Nous accueillons ce matin Mme Emmanuelle Cortot-Boucher, conseillère d'État, proposée aux fonctions de directrice générale de l'Agence de la biomédecine (ABM). En application de l'article L. 1451-1 du code de la santé publique, sa nomination doit être précédée de son audition par les commissions compétentes du Parlement.
Créée par la loi de 2004 relative à la bioéthique, l'Agence de la biomédecine a vu son champ d'intervention progressivement étendu pour désormais recouvrir trois grands domaines : les greffes d'organes, de tissus et de cellules ; la reproduction, la médecine procréative et l'embryologie ; la génétique humaine et la recherche sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires.
Votre audition intervient dans un contexte particulier marqué par l'examen en cours au Parlement du projet de loi relatif à la bioéthique. Plusieurs de ses dispositions auront un impact sur les missions et le fonctionnement de l'agence qui devra continuer d'incarner une conception française exigeante de l'éthique médicale et scientifique.
Il serait notamment intéressant que vous nous précisiez les défis qui se poseront à l'agence dans le domaine du don de gamètes, alors que votre prédécesseure envisageait l'autosuffisance en la matière pour 2021 : les dons permettent-ils aujourd'hui de satisfaire les demandes d'assistance médicale à procréation et, sinon, quelles sont, selon vous, les mesures susceptibles de mieux mobiliser les donneurs de gamètes ?
Par ailleurs, le projet de loi relatif à la bioéthique ouvre la possibilité aux personnes nées d'assistance médicale à la procréation d'accéder aux données non identifiantes relatives au tiers donneur : l'Agence de la biomédecine vous semble-t-elle préparée à assurer la gestion centralisée des données relatives aux donneurs dans le respect de leur anonymat ? Quelles seront les précautions à observer à cet égard ? Quelles perspectives envisagez-vous pour l'agence de la biomédecine pour les prochaines années ?
C'est un grand honneur pour moi d'être proposée par le Gouvernement pour occuper les fonctions de directrice générale de l'Agence de la biomédecine et un grand honneur aussi de me présenter devant vous ce matin.
Cette audition est l'occasion de vous dire comment j'envisage les missions de l'Agence de la biomédecine, ce que je perçois des enjeux auxquels elle est confrontée et comment il me paraît possible d'y faire face, si je suis nommée à la tête de cet établissement. Je le ferai avec humilité et prudence, car, par définition, je ne connais l'agence que de l'extérieur. Je vous dirai en quoi mon parcours personnel m'a préparée à assumer les responsabilités de directrice générale de l'agence.
L'Agence de la biomédecine a été créée par la loi du 6 août 2004 dans la continuité de l'établissement français des greffes, sous la forme d'un établissement public placé sous la tutelle du ministère de la santé. Ses activités se déploient dans quatre grands domaines, qui ont en commun de requérir l'utilisation, à des fins médicales ou scientifiques, d'éléments ou de produits issus du corps humain : prélèvements et greffes d'organes et de tissus, prélèvements et greffes de cellules souches hématopoiétiques, c'est-à-dire de moelle osseuse, procréation, et enfin embryologie et génétique humaines. Les activités de l'agence varient considérablement d'un domaine à l'autre, mais, en substance, elles consistent à assurer l'application concrète des principes issus des lois de bioéthique aux secteurs relevant de sa compétence.
En matière de prélèvement et de greffe d'organes et de tissus, l'agence est ainsi chargée de gérer la liste nationale des patients en attente d'une greffe et le registre national des refus au prélèvement. Pour chaque prélèvement, elle détermine qui va être le receveur, en appliquant des règles de répartition équitables, transparentes, et opérationnelles. Elle est aussi chargée de promouvoir le don d'organes et de tissus auprès du grand public, et elle organise à ce titre la journée nationale de réflexion sur le don d'organes, qui a lieu chaque année le 22 juin. Enfin, elle propose aux professionnels de santé des formations, notamment sur l'accueil des familles en deuil à l'hôpital.
Dans le domaine du prélèvement et de la greffe de moelle osseuse, l'agence tient le registre France greffe de moelle, qui enregistre les donneurs volontaires et leurs caractéristiques individuelles de compatibilité. Parce que les chances de compatibilité sont, dans le cas de la moelle osseuse, seulement d'une sur quatre au sein d'une même fratrie, et d'une sur un million en dehors, l'agence assure la connexion avec 73 autres registres dans le monde qui sont susceptibles d'être interrogés lorsqu'aucun donneur compatible ne figure sur le registre national. En cas de succès, c'est elle qui organise la mise à disposition des greffons au bénéfice des patients.
En matière d'assistance médicale à la procréation, ensuite, l'agence joue un rôle d'encadrement, de contrôle et de suivi. Elle élabore les règles de bonne pratique auxquelles doivent se conformer les centres autorisés à pratiquer des activités d'assistance médicale à la procréation, et elle collecte l'ensemble des données relatives à leur activité, en particulier celles qui sont issues des inspections dont ils font l'objet. L'agence tient notamment le registre national des fécondations in vitro. Il lui revient en outre, au titre de sa mission de vigilance, de surveiller l'état de santé des personnes qui ont eu recours à l'assistance médicale à la procréation, ainsi que des enfants qui en sont issus. En 2017, ils étaient près de 26 000 en France, soit environ une naissance sur trente.
Enfin, dans le domaine de l'embryologie et de la génétique humaines, l'activité de l'agence se déploie dans des directions multiples : c'est elle qui délivre les autorisations de recherche sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires humaines et qui statue sur les demandes tendant à leur conservation, leur importation ou leur exportation. Elle est également chargée de délivrer les autorisations relatives à l'activité des centres de diagnostic préimplantatoire et de diagnostic prénatal, ainsi que de mettre à la disposition du public une information sur les tests génétiques.
Au-delà de ces missions sectorielles, l'agence dispose de compétences générales qui s'exercent de manière plus transversale. En particulier, il lui revient de fournir aux pouvoirs publics, et notamment au Parlement, une information permanente sur le développement des connaissances et des techniques dans les domaines relevant de sa compétence. C'est le cas pour l'examen du projet de loi relatif à la bioéthique : à chaque fois que cela a été nécessaire, l'agence a répondu aux demandes d'information des parlementaires, ainsi d'ailleurs que du Gouvernement et du Comité consultatif national d'éthique. Elle a par ailleurs versé aux débats plusieurs documents qui ont servi de référence, notamment un rapport sur l'application de la loi de bioéthique.
Enfin, toujours au titre de ces missions transversales, l'Agence de la biomédecine a une mission légale de promotion des dons d'organes, de tissus, de cellules et de gamètes, qui l'amène à organiser de nombreuses campagnes de communication destinées à atteindre le grand public, au travers de la totalité de la gamme des médias disponibles. Pas plus tard que samedi dernier, elle a ainsi lancé, à l'occasion de la Journée européenne du don d'organes et de la greffe, une campagne de mobilisation en faveur du don de rein du vivant, qui s'achèvera le 22 octobre prochain.
L'agence s'est imposée, au fil des quinze dernières années, comme un acteur incontournable. Cette réussite tient à la combinaison de trois facteurs clefs, que je veillerai à préserver si je suis nommée dans les fonctions de directrice générale de cet établissement.
Premièrement, l'agence dispose d'une expertise médicale, scientifique, juridique et éthique de première force. Elle le doit bien sûr à ses équipes dont la compétence est unanimement reconnue et dont je salue ici l'engagement. L'agence doit aussi cette expertise aux liens tissés avec les quelque 800 experts qui participent à ses travaux et qui, ce faisant, apportent à sa réflexion un enrichissement incomparable.
Deuxièmement, elle a réussi à incarner pleinement les valeurs d'équité, de transparence et de solidarité qui reflètent la conception française de l'éthique, fondée sur la gratuité du don, l'anonymat et le volontariat. Elle est ainsi parvenue à créer le socle de confiance nécessaire pour que le don de produits et d'éléments du corps humain puisse se développer dans notre pays. L'implication des directrices générales qui se sont succédé à la tête de l'établissement depuis sa création y est pour beaucoup, et je veux saluer la contribution apportée en dernier lieu par Anne Courrèges.
Troisièmement, l'agence est un établissement qui joue collectif et qui associe à sa démarche l'ensemble des parties prenantes. Je pense aux professionnels de santé qui interviennent directement dans les activités de prélèvement, de greffe ou d'assistance médicale à la procréation, ainsi qu'aux agences régionales de santé, aux autres agences sanitaires et aux organismes de recherche. Je pense aussi aux associations de patients, d'usagers et de familles de donneurs d'organes, aux sociétés savantes et aux médias. Parce qu'elle est à l'écoute de l'ensemble de ces acteurs, et qu'elle veille à ce que chacun puisse jouer son rôle, l'agence apporte une contribution unique dans les domaines de compétence qui sont les siens.
C'est donc avec beaucoup d'atouts que l'agence aborde les années à venir, et à bien des égards, elle devra surtout se préoccuper de préserver ses acquis. Mais elle ne pourra pas faire uniquement le pari de la continuité face à des défis importants, qui exigent d'amplifier les efforts et, parfois, de rechercher des réponses nouvelles.
Le premier de ces défis est posé par les trois plans ministériels élaborés pour la période 2017-2021 dans les domaines relevant de la compétence de l'agence. Pour chacun d'entre eux, les objectifs fixés sont ambitieux et il reste beaucoup à faire pour tenter de les atteindre.
Dans le domaine de la greffe d'organes en premier lieu, il s'agit d'atteindre le chiffre de 7 800 greffes d'organes ou de tissus, dont 1 000 à partir de donneurs vivants, afin de faire baisser le nombre de personnes en attente d'une greffe, qui sont 24 000 à ce jour, dont 14 000 en attente d'une greffe de rein. Pour répondre à leurs besoins, l'agence devra développer les dons croisés d'organes, en exploitant notamment les nouvelles possibilités que prévoient certaines dispositions du projet de la loi relatif à la bioéthique, bientôt soumis à votre examen, si elles sont effectivement adoptées.
Il lui appartiendra également d'encourager les prélèvements multi-organes et de soutenir le déploiement du protocole dit « Maastricht III » qui autorise le prélèvement d'organes sur des personnes décédées d'un arrêt circulatoire contrôlé à la suite d'une décision d'arrêt des soins. Ce programme est mis en oeuvre aujourd'hui par une quinzaine d'équipes et a permis, depuis le début de l'année 2019, la réalisation de plus de 290 greffes. Il est sans doute possible d'aller plus loin, à condition bien sûr de maintenir un très haut degré de vigilance sur la bonne application du protocole et, en particulier, de garantir une parfaite étanchéité entre la procédure d'arrêt des soins et celle de prélèvement.
L'agence devra en outre rester attentive aux progrès de nouvelles techniques qui sont susceptibles de constituer des alternatives à la greffe, tels que les dispositifs artificiels pouvant tenir lieu d'organe, la thérapie cellulaire ou encore la xéno-greffe.
Enfin, il n'y aura de succès possible, dans ce domaine éminemment collectif, qu'avec la mobilisation de tous : les professionnels autour de l'idée que la greffe reste une priorité nationale dans le domaine de la santé, et le grand public autour de celle que le don d'organes et de tissus est un acte fort de solidarité, qui bénéficie indirectement à tous.
Dans le domaine de la greffe de cellules souches hématopoiétiques, en deuxième lieu, le plan ministériel adopté en 2017 fixe pour objectif d'amplifier la mobilisation des donneurs pour atteindre le chiffre de 310 000 personnes inscrites sur le registre France greffe de moelle.
Il s'agit en particulier de mobiliser des hommes jeunes, qui offrent les plus grandes possibilités de compatibilité, et d'accroître la diversité des origines géographiques des donneurs. Pour ce faire, l'agence devra poursuivre les campagnes de communication ciblées vers les publics recherchés et développer les possibilités d'inscription en ligne dans le registre, qu'elle a d'ores et déjà expérimentées avec succès.
Elle devra aussi exploiter les possibilités offertes par la greffe haplo-identique, qui permet de transplanter les cellules souches d'un proche à moitié compatible avec le receveur, et qui donne de bons résultats.
Enfin, en troisième lieu, dans le domaine de la procréation, de l'embryologie et de la génétique, le plan ministériel adopté en 2017 prévoit l'autosuffisance nationale en matière de dons de gamètes. Pour les ovocytes, c'est un objectif dont nous sommes encore loin, et l'agence devra poursuivre les campagnes de promotion déjà engagées afin d'accroître le nombre de donneuses. Celles-ci n'étaient que 756 en 2017, alors qu'un peu plus de 2 700 couples sont en attente. Elle devra également continuer à soutenir les activités de préservation de la fertilité, en lien avec l'Institut national du cancer, et développer la vigilance dans le domaine de l'assistance médicale à la procréation.
À côté de cet effort pour atteindre les objectifs fixés par les plans ministériels qui la concernent, l'agence aura un autre chantier d'envergure à conduire : il consistera à mettre en oeuvre des dispositions de la loi relative à la bioéthique, lorsque celles-ci auront été adoptées par le Parlement.
Il est possible en effet que cette loi prévoie de nouvelles compétences pour l'agence de la biomédecine, mais il est trop tôt pour dire lesquelles - c'est tout l'enjeu du débat parlementaire qui a commencé et auquel vous apporterez bientôt votre contribution -, mais il est certain que je veillerai, si je suis nommée à la tête de l'agence, à ce qu'elles soient appliquées d'une manière qui soit parfaitement fidèle à l'intention du législateur.
Je m'y attacherai, en particulier, si, comme c'est envisagé à ce stade, le Parlement décide de confier à l'Agence de la biomédecine la mise en place et la tenue d'un registre relatif aux donneurs de gamètes, de manière à permettre l'exercice d'un droit d'accès aux origines pour les enfants conçus dans le cadre de l'assistance médicale à la procréation avec recours à un tiers donneur.
Enfin, l'agence devra continuer, dans les prochaines années, à évaluer l'efficacité de ses propres procédures et à développer les interactions avec les autres agences sanitaires sur les sujets d'intérêt commun. Cette orientation devra être poursuivie sans que soit menacée l'attractivité des métiers de l'agence, et en veillant à maintenir la qualité de vie au travail de son personnel.
Je me présente aujourd'hui devant vous en ayant conscience de ne pas être une spécialiste de la biomédecine, mais avec la conviction que mon expérience et les compétences que j'ai acquises peuvent être utiles à l'agence.
Membre du Conseil d'État depuis 2004, j'ai d'abord été affectée à la section du contentieux, puis à la section des finances, en qualité de rapporteur. En 2007, j'ai rejoint le cabinet du ministre du travail, de la famille et des solidarités pour exercer les fonctions de conseillère juridique et diplomatique. À mon retour au Conseil d'État, j'ai été nommée dans les fonctions de rapporteur public auprès de l'assemblée du contentieux, puis de rapporteur public auprès du tribunal des conflits et de rapporteur adjoint auprès du Conseil constitutionnel. Ces diverses expériences ont développé chez moi la capacité à prendre des décisions dans des situations complexes, l'impartialité et le sens du travail en équipe.
Ces compétences seront utiles à l'Agence de la biomédecine si je suis nommée à sa tête. L'agence, en effet, est chargée de prendre des décisions dont les implications sont très lourdes pour les personnes intéressées, soit qu'elles touchent à leur survie, soit qu'elles concernent leur projet parental, soit encore qu'elles aient trait à des maladies génétiques dont leur descendance pourrait être affectée.
La gravité de ces enjeux fait de la légalité et de l'impartialité des décisions de l'agence une exigence de premier ordre. Compte tenu des fonctions juridictionnelles que j'ai exercées au Conseil d'État, je crois avoir été bien préparée à y répondre. Par ailleurs, je peux compter sur une bonne connaissance de l'administration centrale, acquise notamment au cours de mon passage en cabinet ministériel, qui est nécessaire pour que l'agence puisse jouer son rôle auprès des différents services du ministère de la santé et de ses organes déconcentrés en région.
Enfin, si j'ai fait du droit ma profession, le socle de ma formation et de ma culture est d'abord scientifique. Après des classes préparatoires scientifiques, j'ai en effet intégré l'École polytechnique où j'ai choisi la voie des sciences expérimentales. J'y ai notamment suivi un enseignement approfondi de biologie cellulaire qui m'a amenée à conduire divers travaux de recherche dans le laboratoire de l'école, et à présenter les résultats obtenus sur la paillasse sous la forme d'articles. Cette expérience m'a fortement sensibilisée aux enjeux de la recherche scientifique en général, et dans le domaine de la génétique en particulier. Cette sensibilité que j'ai acquise est de nature à me permettre de nouer un dialogue fructueux avec les personnels de l'agence, de même qu'avec ses partenaires extérieurs.
Pour ces diverses raisons, je crois disposer d'une expérience professionnelle et d'une formation académique qui peuvent aider l'Agence de la biomédecine à répondre aux enjeux qu'elle devra relever dans les années à venir. En tout cas, si je suis nommée à la tête de l'agence, mon engagement au service des missions qu'elle assure sera total.
Merci pour cette présentation. Le projet de loi de bioéthique donne à l'Agence de la biomédecine un rôle majeur dans la tenue du registre des donneurs de gamètes, mais place à côté d'elle une commission qui prend les décisions sur la base des données fournies par celle-ci. Ne serait-il pas préférable de tout confier à l'agence ? Cela représenterait-il une charge supplémentaire ?
Que pensez-vous de l'extension du diagnostic préimplantatoire aux couples qui le souhaitent ? La procédure dite du « bébé-médicament », le diagnostic préimplantatoire pour définir l'histocompatibilité de l'embryon avec un frère aîné atteint de maladie génétique, a été supprimée en première lecture par l'Assemblée nationale, car elle est peu utilisée compte tenu de sa lourdeur. Qu'en pensez-vous ?
La Cour des comptes a récemment publié des rapports sur la politique des greffes et l'assistance médicale à la procréation. Il y apparaît que le nombre de greffes a augmenté, mais moins que le nombre de patients en attente. Que pensez-vous de la détection anticipée ? Quel peut être le rôle de l'agence dans la diffusion des bonnes pratiques des pays étrangers ? Comment l'agence peut-elle agir en direction de certaines équipes médicales pour dissiper certaines réticences ?
Concernant l'assistance médicale à la procréation, la Cour préconise de renforcer l'information du public sur les centres, alors que la France a de moins bons résultats que ses voisins dans ce domaine, avec quatre tentatives sur cinq qui se soldent par un échec. Que pensez-vous de la compensation du don d'ovocytes comme le pratique l'Espagne, à hauteur de 1 000 euros ?
Qu'apportera la loi de bioéthique sur la recherche en cellules souches embryonnaires ? Je suis membre du collège de l'agence depuis peu, je n'ai assisté qu'à une séance. Il me semble toutefois qu'on la sollicite pour des autorisations spéciales dont on pourrait se dispenser.
Pour une non-spécialiste, votre expertise me semble tout à fait satisfaisante.
Le Sénat s'apprête à discuter du projet de loi bioéthique. Vous avez été reçue en audition par les députés. Quels sont vos sentiments sur le défi majeur que constitue le partage des données numériques ? J'imagine que vos craintes ne concernent pas que des aspects techniques.
Vous n'avez pas évoqué la problématique du trophoblaste, dont la biopsie permet d'éviter des maladies génétiques. Il faudrait que vous vous y intéressiez et qu'elle soit intégrée dans les procédures de l'agence.
Actuellement, le délai est raisonnable pour bénéficier d'un don de spermatozoïdes. Mais pour les ovocytes, il est supérieur à trois ou quatre ans. Aujourd'hui, l'autoconservation des ovocytes n'est possible qu'en cas de chimiothérapie ou de don. Si cette possibilité est élargie, les femmes qui finalement n'utilisent pas leurs ovocytes conservés pourront-elles les donner ? Cela permettra-t-il de rattraper le retard ? Deux tiers des femmes aujourd'hui vont dans les pays frontaliers...
Merci de votre présentation, qui montre votre intérêt et vos connaissances en la matière. Notre cadre légal de la recherche sur l'embryon est-il encore adapté ? Les autorisations de recherche progressent-elles, encadrent-elles bien les recherches ? Faudrait-il faire évoluer la législation ?
L'ouverture de la procréation médicalement assistée (PMA) à toutes les femmes est un changement sociétal majeur. L'agence a-t-elle les capacités humaines et matérielles suffisantes pour y faire face ? Quelle action envisagez-vous pour assurer un nombre de dons de gamètes suffisants pour couvrir les besoins des couples hétérosexuels, des couples de femmes et des femmes seules ?
Merci pour votre présentation, qui me rassure complètement sur votre maîtrise d'une filière aussi technique, malgré votre absence de formation médicale. La Guadeloupe souffre d'une forte prédominance de l'insuffisance rénale. Elle est chef de file pour la greffe de rein, mais elle manque de médecins spécialistes, et pâtit d'une situation sanitaire dégradée. Je ne vous demande pas de la tendresse, mais une attention soutenue : la demande augmente très fortement, et le nombre de greffes ne suit pas alors que le besoin concerne des hommes de plus en plus jeunes.
C'est la future loi de bioéthique qui décidera du positionnement de l'agence par rapport à la commission qu'elle envisage de créer pour gérer l'accès aux origines. Il ne m'appartient pas de donner un avis personnel sur des sujets qui relèvent de cette loi, tels que l'extension du diagnostic préimplantatoire à d'autres maladies génétiques ou la suppression de la procédure du « bébé-médicament ». Je respecterai en tout état de cause ce qu'aura décidé le Parlement.
L'Assemblée nationale a supprimé la procédure du « bébé-médicament » parce qu'elle était lourde, peu utilisée et n'offrait que des chances réduites de concevoir un enfant capable de soigner la pathologie de l'aîné, une drépanocytose par exemple : une chance sur seize. Un seul site a été autorisé à la mettre en oeuvre : l'hôpital Antoine Béclère à Clamart, et les cas ont été rares. C'est au Parlement, dans ses deux chambres, de prendre une position.
C'est la crainte d'une dérive eugéniste qui a conduit à ne pas étendre le diagnostic préimplantatoire. Le maintien d'une commission indépendante est un choix d'opportunité. Ce que je peux vous dire sur le sujet, c'est que l'agence a une bonne expertise dans la tenue de registres informatiques, puisqu'elle gère déjà les fichiers des refus de prélèvement ou des patients en attente de greffe.
Concernant les greffes, il est certain que la formation des professionnels de santé est un axe important pour les mobiliser sur cette priorité nationale. L'agence propose ainsi des formations sur l'abord des proches et sur les activités de greffes. Le plan greffe prévoit de renforcer cet axe.
Faut-il informer le public sur l'efficience des centres d'assistance médicale à la procréation ? Sur 151 000 tentatives, il y a 26 000 réussites, soit une réussite sur quatre ou cinq. Il faut améliorer ce taux. Informer le public sur le taux d'échec peut être une manière de le mobiliser sur le don de gamètes. D'autres pistes d'amélioration résident dans la recherche sur l'embryon, qui a pour objet d'améliorer l'efficacité des techniques d'assistance médicale à la procréation.
Faut-il rémunérer certains donneurs de gamètes ? En l'état du droit, les principes éthiques qui sont les nôtres nous l'interdisent et consacrent la gratuité du don. Cela n'exclut pas de défrayer les donneurs - en vertu du principe de neutralité financière. L'Agence de la biomédecine a-t-elle les moyens de ses ambitions ? La question se posera quand la loi de bioéthique sera votée ; il appartiendra alors à sa direction d'engager un dialogue avec le Gouvernement pour ajuster les uns aux autres.
Votre souci, madame Lassarade, est celui du Gouvernement et de l'Assemblée nationale : le texte en provenance de celle-ci prévoit en effet un allégement des procédures d'autorisation pour la recherche sur les cellules souches embryonnaires. Il est ainsi envisagé de différencier les autorisations, certains protocoles ne supposant pas la destruction d'un embryon. Une fois qu'une lignée de cellules souches a été créée, on peut en effet travailler dessus sans avoir à détruire un nouvel embryon. On passerait donc d'un régime d'autorisation à un régime de déclaration, l'agence conservant le droit de s'opposer à une recherche.
Le partage des données numériques est un enjeu de fiabilité du registre, qui se pose de plus en plus avec le développement de la médecine génomique. Le séquençage se fait désormais facilement. Le plan France médecine génomique 2025 prévoit la création de douze plateformes de séquençage ; mais comment garder des données aussi sensibles que celles concernant les donneurs de gamètes ? L'agence gère déjà des fichiers sensibles comme celui des patients en attente de greffe et celui des refus de prélèvements. Son service informatique compte 30 personnes sur les 200 qui travaillent au siège. L'agence bénéficiera de la réflexion qui aura lieu dans le cadre de ce plan sur la protection des données. Il faut prévoir des dispositifs de cryptage spécifiques, car les données relatives aux donneurs sont identifiantes par nature. Il faudra donc bien sécuriser l'accès au registre.
Je ne connais pas la problématique de la biopsie du trophoblaste. Ce que je sais, c'est que l'agence conduit un travail sur les maladies génétiques orphelines et soutient un certain nombre de programmes sur les cellules souches embryonnaires cherchant à les repérer ou à les empêcher de s'exprimer - je pense à un protocole sur la maladie de Steinert, par exemple. Mais la définition du cadre du diagnostic préimplantatoire comme du diagnostic prénatal relève de la loi.
Nous y reviendrons, notamment concernant l'interruption médicale de grossesse (IMG), lors du débat sur la loi de bioéthique.
La France est autosuffisante pour les spermatozoïdes, mais pas pour les ovocytes : il y a eu 756 donneuses en 2016 et, en ce moment, 2 700 couples sont en attente de don.
Si le texte de l'Assemblée nationale est finalement adopté, les gamètes dont auront besoin les couples de femmes et les femmes seules seront plutôt des spermatozoïdes. Mais il faut continuer à encourager le don d'ovocytes par des campagnes. Il n'est pas impossible - même si c'est difficile à prévoir - que des femmes qui n'auraient pas utilisé leurs ovocytes en fassent don. Le principal frein, le prélèvement, qui est une opération délicate, sera en effet levé. Il est difficile de dire dans quelle proportion cela jouera.
Notre cadre légal est-il adapté à la recherche sur les cellules souches ? Cela fait l'objet de discussions, le Gouvernement proposant de passer à un régime déclaratoire. Pour la recherche sur l'embryon, la recherche est encadrée, et même très encadrée. Elle n'est autorisée que si elle est pertinente scientifiquement, que sa finalité est médicale, qu'elle respecte tous les principes éthiques du code de déontologie et du code civil, qu'elle ne procède pas à un clonage, qu'elle ne crée pas d'embryon transgénique ou chimérique. L'agence y veille. Le cadre semble donc adapté au développement de la recherche tout en protégeant l'embryon, qui reste une personne humaine potentielle.
Les dons de gamètes sont insuffisants pour toutes les demandes d'assistance médicale à la procréation, notamment ceux d'ovocytes : il faut continuer à mobiliser les donneuses, tout en sachant que l'opération est plus délicate et nécessite donc un travail de conviction plus difficile. L'agence fait une campagne de mobilisation tous les ans à l'automne et le don d'ovocytes augmente.
Il y a effectivement des difficultés d'accès à la greffe de rein dans les départements français d'Amérique, notamment en Guadeloupe. Ce problème fait l'objet d'une action spécifique dans le troisième plan greffe. La difficulté réside dans la distance, le greffon devant être utilisé très vite. L'Agence de la biomédecine y consacre toute son énergie, comme à tous ses objectifs.
Le Conseil d'orientation va évoluer avec la loi de bioéthique. Ne pourrait-on pas lui donner compétence sur les enjeux des territoires périphériques ? Ils sont dans des situations spécifiques, mais leur proximité avec des territoires étrangers pourrait être mise à profit.
L'agence aura-t-elle la capacité matérielle et humaine pour assister les centres de PMA ?
L'agence assiste les centres en diffusant des guides de bonnes pratiques qui s'imposent à eux. Cet instrument permettra de compléter les règles, une fois la loi de bioéthique adoptée.
Par ailleurs, un registre rempli par les centres d'assistance médicale à la procréation donne à l'agence une vision d'ensemble de leur activité. Dans le texte issu de l'Assemblée nationale, il est prévu qu'un rapport soit remis au Parlement un an après l'adoption de la loi sur la structuration des centres, rapport qui pourra donner lieu à un débat : le Parlement pourra se saisir de la question à ce moment.
Le voyage d'études annuel de la commission s'est déroulé cette année à Madrid et avait pour thème le système de santé de notre voisin espagnol. Yves Daudigny, Catherine Deroche, Véronique Guillotin et moi-même nous sommes donc rendus à Madrid du 16 au 19 septembre dernier.
Avant de vous décrire ce que nous avons appris de l'organisation et du fonctionnement du système de santé espagnol, quelques éléments de contexte sont utiles.
L'Espagne est comme vous le savez une monarchie parlementaire. Notre déplacement initialement prévu en avril dernier avait été reporté en raison de l'imminence d'élections législatives anticipées. Ces élections n'ont pas permis de dégager une majorité claire et, le Premier ministre socialiste Pedro Sánchez ayant échoué à former un gouvernement, de nouvelles élections ont été convoquées pour le 10 novembre prochain.
L'Espagne est par ailleurs un pays fortement décentralisé, composé de 17 communautés autonomes dotées de larges compétences, notamment en matière de santé. Pour l'exercice de ces compétences, l'État central attribue aux communautés autonomes le produit d'un panier de recettes fiscales, dont elles peuvent partiellement déterminer le taux, selon une clé de répartition qui tient compte des caractéristiques démographiques et économiques de chacune.
Les dépenses de santé sont en Espagne sensiblement inférieures à celles que nous observons en France, que ce soit en part de PIB ou par rapport à la population. Alors que nous consacrons plus de 250 milliards d'euros par an à la santé, soit 11,3 % de notre richesse nationale, ou plus de 3 500 euros par habitant, l'Espagne n'y consacre qu'environ 100 milliards d'euros, soit 8,9 % de son PIB, et un peu plus de 2 500 euros par habitant.
Néanmoins, l'état de santé de la population espagnole n'en est pas pour autant plus mauvais, bien au contraire. L'Espagne présente en effet l'espérance de vie la plus haute parmi les États membres de l'Union européenne et 70 % des Espagnols déclarent être en bonne santé. On constate au demeurant que, en matière d'état de santé perçu, l'écart entre les plus aisés et les plus modestes est parmi les plus faibles d'Europe.
Ces résultats sont d'autant plus remarquables que l'Espagne est au-dessus de la moyenne en termes de tabagisme ou de prévalence de l'obésité.
Le régime alimentaire méditerranéen, qui nous a été vanté, ne pouvant suffire à les expliquer, ces bonnes performances résulteraient essentiellement de l'efficacité du système de santé. Les statistiques d'Eurostat font d'ailleurs apparaître que les Espagnols sont particulièrement peu nombreux à déclarer des besoins médicaux non satisfaits en raison du coût, de la distance ou du temps d'attente, et ce quel que soit leur niveau de leurs revenus. Nous avons également été marqués par la réponse des associations de patients que nous avons rencontrés : s'ils ont des revendications, ils se disent globalement, et peut-être un peu par patriotisme, très fiers de leur système de santé.
Le système de santé espagnol se distingue nettement du nôtre par deux traits principaux. Premièrement, il s'inscrit, comme le National Health Service (NHS) britannique dans une logique beveridgienne. La santé relève d'un service public universel financé par l'impôt et non d'un régime d'assurance reposant sur des cotisations.
Pour des raisons historiques, certains corps de fonctionnaires sont couverts par des mutuelles publiques. Ils peuvent toutefois choisir d'adhérer à la place à une assurance privée, ce que font plus de 80 % des 2,15 millions de fonctionnaires concernés. En incluant ces fonctionnaires, le système national de santé espagnol couvre 99,9 % de la population et s'étend à l'ensemble des résidents en situation régulière ainsi qu'aux demandeurs d'asile.
Deuxièmement, le système de santé espagnol est fortement décentralisé. L'État central définit les grandes règles qui relèvent du domaine de la loi et détermine le panier de soins et de services de santé assurés par le système de santé publique.
Il revient aux 17 communautés autonomes de mettre en place leur système de santé régional et de fournir à leur population, a minima, le panier de soins national qu'elles peuvent le cas échéant compléter.
Les recettes fiscales transférées aux communautés autonomes par l'État le sont de manière globale, le fléchage qui existait par le passé ayant été supprimé. Chaque région est donc libre de définir la part de son budget qu'elle affecte à sa politique de santé, à la condition d'assurer l'accès de ses habitants aux prestations du panier de soins national.
Cela dit, les dépenses de santé représentent environ 30 % du budget de chacune des communautés autonomes, soit le premier poste de dépenses devant l'éducation et le service de la dette. La dépense publique par habitant, qui est en moyenne de 1 370 euros, varie ainsi de 1 153 euros en Andalousie à 1 710 euros au Pays basque. Les soins spécialisés et hospitaliers représentent près des deux tiers des dépenses des communautés autonomes, contre 14 % pour les soins primaires.
L'Espagne n'a donc pas d'objectif de dépenses de santé au niveau national voté par le Parlement et les outils existant pour lutter contre les dérapages budgétaires infra-annuels sont limités. Toutefois, en l'absence de tarification à l'activité, l'augmentation du nombre d'actes ne se répercute pas de la même manière que chez nous sur les dépenses de santé.
L'accès aux soins primaires se fait généralement par le biais de centres de santé pluriprofessionnels créés par les communautés autonomes, dans lesquels les professionnels de santé sont des fonctionnaires payés par la région. Nous avons d'ailleurs visité un tel centre de santé à Madrid. Chaque usager se voit affecter un médecin traitant dans le centre de santé de son secteur, selon des règles fixées au niveau régional.
Cette organisation n'empêche pas l'apparition de déserts médicaux, les communautés autonomes n'ayant pas nécessairement les moyens d'ouvrir des centres de santé en nombre suffisant et certaines zones rurales demeurant peu attractives pour les médecins. L'accès aux prestations dispensées par les centres de santé et les hôpitaux publics est entièrement gratuit pour l'usager. Il s'agit donc d'un système tout à fait différent du nôtre.
La seule forme de ticket modérateur existant dans le système de santé publique réside dans les éventuelles files d'attente qui peuvent exister.
Les usagers peuvent alors se tourner vers le secteur privé pour avoir un accès plus rapide aux soins dont ils ont besoin ou pour pouvoir s'adresser au praticien ou à l'établissement de leur choix. L'accès au système privé est généralement pris en charge par des assurances privées, auxquelles souscrivent 7,9 millions de personnes, individuellement ou dans le cadre d'un contrat d'entreprise.
Attention : sauf pour les fonctionnaires que j'ai évoqués, les assurances privées sont une couverture supplémentaire et non pas, comme en France, des complémentaires. Un Espagnol disposant d'une assurance privée peut ainsi choisir de s'adresser à son centre de santé publique, qu'il finance par le biais de ses impôts, ou avoir recours aux praticiens ou établissements privés conventionnés par son assurance.
Le secteur privé intervient également comme prestataire du secteur public, dans le cadre de conventions ou d'interventions ponctuelles lorsqu'un acte médical nécessaire ne peut être réalisé, ou pas dans un délai satisfaisant, dans le cadre du système public. Le coût de ces activités, que l'on pourrait qualifier de sous-traitance et qui représentent environ un tiers du chiffre d'affaires du secteur privé, n'est pas facturé au patient, mais est pris en charge par la communauté autonome.
Il nous a été indiqué que le secteur privé rémunérait relativement moins bien les infirmiers que le service public, tandis que la rémunération des médecins était plus difficile à comparer du fait de contrats individuels. Comme en France, des médecins du secteur public peuvent compléter leurs revenus par des consultations privées.
Si l'accès aux prestations contenues dans le panier de soin national est entièrement financé par l'impôt, un quart des dépenses de santé reste à la charge des patients, soit une part supérieure à la moyenne européenne, qui est de 15 % et bien supérieure au reste à charge que nous connaissons ici, qui est vous le savez inférieur à 10 %.
Ce reste à charge résulte d'une part du ticket modérateur sur les médicaments d'officine pharmaceutique, qui a été augmenté en 2012 dans un contexte de crise des finances publiques. Le co-paiement demandé au patient varie non pas en fonction du médicament, mais en fonction des revenus et de la situation personnelle. Si les bénéficiaires de minima sociaux en sont exemptés, les actifs assument 40 %, 50 % ou 60 % du coût des médicaments qu'ils achètent. Pour les retraités, le ticket modérateur est réduit et plafonné à 8, 18 ou 60 euros par mois.
D'autre part, les soins dentaires et optiques ne sont pas inclus dans le panier de soins national. S'ils ne sont pas pris en charge par une assurance privée, ils sont donc à la charge des ménages. Cela constitue un angle mort important du système espagnol.
Un certain nombre d'éléments du système espagnol nous ont paru particulièrement intéressants.
L'Espagne nous est apparue en avance sur la France en matière de développement du numérique en matière de santé. Chaque usager du système de santé dispose en effet d'une carte permettant à tout médecin du secteur public d'accéder à son historique médical. Cette carte est en outre utilisée pour la délivrance de médicaments en pharmacie. Si l'interconnexion des systèmes des différentes communautés autonomes est à parfaire, force est de constater que notre dossier médical partagé est encore loin d'être aussi généralisé.
L'Espagne est par ailleurs le premier pays d'Europe en matière de transplantations d'organes. Cette situation n'apparaît pas liée à la législation espagnole en la matière. Comme en France, la loi espagnole prohibe la rémunération des dons et prévoit un régime de consentement présumé depuis plusieurs décennies même si, dans les faits, l'accord de la famille est demandé. Elle ne résulte pas non plus d'une générosité propre aux Espagnols en matière de dons d'organes post-mortem. En effet, seuls 57 % d'entre eux déclarent souhaiter donner leurs organes après leur mort, soit seulement un point de plus que la moyenne européenne et 10 points de moins qu'en France. Il nous a été expliqué que ces résultats provenaient plutôt d'une organisation plus réactive de la chaîne de transplantation et d'une meilleure formation de l'ensemble des professionnels de santé susceptibles d'intervenir.
Notre déplacement a également été l'occasion d'échanger avec le président du comité espagnol de bioéthique sur certains sujets qui pourront être abordés prochainement à l'occasion de l'examen de la loi de bioéthique. Nous souhaitons donc vous présenter rapidement quelques-unes des règles en vigueur en Espagne.
La procréation médicalement assistée est légale, y compris pour les femmes seules et les couples de femmes. Elle est désormais incluse dans le panier de soin pris en charge par le système national de santé. Le diagnostic préimplantatoire n'est autorisé qu'à des fins thérapeutiques ou préventives.
La loi espagnole pose le principe de la gratuité des dons de gamète, mais autorise un dédommagement qui s'élève à environ 1 000 euros pour un don d'ovocytes et 50 euros pour un don de sperme. Enfin, il existe actuellement un débat autour de l'anonymat des donneurs, qui est remis en question.
L'Espagne apparaît et se revendique comme une destination majeure de tourisme de santé en général et du tourisme reproductif en particulier, notamment pour les Françaises. Il nous été indiqué qu'environ 7 000 de nos compatriotes avaient recours chaque année à des cliniques espagnoles pour une PMA.
La gestation pour autrui (GPA) demeure à l'inverse interdite en Espagne, ce qui pousse un certain nombre d'Espagnols à avoir recours à des mères porteuses notamment en Ukraine et aux États-Unis. L'Espagne connaît des débats similaires aux nôtres sur la reconnaissance des enfants nés de GPA.
Voilà ce que nous pouvons vous dire sur le système de santé en Espagne. Son caractère décentralisé, qui conduit à responsabiliser les régions, me semble particulièrement intéressant et devrait nous conduire à nous interroger sur le centralisme excessif dont nous sommes, en France, si coutumiers.
J'ai rencontré récemment une association de fabricants-distributeurs de prothèses qui m'ont expliqué que le niveau des prothèses de hanches ou de genoux était très bas en Espagne. Est-on en bonne santé lorsque l'on boîte ? Le système de santé espagnol fait sans doute de grosses économies sur ces équipements très coûteux en France.
Merci pour ce rapport concret. L'espérance de vie particulièrement bonne est-elle liée à une prévention particulièrement efficace ? Existe-t-il une protection maternelle et infantile (PMI) ? Y a-t-il de grandes différences entre les communautés autonomes ? Certaines ont-elles accentué leur action dans certains domaines ? Comment les urgences sont-elles organisées ?
J'aurais posé la même question : la prévention explique-t-elle la bonne espérance de vie ?
Le caractère régional du système de santé espagnol ne fait-il pas courir le risque d'un système de santé à plusieurs vitesses ? Vous nous avez dit que le système reposait sur l'impôt, mais qu'une participation était demandée aux patients pour l'achat des médicaments, en fonction de la situation personnelle et des revenus : n'est-ce pas une double peine pour ceux qui paient l'impôt ?
Je connais bien la zone voisine de la frontière espagnole. Il y a énormément d'Espagnols qui viennent consulter des spécialistes, notamment des ophtalmologistes, et même des généralistes, tandis que peu de Français vont en Espagne, sauf peut-être pour les soins dentaires en raison de leur coût.
Peut-être leur meilleure espérance de vie vient-elle du fait qu'ils paient les médicaments et en consomment donc moins ?...
Un chiffre me frappe : 7 000 femmes par an iraient en Espagne pour une PMA ? Le professeur que nous avons reçu parlait plutôt de 2 000 à 5 000. C'est étrange.
Au cours d'un déplacement en Espagne, on m'a adressé à la Croix-Rouge pour une petite urgence. Celle-ci semble donc s'occuper beaucoup de bobologie...
Je crois beaucoup à l'épigénétique, c'est-à-dire à la génétique influencée par l'environnement. Notre génétique, à nous, Français, est influencée par la Révolution, qui a implanté en nous le souci permanent de contester. Les Espagnols, quant à eux, ont été marqués par quarante ans de régime franquiste.
Le rythme espagnol est très différent, même à Madrid. Nous avons été très bien reçus au ministère de la santé, où la ministre s'est même libérée une heure pour nous recevoir. L'espérance de vie est sans doute liée au respect du rythme solaire mais l'excellente espérance de vie pourrait aussi résulter en partie du taux de vaccination très élevé.
Il y a des différences entre régions : le Pays basque dépense plus que l'Andalousie. Effectivement, les Espagnols nous ont parlé de 7 000 Françaises venant faire une PMA par an, chiffre effectivement différent de celui donné par le professeur Ayoubi.
L'Espagne a le même problème que nous concernant les urgences : elles sont encombrées à cause des déserts médicaux. Des centres de santé sont mis en place par l'État et les régions, mais leur installation dépend des moyens et des médecins disponibles.
Lorsque les files d'attente sont longues, les patients peuvent être orientés vers les établissements privés qui interviennent alors comme sous-traitants du service public : le patient ne paie pas et la communauté autonome rembourse les dépenses à l'établissement.
Nos interlocuteurs nous ont dit qu'ils tentaient de filtrer les patients arrivant aux urgences. La prévention est assurée par les centres de santé publics, actifs également en milieu scolaire. Il y a sûrement des écarts entre communautés autonomes, mais ils ne nous ont pas été signalés comme préoccupants par les associations de patients.
Nous n'avons pas abordé le sujet des prothèses. S'il ne fait pas partie du panier de soins national, la dépense est à la charge des assurances privées ou des patients.
La prévention est fondée sur les centres de santé. Chaque Espagnol doit vivre à moins de trente minutes de l'un d'entre eux. Au sein de ceux-ci, les salariés, infirmiers et médecins, ne sont pas payés à l'acte, le système de prévention est donc assez performant.
Les régions sont responsables de leur politique de santé, dans le respect du panier de soins national. Mais, la santé étant une des préoccupations majeures des citoyens, c'est un enjeu politique important.
Pour les urgences, la situation n'a pas l'air très différente de la France à cela près que les centres de santé filtrent la bobologie. On nous a ainsi parlé de vacations d'échographes dans ces centres.
J'ai toujours des difficultés à appréhender le fonctionnement d'un pays beaucoup plus décentralisé que le nôtre. Les communautés ont la faculté de compléter le panier de soins national. Les décisions sont donc prises au plus près de la population, mais cela crée un risque d'inégalités entre régions. Les dépenses de santé étant comprises dans le budget général, il n'y a pas de dette sociale à proprement parler ni de Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades).
On ne peut pas conclure à une supériorité définitive du système espagnol sur le système français. Il y a en effet des angles morts dans leur système : pour les adultes, les soins dentaires n'entrent pas dans le panier de soins, sauf pour les mineurs mais dans certaines limites ; l'optique n'y entre pas.
Un échographe a effectivement été installé à disposition des généralistes dans le centre de santé que nous avons visité. On peut toutefois s'interroger sur la capacité des médecins non-spécialistes à utiliser ce type d'appareil.
Le principal point d'intérêt est pour moi la régionalisation. Le régime alimentaire est certainement en cause dans l'espérance de vie des anciens, mais les jeunes vont beaucoup dans les fast foods.
Monsieur le président, chers collègues, un an après la publication de notre rapport sur l'accès précoce aux médicaments innovants, nous avons souhaité dresser le bilan de la mise en oeuvre de ses préconisations et faire un point d'étape en auditionnant les principales parties prenantes.
Plusieurs des recommandations que nous avions formulées ont été reprises dans les travaux du 8ème Conseil stratégique des industries de santé (CSIS) de juillet 2018 réunissant industriels et pouvoirs publics : les enjeux de l'accès précoce aux traitements innovants ont été identifiés comme une priorité, avec un objectif de réduction des délais d'accès au marché à 180 jours à l'horizon 2022 (soit le délai réglementaire fixé au niveau européen), contre plus de 500 jours aujourd'hui.
Si la situation a évolué positivement sur certains points, elle reste préoccupante à de nombreux égards.
Les responsables d'essais précoces de l'Institut Curie ou de Gustave Roussy se sont ainsi inquiétés, malgré les atouts dont nous disposons et des évolutions qui n'ont pas encore porté leurs fruits, de l'insuffisante appréhension des enjeux liés à la dégradation du positionnement de la France dans l'environnement mondial.
Il nous semble utile de relever les récentes avancées intervenues et de mettre l'accent sur les points de blocage qui demeurent, à la veille notamment de l'examen du PLFSS qui offrira l'occasion d'interpeler la ministre.
En ce qui concerne l'accès au marché des médicaments, un point de satisfaction a concerné l'élargissement de notre dispositif ad hoc d'accès précoce, les autorisations temporaires d'utilisation (ATU), aux extensions d'indications, voté l'an dernier dans la LFSS pour 2019. C'était une proposition de notre rapport et une demande pressante des professionnels de santé, notamment en oncologie pour s'adapter à l'arrivée de l'immunothérapie dans plusieurs indications.
Ces mêmes dispositions ont également créé un accès direct en phase dite de « post-ATU » pour des médicaments n'ayant pas bénéficié d'une prise en charge préalable en ATU. Cette évolution répondait à une difficulté que nous avions soulevée : du fait de la plus grande précocité des AMM délivrées, la phase d'ATU est compressée au profit de la phase dite de « post-ATU » précédant l'accès au marché de droit commun. Des conditions financières rénovées ont été actées pour ces nouveaux dispositifs, avec le principe d'une compensation fixée par les ministres à titre temporaire.
L'extension du dispositif des ATU est à saluer mais nous n'en mesurons pas encore les effets concrets puisque le décret d'application n'a été publié que le 20 août dernier. D'après nos informations, l'ANSM avait cependant pris les devants pour ne pas trop retarder cette avancée concernant les extensions d'indication. Mais comme nous l'avions collectivement exprimé lors de l'examen du PLFSS, la complexité du cadre législatif du mécanisme des ATU et son caractère imprévisible constituent aujourd'hui un frein à son attractivité. Cela conduit certains industriels à adopter une position attentiste. C'est un sujet sur lequel nous restons vigilants à la veille de l'examen du PLFSS pour 2020 qui apporte de nouveaux ajustements.
Un autre obstacle à l'accès des patients à certains traitements vient des incohérences du système de la « liste en sus ». Celui-ci permet l'accès à des médicaments onéreux à l'hôpital, qui ne peuvent être inclus dans les tarifs ou GHS et font donc l'objet d'une prise en charge directe par l'assurance maladie : les médicaments de la liste en sus représentent 3,8 milliards d'euros de dépenses en 2018 pour 146 spécialités inscrites ; c'est un milliard d'euros de plus qu'en 2014.
Comme nous l'avions relevé, les critères fixés pour l'inscription sur cette liste, plus rigides depuis 2016, ne sont pas adaptés : la Haute Autorité de santé (HAS) reconnaît que l'évaluation de l'ASMR (amélioration du service médical rendu) à laquelle elle procède, qui conduit à déterminer le prix du médicament, n'a pas lieu d'être un critère d'accès au médicament, en l'occurrence via son inscription sur la liste en sus. Nous avions également préconisé une gestion plus dynamique de cette liste, ce qui implique des révisions plus régulières des tarifs.
Ce sujet pose des questions d'égalité d'accès aux soins des patients sur le territoire, selon l'hôpital où ils sont pris en charge.
Le même problème se pose pour les actes de biologie innovants financés dans le cadre d'une enveloppe fermée insuffisante pour couvrir les dépenses engagées par les établissements de santé : le RIHN (répertoire des actes innovants hors nomenclature). Un processus d'évaluation est en cours pour aboutir, sur 3 ans, à l'inscription à la nomenclature des actes les plus matures, ceux de la liste dite complémentaire.
Mais pour le reste, rien n'a changé. Le sujet de la liste en sus a été renvoyé à la réforme de l'évaluation du médicament envisagée dans les conclusions du CSIS mais celle-ci ne paraît pas en voie de déboucher.
Cette réforme, évoquée depuis de nombreuses années, consiste à substituer un seul critère - la valeur thérapeutique relative (VTR) - aux deux critères actuels d'évaluation du médicament - le service médical rendu (SMR) qui détermine l'accès au remboursement et le taux de prise en charge, et l'amélioration du service médical rendu (ASMR) qui sert à la détermination du prix. Cette réforme répond à un enjeu de lisibilité, mais elle se heurte à des difficultés car un critère unique pourrait signifier un taux unique de prise en charge du médicament.
De manière plus générale, on voit bien que l'accès aux innovations pose des questions de fond à notre système de santé. Nos échanges avec la HAS ont posé clairement les enjeux : les autorisations de mise sur le marché accordées par l'agence européenne du médicament interviennent de manière de plus en plus précoce et reposent sur des données scientifiques jugées trop peu robustes. Cela conduit la HAS à devoir faire des paris sur l'efficacité de tel ou tel médicament : elle se montre en général assez prudente. La situation crée dès lors des incompréhensions avec les industriels dont les prétentions de prix sont parfois déconnectées des résultats de l'évaluation, d'où des blocages dans les négociations de prix.
L'équilibre est, nous le mesurons bien, délicat. On peut certes favoriser l'accès à une innovation thérapeutique porteuse d'espoir, mais il nous faut aussi maintenir un niveau exigeant d'éthique et de sécurité. Il faut savoir rester prudent face à un certain nombre de promesses thérapeutiques : n'oublions pas que certains traitements pris en charge de façon précoce peuvent finalement être arrêtés en cours de phase 3 d'essais cliniques en raison de résultats finalement beaucoup moins probants.
Cependant, le contexte mondial interroge nos procédures qui ne sont pas adaptées aux avancées de la science et au changement de paradigme dans le développement des médicaments innovants. A cet égard, certains enjeux dépassent le cadre national.
Des réflexions sont ainsi engagées depuis plusieurs années au niveau européen sur l'évaluation des médicaments, sans parvenir à une issue : pourrait être envisagé un partage entre les agences européennes du volet scientifique de l'évaluation, ciblé sur les médicaments innovants, sans préempter les décisions nationales concernant la prise en charge.
Cette question renvoie également à un choix collectif sur la prise en charge financière de l'innovation : comment financer les thérapies géniques ou l'immunothérapie qui concerneront demain des populations plus larges de patients ? Peut-on rémunérer au prix fort des médicaments dont les effets sont encore mal appréhendés et insuffisamment documentés sur le plan scientifique ?
Cette réflexion globale doit se tenir, car nous ne pouvons appréhender ces enjeux au fil de l'eau. Les industriels du Leem critiquent, avec le PLFSS que nous allons prochainement examiner, le manque de visibilité alors que les engagements du CSIS ont ciblé un plancher minimal de croissance annuelle sur trois ans fixé à 0,5 % et 3 % pour les médicaments innovants.
Face à ces défis, notre rapport avait formulé des préconisations pour adapter nos procédures à ce contexte nouveau. Nous avions notamment préconisé, pour des médicaments prometteurs, un remboursement temporaire qui puisse être réévalué en fonction de données cliniques collectées en vie réelle. C'est une proposition portée par la HAS qui nous a indiqué émettre des avis correspondant à du remboursement temporaire, sans avoir toutefois force contraignante. D'autres pays se sont engagés dans cette voie, en particulier l'Allemagne et le Royaume-Uni, qui se gardent la possibilité de réviser leur décision à l'issue d'un délai contractuel défini avec le laboratoire et à la lumière des nouvelles données cliniques et des données en vie réelle. Cette proposition n'a pas été retenue. C'est regrettable car il nous faut mettre plus de souplesse et avancer vers un processus plus dynamique d'évaluation et de prise en charge des médicaments innovants. L'ATU est devenu un palliatif à des procédures de droit commun insuffisamment réactives. Or, ce n'est pas sa vocation.
En ce qui concerne les essais cliniques, la principale avancée est à mettre au crédit de la proposition de loi de nos collègues députés Cyrille Isaac-Sibille et Philippe Berta, relative à la désignation des comités de protection des personnes (CPP). Adoptée conforme par notre assemblée à l'automne 2018, elle devait permettre une modulation du tirage au sort des CPP selon leur disponibilité et leur expertise.
Néanmoins, cette modulation n'est toujours pas mise en oeuvre. Le système d'information qui doit permettre de classer les CPP selon leur charge de travail et leur accès aux experts pertinents n'est attendu que pour cet automne, un an après le vote de la PPL. Rappelons que le fonctionnement des CPP reste très largement pénalisé par l'insuffisance de leurs moyens humains et financiers. Dans l'incapacité d'assurer la permanence de leur secrétariat, certains d'entre eux n'instruisent même pas les dossiers qui leur parviennent pendant les congés d'été.
En revanche, l'ANSM a mis en oeuvre différentes mesures volontaristes de redressement, qui ont permis une nette amélioration des délais de notification, bien en-deçà du délai règlementaire de 60 jours. En lien avec l'INCa, des circuits courts (dispositifs de « fast track ») ont même été mis en place pour permettre un accès plus rapide des patients aux traitements innovants, avec des délais d'instruction des essais cliniques de 40 jours, voire 25 jours dans certains cas.
Les progrès enregistrés par l'ANSM restent malheureusement plombés par l'incapacité des CPP à examiner les demandes d'essai clinique dans le délai de 60 jours. Or notre pays fait face à une concurrence intense de la part d'autres États européens, en particulier la Belgique et l'Espagne, pour attirer des essais cliniques de thérapies innovantes.
À ce stade, plusieurs mesures nous semblent devoir être envisagées pour permettre aux CPP de se mettre véritablement en ordre de marche, au moment où le règlement européen relatif aux essais cliniques de médicaments doit entrer en vigueur en 2020 :
Beaucoup trop de CPP ont vu leur charge de travail alourdie par l'augmentation exponentielle du nombre de demandes de recherches non interventionnelles, c'est-à-dire des recherches impliquant l'analyse des données de santé issues de questionnaires, de tests génétiques ou encore de prises de sang. Nous proposons que ces dossiers soient centralisés auprès d'un seul comité d'éthique exclusivement consacré aux recherches non interventionnelles et à la protection des données personnelles. Ce transfert permettra de décharger l'ordre du jour des autres CPP afin que ceux-ci puissent se consacrer pleinement à l'examen des projets de recherche interventionnelle.
La commission nationale des recherches impliquant la personne humaine doit se voir confier la mission et les moyens d'établir un référentiel d'évaluation éthique commun à tous les CPP et de définir les bonnes pratiques garantissant le recours à une expertise à la fois indépendante et pertinente. Une approche trop restrictive des liens d'intérêt conduit parfois à confier l'examen de demandes à des personnes ne disposant d'aucune expertise sur le sujet concerné.
Afin de garantir la qualité de l'évaluation éthique conduite par les CPP, il nous semble enfin indispensable d'instituer une procédure d'évaluation périodique de ces comités par les agences régionales de la santé, par analogie avec la plupart des pays européens, dont l'Espagne, qui ont fait le choix d'une accréditation de leurs comités d'éthique. Les résultats de cette évaluation permettront au ministre de la santé de se prononcer sur le renouvellement de l'agrément de chaque comité.
Ces mesures nécessitent des évolutions législatives qui justifieraient le dépôt d'une proposition de loi. Nous porterons en outre une attention particulière aux moyens de fonctionnement qui seront consentis aux CPP dans le projet de loi de finances pour 2020.
Telles sont, Monsieur le président, mes chers collègues, les observations que nous souhaitions partager. L'accès précoce aux traitements innovants est, dans le contexte actuel particulièrement prometteur pour les patients, un sujet essentiel qu'il nous faut suivre dans le temps. Des évolutions ponctuelles et concrètes sont, sur certains points, possibles et souhaitables. Sur d'autres, les enjeux sont aujourd'hui tels qu'ils appellent des réponses nouvelles et des réflexions de long terme, sans se contenter de coller des rustines PLFSS après PLFSS. Le PLFSS pour 2020 nous offrira toutefois une occasion prochaine d'aborder la question de l'accès précoce, à travers notamment les nouveaux ajustements qu'apporte son article 30 au dispositif des ATU.
Avant de laisser la parole à mes collègues sur ce sujet déterminant, je souhaitais vous faire part d'un chiffre qui m'a été transmis par le directeur de l'Institut Curie, selon lequel les médicaments innovants dans le traitement du cancer avaient d'abord requis 1 milliard d'euros puis 3 milliards, avant de probablement atteindre le niveau de 10 milliards d'euros. C'est dire l'importance de notre débat de ce matin.
La question de l'accès aux médicaments innovants est majeure en termes de démocratie sanitaire. Elle se heurte néanmoins à plusieurs écueils : les phases de l'autorisation et de l'évaluation du produit ainsi que de la fixation des prix sont très longues ; les industriels à l'origine de ces substances demandent des prix très élevés, la discussion avec le comité économique des produits de santé est souvent très difficile. La sélection des patients pour les phases d'expérimentation en réduit considérablement le bénéfice. Enfin, les restrictions budgétaires, dont le PLFSS pour cette année nous donne un nouvel exemple, ne manquent pas d'impacter défavorablement la prise en charge de ces traitements. Avec une progression de l'Ondam à 2,3 % et des économies annoncées de près de 4 milliards d'euros, comment pouvons-nous sérieusement envisager le développement de l'accès aux médicaments innovants ? Comment pouvons-nous agir sur les industriels pour les conduire à pratiquer des baisses tarifaires ?
J'ai été pour ma part interpelée par des laboratoires craignant le durcissement des conditions d'octroi de l'autorisation temporaire d'utilisation.
Le mécanisme de la clause de sauvegarde des médicaments devrait également peser plus lourdement sur les industriels à partir de 2020. Pouvez-vous nous donner quelques précisions quant aux mesures contenues dans le PLFSS à ce sujet ?
Le travail de nos collègues interroge plus globalement la question du financement de la recherche et de l'expérimentation. J'ai l'impression que la recherche médicamenteuse pâtit au fond de relever du même régime d'autorisation et de financement que celui des médicaments de consommation courante. Ne pourrait-on pas travailler à définir des canaux de financement spécifiques pour moins de dispersion ?
Je souhaitais vous faire part de ma surprise, liée à la loi que vous avez évoquée sur les comités de protection des personnes (CPP), dont j'avais assuré le rapport pour notre assemblée l'an dernier. La modulation du tirage au sort des CPP, pourtant votée, n'est pas encore mise en oeuvre, de même que le système d'informations attendu.
La présente communication est essentiellement venue d'une volonté de dresser, un an après notre rapport relatif aux médicaments innovants, une sorte de bilan. Nous avions fait de nombreuses préconisations, dont certaines ont reçu un écho favorable. Le Premier ministre a fait devant le CSIS des annonces très fortes concernant l'incitation à la recherche et à l'innovation, ainsi que l'amélioration de l'intégration des patients dans des essais cliniques. Malgré le vote de la LFSS pour 2019, il a tout de même fallu attendre août 2019 pour que le décret d'application soit pris, et notre collègue vient de nous rappeler que la loi relative aux CPP n'était toujours pas mise en oeuvre.
Le choix est clair : soit le Gouvernement entend accélérer l'accès précoce aux médicaments innovants, et cette léthargie ne peut durer, soit il ne le souhaite pas. Nous prenons un retard considérable par rapport à nos voisins : en Allemagne, dès que l'AMM est donnée, le médicament même innovant se voit appliquer le régime de droit commun. Aucune des autorités ou agences spécialisées ne montre de réticence. L'ANSM et la HAS sont pleinement mobilisées, on n'attend plus que le Gouvernement pour avancer.
Je rejoins notre collègue Michel Forissier sur la nécessité de donner corps aux grandes ambitions affirmées au cours du CSIS au sujet de la recherche.
Je rappelle que le système de l'autorisation temporaire d'utilisation en France était initialement considéré comme l'un des meilleurs au monde.
Le droit existant prévoit un système de plafonnement à 10 000 euros par patient et par an, lorsque le chiffre d'affaires réalisé dépasse un certain montant, avec l'obligation pour le laboratoire de reverser le différentiel, sous forme de remise, à l'assurance maladie. Pour des traitements dont la confection se chiffre à 2 millions d'euros, on comprend que l'incitation ne soit pas optimale. Le système est par ailleurs fragilisé par des AMM rendues de façon précoce au niveau européen, qui permettent la distribution parallèle immédiate de ces produits et les dispensent de demandes d'ATU.
Pour autant, notre réglementation se justifie pleinement dans certains cas. Je pense notamment au problème de plus en plus fréquent des rachats par des structures privées de fondations publiques, une fois que ces dernières ont engagé toutes les dépenses de recherche nécessaires. Cela interroge selon moi la légitimité de l'appropriation par le secteur privé d'un effort de recherche essentiellement porté par le public.
De plus, il est important de signaler que, grâce à ces mécanismes de régulation, le prix du médicament innovant est moins élevé en France qu'en Allemagne, en Espagne et en Italie. Je conçois néanmoins parfaitement que cela puisse être un obstacle à la production de certains médicaments pour les fabricants, et que certains se trouvent non disponibles de ce fait. Nous devons rester vigilants à cet égard, les États-Unis ayant récemment signalé que leurs laboratoires et leurs patients n'entendaient pas indéfiniment porter l'essentiel du coût de la recherche.
À propos des remboursements temporaires, la révision périodique du montant du remboursement en fonction de l'évolution des données cliniques pourrait donner lieu au reversement du différentiel. Pour les médicaments innovants, on peut avoir une première remontée très favorable, et s'apercevoir en vie réelle que les résultats sont moins prometteurs ; donc toute innovation ne se traduit pas toujours par une réelle avancée.
Je voudrais brièvement vous faire part des décisions du bureau de notre commission sur deux points.
Pour ce qui concerne les déplacements, le bureau a décidé d'une mission à Mayotte au cours de l'interruption des travaux parlementaire d'avril 2020.
Il a également décidé de déplacements dans les Hauts-de-France et dans les Landes.
Pour ce qui concerne les co-signatures d'amendements de commission, le bureau a décidé, à l'instar des usages en vigueur dans d'autres commissions, que les co-signatures devaient intervenir au plus tard à l'ouverture de la réunion de commission consacrée à l'examen des amendements et s'effectuer au moyen de l'application Ameli.
La réunion est close à 11 h 15.