattre du droit à l'éducation ? Le fait que le Gouvernement invoque l'article 40 avant même que le débat n'ait lieu est une forme de provocation. Et face à cette provocation, le Sénat, dans sa sagesse, doit trouver une solution qui nous permette de débattre sans que nous soyons amenés à conclure. Votre proposition, Monsieur le Président, est sage.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Jarlier

Votre proposition permet le consensus et est, juridiquement, juste.

La commission déclare irrecevable, en application de l'article 40 de la Constitution, les I et II de l'article premier de la proposition de loi n° 63 (2011-2012) visant à instaurer la scolarité obligatoire à trois ans.