EXAMEN DU RAPPORT
La commission examine le rapport de Mme Isabelle Pasquet sur la proposition de loi n° 300 (2010-2011) relative aux expulsions locatives et à la garantie d'un droit au logement effectif.
Le droit au logement, que le Conseil constitutionnel avait érigé il y a quinze ans en objectif à valeur constitutionnelle est encore bien loin d'être effectif. La loi du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable, le Dalo, n'a pas résolu le problème comme par miracle. Bernard Seillier, le rapporteur de notre commission, avait dit à l'époque que la solution dépendait aussi du « système de construction et de mise sur le marché de logements sociaux en provenance du parc public ou privé, d'une part, de la résorption du différentiel entre la solvabilité de la demande et le coût de l'offre de location d'autre part ».
Aussi le seizième rapport annuel de la Fondation Abbé Pierre constate-t-il malheureusement l'extension de l'exclusion par le logement. Si ses résultats concrets restent minces, le Dalo est le révélateur d'une situation tendue, et d'abord en Ile-de-France. Sur 200 006 demandes déposées, seulement 25 819 personnes ont été relogées ou hébergées dans le cadre du Dalo ; le nombre des cas résolus s'élève toutefois à 38 800 si l'on tient compte des cas résolus avant le passage en commission de médiation, car le Dalo a l'effet indirect d'accélérer le traitement des dossiers. La crise économique, ce coupable idéal, est bien loin d'être la seule responsable de la détérioration de la situation à laquelle essaie de remédier la proposition de loi en renforçant la portée du Dalo et en protégeant les locataires en difficulté contre les expulsions au moment où celles-ci menacent un nombre croissant de ménages et constituent un risque majeur d'exclusion.
Le non ou le mal-logement révèlent les insuffisances de la politique du gouvernement. Selon la dernière enquête de l'Insee, 133 000 personnes étaient sans domicile en 2006, dont 33 000 dans la rue ou accueillies occasionnellement dans des structures d'hébergement d'urgence, et 100 000 accueillies temporairement dans divers dispositifs. D'autres personnes recouraient à des solutions individuelles (hôtel à leurs frais ou hébergement chez des particuliers) ; 17 % des 38 000 personnes vivant à l'hôtel avaient moins de dix-huit ans. Hors la population étudiante, les personnes hébergées par des tiers avec lesquels elles n'ont pas de lien de parenté direct forment plusieurs catégories : le noyau dur de cet hébergement contraint représentait 79 000 personnes entre dix-sept et quarante-neuf ans qui n'avaient pas les moyens d'avoir un logement indépendant bien que 43 % d'entre elles travaillaient ; plus de 50 000 personnes de plus de soixante ans, dont une majorité de femmes, vivaient chez des tiers, surtout en zone rurale. Par ailleurs, 282 000 jeunes adultes vivaient dans leur famille, faute de pouvoir accéder à un logement personnel ou d'avoir pu s'y maintenir.
Enfin, le mal-logement concernait 2,9 millions de personnes occupant des logements de fortune, sans confort ou surpeuplés.
L'Insee estimait ainsi à 3,2 millions le nombre de personnes ne pouvant accéder à un logement satisfaisant. Le rapport 2011 de la Fondation Abbé Pierre retient pour sa part une évaluation de 3,6 millions de mal-logés, en y incluant les gens du voyage victimes du manque de places en aire d'accueil. Il est du reste délicat de dénombrer les personnes vivant dans des squats, des bidonvilles, en camping à l'année, voire, comme certains travailleurs pauvres, dormant dans leur véhicule - les enquêtes spécifiques de l'Insee remontent à 1996 et 2001 pour la population sans domicile et à 2002 pour l'hébergement.
La demande de logement non satisfaite reste importante, note la Fondation Abbé Pierre. Elle s'élevait à 1 230 000 pour les logements sociaux en 2009, pour une offre de 448 100 dans le parc HLM - l'offre disponible est passée de 480 000 à 448 100 logements entre 2000 et 2009, avec un étage de 411 900 en 2005. Et la situation s'aggrave, faute de moyens pour la politique du logement.
Deux rapports récents ont relevé l'insuffisance de moyens administratifs et juridiques de l'Etat. Dans son rapport public 2009, « Droit au logement, droit du logement », le Conseil d'Etat propose des pistes pour repenser un droit du logement défini comme « un arsenal impressionnant à l'efficacité limitée », et souligne la nécessité d'un appareil statistique de qualité et d'une expertise de haut niveau. Il convient, affirme-t-il, de clarifier le rôle de l'Etat après un éclatement de la gouvernance du logement qui pénalise d'abord les plus défavorisés.
Evaluant la mise en oeuvre du Dalo, le Conseil économique, social et environnemental recommande quant à lui, dans un rapport de septembre dernier, d'élaborer une stratégie de moyen-long terme destinée à réorienter la politique du logement vers le développement de l'offre accessible.
Dans ce domaine comme dans d'autres, l'accumulation des textes n'est pas gage d'efficacité de l'action publique, surtout quand des choix financiers contestables aggravent l'insuffisance de l'effort budgétaire. Vous vous souvenez des critiques suscités par le dernier budget du logement, les rapporteurs du Sénat regrettant l'érosion des crédits, la sous-évaluation des dépenses d'hébergement d'urgence, la mise à contribution des HLM ou encore la participation des employeurs à l'effort de construction afin de compenser le désengagement de l'Etat. L'objectif de construction de logements est élevé : est-il réaliste et quelles sont les perspectives de financement de la politique du logement ?
Malgré le rabotage des niches fiscales, les finances publiques supportent toujours le poids de coûteuses défiscalisations qui ont encouragé des investissements locatifs déconnectés des besoins réels. La création du nouveau prêt à taux zéro renforcé, ouvert aux catégories jouissant des revenus les plus confortables, avait de quoi surprendre : Jean-Marie Vanlerenberghe, notre rapporteur pour avis, l'avait jugée « difficilement compréhensible ».
Ainsi que le constatait le rapport du Conseil d'Etat, il reste beaucoup à faire pour que le droit du logement soit au service du droit au logement. Le comité de suivi de la mise en oeuvre du Dalo, lançait un message d'alerte dans son quatrième rapport annuel, intitulé « L'Etat ne peut pas rester hors la loi ». La proposition de loi, qui procède de préoccupations identiques, traduit la double ambition de donner une portée plus générale au Dalo et de renforcer concrètement les moyens de lutte contre le développement des expulsions et donc contre la précarisation du logement.
Depuis 2001, les loyers du parc privé ont augmenté de 83 % et ceux du parc HLM de 27 %. Avec la stagnation du pouvoir d'achat, la montée du chômage et du travail précaire, les dépenses de logement deviennent insupportables pour les travailleurs pauvres comme pour les ménages à revenu modeste ou moyen : on a prononcé 110 000 décisions judiciaires d'expulsion en 2009. Il faut arrêter de fabriquer des exclus !
Mais un mot, d'abord, du rapport. Normalement, notre commission doit adopter un texte à l'issue de sa discussion. Dans l'hypothèse où elle ne suivrait pas mes conclusions, ce que je regretterais beaucoup, l'accord politique conclu entre les présidents de groupe la conduira à ne pas adopter de texte, afin que le débat porte en séance publique sur le texte initial. C'est pourquoi le projet de rapport écrit rend compte du point de vue que je défendrai, puis de celui de la commission : les positions de chacun seront clairement indiquées avant la séance publique.
J'en viens à l'examen des articles.
L'article 1er élargit le Dalo à toute personne résidant sur le territoire national et donne compétence à toutes les personnes publiques pour s'assurer de la mise en oeuvre effective de ce droit. En effet, la loi de 2007 était destinée à rendre effectif un droit considéré comme universel par des textes internationaux, transcendant donc, comme d'autres droits fondamentaux, le statut administratif des individus. C'est pourquoi les auteurs de la proposition de loi considèrent que le clivage opéré entre nationaux et étrangers, entre étrangers européens et extra-européens, contredit l'affirmation d'un Dalo garanti par l'Etat.
Les conditions de régularité et de durée de la résidence en France ont d'ailleurs été critiquées. La Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (Halde) a considéré, en novembre 2009, que la différence de traitement entre étrangers communautaires et non communautaires constituait une discrimination. Le Conseil d'Etat a relevé que le texte en vigueur ne règle pas le cas des étrangers en situation régulière sollicitant un regroupement familial. En outre, cette ouverture du Dalo serait cohérente avec la jurisprudence du Conseil constitutionnel selon laquelle la possibilité pour toute personne de disposer d'un logement décent est un objectif de valeur constitutionnelle. Enfin, laisser les étrangers en situation irrégulière à l'écart du Dalo favorise les marchands de sommeil.
Par ailleurs, si l'Etat est le garant du droit au logement, il apparaît utile d'inciter à l'action concertée de toutes les autorités pour satisfaire la demande de logements : c'est aussi l'objet de cet article.
L'article 1er renforce le Dalo, j'y suis favorable.
L'article 2 interdit à l'Etat de prêter son concours à l'exécution d'une expulsion locative lorsque le locataire n'est pas en mesure d'accéder à un autre logement par ses propres moyens et n'a pas reçu de proposition de relogement adaptée. Cela inciterait à la prévention des expulsions et protègerait des ménages à la merci du moindre accident de parcours sans pénaliser les propriétaires, puisque le refus de concours de la force publique leur permet d'obtenir une indemnisation équivalente au loyer et aux charges du logement.
L'article 3 du texte reprend des préconisations communes au Conseil économique, social et environnemental et au comité de suivi du Dalo : il a pour objet de surseoir à l'expulsion des personnes ayant demandé à bénéficier du Dalo et, si la commission de médiation a conclu au caractère prioritaire de leur demande, il exclut leur expulsion avec le concours de la force publique, tant qu'on ne leur a pas proposé un logement adapté.
Le gage prévu à l'article 4 ne sera probablement pas nécessaire car le relogement des personnes menacées d'expulsion est la solution la moins coûteuse pour l'Etat.
A-t-on les moyens de nos ambitions ? Bien sûr, il est inadmissible que des personnes dorment dans leur voiture, qu'elles soient privées de toit. J'ai cru comprendre que vous vouliez élargir le droit au logement aux étrangers en situation irrégulière ; il me semble pourtant qu'il serait nécessaire de distinguer entre hébergement et logement. Si vous avez raison sur les marchands de sommeil, qu'il faudrait mieux contrôler et sanctionner plus lourdement, je me demande qui paiera l'indemnité grâce à laquelle les propriétaires ne seront pas lésés. L'Etat ?
Enfin, je pense que l'on ne doit pas confondre logement privé et logement social.
Je remercie Isabelle Pasquet de la qualité de son travail. Son rapport nous fait redécouvrir un sujet que nous croyions connaître et qui préoccupe une majorité de Français - et je participe tous les ans, le 1er février, au grand rassemblement de la Fondation Abbé Pierre contre le mal-logement...
Le droit au logement, quoiqu'inscrit dans les textes depuis 1946, peine à vivre dans les faits. On voudrait nous faire croire que le problème est réglé alors que la situation se dégrade, et que toujours plus de familles subissent le mal-logement. Les quatre articles de la proposition de loi affirment une volonté de politique publique. On n'assurera pas le droit au logement par la marchandisation ; on leurre les Français en les incitant à devenir propriétaires de leurs logements car leurs rémunérations ne le leur permettent pas.
La définition du droit au logement est trop limitative. Nous le savons bien, nous qui sommes très engagés dans la lutte contre les expulsions locatives en l'absence de relogement. Nous ne défendons pas les locataires de mauvaise foi, nous dénonçons cette négation du droit au logement au moment où le chômage explose, où la précarité progresse et où les offices d'HLM entérinent deux hausses de loyer en janvier et en juillet.
Le Dalo n'apporte aujourd'hui qu'une réponse insuffisante. Faut-il rappeler que 3,2 millions de Français vivent dans des conditions insatisfaisantes et que le décalage grandit entre leurs ressources et les loyers ? Cette proposition de loi est importante. Elle est justifiée.
On le sait, de nombreux logements sont vacants. Comment obliger leurs propriétaires à les louer ? Ne pourrait-on aussi transformer en logements des locaux vacants, des bureaux ?
Je félicite à mon tour Isabelle Pasquet. Même si l'on a du mal à quantifier le mal-logement et le non-logement, on sait qu'il touche entre 3 millions et 3,5 millions de personnes, et on voit que ce nombre s'accroît. Sur le terrain, les dispositifs d'hébergement sont saturés, les listes d'attente s'allongent et l'hébergement par des tiers augmente. Le rapport met en évidence les insuffisances de la loi Dalo. On ne construit pas assez et on le paie - ce qui n'empêche pas de sanctionner des communes qui font des efforts pour atteindre les 20 %. L'envolée des prix de l'immobilier empêche ceux qui le pourraient de sortir du parc social, hypothéquant ainsi l'entrée de nouveaux locataires. Défendre le droit au logement, c'est aussi lutter contre les expulsions, comme l'a préconisé le comité de suivi du Dalo.
Mes premiers mots seront pour remercier notre collègue de son travail, car il en faut pour élaborer un rapport de qualité. Je la rejoins sur certains points. Tout le monde devrait disposer d'un logement décent, mais l'on voit de plus en plus que ce n'est pas le cas. Je veux cependant attirer l'attention sur la fragilité des familles. L'expulsion intervient au terme d'un parcours chaotique. Il faut mener un travail de prévention et, pour cela, réfléchir au surendettement.
L'article 2 me fait craindre que le tri des familles en amont, par les commissions locatives, soit encore plus restrictif. Cela risque de pénaliser le public que l'on veut aider.
Les communes souhaitent construire des logements sociaux. La semaine dernière, un représentant de La Maison flamande me disait que les aides de l'Etat à la construction ont beaucoup diminué. S'agissant du logement social, on constate qu'il y a encore dans le parc HLM des personnes qui devraient être dans le privé. Un mot enfin du quota des 20 % de logements sociaux. Ma commune de 3 500 habitants ne compte aujourd'hui que 12 % de logements sociaux parce que nous avons accepté d'en vendre un certain nombre à leurs locataires, à leur demande. Lors du vote de la loi Daubresse, j'avais déposé un amendement pour que l'on continue à prendre en compte ces logements dans le quota des 20 % pendant dix ans après leur vente ; on a transigé à cinq mais cette période courte est vite passée. Il faudra peut-être se demander si les pénalités sont justifiées dans ce cas car j'en suis aujourd'hui à refuser les demandes de vente que j'acceptais hier.
Je m'étonne qu'on nous ait distribué le rapport avant même que nous en ayons débattu !
Notre rapporteure vous en a expliqué la raison et j'attire votre attention sur le fait qu'il s'agit là d'un projet de rapport.
Il est intéressant mais je regrette qu'il semble montrer que la commission va rejeter la proposition de loi. En charge du logement social dans mon département, je siège à la commission Dalo. Nous ne pouvons pas faire de miracle car, pour pouvoir reclasser les gens, encore faudrait-il qu'on construise plus de logements... On s'aperçoit aussi qu'on a sous-estimé la décohabitation, ces jeunes qui vivent chez leurs parents parce qu'ils n'ont pas trouvé de logement ou ces couples divorcés qui continuent de partager leur logement. Ces familles mosaïques rendent plus complexe encore la situation. Alors nous aidons les associations, faute de pouvoir mobiliser le parc des stations balnéaires qui n'est occupé que quelques semaines par an.
Il y a entre 3,2 millions et 3,6 millions de personnes sans logement ou mal logées. Nous devons consentir un effort, les expulsions attirent notre attention immédiate et nous ne pouvons intervenir qu'à la marge : songez que la moitié des ressources du fonds de solidarité pour le logement est utilisée pour régler des factures d'électricité et de gaz... Nous avons besoin de moyens pour agir, d'instruments pour organiser la fluidité.
Garantit-on le droit au logement en se focalisant sur les expulsions ? S'il est important que le Parlement se saisisse régulièrement de cette question, la proposition de loi souffre d'une vision très restrictive. Le droit au logement va bien au-delà. Quand on arrive à l'expulsion, il est trop tard. Aussi des associations travaillent-elles en accompagnement. En revanche, contrairement à ce que l'on croit parfois, le droit au logement n'est pas le droit au maintien dans le logement.
Face à la pauvreté et à la précarité, il faut évoquer la situation du logement et le fait que de jeunes couples ne parviennent à trouver de logement ni dans le parc social, ni dans le privé. Les jeunes travailleurs, les étudiants, occupent souvent des logements précaires. Je n'oublie pas la décohabitation, les divorces et l'urgence de certaines situations. Là aussi, l'accompagnement est indispensable.
Un mot ensuite des répercussions sur le parc privé. La défiscalisation a suscité des constructions dans des communes qui n'en ont absolument pas besoin et qui ne trouvent d'ailleurs pas preneur.
En Ile-de-France, les constructions ne répondent pas aux besoins. J'approuve l'initiative de certaines communes qui reprennent et rénovent des constructions anciennes situées en centre-ville et que leurs propriétaires ne peuvent plus ou pas entretenir. Elles sont alors conduites à élaborer des montages financiers complexes mais qui leur évitent de construire des logements sociaux en périphérie. Je considère d'ailleurs que c'est une erreur que de concentrer le logement social en banlieue des agglomérations car on aggrave alors les problèmes des occupants, ne serait-ce que celui des transports. Il faut encourager de telles initiatives. En revanche quand le plan local d'urbanisme (PLU) oblige à prévoir des logements sociaux dans les programmes de plus de cinq logements, cela ne se passe pas toujours très bien car la mixité dissuade certains acquéreurs - les communes doivent alors faire preuve de volonté. En un mot, il faut reprendre le problème du logement dans une perspective plus générale et en étant attentif à l'accompagnement.
La proposition de loi, si elle ne traite essentiellement que des expulsions, suscite un débat beaucoup plus large. La ville dont je suis maire compte 17 000 habitants et 60 % de logements sociaux. Ce n'est pas une mince affaire et l'on mesure les dégâts de la défiscalisation Scellier, qui conduit à vendre plusieurs logements à un investisseur, lequel n'assurera pas tout le suivi que cela implique - il faut arrêter cela tout de suite.
Le paradoxe du Dalo, c'est que l'affectation de logements intervient d'abord dans les communes où il y a le plus de logements sociaux. Je ne dis pas que c'est la double peine pour ne pas opposer entre elles les personnes en difficulté, mais je vois bien comment la préfecture utilise les contingents qu'elle s'est réservés. Il nous faudra faire preuve d'imagination tout en incitant l'Etat à assumer ses responsabilités sur le coût du foncier. La flambée de l'immobilier est telle qu'un jeune couple qui travaille ne parvient plus à trouver de logement à Lyon ni dans la première ceinture, parce que le logement privé est inaccessible.
Oui, je rejoins Isabelle Debré sur la distinction entre hébergement et logement mais, contrairement à elle, je crois que trancher entre défiscalisation et construction de logement social ne pose pas la question des moyens financiers dont on dispose : c'est un choix politique. Interrogeons-nous : le droit au logement doit-il rester une bonne intention, un objet de communication ?
Je partage votre analyse sur la situation catastrophique du foncier en région parisienne. Ma ville met la main à la poche et il faut produire du mixte. On ne peut pas dire que le Gouvernement se désengage alors qu'on construit énormément de logements sociaux. La question est de parvenir à un bon équilibre. Dans ma ville de 18 000 habitants, nous avons 22 % de logements sociaux et nous établissons la mixité plutôt que de créer des quartiers voués au logement social.
Si des logements restent vides, c'est aussi parce que les gens ont peur de les louer. Voilà pourquoi, au Pecq comme à Versailles, nous essayons, par des garanties, de les ouvrir à des étudiants. Vous proposez d'empêcher les expulsions et assurez que les propriétaires ne seront pas lésés par la mesure proposée puisque le refus de concours de la force publique leur permet d'obtenir une indemnisation... Mais qui paiera ? L'Etat, et ce n'est pas le moment. L'affichage d'une telle mesure aurait un effet dissuasif sur ceux qui pourraient louer des logements.
Quand nous sommes arrivés à la mairie de ma commune de 14 000 habitants, en 2008, il n'y avait que 10,5 % de logements sociaux. Nous avons rendu obligatoire d'en inclure 25 % à 30 % dans toute opération d'au moins cinq logements, ce qui ne m'empêche pas de payer une pénalité de 55 000 euros pour non-atteinte de l'objectif - vous imaginez mon état d'esprit quand je reçois la facture, alors que de plus grandes communes, qui n'en font pas tant, n'y sont pas assujetties ! Non seulement l'Etat se désengage, mais encore il sanctionne les collectivités qui accomplissent des efforts !
Si le débat, comme on vient de le voir, va bien au-delà, la proposition de loi se concentre sur les expulsions parce qu'elle essaie de corriger l'incohérence entre la mise en oeuvre du droit au logement et la réalité du recours à celles-ci. L'article 1er met notre droit en harmonie avec les textes internationaux. Le droit au logement est un droit universel.
S'agit-il, pour les étrangers en situation irrégulière, de logement ou d'hébergement ?
De logement : ils ont déjà l'hébergement.
Un mot des indemnités : elles sont accordées aujourd'hui lorsque le concours de la force publique aux expulsions est refusé.
Sur les logements vacants, la taxation est insuffisante, mais la question est complexe.
Quant au problème des logements sous-occupés, il est lié à la crise du logement car les personnes âgées qui se retrouvent seules dans de grands appartements, ou les familles qui dépassent les plafonds, n'ont pas les moyens de se reloger dans le parc privé.
Dans ma toute petite commune, on a voulu faire changer d'appartement deux familles qui n'avaient plus d'enfants à charge mais, pour une surface inférieure, le loyer était plus cher de 40 euros : c'est aberrant ! Dans ce genre de cas, et dans les communes de plus de 3 500 habitants, les bailleurs ont l'obligation de donner aux familles le choix entre deux ou trois logements de loyer équivalent, mais la loi n'est pas appliquée.
Selon Roselle Cros, empêcher les expulsions ne garantit pas le droit au logement ; mais cela permet au moins de maintenir les gens dans leur logement. L'accompagnement fait défaut : dans le logement social, on fait toujours une enquête en cas d'impayés, mais dans le privé on s'oriente plus vite vers le contentieux et l'expulsion. C'est la raison pour laquelle il pourrait être utilement envisagé que les astreintes soient versées au fonds de solidarité pour le logement (FSL) pour financer la prévention.
Vous avez évoqué 110 000 décisions d'expulsion, mais savez-vous comment elles se répartissent entre le public et le privé ? A Angers, nous avons eu récemment une réunion avec les agents du parc privé, qui disposent d'un certain nombre de logements vacants, dont les loyers ne sont pas supérieurs à ceux des logements sociaux neufs. Ils n'arrivent pas à mettre en place un véritable partenariat avec les collectivités et les bailleurs publics.
Dans ma commune, qui passait naguère pour le « Neuilly angevin », j'ai fait passer le taux de logements sociaux de 5,5 % à 9 % en 2008, malgré des difficultés considérables. Mais lorsqu'on entend que 80 % de la population française est éligible au logement social, on se dit que l'Etat et les collectivités dépensent beaucoup d'argent pour loger des familles qui ont les moyens de vivre dans le parc privé. Il faut concentrer nos efforts sur ceux qui en ont vraiment besoin ! La revalorisation des loyers privés est restée faible ces derniers temps. J'ai arrêté de vendre des logements sociaux à leurs habitants car il est arrivé plusieurs fois que les nouveaux propriétaires s'achètent ensuite une maison et louent leur ancien logement à un prix bien supérieur à leur précédent loyer. Pourquoi ne pas faire signer aux familles, à l'entrée dans le parc social, un contrat stipulant que si leur composition ne correspond plus au type de logement où elles sont logées, elles devront partir ? Les dispositions législatives existent mais elles ne sont pas appliquées.
En Martinique et en Guyane, les bidonvilles se répandent et méritent un traitement particulier. La proposition de loi en parle-t-elle ?
Pas spécifiquement mais il se trouve que c'est précisément l'objet de la proposition de loi suivante à notre ordre du jour.
J'en viens donc à une autre remarque. Le directeur de la société de HLM dont je suis président m'a fait savoir que le Gouvernement comptait renforcer le pouvoir des préfets dans l'attribution de logements sociaux aux familles en difficulté, au détriment des maires et des présidents d'offices HLM. Cela dissuadera les maires d'accueillir des logements sociaux dans leurs communes, car ils n'en auront plus la maîtrise. En outre, le Gouvernement veut concentrer les moyens là où la demande est la plus forte, c'est-à-dire dans les villes, et ne subventionnera plus de logements sociaux dans les campagnes : le problème se pose par exemple dans l'Oise. On court à la catastrophe en concentrant les populations démunies dans les quartiers sensibles ! C'est reproduire ce que l'on critique tant par ailleurs ! Je l'ai dit au ministre Benoîst Apparu, et je le répéterai chaque fois que nécessaire.
On assiste en effet à la ghettoïsation et la paupérisation des quartiers populaires, où sont concentrées les familles les plus en difficulté. Trop de logements sociaux sont occupés par des familles qui n'ont rien à y faire, mais les offices HLM sont dans l'incapacité de suivre l'évolution de leur composition et de leurs moyens. Dans ma commune se sont constitués quatre bidonvilles, comme à l'époque de l'abbé Pierre, où vivent des Roms, populations très stigmatisées.
Pour répondre à Catherine Deroche, on ne connaît pas la répartition des décisions d'expulsion entre le public et le privé. On ne sait pas non plus combien de familles ont effectivement été expulsées, mais seulement le nombre des cas où le concours de la force publique a été demandé, ou accordé.
Enfin, j'indique à Alain Vasselle que les préfets disposent d'un contingent pour mettre en application le droit au logement : c'est la loi qui le prévoit. Le problème tient au manque de logements.
Aucun amendement n'a été déposé sur ce texte. Pour répondre à Christiane Demontès et Jacky Le Menn qui s'étonnaient de la distribution anticipée du rapport, j'indique que nous avons procédé de la même manière que lors d'une précédente proposition de loi rapportée par Annie David.
Il n'y a pas, me semble-t-il, de majorité pour adopter ce texte. Je vous propose donc, conformément à la procédure habituelle pour les propositions de loi des groupes de l'opposition devant être examinées dans le cadre d'une « niche », de ne pas adopter ce texte afin de lui permettre de poursuivre son chemin en séance. L'intérêt qu'elle suscite parmi vous montre d'ailleurs qu'il y a un vrai problème de logement. Nous examinerons la semaine prochaine les éventuels amendements extérieurs, et le texte est inscrit à l'ordre du jour de la séance publique mercredi prochain à 16 h 30.
La commission examine ensuite le rapport pour avis de M. Serge Larcher sur la proposition de loi n° 267 (2010-2011), adoptée par l'Assemblée nationale, portant dispositions particulières relatives aux quartiers d'habitat informel et à la lutte contre l'habitat indigne dans les départements et régions d'outre-mer, dans le texte adopté par la commission de l'économie le 13 avril.
Une question préalable : est-ce une règle définie par tous les groupes politiques du Sénat que de ne pas débattre au fond des propositions de lois en commission ? Le présent texte aura-t-il le même sort que le précédent ?
La règle définie par la Conférence des présidents veut que, lorsqu'une proposition de loi de l'opposition risque d'être rejetée en commission alors qu'elle doit être examinée en séance dans le cadre d'une « niche », on ne la rejette pas en commission afin que le débat s'ouvre sur le texte initial. Toutes les commissions respectent ce principe. Mais la présente proposition de loi est d'une autre nature : elle émane de l'Assemblée nationale ; elle a été votée à l'unanimité par les députés, puis par la commission de l'économie du Sénat ; enfin, c'est un rapport pour avis que Serge Larcher va nous présenter.
La crise du logement que l'on connaît en métropole - ou plutôt, dirai-je, en France hexagonale - est encore plus aiguë en outre-mer, où elle présente des particularités qui nécessitent d'adapter les outils juridiques habituels. Il faut notamment prendre en compte les risques naturels, sismiques ou climatiques, et les contraintes topologiques, qui accroissent les coûts de construction ou de réhabilitation.
En outre, le foncier disponible et aménagé est rare et cher ; le comité de suivi de la mission commune d'information du Sénat sur la situation des Dom a d'ailleurs fait du foncier son thème de travail pour 2011. Le secteur du bâtiment est exposé aux surcoûts liés à l'éloignement des sources d'approvisionnement en matériaux, mais aussi à de fréquentes surchauffes qui créent une tension permanente sur les prix. Les difficultés budgétaires des collectivités territoriales les empêchent d'investir dans certains projets d'aménagement ou de construction d'équipements collectifs.
L'expansion urbaine, concentrée sur quelques communes et consécutive à la croissance démographique et à l'exode rural, a été plus rapide et plus brutale qu'en métropole, alors même que la question de la propriété foncière n'était pas réglée : la fin de l'esclavage, par exemple, n'a été que partiellement et tardivement prise en compte en termes de propriété ou d'attribution de terrains aux anciens esclaves ou descendants d'esclaves ; l'indivision est un mal endémique qui n'a jamais été traité par les autorités administratives.
Enfin il ne faut pas oublier que, pour des raisons historiques, l'Etat est le principal propriétaire foncier de nos départements, par son domaine public et son domaine privé. La zone des cinquante pas géométriques, créée sous l'Ancien régime pour protéger les rivages des Antilles, appartient au domaine public de l'Etat et comprend les terrains situés entre le bord de mer et une ligne fictive parallèle tracée à 81,2 mètres. Réminiscence du domaine royal, elle est aujourd'hui largement mitée par une urbanisation diffuse, que l'Etat n'a pas contrôlée et commence à peine à prendre vraiment en compte.
C'est pourquoi, au moment de l'exode rural, beaucoup d'habitants ont été amenés à construire des bâtiments, petits et précaires au début - des « cases» -, sur des terrains qui ne leur appartenaient pas et sur lesquels ils n'avaient aucun droit. Cette présence massive d'habitations construites sans droit ni titre est souvent ancienne et acceptée. Ces habitations sont parfois insalubres, mais pas toujours. Elles peuvent être construites sur un terrain public ou privé. Elles sont même quelques fois données en location, dans des conditions de bonne foi, voire soumises aux taxes foncières. Cette occupation sans droit ni titre se traduit par une déconnexion de fait entre le propriétaire du foncier et le propriétaire du bâtiment. Or cette habitation constitue le plus souvent le seul patrimoine de son propriétaire. On estime à 50 000 le nombre des ménages concernés dans les quatre Dom. Je vous renvoie aux rapports publiés en 2006 et en 2008 par notre ancien collègue Henri Torre.
Cette particularité juridique n'est pas sans lien avec le drame de l'insalubrité : la proportion de logements classés comme insalubres par l'Etat est d'environ 8 % en métropole et 26 % outre-mer ; la part de la population qui y vit à 3,25 % en métropole et 8,4 % outre-mer.
A ce sujet, Serge Letchimy, député et président du conseil régional de Martinique, a rendu au Gouvernement, en septembre 2009, un rapport qui fait référence. Il y précise que les services de l'Etat en Guadeloupe, en Martinique, en Guyane et à La Réunion dénombrent environ 50 000 logements insalubres abritant plus de 150 000 personnes. Rapporté à la population de métropole, ce pourcentage correspondrait à six millions de personnes ! Et c'est sans compter Mayotte ! Le même rapport fait un constat très critique de la dynamique de la politique de la ville, de l'échec des procédures de résorption de l'habitat insalubre en outre-mer et du déficit de gouvernance. Il pointe du doigt l'ignorance des spécificités sociales et culturelles qui rendent inapplicables et inopérants des dispositifs créés pour la métropole. A la suite de son rapport, Serge Letchimy a déposé la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui et qui vise à améliorer les outils législatifs de lutte contre l'insalubrité, en les adaptant notamment au cas des occupants de locaux sans droit ni titre.
La première section de la proposition de loi tend à favoriser le départ des occupants sans droit ni titre, en ouvrant la possibilité de leur attribuer une aide qui compense la perte de leur domicile. Plusieurs conditions restrictives sont énoncées : le départ doit être lié à la réalisation d'une opération d'aménagement rendant nécessaire la démolition des locaux, menée par une personne publique ou son concessionnaire, qui assume alors la charge de l'aide éventuelle ; ces locaux doivent être la résidence principale des occupants et l'occupation avoir été continue et paisible sur une période minimale de dix ans ; les occupants ne doivent pas avoir fait l'objet d'une procédure d'expulsion. Cette proposition de loi n'est donc pas faite pour régulariser une situation exorbitante du droit commun, mais pour la résoudre, de manière pragmatique, par le départ volontaire des occupants. Le barème de l'aide financière sera fixé par le Gouvernement, qui n'a pas encore mis à l'étude son montant ni l'opportunité de faire varier celui-ci selon les territoires. Enfin, des obligations de relogement ou d'hébergement d'urgence seront à la charge de la personne publique à l'initiative de l'opération d'aménagement.
Dans ce cadre général, l'article 1er concerne les personnes qui occupent dans le domaine d'une personne publique des locaux à usage d'habitation ou à usage professionnel ou commercial ; l'article 2 vise les occupants de terrains privés. L'article 3 permet d'attribuer une aide aux personnes qui ont construit un local à usage d'habitation et l'ont donné en location. Il arrive en effet que des gens, après plusieurs années, réussissent à se reloger dans de meilleures conditions et louent leur ancien logement édifié sans droit ni titre, souvent à des membres de leur famille. Le texte ne vise que ce cas de figure et pose plusieurs conditions, afin de ne pas ouvrir la porte aux marchands de sommeil qui sévissent également en outre-mer, et surtout en Guyane et à Mayotte, aux dépens d'étrangers en situation irrégulière. Les articles 4 et 5 précisent certaines modalités d'application.
L'article 6 permettra d'attribuer une aide au départ à ceux qui ont construit leur résidence principale dans une zone dangereuse en raison de risques naturels, ce qui est malheureusement fréquent dans nos territoires. Nombreux sont ceux qui, faute d'espace foncier, ont dû construire leur logement dans des ravines ou sur des pentes escarpées, sans que l'Etat intervienne pour faire respecter le principe de précaution. L'aide sera alors financée par le fonds de prévention des risques naturels majeurs, dit fonds Barnier.
La deuxième section adapte les mesures habituelles de police - arrêté d'insalubrité et arrêté de péril - aux situations d'occupation sans droit ni titre. L'article 7 organise la mesure statistique et le repérage des terrains et secteurs d'habitat informel ; le rapport Letchimy mettait clairement en avant l'absence de données fiables et exhaustives en la matière. L'article 8 permet au préfet de définir, dans les secteurs d'habitat informel identifiés à l'article précédent, des périmètres dans lesquels il pourra déclarer l'insalubrité de locaux désignés comme impropres à un usage d'habitation pour des raisons d'hygiène, de salubrité et de sécurité. Ces périmètres devront s'inscrire dans un projet global d'aménagement et le préfet pourra y prescrire des travaux de démolition ou d'amélioration. On pourra ainsi faire face à un problème que les procédures actuelles de résorption de l'habitat insalubre ne permettent pas de traiter, celui des quartiers où les immeubles ne sont pas tous insalubres.
Les articles 9 et 10 adaptent les procédures usuelles d'arrêté d'insalubrité pris par le préfet et d'arrêté de péril pris par le maire aux occupations sans droit ni titre. L'article 11 prévoit la transmission au procureur de la République et aux caisses d'allocations familiales des arrêtés pris en application des articles précédents. L'article 12 tire les conséquences sur le plan pénal, de la méconnaissance des mesures prises en application de ces articles. L'article 14 limite le champ d'application de cette section aux départements d'outre-mer et à Saint-Martin.
L'article 15 concerne Mayotte. Il permet à l'Etat de céder à titre gratuit des terrains situés dans la zone des cinquante pas géométriques aux collectivités territoriales, à leurs groupements et aux organismes de logement social, dans des quartiers délimités par le préfet où l'état des constructions justifie leur traitement par une opération publique. Il s'agit là aussi de résorber l'habitat informel et de faciliter la transmission de propriété aux opérateurs locaux d'aménagement.
L'article 16, qui concerne l'ensemble du territoire national, simplifie la procédure de l'état d'abandon manifeste, en s'inspirant de la procédure de carence dans des copropriétés fragiles. Il s'agit d'accélérer la prise en charge par la collectivité des locaux menaçant ruine et dangereux pour le voisinage.
Cette proposition de loi a été adoptée à l'unanimité par les députés avec le soutien du Gouvernement. La commission de l'économie, saisie au fond, a voté - là encore à l'unanimité - des amendements qui la rendent plus opérationnelle et plus sûre juridiquement. Plusieurs questions ont été soulevées au cours de ses débats, et d'abord celle du champ d'application de la loi : il était initialement prévu, pour des raisons de constitutionnalité, de rendre la première section applicable à tous les départements français, et la ministre Marie-Luce Penchard a abondé en ce sens lors de son audition. Si les occupations sans droit ni titre, continues et paisibles pendant au moins dix ans, sans procédure d'expulsion et dans des conditions de bonne foi, sont tout à fait exceptionnelles en métropole, la commission de l'économie a cependant souhaité restreindre le champ d'application de la mesure aux Dom et à Saint-Martin. Je comprends cette position et la crois fondée juridiquement.
Le débat porte en fait sur le sens de l'article 73 de la Constitution, qui prévoit que les lois et règlements « peuvent faire l'objet d'adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières » des départements et régions d'outre-mer. Nous en avons parlé l'an dernier en Martinique, lors du référendum sur le passage au régime de l'article 74, qui ouvre la voie à des statuts dérogatoires. En l'espèce, la question du champ d'application ne me semble pas primordiale. L'important est de se donner les moyens de lutter contre l'habitat insalubre, donc d'adapter les procédures nationales.
On ne peut ignorer le cas des étrangers sans titre de séjour, en Guyane et à Mayotte surtout. La proposition de loi permet aux personnes publiques qui réalisent une opération d'aménagement de verser une aide à des occupants sans droit ni titre, y compris à des étrangers sans titre de séjour, nombreux dans ces deux départements et qui vivent le plus souvent dans des secteurs d'habitat informel et insalubre. La ministre de l'outre-mer a estimé que les préfets n'autoriseraient le versement d'une aide qu'aux seules personnes en situation régulière, mais c'était faire fi du droit : le texte ne le prévoit pas. Nous discuterons sans doute de ce sujet en séance ; il est difficile de trouver le juste équilibre car le dispositif doit rester opérationnel, mais il ne faut pas créer d'appel d'air. L'aide, dont le montant sera assez faible, ne sera versée que dans des cas spécifiques, sous une condition de résidence de dix ans ; et restera facultative. Peu d'étrangers en situation irrégulière y seront donc éligibles, moins encore devraient faire les démarches nécessaires pour en bénéficier.
Enfin, je signale à votre attention que l'article 13 de la proposition de loi prévoit la possibilité de créer des groupements d'intérêt public chargés des quartiers d'habitat dégradé. La commission de l'économie devrait proposer en séance la suppression de cet article rendu inutile par la proposition de loi de simplification du droit, définitivement adoptée par le Parlement et déférée au Conseil constitutionnel.
En conclusion, je remercie le bureau de la commission d'avoir organisé la semaine dernière une mission d'études en Martinique et en Guyane. Vous avez pu voir de vos yeux les quartiers dont je parlais : Trénelle ou Volga-Place à Fort-de-France, Mont Baduel ou Marine à Cayenne, ou encore la commune de Saint-Laurent-du-Maroni.
Sur le papier, cette proposition de loi peut surprendre car elle déroge au droit commun, mais celui-ci ne répond pas aux problèmes de nos départements, et notamment à l'occupation massive sans droit ni titre du domaine public ou privé. Elle constitue donc un outil à la disposition des opérateurs locaux pour lutter contre l'insalubrité et aménager ces quartiers, mais pour être efficace elle devra s'accompagner d'une politique du logement et de la ville ambitieuse. Quoi qu'il en soit, je vous propose de donner un avis favorable à l'ensemble de la proposition de loi dans le texte issu des travaux de la commission de l'économie et j'espère que notre commission sera elle aussi unanime.
Comme l'a dit Serge Larcher, plusieurs d'entre nous - dont Raymonde Le Texier, Jacky Le Menn et Alain Vasselle, ici présents, et moi-même - nous sommes rendus la semaine dernière en Martinique et en Guyane, et nous avons visité ces quartiers.
Je félicite notre collègue de son exposé très clair, qui tient compte des réalités du terrain. L'occupation sans droit ni titre est fréquente en outre-mer, alors qu'elle est très rare en métropole.
Mais je m'inquiète d'un appel d'air qui favoriserait l'afflux d'étrangers en situation irrégulière. L'homme, quand il ne se sent pas bien chez lui, va voir ailleurs : c'est bien naturel. Mais il en résulte des problèmes terribles, par exemple à Mayotte où, malgré deux ou trois radars, les étrangers arrivent tout de même à bord d'embarcations de fortune...
Dans les quartiers évoqués par Serge Larcher, tous les logements ne sont pas insalubres : certains valent bien mieux que des « cabanes ». Ils sont parfois loués et sous-loués.
Les objections d'Alain Gournac auraient pu me convaincre si je n'avais pas fait ce voyage en outre-mer la semaine dernière. A la Martinique, l'exode rural a été massif dans les années 50, suite au déclin de la culture de la canne à sucre supplantée par la betterave, et des milliers de familles se sont installées à la limite de Fort-de-France, au pied des collines. Elles ont construit des habitations faites de morceaux de tôle et de bois, remplacés plus tard par des parpaings ; des étages se sont ajoutés au fil des années. La densité de population y est devenue incroyable, alors qu'il n'y a aucun système d'assainissement ; pour parvenir jusqu'au sommet, la côte est très abrupte et des personnes âgées, là-haut, vivent prisonnières chez elles. Il suffirait d'un incendie pour que toutes les habitations brûlent, d'une tempête un peu forte pour qu'elles soient noyées ou qu'elles s'effondrent dans une coulée de boue, sans parler des risques sismiques. Il n'y a pas d'autre politique possible que de faire dans la dentelle et d'améliorer peu à peu la sécurité, le système d'assainissement, etc.
Aujourd'hui les gens qui vivent là appartiennent à la deuxième génération : ils sont nés dans ces maisons et tombent des nues lorsqu'on leur dit qu'ils n'ont aucun titre de propriété. Il est parfois indispensable de raser certaines maisons - ne serait-ce que pour tracer un chemin jusqu'au sommet -, mais il faut dédommager leurs habitants pour qu'ils ne se retrouvent pas sans rien. La collectivité procède intelligemment, par des mesures concrètes et je dis : chapeau !
Pour en venir à la question de l'immigration illégale, je ne connais pas Mayotte, mais en Guyane les frontières avec le Brésil et le Surinam sont incontrôlables et tandis qu'on s'occupe de reloger dix familles, cinquante autres arrivent : c'est le tonneau des Danaïdes. Mais ce n'est pas l'aide prévue par ce texte qui aggravera les choses : il ne s'agit que d'indemniser des gens pour des cabanes, et peut-être Alain Gournac a-t-il vu des villas, mais nous n'avons vu que des taudis...
N'oublions pas qu'il s'agit de départements français. Je voterai ce texte des deux mains.
On ne peut qu'approuver les principes généraux de ce texte, que la commission de l'économie a enrichi. Il faut tenir compte des spécificités de la Guyane, où il existe une immigration sauvage, problème qu'il faut résoudre en particulier sous l'angle du logement. Les maires y sont directement confrontés, et doivent apporter des solutions d'urgence : je pense au maire de Saint-Laurent-du-Maroni ou à la maire de Cayenne. Ce texte fournit des outils qui permettront peut-être de faire avancer les choses. Si l'on ne fait rien, le problème ne fera que s'aggraver. Il faut faire preuve d'humanité, même pour les gens qui n'ont ni titre de propriété, ni titre de séjour.
Nous soutiendrons nous aussi ce texte. En outre-mer, les problèmes que l'on rencontre en métropole se posent à la puissance dix. Je n'étais pas du voyage de la semaine dernière, mais je me souviens d'un voyage plus ancien : hélas, les réalités ont la peau dure. Cette proposition de loi est un petit pas dans le bon sens.
Je remercie Serge Larcher, dont l'exposé très clair a répondu à certaines de mes interrogations. Mais d'autres questions demeurent. Ce texte permettra que les plus défavorisés vivent dans des conditions plus humaines. Mais on ne résorbera l'habitat informel ou indigne qu'en construisant des logements sociaux - c'est la responsabilité de l'Etat - et en réglant définitivement la question de la propriété foncière. On ne peut qu'approuver l'introduction dans la loi Besson de la définition de l'habitat informel, afin de tenir compte des particularités des Dom.
Mais ce texte sera-t-il contraignant ? Les articles 1er, 2, 3 et 6 prévoient de verser des aides financières aux occupants sans droit ni titre qui remplissent certaines conditions, mais ces aides ne seront pas systématiques.
Non, en effet, car elles ne doivent pas profiter aux marchands de sommeil : cela répond aux préoccupations d'Alain Gournac.
Mais il faudrait que les choses soient clarifiées, sinon on peut craindre des inégalités de traitement. L'arrêté interministériel fixera non les critères, mais le barème de l'aide.
L'article 6 prévoit que « le propriétaire foncier est tenu de prendre toutes mesures pour empêcher toute occupation future des terrains ainsi libérés. En cas de défaillance du propriétaire, le représentant de l'Etat dans le département procède d'office, après mise en demeure restée sans effet dans le délai fixé, aux mesures nécessaires aux frais du propriétaire ». Mais lorsque l'Etat et les collectivités ont été incapables d'empêcher l'occupation de zones à risque, comment les propriétaires privés pourraient-ils s'y prendre ? Il y a là un problème, même si je comprends que l'on ne veuille pas laisser impunie l'incitation à l'occupation sans titre.
A La Réunion, l'habitat informel est situé à 80 % dans le domaine privé et, avant toute opération d'aménagement, il faut régler le problème de l'absence de titre - par voie notariale en cas de succession, ou par la procédure d'acquisition.
Il est dommage de se passer des groupements d'intérêt public, qui pourraient mutualiser les moyens et coordonner les actions.
Oui, monsieur Gournac, il existe de belles cases, mais aussi énormément de paillottes. Dans deux communes de l'Ouest de la Réunion, des familles sont venues s'installer en face de la mairie avec leurs bébés... Il y a très peu d'étrangers en situation irrégulière à La Réunion, mais de plus en plus de Mahorais, et j'ai compris en me rendant à Mayotte qu'ils cherchaient chez nous à reconstituer leur habitat traditionnel : ils ont coutume de vivre en très larges communautés et construisent d'immenses bidonvilles.
Comment la loi sera-t-elle appliquée ? Les collectivités ont besoin de plus de moyens pour construire des réseaux d'assainissement, acheter des terrains et construire des logements. Je voterai ce texte qui constitue une première, mais je serai attentive à ses suites.
Peut-être ne me serais-je pas intéressé à ce texte si je ne m'étais pas rendu la semaine dernière en Guyane et à la Martinique. Je remercie Serge Larcher de son accueil très chaleureux. Nous avons observé des situations que nous n'imaginions pas. On paie aujourd'hui les négligences passées de l'Etat : il eût fallu régler dès les années 50 le problème de l'exode rural, comme en métropole où l'on a créé des sociétés d'aménagement et construit des centaines de milliers de logements.
Ce texte a un champ d'application très limité : il donne seulement aux aménageurs quelques moyens pour traiter le problème de l'habitat précaire et améliorer les conditions de vie des habitants. Mais il restera beaucoup à faire. L'Etat a transféré au début des années 80 ses compétences en matière d'urbanisme aux collectivités, mais celles-ci n'ont pas la maîtrise du foncier : l'habitat informel est très souvent situé sur le domaine public de l'Etat. Une action conjuguée est donc indispensable. De quels moyens les collectivités disposent-elles ? Se sont-elles toutes dotées de documents d'urbanisme ? Comment lutter contre l'afflux d'immigrants illégaux ? Les frontières entre la Guyane, le Brésil et le Surinam sont très difficiles à contrôler et les marchands de sommeil - quelle est au juste la définition juridique de cette expression ? - continueront à exploiter la situation. L'approche curative ne suffit pas : il faut une approche préventive.
On s'est posé la question de la constitutionnalité de mesures spécifiques à l'outre-mer. Nous verrons ce qu'en dit le Conseil constitutionnel. Avez-vous mené des consultations préalables ? En cas de censure, on se retrouvera à la case départ.
Serge Larcher a voulu nous convaincre que les aides proposées ne favoriseront pas l'immigration illégale, qu'il n'y aura pas d' « appel d'air ». Mais l'afflux est tel qu'il sera difficile de le maîtriser. Il faut résoudre ce problème, faute de quoi on dépensera beaucoup d'argent sans pour autant résorber l'habitat précaire.
Je remercie ceux d'entre vous qui se sont rendus en Guyane et en Martinique la semaine dernière. L'auteur de cette proposition de loi, Serge Letchimy, est un ancien maire de Fort-de-France. C'est un praticien et il a voulu concevoir des outils pour résoudre les problèmes auxquels il avait été confronté. Jusqu'à présent, la commune a dû agir à la limite de la légalité : pour construire la route qui longe la ravine, il a fallu expulser des habitants et les indemniser. Le même problème se pose dans les autres Dom. Ce texte ne résoudra pas tout. Il faut une volonté politique : les maires doivent accepter de détruire des cases après avoir relogé leurs habitants. L'Etat doit aussi nous accompagner : j'ai rarement vu un préfet détruire de belles maisons secondaires installées dans la zone des cinquante pas géométriques ! Le seul qui a osé n'est pas resté longtemps... Or les gens ne comprendraient pas qu'on détruise leurs cases et pas les villas de la côte.
Il faut permettre aux gens de vivre dans des conditions dignes. Il y a urgence. Qu'arriverait-il à une vieille dame malade en haut de la colline ? Dans le quartier de Citron, on peut craindre un glissement de terrain - les risques sont parfaitement cartographiés, puisque toutes les communes de Martinique sont dotées d'un PLU et d'un plan de prévention des risques (PPR). Depuis le rapport d'Henri Torre, rien n'a changé.
Quant au risque d'appel d'air, il est faible, car les choses sont bien encadrées.
L'appel d'air viendrait des conditions d'arrivée des étrangers. On l'a bien vu en Guyane : les familles arrivent et s'installent où elles peuvent. Elles ne regardent pas les documents d'urbanisme avant d'assembler quelques planches vite coiffées d'un morceau de tôle.
Le cas de la Guyane est difficile, mais il n'y pas d'appel d'air en Martinique. La détermination des élus est indispensable à la réussite de ce dispositif. On a des moyens juridiques, il faut aussi des moyens financiers et techniques.
La souplesse est nécessaire, car les élus ne peuvent cautionner certaines situations ou abus.
Il y a 11 000 logements sociaux en Guyane pour 13 000 demandes, et l'on n'en construit que quelques centaines par an. La défiscalisation du logement social, que certains n'envisagent que comme une niche fiscale, représente pour nous la possibilité financière de dynamiser la construction.
Les observations d'Alain Vasselle sont pertinentes pour la Guyane. Ce séjour a été traumatisant, le passage ininterrompu en provenance du Surinam évoque immanquablement le tonneau des Danaïdes. Il faut nuancer selon qu'on est en Guyane, à Mayotte ou en Martinique.
L'article 73 de la Constitution autorise bien les adaptations. Le revenu supplémentaire temporaire d'activité (RSTA), que nous avons en Martinique, n'existe pas ici. Au demeurant, si le Sénat adopte ce texte à l'unanimité comme l'Assemblée nationale l'a fait, on voit mal qui pourrait saisir le Conseil constitutionnel.
Nous l'avons bien vu lors de notre séjour, on a affaire à trois situations. Il y a d'abord la Martinique, où vous nous avez si bien accueillis, et la Guadeloupe, deux îles, relativement isolées ; puis il y a la Guyane et Mayotte, où je ne vois pas bien comment empêcher les gens d'arriver ; enfin La Réunion, où les Mahorais, dont le niveau de vie est inférieur, posent un nouveau problème. Cette loi est une bonne loi ; elle ne règle pas tout, c'est un début, un élément du puzzle. Suivons-nous notre rapporteur pour avis, qui propose de reprendre le texte de l'Assemblée nationale tel que modifié par la commission de l'économie du Sénat ?
Le rapport pour avis est adopté.
La commission décide de se saisir pour avis du projet de loi constitutionnelle relatif à l'équilibre des finances publiques, dont la commission des lois est saisie au fond.
Elle nomme Alain Vasselle, rapporteur général, rapporteur pour avis de ce projet de loi.