La commission auditionne M. Henri de Raincourt, ministre chargé de la coopération, sur le projet de loi de finances pour 2012 (mission Aide publique au développement).
Monsieur le ministre, nous sommes heureux de vous recevoir pour examiner ensemble le budget de la politique de coopération pour 2012 et, plus généralement, les enjeux de cette politique pour les mois à venir.
Quand on considère la situation des finances publiques et la priorité que nous devons accorder à la réduction de notre endettement, certains pourraient considérer qu'il faut réduire notre effort d'aide au développement pour se concentrer sur notre environnement immédiat.
Mais quand on voit la situation très instable des pays du Maghreb à la sortie du printemps arabe, quand on considère les conséquences désastreuses de la famine pour la corne de l'Afrique, quand on imagine les défis auxquels une Afrique de plus de 1,8 milliard d'habitants sera confrontée, on se dit que notre coopération est non seulement un instrument de notre présence et de notre influence, mais également une contribution importante à un environnement mondial plus sûr pour la France et les Français.
De notre point de vue, quatre séries d'enjeux pour la politique étrangère de la France y sont désormais liées. Il s'agit tout d'abord de la paix et de la stabilité internationale : comment ne pas voir qu'un Maghreb stable est la condition de notre sécurité mais aussi de notre prospérité ? Un Maghreb prospère peut être une chance dans un monde où l'Europe fait face au dynamisme de l'Asie.
Il s'agit ensuite de la légitimité de la globalisation elle-même, qui ne saurait réussir sans inclure la majeure partie de la population de la planète.
Le troisième ordre d'enjeu porte sur les causes communes de l'humanité, je pense au changement climatique ou à la perte de biodiversité.
N'oublions pas enfin, les enjeux de notre influence culturelle et politique, comme ceux de nos intérêts commerciaux, ou de stratégie économique, dans un monde dont le centre de gravité est en train de basculer vers le Pacifique. C'est dire combien les enjeux de la politique de développement que vous dirigez sont nombreux et importants.
Mais, avant d'aborder le budget, je voudrais d'abord vous poser une question sur votre champ de compétence. Je comprends que l'aide au développement est une compétence partagée entre votre ministère, celui des affaires étrangères dont vous dépendez, celui des Finances, à travers la direction du Trésor, qui exerce la cotutelle sur l'agence française de développement (AFD), mais aussi à travers la direction du budget à laquelle personne n'échappe et, naturellement, sous l'autorité du Président de la République qui a fait de l'aide au développement un des thèmes de la présidence du G 20.
Dans ce contexte, pouvez-vous nous préciser, avec le recul que vous avez désormais, quelle est votre conception du rôle du ministre de la coopération ?
Monsieur le président, merci pour cet accueil chaleureux que j'apprécie naturellement, tout comme j'apprécie de revenir devant votre commission ce matin pour présenter le budget de la politique de coopération et de développement. Je voudrais en profiter pour saluer l'ensemble des sénateurs présents : ceux qui étaient déjà là avant le mois de septembre, ceux qui sont revenus et ceux qui viennent d'arriver. J'ai toujours entretenu avec votre commission des relations empreintes d'une grande confiance et je sais que votre souhait est de poursuivre dans cette voie. Si je suis très heureux d'être ici pour vous présenter le budget pour 2012, c'est que l'an dernier je m'étais rendu devant vous quelques jours seulement après mon arrivée au ministère. Si ma situation était, bien entendu, enviable, elle n'était cependant pas très confortable car j'étais très loin d'être un spécialiste des questions de coopération. Je ne le suis toujours pas devenu mais j'ai eu malgré tout l'opportunité de progresser un peu dans la connaissance de ce budget, du ministère, ainsi que de l'ensemble des actions qui sont engagées avec le concours d'une multiplicité d'acteurs, qu'ils soient publics, associatifs ou privés. Je commence aussi à m'y retrouver dans les innombrables sigles qui jalonnent notre politique de coopération et de développement. Il est vrai qu'il m'a fallu accomplir un petit parcours initiatique pour m'imprégner de tout cela.
Monsieur le président, vous avez rappelé que plusieurs ministères concouraient à notre politique de coopération et de développement. C'est juste, puisqu'au programme 209 du ministère des affaires étrangères, s'ajoutent le programme 110 du ministère chargé du budget mais aussi des crédits relevant du ministère de l'intérieur en application d'accords bilatéraux, notamment au titre de la politique migratoire. Je préciserai toutefois que cette multiplicité d'acteurs ne fait pas obstacle à ce qu'au final ce soit bien le ministère chargé de la coopération qui, auprès du ministère des affaires étrangères, définisse les grandes lignes de notre politique.
Alors, dans ce contexte, quel est plus précisément le rôle du ministre de la coopération ? La première de ses missions consiste à gérer tout ce qui relève directement de sa responsabilité. Cela implique, pour lui, d'être en permanence en liaison avec l'ensemble des intervenants chargés de mettre en oeuvre la politique définie par le ministre d'État en relation avec le Président de la République. La mission du ministre chargé de la coopération est aussi d'entretenir des relations avec les pays où nous intervenons, notamment afin de préparer, élaborer, évaluer ou encore renouveler les accords de coopération qui nous lient à eux. Au final, il s'agit de contribuer à la présence internationale de la France dans tous les domaines. J'ajouterai d'ailleurs que ce qui vaut au niveau national, en termes de multiplicité d'acteurs, se retrouve aussi au niveau international. J'en veux pour preuve le grand nombre d'agences dépendant de l'ONU ou de l'Union européenne. Avec ces dernières, nous nous efforçons de travailler en étroite concertation et de faire jouer autant que possible nos complémentarités. Tel est mon travail quotidien, auquel j'ajouterai un élément important que je garde en permanence à l'esprit, et qui concerne l'association du Parlement à mon action. Je suis, en effet, convaincu de la nécessité d'associer le mieux possible les parlementaires à notre politique de coopération et de développement. A ce titre, qu'il me soit permis de remercier les sénateurs qui s'intéressent à ces questions et, en particulier, vos rapporteurs, MM. Christian Cambon et André Vantomme, ce dernier venant d'être remplacé par M. Jean-Claude Peyronnet, que je tiens à saluer tout particulièrement.
Mais vous le deviendrez mon cher collègue. Les choses se sont effectivement très bien passées avec Christian Cambon et André Vantomme et je suis persuadé que nous allons continuer ainsi.
Monsieur le président, en réponse à votre question, permettez-moi d'indiquer qu'à mes yeux le développement n'est pas seulement utile à la paix et à la sécurité du monde, il est même indispensable. Nous aurons l'occasion d'y revenir au cours de nos échanges, ainsi que sur l'ensemble des enjeux que vous avez identifiés.
J'en reviens au budget. Je vous rappelle que notre aide publique au développement (APD) a représenté près de 10 milliards d'euros en 2010 et 2011, ce qui nous situe au troisième rang mondial.
Ce montant, qui représente 0,5 % de notre revenu national brut, est supérieur à ce qu'il était il y a quelques années. Je rappelle qu'une telle évolution s'inscrit dans le cadre de l'engagement pris par la France et d'autres pays d'atteindre 0,7 % du revenu national brut en 2015. Il faut s'y tenir, même si c'est difficile et même si cet objectif avait été fixé avant qu'un certain nombre de crises ne viennent modifier profondément l'environnement économique mondial.
Le niveau de notre APD est marqué par un réel volontarisme et le budget qui vous est présenté en témoigne. En dépit de fortes contraintes sur nos finances publiques, les moyens du programme 209 restent inchangés en 2012, soit 2,1 milliards d'euros, conformément aux engagements du triennum 2011-2013. Ce programme 209 échappe au « coup de rabot » d'un milliard qui touche l'ensemble des ministères et il n'est pas affecté par la baisse générale de 2,5 % des dépenses des ministères décidée par le Premier ministre.
La baisse de notre contribution au FED représente 26 millions, soit un total de 797 millions contre 823 prévus. Le montant ainsi économisé est intégralement réutilisé dans le programme 209 afin de servir nos priorités. Par ailleurs, la contribution de la France dans le 10e FED a été ramenée à 19,5%.
D'une façon plus générale, nous veillons à rééquilibrer le rapport entre le volet multilatéral et le volet bilatéral de notre aide, au profit de ce dernier. A ce jour, l'aide bilatérale représente 60 % de l'APD en 2011 et ce chiffre devrait atteindre 64 ou 65 % en 2013.
En ce qui concerne nos interventions, je tiens tout d'abord à indiquer qu'à côté des actions classiques nous veillons à nous ménager assez de souplesse pour faire face aux situations nouvelles qui pourraient se faire jour. Tel a, par exemple, été le cas des printemps arabes. Le partenariat de Deauville, organisé dans le cadre du G8, mobilise 40 milliards de dollars en faveur des transitions démocratiques en Tunisie, Égypte, Maroc et en Jordanie. La France y contribue à hauteur de 1,1 milliard d'euros d'ici 2013 à travers des prêts de l'AFD. Nous avons annoncé en septembre, lors du G20 Finances que cette contribution sera portée à 2,7 milliards.
De même, nous avons accompagné les transitions démocratiques africaines dans des pays tels que la Guinée-Conakry, le Niger et la Côte d'Ivoire. Pour cette dernière, près de 3,5 milliards d'euros vont être mobilisés, répartis entre un contrat de désendettement et de développement (C2D) de 2 milliards, un milliard d'annulation de dette pour 2012 et un engagement exceptionnel de 400 millions d'euros.
En outre, une partie de notre intervention s'inscrit désormais dans la ligne du discours du Cap prononcé par le Président de la République en février 2008, qui a mis l'accent sur la nécessité d'associer de nouveaux acteurs à la croissance économique de l'Afrique. Il s'agit notamment de favoriser une « croissance endogène », en encourageant de nouveaux acteurs locaux tels que les PME. Cette nécessité est particulièrement sensible dans le secteur agricole, ne serait-ce que si l'on songe au défi que va constituer la réponse aux besoins d'un continent qui compte aujourd'hui un milliard d'habitants sur les sept milliards d'habitants de la planète et qui devrait représenter deux milliards d'habitants sur une population totale de neuf milliards à l'horizon 2050.
Enfin, je vous rappelle que le « G20 développement » se tiendra dans quelques jours à Cannes.
Concernant nos priorités pour 2012, je souhaiterais tout d'abord rappeler qu'elles confirment la priorité donnée à l'Afrique. La France demeure de loin le pays européen le plus engagé dans la solidarité et la coopération avec ce continent.
L'Afrique sub-saharienne représente environ 60 % de nos crédits budgétaires comme de notre aide globale au développement, intégrant l'ensemble de nos contributions, bilatérales, européennes et multilatérales. Plus précisément, la moitié de nos subventions est destinée aux 14 pays pauvres prioritaires qui sont tous africains et pratiquement tous francophones.
Pour autant, cette priorité n'entrave pas nos capacités d'action sur d'autres terrains politiquement sensibles. Je pense à l'Afghanistan pour lequel les crédits sont maintenus et où la question se pose de remplacer la baisse des dépenses liées à l'intervention militaire par un accroissement de l'aide au développement. Je songe aussi à la Palestine à laquelle la France a versé plus de 15 millions d'euros de crédits de « sortie de crise » en quinze ans. Si au moins cela pouvait effectivement aider à la sortie de crise...
Un accent particulier de notre politique est aussi mis sur la santé à laquelle nous consacrons 1 milliard d'euros par an. L'augmentation de notre contribution au Fonds mondial de lutte contre le sida a été tenue. A la demande du Président de la République 60 millions supplémentaires s'ajoutent en 2011 aux 300 millions annuels inscrits dans le budget, financés par la ressource extrabudgétaire que constitue la taxe sur les billets d'avion ; 5 % de cette contribution au Fonds mondial, soit 18 millions d'euros, seront affectés à la mobilisation de l'expertise française en appui aux pays bénéficiaires, en lien avec les ONG.
J'ai aussi annoncé à la conférence de Londres, le 13 juin dernier une contribution de 100 millions additionnels à l'Alliance mondiale pour les vaccins et l'immunisation (le Gavi) pour la période 2011-2015.
Enfin, l'engagement de Muskoka en faveur de la santé infantile et maternelle - qui inclut non seulement la santé mais aussi l'éducation ou la contraception - sera tenu puisque 100 millions d'euros sont programmés chaque année entre 2012 et 2015.
Au final, je dirais que nous nous adaptons à un contexte budgétaire contraint et à de nouveaux défis. Notre trajectoire d'APD est inscrite dans le triennum. Dans ce cadre, nous continuons de cheminer vers l'objectif de 0,7 % du revenu national brut (RNB) consacré à l'APD. Ce pourcentage atteignait le chiffre déjà indiqué de 0,50 % en 2010. La collecte des données 2011 n'étant pas terminée, je ne puis communiquer aujourd'hui à la représentation nationale le chiffre pour cette année. Mais cela sera fait dès que possible.
Un moment important a été la réunion du G20 consacrée au développement, souhaitée par la présidence française à la suite du G20 de Séoul. Cette réunion s'est tenue à Washington le 23 septembre en présence des ministres des finances et des ministres en charge de la coopération et du développement. Alors que l'on aurait pu craindre que les premiers ne fassent prévaloir les contraintes liées à la crise financière, ma satisfaction a été grande de constater que, bien au contraire, les ministres ont validé le cadre de travail proposé notamment par la France, et visant à avancer sur trois sujets prioritaires. Le premier de ces sujets est celui de la sécurité alimentaire et consiste à mettre en place des stocks alimentaires d'urgence pour faire face à des situations comparables à celles qui affectent la Corne de l'Afrique. Le deuxième sujet concerne les infrastructures. Comment, en effet, envisager un développement réel, par exemple en Afrique, sans disposer des infrastructures de base en matière d'électricité, d'eau ou de transport ? Il a même été prévu que le G20 puisse adopter une liste de onze infrastructures régionales à réaliser. Nous avons enfin souligné la nécessité absolue de dégager des financements nouveaux de nature à faire face aux nouveaux besoins. Le besoin porte sur des ressources financières stables et pérennes qui viendraient, non pas se substituer, mais s'ajouter aux 129 milliards de financements publics existants. Cette exigence nous est dictée ne serait-ce que par les évolutions démographiques à venir.
C'est dans ce cadre que la France et l'Allemagne ont préconisé la création d'une taxe sur les transactions financières. La Commission européenne, qui avait reçu pour mandat de préparer un rapport sur ce sujet, vient de le rendre et celui-ci est inscrit à l'ordre du jour de la réunion du prochain G20 de Cannes. Même si les discussions s'annoncent difficiles du fait de la forte opposition de certains pays, l'enjeu est néanmoins qu'elles puissent permettre d'aboutir à deux résultats. Le premier serait une décision de principe sur la création de cette taxe. La seconde serait, sans attendre que ce prélèvement ne devienne universel, que quelques pays pionniers décident de l'appliquer. Il conviendrait évidemment que le nombre de ces pays soit suffisant pour pouvoir disposer d'une assiette large et d'un taux suffisamment bas pour ne pas affecter la compétitivité des places financières concernées. Tout ceci sera discuté sur la base d'un rapport qui a été commandé par la France à M. Bill Gates.
Ces nouveaux modes de financement ne nous exonèrent pas de nos obligations budgétaires. Ils représentent, en revanche, un moyen de répondre aux défis massifs qui se posent à la communauté des bailleurs si elle entend faire face aux enjeux du développement.
Tels sont les éléments que je souhaitais vous communiquer concernant le projet de budget pour 2012 et son environnement immédiat
Monsieur le ministre, je vous remercie pour cet exposé très précis. Vous savez combien ces précisions sont utiles à nos travaux. Le Parlement a besoin d'informations pour exercer sa mission de contrôle de l'exécutif. Et je vous sais acquis aux droits du Parlement. Mais je manquerais à mes devoirs de président de la commission si je ne m'acquittais pas de la délicate mission de décerner un « carton jaune » à vos services. L'année dernière, les cinq rapporteurs du budget de la coopération des deux assemblées avaient écrit pour se plaindre des délais de transmission du document de politique transversale et des réponses aux questionnaires budgétaires. Le gouvernement avait pris des engagements. Force est de constater qu'il ne les tient pas. Nous sommes à deux semaines de l'examen de votre budget : nous n'avons toujours pas le document de politique transversale et il manque plus de cinquante réponses. On ne vous demande pas une faveur, juste de pouvoir disposer des documents budgétaires dans des conditions de délais compatibles avec l'exercice d'un minimum de contrôle et de réflexion, et donc avec l'exercice de nos fonctions. Je n'ai pas de raison de penser que les délais de réponse sont calculés pour nous empêcher d'exercer ce contrôle. Mais c'est, en tout cas, le résultat qui risque d'être obtenu. Puis-je compter sur vous pour faire en sorte que ces documents nous soient communiqués d'ici la fin de la semaine ?
Monsieur le président, sur le premier point vous avez raison et, au nom de la solidarité gouvernementale, je ne peux que prendre acte du carton jaune que vous décernez à mes services. Si j'évoque la solidarité gouvernementale c'est pour vous rappeler que, comme vous le savez, les documents de politique transversale relèvent de la responsabilité du ministère du budget. Je ne puis que reconnaitre avec vous que le gouvernement n'a pas respecté les délais impartis, mais il ne vous a pas échappé qu'en ce moment un certain nombre de choses étaient en cours d'ajustement en matière budgétaire. Cela dit, je puis vous indiquer que ce document devrait être disponible de façon imminente, la semaine prochaine au plus tard.
Quant à son contenu, d'après les informations orales qui m'ont été communiquées, je peux vous indiquer qu'il s'inscrira dans le prolongement de la ligne tracée dans le document de l'an dernier pour les années 2011, 2012 et 2013. Bien entendu, les résultats de 2011 pourront être un peu modifiés ne serait ce que si l'on devait, par exemple, procéder très rapidement à un décaissement de quelques centaines de millions d'euros en faveur de la Côte d'Ivoire, dans la mesure où nous avons eu à examiner en 2011 des dossiers d'annulation de dettes pour seulement 1 milliard d'euros environ, soit moins que l'année précédente. Mais l'ensemble de ces modifications n'interviendrait, de toute façon, qu'à la marge. Concernant les questions budgétaires demeurées sans réponses, je ne vous cache pas ma surprise devant le chiffre que vous avancez, surtout si on le rapporte à celui de l'Assemblée nationale où seulement deux questions sur 80 n'ont pas encore reçu de réponse à ce jour.
Je vous propose que nos collaborateurs vérifient, de nouveau, quel est le nombre de réponses effectivement reçues et le nombre de celles qui sont peut-être encore en voie d'acheminement.
Comme il est d'usage, je souhaiterais commencer par donner la parole aux deux rapporteurs de la commission puis aux rapporteurs spéciaux de la commission des finances.
Monsieur le ministre, je vous remercie pour les paroles que vous avez prononcées à l'égard de MM. Christian Cambon, André Vantomme et moi-même. J'espère, à mon tour, qu'il nous sera possible de travailler ensemble dans le meilleur climat qui soit.
Permettez-moi de revenir sur l'environnement général dans lequel s'inscrit votre budget en faisant référence à un récent article du journal le Monde, dans lequel le président Valéry Giscard d'Estaing soulignait un certain nombre de paradoxes relatifs à la crise financière actuelle ou encore à la situation de l'Europe vis-à-vis de la Chine. Sur ce dernier point, nous avons ainsi appris qu'une des conséquences du psychodrame européen de cette nuit devrait être l'appel à la contribution financière de pays émergents tels que la Chine. Mais dans le même temps, on nous a expliqué, ici en commission, que la France accordait des prêts à l'Inde ou à la Chine, de façon à pouvoir plus facilement pénétrer ces marchés. L'existence de ces flux financiers dans les deux sens, même s'ils portent sur des montants très différents, ne constitue-t-elle pas une forme de contradiction ?
Mon autre question portera sur les décisions prises par les ministres des Finances dans le cadre de la réunion de Deauville. Une enveloppe de 2,7 milliards d'euros a été annoncée par la France au profit de la Tunisie, de l'Égypte, du Maroc et de la Jordanie en transition démocratique à la suite du « printemps arabe ». Serait-il possible de connaître dans le détail l'utilisation de ces moyens en 2012 ?
J'aurai ensuite deux questions relatives à la politique européenne d'aide au développement. D'une part, comment la France envisage-t-elle les nouvelles perspectives annoncées par le commissaire européen en charge de ce secteur ? D'autre part, quelle sera la position de la France lors de la conférence, prévue pour le mois de décembre, qui sera chargée d'évaluer l'efficacité de la politique européenne ?
J'aimerais aussi savoir ce que vous pensez de l'initiative prise par votre homologue britannique, M. Andrew Mitchell, qui fait procéder à une évaluation de l'action des organisations internationales en charge du développement à l'aune de « l'intérêt politique britannique » ? Est-ce un exemple dont vous pourriez vous inspirer ?
Enfin, concernant le fonds mondial de lutte contre le sida, quelle est votre position sur les réformes structurelles annoncées suite aux problèmes de gouvernance, qui se sont traduits par une fraude dont le montant identifié à ce jour est de 40 millions d'euros, mais qui pourrait avoir en réalité atteint 200 millions d'euros ? Dans le cadre de ces réformes structurelles ne pensez-vous pas qu'il serait opportun d'élargir l'action du fonds à d'autres épidémies ?
Monsieur le ministre, permettez-moi, tout d'abord d'exprimer deux motifs de satisfaction. Le premier porte sur la stabilité du budget pour 2012 dans un contexte financier que nous savons difficile. Le second motif de satisfaction concerne la façon dont vous-même et vos collaborateurs n'avaient cessé de réserver le meilleur accueil aux parlementaires. Je tiens à le signaler car tel n'a pas été le cas avec tous vos prédécesseurs. J'en profite pour saluer votre nouveau directeur de cabinet, M. Alain Henry, que nous avions déjà apprécié dans ses précédentes fonctions à l'AFD. Il est toutefois, Monsieur le ministre, des préoccupations qui demeurent d'année en année. Celles-ci me semblent porter à la fois sur l'efficacité, l'évaluation et le financement de notre politique de coopération. En matière d'efficacité, force est de constater que les statistiques de l'OCDE se présentent comme satisfaisantes puisqu'elles font de notre pays le troisième donateur mondial en valeur absolue et le dixième pour l'aide au développement rapportée au PIB. Toutefois, si l'on y regarde de plus près on constate que ces chiffres sont obtenus en intégrant par exemple les actions en matière d'écolage, les annulations de dettes, l'aide aux réfugiés ou encore les aides à destination des territoires d'outre-mer. L'effort français n'est donc pas aussi important qu'il semble être. Mais surtout, on observe une diminution très sensible de la part des zones géographiques prioritaires dans l'aide publique au développement de la France. Entre 2004 et 2009, la part de l'Afrique sub-saharienne dans cette aide est passée de 53 à 47,5 % et celle des pays les moins avancés (PMA) de 45 à 17 %. Entre 2005 et 2009, les crédits destinés aux quatorze pays dits prioritaires sont passés de 219 à 158 millions d'euros, soit aujourd'hui environ 10 millions d'euros par pays, ce qui représente par exemple la construction d'une grosse école dans nos communes. Dans ces conditions, on ne peut que s'interroger sur l'intérêt qu'il y aurait à étendre encore notre aide à de nouvelles zones géographiques, comme nous le propose par exemple M. Dov Zerah, directeur général de l'AFD, qui envisage de faire intervenir cette institution dans le Caucase. L'aide française ne risque-t-elle pas alors de se transformer en une sorte de « ticket modérateur », perdant ainsi une grande partie de sa lisibilité et de ses effets en termes d'influence ? Tel était en tout cas le sentiment que M. André Vantomme et moi-même avons partagé lorsque nous étions au Mali, face à des interlocuteurs, des autorités locales qui soulignaient le décalage entre le discours et la réalité de l'aide publique française.
Enfin, concernant la modification de la clé de répartition au sein du FED, je voudrais vous faire part de ma satisfaction, tout en vous demandant comment les moyens ainsi dégagés vont être employés au renforcement de notre aide bilatérale.
J'en viens maintenant à la question de l'évaluation, déjà évoquée par M. Jean-Claude Peyronnet, notamment à propos de l'exemple britannique, que nous regardons de près. Pour juger de la politique menée par votre ministère, il avait été annoncé la mise en place de 19 indicateurs de suivi de notre aide bilatérale. Où en est-on de leur mise en oeuvre ?
On nous a expliqué que l'introduction de ces indicateurs était très compliquée mais vous comprendrez qu'au regard du rôle du Parlement dans le contrôle de l'efficacité de l'ensemble des politiques publiques, nous soyons particulièrement sensibles à cette question.
S'agissant enfin de la question du financement, je tenais tout d'abord à vous féliciter pour l'excellente initiative prise par la France d'organiser une conférence du G20 sur le développement. J'ai eu la chance de participer à une partie des travaux de cette réunion que j'ai beaucoup appréciée et je pense qu'il serait très utile que l'ensemble de nos collègues puissent être invités à ce type de manifestations.
À l'avenir je ne peux que les encourager à s'y rendre.
Je souhaiterais toutefois revenir sur l'une des informations entendues lors de cette réunion, à savoir le reversement par l'AFD de dividendes au budget général de l'État. Il me semble que ce vocable est assez déplacé s'agissant du principal acteur public de l'aide au développement. Alors que vous indiquez rechercher de nouveaux financements je trouve même paradoxal d'entendre Dov Zerah se féliciter d'avoir ainsi reversé 1,2 milliard d'euros au budget de l'État au cours des cinq dernières années. On ne peut, en effet, que s'interroger sur la façon dont il sera possible de mobiliser les 50 milliards d'euros de financement innovants que vous évoquiez tout à l'heure pour financer de nouvelles actions. Six Français sur dix approuvent cette orientation, mais d'où vont venir ces financements innovants ? Pour des raisons de procédure, l'Assemblée nationale n'a pas pu introduire la taxe sur les transactions financières dans la loi de finances pour 2012, mais je n'exclus pas qu'avec M. Jean-Claude Peyronnet, nous permettions au Sénat de faire avancer les choses. La France comme l'Allemagne ont, en effet, un rôle d'exemplarité à jouer au sein de l'Union européenne sur ces sujets. Monsieur le ministre, quelles sont, d'après vous, les chances de voir cette taxe mise en oeuvre au niveau européen ? Il me semble que l'Europe, qui paraît aujourd'hui en difficulté, gagnerait beaucoup à reprendre l'initiative sur ce dossier.
Je souhaiterais, tout d'abord, vous remercier de nous avoir conviés, Mme Fabienne Keller et moi-même, à participer aux travaux de votre commission. Je tenais aussi à remercier M. le ministre, et j'ai pris acte du fait que le document de politique transversale nous serait adressé prochainement. Nous l'attendons avec impatience car c'est en fait le seul document sur lequel nous pouvons véritablement fonder une analyse du budget.
Monsieur le ministre, vous avez aussi évoqué l'engagement de la France dans la crise alimentaire de la Corne de l'Afrique et je vous donne acte d'avoir inscrit ce dossier à l'agenda de la réunion du G20 sur le développement. S'agissant de l'évaluation quantitative de l'aide de la France, je souhaiterais toutefois aller au-delà des chiffres de l'OCDE, pour vous indiquer que l'organisation One en fait une lecture différente qui aboutit à considérer que l'aide publique au développement de la France par rapport au PIB ne représente en réalité que le tiers de celui qui est communément affiché. Comment réagissez-vous à ce chiffre ?
D'ailleurs, l'an dernier, dans mon rapport spécial, j'avais moi-même souligné que certains crédits étaient indûment présentés comme des dépenses d'aide publique au développement. Je pense notamment aux aides à destination de Wallis-et-Futuna. Avez-vous pris en compte ces observations ?
Enfin, ma dernière question porte sur les deux nouveaux produits d'épargne réglementée, créés en faveur du co-développement, que sont le compte d'épargne de co-développement et le plan d'épargne pour le co-développement. Ces produits sont apparemment très peu utilisés. Quel bilan peut-on en faire ? Quelles réformes sont à envisager pour en élargir la diffusion ? Ne pourrait-on pas, par exemple, les proposer de façon plus particulière à nos concitoyens originaires des pays en développement concernés ?
Je félicite M. le ministre pour sa brillante présentation. Quelles synergies y a-t-il entre l'aide publique d'Etat et la coopération décentralisée ? Le montant de celle-ci est très sous-évalué, car on ne tient pas compte des moyens en personnel qui y sont consacrés ; on parle de 70 millions d'euros.
Un compte spécial d'engagement en faveur de la forêt, créé pour lutter contre le changement climatique, est alimenté par la vente de quotas de carbone. Combien d'argent rapporte celle-ci ?
La dernière loi de finances a rééchelonné la dette de la République démocratique du Congo. Quelles décisions le Club de Paris doit-il prendre à l'avenir? Je pense au contrat de désendettement et de développement (C2D), ce mécanisme de recyclage des dettes annulées.
Vous avez annoncé 2,5 milliards d'euros d'aide aux révolutions arabes. Quelles seront les priorités, et où sera trouvé l'argent ?
Je remercie les rapporteurs de leur travail. Des prêts de l'AFD sont consentis aux pays émergents, mais ils pèsent peu sur nos finances publiques, car nous y appliquons des taux d'intérêt habituels, plus élevés que pour les pays fragiles. L'intérêt est de maintenir le contact avec ces pays pour en faire des partenaires dans la politique mondiale de développement. C'est l'enjeu du G20 de la semaine prochaine. Ces prêts ont financé des investissements très bénéfiques pour l'équilibre climatique, au Pakistan par exemple, pays dont les émissions de gaz à effet de serre, les plus élevées du monde, ont baissé de 25 %. L'aide à la Chine s'est élevée à 239 millions d'euros en 2010, mais il s'agit pour 47 % des frais de scolarité d'étudiants chinois en France. Voilà 111 millions sur lesquels le ministère des affaires étrangères n'a aucune prise, mais qui sont comptabilisés dans l'aide publique au développement : spécificité française. Les prêts accordés à la Chine ont augmenté ces dernières années, mais doivent diminuer.
N'est-ce pas la Chine qui doit maintenant prêter de l'argent à l'Europe ?
Le Président de la République doit appeler son homologue chinois aujourd'hui même à ce sujet. Quoi qu'il en soit, les prêts consentis à la Chine rapportent de l'argent à la France !
Oui, l'AFD verse plus d'un milliard d'excédents au budget de l'Etat, et c'est tant mieux.
La répartition des dividendes a changé : jusqu'à cette année, ils revenaient en totalité au budget de l'Etat ; dorénavant, à l'issue d'une bataille discrète, les trois quarts seront versés au budget de l'Etat jusqu'à 75 millions d'euros ; au-delà, la moitié ira à l'Etat, l'autre moitié à l'AFD pour augmenter ses fonds propres et élargir son champ d'intervention.
L'aide consentie dans le cadre du partenariat de Deauville est passée, à la suite du G20 Finances du 10 septembre, d'1,1 milliard à 2,7 milliards d'euros. On ne connaît pas encore la ventilation par pays, mais on sait que 650 millions iront à l'Egypte et 425 millions à la Tunisie. Il s'agit de prêts et non de dons.
A des taux très bas. Les prêts font donc partie de l'aide directe. L'aide à la Tunisie, d'un montant de 260 millions d'euros en 2011, sera encore de 90 millions en 2012 et de 75 millions en 2013 ; l'aide à l'Egypte sera de 250 millions en 2012 comme en 2011 et de 150 millions en 2013. Les secteurs prioritaires sont l'agriculture, la formation professionnelle, les entreprises privées et notamment les PME, dans la droite ligne du discours du Cap.
Pas dans ce cadre. Quant à l'enveloppe nouvelle d'1,6 milliard annoncée lors du G20 Finances de Marseille, elle concernera plutôt le Maroc et la Jordanie.
Notre politique de coopération est complémentaire de celle menée au niveau européen. Je rencontre très souvent le commissaire au développement, M. Andris Piebalgs, pour coordonner nos actions. Nous avons mené une mission commune en Guinée Conakry et mis en place des programmes de développement conjoints. Nous ferons de même à Madagascar. Nos principes sont les mêmes : partenariats différenciés, priorité accordée aux pays pauvres, diversification des financements grâce au soutien du secteur privé, au cumul de prêts et de dons, etc. En revanche, nous n'avons pas été suivis sur la budgétisation du Fonds européen de développement, que nous voulons stabiliser ; la Commission européenne vient de rendre son rapport sur les perspectives financières pour 2014-2020.
A Busan, où je représenterai la France fin novembre, je plaiderai pour l'efficacité de l'aide, dans l'esprit de la Déclaration de Paris et du programme d'Accra. Nous attachons beaucoup d'importance à l'évaluation nationale et internationale de l'aide au développement, ainsi qu'à sa transparence. Nous voulons aussi de la souplesse dans les modalités d'intervention, afin de pouvoir s'adapter aux réalités locales. Un bilan s'imposera dans le domaine de la santé et de la sécurité alimentaire.
Le Royaume-Uni a revisité sa politique de développement de la cave au grenier. Les dirigeants britanniques ont voulu concentrer leur aide dans certaines zones géographiques, et ils notent les différents organismes, parfois de manière sévère. La France suit avec attention ces évolutions, même si elle est généralement moins cassante... Les Britanniques ne pratiquent pas les annulations de dette, qui représentent en France 1 milliard d'euros. Contrairement à eux, nous avons beaucoup d'enveloppes fermées sur lesquelles il est difficile de jouer. Il faut saluer les efforts du gouvernement Cameron, dont le pays est aujourd'hui le deuxième contributeur mondial.
Quant au Fonds sida, des fraudes ont en effet été constatées au Mali, en Mauritanie, en Zambie et à Djibouti. Le conseil d'administration du Fonds les a lui-même rendues publiques, et un panel a été chargé du suivi de cette affaire ; la France y est représentée par M. Claude Rubinowicz, inspecteur général des finances. C'est la preuve que le Fonds est bien géré. J'ajoute que le Fonds intervient aussi contre la tuberculose et la malaria.
En ce qui concerne l'aide aux pays prioritaires, je ne sais pas d'où M. Cambon tient ses chiffres, mais elle s'élève selon nous à 311 millions d'euros en 2011 : 260 millions de l'AFD et 50 millions du Fonds de solidarité prioritaire (FSP). En raison de contraintes budgétaires, nous privilégions peut-être trop les prêts, au détriment des dons...
J'ai eu vent des remarques de l'association ONE, mais notre mode de calcul de l'aide publique au développement n'a pas changé. C'est le même que dans tous les pays de l'OCDE. Notre spécificité est de prendre en compte les territoires d'outre-mer dans l'APD : en conséquence l'aide versée à Mayotte ne sera plus comptabilisée avec la départementalisation. Peut-être l'association ONE pense-t-elle à l'aide programmable, qui équivaut à un tiers de l'aide bilatérale.
Les quotas carbone forment un marché incertain et fluctuant. On attend les suites du protocole de Kyoto.
J'en viens aux financements innovants et à la taxe sur les transactions financières. La France, l'Allemagne et la Commission européenne font partie du groupe pilote, et nous attendons la semaine prochaine la remise du rapport de Bill Gates. Nous faisons circuler une pétition pour la création de cette taxe, que plusieurs pays africains et européens ont déjà signée. Hélas, la Chine, les Etats-Unis et même le Royaume-Uni, qui a pourtant institué une taxe similaire, y sont hostiles : les Britanniques disent craindre pour l'attractivité de la City... Le G20 doit prendre une décision la semaine prochaine ; la semaine dernière, le Président de la République a fait part des exigences de la France.
Faute d'un consensus, la France pourrait-elle imposer cette taxe unilatéralement ? J'ai appris qu'un amendement en ce sens avait été rejeté à l'Assemblée nationale.
M. Borloo -comme plusieurs députés socialistes- avait en effet déposé un tel amendement, mais il n'a pas été défendu. S'il était venu en discussion, le Gouvernement aurait recommandé d'attendre la réunion du G 20. Pour que cette taxe soit instaurée au niveau européen, il faudrait l'unanimité des Vingt-sept, ce qui est hors de portée. Juridiquement, la France peut fort bien créer cette taxe seule, mais ce serait peu opportun. Heureusement, nous avons le soutien de l'Allemagne, de la Norvège, de l'Espagne. Reste à savoir combien il faut que nous soyons pour atteindre le seuil critique.
Si un amendement conforme aux orientations du G 20 était déposé au Sénat, le Gouvernement y serait-il favorable ?
Nous avons le temps d'y réfléchir : la discussion budgétaire ne commence au Sénat qu'à la mi-novembre.
La question est de savoir qui, de la majorité ou de l'opposition, prendra cette initiative.
Il me semble en effet que la gauche et la droite ont des vues très proches à ce sujet.
Je reviendrai en séance sur la présentation de votre budget, Monsieur le ministre, mais nous n'avons pas la même conception de la coopération. Les rapporteurs ont fait des remarques constructives. L'aide publique au développement a été exemptée du « coup de rabot » de 2,5 % décidé par le Premier ministre, mais, depuis des années, nous réclamons son augmentation. La France avait promis d'y consacrer 0,7 % de son PIB, mais elle n'atteindra pas cet objectif dans les délais prévus : elle est aux alentours de 0,5 %. C'est gravissime ! Les pays pauvres font les frais de la crise systémique. Au nom de cette crise, on justifie bien des régressions.
Quant à l'idée de créer une taxe sur les transactions financières, la droite s'en moquait il y a quelques années encore, quand la conjoncture était bien plus faste. A l'en croire, il fallait l'accord de tous les pays ! Je me réjouis que nos rapporteurs parlent de déposer un amendement. Mais à quoi sera affecté le produit de cette taxe ? J'aimerais être rassuré. Un repli sur nous-mêmes serait hautement préjudiciable. Nous avons pris un engagement envers les pays pauvres. Mais que vaut cet engagement ? Dès le départ nous avons pris du retard.
Pour remédier à la dispersion des centres de décision, ne faudrait-il pas recréer un ministère de la coopération maître de son budget ? A l'heure où l'AFD veut étendre son champ d'intervention, le besoin se fait sentir d'une politique plus cohérente, plus ciblée et plus lisible.
Le Premier ministre qui a placé la coopération sous la tutelle des affaires étrangères s'appelait, je crois, Lionel Jospin...
Je respecte le point de vue de M. Hue, mais les chiffres montrent que l'aide publique française augmente : elle est passée de 5 milliards d'euros il y a dix ans à 10 milliards aujourd'hui. Après avoir progressé de 8 % en 2010, elle restera stable de 2011 à 2013. Qu'elle demeure insuffisante, je suis prêt à l'admettre, mais songez au contexte économique !
Pour ce qui est de la taxe sur les transactions financières, il faut sauter les haies les unes après les autres : quand son principe sera admis, il sera temps de parler de son affectation. La Commission européenne voudrait en conserver le produit, car elle verrait ainsi se réaliser son rêve d'un impôt européen ; la France a d'autres vues. Dans notre pays même, le sujet fait débat : les uns veulent en profiter pour réduire la dette ou du moins alléger le service des intérêts, mais selon moi ce serait une erreur de rater cette occasion historique d'assurer le financement de l'aide au développement. L'Union européenne prévoit que cette taxe rapportera 50 milliards d'euros à l'échelle des Vingt-sept : la part qui nous reviendrait ne serait qu'une goutte d'eau par rapport aux 1 600 milliards de la dette publique, et aux 48 milliards d'intérêts annuels !
Quant à savoir si le ministère de la coopération doit dépendre ou non de celui des affaires étrangères, chaque solution comporte ses avantages et ses inconvénients. Sachez cependant que je me félicite chaque jour de travailler avec M. Alain Juppé.