La commission procède à l'audition de M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, de M. Benoît Hamon, ministre délégué auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé de l'économie sociale et solidaire et de la consommation, et de M. Guillaume Garot, ministre délégué auprès du ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt chargé de l'agroalimentaire.
Au cours de cette audition, trois ministres nous apporteront des éclaircissements sur le scandale qui a éclaté début février lorsque l'Agence britannique de sécurité alimentaire a détecté de la viande de cheval dans des lasagnes censées contenir du boeuf. M. Stéphane Le Foll, retenu en séance par le débat sur les nouveaux défis du monde rural, nous rejoindra dès qu'il le pourra. Nous aborderons le thème de la fraude à la consommation et remonterons la filière jusqu'à la production, sans oublier la transformation.
Ne confondons pas cependant : cette fraude sur la nature de la viande ne constitue pas une crise sanitaire. La viande de cheval, moins calorique et plus riche en protéines que la viande de boeuf, est sans doute même meilleure. Inutile de céder à la phobie.
Les conclusions du service national des enquêtes de la Direction générale de la consommation, de la concurrence et de la répression des fraudes (DGCCRF) ont été transmises au Parquet qui a diligenté une enquête. Des auditions sont en cours à l'usine Spanghero.
La DGCCRF a été alertée le 5 février à la fois par les autorités du Luxembourg, où une usine Tavola appartenant au groupe français Comigel est implantée, et par l'entreprise Comigel, qui a saisi la DGCCRF de Moselle. Les investigations ont montré que cette filière remonte jusqu'à un abattoir en Roumanie, et implique, en outre, des traders aux Pays-Bas et à Chypre. Deux entreprises françaises sont concernées par cette tromperie économique présumée de grande envergure : 4,5 millions de plats cuisinés ont été écoulés dans 13 pays, mettant en jeu 28 sociétés.
L'entreprise Spanghero importe de la viande : elle en livre une partie à Comigel, société de préparation, et utilise l'autre partie pour ses propres plats qu'elle commercialise par ailleurs. Les pains de viande arrivés chez Spanghero étaient étiquetés avec le code douanier de la viande cheval, comme provenant de Roumanie, et avec la mention « BF », qui n'est pas l'abréviation de « boeuf », mais de boneless fores, « avants désossés ». Or, à la sortie de l'usine de Spanghero, les pains de viande portaient la mention « avants de boeufs désossés » et non plus « BF » ; la mention de provenance n'indiquait plus la Roumanie mais l'Union européenne ; et, sur certaines factures, le code douanier était devenu celui de la viande de boeuf. Ce faisceau d'indices concordants laisse penser que certains dirigeants connaissaient cette fraude. En outre, le prix d'achat de la viande cheval étant très inférieur au prix de la viande de boeuf, la marge réalisée a atteint un euro par kilogramme, contre 10 à 15 centimes pour la viande de boeuf. L'entreprise a ainsi réalisé un bénéfice indu de 550 000 euros grâce aux 750 tonnes de viande distribuées pendant six mois : plus de 500 tonnes ont été vendues à Comigel et 200 tonnes utilisées pour la préparation des produits Spanghero. Ces faits, établis par la DGCCRF et confirmés par les services vétérinaires dépêchés par le ministre de l'agriculture, font naître une suspicion de tromperie et ont été transmis au Parquet. Les agents de la DGCCRF apporteront leur concours à l'enquête judiciaire.
Avec le ministère de l'agriculture, nous voulons élargir les recherches afin de faire toute la lumière et restaurer la crédibilité de la filière pour éviter que les entreprises se retrouvent injustement en difficulté. La consommation de plats cuisinés a baissé de 5 % au cours du week-end en France, de 20 % en Angleterre. La crise de confiance est nette. Certes la viande de cheval n'est pas impropre à la consommation, mais il y a tromperie.
La comptabilité de Comigel sera passée au peigne fin car la mention « viande en provenance de l'Union européenne » aurait dû constituer un signal d'alerte, la mention du pays d'origine devant normalement être mentionnée. De plus, pour tout professionnel, la viande de cheval se distingue au toucher et à l'odeur. L'objectif est également d'identifier tous les pays et toutes les entreprises auxquels Comigel a vendu ses produits.
En outre, nous cherchons à nous assurer que les produits concernés ont bien été retirés de la vente : depuis la semaine dernière, 538 contrôles en ce sens ont été menés dans 70 départements. Outre cette filière, nous souhaitons également contrôler les échantillons d'autres filières d'approvisionnement, de transformation et de commercialisation de la viande. Les résultats seront connus dans les jours qui viennent.
Il nous fallait circonscrire le problème, prendre du recul et avoir une vue d'ensemble de cette filière qui représente des dizaines de milliers d'emplois, tout en répondant aux attentes des consommateurs bernés, y compris dans d'autres pays.
Le ministre de l'agroalimentaire reviendra sur le maintien de l'agrément sanitaire. Ni les salariés, ni les fournisseurs, ni les consommateurs n'ont à payer les pots cassés d'erreurs ou de fautes commises par les dirigeants. Je comprends l'inquiétude des salariés, mais le Gouvernement fait la différence entre des employés consciencieux et des dirigeants, peut-être à l'origine de ce système de changement d'étiquetage.
La réponse rapide du Gouvernement avec la suspension de l'agrément a coupé court à tout mouvement de panique et évité la confusion entre une fraude économique et un problème sanitaire.
Notre ligne d'action a reposé sur trois principes : rapidité, fermeté, discernement.
Une enquête administrative, menée par la DGCCRF et les services du ministère de l'agriculture a conclu à une suspicion de fraude et de négligence. Ses conclusions ont été présentées en toute transparence aux Français. Nous devons la vérité à nos concitoyens qui exigent de nous un comportement responsable.
Cette enquête administrative a été doublée par une enquête sanitaire. Des inspecteurs de la Brigade nationale d'enquêtes vétérinaires et phytosanitaires (BNEVP) se sont rendus sur le site pour contrôler la conformité sanitaire de l'établissement incriminé. Le ministre, M. Stéphane Le Foll a suspendu l'agrément mais ne l'a pas retiré. L'enquête a conclu, hier, à l'absence de problèmes sanitaires. Nous avons néanmoins isolé l'entreposage, lié au négoce, et l'agrément n'a pas été rétabli pour cette activité.
Une enquête judiciaire a été ouverte ; tous les éléments ont été transmis au Parquet. Là aussi nous le devons à nos concitoyens. Il appartient à la justice de trancher. Je souhaite que les coupables de ces pratiques inacceptables soient sévèrement punis.
Surtout, la filière agroalimentaire est fragilisée en raison de la crise de confiance des Français à l'égard de leur alimentation et des entreprises du secteur. Cette situation exige des mesures d'envergure et non des actions ponctuelles. Depuis le début de la semaine, dans le prolongement de travaux antérieurs, j'ai engagé une réflexion avec les industriels pour répondre à cette crise et éviter que cette tromperie ne se reproduise. Le premier axe est la lutte contre les fraudes. Il s'agit de donner aux entreprises les moyens de se protéger et d'améliorer les procédures d'autocontrôle. Nous devons également faire preuve d'ambition dans l'amélioration de l'information des consommateurs. L'Europe doit les protéger et nous cherchons à accélérer, avec volontarisme, l'édiction de mesures en ce sens.
En outre il faut s'intéresser à la course effrénée aux bas prix. Quel est le juste prix permettant de rémunérer les agriculteurs et les producteurs ? Si un plat de lasagnes est à deux euros, cela conduit à s'interroger...Comment est répartie la valeur ajoutée au sein de la filière ? Une réflexion est en cours sur les relations commerciales entre producteurs, entreprises et distributeurs.
Ensuite, pour renouer le lien de confiance avec les consommateurs, nous devons conduire une action volontariste pour améliorer, de manière constante, la qualité alimentaire. Le modèle agroalimentaire français, qui repose sur la sécurité et la qualité sanitaires, est reconnu partout et constitue un atout à l'export. Il s'agit donc aussi d'un intérêt économique. Nous avons ouvert une réflexion sur les ingrédients des recettes afin de répondre aux attentes de la société à la suite des débats survenus sur les graisses ou les sucres.
Nous traversons une crise de confiance. Il nous faut trouver des réponses d'ensemble. Tel est le sens de la politique que j'ai engagée. J'ai bon espoir qu'elle donnera des résultats. Nous préparons aussi l'avenir. Ce matin j'ai réuni le comité stratégique de la filière agroalimentaire et en mai nous signerons un contrat de filière, véritable plan d'actions pour l'agroalimentaire.
Sans doute serez-vous auditionné par la mission commune d'information sur la filière viande en France et en Europe dont la création a été demandée par le groupe UDI-UC du Sénat et qui permettra de dresser un bilan des actions entreprises.
Monsieur le président, merci d'avoir organisé cette audition : j'en avais exprimé le souhait en séance car la crise appelle des réponses immédiates. Merci aux ministres d'avoir répondu à notre appel. Dans mon département, proche de la Mayenne, où l'élevage est important, l'affolement dans la profession a été immédiat. La suspicion s'est installée, accentuée par la crainte d'un risque sanitaire. L'enquête a démontré qu'il n'existait pas, mais les consommateurs restent dubitatifs et la filière bovine en ressent les effets.
Qui a le premier révélé le problème ? Pourquoi les services français n'ont pas été les premiers à réagir ?
Le Parisien a démontré, la semaine dernière, que les étiquettes ne correspondaient pas aux produits. Des vérifications sont-elles faites ?
Comment être sûrs que cette affaire n'est pas l'arbre qui cache la forêt. En avons-nous tiré toutes les leçons pour débusquer les autres tentatives de fraude ?
Enfin, le consommateur se laisse guider par les prix et se montre sensible aux promotions. S'il est soucieux de la qualité de son alimentation, l'étiquetage n'est pas toujours clair pour lui. Cette crise est l'occasion de montrer la qualité des produits des petits producteurs qui vendent directement. Accordons-leur une place plus importante dans le contrat de filière agroalimentaire.
La confiance dans le système vient d'être rompue. Quels mécanismes entendez-vous mettre en place pour éviter à l'avenir de telles dérives ? Je crains les répercussions de cette crise sur la filière bovine déjà fragilisée. Le risque d'amalgame dans l'esprit des consommateurs n'est pas négligeable, même s'il n'y a pas de risque sanitaire.
Je suis surpris par l'ampleur de cette tricherie. Comme tous les éleveurs, je suis choqué. J'avais pu vérifier concrètement, au cours de déplacements avec notre commission, la traçabilité de la viande, depuis la ferme jusqu'au moment où elle est servie, en passant par les abattoirs et les usines de transformation. Chez Mcdonald's, à Orléans, on m'avait même indiqué de quelle exploitation provenait le blé du pain servi dans leur établissement. J'étais sceptique, mais force m'avait été de constater, après vérification auprès de l'agriculteur concerné, que c'était vrai : celui-ci était en mesure de m'indiquer la parcelle, la coopérative, les intrants... D'où ma question : à quel niveau la tricherie a-t-elle été commise ?
Il est impératif que la justice tranche. Le Gouvernement, en effet, a réagi avec « rapidité, fermeté et discernement ». Comme mon collègue Marcel Rainaud, élu de l'Aude, je suis heureux que l'entreprise Spanghero installée à Castelnaudary redémarre. C'est une bonne nouvelle pour les salariés, les sous-traitants et tout le tissu économique de la région. Les coupables ne sont pas les salariés. Espérons toutefois que les clients de cette usine lui conserveront leur confiance ; Castelnaudary, capitale du cassoulet, le mérite. Comment répondre à la crise de confiance ? Comment maintenir une unité de production de 300 salariés alors que le nom de l'entreprise est entaché et sa réputation atteinte ? Comment éviter à l'avenir un tel scénario alors que les effectifs de la DGCCRF ont été réduits ? L'autocontrôle a été évoqué, mais a-t-on les moyens de procéder aux contrôles externes normaux et systématiques ?
Je félicite les ministres pour leur diligence et leur efficacité. Telle n'est pas mon habitude...
J'étais rapporteur de la loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche (LMAP), qui comportait un volet sur la nutrition et la santé. Un colloque à la maison de la Chimie a été organisé récemment sur ce sujet.
Comment harmoniser les législations entre tous les pays européens ? Les règles de traçabilité sont-elles différentes en Roumanie ?
La justice a été saisie. Mais, vu la lenteur des procédures, paralysée par les reports, les pourvois en appels et en cassation, quand rendra-t-elle son jugement ? Il est important de tenir l'opinion informée d'ici-là.
Egalement, il importe de trouver des solutions durables. Pourquoi ne pas généraliser l'implantation de puces électroniques sur les oreilles des bêtes, en veillant à prévenir tout trafic les concernant ? L'Europe doit agir en faveur de la traçabilité.
De même, développons les labels, comme le label Rouge ou les indications géographiques protégées (IGP), gages de qualité. Soutenons les groupements de producteurs.
Evitons, enfin, que les éleveurs ne paient les pots cassés : soyons prudents dans nos communications et soulignons la qualité de nos produits.
La filière agroalimentaire représente un chiffre d'affaires de 140 milliards d'euros, 10 000 entreprises et 400 000 salariés. Ne l'oublions pas.
Le Gouvernement a bien géré la crise, avec discernement pour ne pas jeter l'opprobre sur toute la filière, tout en cherchant à élucider une fraude susceptible de discréditer le travail de tous. La suspension de l'agrément devait être décidée et la justice saisie.
Pour rétablir la confiance, il importe que la traçabilité soit effective. La DGCCRF joue un rôle fondamental à cet égard. Donnons-lui les moyens de remplir ses fonctions. La transparence, qui sera renforcée dans un prochain projet de loi sur la consommation, est essentielle pour les produits alimentaires qui affectent l'humain et touchent notre santé.
Le secteur agroalimentaire est performant à l'exportation. Mais nous ne rivaliserons pas en nous spécialisant sur le bas de gamme. Valorisons au contraire le haut de gamme, la qualité et la réputation de la cuisine et de l'agriculture françaises.
Enfin, l'Europe vient d'autoriser l'emploi de farines animales pour nourrir les poissons. Beaucoup de députés français ont voté contre cette mauvaise décision. Un autre dossier ne tardera pas à réapparaitre : les organismes génétiquement modifiés (OGM). La crise doit nous conduire à appréhender les réalités différemment. La traçabilité et la transparence seront au coeur des réflexions à venir.
Cette crise a été l'occasion d'un emballement médiatique sans doute excessif car, à la différence de l'affaire de la vache folle, elle ne soulève aucun problème sanitaire. La viande de cheval n'est pas un poison ! Cette fraude soulève en revanche la question de la complexité des circuits, échappant au contrôle des autorités : on se croirait dans une crise financière. La France tient une grande place dans l'industrie agroalimentaire : peut-elle agir pour simplifier ces circuits et renforcer notre connaissance de leurs rouages ?
La réponse du Gouvernement sur ce dossier délicat a été proportionnée et coordonnée.
Tout d'abord, ne serait-il pas opportun de délivrer rapidement un message positif sur l'efficacité du système de traçabilité : n'est-ce pas grâce à lui si la fraude a été découverte ?
Le risque est de céder à la tentation d'un renforcement excessif des mesures de protection qui pourrait se retourner contre la filière : ainsi les puces, quelles qu'elles soient, sont complexes à mettre en place et très coûteuses. Elles peuvent également pénaliser les circuits courts, que nous devrions favoriser, plutôt que de laisser se développer des importations présentant un bilan carbone négatif.
Enfin, il serait souhaitable que la future loi sur la consommation comporte un volet sur la composition des produits et les ingrédients utilisés.
L'étiquetage des produits alimentaires est un sujet complexe. Trop d'information tue l'information.
Il est nécessaire de revoir le règlement européen « Inco » concernant l'information du consommateur sur les denrées alimentaires. Avec Stéphane Le Foll, nous nous sommes rendus à Bruxelles la semaine dernière, mais seul le Royaume-Uni nous a soutenus pour demander à la Commission de remettre son rapport rapidement, afin que figure sur l'étiquette des plats préparés l'origine de la viande.
Le système de traçabilité a parfaitement fonctionné. C'est grâce à lui que nous avons pu remonter, en quarante-huit heures, jusqu'aux Pays-Bas et la Roumanie. Nous avons rencontré le ministre de l'agriculture roumain et examiné les pièces remises par son administration : il apparaît que l'on a vendu, là-bas, du cheval pour du cheval. C'est chez nous que nous avons pris du cheval pour du boeuf ! Il s'agit donc moins d'un problème de prévention des risques sanitaires que de tromperie économique. Ce type de comportement est heureusement marginal, et multiplier les policiers et gendarmes ne changerait rien. Outre les efforts à faire en matière de traçabilité des produits transformés - et il y a là un avantage pour la filière viande française -, nous devons repenser la façon dont nous protégeons le secteur des tromperies de cette nature.
J'ai apprécié que d'anciens ministres, dont mon prédécesseur, saluent la façon dont cette crise a été gérée. L'opinion publique est très sensible, et un mince faisceau d'informations lui suffit parfois pour s'emporter. Cette crise eût été facile à transformer en panique sanitaire. La décision qu'a prise le ministre de l'agriculture de suspendre l'agrément de l'entreprise en cause était la bonne, en vertu du principe de précaution.
Le futur projet de loi sur la consommation devra tirer toutes les conséquences de cette affaire. Les peines applicables aux cas de tromperies économiques sont aujourd'hui de deux ans d'emprisonnement et de 37 500 euros d'amende. Comparés aux 550 000 euros de profit que l'on peut manifestement engranger en six mois, c'est bien peu. Le quantum peut toutefois être multiplié par deux s'il y a modification de la composition des aliments, ce qui ne semble pas être le cas ici. Dans le cadre du projet de loi, nous étudierons la possibilité de réévaluer ces sanctions pour les rendre plus dissuasives.
Deuxième élément, nous sommes devant un contentieux économique de masse, qui tomberait sous le coup d'une action de groupe - si nous votions la création d'un tel mécanisme - qui pourrait être portée par des consommateurs derrière une association les représentant, contre l'entreprise responsable du préjudice économique. En effet, si les produits incriminés ont été retirés, reste que ceux qui ont mangé du cheval en pensant manger du boeuf ont subi un préjudice. Nous examinerons les moyens de protéger plus efficacement les consommateurs et de définir les niveaux de réparation qui pourraient être décidés par le juge.
Je rappelle que l'affaire a été déclenchée par l'autocontrôle d'un industriel, qui a fait remonter l'information jusqu'à l'entreprise Comigel, qui a saisi les autorités luxembourgeoises à la demande des autorités britanniques, avant que nous en soyons à notre tour informés. J'observe que nous avons été bien inspirés de sanctuariser, dans la loi de finances pour 2013, les effectifs de la DGCCRF : dans l'Aude, la réforme de l'administration territoriale de l'État (RéATE) et la révision générale des politiques publiques (RGPP) avaient fait passer les effectifs de la direction départementale de 16 à 10, et en Moselle de 43 à 20. Menons la réforme de l'État et la modernisation de l'action publique (MAP) si l'on veut, mais tenons compte des limites à la polyvalence des agents de terrain. Si nous ne voulons pas voir éclater davantage de scandales, nous devons adapter nos moyens de contrôle aux nouvelles pratiques, qu'il s'agisse de surveiller la chaîne du froid, les derniers loisirs pour enfants ou les pratiques du cybercommerce - dont je rappelle qu'il a représenté 9 milliards d'euros pour la seule période de Noël en France.
En ce moment même, l'Office central de lutte contre les atteintes à l'environnement et à la santé publique (Oclaesp), en lien avec le service national d'enquête (SNE) mène des auditions et des perquisitions chez Spanghero. J'ignore combien de temps prendra la procédure, mais j'observe que le parquet a été prompt à réagir.
Les enquêtes administrative, vétérinaire et judiciaire se succèdent pour garantir une réponse ferme à la crise que nous traversons. Celle-ci ne doit en aucun cas se reproduire. Cela étant dit, comment réformer notre système ? Jeudi matin, nous recevons au ministère les professionnels, avec qui nous travaillerons à l'élaboration de mesures concrètes. Tout n'aboutira sans doute pas dans l'immédiat, mais nous définirons un cap à suivre et un cadre dans lequel progresser.
En premier lieu, nous devons renforcer les procédures d'autocontrôle : chaque entreprise doit en être dotée, non seulement sur ce qu'elle produit, mais aussi sur les relations qu'elle entretient avec ses fournisseurs. Deuxième élément : nous devons mieux protéger les entreprises. Des outils nouveaux devront être mis à leur disposition pour lutter contre les pratiques frauduleuses, à l'encontre desquelles les mailles du filet répressif sont aujourd'hui trop lâches. Enfin, l'information des consommateurs doit être améliorée. C'est là un problème européen, davantage que franco français. Dans ce domaine, nous voulons être la locomotive du changement en Europe : sur les mentions d'origine d'abord, qui ne sont obligatoires que pour les viandes fraîches. Les plats préparés se trouvent dans une sorte de zone d'ombre : nous comptons bien l'éclairer. Le problème n'est toutefois pas simple, car l'étiquette doit rester lisible pour les consommateurs. Sur les circuits ensuite, qui sont trop complexes. Il existe par exemple des traders non soumis aux mêmes obligations que les autres acteurs de la chaîne alimentaire. Stéphane Le Foll travaille actuellement à la définition d'un cadre plus exigeant d'exercice de cette profession.
Pour finir, je veux adresser un certain nombre de messages positifs : d'abord, cette crise n'est pas une crise sanitaire. Ce n'est pas non plus une crise de la traçabilité des aliments, au contraire : le système de traçabilité a parfaitement fonctionné. Il s'agit d'une crise fondée sur une suspicion de fraude. Nous y travaillons, en urgence et pour l'avenir. D'aucuns en profitent pour vanter les circuits courts. Admettons. Mais pas au détriment de la sécurité sanitaire et de la qualité alimentaire, essentielles pour tous, ni des industries agroalimentaires, indispensable à l'emploi dans nos territoires.
Sur le plan sanitaire, des décisions ont été prises pour rassurer tout le monde.
Des perquisitions ont été lancées. J'en appelle à la responsabilité de tous les acteurs de cette affaire. La puissance publique a déjà assumé les siennes ! La crise s'est étendue à l'échelle européenne : les britanniques doivent faire face à la contamination au phénylbutazone de la viande de cheval, en plus de l'affaire Findus. D'autres problèmes émergeront peut-être, mais je ne l'espère pas. En attendant, l'agrément sanitaire de la société Spanghero a été suspendu et non retiré, car dans cette hypothèse, le restituer aurait été plus long et plus complexe. Benoît Hamon a tenu une conférence de presse jeudi. Je n'ai cessé de travailler depuis, week-end compris. Lundi matin, un premier compte-rendu d'enquête a été dévoilé. Vendredi, le rapport complet des services vétérinaires sera rendu public. Il en va de notre responsabilité vis-à-vis des consommateurs, de la filière, de l'élevage, et de l'entreprise en difficulté, dont on a dit hâtivement que 300 salariés étaient mis au chômage. Je le répète : nous avons assumé nos responsabilités, les dirigeants des entreprises concernées doivent assumer les leurs. Les étiquettes ne se sont pas changées toutes seules !
Au niveau européen, le premier problème qui se pose est celui de la traçabilité et de l'étiquetage. J'ai demandé à la Commission européenne que le rapport qui devait être rendu avant la fin de l'année 2013 le soit avant l'été. En outre, nous défendrons l'élargissement du champ d'application du texte listant les normes applicables aux viandes : celle de cheval n'en fait aujourd'hui pas partie. Enfin, nous avons demandé que l'activité de trading soit soumise à agrément : pour l'instant, elle est totalement libre.
Dès mon arrivée au ministère, j'ai souhaité mener une réflexion sur deux priorités : l'enseignement agricole et les services vétérinaires. Nous travaillons en ce moment à l'élaboration d'un plan stratégique qui prend en compte ces services, afin d'assurer un contrôle des entreprises ferme, clair et qui assure la plus parfaite sécurité des consommateurs.
La crise a été bien gérée. Notre système de traçabilité est manifestement d'une efficacité redoutable : alors de grâce, ne soumettez pas les professionnels, surtout les agriculteurs, à des normes supplémentaires ! Ceux-ci font déjà l'objet d'un contrôle dès que la boucle d'une vache se détache... Nous sommes en présence d'un cas de fraude : elle doit être poursuivie et punie, mais il n'est nul besoin de réglementer davantage.
J'en profite pour indiquer au ministre de l'agriculture que le rapport qualité-prix des produits alimentaires n'est pas satisfaisant. Comment les vendre au juste prix, surtout en l'absence de tarif de première nécessité ?
C'est un cas de fraude patente. Ceux qui ont expliqué aux salariés de Spanghero qu'ils étaient pris en otage n'étaient sans doute pas dénués d'arrière-pensées... 550 000 euros de profit à court terme, voilà qui fait travailler l'imagination des moins scrupuleux.
La question des circuits courts est très compliquée. C'est un problème européen. Si l'on arrive en bout de course avec un plat cuisiné à 1 ou 2 euros, c'est que cela correspond à une forme de demande, en période de crise du pouvoir d'achat. Comment augmenter la qualité des produits en gardant des prix attractifs ?
Les pouvoirs publics ont sans conteste apporté les réponses appropriées au problème. Élargissons le champ de notre réflexion en replaçant l'industrie agroalimentaire au coeur de la stratégie de réindustrialisation de notre pays - industrie qui résume d'ailleurs ce qu'est ce pays : la culture gastronomique, l'agriculture de nos territoires, le savoir-faire de nos industries. Des réponses sont à apporter aux consommateurs d'abord, en matière de traçabilité et de transparence. Sans tomber dans le consumérisme : nous savons que chaque ministre de la consommation veut faire sa loi. Attention également aux class-actions. Des réponses doivent ensuite être apportées aux filières. Les industriels ont parfois des difficultés à utiliser les matières premières toutes proches : c'est la question des circuits courts. Quelle que soit leur taille, ils doivent permettre de produire pour la demande de nos industries. Enfin, des réponses sont attendues à l'échelle européenne. Nous appliquons avec angélisme des préceptes ultralibéraux venus des États-Unis, où les poulets brésiliens ne pénètrent pas...
Je profite de cette occasion pour demander l'organisation d'une table ronde en Pays-de-la-Loire, sur le modèle de celle qui s'est tenue en Bretagne, pour évoquer la situation de Doux et des restitutions aux exportations sur la filière frais.
Je veux féliciter les ministres pour la réactivité avec laquelle ils ont géré cette crise. J'ai moi-même été maire d'une commune pourvue d'un abattoir et d'une usine de viande au moment de la crise de la vache folle, et je sais les difficultés qu'il faut résoudre dans ces situations.
Les circuits commerciaux sont trop complexes. Ne pourrions-nous pas supprimer des intermédiaires ? Vous connaissez la chanson de la vache à 1 000 francs, dont le prix ne cesse d'augmenter à chaque étape...
La gouvernance des sociétés coopératives est un autre problème. Je suis frappée par la taille de certaines coopératives qui n'ont de coopératives que le nom. Les mêmes qui dirigent Spanghero ont déjà été épinglés dans des affaires concernant d'autres sociétés. Il serait regrettable que la justice ne soit pas allée au bout dans cette première affaire.
Je relaie une demande de ma collègue Maryvonne Blondin, sénatrice du Finistère : il y a eu des événements graves hier à Quimper. Nous devons réagir. Qu'en pensez-vous ?
On entend parfois parler de minerais pour le lait ou la viande. C'est surréaliste, et en dit long sur notre approche du système agroalimentaire.
Le secteur coopératif est mis en cause par cette crise. Il ne faut pas généraliser, mais le coup est dur pour ceux qui voyaient là un secteur prometteur, que l'on définissait comme la rencontre d'une confiance et d'une conscience...
Je suis dans l'agroalimentaire depuis 45 ans. Je crois pouvoir dire que la crise a été bien maîtrisée. Notez toutefois que la famille Spanghero n'est plus propriétaire de l'entreprise depuis plusieurs années, puisque la coopérative Lur Berri a racheté la marque en 2009.
Premier problème : la chute du nombre de bovins et d'ovins dans notre pays. Les 4 milliards versés au Royaume-Uni depuis 1984 servent à ramener des bestiaux produits dans le Commonwealth en Europe, ce qui crée un important décalage de compétitivité.
Deuxième problème : les règles communautaires qui s'imposent à tous. Nous le voyons avec le problème des compléments alimentaires aux multiples allégations nutritionnelles, contre lesquels nous luttons, mais qui sont accessibles sur internet. Les syndicats professionnels de branche souhaiteraient vivement être informés en amont de ces réglementations, comme cela se fait dans d'autres pays.
A Bordeaux, Saint-Nazaire, et ailleurs, arrivent de multiples produits OGM, qui servent à nourrir 90 % des bêtes françaises. Que faire face aux produits brésiliens ou américains, qui envahissent nos terres ?
Prenons garde à ne pas alourdir les structures. Ce n'est pas parce qu'il y a un ou deux fraudeurs que toute la filière est condamnable. D'accord pour réévaluer les sanctions, mais n'ajoutons pas de nouvelles réglementations.
Enfin, qu'en est-il de la répartition des compétences entre l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) et la DGCCRF s'agissant notamment des compléments alimentaires ? Les deux réglementations, pharmaceutique et agroalimentaire, n'ont rien à voir.
S'agit-il d'une crise ou d'un mal nécessaire ? Les médias n'ont créé aucun emballement, ils ont simplement reflété la sensibilité de l'opinion publique à ces questions.
La fraude a été permise par le fait que les produits agricoles sont devenus des objets de spéculation. Une étude de l'organisation Oxfam du 12 février dernier montre bien que les banques françaises - BNP-Paribas est citée explicitement - investissent largement dans ce secteur.
La réaction des pouvoirs publics a été satisfaisante. Et la position des ministres n'est pas de circonstance, puisqu'ils avaient pris, avant cette crise déjà, l'engagement de tirer vers le haut la qualité des produits et l'excellence de la filière française. Prenons l'exemple du poulet : la France exporte des poulets bas de gamme, et importe 46 % de sa propre consommation en poulets. Cette affaire est l'occasion de se pencher sur la qualité des produits français.
Je félicite à mon tour les ministres pour leur réactivité dans cette affaire. En l'occurrence, il s'agissait d'une tromperie, et non d'une mise en danger.
Rétablir la confiance suppose d'abord de rappeler que notre industrie agroalimentaire est l'une des plus sûres au monde. Elle assure davantage la sécurité des personnes qu'à l'époque où tout le monde faisait la cuisine à domicile. L'industrie américaine ne tient pas la comparaison. Soyons-en fiers. Mais ici comme ailleurs, nous devons monter en gamme, et assurer une traçabilité parfaite au consommateur. Nous devons en outre lutter contre l'idée que les plats préparés peuvent être moins chers que ceux que l'on fait soi-même.
Le ministre de l'agriculture disait avoir l'appui du Royaume-Uni. Mais comment peut-on défendre la qualité de la filière et son contrôle plus approfondi lorsque l'on se bat en même temps pour diminuer le budget européen consacré à l'agriculture ?
Nous assistons impuissants au procès fait à l'agroalimentaire et aux coopératives. L'affaire qui nous occupe fournit le prétexte à des débats destructeurs. Je soutiens la recherche des responsables. Ma certitude, c'est qu'il y a un enchevêtrement de responsabilités. Ne cédons pas à la facilité de désigner le responsable le plus visible. Je suis stupéfait par le nombre de chevaux abattus en Roumanie. Rentrons finement dans le dossier.
Les marges de l'agroalimentaire sont plus faibles qu'on le croit. Elles sont parfois infimes. Sortons du faux débat sur les circuits courts. Si nous allions au bout de la logique, nous serions surpris. Le goût fermier cache parfois bien des choses... Attention à l'exploitation abusive, par les départements marketing, des étiquettes qualité : il est facile de le vérifier au salon de l'agriculture.
Enfin, la traçabilité pourrait être améliorée, y compris dans les produits manufacturés.
Aucune norme supplémentaire n'est prévue pour les agriculteurs. On ne revient évidemment pas sur ce qui a été fait à la suite du scandale de la vache folle et qui fonctionne. La question ne se pose que pour les produits transformés à base de viande.
La production de lait, de porcs, ou de bovins dépend de protéines végétales qui viennent à 90 % de soja OGM. Comment faire autrement ? Si on produit des céréales pour les exporter, cela ne profite pas à l'alimentation animale. Seules les rotations de cultures permettent de faire des productions intermédiaires. Grâce à ce système, certains producteurs sont autonomes à 90 %, avec des productions par vache de 9 000 à 10 000 litres de lait. Mais cela suppose un changement de modèle.
Les circuits courts, locaux, moyens ou régionaux sont utiles, et ne cesseront de se développer, à condition qu'ils soient encadrés. Mais ils ne remplaceront jamais l'industrie agroalimentaire. La région parisienne compte 12 ou 13 millions d'habitants. Déjà au XIVe siècle, la boucherie située à côté de Notre-Dame était une grosse usine, conçue pour nourrir 50 000 personnes. La consommation de masse a toujours nécessité une industrie. Il faut simplement que l'industrie se soumette à des garanties de qualité et de traçabilité, et qu'elle permette de défendre une certaine culture alimentaire. Le salon de l'agriculture sera l'occasion d'en parler, et je vous invite le jeudi soir à un grand pot-au-feu de viande bovine française. (Applaudissements)
J'ai également noté le décalage que vous constatez dans le discours britannique. A ce propos, notez qu'avant le crunch de samedi soir entre les équipes française et anglaise de rugby, les parlementaires de nos deux pays se rencontreront dans la périphérie de Londres samedi matin. Nous devrions, à cette occasion, tirer notre épingle du jeu.
Les compétences de l'AFSSAPS et de la DGCCRF se croisent en matière d'allégation nutritionnelles, ces vertus imaginaires que les stratégies marketing prêtent aux aliments. Par exemple, un yaourt ne peut porter de mention indiquant qu'il empêche la chute des cheveux. Des contrôles communs aux deux institutions permettent de vérifier le respect par les industriels des normes en vigueur.
J'ai bien conscience que le monde coopératif est ébranlé par ce qui se passe en ce moment. J'ai eu récemment au téléphone le président de COOP de France, Philippe Mangin. Dans le cas qui nous occupe, la coopérative Lur Berri n'est que marginalement citée. Un problème se pose lorsque ces coopératives se diversifient, et adoptent des règles de gouvernance et des pratiques qui laissent à désirer.
Dans le cadre du projet de loi relatif à l'économie sociale et solidaire qui sera présenté en juin, le toilettage de la loi de 1947 sera examiné. Je n'ai pas l'intention de libéraliser le secteur. Les discussions avec les professionnels permettront de tirer les leçons de l'affaire Spanghero, sans accuser le modèle coopératif, qui fait la solidité du secteur agroalimentaire.
Les protéines végétales ne sont pas des OGM. Ce sont des plantes génétiquement modifiées (PGM). Ne mélangeons pas tout.
Les filières de production de viande, notamment de porcs et de volailles, sont fragiles. Notre ambition est de définir une nouvelle stratégie pour chacune, qui permette la reconquête des marchés intérieurs. Vous l'avez dit : 40 à 45 % des poulets consommés en France sont importés. L'Allemagne nous prend toujours davantage de parts de marchés. Faut-il se réfugier dans le bas de gamme ? Nous nous y refusons. Notre projet est de réconcilier les performances économiques et écologiques, pour faire évoluer l'agriculture françaises vers l'agro-écologie. Voilà le défi vert de demain. Je suis absolument convaincu que l'on peut fonder un nouveau modèle économique sur ces bases.
Dans quelques semaines, à la suite du travail mené par le délégué interministériel à l'industrie agroalimentaire, nous présenterons nos orientations assorties de mesures fortes pour offrir un nouvel avenir à la filière agroalimentaire. Il ne s'agit pas de mesures griffonnées sur un coin de table, mais d'éléments porteurs d'un vrai modèle qualitatif. Nourrir la France et défendre l'excellence française, voilà notre ambition pour nos industries. C'est en outre indispensable pour développer nos territoires, sur lesquels 500 000 emplois sont concernés. Nous proposerons donc un véritable pacte pour l'agroalimentaire, en rassemblant toutes les forces publiques et l'ensemble de la chaîne alimentaire. Le défi est aussi mondial : nous sommes 7 milliards d'habitants sur la planète aujourd'hui, mais nous serons 9 milliards en 2050. La France a un rôle majeur à jouer, notamment dans la défense de ses valeurs universalistes. Fédérons nos forces pour relever ces défis ensemble.
Demain, nous recevrons M. Jean-René Buisson, président de l'Association nationale des industries alimentaires (Ania), sur les questions de sécurité alimentaire. Je remercie MM. les ministres de leur disponibilité.