Commission des affaires européennes

Réunion du 21 janvier 2013 : 1ère réunion

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Simon Sutour

La proposition de directive de la Commission relative aux voyages à forfait et aux prestations de voyage assistées emporte des conséquences importantes sur ce secteur.

Debut de section - PermalienPhoto de Colette Mélot

Le marché du tourisme et des voyages représente 10 % du PIB de l'Union européenne, soit 1,8 million d'entreprises et 5,2 % du nombre total de travailleurs. La directive 90/314/CEE du 13 juin 1990 est le premier texte à avoir réglementé la vente de voyages à forfait, réservés auprès d'une agence de voyage, comprenant au moins deux prestations, par exemple transport, hébergement ou location de voitures, et une nuit sur place. On parle communément de forfait touristique ou de voyage organisé.

Cette directive a favorisé l'émergence d'un marché unique, les consommateurs, bénéficiant de conditions comparables, quel que soit l'État membre dans lequel ils achètent leur forfait. Elle a généralisé la protection du voyageur-consommateur et précisé le contenu des brochures et informations qui lui sont destinées.

Cette législation européenne, qui date de plus de 20 ans, ignore Internet, les compagnies low cost, le développement du paiement en ligne et les nouvelles flexibilités de réservation, comme les réservations de dernière minute ou les forfaits dynamiques, personnalisés.

Les voyages à forfaits traditionnels, visés par la directive, ne représentent plus aujourd'hui que 23 % des voyages. Près de 120 millions de citoyens européens, 23 % des consommateurs, réservent des forfaits dynamiques, organisent chaque année leurs vacances via internet et personnalisent leur séjour. Selon un sondage récent, 67 % des consommateurs se pensent souvent protégés lors de ces achats en ligne de forfaits dynamiques, alors qu'ils ne le sont pas.

À l'inverse, la directive entraîne pour le vendeur des coûts élevés, non essentiels à une protection efficace du consommateur : impression papier obligatoire de brochures ; obligation, parfois illimitée, du vendeur d'assurer l'hébergement et la restauration du voyageur lorsqu'il est impossible d'assurer son retour en temps voulu en cas de force majeure.

Aussi, dès 2007, la Commission a-t-elle lancé une consultation, afin d'actualiser cette réglementation devenue, pour une large part, obsolète. De consultations en communications successives, le processus d'élaboration a duré plusieurs années pour aboutir à une refonte ambitieuse, tenant compte des évolutions du secteur, clarifiant le rôle et les responsabilités de chacun pour faciliter les recours des consommateurs, tout en améliorant le fonctionnement du marché unique.

La proposition de directive étend largement le champ d'application de la réglementation et tente de corriger les lacunes de la précédente directive. Conforme, dans ses grandes lignes, aux nouveaux défis posés par le passage à l'ère numérique, elle clarifie la réglementation, en définissant les différents types de contrats de voyage et l'adapte aux nouveaux produits. Elle apporte ainsi une sécurité juridique accrue, tout en réduisant le risque financier pour les différents intervenants : variations de prix encadrées, obligation d'information actualisée, introduction de plafonds en cas de prolongement du séjour du fait de circonstances exceptionnelles et inévitables.

Elle crée des droits nouveaux pour le consommateur : résiliation sans dédommagement en cas de circonstances exceptionnelles et inévitables, dédommagement du préjudice moral, minoration du prix en cas de diminution des coûts du voyage.

Elle modifie le régime de la responsabilité en imposant une harmonisation a maxima. Si le détaillant ou l'agence de voyage devient le point de contact auquel le voyageur adresse plaintes et réclamations en cas de mauvaise exécution ou d'inexécution des services, l'organisateur devient le seul responsable de l'exécution des services de voyage compris dans le contrat. Il doit remédier à la non-conformité des services fournis et apporter une aide aux voyageurs en difficulté.

Cependant, en voulant dans un même texte définir l'ensemble des possibilités et améliorer la protection du consommateur, la directive devient complexe, comptant 29 articles, là où 10 suffisaient.

Cette révision ne convainc pas. La spécificité des marchés nationaux inviterait à une harmonisation ménageant la possibilité d'améliorations nationales. Le nouveau régime de responsabilité proposé, qui désigne l'organisateur du voyage comme unique responsable de la bonne exécution des prestations souscrites, fait peser un risque systémique pour les professionnels du voyage sans pour autant améliorer la protection du consommateur. La Commission propose une harmonisation a maxima pour pallier les divergences constatées entre les États dans l'application de la précédente réglementation. Celle-ci renforcerait la protection du consommateur dans certains pays, mais l'affaiblirait, dans d'autres États dont la France, ayant fait le choix d'une responsabilité conjointe du détaillant et de l'organisateur : le consommateur peut se retourner selon son choix contre le détaillant ou l'organisateur, ceux-ci pouvant ensuite initier une action récursoire entre professionnels. Notre pays a été encore plus loin en mettant en place un système très protecteur de responsabilité de plein droit. La suppression de l'article 8, qui permet d'élaborer des dispositions plus strictes pour protéger le consommateur, rend incertaine la possibilité du maintien du régime de responsabilité français.

En France, les voyages à forfait font, en outre, l'objet de ventes successives jusqu'au consommateur. Cocontractant du voyageur, le détaillant est naturellement son interlocuteur privilégié. Faire de l'organisateur l'unique responsable dérogerait au droit commun de la responsabilité contractuelle, en excluant toute action en responsabilité à l'encontre du détaillant. Les détaillants, qui perdraient en légitimité face au consommateur, seraient aussi affaiblis. Les agences de voyage ne seraient plus l'interlocuteur de référence du consommateur. Or, contrairement à la Grande-Bretagne ou à l'Allemagne où le secteur du voyage est très concentré, le marché du voyage français est atomisé, avec 31 000 salariés répartis dans 3 700 agences de voyage, fortement fragilisées par l'essor d'internet. Les tour-opérateurs eux-mêmes se sont inquiétés du risque que fait peser ce projet de révision sur le modèle français, qu'ils jugent satisfaisant.

Ce texte bouleverserait les fondements du système de garantie financière de la profession, qui a mutualisé les risques, via des fonds de garantie comme l'Association professionnelle de solidarité du tourisme (APST) qui compte plus de 3 000 adhérents. Or la proposition de directive ne soumet que les organisateurs à une obligation de protection contre l'insolvabilité.

Pour les consommateurs, le nombre de détaillants diminue les risques, tandis que les fonds de garantie apportent l'assurance d'une indemnisation effective. Les organisateurs de voyage, de transport en particulier, présentent une structure de marché plus concentrée. Une responsabilité unique faisant peser un risque financier supplémentaire conduirait à une concentration, augmentant le risque de défaut pour le consommateur en cas de faillite d'un opérateur.

Plusieurs points mériteraient d'être clarifiés.

La définition de la prestation de voyage assistée reste ambiguë. Selon le projet, seul le moment de la facturation distinguerait concrètement la prestation de voyage assistée de la prestation de voyage combinée. Or toutes deux ne soumettent pas les professionnels aux mêmes obligations ni ne fournissent la même protection aux consommateurs.

Est-il utile d'introduire de nouvelles « circonstances exceptionnelles et inévitables », en plus de la force majeure ou des circonstances extraordinaires, mentionnées dans les textes relatifs aux droits des passagers aériens, notions que la Cour de justice de l'Union européenne a éclaircies au fur et à mesure de sa jurisprudence.

Si certains termes gagneraient à être précisés, d'autres pourraient être changés. Celui de voyageur risque de porter à confusion. Il pourrait être remplacé par celui de consommateur, contractant principal : celui qui achète n'est pas forcément celui qui voyage. De même, la notion de professionnel est à maintes reprises utilisée. Elle remplace à la fois celle d'organisateur, de détaillant et tout autre prestataire de services, mais son utilisation peut exclure les associations du champ de la directive.

Le droit de résilier le forfait souscrit sans aucun dédommagement en cas de « circonstances exceptionnelles et inévitables », notion très floue, risque d'entraîner une réaction excessive des voyageurs, en cas d'événement politique par exemple. Les professionnels pourraient compenser ce risque accru par une augmentation des prix.

En cas de majoration du prix lié au coût des carburants, aux taxes ou aux fluctuations des taux de change supérieures à 10 %, la directive ne prévoit rien. En cas de modifications significatives des clauses du contrat, elle ne mentionne qu'un accord tacite. Dans ces deux cas, un accord express du consommateur devrait être exigé et une résiliation sans frais proposée.

La responsabilité en cas de retour est limitée à trois nuits et 100 euros par nuit. Une telle indemnisation pose la question de l'articulation de ce texte avec le règlement relatif aux droits des passagers aériens, en cours d'élaboration, avec le règlement concernant les droits des passagers voyageant par mer ou par voie de navigation intérieure qui limite à 80 euros par nuit et à trois nuitées l'indemnisation des voyageurs, ou encore avec le règlement du 23 octobre 2007 sur les droits et obligations des voyageurs ferroviaires. Une harmonisation paraît indispensable.

La proposition de résolution, que je vous propose d'adopter, accueille favorablement le principe d'une nouvelle législation et approuve son extension aux nouvelles pratiques de réservation en ligne, doublant ainsi le nombre de voyageurs protégés. Elle juge néanmoins indispensable de maintenir la règle actuelle d'une responsabilité du détaillant et/ou de l'organisateur ainsi que le principe d'une harmonisation compatible avec les mesures nationales les plus favorables à la protection des consommateurs. Elle souligne la nécessité de préciser davantage les notions nouvelles de « prestation de voyage assistée » et de « circonstances exceptionnelles et inévitables », ainsi que l'articulation de ces dernières avec les « circonstances extraordinaires » du futur règlement sur les passagers aériens. Elle émet aussi des réserves sur l'utilisation des termes « voyageur » et « professionnel » en lieu et place des termes « consommateur » et « personne ». Elle appelle à la coordination des indemnisations proposées aux consommateurs avec celle des législations en vigueur ou en cours d'élaboration. Enfin elle invite le Gouvernement à soutenir ces orientations et à les faire valoir dans les négociations auprès des institutions européennes.

Debut de section - PermalienPhoto de André Gattolin

Lorsque nous réservons sur internet un billet d'avion, il n'est pas rare de se voir proposer ensuite d'autres prestations, comme des visites ou des nuitées d'hôtel. S'agit-il alors d'une prestation de voyage assistée ? Dans ce cas, l'application du principe d'un organisateur unique responsable paraît inadaptée car le consommateur signe plusieurs contrats différents.

Debut de section - PermalienPhoto de Colette Mélot

Il n'y a prestation de voyage assistée que si les prestations sont achetées au même moment. Si elles sont achetées en plusieurs fois, il ne s'agit pas d'un voyage à forfait.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Paul Emorine

Avec le nouveau dispositif, on doublerait la mise : 46 % des prestations seront concernées contre 23 % auparavant ? Cela laisse un grand nombre de prestations en dehors du dispositif.

Debut de section - PermalienPhoto de Simon Sutour

Comme pour la protection des données numériques, nous souhaitons maintenir les acquis de notre législation, plus protectrice des consommateurs.

Debut de section - PermalienPhoto de André Gattolin

Vous évoquez un risque systémique. La nouvelle réglementation fait porter la responsabilité uniquement sur les organisateurs. Craignez-vous qu'elle mette en danger le système de réassurance en cas d'annulation massive ?

Debut de section - PermalienPhoto de Colette Mélot

Dans le système actuel, les garanties sont réparties entre détaillants et organisateurs. Concentrer les responsabilités augmente les risques. De plus le consommateur risque d'être démuni car il ne connaît pas toujours l'organisateur et il a tendance à s'adresser à l'agence de voyages.

La proposition de résolution est adoptée à l'unanimité dans le texte suivant :

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu la proposition de directive COM (2013) 512 du Parlement européen et du Conseil relative aux voyages à forfait et aux prestations de voyage assistées, modifiant le règlement (CE) n° 2006/2004 et la directive 2011/83/UE, et abrogeant la directive 90/314/CEE du Conseil,

Vu la proposition de règlement COM (2013) 130 du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement (CE) n° 261/2004 établissant des règles communes en matière d'indemnisation et d'assistance des passagers en cas de refus d'embarquement et d'annulation ou de retard important d'un vol, ainsi que le règlement (CE) n° 2027/97 relatif à la responsabilité des transporteurs aériens en ce qui concerne le transport aérien de passagers et de leurs bagages,

Accueille favorablement l'élaboration d'une nouvelle législation européenne en matière de voyages à forfait ;

Approuve l'extension de cette législation européenne aux nouvelles pratiques de réservation en ligne, ce qui permettrait de doubler le nombre de voyageurs protégés ;

Juge néanmoins indispensable, compte tenu des caractéristiques fortement nationales du marché du voyage, de maintenir la règle actuelle d'une responsabilité du détaillant et/ou de l'organisateur ainsi que le principe d'une harmonisation compatible avec les mesures nationales les plus favorables à la protection des consommateurs ;

Souligne la nécessité de préciser davantage les notions nouvelles de « prestation de voyage assistée » et de « circonstances exceptionnelles et inévitables », ainsi que l'articulation de ces dernières avec les « circonstances extraordinaires » du futur règlement sur les passagers aériens ; émet aussi des réserves sur l'utilisation des termes « voyageur » et « professionnel » en lieu et place des termes « consommateur » et « personne » ;

Estime indispensable d'assurer la coordination des indemnisations proposées aux consommateurs avec celle des législations en vigueur ou en cours d'élaboration ;

Debut de section - PermalienPhoto de Simon Sutour

À plusieurs reprises, nous avions souhaité examiner le régime des actes délégués et des actes d'exécution, comparables, toute proportion gardée, aux ordonnances ou aux décrets d'application dans notre droit interne. Je vous propose un rapport d'information et un avis politique sur ce sujet.

Depuis 1961, la Commission dispose d'une délégation de compétence pour adapter ou compléter les actes de base adoptés par le législateur européen. Jusqu'au traité de Lisbonne, cette délégation était encadrée par des comités composés d'experts des États membres. Cette procédure est connue sous l'appellation de « comitologie ».

Le traité de Lisbonne a modifié assez profondément cette procédure. Les articles 290 et 291 du traité sur le fonctionnement de l'UE (TFUE) prévoient une délégation de compétence au profit de la Commission sous deux formes : les actes délégués qui complètent les éléments non essentiels de l'acte de base, et les actes d'exécution, plus techniques. Le contrôle opéré par les États membres est beaucoup plus réduit que dans le passé.

Le recours aux actes délégués est devenu de plus en plus large et des voix, de plus en plus nombreuses, ont exprimé des inquiétudes à ce sujet. À plusieurs reprises, notre commission a soulevé ce problème à propos de textes européens précis. Récemment, certains Parlements ont exprimé leur préoccupation sous forme d'un avis politique. Je vous propose d'aller dans ce sens. Les Parlements nationaux doivent se faire entendre afin que tout ne se passe pas en cercle fermé à Bruxelles.

Un large front d'oppositions s'est constitué, émanant d'institutions européennes, des Parlements nationaux, des États membres.

Dès décembre 2012, le Parlement européen a voté une « résolution d'objection » sur une proposition de règlement délégué. En janvier 2014, sa commission de l'environnement a adopté une motion dénonçant le recours excessif aux actes délégués, dans une proposition sur l'étiquetage de l'origine géographique des ingrédients. De même, en juillet 2013, le Comité économique et social européen (CESE), dont nous recevrons bientôt le président, s'est interrogé sur l'usage de la procédure de l'article 290 du TFUE par la Commission et la mise en oeuvre des mécanismes de contrôle.

Les recours trop fréquents à cette procédure ont poussé des Parlements nationaux à dénoncer ces abus. Le Bundesrat allemand, le Conseil fédéral et le Conseil national autrichiens, le Sénat italien, la Chambre des communes britannique et le Sejm polonais ont pris position en ce sens, selon des modalités diverses.

Fin 2013, lors de l'examen du paquet législatif sur la santé animale et végétale, notre commission a adopté deux propositions de résolution, sur proposition de Bernadette Bourzai d'une part et de Jean Bizet et Richard Yung d'autre part, dénonçant l'abus du recours aux actes délégués. Nous avons aussi adopté un avis politique en ce sens sur proposition de Richard Yung lors de l'examen de la nouvelle réglementation bancaire.

L'opposition la plus forte s'est manifestée du côté des États membres. L'événement déclencheur a été la préparation des actes délégués dans le cadre de la réforme de la politique agricole commune (PAC). Plusieurs dispositions préparées par la Commission allaient au-delà de la délégation donnée par les colégislateurs, voire remettaient en cause certains compromis politiques. Ces débordements ont été jugés inacceptables par la quasi-totalité des États membres, qui, dans une note officielle du 8 novembre 2013, ont rappelé que les « objectifs et le champ de la délégation, spécifiés dans l'acte de base, doivent être respectés ».

Plusieurs dérives potentielles ont été identifiées.

Le premier débat concerne la procédure, le champ de la délégation ainsi que les délais d'examen par le législateur européen. Le Conseil et le Parlement européen peuvent contester les actes délégués, mais ils disposent d'un délai, très court, de deux mois, à compter du jour où ils reçoivent le projet d'acte de la Commission, pour s'opposer à son adoption. Le Bundesrat demande que le délai soit étendu à trois mois. De plus, pour remettre en cause un acte délégué, le Parlement européen statue à la majorité des membres qui le composent et le Conseil à la majorité qualifiée, conditions difficiles à réunir, tandis que les Parlements nationaux ne sont pas consultés.

Des questions institutionnelles se posent. Non seulement, les États sont presque totalement absents du processus de décision, mais les Parlements nationaux peuvent aussi s'inquiéter d'une pratique qui ne leur permet pas d'exercer leur contrôle de subsidiarité car ils ne peuvent exercer celui-ci que sur les propositions d'actes législatifs, ce que ne sont pas les actes délégués. Le renforcement des pouvoirs des Parlements nationaux dans le contrôle de la législation européenne s'arrête donc au seuil des actes délégués.

Les inquiétudes portent également sur la composition des comités d'experts susceptibles d'assister la Commission dans l'adoption de ces actes. Ces experts ne sont pas des « représentants des États membres ». Il peut s'agir d'experts de quelques États membres seulement, de professionnels reconnus, voire d'experts internationaux. C'est une grande différence avec la procédure de comitologie antérieure.

Il est à craindre que dans un domaine technique, les experts sollicités sur l'élaboration des normes seront sensibles aux préoccupations des milieux industriels impliqués. Sur certains marchés oligopolistiques, les grandes entreprises, même concurrentes, ont un intérêt objectif à définir des règles techniques communes. L'inquiétude est grande que la pratique des actes délégués ouvre la voie aux lobbys les plus organisés.

Les experts des États membres garantissaient une pluralité qui a disparu dans la formule nouvelle. Rien n'empêche de reconduire pour plusieurs années les mêmes experts. Cette « culture d'entre-soi » est extrêmement dommageable.

Rien, formellement, n'empêche la Commission de désigner des experts non membres de l'Union européenne. En 2009, lors de l'examen d'une proposition de règlement sur la protection des données, la Commission européenne avait proposé de constituer un groupe d'experts dont une majorité n'était pas Européens et qui, en réalité, aurait représenté les intérêts anglo-saxons. Notre commission avait immédiatement réagi et devant la pression du Sénat, ce groupe n'a pas perduré.

Le flou autour de la nomination de ces experts est expressément condamné par certains Parlements nationaux. Le Conseil fédéral autrichien, homologue du Sénat, considère que la nomination d'experts représentatifs des États membres serait la seule solution acceptable.

La pratique des actes délégués est loin d'être anodine et exige une vigilance politique aiguë. L'abus du recours aux actes délégués est une préoccupation importante. Si cette délégation ne suscite pas d'opposition de principe car elle est utile et même souhaitable pour appliquer les textes votés par le législateur européen, elle doit être mesurée, adaptée, et limitée à des mesures d'application.

Notre commission a déjà évoqué cette question dans un avis politique sur la réglementation financière, mais c'est dans le secteur agricole que les craintes d'un dessaisissement insidieux du pouvoir législatif ont été les plus vives. Lors de l'examen de la proposition de règlement relatif à la santé animale, Mme Bernadette Bourzai, évoque « les craintes d'un blanc-seing à la Commission ». Le texte est parfois ressenti comme étant « une coquille vide qui sera remplie plus tard ». La résolution européenne « déplore le recours manifestement excessif aux actes délégués et aux actes d'exécution - 163 au total - qui confère un pouvoir exorbitant à la Commission européenne ».

Enfin, les inquiétudes portent sur le contenu même des actes délégués et les risques de détournements de l'intention du législateur européen.

Les actes délégués doivent normalement être en parfaite cohérence avec l'acte de base. Pourtant, plusieurs exemples récents ont montré que cette précision n'est pas superfétatoire. La France a d'ailleurs formulé une objection, en janvier 2014, à l'encontre d'un projet d'acte délégué portant sur l'étiquetage. Mais c'est encore sur la réforme de la PAC que les atteintes ont été les plus nettes. La note commune des États membres du 8 novembre 2013 fait état de nombreuses incohérences entre les deux niveaux de législation, voire de détournements de la rédaction de l'acte de base et de l'intention du législateur européen. Les États listent pas moins de dix cas dans lesquels le projet d'acte délégué contient des dispositions non prévues par l'acte de base. Parfois il ajoute des critères non prévus ; tantôt il réduit la portée des dispositions adoptées : l'acte de base prévoit par exemple, le maintien de l'aide couplée pour les ovins et les caprins mais le projet d'acte délégué limite cette aide couplée aux seules femelles.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Paul Emorine

Cela ne revient pas toutefois à réduire de moitié le champ de l'aide couplée...

Debut de section - PermalienPhoto de Simon Sutour

De même un système optionnel peut être transformé en obligation. Les modifications peuvent même aboutir à un contournement manifeste de la lettre de l'acte de base et de l'intention du législateur. La Commission a manifestement outrepassé son pouvoir et sa compétence déléguée, ce qui est préjudiciable à l'heure où l'opinion s'émeut du déficit démocratique ou de la technostructure de Bruxelles...

Certes, une part de ces dérives vient du législateur européen lui-même et de l'imprécision du texte de base. Le législateur doit veiller à ce que celui-ci soit aussi complet que possible et que les éléments essentiels soient précisés. Dans certains cas, la Commission ne fait qu'élargir une brèche ouverte par le législateur lui-même. Ce n'est pas une raison pour ne pas dénoncer le recours abusif à ces actes délégués.

Comment ne pas établir un parallèle avec le recours aux ordonnances dans notre droit national, même si ce sont des actes de nature différente ? Les ordonnances peuvent dans certains cas être utiles, voire indispensables, mais il ne faut pas en abuser. C'est le sens du rapport d'information et de l'avis que je vous propose d'adopter. Comme le disent les anglo-saxons, il faut des checks and balances. Les contrepoids manquent, il convient d'en instaurer.

Debut de section - PermalienPhoto de Simon Sutour

Bernadette Bourzai a dénombré 163 actes délégués ou d'exécution pour le règlement relatif à la santé animale. J'ai fait le même constat au sujet du texte sur la protection des données personnelles. La CNIL s'en était émue. Tous les domaines sont touchés, de plus en plus.

Debut de section - PermalienPhoto de André Gattolin

Avec les difficultés rencontrées lors de la transposition des directives, il s'agit là d'un nouveau détournement de la volonté du législateur européen.

Debut de section - PermalienPhoto de Simon Sutour

Ce phénomène n'a pas été anticipé. Il faut renforcer le contrôle politique parlementaire. Un nouveau traité n'est pas à l'ordre du jour, mais nous devons surveiller la Commission ; elle doit sentir que les Parlement sont vigilants.

Debut de section - PermalienPhoto de André Gattolin

Les règlements européens sont d'application immédiate. Avec cette pratique des actes délégués, que devient l'influence déjà amoindrie, du législateur national, et des Parlements nationaux en particulier, sur la Commission ?

Debut de section - PermalienPhoto de Bernadette Bourzai

MM. Bizet et Yung ont fait le même constat que moi sur la santé végétale. Cet abus des actes délégués devient une nouvelle tendance. Il faut y mettre un coup d'arrêt. La Commission doit respecter le contrôle de subsidiarité. Cet avis politique est justifié.

Debut de section - PermalienPhoto de Yannick Botrel

Votre description est éloquente. Je suis stupéfait de cette situation. Il y a une dérive de la Commission, à tel point que des actes délégués contredisent les actes de base. Nous devons agir vigoureusement et renforcer notre vigilance. Mais si comparaison n'est pas raison, l'écart constaté n'est-il pas comparable à l'écart entre la loi et le décret d'application dans notre droit ?

Debut de section - PermalienPhoto de Simon Sutour

En effet. Quand le Gouvernement n'oublie pas de publier le décret d'application, auquel cas la loi est inapplicable...

La commission adopte à l'unanimité l'avis politique proposé dans le texte suivant :

Vu les articles 290 et 291 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE),

Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relative à la santé animale (COM (2013) 260 final),

Vu la proposition de règlement de la Commission du 12 décembre 2013 modifiant le règlement (UE) n° 1169/2011 du Parlement européen et du Conseil concernant l'information des consommateurs sur les denrées alimentaires en ce qui concerne la définition des nanomatériaux manufacturés (C (2013) 8887 final),

Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil adaptant à l'article 290 du TFUE une série d'actes juridiques prévoyant le recours à la procédure de réglementation avec contrôle (COM (2013) 451 final),

Vu la proposition de règlement du Parlement et du Conseil adaptant aux articles 290 et 291 du TFUE une série d'actes juridiques prévoyant le recours à la procédure de réglementation avec contrôle (COM (2013) 751 final),

Considère que le pouvoir délégué à la Commission européenne dans le but de compléter les actes de base adoptés par le législateur européen selon la procédure législative ordinaire est une nécessité pratique qui n'est pas remise en cause ;

Déplore le recours systématique, voire, dans certains cas, manifestement excessif, aux actes délégués qui confère un pouvoir exorbitant à la Commission européenne ;

Considère que cette utilisation doit être mieux encadrée ;

Rappelle que plusieurs assemblées parlementaires ont d'ores et déjà exprimé leurs réserves sur l'utilisation excessive des actes délégués ;

Souligne que les parlements nationaux ne peuvent exercer leur contrôle de subsidiarité sur les actes délégués ;

Observe qu'il est extrêmement difficile de réunir les majorités requises au Parlement européen et au Conseil pour « exprimer des objections » et a fortiori modifier les projets d'actes délégués ;

S'inquiète de la procédure de sélection des comités d'experts chargés d'assister la Commission dans la préparation des actes délégués ;

Souhaite que dans la sélection des membres desdits comités d'experts, la Commission revienne à la pratique des experts des États membres ;

Déplore que dans certains cas, la Commission ait choisi de s'affranchir manifestement des orientations voulues par le législateur européen et des limites posées par les délégations de compétences prévues dans le texte de base lui-même ;

Demande, en conséquence, que les règlements porteurs de la délégation soient aussi complets que possible et que les éléments essentiels soient précisés afin de réduire au minimum le recours aux actes délégués ;

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Humbert

Le 4 octobre 2012, notre commission a adopté à l'unanimité un projet d'avis motivé sur la subsidiarité concernant un texte relatif au contrôle technique des véhicules. Le texte prévoyait d'étendre le contrôle technique obligatoire aux véhicules à deux et trois roues.

La proposition de la Commission prévoyait en outre une augmentation de la fréquence des contrôles techniques pour tous les véhicules de plus de six ans. Cette intensification des contrôles devait entraîner une réduction de moitié du nombre de victimes de la route d'ici à 2020 et réduire les émissions associées au mauvais entretien des véhicules.

Or, en l'état actuel des données disponibles, aucun lien ne peut être établi entre une réduction du nombre d'accidents et l'introduction du contrôle technique sur les motos. La dimension transfrontalière de la circulation des véhicules à deux et trois roues demeure limitée et ne peut constituer un argument valable en faveur d'une harmonisation européenne. De plus, l'augmentation de la fréquence des contrôles techniques pour les automobiles apparaît contradictoire avec leur évolution technologique, qui les rend plus fiables plus longtemps. Les véhicules les plus anciens appartenant généralement à des conducteurs aux revenus modestes, l'intensification des contrôles constituait une lourde charge pour leurs propriétaires. Enfin, l'utilisation par la Commission de données provenant de la société Dekra, l'un des leaders du contrôle technique en Europe, avait renforcé notre scepticisme.

Nous avions estimé que le contrôle technique « moto » et l'intensification des contrôles techniques « auto » n'étaient en aucun cas justifiés. Notre position, devenue résolution du Sénat le 22 octobre 2012, a été reprise par l'Assemblée nationale et utilisée par le Gouvernement français lors des négociations au Conseil. La « fiche d'impact » du Secrétariat général du gouvernement insistait sur nos réserves. Ces arguments ont porté, le Conseil ayant décidé le 20 décembre 2012 de revoir en profondeur le texte. Le projet de règlement est devenu projet de directive, le texte ne visait plus les deux et trois roues et la fréquence des contrôles n'était plus augmentée. Lors des débats au Conseil, certains États, dont la France, ont fait valoir que les données d'accidentologie disponibles ne justifiaient pas la mise en place d'un contrôle obligatoire.

La commission des transports et du tourisme du Parlement européen a, dans un premier temps, rejeté le contrôle technique des deux et trois roues et maintenu les fréquences de contrôle existantes pour les voitures lors d'un vote sur le texte le 30 mai dernier. Cependant, en séance plénière un amendement réintroduisant le contrôle technique pour les deux roues a été adopté, le 2 juillet. Les cylindrées de plus de 50 cm3 y seraient soumises à partir du 1er janvier 2016. Les plus petites cylindrées seraient concernées à compter du 1er janvier 2018, à supposer qu'un rapport de la Commission le juge utile. En revanche, comme le Conseil, le Parlement européen n'a pas retenu les contrôles techniques plus fréquents pour les voitures de plus de six ans.

À l'issue de ce vote, notre commission a souhaité réaffirmer la position du Sénat en adoptant, le 9 juillet dernier, des conclusions. Celles-ci ont été transmises au Gouvernement dans l'optique des négociations entre le Parlement et le Conseil pour aboutir à un texte définitif. Elles invitaient le Gouvernement à s'opposer à tout texte prévoyant un contrôle technique obligatoire pour les deux roues. Nous envisagions, si le texte final contenait malgré tout cette disposition, de proposer au Sénat de lancer la procédure conduisant à la saisine de la Cour de justice pour non-respect du principe de subsidiarité, carton rouge adressé à la Commission...

Debut de section - PermalienPhoto de Simon Sutour

C'est d'ailleurs notamment à notre initiative que la Commission s'est vu adresser son premier carton jaune.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Humbert

Nous n'aurions pas hésité, je l'espère, à lui en adresser un rouge si la situation en était restée là...

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Humbert

Le compromis trouvé le 18 décembre dernier répond en large partie à nos demandes. Seules les motos de plus de 125 cm3 seront soumises à un contrôle technique obligatoire à partir de 2022. Surtout, les États membres pourront ne pas introduire de contrôle technique sur ces véhicules si des mesures de sécurité routière alternatives efficaces ont été mises en place. L'efficacité de ces mesures sera jugée à l'aune de statistiques établies au cours des cinq dernières années. Les États membres définiront les modalités et les fréquences de ces contrôles techniques, s'ils venaient à les instaurer.

Cette souplesse est globalement respectueuse du principe de subsidiarité. Il conviendra cependant de rester vigilant sur l'évaluation que la Commission devrait mettre en place pour juger de l'opportunité du refus par les États membres d'instaurer de tels contrôles.

Nos positions ont été écoutées et prises en compte par le Gouvernement. Elles ont contribué au débat européen. Le résultat obtenu est très satisfaisant. Une longue marche s'achève de manière positive.

Debut de section - PermalienPhoto de Simon Sutour

Merci de cette communication qui montre que notre travail n'est pas vain : les Parlements nationaux ont des moyens d'action. Lorsque nous les activons, nous obtenons des résultats, comme nous l'avions déjà constaté avec le retrait du paquet Monti II.