Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation

Réunion du 2 octobre 2019 à 9h30

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La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Eblé

En parfaite continuité avec nos travaux d'hier, nous recevons aujourd'hui M. Didier Migaud, président du Haut Conseil des finances publiques, pour nous présenter l'avis du Haut Conseil relatif aux projets de loi de finances (PLF) et de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2020.

Nous avons bien sûr pu prendre connaissance de cet avis vendredi dernier, lors de sa publication, mais vous allez nous apporter des éclairages complémentaires sur la manière dont il a été élaboré et les données macro-économiques sur lesquelles il s'appuie.

À l'heure où de nombreuses incertitudes se font jour sur les perspectives de croissance de l'économie mondiale et européenne, dans un contexte particulier de taux d'intérêt négatifs, l'avis du Haut Conseil est important pour éclairer la représentation nationale sur la sincérité du projet de loi de finances dans son cadrage macro-économique et sur la crédibilité de notre trajectoire budgétaire, au regard notamment de nos engagements européens, même si notre Gouvernement n'a pas fait le choix de proposer un ajustement de la loi de programmation des finances publiques (LPFP).

Cette audition est ouverte à la presse et fait l'objet d'une retransmission sur le site internet du Sénat.

Debut de section - Permalien
Didier Migaud, président du Haut Conseil des finances publiques

Merci de votre invitation. Je suis accompagné du rapporteur général du Haut Conseil, M. François Monier, de M. Vianney Bourquard et de M. Vladimir Borgy, rapporteurs généraux adjoints, ainsi que de M. Richard Hughes, directeur au Trésor britannique, qui contribue pour quelque temps aux travaux du Haut Conseil des finances publiques et de la Cour des comptes.

L'exercice qui nous rassemble aujourd'hui est désormais bien rôdé : c'est la septième fois que notre Haut Conseil rend un avis sur les PLF et PLFSS et la troisième fois sous cette législature. La mission du Haut Conseil ne consiste pas à produire ses propres prévisions macroéconomiques, il doit se prononcer sur celles présentées par le Gouvernement à l'occasion du PLF et du PLFSS, ainsi que sur la cohérence des projets du Gouvernement avec les orientations pluriannuelles de solde structurel. Cette mission nous conduit à réaliser une analyse approfondie des textes qui nous sont soumis par le Gouvernement. Pour formuler notre avis, nous nous appuyons sur des prévisions issues d'un ensemble d'organismes tels que la Commission européenne, le FMI et l'OCDE. Nous recevons également de nombreux experts et représentants d'institutions françaises et internationales - notamment la Banque de France, la Banque des règlements internationaux, le Centre d'études prospectives et d'informations internationales (Cepii), Rexecode et l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).

J'évoquerai en premier lieu le contexte macro-économique. Depuis plusieurs trimestres, l'économie mondiale connaît un ralentissement marqué, qui touche principalement l'Union européenne, la Chine et certains pays émergents. Ce ralentissement a été particulièrement prononcé dans l'industrie et il a pesé sur les échanges commerciaux en raison de la mise en place de mesures protectionnistes depuis fin 2018. On observe ainsi un coup de frein sur les échanges de marchandises, en légère baisse au premier semestre 2019. Les échanges de services, en revanche, ont continué de croître dans ce contexte international. La zone euro connaît un fléchissement de sa croissance, mais cette inflexion recouvre des évolutions contrastées entre les pays. Mi-2019, la croissance était quasiment nulle en Allemagne et en Italie ; elle était modérée en France et elle demeure encore soutenue en Espagne. Plusieurs facteurs ont contribué à atténuer le ralentissement de l'activité dans la zone euro - je pense ici à l'orientation budgétaire légèrement expansive en 2019, au maintien d'une politique monétaire accommodante, et à la dépréciation de l'euro vis-à-vis du dollar depuis le début de 2018.

L'économie française n'a pas échappé au ralentissement général. Sa croissance demeure néanmoins un peu supérieure à la moyenne de ses partenaires européens depuis la mi-2018. La demande intérieure hors stocks a progressé au deuxième trimestre 2019, portée par les mesures favorisant le pouvoir d'achat et par une augmentation toujours soutenue de l'investissement des entreprises. Malgré l'évolution défavorable du commerce mondial, les exportations françaises ont progressé de 2,5 % entre mi-2018 et mi-2019, marquant ainsi une légère amélioration des parts de marché de la France. Après une forte dégradation en 2018, le climat des affaires, selon les enquêtes de conjoncture, s'est légèrement redressé depuis le début de 2019, laissant prévoir le maintien d'une croissance modérée sur la fin de l'année 2019.

La situation et les perspectives de croissance sont toutefois entachées de plusieurs risques majeurs. À court terme, le principal risque est celui d'une sortie sans accord du Royaume-Uni de l'Union européenne. L'impact économique de cet événement sans précédent est particulièrement difficile à estimer. La première année, il serait, selon l'OCDE, de près de deux points de PIB pour le Royaume-Uni, supérieur à 0,5 point pour l'Espagne et les Pays-Bas, proche de 0,5 point pour l'Allemagne, l'Italie, mais aussi la France. L'OFCE estime un impact plus faible sur l'économie française, de l'ordre de 0,25 point de PIB. L'Insee, quant à lui, évoque 0,6 point sur plusieurs trimestres. La Banque d'Angleterre a des chiffres encore plus défavorables. Si vous le souhaitez, M. Richard Hughes pourra vous présenter l'analyse de la Banque d'Angleterre sur les conséquences d'un Brexit sans accord.

De nouvelles hausses des tarifs douaniers de la part des États-Unis, notamment à l'encontre de l'Union européenne, constituent un risque important pour la croissance. Le Haut Conseil estime que plusieurs autres facteurs sont susceptibles d'affecter la trajectoire de la croissance française : les tensions géopolitiques au Moyen-Orient, leurs répercussions possibles sur le prix du pétrole, les vulnérabilités financières liées à la hausse de l'endettement mondial ainsi que la conjoncture économique en Allemagne - la diminution de sa demande intérieure pourrait s'ajouter à la récession industrielle en cours depuis plusieurs trimestres. Au total, les perspectives de croissance de l'économie française sont entourées d'aléas extérieurs défavorables.

J'en viens désormais aux observations formulées par le Haut Conseil sur le scénario macroéconomique du Gouvernement. Le Gouvernement prévoit dans le PLF un rythme de croissance pour 2019 de 1,4 %, soit une prévision identique à celle formulée au printemps dernier dans le programme de stabilité. Compte tenu de l'acquis de croissance au deuxième trimestre et des prévisions récentes pour la croissance du troisième trimestre, le Haut Conseil juge atteignable la prévision de croissance du Gouvernement pour 2019. Cette prévision est d'ailleurs cohérente avec celle des organisations internationales et des instituts de conjoncture, qui la situent toutefois pour la plupart autour de 1,3 %. Pour 2020, le Gouvernement prévoit un léger fléchissement de la croissance du PIB à 1,3 %, la consommation des gains de pouvoir d'achat début 2019 ayant été plus lente que prévue. La prévision du Gouvernement fait l'hypothèse qu'elle se prolongera en 2020. Le taux d'épargne marquerait un léger recul après avoir augmenté de 0,6 point en 2019 ; cette baisse modérée est vraisemblable.

Le Haut Conseil considère que les hypothèses du Gouvernement sur l'évolution de l'investissement des entreprises sont plausibles.

La prévision de croissance du Gouvernement pour 2020 de 1,3 % s'inscrit dans la fourchette de prévisions disponibles entre 1,2 % et 1,4 % ; le Haut Conseil estime donc que la prévision de croissance du Gouvernement est plausible pour 2020. Toutefois, cette prévision ne prend pas en compte l'éventualité d'un Brexit sans accord et ses conséquences sur la croissance française - même si une sortie sans accord du Brexit n'est le scénario central d'aucun institut de conjoncture aujourd'hui.

Le Gouvernement anticipe, dans le PLF 2020, une hausse de 1,2 % en moyenne annuelle pour 2019 des prix à la consommation. Pour 2020, la baisse de l'inflation prévue par le Gouvernement en 2019 et 2020 par rapport à 2018 s'explique essentiellement par la moindre contribution des produits pétroliers - nulle en 2019, contre 0,6 point en 2018.

La prévision d'inflation du PLF repose sur l'hypothèse conventionnelle de stabilité du prix du pétrole à son niveau du mois d'août, à savoir 59 dollars le baril. Or, compte tenu des risques qui pèsent actuellement sur le maintien opérationnel des capacités de production, le prix du pétrole pourrait être plus élevé que celui prévu par le Gouvernement. Si le prix du baril se maintenait au niveau de 64 dollars le baril qui a été constaté il y a une quinzaine de jours, c'est-à-dire 5 dollars au-dessus de l'hypothèse du PLF, l'inflation serait accrue d'environ 0,15 point au bout d'un an et l'activité réduite d'un peu moins de 0,1 point par rapport au scénario de croissance du PLF pour 2020. Ce risque ne semble pas se matérialiser pour le moment, puisque ce matin, le prix du Brent était de 59,38 dollars le baril, après une baisse de près de 5 % sur les cinq derniers jours.

L'inflation sous-jacente, hors produits à prix volatils et tarifs administrés, augmenterait très légèrement, passant de 0,8 % en 2018 à 0,9 % en 2019 et 2020. Le Gouvernement a légèrement révisé à la baisse ses prévisions d'inflation pour 2019 et 2020, confirmant ainsi l'appréciation du Haut Conseil dans son avis d'avril 2019 sur le programme de stabilité. Nous avions alors estimé que la hausse attendue de l'inflation sous-jacente pourrait être plus lente que celle prévue par le Gouvernement. Cela confirme les prévisions d'inflation pour 2019 et 2020, proches de la moyenne du Consensus Forecast, de 1,2 % et 1,3 % respectivement. Le Haut Conseil considère donc que les prévisions d'inflation du Gouvernement pour 2019 et 2020 sont raisonnables.

Pour 2019, les prévisions d'emploi et de masse salariale sont cohérentes avec les dernières statistiques disponibles, qui enregistrent pour le premier semestre 2019 des créations d'emplois supérieures à ce que le fléchissement de l'activité faisait attendre pour 2020. Le Haut Conseil considère que les prévisions du Gouvernement sont raisonnables, le ralentissement attendu de la masse salariale traduisant celui de l'emploi.

J'en viens à notre appréciation sur les prévisions de recettes et de dépenses formulées par le Gouvernement. Pour les recettes, le Gouvernement retient notamment une élasticité des prélèvements obligatoires au PIB de 1 en 2019 et en 2020. Cette élasticité unitaire résulterait d'une évolution plus dynamique que le PIB des impôts d'État et d'une progression des recettes des administrations de sécurité sociale légèrement inférieure à celle de l'activité. Après avoir analysé le montant estimé des mesures nouvelles pour 2019 et pour 2020, le Haut Conseil considère que les prévisions de prélèvements obligatoires sont cohérentes avec le scénario macroéconomique retenu.

L'augmentation globale des dépenses s'explique pour l'essentiel par le profil de l'investissement local qui serait en forte augmentation en 2019 puis se stabiliserait quasiment en 2020. L'objectif de dépenses de l'État intègre pour 2019 un accroissement des crédits des ministères de 5,7 milliards d'euros par rapport à l'exécution 2018. Cet objectif inclut des économies de 1,5 milliard d'euros par rapport à la loi de finances initiale (LFI) pour 2019, économies qui restent toutefois à réaliser en exécution. Les crédits des ministères poursuivraient leur croissance entre 2019 et 2020 à hauteur de 6 milliards d'euros.

Des efforts visant une budgétisation plus réaliste des dépenses de l'État ont été effectués depuis le PLF pour 2018, même si quelques poches de sous-budgétisation demeurent. Nous relevons cependant que des incertitudes entourent les prévisions de prélèvements sur recettes en faveur de l'Union européenne et de charges d'intérêts. Dans le PLF 2020, la prévision du Gouvernement prévoit un prélèvement sur recettes pour l'Union européenne en légère diminution de 100 millions d'euros par rapport à la LFI 2019, alors que la dernière année des cadres financiers pluriannuels (CFP) montre généralement une forte accélération des dépenses de l'Union européenne et du prélèvement sur recettes associé.

En sens inverse, la charge d'intérêts pourrait être un peu moins élevée que dans la prévision du PLF 2020. Par exemple, si les taux d'intérêt restent inchangés à leur valeur au 1er septembre 2019, c'est-à-dire à -0,6 % pour le taux à trois mois et à - 0,2 % pour le taux à dix ans jusqu'à la fin de l'année 2020, l'économie supplémentaire en dépenses serait de l'ordre de 1 milliard d'euros en 2020 - hier, le taux à dix ans était encore de - 0,26 %. Une telle évolution accentuerait la baisse déjà inscrite dans la prévision du Gouvernement selon laquelle la charge de la dette des administrations passerait de 40,3 milliards d'euros en 2018 à 35,9 milliards d'euros en 2019 et 33,7 milliards d'euros en 2020, soit une diminution de près de 0,3 point de PIB en deux ans, alors même que la dette globale ne ferait que se stabiliser à un niveau proche de 100 points de PIB, après avoir progressé de plus de 30 points depuis la crise de 2008. Le ratio dette sur PIB n'a effectivement pas amorcé sa diminution, à la différence de ce que l'on observe dans la zone euro depuis 2016. Les dépenses des administrations de sécurité sociale seraient en légère décélération en 2020 par rapport à 2019. Cette prévision est atteignable, sous réserve que les économies annoncées, notamment sur l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) et sur l'Unédic, se réalisent pour les montants attendus. Les dépenses de fonctionnement des administrations publiques locales (APUL) augmenteraient de 1,5 % en 2019 et de 0,7 % en 2020 dans le scénario du Gouvernement. Leur investissement augmenterait de 8,9 % en 2019 puis diminuerait de 0,1 % en 2020, en lien avec le cycle électoral. Les informations disponibles à ce jour indiquent que la dépense locale en 2019 pourrait être plus soutenue que celle prévue dans le PLF, notamment en matière d'investissement : l'investissement des collectivités territoriales augmenterait de 14 % fin juillet, 16 % fin août. Il pourrait en aller de même en 2020, compte tenu notamment du niveau élevé de l'épargne des collectivités territoriales.

Le Haut Conseil estime donc que la prévision d'évolution des dépenses publiques pour 2019 et 2020 est plausible, selon l'état des informations dont nous disposons - le Haut Conseil n'a pas connaissance au moment de rendre son avis, de la totalité des dépenses prévues dans le PLF pour 2020. Il en va de même des prévisions de déficit nominal, de - 3,1 points de PIB en 2019 et - 2,2 points en 2020, compte tenu de l'appréciation formulée plus haut sur les recettes.

J'en viens à la cohérence des projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale avec les orientations pluriannuelles de solde structurel. Cette cohérence s'apprécie au regard de la trajectoire du solde structurel formulée dans la loi de programmation en vigueur - celle du 18 janvier 2018. Le solde public nominal s'établirait à - 3,1 points de PIB en 2019 puis à -2,2 points en 2020. L'année 2019 est marquée par le cumul exceptionnel du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) et de la baisse de cotisations qui dégradent le solde nominal de 20 milliards d'euros, soit 0,8 point de PIB, sans incidence sur le solde structurel. La composante conjoncturelle du déficit serait quasi nulle pour les deux années 2019 et 2020, compte tenu de l'estimation retenue par le Gouvernement d'un écart de production lui-même très proche de zéro. Une fois corrigé des effets de la conjoncture et des événements exceptionnels, le solde structurel tel qu'estimé par le Gouvernement serait de - 2,2 points de PIB pour les deux années 2019 et 2020. En 2019, ce solde structurel serait en amélioration de 0,1 point par rapport à 2018, d'après le chiffre présenté dans le PLF 2020. L'écart avec la trajectoire de la loi de programmation s'établirait à - 0,1 point de PIB en 2018 et à - 0,3 point de PIB en 2019. L'écart moyen sur deux années serait donc de 0,2 point par an en moyenne, soit un niveau très proche du seuil de 0,25 point de PIB par an de déclenchement du mécanisme de correction prévu à l'article 23 de la loi organique de 2012. Le Haut Conseil note que l'hypothèse d'un déclenchement du mécanisme de correction lors de l'examen du projet de loi de règlement pour 2019 ne peut donc être écartée, compte tenu des incertitudes qui pèsent inévitablement tant sur les estimations du PIB que sur celles des soldes publics. En 2020, le solde structurel serait inchangé par rapport à 2019, en diminution de 2,2 points. Cette prévision de déficit structurel prend notamment en compte les mesures annoncées fin avril à la suite du Grand débat national.

Le solde structurel en 2020 s'écarterait sensiblement de l'objectif inscrit dans la loi de programmation de janvier 2018, qui prévoyait pour 2020 un déficit structurel de 1,6 point de PIB. Le Haut Conseil relève en conséquence que le Gouvernement présente un article liminaire du projet de loi de finances qui s'écarte fortement de la trajectoire de la loi de programmation en vigueur, choix qui pose un problème de cohérence entre le PLF 2020 et la LPFP, et qui affaiblit la portée de l'exercice de programmation pluriannuelle en matière de finances publiques. Le Haut Conseil souligne que les ajustements structurels - c'est-à-dire les variations du solde structurel - prévus pour 2019 et 2020 sont très faibles, en deçà de ceux prévus par la loi de programmation. Selon le PLF, la variation de solde structurel entre 2018 et 2019 s'élèverait ainsi à 0,1 point de PIB, elle serait nulle entre 2019 et 2020, alors que la loi de programmation prévoyait un ajustement de 0,3 point les deux années. L'effort structurel, qui représente la partie de l'ajustement structurel directement lié à un effort en dépenses ou à des mesures nouvelles de prélèvements obligatoires, s'élèverait à 0,1 point de PIB en 2019 comme en 2020, contre 0,7 point en deux ans dans la loi de programmation. Durant la période 2018-2020, l'écart cumulé d'efforts structurels entre le PLF et la loi de programmation de - 0,6 point sur les deux années 2019 et 2020 correspond essentiellement à un moindre effort en dépenses de - 0,3 point de PIB, malgré la baisse des charges d'intérêt et à une réduction supplémentaire des prélèvements à hauteur de - 0,2 point de PIB. Or ces chiffres doivent s'apprécier au regard des engagements européens de la France. Le Haut Conseil souligne que les ajustements structurels prévus pour 2019 et 2020, qui seront soumis à l'appréciation de la Commission européenne, sont inférieurs au minimum prévu dans le volet préventif du pacte de stabilité qui correspond à un ajustement de 0,5 point par an.

Le déficit public de la France - nominal comme structurel - est un peu supérieur à deux points de PIB, hors opérations exceptionnelles. Il demeure nettement plus élevé que la moyenne de la zone euro, qui se situe en 2019 autour de 0,9 point de PIB en nominal et en structurel, malgré une certaine amélioration. La situation de nos finances publiques reste fragile et laisse en conséquence peu de marge de manoeuvre budgétaire dans l'hypothèse d'une accentuation du ralentissement économique.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Eblé

Je vous remercie de cet exposé très clair. Les chiffres parlent d'eux-mêmes...

Debut de section - PermalienPhoto de Albéric de Montgolfier

Monsieur le président du Haut Conseil des finances publiques, merci. Première question : quelle est la crédibilité de la France, qui, avec ce projet de loi de finances, contrevient ouvertement aux engagements qu'elle avait pris, dans la loi de programmation en janvier 2018, de baisser le déficit structurel et de réduire la dette ?

Concernant la baisse des effectifs de l'État, nous sommes aussi loin du compte avec une réduction de seulement 47 postes.

Il y a dix ans, notre dette était de 60 % du PIB comme celle de l'Allemagne. Cette dernière, après la crise de 2008, est revenue en dessous de 60 % alors que celle de la France frôle les 100 %. Y a-t-il des raisons pour que la France soit ainsi à contre-courant ?

S'il y a peu de débats sur le réalisme des estimations de croissance, les risques sont néanmoins considérables - les ministres eux-mêmes en conviennent. Vous en avez cité quelques-uns : guerre commerciale, chocs pétroliers, Brexit.

De quelles marges de manoeuvre disposons-nous face à ces risques, avec un déficit déjà élevé ? L'arme monétaire ne peut plus être utilisée, à moins de distribuer des billets dans les rues. À la différence de l'Allemagne, nous ne disposons plus de l'arme budgétaire...

Debut de section - Permalien
Didier Migaud, président du Haut Conseil des finances publiques

Vos deux premières questions me semblent plutôt de nature politique... Il y a effectivement un réel problème de cohérence entre le solde structurel du projet de loi de finances pour 2020 et ce qui était prévu dans la loi de programmation. En 2019, l'écart est très proche du niveau considéré comme important par la loi organique relative aux lois de finances (LOLF). Le Gouvernement a fait le choix de reporter à l'année prochaine la révision de la loi de programmation. On peut s'interroger sur l'intérêt de cet exercice si la révision est constante...

Vous connaissez les circonstances : gilets jaunes, grand débat national... Notre tableau présentant les variations de la dette pour les différents pays européens est très frappant...

Debut de section - PermalienPhoto de Albéric de Montgolfier

Chers collègues de la République en marche, vous devriez le regarder de près...

Debut de section - Permalien
Didier Migaud, président du Haut Conseil des finances publiques

Ce n'est pas un phénomène nouveau.

Debut de section - PermalienPhoto de Albéric de Montgolfier

Ce que nous voyons, c'est un mouvement de désendettement de l'Europe du Sud mais pas de la France.

Debut de section - Permalien
Didier Migaud, président du Haut Conseil des finances publiques

Ce mouvement a commencé il y a quelques années. Pour répondre à votre dernière question, les marges de manoeuvre de la France sont quasi nulles : elle n'a pas profité de l'amélioration de la conjoncture pour les dégager.

Il y a un débat parmi les économistes. Certains considèrent qu'il faut profiter des taux bas pour investir...

Debut de section - Permalien
Didier Migaud, président du Haut Conseil des finances publiques

mais trop souvent, la France utilise la dette pour couvrir des dépenses de fonctionnement.

L'écart avec la loi de programmation s'explique par un moindre effort en dépense et une augmentation de la baisse des prélèvements obligatoires par rapport à ce qui était prévu. Le Gouvernement l'assume. Contrairement à d'autres années, la balance n'est pas équilibrée entre les aléas à la hausse et à la baisse. D'un côté, nous avons une reprise en Allemagne qui pourrait être plus forte qu'anticipée et une diminution du taux d'épargne qui conforterait la consommation. C'est peu en comparaison avec la guerre commerciale, le Brexit, les tensions au Moyen-Orient - même si pour l'instant on n'en voit pas les effets, au-delà des quelques jours de hausse des prix du baril. Mais cette absence d'effet pourrait témoigner d'un ralentissement de l'activité mondiale, ce qui ne serait pas positif pour l'Union européenne.

Debut de section - PermalienPhoto de Jérôme Bascher

Merci pour votre langage de vérité, que nous espérons entendre encore longtemps de votre bouche... Nous sommes sortis d'une procédure de déficit excessif en début de mandature mais nous ne faisons désormais aucun effort sur le solde structurel puisque nous passons de moins 2,2 % du PIB à moins 2,2 % du PIB. Or la commission européenne nous demandait de faire au minimum moins 0,3, voire moins 0,5 au vu de notre position dans le cycle économique. Les ministres que j'ai interrogés à ce sujet ne m'ont pas répondu. Mais nous avons bien compris hier soir, n'est-ce pas, monsieur le président, que les ministres se moquaient parfois un peu du Parlement. Comment la Commission européenne prendra-t-elle la chose ? Espérons que ce ne sera pas un futur conseiller maître à la Cour des comptes qui devra nous expliquer la chose prochainement...

Comment expliquez-vous cette prévision de déficit, alors que le prélèvement à la source nous vaut deux milliards d'euros d'impôt sur le revenu en plus et que les taux négatifs nous valent deux milliards d'euros de charges en moins. L'impôt sur les sociétés pourrait-il rapporter beaucoup moins, notamment celui des banques, qui sont de grosses contributrices mais dont les comptes sont plombés par les taux d'intérêt négatifs ?

Les dépenses des collectivités ont connu en 2019 une accélération inouïe des dépenses. Faut-il réviser conséquemment la prévision de leur déficit ?

Autre élément perturbant, la prévision de masse salariale se retrouve partout, sauf dans les chiffres des cotisations sociales, qui ne rentrent pas. Cela reflète-t-il un changement dans la structure de l'emploi, avec plus d'emplois, mais moins de salaires ?

Enfin, les dépenses de retraite s'accélèrent en 2019. Aurait-on mésestimé les dépenses des nouveaux retraités, qui pourraient avoir cotisé plus pour gagner plus ?

En résumé, la base 2019 n'est-elle pas trop élevée dans ces deux domaines des finances locales et sociales ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Rapin

Quelles seront, à votre avis, les conséquences d'un Brexit sans accord, ce qui semble le plus probable, même si les Anglais semblent ouverts à la discussion ?

Le solde structurel devait être à l'équilibre dans la loi de programmation pour 2022 ; en avril, il devait finalement être de moins 1,2 % du PIB, et cette nuit, nous apprenons qu'il sera de moins 1,5 % du PIB. On ne sait plus où l'on va !

Debut de section - PermalienPhoto de Christine Lavarde

Le graphique de votre diapositive n° 13 montre bien le décrochage continu entre la trajectoire exposée dans la loi de programmation, le réajustement du programme de stabilité présenté en avril, et enfin la trajectoire du projet de loi de finances pour 2020. Quelle variation du taux de croissance nous ferait tomber dans la zone rouge, sachant que notre solde structurel connaît déjà un écart de 0,2 point de PIB par rapport à la loi de programmation et que la procédure pour déviation significative peut s'enclencher avec un écart de 0,25 point de PIB sur deux ans par rapport à la règle européenne de déficit structurel ? Nous dépendons bien de l'évolution du taux de croissance dont vous avez jugé l'hypothèse réaliste mais sans forcément être totalement convaincu.

Debut de section - PermalienPhoto de Roger Karoutchi

Je me souviens d'un séminaire gouvernemental au printemps 2008, où nous avions affirmé que tout était en ordre, que la dette allait être maitrisée... Quelques semaines plus tard, avec la crise financière, il y avait quelques milliards de dette et de déficit en plus.

Sommes-nous bien conscients de la crise financière qui se rapproche ? Même la banque centrale européenne (BCE) tire la sonnette d'alarme. Le Gouvernement est-il bien prudent ? Tout porte à croire qu'un pays avec 1 400 milliards d'euros de dette serait balayé, disposant de beaucoup moins de facultés de réaction.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Goulet

Je suis rapporteur spécial pour les engagements financiers. Mon père disait : il vaut mieux devoir que de ne pas pouvoir rendre. En l'espèce, nous sommes dans les deux situations...

Les taux négatifs sont une anomalie à prendre en considération. Faut-il s'inquiéter des engagements hors bilan, qui ont dramatiquement augmenté pour atteindre 4 000 milliards d'euros. Comment les prendre en considération ?

Debut de section - PermalienPhoto de Marc Laménie

Merci pour votre analyse pédagogique. Vous nous parlez des risques, notamment du Brexit et d'une « escalade de mesures protectionnistes ». Qu'entendez-vous par là ?

Parmi les économies possibles, vous citez les charges d'intérêt. Quelles sont les perspectives d'évolution de l'endettement ? Quelle est l'incidence depuis bientôt un an du mouvement des gilets jaunes sur les finances de l'État, des collectivités, des compagnies d'assurance, des particuliers ?

Debut de section - PermalienPhoto de Julien Bargeton

Les dépenses de retraites représentent 28 % de la dépense publique. Quel regard le Haut Conseil porte-t-il sur la réforme ainsi que sur l'effort prévu ?

Debut de section - Permalien
Didier Migaud, président du Haut Conseil des finances publiques

Beaucoup de questions portent sur des sujets qui ne relèvent pas des compétences du Haut Conseil.

Nous n'avons pas étudié la réforme des retraites, qui n'est pas encore adoptée. Il n'appartient pas au Haut Conseil de se projeter autant dans l'avenir.

Honnêtement, personne ne sait rien des conséquences du Brexit, ce qui est effectivement un problème en soi. Toutes celles et tous ceux qui ont travaillé sur le sujet pensent qu'un Brexit sans accord aura un impact sur le PIB du Royaume-Uni et sur celui des pays de l'Union européenne. Les estimations varient de 0,2 à 0,6 point de PIB. La Banque d'Angleterre a réalisé des projections bien plus pessimistes que le FMI, l'OCDE ou l'Insee. Tout le monde est très prudent car les prévisions sur les conséquences du Brexit ne se sont pas toujours réalisées.

Debut de section - Permalien
Richard Hughes, directeur au Trésor britannique

Les dernières prévisions de la Banque d'Angleterre sur l'impact d'un Brexit sans accord sont parmi les plus pessimistes. Celles transmises à la commission des finances du Parlement britannique le 3 septembre évoquant le pire scénario d'un Brexit sans accord prévoient une baisse de 5,5 % du PIB en 2020, contre 2 % du PIB pour l'OCDE, selon laquelle l'impact négatif s'élèverait à 1 % du PIB pour la France en 2020.

Debut de section - Permalien
Didier Migaud, président du Haut Conseil des finances publiques

Le pire n'est pas toujours certain... Les estimations de la Banque d'Angleterre sont plus pessimistes que celles d'autres organisations.

La crise financière est toujours difficile à prévoir. Les économistes sont très partagés. Généralement, les crises surviennent quand on ne les attend pas. L'endettement mondial est très élevé, tout comme l'endettement privé des entreprises, particulièrement aux États-Unis mais également dans l'Union européenne. Si l'activité ralentit et la récession s'accentue, cet endettement risque de devenir insupportable et des bulles telles que la bulle immobilière pourraient éclater. Ces risques sont bien identifiés. Les banques sont plus solides aujourd'hui qu'au moment de la crise financière de 2008-2009. Toutefois il est vrai que la conjoncture internationale n'est pas rassurante.

Les mesures protectionnistes américaines et les contre-mesures chinoises et européennes provoquent un ralentissement du commerce mondial. Ainsi, la demande est moins forte, notamment en Allemagne, où l'on constate également une crise de confiance des ménages.

La France est sortie de la procédure pour déficit excessif. Nous n'avons pas de crainte dans l'immédiat de la voir y entrer à nouveau. Le dépassement du seuil de déficit de 3 % du PIB en 2019 est totalement conjoncturel puisqu'il est dû à la transformation du CICE. La Commission européenne n'a pas exprimé de préoccupation à ce sujet. Elle se reconnaît un large pouvoir d'interprétation des textes - il ne m'appartient pas de m'exprimer pour elle.

Vous faites état de quelques bonnes nouvelles sur l'impôt sur le revenu et la charge d'intérêts. Il faut prendre en compte les 15 milliards d'euros de mesures prises après le mouvement des gilets jaunes ainsi que les 5,7 milliards d'euros de mesures prises après le grand débat, qui ont des conséquences sur l'exécution des lois de finances pour 2019 et les perspectives de la loi de finances pour 2020. Nous ne disposons pas de la totalité des comptes pour 2019. Nous aurons à exprimer un avis sur la loi de finances rectificative qui sera examinée d'ici la fin de l'année ainsi que sur le projet de loi de règlement qui traduira l'exécution du budget de 2019. La Cour des comptes s'exprimera également sur les engagements hors bilan et sur le ratio de dette par rapport au PIB lors de la certification des comptes de l'État. Il est encore trop tôt pour apporter des précisions.

Combien de temps dureront les taux négatifs ? Certains économistes sont affirmatifs pour prédire une durée longue, mais personne ne peut le dire. Être payé pour emprunter heurte la logique. La situation est curieuse. Je ne suis pas sûr qu'elle dure aussi longtemps que les contributions et les impôts. Même s'il faut être attentif à la dette et faire un effort de désendettement, l'impact sur nos dépenses sera progressif au fil du temps, compte tenu des politiques monétaires accommodantes de la BCE et de la Réserve fédérale des États-Unis. Que se passera-t-il en cas de crise ? Les banques centrales s'organisent pour prévenir ce type de situation, même si l'outil monétaire connaît ses propres limites - d'où l'intérêt de conserver des marges de manoeuvre budgétaires.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Rambaud

Ma question porte sur l'impact des mesures de baisse de fiscalité sur la consommation et donc la croissance. Le pouvoir d'achat des Français augmente de 2 % en 2019, soit, selon l'OFCE, un gain de 850 euros par an et par ménage. Comment mesurer l'effet multiplicateur sur la production française et les importations ?

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Raynal

Aujourd'hui, le Haut Conseil retombe dans l'appréciation des années passées. Il y a eu une bonne année, 2018, qui a suscité l'espoir mais on revient à des années plus plombées, celles d'après la crise de 2008 - par charité, ne rappelons pas les chiffres de 2012.

J'aime bien la prudence. J'aurais aimé disposer du scénario d'un Brexit sans accord. N'aurait-il pas été utile de nous expliquer comment réduire le budget à hauteur d'un choc économique de 0,5 point de PIB ? Un gouvernement raisonnable devrait exposer une simulation de situation demi-crashée.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marc Gabouty

Quel est l'effet de la fiscalisation du système de CICE sur l'impôt sur les sociétés de 2020 ?

L'écart de solde structurel, de 0,6 point de PIB, entre la loi de programmation et le projet de loi de finances pour 2020 est imputable aux deux tiers aux mesures accordées aux gilets jaunes en 2019 et 2020. Cette injection de pouvoir d'achat relève d'une politique de relance par la demande. À court terme, quelle est la part de cette injection dans le différentiel positif du taux de croissance avec nos voisins, en particulier l'Allemagne ?

La marge de manoeuvre pour améliorer nos finances publiques, nous l'avons : c'est la réduction des dépenses publiques. Si l'on nous présentait les mêmes ratios après avoir fourni cet effort, ce serait catastrophique. Cette réflexion peut paraître paradoxale mais elle ne l'est pas plus que de voir ceux qui ont creusé le trou se lamenter que leurs successeurs ne le bouchent pas assez vite.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Canevet

Merci au Haut Conseil des finances publiques pour son expertise très appréciée.

La situation actuelle est en effet paradoxale. La France est de mieux en mieux considérée dans les classements internationaux, la croissance est dynamique, tout comme le marché de l'emploi, et parallèlement, les indicateurs financiers ne sont pas très bons et nous avons des difficultés à boucler le budget - même si l'on apprécie la baisse du taux de prélèvements obligatoires et celle des dépenses publiques.

L'endettement est extrêmement préoccupant. Il est dû pour beaucoup aux mesures prises pour répondre à la crise sociale de notre pays. Comment le Haut Conseil apprécie-t-il leur impact ? Ces dépenses seront-elles pérennes ? Les baisses d'impôts peuvent-elles avoir un effet intéressant sur la croissance et les recettes, de TVA notamment ?

Les taux d'intérêts négatifs sont préoccupants. Ne préjugent-ils pas d'une crise financière extrêmement grave ?

J'ai été étonné par l'augmentation du produit de l'impôt sur les sociétés, de 50 % dans le budget 2020, alors même que des baisses d'impôt sur les sociétés sont annoncées pour l'année prochaine. La situation économique est-elle suffisamment dynamique pour générer une amélioration des comptes des entreprises à ce niveau ?

Enfin, je m'inquiète des prévisions de la Banque d'Angleterre, qui, si elles se révélaient exactes, seraient particulièrement catastrophiques pour notre pays.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dallier

Tout arrive : j'irai dans le sens de Claude Raynal. Monsieur le premier président, nous vous posons des questions appelant des réponses à caractère politique que vous ne pouvez pas formuler. Vous qualifiez de raisonnables les hypothèses du Gouvernement pour l'année 2020. Vous soulignez que nous nous écartons toujours plus de la loi de programmation. Enfin, en cas de crise, la France n'aura plus de marge de manoeuvre.

Sur 2020, on assiste au jeu classique du Gouvernement qui se félicite du pouvoir d'achat en évitant de dire que nous nous éloignons des objectifs fixés et de l'opposition qui souligne l'inverse. Au milieu, les Français ne sont pas conscients de la situation réelle du pays. Un montant de dette de 2 375 milliards d'euros ne signifie plus rien pour personne. Le Haut Conseil peut-il effectuer des simulations montrant les conséquences d'une crise financière sur le budget de l'État ? Si la France avait les mêmes taux d'intérêts que l'Italie, elle devrait trouver 40 milliards d'euros supplémentaires chaque année pour payer les intérêts de la dette. Certes, le Brexit peut avoir des conséquences importantes, mais celles d'une crise financière, même moitié moins forte que celle de 2008, seraient extrêmement graves. Il faudrait faire de la pédagogie auprès de nos concitoyens.

Le Haut Conseil pourrait-il nous montrer les conséquences, selon différentes hypothèses, que le Gouvernement aurait à assumer ? Il serait tout de même temps de faire comprendre à nos concitoyens ce que cela signifierait.

Debut de section - PermalienPhoto de Sylvie Vermeillet

Vous avez cité les facteurs extérieurs qui peuvent compromettre la prévision de croissance. Sur un plan intérieur, la réforme des retraites qui s'annonce est-elle un facteur susceptible d'avoir un impact significatif ? La disparition des régimes spéciaux de la RATP et de la SNCF, les perspectives défavorables pour les fonctionnaires et enseignants vont nécessairement amener des tensions dans notre pays, qui peuvent aussi, à mon avis, perturber la croissance attendue.

Vous avez montré dans la dernière page de votre présentation cette espèce d'inertie qui empêche le solde public de refaire surface, alors même que les dépenses des collectivités ont été encadrées. L'État a contractualisé avec les collectivités, et se félicite du très bon résultat. On pourrait souhaiter qu'il contractualise avec lui-même pour obtenir des résultats aussi probants... Si l'État allait vers son objectif de réduire de 50 000 le nombre de fonctionnaires, serait-ce suffisamment significatif pour entamer la réduction de notre déficit structurel ?

Debut de section - PermalienPhoto de Sébastien Meurant

À propos des marges de manoeuvre : c'est la liberté de la France de gérer ses propres finances... Le niveau des taux d'intérêt nous place dans une situation aberrante et qui ne peut pas durer. Que pensez-vous de la capacité des banques à encaisser durablement la disparition de leurs marges de manoeuvre dans l'intermédiation ? Nous avons quatre banques systémiques en France. La Commerzbank et la Deutsche Bank sont, elles, en très mauvais état. Combien de temps cela peut-il durer ? Quid des assurances ?

Debut de section - Permalien
Didier Migaud, président du Haut Conseil des finances publiques

Parmi les organismes et personnalités que nous avons consultés, aucun n'a fait du Brexit sans accord son scenario central. Les conséquences sur 2019 seront de toute façon faibles. Pour atteindre 1,3 % ou 1,4 % de croissance, il faut faire 0,35 % à chaque trimestre. Cela sera surtout une question d'arrondi... Nous avons donc considéré que l'hypothèse de croissance pour 2019 était atteignable. Pour 2020, cela va dépendre de la conjoncture internationale mais, en l'état des informations et des prévisions, nous sommes dans la fourchette. Il est vrai que certains pays se montrent plus prudents dans leurs prévisions. C'est qu'ils ont des pratiques différentes. Ainsi, aux Pays-Bas, le Gouvernement travaille à partir des hypothèses arrêtées par une institution indépendante mais, systématiquement, il diminue le scénario central de 0,25 point. Chez nous, la présence du Haut conseil des finances publiques a contribué à rendre les hypothèses des gouvernements beaucoup plus raisonnables, puisqu'ils s'exposent à un avis réservé de cette instance.

Sur les missions du Haut Conseil des finances publiques, la France a fait une interprétation minimaliste des textes européens. La révision à venir de lois organiques serait peut-être l'occasion d'étendre ses pouvoirs, notamment à l'analyse des risques dans les scénarios de finances publiques.

Nous avons constaté que le délai de réaction de la consommation à la hausse du pouvoir d'achat est supérieur à ce qu'on observait auparavant. Le Gouvernement prévoit que la consommation gagnera en vigueur au deuxième semestre 2019 et sur l'année 2020 : c'est vraisemblable. Il annonce une hausse de 1,2 % de la consommation des ménages, après 0,9 % en 2018. Sa prévision reste prudente, puisqu'elle reste en deçà de l'augmentation du pouvoir d'achat. Il prévoit une légère diminution du taux d'épargne, mais pas vraiment significative, les ménages conservant ainsi une partie des gains de pouvoir d'achat. Les dernières indications sur le moral des ménages sont plutôt positives, ce qui conforte encore le scenario du Gouvernement sur la consommation.

L'impact de la réforme des retraites se fera à long terme. Bien sûr, les tensions sociales peuvent avoir des conséquences sur l'activité mais, pour l'instant, les dernières enquêtes sur le moral des Français vont plutôt dans le bon sens, et s'améliorent depuis six mois. Certes, il suffit parfois de peu de choses pour que cela parte en sens inverse.

Les cotisations augmentent effectivement moins que la masse salariale en 2019, en partie à cause de la prime exceptionnelle, qui n'est pas soumise à cotisations. Cela explique le décalage entre les prévisions en termes de recettes et le niveau de la masse salariale, légèrement plus élevé.

Les marges de manoeuvre ne sont jamais nulles, puisque l'effort structurel peut consister soit à baisser la dépense, soit à augmenter la recette - soit à faire les deux. Il est donc toujours possible, pour un Gouvernement, d'augmenter les marges de manoeuvre à travers une augmentation des prélèvements obligatoires.

Les banques, enfin, sont dans une situation plus solide qu'en 2009, compte tenu d'un certain nombre de règles qui ont été établies depuis, d'ailleurs plus rigoureuses au sein de l'Union européenne qu'aux États-Unis. Pour autant, les taux négatifs sont un facteur de fragilisation à moyen et long terme, ce qui pourra les contraindre à prendre un certain nombre de mesures - tout dépendra de la longévité de ces taux négatifs. On peut les comprendre sur du très court terme, plus difficilement sur dix ans.

Compte tenu de la gestion intelligente de notre dette, le choc d'une remontée des taux d'intérêt peut ne pas être brutal, mais l'impact sera lourd. La charge de la dette sera l'an prochain de 33 ou 34 milliards d'euros, quand elle était de 40 milliards d'euros il y a peu. La proportion de la charge de la dette par rapport au PIB a sensiblement diminué, alors même que notre dette a explosé ! Il faut rester prudent, car cette situation peut ne pas durer.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Eblé

Nous vous remercions pour votre présentation et ces échanges avec les membres de la commission.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Eblé

Nous recevons à présent M. Jérôme Fournel, directeur général des finances publiques. C'est la première fois que nous le recevons depuis sa nomination à la tête de la deuxième plus grande administration civile de l'État, le 20 mai dernier. Les services de la DGFiP, dont le budget approche des 8 milliards d'euros, comptent en effet plus de 100 000 agents.

Je profite de cette première rencontre pour vous dire, monsieur le directeur général, à quel point nous sommes attachés à la contribution que votre administration peut apporter à nos travaux. Aussi ai-je été un peu surpris de lire dans le rapport sur la réforme de la fiscalité du patrimoine, publié par le comité d'évaluation placé sous l'égide de France Stratégie, d'importants développements provenant de votre administration, alors même que nous avions questionné l'administration de Bercy sur ces mêmes sujets et n'avions pas obtenu de réponse. J'espère que cela ne se reproduira plus.

La DGFiP est aujourd'hui au coeur de toutes les réformes et de toutes les problématiques auxquelles doit faire face le Gouvernement : proximité des services publics, maîtrise des effectifs de l'État, mise en place du prélèvement à la source, lutte contre la fraude fiscale... Ses missions sont en outre amenées à se transformer sous la triple impulsion de la disparition de la taxe d'habitation (TH), de la numérisation de son administration et du recouvrement de nouveaux produits. Notre commission avait reçu, au mois de février 2019, M. Alexandre Gardette, chargé par M. Darmanin et Mme Buzyn de rédiger un rapport sur la simplification du recouvrement fiscal et social. M. Gardette a depuis été nommé à la tête de la mission interministérielle « France recouvrement ». Nos rapporteurs spéciaux de la mission « Gestion des finances publiques et des ressources humaines », MM. Thierry Carcenac et Nougein, auront sans doute quelques questions à vous poser sur la mission de M. Gardette.

Toutes ces évolutions ne sont pas sans susciter d'importantes tensions parmi les agents de la DGFiP, inquiets des répercussions de cette transformation sur leurs conditions de travail et sur la qualité du service public rendu aux usagers. La DGFiP devrait à nouveau concentrer l'essentiel des suppressions d'effectifs prévues cette année. Dénonçant tant le manque de moyens que ces suppressions de postes, les syndicats de la DGFiP avaient appelé à la grève le 16 septembre dernier. Comment entendez-vous répondre à ces inquiétudes et à ces tensions ?

Debut de section - Permalien
Jérôme Fournel, directeur général des finances publiques

La DGFiP connaît en effet des transformations importantes, qui sont au coeur de sujets de relation avec la fiscalité et avec les territoires. C'est la deuxième administration civile de l'État et elle est extrêmement structurante pour le fonctionnement de nos services publics et pour l'ensemble des fonctions financières, foncières et de propriété de l'État. Elle est à l'origine de quelque 600 milliards d'euros de collecte de ressources, depuis l'établissement de l'assiette jusqu'au recouvrement et aux contrôles. Elle enregistre, comptabilise et suit la totalité des dépenses publiques de l'État et des collectivités territoriales, et une partie des dépenses sociales à travers les hôpitaux et les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). Elle assure la vision sur la totalité du cadastre du pays et sur l'ensemble des transactions foncières immobilières via la publicité foncière. Elle gère les pensions de l'ensemble des fonctionnaires de l'État. Et bien d'autres choses... C'est dire l'importance de l'administration des finances publiques !

Sur tous ces sujets, elle subit de plein fouet l'évolution numérique, avec la dématérialisation et l'émergence de la donnée comme sujet fondamental de gestion d'un certain nombre de processus - sans parler de la fracture numérique. En quelques années, nous sommes passés de 0 à 70 % de déclarants en ligne. La suppression de la TH aura aussi un impact majeur : en Mayenne, par exemple, 40 % des visites aux services des impôts des particuliers sont liées à la TH, principalement sur la résidence principale. Quant au prélèvement à la source, il modifie la façon dont l'impôt est collecté. Comme on améliore le taux de recouvrement spontané et immédiat, il y aura moins de relances, moins de recouvrements forcés et moins de contrôles à faire. La contemporanéisation des crédits d'impôt et le passage à des logiques de déclaration tacite auront le même effet, en évitant le traitement de millions de documents.

Le passage au numérique ne touche pas seulement la fonction de gestion de l'impôt. Elle concerne aussi la question du contrôle fiscal et de sa programmation, avec l'émergence d'outils de data mining, gérés par la mission « Requêtes et valorisation ». Autre question : comment assurer avec des outils numériques une meilleure pertinence des outils de recouvrement ? Dans des chaînes de la dépense où l'intervention humaine est plus limitée, comment repérer des défaillances ou des erreurs dans le traitement des mandats et des ordonnances ? Nous avons aussi des projets sur le foncier innovant pour améliorer la façon dont on traite les données foncières.

Nous n'en sommes pas moins très vigilants sur l'implantation physique de nos services. La DGFiP a près de 5 000 implantations sur le territoire, dans quelque 2 000 communes, y compris au titre de la gestion des impôts, de la trésorerie et de la comptabilité des collectivités territoriales. Au Canada, par exemple, tout est dématérialisé, et il n'y a presqu'aucun contact humain. Ce n'est pas le choix qu'a fait la France. Nous souhaitons maintenir une proximité, ne fût-ce que pour la partie de la population qui ne déclare pas en ligne. Nous cherchons donc à réformer notre organisation tout en améliorant le service public fourni à la population et aux élus locaux. C'est toute la logique du nouveau réseau de proximité que nous développons. Jusqu'à présent, une trésorerie avait trois fonctions : traitement de mandat - fonction qui peut gagner en productivité - conseil aux collectivités territoriales et accueil de proximité. Nous avons décidé de protéger les fonctions de conseil et de proximité, et de les développer - d'où l'augmentation de 30 à 40 % du nombre de points de proximité et l'identification d'une personne chargée du conseil aux collectivités territoriales, avec en parallèle une massification du service sur les fonctions de back office et de traitement des mandats en recettes et en dépenses. Nous prenons le temps pour faire ces transformations, et nous pourrons revenir sur la concertation qui est en cours.

Le numérique, ce ne sont pas uniquement des opportunités, mais aussi des fragilités. Il peut servir à des hackers pour entrer dans nos systèmes. Cet été, environ 2 000 contribuables ont été victimes d'une opération de piratage, via leurs boîtes mail. Il est vrai que, pour des pirates, accéder à un compte fiscal n'a qu'un intérêt relatif - je doute qu'ils aient envie de payer des impôts à la place des contribuables ! Nous devons toutefois veiller à la sécurité du système, ne serait-ce que pour protéger le secret fiscal. Il peut aussi y avoir des tentatives de substitution d'identité bancaire pour se faire recréditer des montants... En Bulgarie, il y a eu cet été une fuite majeure qui a touché 5 millions de comptes, dont les informations ont été largement diffusées, à telle enseigne que la Commission européenne nous a demandé d'interrompre les transmissions automatiques d'informations avec ce pays. Je travaille régulièrement avec le haut fonctionnaire de défense et de sécurité du ministère sur ces questions.

En tous cas, dans la quasi-totalité des champs d'intervention de la DGFiP, les mouvements et les transformations sont extrêmement importants. Cela crée des inquiétudes, et le mouvement social que vous avez évoqué a reçu une adhésion significative, avec 36 % de grévistes. Nous essayons de privilégier la concertation, notamment pour la mise en oeuvre du nouveau réseau, pour laquelle on se projette jusqu'à 2023, ce qui laisse du temps. Nous nous efforçons aussi de rassurer les agents sur les conditions de travail qui seront les leurs avec ces mutations. Nous développons des outils de télétravail et de travail à distance, pour leur permettre de ne pas avoir à bouger s'ils ne le souhaitent pas. Enfin, nous accompagnerons les mutations et les transformations par un certain nombre de mesures de ressources humaines, que nous sommes en train de de finaliser. Nous avons une feuille de route budgétaire et de moyens pour les trois ans à venir.

Il reste à dessiner une feuille de route stratégique à plus long terme pour la DGFiP, pour que chaque agent puisse se projeter à l'horizon 2025. Les sujets de formation sont également très importants, et nous allons devoir y investir massivement au cours des prochaines années, d'autant plus que nous aurons un taux de départ en retraite important à tous les niveaux de la hiérarchie. Nous demandons aussi une mobilisation de chaque instant de l'encadrement, du directeur général comme des cadres intermédiaires, de mon comité directeur comme de l'ensemble des directeurs, pour aller sur le terrain, expliquer, faire de la pédagogie, rassurer. Nous veillons naturellement à ce que chacun puisse progressivement comprendre les évolutions et mesurer leur sens pour notre métier.

Debut de section - PermalienPhoto de Albéric de Montgolfier

Dans le PLF pour 2020, votre mission comptera 1 500 ETP en moins. Ce chiffre est-il révisé en fonction du gel d'un certain nombre de projets sur le réseau ?

Le portail impots.gouv.fr est bien fait et fonctionne de manière satisfaisante. Mais si l'on a des questions, on se tourne vers le téléphone. Et là...

(Le rapporteur général appelle avec son téléphone mobile le numéro figurant sur le portail de la DGFiP et branche le haut-parleur. L'appel tombe sur un répondeur qui annonce d'emblée que l'appel est facturé six centimes d'euro par minute, et il apparaît qu'aucun opérateur ne décroche.)

Je trouve scandaleux qu'on ait à payer ce service, surtout s'il n'y a jamais personne qui décroche - ce qui semble être le cas. Combien d'agents y travaillent-ils ? Combien ce numéro surtaxé rapporte-t-il ? Nous allons inscrire dans la loi l'interdiction de tout numéro surtaxé pour l'État.

Vous avez évoqué la sécurité informatique. J'ai déjà constaté que le système pouvait être en surcharge - ce qui vous a d'ailleurs conduit à prolonger le délai de déclaration en ligne. Google a fait lundi une annonce sur l'ordinateur quantique, capable de casser tous les codes. Quelle confiance peut-on avoir dans votre système ? Si aucun code ne résiste... En Suède, pays en pointe pour la suppression des espèces, la banque centrale recommande tout de même de conserver de l'argent liquide chez soi, au cas où tous les systèmes de paiement seraient bloqués et de garder une copie physique de leurs déclarations d'impôts. Faut-il, dès lors, refuser la dématérialisation complète ?

La directive DSP2 prévoit une obligation de renforcer la sécurité pour les paiements. Qu'est-il prévu par la DGFiP pour renforcer la sécurité de l'accès aux comptes ? L'envoi d'un SMS est-il suffisant ?

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Nougein

La nouvelle cartographie des trésoreries a fait l'objet d'un débat ces derniers mois. Cela intéresse nos concitoyens, mais plus encore les élus locaux, à qui les agents de la DGFiP fournissent une aide précieuse dans la constitution de leurs budgets. Comment continuer à fournir un service public de qualité si les agents du réseau des trésoreries sont remplacés, dans les points de contact, par des agents qui ne pourraient pas être issus de la DGFiP ? Comment convaincre aussi les agents de changer de lieu travail et d'être davantage mobiles ?

À l'issue du Grand débat, le Président a suggéré qu'une partie des fonctionnaires en poste à Paris seraient mutés en région. Le ministre de l'action et des comptes publics avait affirmé qu'au moins 3 000 agents seraient concernés. Vous avez dit qu'il n'y aurait pas de contrainte, mais quelle sera la contribution de la DGFiP à la décentralisation des effectifs ? Certains de ses services centraux pourraient-ils être concernés ?

En prévision de la suppression du paiement en espèces dans les trésoreries, la loi de finances pour 2019 a autorisé l'État à recourir à un prestataire extérieur pour assurer ses opérations d'encaissement et de décaissement en numéraire. Ce marché a été attribué au groupement de la confédération des buralistes et de la Française des Jeux. Comment la DGFiP accompagnera-t-elle les buralistes dans l'exercice de ces nouvelles fonctions ? Ils auraient besoin d'une formation pour répondre au mieux aux interrogations des contribuables.

Debut de section - PermalienPhoto de Thierry Carcenac

Vous avez évoqué la mission « France recouvrement » et le rôle de M. Gardette. L'article 61 de la loi de finances prévoit que des recettes qui étaient prélevées par les douanes vont basculer directement vers la DGFiP. Combien d'agents des douanes sont-ils concernés ? J'ai lu dans certains documents que de 700 à 1 000 emplois seraient en jeu. Quelles seraient les conséquences pour les agents de la DGFiP en charge du recouvrement ?

La sélection des contrôles fiscaux s'effectue notamment par data mining. On essaie de sélectionner 15 % de dossiers, et on voudrait tendre vers 50 %. Quel lien faites-vous avec l'article 57, qui concerne la collecte massive de données sur les réseaux sociaux et leur traitement automatique ? Comment cette collecte se coordonnerait-elle par rapport aux services qui existent déjà ? Davantage de dossiers seront-ils récupérés de cette façon ?

Du temps de M. Woerth, il avait été dit qu'on sanctuariserait les agents dans le cadre du contrôle fiscal. Où en êtes-vous ?

Vous évoquez les problèmes de fragilité numérique. Ne faudrait-il pas disposer d'un coffre-fort électronique vraiment sécurisé, au lieu de stockages sécurisés répartis dans tous les services ? Le PLF pour 2019 avait vu une baisse des crédits destinés à l'informatique. Y a-t-il cette année une relance des moyens pour améliorer ou conforter certains logiciels obsolètes ? Nous avons examiné le cas des amendes de police : le logiciel datait de 25 ans !

Debut de section - Permalien
Jérôme Fournel, directeur général des finances publiques

Lors de la mise en oeuvre du prélèvement à la source, nous avons mis en place un numéro de téléphone gratuit, le 0 809 401 401, pour traiter les questions sur l'ensemble des sujets. Mais c'est toujours le numéro historique, moins bien servi, qui figure sur la feuille d'impôt... Nous avons structuré nos centres d'appels autour de plateformes - j'en ai visité une il y a quelques mois à Chartres. Les agents y sont très professionnels et traitent aussi bien les appels que les e-mails, avec des réponses par chat, et une capacité d'escalade sur des sujets plus difficiles. Nous devons professionnaliser complètement cette fonction pour atteindre des taux de décroché satisfaisants. Les appels sur le prélèvement à la source ont été décrochés en moyenne à 70 % mais, fin août, nous sommes tombés en-dessous de 50 %.

La sécurité est une course permanente entre celui qui cherche à entrer illégalement et celui qui cherche à se protéger ! Nos systèmes ne sont donc pas inviolables, vu la vitesse d'évolution des technologies. Quotidiennement, les systèmes d'information de la DGFiP sont victimes d'attaques. Elle les repousse victorieusement, et tout cela fait l'objet d'un suivi, en lien avec l'Agence nationale de sécurité des systèmes d'information, qui a des sondes au sein de notre système pour nous aider à visualiser ces attaques. Les vraies fragilités sont à la marge : nous avions il y a quelques années un système de certificats pour accéder à sa déclaration en ligne, dont la complexité bridait l'essor de la dématérialisation. Aussi avons-nous décidé de faciliter l'accès pour favoriser la bascule vers une relation numérique avec l'usager. L'inconvénient est une plus grande fragilité aux marges: cet été, pour accéder à nos données, les pirates ne sont pas entrés directement dans le système de la DGFiP, il leur a suffi de pirater les boîtes mails de deux opérateurs Internet ! Et il y a nos propres failles : 100 000 agents, ce sont autant de points d'accès à des ordinateurs. C'est une question qui se pose ici avec la création de nouveaux points de contact et des maisons France Services, nous devons assurer une sécurité suffisante partout sur le territoire.

Notre action est donc triple. Nous renforçons l'information et la vigilance vis-à-vis de l'ensemble des équipes pour réduire les risques. Puis, notre système fonctionne sur des zones de confiance : lorsque vous avez accès à une zone de confiance donnée, vous n'avez pas accès à l'ensemble du système. Nous ne voulons pas non plus trop fragmenter, pour ne pas réduire nos capacités à tirer parti des synergies internes. Enfin, nous continuons à monter en gamme sur le monitoring, les capteurs, et les outils de cyber-sécurité, tout en faisant régulièrement conduire des audits extérieurs : la course sera permanente. Il n'y a pas d'alternative : difficile de revenir au papier...

Debut de section - Permalien
Jérôme Fournel, directeur général des finances publiques

Nous demandons, depuis cet été, la date de naissance. Nous allons de surcroît mettre en place une confirmation par SMS. Bien sûr, cela nous conduit à demander de plus en plus d'informations aux contribuables. Il faut qu'ils acceptent de nous les donner. Nous ne sommes pas non plus sûrs que les deux tiers des numéros de téléphone aujourd'hui renseignés dans les informations soient bons. Les banques suivent le même chemin, au point qu'il devient parfois difficile de faire un paiement à distance ! Le curseur est difficile à placer entre sécurité et facilité - et il va se déplacer avec le temps. Si nous sommes en avance, nous découragerons nos usagers. Si nous sommes en retard, nous découragerons la confiance qu'ils ont en nous !

Sur la géographie de proximité, nous aurons des agents dans des accueils de proximité propres à la DGFiP : une trésorerie, un point d'accueil en mairie, sur rendez-vous, toutes les formules sont acceptées en fonction du besoin de service public local. D'autres agents seront dans des maisons France Services mais l'accès au compte du contribuable ne se fera que par le biais d'un agent de la DGFiP, notamment pour des raisons de secret fiscal. En parallèle, nous développons la formation pour des agents qui ne seront pas des agents DGFiP, et ne pourront donc pas consulter un compte fiscal, mais pour qu'ils soient capables d'assurer un premier niveau d'information et de prendre des rendez-vous avec des agents de la DGFiP.

Nous essayons de contractualiser avec les collectivités territoriales pour fixer la nouvelle organisation de la DGFiP sur le territoire et les nouveaux services que l'on offre. Nous allons jusqu'à contractualiser les permanences des agents de la DGFiP, le nombre de rendez-vous, les plages horaires... L'idée est d'avoir un niveau de service sur un territoire qui corresponde aux attentes de la population.

Sur le sujet de la démétropolisation, nous allons prochainement lancer un appel d'offres auprès des collectivités territoriales pour les inciter à postuler. Nous offrirons naturellement aux agents du service en place la possibilité de pouvoir suivre le service. Mais on sait très bien que, pour des raisons familiales, d'organisation ou d'envie, certains ne voudront pas suivre. La démétropolisation d'un certain nombre de services devra donc être compatible avec les expertises disponibles sur place ou avec le rythme d'évolution, de formation, de départ et de renouvellement des agents sur le métier en question, pour éviter les trous de compétences. Nous voulons être capables de faire monter en charge des services qui peuvent être petits au début, et de les faire fonctionner à distance sur des missions de back office. Flexibilité et organisation en réseau sont les maîtres mots. Ce projet devrait être déployé au cours des prochaines années.

Sur le paiement en espèces, nous avons retenu l'offre des buralistes et de la Française des Jeux. La phase d'expérimentation interviendra au printemps prochain, avant une mise en service au mois de juillet 2020. La Confédération a identifié un certain nombre de buralistes pour crédibiliser l'offre et s'assurer que le cahier des charges, en termes de points de maillage du territoire, était suffisant. D'autres se joindront à l'offre et nous mettons en place une formation à destination des buralistes. Seul un data matrix sera délivré au contribuable : il n'y aura rien de visible pour le buraliste, comme pour les amendes.

La mission « France recouvrement » s'est mise en place. La DGFiP a identifié un responsable du projet, qui travaille très étroitement avec M. Gardette sur cette migration. Un groupe de travail réunit le secrétaire général de Bercy, les deux directeurs généraux des douanes et de la DGFIP et Alexandre Gardette. Nous avons présenté le rapport aux organisations syndicales et nous leur avons dit qu'on prendrait le temps. La disposition en loi de finances est d'ailleurs programmatique. Sur chacun des blocs de taxes, il y aura un groupe de travail spécifique, avec les organisations syndicales, pour vérifier la faisabilité des propositions du rapport Gardette et pour évaluer le nombre d'agents impactés. Nous chercherons à obtenir des gains de productivité et l'objectif est de gérer les contribuables d'une façon unique, surtout donc à l'intérieur de la DGFiP. Dans certains cas, cela sera sans doute impossible et il nous faudra garder une organisation un peu différente. Nous proposerons alors d'accueillir des douaniers. Mais nous ne savons pas encore combien souhaiteront nous rejoindre et poursuivre leurs missions. S'il le faut, nous mobiliserons nos propres effectifs.

Sur le data mining, nous sommes dans une logique de montée en gamme progressive, car cela bouleverse les processus de programmation et l'autonomie des structures de vérification : le vérificateur avait tendance à choisir lui-même, même s'il y avait déjà des programmations. De plus en plus, il devra vérifier des indications fournies par les algorithmes et, s'il pense qu'elles ne sont pas pertinentes, revenir vers la mission « Requêtes et vérifications », notamment pour nous aider à améliorer l'algorithme de choix et de programmation. On vise 25 % cette année, et 50 % à terme, de montée en charge de la part programmatique.

L'article 57 propose d'expérimenter non le traitement de toutes les données qui sont mises par un particulier sur les réseaux sociaux, mais exclusivement leur partie publique. Reste à débattre de la manière d'encadrer cette faculté : des vérificateurs iront regarder précisément les données suggérées, et ce sont eux qui décideront s'il y a matière à faire du contrôle fiscal classique. Ce ne sont que des éléments de suspicion, qui peuvent aider à mieux cibler le contrôle. Si on s'empêche de monter en gamme sur ce type de dispositifs, nous aurons de plus en plus de retard sur les fraudeurs, et notamment sur la grande fraude. La disposition proposée est expérimentale, et elle est entourée de garanties, notamment sur les délais de conservation des informations et leur suppression. Nous avions présenté un texte réglementaire à la CNIL il y a quelques mois. Celle-ci nous a renvoyé devant le Parlement, au vu des enjeux en termes de libertés publiques.

Debut de section - PermalienPhoto de Jérôme Bascher

Dans les collectivités locales, nous votons une indemnité de conseil au trésorier. Or votre réforme sépare la fonction de conseil du trésorier. Ce n'est pas sans poser problème. Les plus petites collectivités craignent, parce qu'elles l'ont déjà vécu, d'avoir un conseil, et que le trésorier ne mette pas en oeuvre ce conseil, parce que ce n'est pas la même personne. Deuxième problème, les points de contact, et notamment les agences de l'État, ne semblent pas jouer le jeu. Je pense à Pôle emploi ou à la Poste, qui ne sont pas très enclins à aider les maisons France Services pour le recouvrement de l'impôt. N'auriez-vous pas intérêt à faire des expérimentations sur cette réforme territoriale ?

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Bocquet

Avec 20 000 suppressions d'emplois en dix ans, la DGFiP a déjà payé un lourd tribut. Cette nouvelle réforme arrive dans un contexte particulier pour le pays. Des inquiétudes se sont exprimées depuis un an sur les questions de pouvoir d'achat, ainsi que sur un besoin fort de proximité du service public. On ne peut donc pas s'étonner que les questions soient si nombreuses chez les usagers, les élus et les agents. Il y a un vrai questionnement de fond sur l'aménagement du territoire. En 2018, une enquête de satisfaction montrait que 91 % des citoyens étaient satisfaits des services de la DGFiP. On peut difficilement faire mieux ! Nul ne songe à nier les avantages de la numérisation, mais elle ne réglera pas tout en tout point du territoire. Ce pays compte 2,5 millions de personnes qui ont des difficultés de lecture et la fracture numérique n'est pas encore résorbée. La République doit prendre en compte l'ensemble de la population en tout point du territoire. Avec les centres d'aiguillage que vous proposez, il y a une perte - et de proximité - et d'expertise. Je sais que dans le nouveau monde, on réalise des prouesses... Mais là, on vient d'inventer la proximité éloignée : permettez-moi d'être assez réservé !

Le Gouvernement fait de la « câlinothérapie » avec les maires ruraux et fait grand bruit autour de l'agenda rural. On va distribuer des licences IV : très bien, les bistrots sont des lieux de vie importants. Mais, dans le même temps, on organise le déménagement du territoire, avec La Poste, les trésoreries et tout ce qui fait un maillage important et utile. De plus, Jérôme Bascher a évoqué à juste titre la force et l'utilité du binôme entre l'ordonnateur et le comptable dans les communes. On connaît le climat de défiance envers les élus - beaucoup moins, d'ailleurs, envers les élus locaux. L'expertise et le conseil proposés régulièrement par les agents de la DGFiP pour les communes sont des outils très utiles pour les petites communes, souvent dépourvues de l'ingénierie dont peuvent disposer les grandes villes. Séparer les deux rôles inquiète beaucoup les élus.

Debut de section - PermalienPhoto de Marc Laménie

Merci pour vos éclairages. Particuliers, chefs d'entreprises et élus sont inquiets, en effet. J'ai toujours apprécié, quand j'étais maire d'une petite commune des Ardennes, les liens avec nos trésoriers successifs. Je déplore la disparition des petites trésoreries. La directrice des finances publiques des Ardennes a réuni récemment les parlementaires et un certain nombre d'élus pour évoquer la restructuration à l'échelle de notre département. Elle a annoncé des disparitions de trésoreries qui nous inquiètent, car les moyens humains sont indispensables.

Debut de section - PermalienPhoto de Antoine Lefèvre

Vous avez souligné la nécessité de maintenir un contact direct pour un certain nombre de nos concitoyens. Or, la réorganisation territoriale des finances publiques dans les départements va à l'encontre de cette proximité. Au début de la concertation, on avait beaucoup fait miroiter les nouvelles maisons France services, avec une labellisation. Finalement, un grand nombre de trésoreries, dans mon département de l'Aisne, vont fermer, et cela ne sera pas compensé par des maisons France services, ce qui aurait permis de maintenir, même de façon imparfaite, la proximité demandée par nos concitoyens lors du Grand débat, et réclamée par les élus ruraux qui se sentent de plus en plus délaissés par l'administration, avec le relâchement du maillage territorial. Pour un certain nombre d'entreprises, dans mon département, il n'y aura plus qu'une seule antenne ; or tout ne se fait pas encore par télé-déclaration ! Il y a besoin aussi de contact, et le rapporteur général a bien montré que les plateformes téléphoniques ont leurs limites... Les discours, qui se veulent rassurants, des directeurs départementaux, expliquent qu'il n'y aura pas de transfert de charges. Comment est-ce possible, si les nouveaux conseillers auprès des collectivités sont basés dans les intercommunalités ? Il y aura au moins la mise à disposition d'un bureau, donc une charge. Comment imaginez-vous compenser cette charge ?

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Adnot

Je trouve parfaitement légitime que l'État se réorganise, réduise le nombre de ses emplois, diminue ses charges locatives et immobilières. On ne peut pas à la fois dire qu'il faut que l'État allège son fonctionnement et ne pas être d'accord avec cela ! Mais ce que je trouve plus difficile à accepter, c'est la manière dont cela se passe. En fait, on dit aux intercommunalités qu'elles peuvent soit faire une maison France services et disposer d'un point de contact, soit ne rien faire, mais alors on ferme ! Or, pour ouvrir une maison France services, il faut que la collectivité crée un emploi. En somme, vous supprimez les emplois et les charges immobilières pour l'État, et les intercommunalités vont créer des charges immobilières et des emplois. Cela permettra à l'État de dire qu'il a réduit son nombre d'emplois alors que les collectivités locales, infernales, n'arrêtent pas d'en créer ! Pour moi, les maisons France services, c'est à l'État de les créer, de les construire et de les faire fonctionner - sans aucune charge supplémentaire pour les collectivités.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Goulet

Au sujet des restructurations de réseau dans les départements ruraux, nous avons beaucoup parlé d'illettrisme numérique. C'est un vrai problème dans un certain nombre de départements. Il existe des logiciels de détection précoce de fraude à la TVA, que le ministre s'était engagé à mettre en place. L'exemple belge est assez probant. Où en êtes-vous de la mise en place de ce logiciel ? Le Premier ministre m'a confié une mission sur la fraude sociale. Comment la DGFiP peut-elle mieux communiquer et travailler avec les organismes de sécurité sociale ? D'autre part, les départements réclament un meilleur accès aux données fiscales.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Canevet

Vous avez évoqué les 2 000 comptes qui ont été piratés. Y a-t-il eu d'autres opérations significatives de hacking sur le site de la DGFiP ? On reçoit assez régulièrement des e-mails suspects... Vous avez aussi évoqué la réorganisation du réseau. Sur quelque 100 000 agents, 1 500 postes devraient disparaître en 2020. Pour les années à venir, y a-t-il des perspectives de réductions de postes ? Le chiffre de 3 000 agents, envisagé pour la déconcentration des administrations centrales vers le territoire, est-il le bon ? Cela ne va-t-il pas affecter le contrôle fiscal et les services du cadastre ? Il est prévu une révision des valeurs locatives, ce qui est une très bonne chose pour la taxe foncière, mais il faudra y mettre les moyens, parce que c'est une opération de grande ampleur.

La suppression de la TH est envisagée en 2020. Nous concitoyens recevront-ils encore un avis l'an prochain ? Quid de la redevance audiovisuelle ? Sera-t-elle transférée sur la taxe foncière ? Tout le monde ne la paie pas.

L'article 58 supprime le consentement à l'impôt pour une bonne partie de nos contribuables à l'IR. Cela ne risque-t-il pas d'être source de difficultés pour le contrôle ? Entre la dématérialisation et les changements d'adresse, le fait qu'on n'ait plus à confirmer sa déclaration de revenus risque de remettre en cause la notion de consentement à l'impôt.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique de Legge

Nous sommes tous d'accord pour dématérialiser. Le seul problème, c'est que le succès de la dématérialisation passe par une certaine simplification. Or notre système fiscal est excessivement complexe... Cela passe également par une relative stabilité de la législation et de la réglementation. Un exemple fameux, encore présent dans beaucoup de mémoires, est la dématérialisation de la paye des militaires avec le logiciel Louvois. L'une des raisons de l'échec était la complexité.

Comme beaucoup de mes collègues, je suis en total désaccord avec vous sur un point très précis. Vous nous avez expliqué que la fonction des trésoreries était triple : le conseil, le traitement et l'accueil. Or, dans la vraie vie de nos communes, cela ne se passe pas comme cela : il n'y a pas de distinction entre le fonctionnel et l'opérationnel. Quelles mesures concrètes allez-vous prendre pour faire en sorte que, dans la mission d'accueil, il y ait bien un lien avec la mission de traitement ? Rien n'est pis qu'un conseiller qui vous dit comment faire mais, lorsque vous mettez en pratique, cela ne fonctionne pas. Nous avons besoin d'un interlocuteur unique. Les élus locaux craignent de perdre leur référent, qui était à la fois un conseiller et un accompagnateur dans l'opérationnel.

Vous avez beaucoup employé les mots « concertation » et « pédagogie ». Je me méfie lorsqu'on emploie ces mots ! Quelles sont les limites de la concertation ? On sait déjà qu'il y aura 1 500 emplois en moins. Que reste-t-il à discuter ? Quant à la pédagogie, on en a eu sur la fiscalité écologique et sur bien d'autres choses. Je comprends bien que vous fassiez de la pédagogie pour nous expliquer quels sont les enjeux de la dématérialisation ou nous présenter la réforme de votre direction. Mais la pédagogie ne doit pas consister à dire : « Vous êtes des ignorants, nous sommes des sachants, donc vous allez faire comme on vous dit » !

Quels engagements concrets prenez-vous dans la durée pour les maisons France services ? Si c'est pour finir avec une seule permanence tous les vendredis après-midi, qui peut très bien être annulée par des congés maternité ou maladie...

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Guené

Chacun ici reconnaît que votre administration a très largement contribué à la réduction des charges publiques, notamment en supprimant des emplois. Toutes ces opérations ne sont pas faites « au doigt mouillé », vous devez sans doute les quantifier. Pouvez-vous nous chiffrer tout ce qui a concerné la suppression de la TH sur les résidences principales et la mise en place du coefficient réducteur ? Il y a aussi la mise en place d'une obligation déclarative pour la TH sur les résidences secondaires et le fait que le coefficient réducteur ne s'appliquera pas aux communes qui percevront plus de 10 000 euros. Tout cela se traduit par des économies sur le réseau. Les avez-vous chiffrées ? En redéployant le réseau comme vous le faites en milieu rural, on génère aussi des économies - et un coût pour les collectivités locales. Pouvez-vous nous en donner les montants ? Enfin, quel sera le rôle précis des 3 000 agents qui seront redéployés sur le territoire ?

Debut de section - PermalienPhoto de Sébastien Meurant

Je vous félicite de cette restructuration : on ne peut pas demander à lutter contre le déficit public et ne pas se réjouir que l'État fasse les efforts nécessaires d'adaptabilité liés au progrès technique. Pour autant, il ne faut pas dégrader le service public. Et le numéro qui ne répond pas, ce n'est pas normal ! Lorsqu'ils payent l'impôt, la moindre des choses est que nos concitoyens aient quelqu'un au bout du fil.

Il n'est jamais simple de conduire le changement. On peut regretter le nombre de grévistes et l'éloignement pour les entreprises et les particuliers. À vous de trouver les solutions qui permettront d'améliorer le service public avec les nouveaux outils informatiques et la dématérialisation - et en simplifiant la fiscalité.

J'ai fait partie des 2 000 comptes piratés que vous avez évoqués. J'ai reçu cet été un e-mail de la DGFIP, authentique celui-là, nous demandant d'adapter le prélèvement et de faire les modifications nécessaires. Quelques jours après, un e-mail pirate a suivi, parfaitement ressemblant - et renvoyant à la page de la DGFiP ! Cela pose problème.

Debut de section - PermalienPhoto de Christine Lavarde

Nous avons beaucoup entendu parler de la réorganisation du réseau des finances publiques dans le milieu rural. Je vais me faire le porte- parole du milieu urbain dense, où nous avons le sentiment qu'on a voulu nous appliquer un nombre de trésoreries moyen, comme l'ensemble des départements, alors même que notre population est beaucoup plus importante. Quand des villes qui font la taille d'un département perdent leur trésorerie, cela pose des questions. Est-ce à dire que l'État entend transférer sur ces communes les missions accomplies jusqu'alors dans les trésoreries ?

Nous avons été informés par courrier de la mise en place d'une concertation, mais ce même courrier donnait déjà la carte des implantations des futurs centres ! Je me demande donc où est la concertation quand on a déjà défini les lieux... Et les agents des finances publiques chargés de la mise en oeuvre de la réorganisation disent qu'au regard des spécificités de telle ou telle ville, un ou plusieurs agents de la future grande trésorerie se consacreront au suivi de la collectivité. Dès lors, pourquoi ne pas les avoir laissés sur place ?

Je siège au conseil de l'immobilier de l'État, et il me semble que la réorganisation telle qu'elle a été définie n'a pas fait l'objet en amont d'une phase de diagnostic sur les surfaces dont l'État est propriétaire et les endroits où il souhaite aller. Dans les exemples que j'ai en tête, la ville identifiée pour la nouvelle trésorerie ne dispose pas de locaux suffisants pour accueillir l'ensemble du personnel, alors même que l'État est propriétaire dans d'autres endroits des murs des anciennes trésoreries.

Debut de section - Permalien
Jérôme Fournel, directeur général des finances publiques

Il n'est pas question qu'on ait un conseil aux collectivités locales qui soit en apesanteur et qui, d'une certaine manière, fasse du conseil hors-sol. Son implantation résultera d'un choix partenarial avec la collectivité. S'il peut être installé dans les locaux de la collectivité, c'est bien. Si la collectivité ne le souhaite pas, pour éviter un transfert de charges, nous assurerons l'accueil nous-mêmes. Le conseiller aura de plus un bureau dans le service de gestion comptable, qui demeurera, et avec lequel il sera en liaison permanente. Actuellement, dans certaines collectivités territoriales, le conseil disparaît derrière le traitement quotidien. Or nous devons absolument, dans la durée, protéger cette fonction de conseil.

Sur l'accueil de proximité, il est exact que nous avons supprimé 700 trésoreries ces dernières années, sans rien mettre à la place. Nous avons simplement rétracté le réseau. 800 trésoreries comptent encore moins de cinq agents. Si je devais continuer le mouvement, je supprimerais 800 points de contact et de conseil supplémentaires. Mais notre ambition est de redéployer pour proposer un service au plus proche qui, en termes de proximité vis-à-vis des élus et de la population, sera meilleur.

Debut de section - Permalien
Jérôme Fournel, directeur général des finances publiques

C'est tout l'enjeu de la projection. Nous avons des agents extrêmement dévoués, à tous les niveaux de la hiérarchie. Mais, actuellement, ils n'ont pas toujours le temps d'aider une collectivité territoriale à monter un budget annexe, une taxe d'enlèvement des ordures ménagères incitative ou de faire une analyse financière prospective sur des investissements lourds. Nous voulons que, désormais, ils aient le temps de le faire. Est-ce qu'il y a transfert de charge ? Non, nous pouvons très bien accueillir au sein de nos trésoreries des maisons France services.

Debut de section - Permalien
Jérôme Fournel, directeur général des finances publiques

Nous n'en sommes pas à la phase de déploiement, nous sommes encore en phase d'identification et de concertation. Nous proposons, chaque fois que c'est possible, d'accueillir ces maisons. Si nous avons posé une carte initiale, nous avons parfois augmenté de 10 % le nombre de points d'accueil de proximité suite à des discussions avec les élus et les agents, mais aussi parce que nous avons tenu compte des impacts en termes de ressources humaines. Dans certaines collectivités, nous avons augmenté très significativement le nombre de services de gestion comptable ou d'antennes mis en place. La carte est loin d'être figée ! Nous n'irons vers des évolutions ou des transformations des trésoreries qu'en accord avec les collectivités territoriales. L'accord pourra prévoir des jours et heures de permanence dans les accueils de proximité. Puis, nous nous engagerons à ce que, d'ici 2026, la carte ne bouge plus. Il nous faut, pour les agents, les élus et les citoyens, de la stabilité.

Nous n'oublions pas les territoires denses, ni les territoires urbains, qui comptent aussi beaucoup d'accueils de proximité, dont les horaires d'ouverture doivent être compatibles avec les flux de visiteurs, notamment en période de déclaration. La situation n'est pas toujours satisfaisante du point de vue du contribuable. Basculer vers des accueils de proximité, de la prise de rendez-vous nous permettra sans doute de mieux gérer ces pics d'activité.

Sur le phishing, il faut bien distinguer les choses. Je ne peux interdire à personne de faire un lien qui renvoie sur impots.gouv.fr ! La vraie question, c'est d'empêcher l'accès à votre compte et aux informations et données qui sont contenues dans les fichiers de la DGFiP.

Sur la TH, 80 % des contribuables recevront l'an prochain un avis qui ne contiendra que la contribution à l'audiovisuel public. Reste à savoir comment faire évoluer cette dernière, et à quoi la raccrocher.

Je comprends le risque, à force de faire du tacite et du numérique, de décrocher le contribuable du consentement à l'impôt. Dans des pays comme la Norvège, qui sont au tout numérique, on observe des phénomènes de sur-conformité : comme les contribuables ne vérifient plus les informations, ils omettent parfois de faire valoir un crédit d'impôt. La contemporanéisation des crédits d'impôts diminuera ce risque. Et il faudra rappeler aux contribuables que, même s'ils n'ont plus besoin de remplir ou de signer leur déclaration, ils doivent garder le réflexe de la regarder et de la contrôler, parce que c'est leur argent ! Quant à la simplification de notre système fiscal, nous avons prévu, dans le PLF pour 2020, de supprimer plusieurs petites taxes.

Nous avons déployé des logiciels anti-fraude, en laissant un peu de temps aux commerçants, qui soient verrouillés et qui répondent à un cahier des charges qui limite les risques. Sur la TVA, nous travaillons sur deux axes principaux : les plateformes numériques, y compris pour les rendre solidaires et éviter les points de fuite de ce côté-là, et nous réfléchissons à un système différent de perception de la TVA, avec de l'e-facturation et de la captation de données, ou une TVA scindée. Ce sujet intéresse l'Union européenne, et il y a des réflexions au niveau communautaire.

La suppression de la TH sur la résidence principale aura un impact sur 2 000 agents à horizon 2023. L'impact du prélèvement à la source est plus difficile à chiffrer. La diminution de 40 % du flux de visiteurs, que j'évoquais, a évidemment un impact majeur sur la taille critique, tout comme l'amélioration des taux de recouvrement immédiats. C'est un sujet qui concerne en réalité plusieurs métiers au sein de la DGFiP. Nous pourrons mesurer exactement les gains de productivité quand nous aurons conclu un ou deux exercices. Sur la fraude sociale aussi, le prélèvement à la source aura un impact, couplé à la déclaration sociale nominative. En fiabilisant nos fichiers d'entreprises, nous renforçons les outils dont nous disposons pour détecter des fraudes communes.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Eblé

Je vous remercie.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 12 h 50.