Commission des affaires sociales

Réunion du 26 juillet 2017 à 9h05

Résumé de la réunion

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La réunion

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La réunion est ouverte à 9 h 05.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Dériot

Le président Milon nous rejoindra dans quelques instants. Nous allons examiner le rapport d'information de Mmes Laurence Cohen, Catherine Génisson et M. René-Paul Savary, sur la situation des urgences hospitalières, en liaison avec l'organisation de la permanence des soins.

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

Nous avons régulièrement l'occasion d'évoquer, dans l'enceinte de notre commission, le problème aigu que pose pour notre système de santé la gestion de la permanence des soins et de la prise en charge des urgences, et plus généralement de l'accueil des soins non programmés. Sur ce sujet, plusieurs rapports et études, émanant d'institutions qualifiées (l'Assemblée nationale, mais aussi la Cour des comptes ou encore la Drees), ont vigoureusement tiré la sonnette d'alarme au cours des dernières années ; nous avons également examiné plusieurs dispositions sur ce point dans le cadre de la loi « santé » ; et pourtant, selon les propres mots de la Cour des comptes, rien ne semble évoluer et les problèmes continuent de s'accumuler.

C'est dans ce contexte que nous avons décidé de conduire un travail spécifique et transpartisan sur la question des services d'urgences hospitaliers, qui semblent concentrer la majeure partie des problèmes - on l'a vu, encore cet hiver, avec l'engorgement des services lors de l'épidémie de grippe, largement relayé par les medias.

Afin de proposer une perspective nouvelle sur un sujet largement rebattu, nous avons choisi de privilégier une approche de terrain, dans le but de proposer des solutions concrètes et ancrées dans l'exercice quotidien des personnels. Lors des (nombreuses) auditions que nous avons conduites au Sénat, nous avons ainsi choisi de rencontrer les responsables des principaux services d'urgences parisiens. Nous avons également effectué plusieurs déplacements dans des établissements de santé de toute taille, au cours desquels nous avons veillé à entendre l'ensemble des personnels soignants comme administratifs.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Cohen

Avant d'entrer dans le vif du sujet, nous souhaitons souligner l'investissement exceptionnel des équipes exerçant au sein des urgences hospitalières, qui réunissent des métiers très divers. C'est grâce à leur qualité et à leur compétence que nos concitoyens continuent de disposer d'une prise en charge de pointe, en dépit des difficultés nombreuses auxquelles font face les services - devant lesquelles ils réagissent avec adaptabilité, inventivité, ingéniosité, et un sens profond du service public.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Génisson

A l'issue de ces différents travaux, nous avons acquis la conviction que les services d'urgences ne doivent pas être simplement regardés comme un point d'entrée défaillant dans notre système de santé. Dans la mesure où l'on se retrouve bien souvent aux urgences lorsqu'aucune autre solution n'est possible, ils constituent au contraire l'aboutissement de trajectoires individuelles dans le système de soins, et sédimentent à ce titre l'ensemble des problématiques sociales et sanitaires accumulées au cours des différents parcours de santé.

En somme, les difficultés des services d'urgences doivent être regardées comme un miroir grossissant des dysfonctionnements de l'ensemble de notre système de santé - et peut-être même, plus largement, de notre système d'accompagnement social.

Ce constat, qui a fondé l'ensemble de notre réflexion, explique qu'il n'existe pas selon nous de solution miracle pour refonder notre système d'accueil des urgences. Tout comme les problèmes rencontrés par les équipes, les solutions qui peuvent y être apportées sont multifactorielles, et dépendent bien souvent des structures, des organisations et des personnes. En tout état de cause, elles doivent prendre en compte à la fois l'amont et l'aval des services - ce qui supposerait d'étendre potentiellement la réflexion à l'ensemble de notre système de soins, à la ville comme à l'hôpital.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Cohen

Les difficultés rencontrées par les services d'urgences, déjà largement documentées, sont nombreuses. Nous souhaitons insister sur deux aspects qui nous semblent particulièrement importants : en termes quantitatifs, la question de l'afflux dans les services, voire de leur engorgement ; d'un point de vue qualitatif, les problèmes posés par la diversification des motifs de recours aux urgences, qui ne sont pas toujours strictement sanitaires - nous y reviendrons.

Le premier point constitue l'élément le plus connu, car le plus médiatique, mais aussi le plus ressenti par nos concitoyens. Selon la Drees, on comptait 20,6 millions de passages aux urgences en 2015. Plus que cette valeur absolue, c'est la dynamique de son évolution qui inquiète : au cours des dernières années, ce nombre a connu une augmentation soutenue et régulière de l'ordre de 4 % par an, accroissant encore la tension pesant sur des structures déjà débordées. Entre 2002 et 2015, il a au total évolué de 42 % - et nous rappelons ici que la date de 2002 correspond à l'abandon de l'obligation déontologique individuelle incombant aux médecins d'assurer les périodes de gardes, à laquelle la réforme Mattei a substitué un système hybride, avec une obligation de nature collective reposant sur le volontariat individuel des médecins.

Ces estimations générales ne doivent cependant pas masquer l'existence de fortes disparités entre les différents établissements. Selon la Drees, 70 % des patients arrivant aux urgences sont pris en charge en moins d'une heure. En réalité, c'est surtout dans les établissements les plus importants que se concentrent les problèmes, singulièrement en région parisienne et dans les Dom.

Dans ces services, la situation est bien souvent critique, avec des délais d'attente excédant fréquemment cinq heures, et des pics de fréquentation marqués à l'occasion des épidémies hivernales. Dans ces conditions, et selon le témoignage direct des personnels, il n'est pas rare que l'affluence entraîne un tel débordement que les prises en charge ne sont plus hiérarchisées - ce qui fait parfois passer à côté de véritables urgences -, ou encore que certains patients échappent à la vue et donc à la vigilance des équipes soignantes - ce qui est particulièrement problématique lorsque sont en cause des pathologies psychiatriques.

A l'inverse, ces chiffres ne doivent pas non plus évincer une autre réalité, qui frappe principalement les territoires ruraux : selon la Drees, près de 4 millions de personnes, soit 6 % de la population, résidaient encore à plus de 30 minutes d'un service d'urgences ou d'un Smur à la fin de l'année 2015. Dans ce contexte, certains services de proximité font face à des difficultés de financement, et donc d'équipement et de fonctionnement, de plus en plus criantes, qui remettent en cause leur existence même ; c'est ce que nous avons constaté lors de notre déplacement à Romilly-sur-Seine. Ce sont pourtant des services qui font bien souvent preuve d'une adaptabilité remarquable face au manque de moyens, et réalisent même de véritables performances - il est cependant permis de se demander jusqu'à quand.

En tout état de cause, le développement du recours aux services d'urgences ne constitue pas un phénomène strictement français. Selon plusieurs des personnes que nous avons entendues, l'ensemble des pays développés assistent à une augmentation soutenue du recours à ces services.

Cette évolution est à mettre en lien avec celle des motifs de recours. Nous nous plaçons bien sûr ici hors du champ de la médecine de catastrophe, pour laquelle nous avons cependant pu constater la particulière compétence et le grand engagement de l'ensemble des équipes lors de nos déplacements : il faut avant tout rappeler que la médecine pré-hospitalière et le réseau des Smur sauvent chaque jour des vies sur notre territoire.

Si, dans l'ensemble, on observe une grande stabilité de la structure de la patientèle au cours du temps (la traumatologie représentant 1/3 des passages, et ceux-ci étant concentrés aux âges extrêmes de la vie), la Drees souligne que la dynamique d'évolution du nombre de passages « va bien au-delà des seuls besoins liés à l'évolution démographique de la population française ». Cela signifie, en d'autres termes, que toutes les demandes que l'on rencontre dans les services d'urgences n'en sont pas nécessairement, ou pourraient trouver une réponse ailleurs. De ce point de vue, nous avons pu distinguer trois situations - qui tendent cependant à se recouper partiellement.

En premier lieu, une augmentation notable des situations caractérisées au moins autant par une urgence sociale que par une urgence sanitaire, et qui se retrouvent dans ces services lorsqu'aucune autre solution n'a pu être trouvée. L'une et l'autre tendent d'ailleurs à se renforcer : il nous a ainsi été indiqué que les décès au sein des services d'urgences n'étaient pas rares, du fait d'un recours très tardif à la médecine, de sorte que les urgences devenaient le lieu de la découverte de pathologies déjà très avancées. Cela correspond par ailleurs à une évolution plus large de notre société qui accepte mal la mort, et tend à faire de l'hôpital le lieu dans lequel surviennent la majeure partie des décès.

En second lieu, une augmentation marginale mais sensible des consultations certes motivées par une raison médicale, mais recourant aux urgences pour des raisons de « convenance personnelle ». Selon les soignants que nous avons rencontrés, une partie de ce flux résulterait d'une évolution sociétale valorisant l'immédiateté de tous les services, quels qu'ils soient. De ce point de vue, l'accessibilité des services d'urgences, qui permettent de faire réaliser en une seule fois et en un seul lieu plusieurs soins ou examens, même au prix de quelques heures d'attente, est particulièrement attractive. Ainsi, selon les données transmises par la Drees, 59 % des patients des urgences s'y sont rendus pour l'accessibilité des soins qu'elles offrent.

Il semble également que la pseudo-gratuité de ces services, dans lesquels les patients n'ont pas à effectuer l'avance des frais, joue un rôle important dans l'attractivité des urgences. Il est cependant difficile de faire la part des choses entre cette observation générale et la présence au sein de ces services de personnes en situation de précarité.

Les travaux de la Drees comme le témoignage des soignants permettent enfin de mettre en évidence une forme de recours par défaut, lorsqu'aucune solution n'a pu être trouvée dans le cadre de la médecine de ville ou de la médecine spécialisée hospitalière. Selon la Drees, cette situation concernerait 21 % des patients présents aux urgences. Elle recouvre des cas très divers, du patient dont le médecin traitant est absent à celui qui ne parvient pas à s'orienter dans le parcours de soins, en passant par le résident d'un Ehpad ne disposant pas de ressources médicales suffisantes.

Le débat sur les passages inutiles aux urgences doit donc être replacé dans ce contexte : en réalité, la majorité des passages décrits comme inutiles s'expliquent par les insuffisances de l'offre existant en amont (médecine de ville, Ehpad) et en aval (lits disponibles dans les services spécialisés, solutions de prise en charge pour personnes âgées et personnes handicapées). Nous insistons sur ce point : contrairement à une idée communément admise, la question de l'aval a autant de poids que l'amont dans les difficultés rencontrées par les urgences. De ce fait, les politiques gestionnaires de fermetures massives de lits dans les services spécialisés ne peuvent que contribuer à l'engorgement des services d'urgences.

Face à ces constats, nous avons souhaité formuler des recommandations concrètes dans deux directions : d'une part, renforcer l'offre libérale de ville pour l'accueil des soins non programmés ; d'autre part, généraliser, dans la mesure du possible, les bonnes pratiques hospitalières déjà développées par certaines équipes. S'il faut veiller à réduire le plus possible les passages aux urgences qui ne relèvent manifestement pas de la compétence de ces services, l'objectif ici n'est pas uniquement de supprimer l'ensemble des recours jugés inutiles. Outre que la notion est de toute façon difficile à définir, et ne peut l'être qu'a posteriori, la majorité des personnels que nous avons rencontrés se sont accordés pour dire que le rôle de soupape joué par les urgences, en France comme ailleurs, pouvait difficilement être remis en question. Il s'agit cependant, dans la concertation et le dialogue avec toutes et tous, de recentrer chacun des acteurs du système de santé sur sa compétence principale, afin d'offrir à chaque patient la possibilité de la prise en charge la plus adaptée.

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

Ce sont donc tout d'abord les insuffisances de l'offre libérale qui sont indirectement mises en lumière par les difficultés des services d'urgence. Selon la Cour des comptes, 43 % des passages aux urgences relèvent d'une simple consultation médicale ; 35 % des passages auraient pu obtenir une réponse auprès d'un médecin généraliste. La moitié des passages aux urgences a par ailleurs lieu aux horaires d'ouverture des cabinets de ville, tandis que les patients se tournent prioritairement vers les structures d'urgences aux horaires de la permanence des soins ambulatoires. En d'autres termes, l'offre de ville ne répond plus ni à la demande de permanence des soins, ni à celle de continuité des soins.

Face à ce constat, les médecins de ville eux-mêmes ont reconnu un certain « désengagement » des professionnels libéraux quant à la prise en charge des soins non programmés. Les raisons en sont multiples et bien connues, je ne m'y attarderai donc pas : la fin de la responsabilité individuelle dans l'organisation de la garde, la désertification médicale, les délais de rendez-vous, la réduction du temps d'exercice hebdomadaire ainsi que la raréfaction des visites à domicile expliquent largement que les patients se rendent aux urgences pour y trouver une réponse intégrée.

Dans ce contexte, les maisons médicales de garde (MMG) ne semblent pas pouvoir offrir d'alternative efficace pour les patients. Si les situations sont bien sûr très différentes selon les structures, et dépendent notamment des acteurs impliqués et de leurs relations avec les services hospitaliers, leur développement connaît une certaine stagnation depuis quelques années. Selon la Cour des comptes, la faible diffusion du recours aux MMG dans la population s'expliquerait à la fois par l'absence de plateau technique minimal, qui oblige de toute façon les patients à se rendre aux urgences dans un deuxième temps en cas d'examen ou d'acte technique à réaliser, ainsi que par la nécessité d'y faire l'avance des frais. Nous avons d'ailleurs pu constater que, en dehors de certains cas où des protocoles avaient pu être formalisés entre un établissement et une MMG, les réadressages des services d'urgences vers les maisons de garde demeuraient très minoritaires.

Nous pensons cependant que la médecine de ville peut et doit prendre sa part des soins non programmés. Les syndicats de professionnels nous ont rappelé à juste titre que si la dernière épidémie de grippe avait donné lieu à une forte surcharge dans les services hospitaliers, la majorité des patients avaient été pris en charge dans les cabinets libéraux. Les centres de santé offrent par ailleurs des possibilités de prise en charge rapide, en secteur 1 et sans avance de frais, qu'il nous semble d'ailleurs nécessaire de développer.

Sans entrer dans un débat sur l'organisation générale de la médecine libérale, trop vaste pour le champ de cette seule mission, quelques mesures simples nous paraissent pouvoir porter leurs fruits à court terme.

Afin de renforcer la continuité des soins aux horaires d'ouverture des cabinets de ville, il pourrait tout d'abord être envisagé de mieux valoriser financièrement les consultations non programmées, ce qui pourrait inciter les médecins à dégager des plages horaires dédiées à cet effet, ainsi que les visites à domicile, pour les patients qui se trouvent dans l'incapacité de se déplacer - et qui se retrouvent trop souvent aux urgences dans un véhicule de pompiers ou une ambulance. Par ailleurs, les plates-formes territoriales d'appui créées par la loi santé devraient être le lieu d'une plus grande coopération « pré-porte » entre les mondes libéral et hospitalier.

S'agissant ensuite de la permanence des soins, plusieurs mesures d'ordre financier sont également envisageables, comme l'exonération totale du ticket modérateur aux horaires de la PDSA, ou encore le développement du tiers-payant intégral dans les MMG - comme d'ailleurs dans l'ensemble des lieux accueillant des urgences. Sur un plan organisationnel, il nous semble par ailleurs pertinent d'élargir les horaires de la PDSA au samedi matin - plage sur laquelle la plupart des cabinets de ville sont fermés, tandis que les services de régulation des urgences connaissent un pic d'activité.

Un mot enfin de l'épineuse question de la régulation médicale. Lorsqu'elle fonctionne bien, ce qui est le plus souvent le cas, elle assure la prise en charge rapide des cas les plus graves, ou permet au contraire d'éviter le recours aux urgences par un simple conseil téléphonique ; elle peut également être le lieu d'une coopération efficace entre médecins hospitaliers et libéraux, ainsi que nous l'avons vu à Lille et à Arras. C'est donc un outil précieux pour la gestion des demandes de soins non programmés.

Il existe cependant, au plan local, des différences dans les modes d'organisation dont résultent parfois des difficultés de fonctionnement. En outre, le métier particulièrement difficile et stressant d'assistant de régulation médicale (ARM), qui constitue le premier maillon de la chaîne des secours pré-hospitaliers, est trop souvent assuré par des personnes qui manquent d'expérience, voire tout simplement d'une formation initiale. Dans ce contexte, la mise en place du nouveau numéro 116 117 à côté du 15 (à laquelle notre commission s'était opposée dans le cadre de la loi « santé ») achève de créer l'inquiétude chez les professionnels : supposé rendre plus visible et plus lisible la permanence des soins ambulatoires pour les patients, il est pourtant quasi-unanimement dénoncé comme créant une inutile complexité et nécessitant des effectifs qui pourraient être mieux employés ailleurs.

Il nous paraît particulièrement urgent de remédier à ces problèmes, afin de professionnaliser davantage ce maillon crucial des urgences, mais aussi de renforcer la coordination entre médecins libéraux et hospitaliers à l'interface entre la ville et l'hôpital.

En premier lieu, l'abandon du numéro 116 117, qui nous apparaît inéluctable, devrait bien évidemment être accompagné d'un renforcement des équipes opérant au centre 15, afin d'assurer un tri efficace entre les demandes relevant des urgences hospitalières et celles relevant de la permanence libérale. Ce renforcement devrait être associé à une généralisation de la mutualisation des équipes hospitalières et libérales, dont nous avons pu voir plusieurs exemples de succès au cours de nos déplacements. En outre, la formation des professionnels-clé que constituent les ARM est entièrement à revoir : alors qu'elle est aujourd'hui facultative, il nous paraît indispensable qu'elle passe par une formation initiale obligatoire et standardisée d'au moins deux ans, assortie de périodes de stage, et sanctionnée par la délivrance d'un diplôme qualifiant.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Génisson

J'en viens enfin aux problèmes posés par l'intégration des services d'urgences dans leur environnement hospitalier. Il est largement ressorti de nos différents travaux et déplacements que la difficulté principale réside dans la culture des établissements : bien souvent, dans leur fonctionnement quotidien, les urgences sont considérées comme un service à part, de sorte que le devenir de leurs patients n'est pas collectivement pris en charge. Cette situation explique en partie l'engorgement des urgences par des patients pour lesquels aucune solution d'hospitalisation n'a pu être trouvée à court terme (en moyenne, 20 % des patients des urgences sont hospitalisés). Il nous a même été signalé qu'il n'était pas rare que les services eux-mêmes se déchargent sur les urgences en cas d'examens à réaliser dans de brefs délais !

Cette question de culture et de communication est symptomatique d'un certain isolement des urgences au sein de l'hôpital. Afin de refonder leur place en tant que service spécialisé, et non plus seulement en tant que service « porte », des évolutions simples et concrètes nous paraissent possibles, dans quatre directions.

Nous avons eu l'occasion de constater que plusieurs établissements avaient développé des « bonnes pratiques » organisationnelles qui pourraient facilement être généralisées. Je pense notamment au développement de circuits courts de prise en charge (souvent désignés sous le nom de fast-tracks), qui, dans les établissements les plus importants, permettent de réguler le flux des patients. Il s'agit en fait d'un service de consultation rapide aménagé à l'intérieur des urgences. Une telle organisation suppose cependant que ces circuits soient gérés par des soignants expérimentés, médecins comme paramédicaux, qui sachent immédiatement distinguer une urgence grave d'une demande de soins plus légers. Cette prise en charge particulière pourrait d'ailleurs tout à fait être réalisée par des généralistes libéraux.

Par ailleurs, la différenciation structurelle des urgences pédiatriques nous paraît indispensable ; chaque fois que c'est possible, ce doit aussi être le cas pour les urgences psychiatriques et gynécologiques.

L'équipement des services comme des Smur doit également faire l'objet d'une réflexion approfondie. Au cours de nos déplacements, nous avons en effet constaté qu'il existait de très fortes disparités entre établissements. Certains Samu disposent ainsi d'un important plateau technique embarqué, tandis que quelques services d'urgences disposent d'appareils d'imagerie dédiés. Afin de renforcer l'égalité d'accès aux soins sur l'ensemble du territoire, il serait souhaitable de généraliser au moins la présence de matériels de biologie embarquée dans les Smur. Les services d'urgences doivent par ailleurs prendre le tournant de la médecine de demain : pour cela, c'est dès aujourd'hui qu'il faut y développer l'usage de la télémédecine.

Enfin, le traitement standardisé de certaines urgences vitales (infarctus du myocarde et AVC) connaît un fonctionnement particulièrement satisfaisant que nous tenons à souligner ; partant de ce constat, il nous paraît indispensable de lancer une réflexion sur une possible standardisation de la prise en charge pour d'autres pathologies.

C'est ensuite sur la question de l'aval des urgences que les établissements doivent travailler. Certains d'entre eux ont développé des pratiques innovantes pour la gestion des lits en se dotant d'un bed manager, spécifiquement chargé du suivi et de l'affectation en temps réel des lits disponibles. Cette fonction support pourrait être plus largement développée, le cas échéant à l'échelle des GHT. D'autres établissements, comme l'hôpital Avicenne, ont développé une organisation plus modeste, mais tout aussi efficace, en organisant quotidiennement des conférences de staff rassemblant l'ensemble des services. L'important nous semble être ici que la question de l'aval des urgences soit l'affaire de tous.

Face à l'afflux croissant de personnes âgées dans les services d'urgences, et devant la nécessité d'une réaction rapide en cas de pic épidémique, il nous paraît par ailleurs indispensable de redonner toute leur place aux services de médecine et chirurgie générales (qui ont trop souvent servi de variable d'ajustement au cours des dernières années, avec des fermetures de lits massives dont on mesure aujourd'hui toute le caractère problématique), et de développer les services de gériatrie aiguë. A l'inverse, s'il doit exister un volant de lits de courte durée au sein des services d'urgences, celui-ci ne doit pas être trop important, et doit simplement fonctionner comme une soupape avant transfert dans les services spécialisés.

La prise en charge des urgences pour les personnes âgées constitue par ailleurs un sujet en soi. Sur ce point, nous tenons à souligner que l'hospitalisation systématique des personnes âgées constitue une catastrophe à la fois humaine, médicale et pécuniaire. Pour y remédier, les solutions ne sont que trop connues - encore faut-il avoir la volonté de les mettre en oeuvre ! : organiser la prise en charge médicalisée dans les Ehpad et y introduire la télémédecine, ainsi que notre commission l'a déjà formulé à plusieurs reprises.

Se pose, en troisième lieu, la question du financement des urgences. Nous avons pu constater qu'un soupçon planait sur l'encadrement de ces services, suspectés de ne pas souhaiter réellement remédier aux situations d'engorgement dès lors que l'afflux de patients constituerait une manne financière pour les établissements. Si cette affirmation nous apparaît largement exagérée, il est cependant indéniable que le mode de tarification des urgences n'est pas désincitatif à la prise en charge des patients, quelle que soit la gravité, ou l'absence de gravité, de leur pathologie. Il importe dès lors de clarifier cette situation, dans un triple objectif : recentrer la prise en charge par les urgences sur les cas les plus graves ; mieux prendre en compte les coûts fixes de services par nature soumis à une activité fluctuante ; inciter à la réorientation vers les MMG ou les médecins de ville.

Dans ce contexte, la proposition formulée par Olivier Véran, notre collègue rapporteur général à l'Assemblée nationale, nous paraît particulièrement intéressante : il s'agirait d'introduire une dose de forfaitisation dans le financement des urgences, ainsi qu'une modulation des tarifs en fonction de la gravité des pathologies.

J'en termine par le sujet qui n'est pas le moins important, celui des ressources humaines des services d'urgences. D'une manière générale, il nous est apparu que le très fort investissement des personnels soignants devait être mieux valorisé, quelle que soit leur fonction. Ces personnels sont en effet en première ligne pour faire face, souvent en flux tendu, à des situations sanitaires et sociales particulièrement difficiles. De nombreux soignants nous ont d'ailleurs indiqué qu'ils craignaient pour leur sécurité, à tel point que certains établissements - lorsqu'ils en ont les moyens... - se sont dotés de sas d'accès sécurisés et de vigiles à la porte du service d'urgences, voire de médiateurs sociaux. Ces difficultés s'inscrivent parfois dans un contexte de turn-over important et de difficultés de recrutement, les services d'urgences n'étant pas épargnés par la prolifération des praticiens « mercenaires ».

En premier lieu, il nous semble indispensable de favoriser la diversité des tâches dans la carrière des médecins urgentistes, compte tenu du stress et de la pénibilité particulièrement attachés à ce métier. De ce point de vue, la formule de la mutualisation des équipes opérant en Smur, en salle de régulation et à l'accueil des urgences, dont nous avons pu constater le succès dans plusieurs établissements, nous paraît particulièrement intéressante. L'alternance des formes d'exercice permet en effet de relâcher la pression inhérente à certaines activités et de ne pas s'y enfermer. Nous posons également la question de son extension aux professions paramédicales, en raison de son intérêt à la fois pour les pratiques individuelles et pour l'organisation des services.

S'agissant des médecins, il nous semble par ailleurs indispensable d'introduire dans leur formation un volet relatif à l'accueil et à la prise en charge des situations d'urgence sociale, qui tendent à se multiplier et face auxquelles les professionnels nous ont livré leur désarroi.

Outre les ARM, que nous avons déjà évoqués, plusieurs professions exerçant dans le cadre des urgences pourraient faire l'objet d'une meilleure reconnaissance. Nous pensons notamment au métier d'ambulancier, dont le rôle évolue notablement dans le cadre de la médecine d'urgence comme dans le monde libéral : il ne s'agit plus seulement d'assurer une simple fonction de transport, mais bien souvent aussi de fournir une première appréciation de l'état de santé du patient, voire de le préparer pour l'intervention des équipes. Il nous semblerait dès lors opportun, sinon de faire évoluer les contours et la reconnaissance de cette profession, du moins d'ouvrir la réflexion quant à la reconnaissance d'une profession d'ambulancier en Smur. Dans la même logique, la reconnaissance d'une spécialité infirmière urgentiste mériterait également qu'un débat lui soit consacré.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Milon

Je constate que nous avons déjà alerté ces dernières années sur beaucoup des problèmes que vous soulevez.

Debut de section - PermalienPhoto de Michelle Meunier

Merci pour ce rapport détaillé - et qui a en effet le mérite de récapituler des enjeux qui ne nous étaient pas inconnus. L'organisation des urgences pédiatriques n'est pas nécessairement calquée sur celle des urgences ordinaires : peut-être ce modèle pourrait-il être source d'inspiration ? Quid, par ailleurs, de l'éducation du patient ? C'est aussi un paramètre...

Debut de section - PermalienPhoto de Pascale Gruny

Quoique je ne sois pas une professionnelle de la santé, ce rapport m'a semblé exhaustif. Manque de lits, manque de personnel, déficits... Ce sont en effet des problèmes dont nous sommes tous conscients dans nos territoires. Je souligne en particulier le problème des praticiens intérimaires, qui touchent une rémunération bien supérieure à celle de leurs collègues, pour le même travail : dans le privé, une telle situation ne laisserait pas de surprendre !

Debut de section - PermalienPhoto de Pascale Gruny

Cela désorganise les services et coûte cher aux hôpitaux.

Debut de section - PermalienPhoto de Annie David

Votre trio aurait pu être explosif, mais le résultat de votre travail est un tableau exhaustif des difficultés vécues aux urgences. Avec M. Watrin et Mme Cohen, j'ai visité de nombreux services pour me rendre compte des problèmes auxquels sont confrontées nos équipes médicales, et je reconnais dans votre rapport ce que j'ai vu. Nous connaissons les causes - et notamment le manque de lits - sans parvenir à les combattre. C'est tout le système qu'il faudrait revoir. En tous cas, je vous invite à bien réfléchir, lors du vote du prochain PLFSS, aux suppressions de lits qu'une nouvelle réduction des dépenses ne pourra qu'entraîner ! J'apprécie que vous reconnaissiez l'investissement des personnels soignants et que vous demandiez jusqu'à quand ils pourront tenir ainsi. Il y a dans l'hôpital public des problèmes financiers qui ne relèvent pas du PLFSS, et notamment la différence de traitement, avec les dépassements que vous avez mentionnés, générateurs d'inégalités qui contribuent au mal-être du personnel. Enfin, j'ai beaucoup aimé entendre M. Savary soutenir les centres de santé...

Debut de section - PermalienPhoto de Olivier Cigolotti

Je vous félicite pour le titre de votre rapport, qui rend parfaitement compte de la situation. Vous avez mentionné la fracture territoriale, avec 4 millions de personnes situées à plus de 30 minutes d'un service d'urgence. Ces personnes sont souvent frappées d'une double peine car la désertification médicale les contraint à avoir recours plus souvent que d'autres aux sapeurs-pompiers ou aux urgences.

Debut de section - PermalienPhoto de Patricia Schillinger

La fracture territoriale est bien réelle. On pourrait croire que dans une ville de 100 000, voire 50 000 habitants, l'accès aux soins serait effectif la nuit, mais ce n'est pas le cas. Sans bon sens, on n'arrivera pas à réformer le système de manière efficace. Il n'est pas normal, lorsque l'on est piqué par une guêpe, avec un risque éventuel d'allergie, de s'entendre dire aux urgences qu'il faut attendre son tour, avec jusqu'à vingt personnes devant soi...

Par ailleurs, la durée du préavis de départ d'un médecin urgentiste n'est que d'un mois. Dans un hôpital alsacien, cinq médecins urgentistes ont démissionné d'un coup, ce qui a désorganisé le service d'urgences qui a dû être fermé provisoirement. Pourquoi ne pas porter le préavis à six mois comme dans d'autres professions à responsabilités ? Enfin, pourquoi ne pas faciliter les accords bilatéraux entre hôpitaux français et étrangers ? Les offres de soins de mon département, de l'Allemagne et de la Suisse sont complémentaires. Les patients pourraient en bénéficier.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marie Morisset

Je partage votre diagnostic sur la fracture territoriale et la désertification médicale. Depuis une vingtaine d'années, on restructure les hôpitaux ; dans les Deux-Sèvres, on ferme ainsi trois hôpitaux pour les fusionner au sein d'un hôpital du Nord Deux-Sèvres. Nous réclamons le maintien des services d'urgence existants, pour conserver le lien de proximité, mais l'ARS n'écoute ni les élus, ni les médecins, ni les habitants...

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Procaccia

À Vincennes, nous avons été parmi les premiers à ouvrir une maison de garde il y a vingt ans, car les médecins refusaient de se déplacer à domicile la nuit. On compte aujourd'hui une douzaine de maisons de garde dans le Val-de-Marne. Le but était d'éviter l'engorgement des urgences. Ces dernières années, celles-ci sont devenues un service de confort : les gens s'y rendent dès lors qu'ils ne peuvent pas obtenir un rendez-vous rapide chez un médecin, alors qu'il n'y a pas d'urgence. C'est une forme de consumérisme. Par ailleurs, on constate que le week-end, 60 % des passages sont des consultations de pédiatrie, car les pédiatres ne sont pas ouverts le week-end. Est-ce le cas partout ?

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Chasseing

Ce rapport est conforme à mon constat en tant que praticien. Les consultations aux urgences ont augmenté de 42 % depuis 2002, car les médecins n'ont plus l'obligation d'assurer des gardes. Les gens vont aussi souvent aux urgences faute de la présence d'un cabinet médical de garde à proximité. Cela pose la question de l'accessibilité aux soins dans les zones rurales ou péri-urbaines.

Un mot sur la prise en charge des piqûres de guêpe. Soit on observe un choc anaphylactique immédiat et les soins sont urgents, soit il n'y a pas de réaction et il n'y a pas d'urgence.

Pour remédier à la pénurie de médecins, il convient, en effet, d'augmenter le numerus clausus et de trouver des solutions avec les médecins dans le cadre des maisons médicales de garde avec le tiers-payant.

Le 116-117 est source de confusion : il est en effet préférable de conserver le 15. Je conviens également qu'il faut mettre l'accent sur la formation des régulateurs qui traitent les appels, car c'est un exercice difficile. L'équipement des Smur doit aussi faire l'objet d'une réflexion approfondie. La prise en charge des infarctus a été améliorée, il faut cependant le souligner.

Il est important qu'un gériatre soit présent aux urgences, car il faut éviter d'hospitaliser inutilement les personnes âgées. La télémédecine pourrait être une aide utile à cet égard.

La reconnaissance d'un diplôme d'infirmière ou d'infirmier urgentiste serait bienvenue. Il faut souligner aussi le rôle crucial des ambulanciers qui prennent en charge les malades et qui transmettent les informations au médecin régulateur.

Debut de section - PermalienPhoto de Chantal Deseyne

Vous relevez que, dans 21 % des cas, le recours aux urgences est un recours par défaut dû à l'absence d'une offre de soins de proximité. Comment faciliter le développement des maisons de garde ? Est-il possible de réinstaurer une obligation de garde pour les médecins ? Comment responsabiliser aussi les patients ? Qu'en est-il du recours aux urgences pour des cas qui relèvent de problématiques sociales et non sanitaires ? Ce n'est pas aux urgences de traiter ces cas.

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Daudigny

Je salue le travail des rapporteurs. Vous posez bien la question de l'organisation de l'hôpital, des urgences, de l'articulation entre médecine de ville et hôpital. Les changements se heurtent à deux difficultés : tout d'abord, la résistance compréhensible à tout changement, tant des élus que des médecins, dès lors qu'il est question de diminuer les compétences d'un hôpital ; le second problème est celui des modes de financement : tant que la médecine de ville sera exclusivement payée à l'acte, les problèmes perdureront.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Génisson

Il est en effet indispensable que l'accueil de la pédiatrie soit autonome, de même que celui de la psychiatrie. Au CHU de Lille, cela fonctionne très bien. Je vous confirme par ailleurs que les consultations de pédiatrie aux urgences ont lieu souvent le soir et le week-end.

Notre proposition n° 14 vise à développer des actions d'éducation de la population au juste recours aux urgences. Tous les moyens peuvent être utilisés à cette fin. Les contrats locaux de santé constituent déjà un moyen d'éduquer à la santé. Dès l'appel au 15, le médecin régulateur doit aussi éclairer la personne qui appelle. Tout cela contribuera à aider à sortir de l'approche consumériste de la médecine.

L'intérim à l'hôpital est une catastrophe. Ces médecins sont d'ailleurs souvent qualifiés de « mercenaires » par leurs collègues. Ils accomplissent une prestation, sans participer au projet de service, en échange d'une rémunération élevée. Les directeurs d'hôpitaux et chefs de service nous ont dit qu'ils étaient contraints de se plier à leurs exigences. Ce sujet est plus important encore que celui du préavis.

Il faut souligner l'investissement des personnels, mais avoir également conscience qu'ils sont à bout. Il importe aussi de conserver des services d'urgence de proximité.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Cohen

Notre mission s'est révélée passionnante. Ce travail entre trois rapporteurs de sensibilités politiques différentes a été très enrichissant et constructif. C'est une bonne manière de procéder.

Faute de médecins, les directeurs d'hôpitaux avouent qu'ils sont étranglés et qu'ils n'ont pas d'autre choix que de recourir à des intérimaires mercenaires. Comme on manque de praticiens, il y a une surenchère. Les autres médecins qui s'investissent dans le projet d'établissement sont découragés lorsqu'ils apprennent leur rémunération.

Notre commission devrait se montrer plus entreprenante pour tirer les leçons des évaluations de terrain lorsqu'elles montrent que quelque chose ne fonctionne pas. C'est le cas de la réforme des gardes mise en place en 2002. Il nous appartient maintenant de faire bouger les choses !

Sur la fermeture des lits comme sur d'autres sujets, nous nous devons d'être vigilants au moment de l'examen du PLFSS. N'oublions pas que c'est le législateur qui organise la pénurie en réduisant drastiquement les budgets !

Mme Schillinger a plaidé pour des partenariats et des accords bilatéraux. Ils sont déjà en place dans de nombreux territoires : ainsi, le CHU de Lille travaille sans difficulté et en osmose parfaite avec la Belgique.

Comme M. Morisset, je suis sensible au manque de concertation entre les différents acteurs de la santé. Il en résulte souvent de formidables gâchis. À l'Hôtel-Dieu, il y a ainsi deux projets en confrontation, celui des personnels et celui de la direction de l'AP-HP.

Il est difficile de définir un modèle généralisable de maisons de garde, mais nous pouvons partager les bonnes pratiques. Dans le Val-de-Marne, les Services d'accueil médical initial (Sami) fonctionnent très bien, grâce à l'implication forte des médecins libéraux du département - il faut le signaler - et des villes qui fournissent les locaux, acquittent certains frais de fonctionnement et surtout paient des vigiles, ce qui permet aux médecins de travailler en toute sécurité.

Les urgences ne prennent pas les problèmes sociaux en charge s'il n'y a pas de problème médical. La difficulté est en fait celle du suivi. On l'a vu à l'hôpital Lariboisière, près de la gare du Nord à Paris. Les personnels nous ont alertés sur la situation de femmes en grande précarité qui viennent accoucher à l'hôpital. Mais dès qu'elles sont sorties elles se retrouvent confrontées à leurs difficultés : accès au logement, addictions, etc. La question du suivi en aval est donc fondamentale. Il en va de même dans le domaine de la gériatrie.

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

Il convient d'éviter tout dogmatisme sur ce sujet tant les pratiques varient en fonction des lieux et des secteurs. Certains hôpitaux fonctionnent bien grâce à l'énergie de leur directeur, tandis que, dans d'autres établissements, il existe un fossé entre les équipes soignantes et leur direction. Dans certains services, le chef de service salue chacun par son prénom, dans d'autres il connaît à peine le nom de ses collaborateurs... Ainsi, si l'hôpital Avicenne, en Seine-Saint-Denis, est confronté à de nombreuses difficultés (la population accueillie étant particulièrement précaire, et parlant plus de 80 langues différentes), les moyens comme l'investissement des équipes sont à la hauteur : infrastructures d'accueil remarquables, disposition de moyens de biologie embarquée...On note une formidable dynamique grâce à l'implication de tous.

Le nouveau système d'organisation des soins articulé autour des ARS a été source de complications. Quand l'ARS, la CPAM et la direction de l'hôpital s'entendent, cela marche pourtant bien. L'ARS n'a pas accès à toutes les données, alors que la caisse primaire d'assurance maladie les possède... Il serait pourtant simple de rationaliser en assurant un dialogue minimal entre les différents décideurs.

Je n'ai pas de position pré-arrêtée quant aux formules d'accueil de soins à développer sur le terrain ; je pense simplement qu'il faut s'adapter aux besoins des territoires comme aux aspirations des professionnels. Beaucoup de médecins préfèrent un exercice salarié : tenons-en compte en développant les centres de santé. Les maisons de garde, quant à elles, ne fonctionnent pas partout L'essentiel est d'offrir le choix le plus large à la population. Comme on le dit souvent, la médecine à l'acte produit trop d'actes, la médecine salariée n'en produit pas assez ! L'idéal est de mêler les deux.

La gériatrie est un enjeu majeur. Alors que les Ehpad ont été conçus pour être les lieux d'accueil de la fin de vie, les derniers moments de la vie se passent souvent sur un brancard dans un service d'urgence. Ce n'est satisfaisant pour personne ! Il ne s'agit pas de médicaliser les Ehpad mais d'offrir la possibilité d'une prise en charge médicalisée entre leurs murs, par l'accès à l'hospitalisation à domicile ou aux soins palliatifs, dans le cadre d'une collaboration entre le médico-social et le sanitaire. A coût inchangé, on peut améliorer la prise en charge de la fin de vie.

Nos propositions sont simples ; elles ne requièrent pas de nouveaux moyens mais une volonté politique. Nous prônons ainsi la suppression du 116-117, inefficace. Tout cela part de constats pragmatiques : au début de notre mission, je défendais la fusion du 18 et du 15 ; au terme de nos travaux, je n'y suis pas favorable, car j'ai été convaincu que cela ne correspondrait pas aux besoins du terrain. En revanche, pourquoi ne pas encourager la collaboration entre les Samu, et avancer vers des Samu interdépartementaux ?

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Génisson

Je voudrais mettre l'accent aussi sur les difficultés de l'aval, qui recouvre de nombreux problèmes. Il est très important de disposer de services de gériatrie et de médecine générale ; et pour cela, de ne plus fermer de lits à l'hôpital, mais de remplacer les lits de chirurgie destinés à être fermés par des lits de médecine générale. Par ailleurs, que faire lorsque l'on reçoit un appel à 21 heures à propos d'une personne âgée, si l'on n'a pas accès à son dossier médical ? La télémédecine serait en outre une aide précieuse dans ce type de situation : voir la personne, même à distance, aide à faire un diagnostic. L'exigence qualitative doit nous guider : c'est la meilleure source d'économies !

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Milon

Je n'ai pas pu assister au début de cette réunion car je rencontrais la ministre de la santé. Elle a abordé les sujets dont nous parlons. C'est une professionnelle de la santé, une praticienne qui a conscience des difficultés de la médecine. Elle entend lutter contre l'intérim, l'une des grandes erreurs de la loi HPST. Elle veut mettre en avant la reconnaissance de la qualité, au-delà de la logique de l'acte. Elle souhaite travailler avec le Parlement très en amont du PLFSS, dès la rentrée. J'ai l'impression qu'elle sera à l'écoute de nos propositions. J'ai rappelé que selon nous le seul patron en matière de politique de santé est celui qui a la légitimité, c'est-à-dire le ministre. Les ARS comme la Cnam doivent exécuter la politique définie par le Gouvernement et le Parlement.

La commission autorise la publication du rapport.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Milon

Nous passons à l'examen du rapport d'information de MM. Jean-Noël Cardoux et Yves Daudigny, au nom de la Mecss, sur l'état des lieux et les perspectives des mesures incitatives au développement de l'offre de soins primaires dans les zones sous-dotées.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Noël Cardoux

Les mêmes causes produisant les mêmes effets, il y a beaucoup de recoupements entre ce qui vient d'être évoqué et notre rapport. Nous avons travaillé en parfaite harmonie avec Yves Daudigny. La fracture médicale est une réalité. Il n'y a pas de solutions miracles ; on a observé un foisonnement d'initiatives à tous les échelons (de l'État aux collectivités territoriales), sans coordination, ni guichet unique, ni évaluation. Enfin, il existe un fossé, sur ce sujet, entre le terrain et les agences régionales de santé (ARS). Nous le regrettons de même que nous déplorons le manque manifeste de coordination dans l'action des ARS.

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Daudigny

Le sujet des zones sous-dotées, communément désignées dans une approche « grand public » par la formule-choc de « déserts médicaux », est présent dans le débat public depuis plus d'une décennie. En 2007, notre collègue Jean-Marc Juilhard attirait ainsi l'attention, dans un rapport présenté à la commission des affaires sociales, sur les perspectives de la démographie médicale.

Ce sujet a été très présent dans la séquence électorale qui vient de s'achever et figure au premier rang des priorités des élus et des habitants des zones concernées. Portant sur la santé, pour laquelle il existe, dans notre pays, un attachement très fort pour une prise en charge solidaire, il cristallise un sentiment d'abandon, voire de relégation.

Notre communication d'aujourd'hui est directement issue des débats du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) et, avant cela, de la loi « Santé », au cours desquels ont été présentés des amendements tendant à mettre en place un conventionnement sélectif des médecins dans les zones surdenses.

La commission des affaires sociales - et avec elle le Sénat, comme le Gouvernement - a rejeté ces amendements, tout en proposant que la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss) examine les initiatives prises, dans les territoires, pour favoriser le développement de l'offre de soins primaires.

Au risque de décevoir, mais cela nous semble important de l'exposer d'emblée, nous n'avons pas identifié de « solution miracle » à ce défi : les zones sous-dotées sont des marqueurs de fragilités plus grandes et la manifestation d'une fracture territoriale plus large que la politique sanitaire ne saurait réparer à elle seule, même si elle doit, bien sûr, y contribuer. Nombre de nos interlocuteurs ont ainsi considéré que les attentes à l'égard du sanitaire leur semblaient surdimensionnées et qu'on lui faisait porter des défis plus vastes d'aménagement du territoire et d'attractivité.

En revanche, il nous est clairement apparu, au fil des auditions et des rencontres, que l'on pouvait faire plus, mieux et plus vite sur ce sujet.

Les constats démographiques sont bien établis et, nous semble-t-il, bien connus. Rappelons-les brièvement.

Notre pays ne manque pas de professionnels de santé : au 1er janvier 2015, la France comptait 216 700 médecins de moins de 70 ans, ce qui constitue un maximum historique. Avec 3,3 médecins pour 1 000 habitants, notre pays se situe dans la moyenne de l'OCDE.

Leur répartition territoriale est en revanche très inégale : 3,5 médecins pour 1 000 habitants en Provence-Alpes-Côte d'Azur, 2,3 en région Centre. Ces écarts régionaux ne rendent pas compte, à l'intérieur des départements, des zones sous-dotées, dont le maillage est plus fin.

Ces disparités ne sont pas corrélées aux besoins de santé des populations : la densité médicale des Hauts-de-France est inférieure à la moyenne nationale, alors que la surmortalité par cancer y est par exemple supérieure de plus de 18 % à la moyenne de la France métropolitaine.

Pour les professions de santé, le principe de la libre installation conduit à privilégier certaines régions, comme pour d'autres professions et pour les mêmes raisons. C'est le cas, notamment, des zones littorales de l'ouest de la France.

Cette répartition inégale sur le territoire se conjugue, de surcroît, avec un triple phénomène : le vieillissement de la population médicale, singulièrement pour la médecine générale ; une diminution du temps médical liée à l'évolution des pratiques et des modes de vie qui se conjugue à une désaffection pour l'exercice libéral. Les médecins travaillent beaucoup (57 heures par semaine en moyenne), mais comme l'a souligné une jeune médecin, il faut tout de même 1,5 médecin pour remplacer un départ à la retraite ; enfin, une augmentation de la demande de soins liée au vieillissement de la population.

En intégrant ces éléments, la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques du ministère de la santé, la Drees, estime que la « densité médicale standardisée, calculée sur la base du recours par âge aux médecins de ville, va diminuer à 3 médecins pour 1 000 habitants en 2023 pour amorcer une remontée à partir de 2025 et retrouver en 2032 son niveau de 2015 ». L'offre libérale serait plus durement affectée : après une baisse de 30 % entre 2016 et 2027, elle resterait inférieure de 18 % à son niveau de 2015.

Le constat est donc connu et, si les difficultés sont d'ores et déjà présentes, elles atteindront leur point haut à très court terme, d'ici cinq ans.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Noël Cardoux

D'après nos interlocuteurs, la prise de conscience des effets des évolutions de la démographie médicale a été plus tardive en France que dans d'autres pays européens.

Des initiatives nombreuses ont néanmoins été prises, en particulier par les collectivités territoriales, à qui la loi de 2005 sur le développement des territoires ruraux a donné un cadre. L'assurance maladie a mis en place des incitations financières et l'État, à sa suite, a instauré des dispositifs fiscaux et confié aux ARS des compétences pour organiser la territorialisation du système de santé. Le pacte territoire-santé de 2012 a tenté de structurer les différents dispositifs dans un plan d'ensemble.

Toutefois, sans s'inscrire dans une réelle stratégie globale, ni même partir d'un diagnostic partagé, les dispositifs restent foisonnants, non coordonnés, parfois concurrents et ont en commun de n'avoir donné lieu à aucune évaluation. L'institut de recherche et documentation en économie de la santé (IRDES) nous a ainsi indiqué que, faute de données, il n'avait pas été capable d'évaluer les mesures prises depuis 2003. Nul besoin de vous dire que nous avons été surpris...

Cela peut susciter l'incompréhension des acteurs. Ces constats mettent en évidence la nécessité d'un meilleur pilotage et d'une plus grande concertation entre les ARS, les collectivités territoriales et les professionnels de santé. Il s'agit de valoriser les complémentarités entre les territoires plutôt que d'aboutir à des concurrences néfastes.

La notion même de zonage en fonction des différents objectifs de politiques publiques fait question. À l'initiative du précédent gouvernement, une révision est en cours, sur le critère, plus objectif, du nombre de consultations disponibles par habitant, ce qui devrait permettre de donner une plus grande cohérence à l'action des pouvoirs publics. Lorsqu'on discute avec les élus, on voit bien que le zonage ne correspond pas aux réalités locales, par exemple en ne prenant pas en compte le fait que des médecins ne travaillent qu'à temps partiel. En outre, il n'est pas toujours mis à jour.

D'une manière générale, nous avons constaté un décalage considérable entre les positions et les réflexions des acteurs de terrain et les institutionnels, en particulier les différentes agences concernées et les ARS. De plus, les politiques mises en oeuvre peuvent varier sensiblement entre les ARS et selon leurs directeurs.

Ce constat étant posé, nous avons tenté, à partir des informations recueillies au cours de nos auditions et de nos déplacements, de hiérarchiser les différents leviers d'action afin d'en tirer des préconisations.

Le premier levier identifié, évoqué la semaine dernière par plusieurs de nos collègues en commission, est celui du relèvement du numerus clausus.

Ce levier a été actionné par les gouvernements, fortement au début des années 2000 (+ 86 % entre 2000 et 2006), plus modérément ensuite (+ 50 % entre 2007 et 2015), puis de façon ciblée, sur dix territoires à partir de 2012, dans le cadre du pacte territoire-santé.

Il appelle de notre part plusieurs remarques.

En premier lieu, comme nous l'avons déjà évoqué, il n'y a pas de lien automatique et direct entre le nombre de professionnels de santé et la qualité de leur répartition territoriale. Si tel était le cas, nous n'aurions pas, à l'heure actuelle, de problème de zones sous-dotées.

Dans d'autres professions paramédicales, comme les infirmiers ou les masseurs-kinésithérapeutes, la forte croissance des effectifs ne s'est pas accompagnée d'un rééquilibrage territorial. Les syndicats de médecins ont estimé qu'un nouveau relèvement du numerus clausus conduirait au même constat s'agissant de leur profession. On peut également mentionner le fait qu'une partie des étudiants qui sortent de médecine n'exercent finalement pas la profession pour laquelle ils ont été formés.

En second lieu, les capacités de formation doivent pouvoir s'adapter, notamment pour proposer des terrains de stage à tous les étudiants.

En outre, la régulation des flux étudiants ne résout pas la question de la désaffection pour certaines spécialités comme la médecine générale. De même, l'augmentation ciblée sur certaines régions ne garantit pas que les étudiants s'installeront sur place, ni même qu'ils s'installeront, au sein de la région de leur formation, dans une zone sous-dotée.

Enfin, le numerus clausus est un instrument à relativement long terme, alors que nos difficultés les plus criantes sont à un horizon de 5-10 ans. Au-delà, l'offre de soins se redresse nettement, même si elle ne retrouve pas, pour les médecins en exercice libéral, son niveau de 2015.

Pour conclure sur ce sujet du numerus clausus, que le Président de la République a qualifié d'injuste et inefficace, nous pensons que toute une série de raisons peut plaider en faveur de son relèvement. Une approche libérale pourrait consister à laisser l'offre de médecins se réguler d'elle-même, par les revenus ou par les débouchés, ou à ne pas écarter si brutalement du métier de leurs rêves des étudiants motivés. En revanche, sauf à ce que les étudiants supplémentaires ainsi formés, incités ou contraints, aillent exercer dans une zone sous-dotée, difficile à déterminer 10 ans à l'avance, il ne nous semble pas constituer une réponse adaptée à la question qui nous intéresse aujourd'hui.

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Daudigny

Le second levier que nous avons examiné est celui des aides financières individuelles. Elles prennent des formes diverses : garantie de revenu, démarrage de l'activité, aides à l'installation... Les aides incitatives financées par l'assurance maladie atteignaient un montant total de 46,2 millions d'euros en 2016, toutes professions confondues.

Pour ce qui concerne les mesures fiscales, les montants sont significatifs : 19 millions d'euros au titre des exonérations pour la permanence des soins et 12 millions d'euros au titre des zones de revitalisation rurale. Sur ce dernier dispositif, déjà ancien et bien installé dans le paysage des exonérations fiscales, il semble que l'exonération soit connue et qu'elle intervienne dans les choix d'installation, même si elle n'est pas la motivation première.

Les dispositifs de garanties de revenu (contrat de praticien territorial de médecine générale) ont été déclinés par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2015 en ce qui concerne le maintien de l'activité (contrat de praticien territorial de médecine ambulatoire) et par la loi de financement pour 2017 en ce qui concerne la facilitation des remplacements (contrat de praticien territorial médical de remplacement). Le bilan de ces dispositifs, il est vrai encore très récents, reste modeste. Dans les faits, la garantie de revenu joue peu et se limite aux premiers mois d'activité, ce qui s'explique par le profil de l'activité médicale dans les zones sous-dotées. Ce n'est pas le défaut d'activité qui pose problème, mais plutôt son trop-plein, qui laisse peu de place à la vie privée et familiale.

La quasi-totalité de nos interlocuteurs a souligné que le revenu n'était pas un élément décisif. Dès l'instant où un revenu cible est atteint, ce qui peut être le cas pour les médecins, quelle que soit la zone d'installation, le revenu marginal supplémentaire n'est pas forcément incitatif. Cela ne remet pas en cause à nos yeux la légitimité de ces aides, qui compensent des sujétions particulières pour les médecins exerçant en zone sous-dotée.

Nous sommes réticents à l'idée qu'une protection sociale différenciée puisse s'appliquer aux médecins en fonction de leur zone d'exercice, ce qui était le cas jusqu'à récemment pour la protection maternité. En revanche, il nous semble qu'une réflexion devrait s'engager sur le coût de la protection sociale des professionnels de santé en exercice mixte, qui veulent exercer une activité libérale alors qu'ils sont déjà salariés, ou en situation de cumul emploi-retraite. Le coût de la protection sociale à acquitter peut être dissuasif, notamment pour les médecins retraités, quand il s'agit de cotiser sans avoir de contrepartie à attendre en retour.

Devant le constat que les conditions d'exercice peuvent primer sur le revenu dans les décisions d'installation des médecins, les aides financières individuelles ont été complétées par des aides à l'investissement et au fonctionnement. Relativement modestes dans la convention médiale de 2011 - 5 000 euros par an pour les aides à l'investissement et jusqu'à 20 000 euros par an pour les aides à l'activité -, ces aides ont été reconfigurées par la convention de 2016 en quatre contrats démographiques, dont le montant peut être en partie modulé par les ARS. Les aides deviennent très significatives, puisqu'elles peuvent aller jusqu'à 55 000 euros.

Les différentes aides constituent cependant un ensemble devenu peu lisible. Nous avons pu constater dans l'Aisne que l'ARS avait mis en place un dispositif de guichet unique pour informer les candidats à l'installation sur les aides qui existent et sur les différentes démarches à accomplir, que ce soit auprès du conseil de l'ordre, de l'assurance maladie ou des services fiscaux ; il s'agit aussi de faciliter ces démarches. Le guichet unique ne s'étend toutefois pas aux aides dispensées par les collectivités territoriales, dont il n'existe aucun recensement exhaustif. S'il est déjà difficile d'estimer l'effort financier global consenti par l'État et l'assurance maladie en faveur du rééquilibrage territorial de l'offre de soins, aucun document ne retrace les nombreuses initiatives prises dans ce domaine par les collectivités territoriales.

Nous préconisons de généraliser ces dispositifs de guichet unique et de les élargir aux aides servies par les collectivités territoriales.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Noël Cardoux

Nous avons indiqué que le bilan des mesures incitatives, récemment orientées vers les aides au fonctionnement, était encore modeste et ne s'était pas traduit par des statistiques d'installation en forte hausse dans les zones sous-dotées. Faut-il alors passer à des mesures plus coercitives et quel pourrait en être le contenu ?

Certains de nos interlocuteurs, comme l'association des maires ruraux et les représentants d'associations d'usagers ou certains de nos collègues, encore récemment Hervé Maurey et Louis-Jean de Nicolaÿ dans un rapport au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, soutiennent la mise en place d'un conventionnement sélectif. Il s'agirait de n'autoriser le conventionnement d'un médecin dans les zones surdotées qu'en cas de remplacement d'un départ à la retraite. Cette mesure s'imposerait, face à la faible efficacité des mesures incitatives, par le fait qu'elle s'applique à d'autres professions de santé et qu'elle est justifiée par l'intérêt des populations et par une surconsommation de soins dans les zones surdotées.

Au terme de nos auditions, nous restons sceptiques sur cette option, qui a d'ailleurs été repoussée avec constance par notre commission au fil des différents textes, considérant qu'une mesure de ce type ne pourrait être mise en place que par la voie conventionnelle, c'est-à-dire dans le cadre d'une négociation avec les intéressés.

Cette mesure s'applique pour le moment aux sages-femmes et aux infirmiers dans le cadre de leur convention avec l'assurance maladie, de manière négociée et à la demande de ces professions pour des raisons liées à leur forte évolution démographique. Rappelons que les médecins y sont hostiles, qu'une telle mesure pourrait détourner les jeunes médecins de l'exercice libéral sans écarter le risque d'une médecine « à deux vitesses ». Je rappelle en outre que la convention des masseurs-kinésithérapeutes, qui prévoyait une telle mesure, a été attaquée en justice.

Surtout, cette mesure ne nous paraît pas garantir, parallèlement, les installations en zones sous-dotées pour plusieurs raisons. Compte tenu du vieillissement de la population médicale, évoquée au début de notre propos, les départs en retraite dans les zones surdotées ne seront pas rares dans les années à venir, limitant fortement l'impact d'un conventionnement sélectif. En outre, l'ordre des infirmiers ne nous a pas caché les « aménagements » auxquels donnait lieu le conventionnement sélectif : abus du statut de remplaçant dans les zones surdotées, installations en lisière des zones surdotées... Ce sont les mêmes phénomènes qui ont été relevés en Allemagne après l'instauration d'un conventionnement sélectif. La régulation des installations dans les zones surdotées n'a pas eu pour corollaire une augmentation dans les zones sous-dotées.

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Daudigny

Sur la base de ce constat, il nous a semblé plus expédient de s'appuyer sur les besoins de santé des populations et les aspirations des médecins. Celles-ci sont bien documentées : les jeunes médecins privilégient l'exercice collectif ou, à tout le moins, l'exercice en réseau.

C'est à ce besoin que répondent les maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP) qui, même si elles ne représentent encore qu'une part modeste de l'offre ambulatoire (4 % des médecins généralistes en activité, 7 % de ceux qui exercent en libéral), ont connu un développement très rapide : de 20 en 2008, elles sont aujourd'hui plus de 900 et devraient prochainement dépasser les 1 200.

Le développement des MSP est à la fois soutenu et encadré par les pouvoirs publics. Elles bénéficient d'aides de l'État, via le fonds d'intervention régional (FIR). Des aides de l'assurance maladie - les « nouveaux modes de rémunération », qui permettent de valoriser le travail en équipe - ont été généralisées en 2015 et renforcées par l'accord conventionnel interprofessionnel du 20 avril 2017. En 2016, ces aides représentaient en moyenne 41 000 euros par structure, mais seule la moitié d'entre elles y sont éligibles.

Les maisons de santé contribuent au rééquilibrage de l'offre de soins. Leur mise en place a permis d'observer une évolution favorable dans les espaces ruraux. Structurées autour d'un projet de santé - c'est un point essentiel, nous en reparlerons -, ces structures prennent en compte les besoins de suivi des patients ; par la mutualisation des fonctions supports (entretien, informatique, secrétariat...), ces organisations permettent d'augmenter le temps médical disponible.

D'après les visites que nous avons faites, le modèle est assez séduisant : il s'agit d'espaces modernes, spacieux, bien équipés et attractifs.

Nous avons pu constater, cependant, la part très importante que prenait le leadership dans ces opérations : devant la complexité et les lourdeurs à surmonter pour mettre en place un tel projet, il faut une personnalité fédérative, souvent un médecin, dotée d'une forte capacité d'entrainement, qui rencontre un engagement résolu des élus locaux. Autant dire que l'installation d'une maison de santé ne se décrète pas.

La contrepartie est qu'il s'agit d'installations coûteuses, qui se traduisent par des loyers élevés pour les professionnels. Il faut être vigilant au calibrage des coûts afin de ne pas créer de « mini-hôpitaux » dans certains territoires.

Enfin, les cahiers des charges sont très - voire trop - exigeants et les ARS parfois peu aidantes. Nous comprenons bien l'opportunité pour les pouvoirs publics de structurer l'offre ambulatoire en apportant un soutien aux MSP, mais nous considérons qu'il faut savoir faire preuve d'une certaine souplesse pour avancer. Le soutien à des structures secondaires, où peuvent venir exercer ponctuellement certains professionnels, ou le soutien au regroupement de paramédicaux ou à l'amorçage d'une structure comprenant un seul médecin nous paraît aussi devoir être encouragé. Il faut positionner les ARS en appui et en accompagnement, et non pas seulement en contrôle des porteurs de projets.

Les maisons de santé constituent une réponse intéressante, mais ce n'est pas la seule. D'une manière générale, il faut développer la coopération entre médecins, en ville et à l'hôpital, et entre professionnels de santé. Il nous semble à cet égard que le foisonnement des offres de logiciels, sans labellisation ou normes imposées, est un frein au développement du travail en réseau entre professionnels de santé. Les logiciels sont très nombreux, rarement compatibles entre eux et souvent coûteux. Les unions régionales de professionnels de santé (URPS) pourraient fournir des recommandations dans ce domaine.

L'évolution démographique des différentes professions de santé pourrait aussi constituer une opportunité pour optimiser le temps médical en développant les délégations d'actes, les coopérations entre professionnels et d'autres pratiques avancées. À la différence des générations précédentes, les jeunes médecins y sont tout à fait favorables. Il est regrettable que, depuis la loi « Santé », l'exercice en pratique avancée ne soit toujours pas possible, faute de texte réglementaire. Un financement incitatif reste encore à mettre en place.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Noël Cardoux

Le financement est également le principal frein au déploiement de la télémédecine.

Introduite dans le code de la santé publique par la loi HPST de 2009, la télémédecine offre un potentiel considérable pour les zones sous-dotées, comme nous avons pu le constater dans le Loiret, au cours d'une démonstration sur le fonctionnement d'un chariot de télémédecine. Celui-ci fait intervenir un infirmier ou auxiliaire médical pour l'examen physique du patient, tandis que le médecin n'est mobilisé à distance que pour le temps qui exige son expertise et ses compétences. La démonstration était particulièrement impressionnante.

En matière de télémédecine, l'expérimentation prévue par les lois successives (lois de financement de la sécurité sociale pour 2014, puis pour 2017) n'a eu que des effets dilatoires sur le déploiement de ces techniques, alors que la dernière convention médicale s'est engagée sur la prise en charge de deux types d'actes dans les EHPAD.

Nous avons été pour le moins surpris, lorsque le directeur général de la Haute autorité de santé nous a indiqué que le critère d'évaluation des actes de télémédecine était la durée de vie des patients pris en charge de cette manière par rapport aux autres patients. Ce critère n'a pas plus de sens pour la télémédecine que s'il était appliqué à une consultation ordinaire. Il ne s'agit plus d'évaluer les apports de la télémédecine, mais bien de définir comment doit intervenir sa prise en charge.

Là encore, il ne s'agit pas d'une réponse unique, mais d'un outil dont il ne faut plus retarder le déploiement.

Nous en terminerons avec le levier considéré comme le plus efficace par nos différents interlocuteurs, celui qui consiste à tisser un lien entre un futur médecin et un territoire au cours de sa formation, via des bourses d'études et des stages.

Nous avons pu le constater au cours de nos déplacements, les installations de professionnels sont toutes issues d'histoires personnelles : le hasard d'un remplacement, la découverte d'un territoire au cours d'un stage, le retour dans sa famille, le suivi d'un conjoint...

La loi HPST a créé le contrat d'engagement de service public afin d'inciter les étudiants et internes en médecine à s'installer en zone sous-dotée. L'aide est importante, 1 200 euros par mois, mais le bilan reste modeste malgré le volontarisme des ARS ; le nombre de ruptures de contrat va croissant (15 en 2015), les allocations étant remboursées en fin d'études malgré le montant élevé des pénalités prévues en pareil cas. Les étudiants reprochent au dispositif son manque de lisibilité - ils ne savent pas sur quelle zone ils s'engagent - et la faiblesse de l'accompagnement : ils n'ont parfois aucun contact avec l'ARS pendant la durée du contrat.

Il nous semble qu'il faut personnaliser et accompagner davantage cet engagement, qui ne doit pas être une simple bourse d'études. Dans les conditions actuelles, on comprend que les étudiants hésitent. Il faut vraiment faire du sur-mesure dans ce type de dispositif.

Enfin, le développement des stages de médecine générale en ville est une impérieuse nécessité. Introduit il y a 20 ans dans le deuxième cycle des études médicales, pour une durée de trois mois, il n'est pas encore généralisé.

Le soutien au recrutement de maîtres de stage et la valorisation de cette fonction nous semblent indispensables, de même que la généralisation et l'augmentation de la durée du stage de médecine générale au cours de l'externat. Certains assouplissements semblent également nécessaires, notamment sur la possibilité d'agréer des lieux de stage hors de la zone de rattachement de l'université dans les zones « frontière ». Il nous a semblé absurde qu'un étudiant venu de Reims ne puisse pas effectuer son stage dans l'Aisne, alors que peinent à y venir les étudiants de la faculté d'Amiens.

En conclusion, même si nous n'avons pas identifié de grande mesure phare susceptible de résoudre à court terme tous les problèmes de démographie médicale, les leviers d'incitation au développement de l'offre de soins dans les zones sous-denses existent. Ils appellent, de la part des pouvoirs publics et des territoires, souplesse et imagination, sans nécessairement chercher à reproduire l'existant.

Le modèle du médecin de campagne dévouant sa vie à ses patients plus de 70 heures par semaine est sans doute en voie de disparition, mais il peut être remplacé par un autre modèle pluriprofessionnel en réseau et pour partie à distance, sans sacrifier pour autant les besoins de santé des populations.

Il reste que la politique sanitaire ne peut répondre isolément à l'ensemble des défis d'aménagement du territoire dans notre pays. Elle doit s'inscrire dans un plan d'ensemble pour les zones qui comportent bien d'autres facteurs de fragilité.

Voici, monsieur le président, mes chers collègues, les principales observations et recommandations que nous souhaitions vous présenter.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Milon

Je vous remercie pour cette présentation. Dans le rapport que j'ai préparé avec Jacky Le Menn en 2014 sur les agences régionales de santé, nous avions déjà relevé qu'il existait finalement autant de politiques de santé que de directeurs d'ARS...

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

Je souhaite également remercier les auteurs de ce rapport. Nous savons bien qu'avec la fracture numérique, la question des déserts médicaux reste en tête des préoccupations des élus locaux. Dans la région Pays de la Loire, le président Retailleau m'a chargé de mettre en place un plan d'accès aux soins, qui comporte différents aspects complémentaires, et je retrouve ici l'analyse que nous avons faite pour imaginer ce plan.

Vous l'avez dit, le zonage est en cours de révision, il détermine naturellement les aides financières et on peut imaginer que les zones éligibles seront réduites. Il faut aussi être conscient qu'un zonage de ce type connaît des limites évidentes, parce que la situation évolue à la fois dans le temps et dans l'espace.

En ce qui concerne les maisons de santé pluriprofessionnelles, les élus doivent bien intégrer le fait que le projet médical est essentiel. Construire une maison de santé - même belle ! - sans un tel projet ne peut pas fonctionner. Dans les Pays de la Loire, l'ARS soutenait la construction, si bien que la région a choisi de se concentrer sur d'autres aspects, par exemple l'aide à l'ingénierie ou le soutien à des structures multisites. Tandis que l'ARS a plutôt pour interlocuteurs les professionnels de santé, nous nous tournons plus naturellement vers les élus pour les aider à adapter leurs projets aux besoins, mais nous soutenons aussi l'association des pôles et maisons de santé libéraux des Pays de la Loire, qui vient en appui des professionnels eux-mêmes.

Vous avez évoqué la télémédecine. À ce sujet, on bute sur des questions de facturation et de réglementation. Nous avons créé un fonds régional d'accompagnement de l'innovation en santé ; dans ce cadre, j'ai encore récemment vu l'exemple d'un projet de téléconsultation à distance, notamment destiné à des zones rurales, auquel l'ARS s'est opposé pour des raisons réglementaires. Il faut vraiment lever ces blocages.

Il est aussi très important de mettre en avant l'exercice pluriprofessionnel rassemblant médecins, infirmiers, masseurs-kinésithérapeutes... Pour cela, il est nécessaire de faire travailler ensemble les différents instituts de formation. C'est ce que nous faisons dans les Pays de la Loire.

Dans le même état d'esprit, la région cofinance des projets de recherche en soins primaires qui rassemblent les CHU et les universités, mais aussi les professionnels qui exercent en maison de santé.

Comme vous le disiez, il n'existe pas de solution miracle, il faut multiplier les actions et lever les blocages réglementaires encore trop nombreux. Au sujet d'éventuelles obligations liées à l'installation des médecins, il me semble que seul le conventionnement peut véritablement fonctionner.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Watrin

Je remercie les rapporteurs pour leur présentation. Il me semble tout d'abord que les statistiques disponibles sont insatisfaisantes et peuvent difficilement, en l'état, aboutir à des conclusions sur la question du manque de médecins ou de leur mauvaise répartition. Il faudrait aller plus loin pour savoir combien de jeunes diplômés s'installent effectivement et combien fuient la profession ou restent remplaçants. Il faudrait aussi mieux appréhender la question du temps partiel. Seule une évaluation exprimée en heures de disponibilité effective auprès des usagers peut nous permettre d'avoir une vue claire des choses.

Les rapporteurs n'ont pas évoqué un point qui me semble important : la présence ou non d'un CHU. Dans ma région, il n'y a pas de véritable problème dans un rayon de 30-40 kilomètres autour du CHU de Lille, mais les difficultés sont fortes pour faire venir des médecins dans le Pas-de-Calais. Vous l'aurez compris, je milite pour l'ouverture d'un CHU dans mon département...

Par ailleurs, si nous voulons que des médecins s'implantent dans des villes ou quartiers populaires, il faut inciter les jeunes issus de milieux modestes à accéder aux études médicales. Il ne s'agit donc pas seulement d'accompagner financièrement, mais aussi de diffuser largement les informations pertinentes, voire de travailler sur le contenu des études médicales et des examens. Chacun connaît les critiques récurrentes sur le bachotage...

J'ai un autre regret sur ce rapport : vous évoquez les maisons de santé pluriprofessionnelles, dont on connaît la fragilité, mais vous ne parlez pas du tout des centres de santé. Certaines ARS ou régions aident ces structures, pas d'autres, ce qui entraîne d'importantes inégalités territoriales. Si l'élaboration des projets régionaux de santé s'effectuait en toute transparence, cette préoccupation pourrait être avancée mais ce n'est pas le cas !

Enfin, pour lutter contre la désertification médicale, il me semble que c'est aussi le rôle de la sécurité sociale et des organismes complémentaires de réinvestir la question du maillage territorial.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Bricq

Dans leur proposition n° 1, les rapporteurs veulent confier aux ARS la mission de recenser l'ensemble des dispositifs existants au niveau des territoires de proximité, mais ils ont eux-mêmes indiqué dans leur présentation que les ARS connaissent mal l'existant. N'est-ce pas contradictoire ? Les agences ont été créées en 2009 et je ne suis pas certaine qu'elles feront correctement un tel travail, sauf - peut-être - si la ministre prend clairement la main. Je constate en effet qu'il s'agit d'abord de machines très technocratiques. Ne vaudrait-il donc pas mieux confier cette mission à un autre organisme ?

Toujours en ce qui concerne les ARS, les rapporteurs proposent qu'elles accompagnent mieux les professionnels de santé qui s'installent. La définition actuelle de leurs missions le permet-il ? Aujourd'hui, elles ne savent pas et ne veulent pas le faire. Rappelons-nous que les ARS ont d'abord été construites comme des préfets de la santé et des bras armés de l'assurance maladie ! On constate aussi qu'elles mènent des politiques très différentes selon la personne qui les dirige.

En ce qui concerne les maisons de santé, le montant d'aides que vous mentionnez (41 000 euros) inclut-il l'ensemble des aides qu'elles reçoivent ? Incluez-vous celles versées par les collectivités territoriales, qui sont importantes et parfois indirectes ?

Dominique Watrin a raison de relever l'importance de la présence d'un CHU ; c'est aussi le cas dans mon département : à proximité d'Henri-Mondor, il n'y a pas de problème, mais dans le reste du département, notamment sa partie rurale, ce n'est pas la même chose !

N'y a-t-il pas aussi une sorte de mode des maisons de santé, car on constate qu'elles ne sont pas toujours placées là où elles devraient l'être ? Je connais l'exemple d'une belle maison de santé, excentrée, dont les médecins sont partis au bout de quelques années.

Le candidat Emmanuel Macron, que j'ai soutenu, a beaucoup insisté sur ces questions durant la campagne présidentielle et la nouvelle ministre des solidarités et de la santé, Mme Buzyn, elle-même professionnelle de santé, a évoqué ce sujet très vite après sa nomination. Nous serons naturellement très attentifs aux moyens dont elle se dote pour répondre aux préoccupations des Français.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Génisson

La ministre a confirmé qu'elle entendait piloter la politique de santé, ce qui va clarifier le rôle de chacun. Les ARS sont le bras armé de la ministre et la Cnam est le service gestionnaire et payeur.

La création des ARS est récente et chaque ARS dépend de la personnalité de son dirigeant. Dans la région Nord-Pas-de-Calais, nous avons eu un directeur remarquable, Jean-Yves Grall.

En revanche, certains directeurs se sont conduit comme de petits caporaux. Mme la ministre devrait y mettre bon ordre. Il est surprenant de constater que les ARS n'évaluent pas les dispositifs mis en place tant par les pouvoirs publics que par les collectivités territoriales.

Les projets de maisons de santé doivent reposer sur la volonté des professionnels et non des seuls élus locaux qui s'étonnent ensuite de voir leurs bâtiments se vider. N'oublions pas non plus les médecins qui veulent exercer seuls leur métier. Un effort d'accompagnement serait souhaitable.

Les centres de santé sont également indispensables.

Vous avez beaucoup insisté sur le formatage des études médicales et sur le mode de sélection des étudiants en médecine. Un recrutement social devrait également être envisagé : quasiment aucun fils d'ouvrier ne suit des études de médecine.

Il faudrait également revenir à un internat de région qui permettrait de sédentariser les étudiants y ayant suivi leurs études.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Génisson

Dans le Nord-Pas-de-Calais, il y a 1,5 million d'habitants. Je vous renvoie à l'intervention de M. Watrin.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Chasseing

Comme cela a été dit, il y a plus de 3 médecins pour 1 000 habitants. Mais n'y a-t-il pas beaucoup de médecins qui ont entre 50 et 70 ans ? Comme vous, je pense qu'il faut former 1,5 médecin pour chaque départ.

Plus de 70 % des médecins sont des femmes : or, la plupart travaillent à temps partiel. Je milite donc pour un relèvement du numerus clausus.

En milieu rural, des masseurs-kinésithérapeutes et des infirmiers commencent à s'installer : il n'y a donc plus de pénurie.

Il faudra sans doute arriver à un conventionnement sélectif pour éviter une fracture territoriale insupportable.

Comme l'a dit Mme Deroche, il faut accompagner la création des maisons de santé. Mais les procédures avec les ARS sont particulièrement longues. Un peu plus de souplesse ne nuirait pas.

D'accord pour la télémédecine, à condition d'avoir le haut débit.

Les ARS doivent informer les lycéens qu'ils peuvent percevoir une bourse de 1 200 euros par mois si, une fois médecins, ils s'installent en milieu rural.

Au cours des études médicales, il n'y a que trois semaines de stage en médecine générale sur six stages de six semaines : c'est insuffisant.

Enfin, je suis tout à fait favorable à un internat de région.

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

Merci pour ce rapport qui, hélas, est désolant. Il y a cinq ou six ans, si nous avions augmenté le numerus clausus, nous n'aurions plus que trois ans à attendre. Il nous faut augmenter de 50 % la formation des nouveaux médecins. L'internat de région est le seul moyen pour y parvenir.

Plutôt que de multiplier les aides étatiques et locales et les intervenants, il serait plus judicieux de former plus de médecins. La concurrence les forcerait à s'installer sur tout le territoire. Du fait du numerus clausus, un certain nombre d'étudiants vont se former à l'étranger, comme le font les vétérinaires. Allez expliquer à nos concitoyens qu'ils versent des impôts pour payer des médecins qui ont suivi 10 ans d'études afin qu'ils s'installent en zones sous-dotées ! En outre, ces médecins vont payer 40 % d'impôts...

Comme pour les retraites, une réforme systémique s'impose.

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Gatel

Ce sujet - véritable marronnier - témoigne de la fracture territoriale et devrait être traité dans le cadre de la Conférence nationale des territoires.

Chaque élu local veut pour son village une épicerie, une poste et un médecin, d'où la multiplication des maisons médicales. Il faut accompagner ces élus, car ces maisons ne peuvent exister que si un professionnel porte le projet.

Présidente de l'association des maires de mon département, il m'arrive de dire aux élus locaux qu'il est déraisonnable de vouloir dans chaque village une maison de santé. Un chef de file est indispensable pour mener ces projets à terme et la mobilité pour l'accès aux soins ne doit pas être oubliée, avec la mise en place de taxis ou de navettes.

Debut de section - PermalienPhoto de Evelyne Yonnet

Je crois aux centres municipaux de santé (CMS) qui permettent une médecine pour tous. Dans ma commune de Seine-Saint-Denis, il en coûte 1,3 million à la collectivité. Comme l'a dit M. Watrin, les CMS sont les grands oubliés. Cette médecine est accessible à tous et elle correspond à la demande des jeunes médecins qui veulent sauvegarder leur vie de famille. Nous avons également mis en place un bus santé axé sur la prévention et qui va au contact de la population.

Ce rapport a toute sa place dans le futur Conseil des territoires. Les maisons de santé ne sont pas la seule solution : de nombreuses collectivités innovent en ce domaine, mais ces initiatives ne sont pas connues. Un effort d'information est nécessaire.

Les ARS ne sont pas toujours conciliantes mais elles mènent des initiatives intéressantes, notamment sur le diabète, l'obésité, le VIH.

Plutôt qu'une multiplicité d'aides qui ne satisfont personne, pourquoi ne pas prévoir une aide unique de l'État ?

Personne n'a parlé des contrats locaux de santé, imposés par les ARS. En Seine-Saint-Denis, ces contrats portent sur la démographie médicale et les pathologies spécifiques. Hier, M. Tourenne a évoqué l'indice de développement humain, qui permet de mieux connaître les pathologies, les logements, le travail et le niveau d'éducation.

Les schémas régionaux d'organisation sanitaire (SROS) ont été catastrophiques car ils n'ont pas tenu compte des moyens de transport pour les patients. Les suivis médicaux en ont souffert. La cartographie mise en place ne répond pas aux attentes des malades.

Debut de section - PermalienPhoto de Corinne Imbert

Je partage les réflexions de M. Savary et de Mmes Deroche et Gatel.

Sur les maisons de santé pluridisciplinaires, je commence à en avoir assez de la pensée unique : non, les MSP ne sont pas la solution et j'ai apprécié les réserves de certains de mes collègues. Il s'agit de beaux bâtiments où il est agréable de travailler mais qui ne répondent pas à tous les problèmes. Ces projets doivent avant tout être initiés par des professionnels. Élue d'un territoire rural, ma communauté de communes abonde le budget annexe des MSP à partir de son budget principal, car des loyers ne rentrent pas.

Comme l'Allier, notre département verse des bourses à des étudiants en médecine qui acceptent de s'installer pendant au moins quatre ans dans des zones prédéterminées avec l'Ordre départemental des médecins. Comme l'a dit Mme Deroche, le conventionnement est une piste intéressante mais quelles sont les définitions objectives des zones sous et sur dotées ? À l'automne dernier, j'ai demandé au directeur général de la Cnam de me donner la définition des zones sur-denses : il m'a répondu qu'il n'en existait pas. En outre, il faudrait prendre en compte le taux de personnes âgées, de jeunes enfants...

Contrairement à certains doyens de faculté, je suis favorable à l'augmentation du numerus clausus mais les conséquences ne se feront sentir que dix ans plus tard. Et puis, il faudra s'assurer des capacités d'accueil des facultés, des hôpitaux et des CHU. Comme le dit le rapport, arrêtons d'écarter brutalement les étudiants réellement motivés par ce métier.

Le rapport de l'IGF et de l'Igas rappelle que 97 % de la population se trouve à moins de 10 minutes d'une officine et que seulement 0,5 % se trouve à plus de 15 minutes. Il faut se servir de cette colonne vertébrale.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Cohen

Les ARS sont nées de la loi HPST et le ministre en nomme les directeurs qui ne rendent compte qu'à lui. Depuis 2011, je réclame des contre-pouvoirs afin de partager les décisions et d'éviter cette toute-puissance.

Les nouveaux plans régionaux de santé sont en cours d'achèvement : ni les parlementaires, ni les directeurs d'hôpitaux n'y ont été associés.

Le numerus clausus ne concerne pas que les médecins, mais aussi les professions paramédicales, notamment les orthophonistes dont le manque est criant.

Les étudiants en médecine sont excellents en maths et en physique, mais parfois beaucoup moins bons en sciences humaines. Il faudrait revoir les enseignements.

Je regrette que ce rapport se focalise sur les MSP : il aurait également fallu parler de l'exercice individuel de la médecine et des centres de santé. Dans une MSP, les professionnels exercent une médecine libérale tandis que dans les centres, ils sont salariés et le tiers-payant est pris en charge. Je souhaite un maillage suffisant de ces diverses structures pour répondre aux besoins de notre population.

Debut de section - PermalienPhoto de Jérôme Durain

Ce rapport est inquiétant. Non, les médecins ne vont pas s'installer là où plus personne ne vit. Cette question d'aménagement du territoire doit être prise en main par l'État. Ces sujets sont mal documentés et le déficit de pilotage central est patent.

N'oublions pas non plus la question de la concentration de médecins en périphéries de villes au détriment des centres, ce qui pose problème aux personnes âgées qui ne peuvent se déplacer.

Élu de Bourgogne, j'ai connu des maisons de santé vides, des participations à des salons à l'étranger pour faire venir des médecins, les difficultés pour trouver du travail au conjoint des praticiens, les échecs de dispositifs incitatifs. Toutes ces initiatives doivent être coordonnées pour un meilleur maillage territorial.

Pourquoi ne pas repenser la médecine foraine ?

Président de centre de gestion de la fonction publique territoriale, je n'arrivais pas à trouver des médecins du travail pour les fonctionnaires territoriaux. Nous avons proposé des compléments d'activité à des médecins libéraux pour régler ce problème.

Enfin, mon département vient d'annoncer le recrutement de 30 médecins salariés pour les répartir sur tout le territoire.

Debut de section - PermalienPhoto de Michelle Meunier

Avec ce rapport, nous avons un programme de mission d'évaluation pour le prochain mandat. Pourquoi ne pas demander à Mme la ministre de venir devant notre commission pour présenter une évaluation de la politique menée depuis la création des ARS ?

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Milon

Chacun d'entre vous connaît bien le sujet.

Rien ne se fera sans la participation active des professionnels. S'il y a eu des échecs de maisons médicales, c'est parce que les médecins sont partis seuls, sans les élus, ou l'inverse.

Comme l'a dit Mme Imbert, il faudrait partir du maillage territorial des 24 000 officines et des 4 millions de patients qui s'y rendent quotidiennement. J'ai rapporté la proposition de loi de M. Fourcade qui créait les sociétés interprofessionnelles de soins ambulatoires (Sisa) : les pharmaciens pouvaient participer aux maisons de santé et inversement.

Je rejoins beaucoup d'entre vous au sujet des ARS. Dans ma région, lors de sa création, l'ARS comptait 400 fonctionnaires ; ils sont aujourd'hui 600 et le travail n'a pas augmenté pour autant.

Je suis tout à fait favorable à la création d'un internat régional afin de fixer les internes sur la région.

Maisons de santé, centres de santé, installations individuelles : toutes les formules sont intéressantes. Seules les intercommunalités peuvent signer des contrats locaux de santé avec les ARS. C'est sans doute regrettable.

J'ai demandé un rapport à la Cour des comptes sur les CHU. Les CHU sont souvent aussi des hôpitaux de proximité alors qu'ils devraient se cantonner à l'excellence et au dernier recours. N'oublions pas que les CHU coûtent extrêmement cher. Le directeur général des hospices civils de Lyon nous avait rappelé qu'une bronchiolite coûtait 25 euros chez le médecin généraliste, 250 euros aux urgences d'un centre hospitalier et 1 500 euros aux urgences d'un CHU. Il faut donc remettre l'hôpital de proximité et le CHU à leurs places respectives.

L'Institut Montaigne a publié une étude passionnante sur l'évolution de la médecine : d'ici cinq à dix ans, 80 % des diagnostics se feront directement par smartphone. Le rôle des médecins va donc profondément évoluer, d'où l'importance des sciences sociales dont nous avons parlé. En outre, Google travaille sur cette problématique au niveau mondial : nous risquons de perdre notre autonomie.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Noël Cardoux

Mme Deroche nous a dit que son ARS s'opposait à la mise en place de la télémédecine. Dans mon département, ce n'est pas du tout le cas. Il y a donc divergences entre ARS.

Les nouveaux zonages que sont en train de définir les ARS devront être réactualisés régulièrement : pour ce faire, l'expérience de terrain des élus locaux sera indispensable.

Nous ne disposons pas de statistiques sur le devenir des jeunes médecins, monsieur Watrin.

Nous avons reçu les représentants d'un centre de santé de chirurgiens-dentistes de Seine-Saint-Denis : les collectivités doivent compenser les pertes financières et il s'agit d'un modèle plutôt urbain.

Certaines tâches de la compétence des médecins pourraient être déléguées à d'autres personnels, comme des infirmiers.

Depuis la création des ARS, personne ne sait si les préfets ont un pouvoir hiérarchique sur les directeurs des ARS. Le quiproquo demeure et les élus locaux brillent par leur absence. Il va donc falloir clarifier les compétences, fixer l'ordre hiérarchique et instaurer une logique de guichet unique.

En ce qui concerne le coût du dispositif en faveur du rééquilibrage territorial de l'offre de soins, nous ne disposons d'aucune donnée chiffrée globale sur les aides des collectivités territoriales, qu'il s'agisse des investissements immobiliers, des bourses ou des aides aux stages.

Les élus veulent tous leur MSP, surtout en fin de mandat. Il faut plus de cohérence et une vision globale. Les ARS pourraient disposer d'une cellule dédiée à l'installation des jeunes médecins, cellule composée d'élus locaux et de représentants de l'Ordre des médecins. En outre, il faut une politique globale pour les jeunes qui veulent se lancer dans les études médicales et qui manquent d'accompagnement. Le préfet de région devrait devenir le supérieur hiérarchique du directeur de l'ARS pour transmettre les instructions du ministère de la santé. Il est indispensable d'en finir avec les féodalités régionales en fonction des intuitions et des approches personnelles des directeurs des ARS.

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Daudigny

Je veux rendre hommage à la pertinence, à la densité et à la richesse de vos interventions.

Aujourd'hui, les territoires connaissent des situations très contrastées en matière démographique, économique et culturelle si bien que les réactions à un même problème diffèrent. Dans un département de 800 communes, la mise en place de maisons de santé pluridisciplinaires est ressentie par la population comme un progrès de service public. Dans d'autres départements, où la densité de communes est moins importante et où chaque village avait son médecin, ces mêmes maisons sont perçues comme une régression.

Les nouveaux zonages prennent en compte l'âge des médecins.

Notre rapport, axé sur les zones rurales, porte plutôt sur les maisons de santé mais, rassurez-vous, je suis tout à fait favorable aux centres de santé, qui concernent plutôt les zones urbaines. Le rapport les mentionne également.

Les ARS ont le mérite d'exister et de proposer, sur certains territoires, des solutions. Dans certains départements, l'ARS travaille avec le rectorat pour sensibiliser les lycéens des zones rurales dès la seconde aux professions médicales.

Au 1er janvier 2016, 27,1 % des médecins avaient plus de 60 ans tandis que les moins de 40 ans ne représentaient que 18,6 %. La moyenne d'âge des médecins généralistes était plus élevée que celle des spécialistes : 52 ans contre 51 ans. La part des moins de 40 ans était de 16 % chez les généralistes contre 20 % chez les spécialistes.

J'ai été bluffé par la présentation qui nous a été faite de la télémédecine dans le Loiret. Le dispositif permet un examen médical de qualité par la présence d'un infirmier mais aussi par les matériels de mesure utilisés. Le médecin dispose ainsi d'éléments d'appréciation très précis.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Génisson

Ne pourrions-nous faire une proposition en faveur du cumul emploi retraite des médecins lors du prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale ?

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Milon

Le Sénat a voté à plusieurs reprises un tel amendement, à l'initiative de Jean-Noël Cardoux, mais l'Assemblée nationale s'y est opposée.

La commission autorise la publication du rapport d'information.

La commission désigne en tant que membres titulaires : M. Alain Milon, Mme Patricia Morhet-Richaud, MM. Philippe Mouiller, Yves Daudigny, Jean-Louis Tourenne, Jean-Marc Gabouty, Mme Nicole Bricq, et en tant que membres suppléants : MM. Gilbert Barbier, Olivier Cadic, Mmes Laurence Cohen, Catherine Deroche, Catherine Génisson, MM. Albéric de Montgolfier et René-Paul Savary.

La réunion est close à 12 h 20.