Mes chers collègues, nous consacrons cette matinée à l'audition des partenaires sociaux sur le projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023. Toutes les organisations ont été entendues par nos rapporteurs, mais j'ai souhaité que nous conduisions également cet exercice en réunion plénière.
Nous entendons tout d'abord les représentants des syndicats. Je précise qu'une invitation a été envoyée aux organisations syndicales représentatives au niveau national et interprofessionnel. La Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC) m'a fait savoir qu'elle ne pourrait être représentée. Sont présents MM. Yvan Ricordeau, secrétaire national, responsable de la politique sur les retraites de la Confédération française démocratique du travail (CFDT), Thomas Vacheron, membre de la direction confédérale de la Confédération générale du travail (CGT), Michel Beaugas, secrétaire confédéral chargé de l'emploi et des retraites de Force ouvrière (FO) et Gérard Mardiné, secrétaire général de la Confédération française de l'encadrement - Confédération générale des cadres (CFE-CGC).
Je vais donner la parole à chaque intervenant afin qu'il expose brièvement les principales observations de l'organisation qu'il représente sur ce texte, avant qu'un débat ne s'engage avec nos rapporteurs Élisabeth Doineau, René-Paul Savary et Sylvie Vermeillet, puis avec les commissaires.
Il est très important, pour la CFDT, d'échanger avec les sénateurs avant l'ouverture des débats au Sénat et de discuter de ce qu'est le monde du travail et de ce que représente la retraite, de la façon la plus approfondie et la plus apaisée possible. C'est ainsi que nous souhaitons échanger avec vous ce matin.
Trois points nous semblent déterminants.
Premièrement, ce qui se passe dans le monde du travail, dans la période post-pandémique actuelle, nécessite que l'on ajuste les transitions professionnelles entre carrière et retraite.
Deuxièmement, le système de retraite comporte de nombreuses inégalités. Pour y répondre, il faut le refonder. Les améliorations possibles passeraient sans doute, à terme, par un système de base universel, conférant les mêmes droits à l'ensemble des travailleurs, quels que soient leur situation, leur parcours et leur origine professionnelle. Ce point sera l'élément d'avenir de la construction et du renforcement de notre système par répartition.
Troisièmement, l'équilibre financier, qui est tout sauf un tabou pour la CFDT, est le premier garant de la confiance entre les générations dans un système par répartition : il faut faire la démonstration que l'ensemble est à l'équilibre à terme. Nous nous sommes investis dans de nombreuses réformes pour garantir cette pérennité financière.
Nous examinons cette question avec beaucoup de lucidité dans la période actuelle. Ainsi, il faut, selon nous, un rendez-vous sur les retraites dans le courant de l'année 2023. Ensuite, contrairement à d'autres moments de réforme que notre pays a connus depuis vingt ans, nous ne nous trouvons pas dans une situation dramatique. Le besoin d'équilibre financier se situe aux alentours d'une dizaine de milliards d'euros, il n'a rien à voir avec ceux qui ont motivé les réformes précédentes et les besoins financiers sont sans équivalent avec ceux qui sous-tendaient les réformes de 2003, 2010 et 2014. Les perspectives à long terme paraissaient alors dégradées, quand, s'il y a un débat sur l'équilibre financier à court terme, personne n'évoque actuellement le risque d'une chute libre à long terme. La CFDT se refuse donc à dramatiser la situation. Depuis le début de la concertation, les experts ont relevé plusieurs points. Tout d'abord, le déséquilibre existe, mais il n'est pas extraordinaire ; ensuite, la projection sur le système de retraite des éléments concernant la fonction publique est sujette à caution ; enfin, la question de l'espérance de vie fait partie des éléments de correction à terme.
L'enjeu, pour nous, est la répartition de l'effort : il est hors de question de le faire peser sur les seuls travailleurs. De tout temps, on a fait évoluer le système de retraite en le répartissant entre entreprises et travailleurs ; or ce projet de loi cible uniquement les seconds. Cela nous pose une difficulté. En outre, la CFDT a toujours été opposée au décalage du paramètre de l'âge, qui pèse uniquement sur les salariés les plus modestes. Contrairement à d'autres réformes qui ont instauré des décalages de l'âge, les premiers déciles sont épargnés par le présent texte : il n'y a pas de décalage de la décote. En revanche, pour l'ensemble des déciles au-dessus du troisième, jusqu'aux neuvième et dixième, la facture est lourde. Or nous sommes opposés à l'idée de faire payer l'ensemble de la facture aux classes moyennes et aux travailleurs de la deuxième ligne. C'est pourtant le sens du projet qui nous est présenté aujourd'hui, qui décale l'âge de départ de 62 à 64 ans. En conclusion, la question de l'évolution du système de retraite méritait un rendez-vous dans notre pays, pour réfléchir à la manière de travailler mieux. Il fallait aborder la réforme par les questions du travail et de l'emploi, du plein emploi comme de l'emploi des seniors. Ce mécanisme vertueux aurait alors permis de poser les bases d'un débat approfondi sur l'évolution de notre système de protection sociale. Au contraire, le rendez-vous qui nous est proposé aujourd'hui ne concerne que l'ajustement financier, dans le cadre d'un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale, avec pour seul objectif de trouver quelques amortisseurs. Le débat de la nuit dernière à l'Assemblée nationale en a apporté la démonstration flagrante. L'enjeu essentiel, l'emploi des seniors, ne sera donc pas la clé de voûte de la réforme, même si l'ambition de départ n'était pas très élevée. Cela augure d'une poursuite particulièrement difficile des discussions sur ce sujet, qui nous semblait pourtant prioritaire.
Au nom de la CGT, je vous remercie de ce moment d'échange et d'écoute des organisations syndicales, qui expriment toutes leur opposition à ce projet de loi antisocial pour les travailleurs. Le principal argument du Gouvernement, qui a d'abord tenté de faire croire que le texte relevait de la justice sociale, est finalement l'équilibre financier, mais il est basé sur de faux constats. Selon nous, financer le système de retraite par répartition ne pose pas de difficulté : même M. Bras, le président du Conseil d'orientation des retraites (COR), a déclaré que les dépenses de retraite ne dérapaient pas. En revanche, ainsi qu'il l'a ajouté, les dépenses de retraite « ne sont pas compatibles avec les objectifs de politique économique et de finances publiques du Gouvernement. » L'objectif de cette réforme est donc de faire payer aux travailleurs les aides publiques et autres allégements successifs de cotisations sociales que la majorité présidentielle défend, en imposant d'énormes reculs sociaux, pour des résultats budgétaires extrêmement faibles et non nécessaires. À ce titre, les arrangements que le Gouvernement s'autorise avec la réalité relèvent de l'irrespect envers les salariés. Les organisations syndicales alertent depuis plusieurs semaines, par exemple, sur les fameux 1 200 euros de retraite minimum, présentés comme une mesure de justice sociale. Nous avons questionné en vain les députés de la majorité sur ce chiffre. Or celui-ci ne vaut que pour une carrière complète et à temps plein et ne concernera que très peu de retraités, la plupart des travailleurs ciblés percevant déjà plus que ce montant ; quant aux millions de travailleurs au Smic, ils ont connu le plus souvent une carrière hachée ou à temps partiel et n'y auront donc pas droit. Par ailleurs, l'allongement du temps de travail affaiblira encore les pensions, contrairement à ce que les ministres affirment encore. Aujourd'hui, 40 % des femmes et 32 % des hommes partent en retraite avec une carrière incomplète, car ils ou elles ont connu des périodes de maladie ou de chômage. Ceux-là mêmes qui nous licencient avant 60 ans veulent maintenant nous faire travailler jusqu'à 64 ans ! Reculer encore l'âge de départ à la retraite, c'est rendre toujours plus difficile la validation d'une carrière complète. Pour ceux qui, malgré tout, parviendront à en bénéficier, l'étude d'impact réalisée par le Gouvernement évalue entre 0,3 et 1,5 % les augmentations de pension. À qui veut-on faire croire qu'il s'agit d'un progrès ? Le report de l'âge légal de 62 à 64 ans est inacceptable. Allonger l'âge de départ, c'est méconnaître la réalité du travail. La réforme va impacter l'ensemble des salariés, du public comme du privé, à un âge où la pénibilité liée au travail est partagée par tous, des infirmières aux cadres. L'exemple le plus frappant est celui des troubles musculo-squelettiques (TMS), première maladie professionnelle en France, avec plus de 44 000 cas en 2019. La réforme va impacter en priorité les salariés avec les carrières les plus hachées et les salariés les plus modestes. Chaque fois que l'on repousse la durée de cotisation requise pour un départ à taux plein, on rend ce dernier toujours moins atteignable, en particulier par les femmes, en raison du temps partiel subi et de l'absence d'une politique ambitieuse d'égalité entre les hommes et les femmes. Quant aux carrières longues, alors qu'aujourd'hui les travailleurs peuvent partir à 60 ans, ils devront travailler de longues années de plus et cotiser jusqu'à 43 ou 44 ans, si j'en crois l'annonce faite hier par Mme la Première ministre. Enfin, reporter l'âge de départ en retraite, c'est reporter le paiement des pensions de retraite sur les autres prestations sociales. Partir plus vieux, c'est partir en plus mauvaise santé et être davantage exposé au risque d'invalidité. Il y aura ainsi moins de retraités en bonne santé pour les activités bénévoles, pour la solidarité, pour ce qui fait liant dans la société. Il en va de même s'agissant des travailleurs dits « seniors » : à 60 ans, un actif sur deux seulement est encore en activité. L'augmentation du nombre d'annuités à valider entraînera un allongement de ce sas de précarité et une baisse massive du nombre de travailleurs pouvant justifier d'une carrière complète. La prise en compte de la pénibilité n'est, enfin, pas à la hauteur : les personnes ayant commencé entre 18 et 20 ans et qui sont éligibles au dispositif carrières longues perdent deux ans. Le Gouvernement nous parle de pénibilité après en avoir retiré quatre critères à la création du compte professionnel de prévention (C2P) et après avoir supprimé les comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). L'attaque contre les régimes spéciaux va d'ailleurs complètement à rebours de la reconnaissance de la pénibilité dans ces secteurs. Nous assistons donc à une accélération de la réforme Touraine, couplée à la réforme proposée par le gouvernement Borne, qui va entraîner un raccourcissement de la durée espérée de retraite. C'est la seule réforme qui joue à la fois sur l'âge légal de départ et sur le nombre d'annuités cotisées, seules variables que souhaite, finalement, retenir le patronat. Jamais ne sont discutés l'augmentation des salaires, des cotisations sociales, l'égalité hommes-femmes, la taxation des profits des grands groupes... C'est pourtant cela que demandent aujourd'hui les salariés qui produisent les richesses de ce pays. Pour finir, l'urgence, pour la population, est d'augmenter les salaires et non de reculer l'âge de départ à la retraite, les Français vous le disent par millions. L'heure est au retrait du projet. Il y a tellement d'autres sujets importants à traiter ! Les citoyens regarderont attentivement le vote de chaque parlementaire, (Les sénateurs Les Républicains protestent.) répondez positivement à leurs attentes ! Nous sommes là pour échanger et alerter.
Cette dernière remarque me semble déplacée : jeter à la vindicte populaire les parlementaires, quel que soit leur vote, ne sert pas le débat démocratique. Tout le monde sait ce que chacun vote, mais il est inadmissible que l'on envoie aux parlementaires des e-mails ou des lettres les menaçant de leur couper l'électricité ou de s'en prendre à leur famille !
Merci d'avoir organisé cette rencontre. Comme vous allez l'entendre, les organisations syndicales partagent un certain nombre de constats sur le projet de loi qui est proposé. Le premier est qu'il n'y a pas d'urgence à réformer le système de retraite, et encore moins en ne faisant varier qu'un paramètre : l'âge de départ à la retraite pour l'ensemble des salariés, en accélérant, en parallèle, l'application de la réforme Touraine. Pour nous, la première des préoccupations doit être l'emploi. Nous avons fait des propositions au Gouvernement en la matière, concernant en particulier les seniors. Le Gouvernement prend les choses à l'envers : il aurait d'abord dû traiter ce problème. Des études économiques montrent ainsi qu'augmenter de dix points le taux d'emploi des seniors rapporterait 50 milliards d'euros, à comparer aux 10 milliards d'euros projetés par COR. J'y insiste d'ailleurs : il ne s'agit que de projections, dont rien ne dit qu'elles se réaliseront. Voilà cinq ans, le COR prévoyait que les régimes de retraite seraient déficitaires en 2021 et en 2022, alors qu'ils sont tous excédentaires. Il n'est donc pas justifié que le Gouvernement s'alarme de la sorte. Travaillons d'abord sur une loi qui protège les salariés, pour que les entreprises arrêtent de licencier les seniors à partir de 50 ans. Ce sont eux qui restent au chômage le plus longtemps, et que l'on trouve en nombre parmi les demandeurs d'emploi de longue durée.
Par ailleurs, la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam) vient de publier une étude qui montre que le passage de l'âge de départ de 60 ans à 62 ans s'est accompagné d'une augmentation des arrêts maladie chez les seniors. Autrement dit, faire travailler les gens plus longtemps, c'est opérer un transfert vers d'autres caisses sociales, équivalant à plus d'un tiers des économies prévues. Il faut bien l'avoir en tête. Par ailleurs, ce n'est pas avec un index que les entreprises conserveront les seniors, c'est avec des contraintes. Malgré l'index égalité entre les femmes et les hommes sur les salaires, l'écart atteint encore 20 % ! Or, si les salaires des femmes étaient égaux à ceux des hommes, les recettes des caisses de retraite ne seraient pas un problème. C'est cela qu'il faut mettre en avant aujourd'hui. (Les sénateurs des groupes CRCE, SER et GEST approuvent.)
Le problème des retraites n'est pas un problème de dépenses, mais bien de recettes, et ce sont ces questions d'emploi, de conditions de travail et de salaires qui en sont la cause. Autrement dit, c'est un problème de manque de cotisations. Bien évidemment, il faudra, d'un autre côté, regarder toutes les exonérations qui ont été octroyées aux entreprises. Force ouvrière défend l'idée que toutes les aides aux entreprises doivent être conditionnées. Nous ne nions pas que certaines entreprises en ont besoin, est-ce pour autant le cas des entreprises du CAC40 ? Nous avons fourni au Gouvernement des documents étayés sur la manière de préserver l'emploi des seniors ainsi que sur l'égalité salariale. Par exemple, nous avons proposé que les aides soient conditionnées au temps partiel subi par les femmes, qui crée des différences au moment de la retraite. Il faut travailler sur tout cela avant de penser à reculer l'âge de départ.
Je vais adapter mon propos à ce qu'ont déjà dit mes collègues, afin de ne pas être trop long. Je veux souligner que nous avons été très déçus par la concertation menée par le Gouvernement à l'automne : il y a eu très peu d'écoute et nous pressentions que la réforme serait dogmatique. Nous espérions trouver des informations dans le projet de loi, en particulier dans les éléments assimilables à une étude d'impact, mais la déception a encore une fois été grande. Par exemple, sur l'article 2 relatif à l'emploi des seniors, on ne trouve rien sur les conséquences que le texte pourrait emporter sur la Cnam et sur les autres caisses d'assurance maladie, en raison de la multiplication des arrêts maladie. Il n'est question que de l'index seniors. Il est inadmissible que nous disposions d'aussi peu d'éléments justificatifs pour une telle réforme et cela pourrait poser des questions constitutionnelles. On ne trouve pas non plus d'impact prévisionnel sur l'assurance chômage, sur l'assurance maladie ou encore sur la branche accidents du travail et maladies professionnelles, laquelle sera pourtant concernée de très près. S'agissant de l'article 7, seules les pénalités susceptibles d'être infligées si l'index senior n'est pas publié par un pourcentage donné d'entreprises sont mentionnées. C'est un peu léger ! De plus, il subsiste des incohérences : l'augmentation de l'âge est justifiée par un accroissement de l'espérance de vie entre 1999 à 2019, alors que l'on sait bien que celle-ci ne croît plus depuis 2014, et que l'évolution de 1999 à 2012-2013 a déjà été prise en compte dans la loi Touraine, par une augmentation de la durée de cotisation. La représentation nationale devrait, me semble-t-il, s'émouvoir de la faiblesse de ces justifications et s'interroger sur leur degré de validité. Par exemple, Hervé Le Bras de l'Institut national d'études démographiques (Ined), a lui-même mentionné que les hypothèses d'évolution de l'espérance de vie n'étaient pas réalistes. Nous espérons tous que celle-ci repartira à la hausse, mais attendons de le constater avant d'en faire argument pour justifier l'augmentation de l'âge de départ.
Devant ce manque d'éléments du Gouvernement, qui justifie principalement le report de l'âge de départ par les projections sur l'équilibre financier, et parce qu'il y avait, dans le rapport du COR, des coefficients de sensibilité, nous avons réalisé nos propres chiffrages. Quand la Première ministre évoquait, dans les dix ans qui viennent, un déficit de 100 milliards d'euros, un scénario à espérance de vie constante débouche sur une amélioration de 47 milliards d'euros de l'équilibre financier de notre régime de retraite - en raison, essentiellement, de dépenses en moins. Nous avons également considéré l'emploi des seniors, pour lequel aucune conséquence financière n'est chiffrée ; en l'améliorant, on aboutirait à plus de 40 milliards d'euros d'économies sur les dix prochaines années, portant ainsi le système à l'équilibre, alors que l'on subit encore l'effet du papy-boom. Pour le contrer, les régimes des salariés du privé et un grand nombre de régimes spéciaux disposent de 180 milliards d'euros de réserves, mais cela n'est jamais évoqué dans les études d'impact ! Il faut ensuite en revenir à un partage de la valeur plus équilibré. Alors que la part des salariés a diminué de 5 % lors des vingt-cinq dernières années, nous avons considéré que l'on pouvait progressivement regagner 2 % dans les dix prochaines années, grâce à une loi qui pourrait être votée d'ici à la fin de 2023, qui entrerait en vigueur en 2025, par exemple, et qui serait associée à une meilleure gouvernance des entreprises, allant de pair avec plus d'investissements, et donc plus de créations d'emplois. Cela permettrait de rapporter plus de 100 milliards d'euros à nos régimes de retraite lors des dix prochaines années. Ainsi, il deviendrait possible de financer les mesures de solidarité qu'ont évoquées mes collègues. On voit bien que le système de retraite est un sujet sociétal, le traiter en quelques semaines de débats parlementaires dans le cadre d'un PLFRSS est trop réducteur. Il n'y a pas de problème financier et nos concitoyens ont bien compris qu'on les emmenait dans une impasse. Nous faisons confiance à la représentation nationale pour ne pas voter ce projet de loi.
Je veux commencer par vous remercier. Je pense que nous devons nous voir régulièrement, indépendamment d'un tel projet de réforme.
Votre engagement est important : il permet à l'ensemble des personnes que vous représentez de mieux comprendre les réformes, grâce à votre travail de réflexion et de pédagogie. Vous voulez avancer sur l'égalité salariale entre hommes et femmes, sur le travail des seniors, sur le temps partiel, autant de sujets que nous essayons nous aussi de comprendre. Dans notre réflexion sur la manière de corriger les phénomènes qu'encourage notre système, nous ne pouvons nous passer de vous. Je veux vraiment dire le respect que j'ai pour votre travail. Les syndicats doivent être plus forts au sein des entreprises, et pas seulement au moment où il y a une réforme des retraites.
Pour autant, je n'ai pas été élue pour que l'on me dise ce que j'ai à faire. J'ai un parcours ; vous avez le vôtre. Nous avons des angles d'appréciation différents. Nous ne nous laisserons enfermer dans une seringue ni par les uns ni par les autres, nous devons nous respecter. À l'Assemblée nationale, au Sénat, dans la rue, nous laissons une mémoire collective. Le respect s'entretient ; il encourage la confiance.
En tant que rapporteurs, nous avons déjà eu l'occasion de vous poser des questions ; je laisserai donc la main à tous ceux qui n'étaient pas présents lors des auditions.
Nous sommes d'accord sur le constat, à savoir que le système est durablement en déficit. Pourquoi l'est-il ? Comme vous l'avez dit, ce n'est pas le fait d'un dérapage des dépenses, les travaux du COR ont permis de bien le comprendre.
Les éléments de langage existent des deux côtés et chacun s'abrite derrière les slogans qu'il affiche. Nous devons essayer de dire les choses factuellement, telles qu'elles sont. À chaque citoyen de se documenter, en fonction de sa curiosité personnelle. Il est important de ne pas s'en tenir à un seul son de cloche.
Oui, le système est durablement en difficulté. Avec moins d'actifs par retraité, les recettes vont manquer. Comment résoudre l'équation ? À peu près tous les autres pays européens de notre catégorie ont reculé l'âge de départ à la retraite, avec des systèmes certes un peu différents.
Monsieur Ricordeau, pouvez-vous nous apporter des précisions complémentaires sur le système à points que vous envisagez ? Dans quelles circonstances pourrait-on obtenir des points, avec quel niveau de salaire ? Il faut veiller à ce que le système reste juste. De fait, les Français tendent à se comparer les uns aux autres en matière de retraite.
Les avis sont divergents. Je suis en train d'étudier les différentes propositions. Elles sont intéressantes, mais aucune ne pourra compenser les inégalités qui existent au niveau du travail. De fait, notre feuille de route est très limitée : une réforme paramétrique ne peut pas tout gommer.
Oui, les carrières incomplètes entraînent des pensions incomplètes, mais la retraite par points est encore pire que le système par annuités ! Et ce n'est pas en claquant des doigts que l'on va faire disparaître les inégalités entre régimes.
Quoi qu'il en soit, on voit bien que le temps passé à la retraite a évolué sur les dernières dizaines d'années, alors que la natalité diminue. Mathématiquement, le système ne peut pas s'équilibrer.
Vous ne remettez pas en cause les 43 ans d'activité. Il faut bien les prendre en compte ; c'est la loi. Cependant, les carrières longues sont un sujet important. Quel est votre avis à leur sujet ?
Personne ne peut contester qu'il y ait une usure professionnelle après 43 ans ; elle est tout à fait normale. Nous essayons modestement de voir comment nous pouvons aménager la réforme de façon à la prendre en compte. C'est la raison pour laquelle nous envisageons d'en rester au droit actuel pour un certain nombre de dispositifs, comme l'incapacité permanente, qui permet un départ deux ans avant l'âge légal. Selon vous, permettre un départ à 60 ans permet-il de mieux tenir compte de l'usure professionnelle ? Certes il n'y aurait ainsi pas d'amélioration, mais il n'y aurait pas non plus d'aggravation, ce qui est peut-être déjà une avancée !
Une vie actuelle de durée moyenne comporte un temps d'éducation et de formation d'une vingtaine d'années, et vingt-deux à vingt-cinq ans de retraite. Bien souvent, les enfants des personnes très âgées sont déjà à la retraite. Avec le vieillissement de la population, il n'y a plus qu'un actif pour deux personnes en retraite ; le constat est incontournable : cet actif devra travailler un peu plus longtemps.
De ce point de vue, la retraite progressive peut être intéressante : ce serait une phase intermédiaire, de quelques années, qui assurerait la transition avec la vie active. Il faut que nous travaillions ensemble sur ce dispositif qui peut nous rassembler.
Que pensez-vous du maintien de la retraite progressive à 60 ans ? Avez-vous une proposition à me suggérer sur cette phase intermédiaire pour les seniors ?
À vous écouter, tantôt il n'y a pas de déséquilibre, tantôt il y en a un, mais il n'est pas dramatique ou pas très difficile à corriger.
Monsieur Ricordeau, vous évoquez un déséquilibre éventuel de 10 milliards d'euros. Pourriez-vous revenir sur les moyens d'y remédier ? Est-ce simplement en améliorant l'emploi des seniors ?
Vous avez tous abordé la question de la progression de l'espérance de vie, parfois en vous appuyant sur les travaux du COR, parfois en les contestant. Pourriez-vous préciser ce que vous pensez être juste dans les projections sur l'espérance de vie ?
Monsieur le représentant de la CGT, comment expliquez-vous que 5 000 retraités de la RATP, partis à 52 ans avec une pension moyenne de 2 800 euros, aient passé un nouveau contrat avec leur ancien employeur pour exercer le même travail ? Qu'en déduisez-vous en termes de pénibilité ?
Madame la rapporteure générale, j'apprécie le soutien franc que vous avez exprimé envers les syndicats. Nous pensons, nous aussi, que le renforcement du dialogue social est un élément clé pour les réformes qui doivent être menées dans notre pays.
Nous faisons des analyses comparatives entre pays européens sur les réformes sociales ; le dossier des retraites est un exemple type. Regardons comment les éléments de protection sociale ont été construits dans les modèles qui sont mis en exergue et quelle part de responsabilité y est donnée aux différents acteurs, notamment aux acteurs sociaux ; la question du poids des organisations syndicales et des organisations d'employeurs nous semble donc essentielle.
S'agissant de l'emploi des seniors, nous proposons de renforcer le dialogue social. Cela dit, nous ne sommes guère optimistes : dans l'équilibre politique qui est en train de se construire sur ce projet de réforme, les éléments de renforcement du dialogue social ne nous semblent pas promis à un grand avenir. Pourtant, on ne progressera pas sur les questions névralgiques de l'emploi des seniors et de la qualité des carrières sans renforcer le dialogue social. Or l'Assemblée nationale, depuis hier soir, va dans l'autre sens. Dans les quelques semaines qui sont devant nous, nous ne percevons pas la perspective d'un rendez-vous en vue d'une refondation plus profonde de notre système de retraite. Cela dit, un système à points peut être un moyen de renforcer notre système par répartition. La caisse de retraite complémentaire des salariés du privé Agirc-Arrco en est une belle démonstration : elle est très bien gérée, solide et tenue financièrement. Il est possible de s'appuyer dessus pour construire l'avenir. De même, certains systèmes à points recèlent une forme de solidarité qui permet des correctifs. Le débat actuel montre que, si l'on veut corriger les inégalités entre femmes et hommes et mettre un terme à l'une des principales injustices - les diminutions de pensions qui touchent les polypensionnés -, on ne pourra le faire que par une refondation de notre système de retraite. La construction des droits par sédimentation de réformes successives conduit inévitablement à créer des avantages et des inconvénients quand on fait bouger un curseur. Malheureusement, cette refondation n'est pas l'objet du rendez-vous qui nous est proposé, car un autre choix a été fait.
Sur l'usure professionnelle, le texte contient des avancées qui correspondent à des demandes de la CFDT : je pense à l'amélioration du C2P actuel, à l'abaissement des seuils, ou à la prévention, qui semble avoir un effet de levier dans le projet de loi. Le problème est qu'il n'y a pas d'amélioration concernant la réparation de l'usure professionnelle ; c'est cela qui justifie le désaccord fondamental de la CFDT. Aux salariés qui travaillent dans les menuiseries, à ceux qui passent leur carrière à porter des vitres ou des seaux de peinture, à tous ceux qui enchaînent les postures pénibles, le projet de réforme dit : « si vous présentez un taux d'incapacité, vous pourrez partir deux ans avant les autres, mais seulement à 62 ans - c'est-à-dire comme aujourd'hui ». En revanche, tous ceux qui ne sont pas cassés par leur carrière professionnelle devront aller jusqu'à 64 ans, ce qui, pour ces salariés, est tout simplement inenvisageable. Notre proposition est de permettre aux salariés exposés aux trois critères ergonomiques que sont le port de charges lourdes, les vibrations mécaniques et les postures pénibles de bénéficier d'un droit à la retraite anticipée, en fonction de critères et de seuils qui auront été définis par les branches professionnelles. On nous avait objecté qu'un tel mécanisme serait une usine à gaz, mais il est tout à fait possible de le mettre en place de façon très simple. Nous avons fait des propositions, dans le cadre de la concertation, qui permettent de résoudre les problèmes, mais cela bloque au niveau de la décision.
Nous sommes d'accord avec vous sur la retraite progressive : il faut renforcer tous les dispositifs permettant de baisser l'intensité du travail dans la dernière partie de carrière. Ainsi, on améliorera la qualité de l'emploi. Malheureusement, le débat à l'Assemblée nationale montre que le consensus politique tend à ce que l'on ne fasse rien sur l'emploi des seniors, à l'inverse de ce qui est nécessaire pour assurer l'avenir du système de retraite.
Nous avons besoin d'un débat franc et direct sur la durée de cotisation : depuis vingt ans, la CFDT demande une répartition de l'augmentation de la durée de vie entre la carrière et la retraite, et souhaite jouer sur la durée de cotisation. Nous ne remettons donc pas en cause la réforme Touraine et les 43 années. Mon propos sur les perspectives financières visait le déséquilibre existant. Le rétablissement de l'équilibre soulève la question des recettes, comme mes voisins l'ont indiqué. Affinons ce qui a été construit dans la perspective de l'équilibre financier, s'agissant notamment de l'emploi public. Dans le projet de loi, les perspectives le concernant constituent un élément de confrontation : faut-il baisser de 10 % la masse salariale de l'emploi public ? Si oui, dites-nous comment ! Le débat n'est pas posé selon ces termes : il faut non seulement prendre en compte la démographie, mais aussi l'emploi des seniors et la qualité de l'emploi.
Ces échanges sont nécessaires : se connaître, c'est se rencontrer et se comprendre. Les menaces n'ont pas lieu d'être, mais les alertes sont insistantes. Toutes les organisations syndicales ont transmis le 7 février dernier un communiqué invitant le Gouvernement et les parlementaires à ne pas rester sourds face à cette mobilisation puissante et au fait que neuf Français sur dix rejettent cette réforme. Dans une démocratie qui fonctionne, on doit écouter la large majorité de la population qui s'oppose à cette réforme. Tous syndicats confondus, nous rappelions que les parlementaires doivent prendre leurs responsabilités et rejeter ce projet de loi : solennellement, toutes les organisations syndicales et les organisations de jeunesse vous alertent.
Nous dénonçons unanimement les contre-réformes successives, et notamment les ordonnances Macron de 2017, qui donnent plus de pouvoir aux directions d'entreprise et moins de droits aux représentants des salariés, facilitant ainsi les licenciements. Dans un rapport, l'ancien Défenseur des droits Jacques Toubon avait relevé l'ampleur de la discrimination syndicale. Vous savez à quoi cela a abouti : à deux années de « gilets jaunes ». Nous ne souhaitons pas que cela se reproduise, mais une mobilisation aussi massive de la population est une alerte forte. La France est le deuxième pays au monde pour la richesse produite par salarié, et le premier en Europe. Où partent les richesses créées ? La part destinée aux salariés fond au regard de celle qui revient à ceux qui détiennent les entreprises ; la conséquence, ce sont des salaires amoindris et de petites retraites. Vous êtes les représentants de la République. La France est le seul pays au monde où il n'y a quasiment plus de retraités pauvres, grâce au système de répartition solidaire que le Conseil national de la Résistance a créé, et auquel nous sommes tous très attachés ; cette exception française protège et défend. Dans vos permanences, les citoyens vous alertent sur les risques, car ils sont conscients de leur chance, et de leurs droits.
Sur la réforme, notre constat est unanime : le COR annonce un déficit, dans quelques années, de peu ou prou 12 milliards d'euros, soit de 3 % par rapport aux pensions versées. Les déficits des ménages ou de l'État sont d'une autre ampleur, celui des entreprises privées est gigantesque ! Comme l'indique le président du COR lui-même, cela ne constitue pas une alerte. Nous ne le balayons pas pour autant du revers de la main ; nous devons trouver des solutions. Tout d'abord, il faut travailler à l'égalité hommes-femmes : il y a encore 27 % d'écart de salaire moyen entre les femmes et les hommes. Il faut y remédier non seulement pour lutter contre cette inégalité, mais aussi pour bénéficier des 5,5 milliards d'euros que cela rapporterait, selon l'estimation de la Caisse nationale d'assurance vieillesse (Cnav) ! Ensuite, remarquons que le déficit n'a pas été important en 2020 et en 2021, et qu'en 2022, malgré des prévisions alarmistes, le régime est excédentaire en milliards d'euros. Il faut protéger et anticiper : augmenter les salaires et les cotisations sociales permettrait de rehausser les pensions. Nous ne demandons pas beaucoup : une revalorisation du Smic pour vivre décemment, une indexation des minima de branche sur l'inflation, non pour gagner plus, mais pour ne pas gagner moins. Enfin, une augmentation symbolique des cotisations patronales et salariales, d'une poignée d'euros pour un Smic, qui permettrait l'équilibre du système, sans qu'aucune pension soit en dessous du Smic. Quand on travaille, on a droit au Smic ; pourquoi n'y aurait-on plus droit une fois retraité ? Pour terminer sur le financement du système, les exonérations de cotisations sociales représentent plusieurs dizaines de milliards d'euros. Pourquoi ne pas les conditionner, et les retirer aux entreprises qui licencient avant 60 ans ? Nous pouvons vous fournir une liste.
Monsieur Savary, cette loi cumule deux éléments : le relèvement de l'âge de départ et l'accélération de la loi Touraine. Cela provoque un effet cumulatif. Les années les plus pénibles sont celles de la fin de carrière ; les meilleures années de retraite sont les premières. Si je comprends bien votre appréciation, vous nous disiez, poliment, de ne pas nous emballer... Enfin, pour l'ensemble des organisations syndicales, ce n'est ni 63 ans ni 64 ans ; 62 ans, c'est déjà trop. Vous avez évoqué la question des carrières longues, mais la moitié des actifs ne sont plus au travail à 60 ans ! Il faut bien résoudre le problème causé par ceux qui nous licencient avant cet âge ! Si on ne travaille pas sur l'inégalité entre les hommes et les femmes, les carrières longues, les licenciements, les maladies ou le revenu de solidarité active (RSA), le sas de précarité des retraités augmente, comme vous le constatez dans vos circonscriptions.
Sur les régimes pionniers les plus protecteurs, je partage certains éléments, mais je vous alerte à nouveau : leurs caisses sont excédentaires, comme c'est le cas pour les énergéticiens ou pour votre régime autonome. Vous remettez donc en cause des régimes à l'équilibre, qui protègent et qui sont efficaces. Ce n'est pas la solution.
La retraite est la résultante de la carrière. Les difficultés doivent donc être abordées pendant la carrière, et non une fois à la retraite ; il faut d'abord travailler sur les conditions d'emploi, le maintien dans l'emploi, les augmentations de salaire, et conditionner certaines exonérations bénéficiant à certaines entreprises.
Concernant les régimes spéciaux, il y a bien souvent des surcotisations, ou un système de financement qui permet l'équilibre des caisses, comme c'est le cas de celle des clercs de notaires par exemple. Pourquoi supprimer ces régimes ? Ils sont historiques, ils existaient avant 1945, et ils font partie du contrat social de l'entreprise. Je rencontre souvent les dirigeants de la RATP ou d'EDF, par exemple, et ceux-ci sont d'accord avec nous : si vous supprimez ces avantages, il faudra inventer de nouvelles compensations pour les salariés. Dans de grandes entreprises, cela soulève un risque de conflits sociaux internes.
L'espérance de vie en bonne santé doit être la plus longue possible ; mais plus on part tard, plus elle est faible. N'oublions pas, en outre, que nous n'avons pas pris en compte dans son calcul les catastrophes climatiques. Pourtant, les employés obligés de travailler pendant les canicules dans des entrepôts surchauffés ou sous le soleil auront une espérance de vie moindre. Prolonger la carrière, comme le propose le Gouvernement, c'est mettre en danger les travailleurs.
Nous sommes favorables à la retraite progressive, fixée dans la loi, puis dans des accords de branche et des accords d'entreprise, mais celle-ci ne doit pas conduire à baisser les pensions. Il faut donc envisager des compensations de cotisations pour que le salarié bénéficie d'une pension à taux plein. À terme, si l'on se réfère à l'article 1er voté à l'Assemblée nationale, on se dirige vers un régime unique. Là est la difficulté posée par M. Ricordeau concernant la masse salariale de la fonction publique : la réduire, c'est réduire les cotisations.
Nous avons fait des propositions sur le C2P. Les organisations syndicales étaient toutes d'accord pour le faire progresser, le déplafonner et reprendre l'ensemble des critères ergonomiques. Nous avons proposé qu'un C2P comptant plus de 100 points permette de partir à la retraite plus tôt. À côté de cela, il faut inventer un droit à la transition professionnelle pour les salariés exerçant des métiers pénibles, afin que ceux-ci puissent rester dans l'emploi en passant la deuxième partie de leur carrière dans des emplois moins pénibles. Ce droit n'existe pas aujourd'hui, mais les financements nécessaires sont disponibles, il faut responsabiliser les entreprises.
Pour les carrières longues, mon organisation continue à s'opposer aux 43 ans d'activité. Aujourd'hui, la majorité des jeunes rentre vraiment sur le marché du travail et commence à cotiser à 25 ans ; en rajoutant 43 années de cotisation, on arrive bien au-delà de 64 ans. Repousser l'âge de départ est inutile et démagogique.
Pour projeter l'évolution de l'espérance de vie, faut-il prolonger la pente de la droite sur les cinq dernières années, sur les dix dernières années ou sur les vingt dernières années ? C'est un débat de statisticiens. L'Insee a choisi, dans son dernier rapport sur la démographie de la France, qui date de 2021, un prolongement sur la longue période. D'autres méthodes sont possibles : une étude de l'OCDE montre ainsi que si l'on prend en compte l'état du système de santé, le niveau des pollutions environnementales, etc., on parvient à des résultats différents. L'espérance de vie constatée en 2021 est inférieure d'un an aux projections établies en 2011 pour la loi Touraine. En 2022, elle est inférieure au niveau de 2017. L'esprit de la loi Touraine était d'allouer deux tiers des gains d'espérance de vie à la vie active, un tiers à la retraite ; en s'appuyant sur l'espérance de vie constatée, il faudrait donc s'arrêter à 42 ans de cotisations ! Il convient aussi de tenir compte de la pénibilité psychique : les arrêts de travail qui lui sont liés se multiplient. Beaucoup de cadres considèrent d'ailleurs ce projet de loi comme liberticide, car ils souhaitent conserver la possibilité de partir à la retraite sans avoir cotisé tous les trimestres ; c'est une des explications principales de la mobilisation actuelle. Il ne faut pas réduire un système de retraite à un facteur unique. Le ratio entre actifs et retraités est inférieur à 1 dans la fonction publique d'État, à cause de la réduction des embauches au statut, ce qui explique le problème de recettes. L'État est un très mauvais gestionnaire de la retraite de ses salariés ; pour autant, ce n'est pas à eux de travailler deux ans de plus, mais bien à l'État de mobiliser tous les leviers de recettes, notamment grâce à un meilleur partage de la valeur. Il faut aussi traiter le sujet de l'évasion fiscale pour faire entrer de l'argent dans les caisses. Par exemple, l'article 82 du code général des impôts permet à certaines entreprises de proposer des retraites chapeau à leurs dirigeants, en payant elles-mêmes leurs impôts ; autant d'argent perdu pour l'investissement et la création d'emploi.
En outre-mer, et particulièrement en Guadeloupe, le taux de chômage des jeunes est très élevé et les femmes travaillent peu ; celles qui travaillent ont des carrières chaotiques. J'ai entendu dire qu'il n'y avait pas en France de retraités pauvres, mais, en tant que vice-présidente d'un centre communal d'action sociale (CCAS), j'ai vu beaucoup de femmes retraitées qui avaient du mal à payer leur loyer et leurs factures. Quant aux jeunes, beaucoup sont au chômage ou enchaînent les contrats saisonniers - sans compter le trafic de drogue... Quel sera l'impact de la prolongation de la durée de cotisation sur eux ? On parle beaucoup des seniors, mais je suis inquiète pour les populations de ces territoires.
Monsieur Ricordeau, vous avez souligné que la situation financière des régimes de retraite était très différente au moment de la réforme Touraine. Avez-vous des éléments plus précis ?
Le système des carrières longues est modifié : quelqu'un qui a commencé à travailler à 18 ans devra travailler jusqu'à 62 ans au lieu de 60. La Première ministre annonce que le Gouvernement va y remédier. Pourront-ils partir à 61 ans ? Y a-t-il des discussions sur ce thème ?
La question de l'emploi des seniors est primordiale. Je considère d'ailleurs ce texte comme un projet de loi financier, parce qu'il faudrait aborder le sujet de la retraite via celui du travail. Monsieur Ricordeau, vous semblez regretter le vote de l'Assemblée nationale hier. Certes, les mesures sur les seniors ont été rejetées, mais ces mesures et rien, c'était à peu près pareil... Voyez ce qui se passe en matière d'égalité salariale hommes-femmes : la loi n'est toujours pas respectée.
Le dialogue social ne doit pas avoir lieu à l'Assemblée nationale ou au Sénat, mais dans les négociations avec les syndicats. Ne pensez-vous pas que c'est là que le bât blesse ?
Quel bilan faites-vous des réformes précédentes, notamment le passage de 60 à 62 ans ? Ce texte nous est vendu avec la réintroduction de trois critères de pénibilité, alors que quatre avaient été supprimés en 2017. Or les statistiques montrent que ces critères tendent à s'aggraver, qu'il s'agisse des contraintes et risques physiques, de l'intensité, de la contrainte de temps, de rythme, qui sont aussi des facteurs de risques psychosociaux. Tout cela explose. Cette réforme ajoute deux ans de cotisations pour ceux qui sont exposés à ces risques, sans tenir compte de l'évolution tendancielle, dont la suppression du CHSCT est au demeurant un facteur d'explication.
En réalité, la durée de la retraite est en baisse : on a rogné sur l'espérance de vie en bonne santé. Le passage à 62 ans a affaibli l'effet redistributif de la retraite ; on peut penser que passer de 62 à 64 aura des conséquences encore plus dures.
Dans ce texte, le Gouvernement propose de réintégrer trois des quatre critères supprimés en 2017 : il s'agit des trois critères ergonomiques, mais rien n'est prévu pour le risque chimique. Qu'en pensez-vous ?
Quel est votre avis sur la proposition de créer un Fonds d'investissement pour la prévention de l'usure professionnelle ?
Je tiens à féliciter les organisations syndicales pour l'absence de débordements, alors que des millions de personnes sont dans la rue, y compris dans les petites villes, comme Saint-Omer.
Avez-vous des chiffres précis sur l'espérance de vie en bonne santé, selon les professions et les milieux sociaux ?
Sur la retraite minimale à 1 200 euros bruts, on entend beaucoup de choses, mais le Gouvernement n'est pas en mesure de nous indiquer le nombre de personnes qui les toucheront. Avez-vous un chiffre ? De combien ces personnes seront-elles augmentées en moyenne ? Pensez-vous que le report de l'âge de la retraite mettra de nouvelles personnes en situation de précarité ?
Il aurait fallu davantage de dialogue social avant le dépôt du texte, notamment sur le travail des seniors. Au niveau européen, la France est le mauvais élève sur ce plan. Quelles solutions pour la retraite progressive et le travail partiel ? Faut-il passer par les incitations fiscales ou les sanctions pour que les PME conservent les seniors ? Monsieur Vacheron, vous estimez que les aides-soignantes et les infirmières ne devraient pas travailler jusqu'à 64 ans, en raison de la pénibilité de ces emplois. Je suis d'accord, mais qui doit mettre en place les critères de qualification d'un travail pénible ?
Certains de nos collègues députés, conduits par Philippe Juvin, proposent de mettre en place un régime additionnel et d'introduire une part de capitalisation dans le système. Qu'en pensez-vous ?
En France, 33 % des seniors sont en emploi. Comment inciter les entreprises à les embaucher davantage ?
Il faut clarifier ce que recouvrent les 1 200 euros par mois dont parle le Gouvernement, car avec les 87 % du SMIC évoqués, cela ne fait pas le compte.
Quelles pistes envisagez-vous pour l'emploi des seniors ainsi qu'en matière d'égalité de salaire entre les femmes et les hommes ?
On constate tous les jours que l'on ne peut pas engager une réforme sociale d'une telle ampleur sans un paritarisme fort, d'où la nécessité de le renforcer dans les années à venir.
Premièrement, n'a-t-on pas une vision passéiste de la pénibilité ? Il faudrait également prendre en compte la pénibilité psychique, par exemple pour les enseignants en collège ou en lycée dans des établissements difficiles.
Deuxièmement, s'agissant de feu l'index seniors, un système de bonus-malus pourrait-il être envisagé ?
Troisièmement et enfin, la majoration de pension serait-elle à même de renforcer véritablement notre politique familiale, alors que la question du renouvellement des générations est posée ?
Nous sommes confrontés, malgré tout, à un problème d'équilibre du régime de retraite, même si on tente de le faire disparaître en jouant sur certains curseurs. Le calcul de la réforme se fonde sur un taux de chômage très faible, inférieur à 5 %, ce qui suppose que les seniors restent dans l'entreprise ; dès lors, l'enjeu se trouve d'abord dans l'augmentation des recettes. Compte tenu des difficultés de pouvoir d'achat, la hausse des cotisations ne me semble pas envisageable. Qu'en pensez-vous ? Que proposez-vous sur ce point ?
La France est l'un des pays d'Europe où l'âge de départ à la retraite est le plus bas, alors que l'Italie, par exemple, est prête à le porter à 69 ans. En quoi la France serait-elle meilleure que les autres en la matière ?
Tout d'abord, pourriez-vous vous exprimer plus longuement au sujet de la natalité ?
Ensuite, certains critères de pénibilité ont été supprimés ; faut-il les rétablir ? Je pense notamment à l'exposition aux agents chimiques.
Enfin, à travail égal, salaire égal : c'est écrit dans la loi du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes, qui a presque dix ans. Comment expliquez-vous, dès lors, la problématique dont nous discutons aujourd'hui ?
Aujourd'hui, le débat public part d'un besoin de financement de 10 milliards d'euros par an, contre 30 milliards d'euros par an en 2014 et 50 milliards d'euros par an en 2010. En outre, en 2010 comme en 2014, l'on anticipait une chute libre de l'équilibre financier du régime. Ce n'est plus le cas actuellement. Pourquoi donc, alors même que l'horizon financier est moins défavorable, nous propose-t-on la réforme la plus brutale ? Celle-ci vise en réalité l'assainissement des finances publiques, qui ont encore été dégradées par la crise du covid. Pour la CFDT, on ne saurait toutefois les rétablir en ajustant uniquement la protection sociale des travailleurs, alors que l'on ne s'attarde ni sur la fiscalité ni sur les aides publiques destinées aux entreprises.
Au sujet des carrières longues, nous avons entendu les annonces de la Première ministre, hier à l'Assemblée nationale. À présent, nous avons besoin de prendre connaissance du projet de décret, car la loi ne contient rien de précis à ce sujet. C'est une question de transparence.
Au cours de la concertation avec le ministère, nous avons trop souvent dû nous contenter d'éléments oraux à propos des carrières longues et nous avons fini par exiger des tableaux et des informations précises. C'est particulièrement important pour la CFDT, qui est à l'origine de ce dispositif.
L'index seniors est un outil, mais ce n'est pas lui qui va faire la politique en faveur de l'emploi des seniors dans notre pays. S'agissant de la suppression de l'article 2 survenue à l'Assemblée nationale, nous sommes en revanche inquiets de la position du groupe Les Républicains, qui a fait part de son refus d'abaisser le seuil du dispositif et de renforcer la négociation en entreprise. Dans le projet de loi initial, les mesures en faveur de l'emploi des seniors n'étaient déjà pas ambitieuses, que va-t-il en rester à l'issue des débats au Sénat ?
Pour définir la pénibilité, quatre critères avaient été retenus en 2017. Toutefois, l'exposition aux agents chimiques dangereux est difficile à établir individuellement. Nous en sommes convenus avec le ministère du travail : il est compliqué de retenir ce critère dans le C2P. Cette question relève plutôt, à notre sens de normes protectrices des travailleurs attachées à ces produits. En revanche, les trois critères ergonomiques de 2017, qui provoquent 95 % des TMS professionnels, constituent un point névralgique. Or le Gouvernement ne veut pas qu'ils reviennent dans le C2P ; ce faisant, il empêche les réparations auxquelles un certain nombre de salariés ont droit. Pour nous, ces trois critères doivent être rétablis.
On invoque souvent le benchmark européen. N'oublions pas que l'âge d'ouverture des droits est de 62 ans en France actuellement, mais que l'âge de départ moyen a dépassé ce seuil. À l'étranger, bon nombre de salariés choisissent la décote, en partant avant l'âge légal. Notre système de retraite par répartition a sa propre histoire sociale, comme c'est le cas dans chaque pays européen.
Les organisations syndicales européennes soutiennent unanimement notre mobilisation, il est important de le rappeler.
La réforme de 1993 a contraint 22 millions de salariés du privé de passer des dix meilleures années aux vingt-cinq meilleures années pour calculer la base de la pension, laquelle a ainsi perdu plus de 20 %. En 2010, lors du passage de 60 à 62 ans, même l'inspection générale des affaires sociales (Igas) avait souligné l'allongement considérable du sas de précarité. À chaque réforme, c'est aux salariés de payer. Pour nous, il s'agit véritablement de contre-réformes, qui se font au détriment des salariés. À l'inverse, la réforme de 1982 a permis une augmentation des pensions.
J'approuve complètement les propos de Mme Jasmin au sujet des femmes ; bien sûr, il y a toujours trop de retraités pauvres, mais nous avons moins de retraites de misère que les autres pays européens. C'est pourquoi l'instrumentalisation de la question des 1 200 euros a été indécente. Comme mes collègues syndicalistes, j'ai participé aux concertations, qui ne furent jamais des négociations : aujourd'hui, au Gouvernement, personne n'est à même de détailler le calcul conduisant au rehaussement de la retraite minimale à 1 200 euros.
J'entends que la situation s'améliore sur le front de l'emploi, mais de quel emploi parle-t-on : de l'emploi précaire, des apprentis ? Aujourd'hui, dans tous les cas de figure, il y a 6 millions de chômeurs et si l'on fait travailler les anciens plus longtemps, il n'y aura pas de travail pour les jeunes.
Sur la question des carrières longues, il faut prendre en compte la situation des proches aidants, des congés de maternité et de paternité, mais aussi les années d'études : si l'on accomplit des études, c'est bien pour être plus performant dans son travail ! Il en va de même du chômage, qui a fait l'objet d'attaques d'une violence absolue, ou de la maladie.
Au sujet de la pénibilité, nous défendons une politique de contrôle et de conditionnalité des aides publiques. Selon nous, un trimestre doit être validé par année d'exposition aux critères de pénibilité, dans la limite de cinq années. Il est ici question des femmes de ménage ou encore des travailleurs postés appliquant les « trois-huit », pour lesquels ces mesures sont le moyen de bénéficier d'une retraite décente.
Les quelque 300 milliards d'euros de retraites versés chaque année aiguisent évidemment les appétits de ceux qui y voient un marché, quand il s'agit d'un bien commun ; la capitalisation, ce sera des retraites de misère pour le plus grand nombre, car tout le monde ne pourra pas se l'offrir. Est-ce cela, la société française que nous voulons ?
Je regrette que ce temps d'échange ne soit pas plus long, tant les incompréhensions me paraissent nombreuses ; lors d'une audition à l'Assemblée nationale, une de mes collègues de la CFTC demandait : que vous avons-nous fait pour que vous nous infligiez ce projet ?
Pour Force ouvrière, le minimum de pension doit être le Smic ; en France, le seuil de pauvreté est à 1 102 euros et beaucoup de retraités perçoivent une pension inférieure à cela. 18 % des Français en grande pauvreté résident dans les outre-mer, où le problème est d'abord celui de la cherté de la vie. Il faut donc travailler au pouvoir d'achat et à la pérennité des emplois dans les territoires ultramarins.
Nous ne souhaitons pas que l'institution de la retraite progressive entraîne une baisse du niveau des pensions ; cela étant, pourquoi ne pas revenir au contrat de génération ? S'il n'a pas fonctionné, c'est parce que les entreprises n'en ont pas voulu ; et s'il est trop connoté « François Hollande », il suffit de changer son nom !
Mon organisation est opposée à la capitalisation, laquelle ne fonctionnera pas si elle est subie ; le moindre krach boursier entraînerait une réduction des pensions. Tous les pays qui ont opté pour ce système, notamment les pays nordiques, reviennent aujourd'hui sur leur choix. La retraite par répartition adossée à une caisse complémentaire gérée par les partenaires sociaux reste le montage le plus efficace. Un chapeau de capitalisation ne profiterait qu'aux plus riches des retraités.
Enfin, j'espère que le taux de chômage sera, demain, à 5 %, mais on a bien du mal à passer sous les 7 % ; à cet égard, le déficit projeté est artificiel. Avec 5 % de chômage, nous aurons, certes, plus de cotisations, mais encore faut-il que les emplois soient pérennes et à temps complet. Travaillons d'abord sur l'emploi et sur les contrats de travail, avant de réduire l'indemnisation chômage de 25 % ou de faire travailler les Français deux ans de plus.
Le COR parle du PIB et du taux de chômage en catégorie A, mais la situation de l'emploi ne saurait s'y résumer. Or, comme le souligne l'Insee, le halo du chômage ne se réduit pas et concerne 2 millions de personnes. C'est d'abord la masse salariale qui doit augmenter, plutôt que les taux de cotisation, via un partage de la valeur rééquilibré. Il faut bel et bien oeuvrer en faveur du travail et de l'emploi avant de parler des retraites ; de même, il faut commencer par établir une gouvernance responsable des entreprises, avant de parler de capitalisation. Aujourd'hui, les retraites par capitalisation sont un frein au développement des grandes entreprises, qui rechignent à investir et privilégient leurs dividendes. Le patron de BlackRock a ainsi indiqué, au mois de mai dernier, qu'il ne revenait pas aux entreprises d'investir dans la transition écologique et énergétique, mais bien à l'État de la financer. Ces propos s'expliquent parce qu'il est sous la pression des fonds de pension qui sont ses clients. Nous pourrions nous satisfaire d'une capitalisation marginale, mais sous les conditions que je viens d'énoncer. Allez demander à nos collègues de Latécoère ce qu'il advient de leur usine neuve, eux dont l'actionnaire principal est un fonds d'investissement ! Un système de retraite qui aurait vocation à faire renvoyer des salariés pour produire des dividendes n'aurait pas de sens.
Les comparaisons internationales sont dénuées de pertinence, qu'il s'agisse des âges de départ ou des masses considérées. En outre, l'objectif du pays doit être d'au moins renouveler ses générations ; or ce qui pénalise la natalité, c'est d'abord la précarité des jeunes, dont notre système de retraite est également victime. Dans la même logique, il est urgent de remédier à l'anxiété écologique. Le Gouvernement devrait se pencher sur ces sujets plutôt que de consacrer des ressources à une réforme des retraites inutile, injuste et brutale.
Le courrier qui a été adressé aux députés vous sera également envoyé à tous individuellement.
L'histoire retiendra peut-être que c'est pendant notre audition au Sénat que notre pétition a franchi la barre du million de signataires !
Nous vous remercions de cet échange, musclé au départ, mais indispensable.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Nous poursuivons avec les représentants des organisations patronales notre matinée d'audition des partenaires sociaux sur le projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023.
L'Union des entreprises de proximité (U2P) m'a fait savoir qu'elle ne pourrait être représentée.
Nous entendons Mme Diane Deperrois, présidente de la commission protection sociale du Mouvement des entreprises de France (Medef), et M. Éric Chevée, vice-président chargé des affaires sociales de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME).
Je vais donner la parole à nos intervenants afin qu'ils exposent brièvement les principales observations de l'organisation qu'ils représentent sur ce texte ; puis le débat s'engagera avec nos rapporteurs, Élisabeth Doineau, René-Paul Savary et Sylvie Vermeillet, rapporteure pour avis de la commission des finances, ainsi qu'avec les commissaires.
Ce projet de loi reçoit, de notre part, un avis globalement positif : nous saluons une réforme courageuse et équilibrée, à même de préserver durablement le système de retraite par répartition.
En la matière, il n'y a pas de recette miracle : pour assurer l'avenir de ce modèle social tout en maintenant le pouvoir d'achat des actifs et des retraités, il faut travailler plus longtemps. Si nous ne faisons rien, la situation va continuer à se dégrader, ce qui n'est ni souhaitable ni soutenable, qui plus est dans un tel contexte économique et financier - les déficits publics n'ont jamais été si élevés. Je rappelle d'ailleurs que, tous les ans, l'État injecte une somme d'environ 30 milliards d'euros, qui n'apparaît pas dans les projections financières, afin de financer le déficit structurel des régimes publics, lequel est lié aux déséquilibres démographiques et au maintien de règles de calcul spécifiques. Selon nous, le besoin réel de financement est donc bien supérieur à celui qui est présenté aujourd'hui.
Nous comprenons que cette réforme appelle des ajustements. Ils sont légitimes, car il faut tenir compte des populations les plus précaires. De même, il faut prévoir des mesures d'accompagnement pour les personnes accomplissant des carrières longues, pour les travailleurs handicapés, pour les personnes inaptes ou invalides, ainsi que pour les salariés soumis à une forte pénibilité. Toutefois, ces ajustements réduisent le rendement net de la réforme. En ce sens, ils appellent notre vigilance.
Le projet de loi entérine la suppression progressive des régimes spéciaux : c'est une mesure de justice que nous attendions. Nous notons également l'abandon du transfert de recouvrement des cotisations Agirc-Arrco vers les Urssaf, une mesure demandée par l'ensemble des organisations syndicales et patronales. En outre, des évolutions des mécanismes de transition emploi-retraite ont été retenues, qu'il s'agisse de la retraite progressive ou du cumul emploi-retraite ; nous avions plaidé en ce sens. Pour ce qui concerne l'usure au travail, nous notons l'évolution des droits acquis au titre du compte professionnel de prévention (C2P) et du dispositif Woerth-Bertrand. Ce projet de loi crée un mécanisme de prise en compte des troubles musculo-squelettiques (TMS) assorti d'un volet de prévention. Avec les différents partenaires sociaux, notamment avec M. Chevée, nous avons précisément négocié en 2020 un accord national interprofessionnel (ANI) portant sur la santé au travail, lequel s'est ensuite traduit par la loi du 2 août 2021. Nous avions particulièrement à coeur de travailler ce volet de prévention. Nous tenions également au filtre médical prévu au titre de la réparation. Cela étant, il nous paraît important que la désignation des métiers les plus exposés ne procède pas des négociations de branche, mais de la branche accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP). Pour nous, c'est bel et bien d'elle que relève ce travail. De surcroît, il ne vous aura pas échappé qu'une négociation est en cours entre organisations syndicales et patronales au sujet de la branche AT-MP ; il importe qu'elle puisse aboutir. En parallèle, le projet de loi crée un filtre médical sur la base d'un avis du médecin du travail. Bien sûr, ce praticien joue un rôle très important. L'ANI que j'évoquais précédemment l'a consacré ; nous avons même instauré une visite de mi-carrière et nous mesurons toute l'importance de la visite de fin de carrière en matière de santé au travail. Mais, à nos yeux, l'avis relatif à une éventuelle inaptitude doit être émis par le médecin de la sécurité sociale. Il s'agit là d'un point très important. Nous n'avons jamais demandé l'échange, opéré par le projet de réforme, entre les cotisations des branches AT-MP et retraites. Nous serons particulièrement vigilants à cet égard, car il faut garantir une pleine équivalence des transferts. J'ajoute qu'il importe de préserver le champ de la démocratie sociale. Quant à l'index seniors, nous n'y sommes pas favorables. Si l'index de l'égalité interprofessionnelle entre les femmes et les hommes repose sur des obligations légales, cet index seniors n'a pas de socle. En outre, les entreprises présentent des profils très différents, qu'il s'agisse de leur taille, de leurs activités ou de leur démographie, laquelle dépend aussi de leur ancienneté ; cette réalité exclut de facto les indicateurs monolithiques. J'ajoute que nous manquons de visibilité quant au fonctionnement de ce dispositif. Dans certains cas, si le taux de seniors recule, c'est tout simplement parce que le nombre d'apprentis a augmenté : pensons à l'équilibre général et aux situations particulières de nos entreprises. S'il devait y avoir un index, il faudrait privilégier les indicateurs définis par les branches, maîtrisables par les entreprises et mis en oeuvre dans le respect de leur dynamique propre. Au surplus, un tel outil devrait être réservé aux entreprises de taille significative : en ce sens, il me semble indispensable de rétablir le seuil de 300 salariés. De même, des sanctions appliquées de manière uniforme nous paraissent absolument inenvisageables. Lors des concertations auxquelles le Gouvernement nous a conviés, nous avons beaucoup insisté sur l'employabilité des seniors. Nous avons souligné l'importance des bilans de compétences et des entretiens professionnels organisés tous les deux ans. C'est dans ce cadre que les employés doivent aborder leur seconde partie de carrière avec leur employeur, en traitant des questions de formation et d'employabilité. Nous accordons beaucoup d'importance à ce dialogue. L'accès aux différents dispositifs de reconversion est, lui aussi, un enjeu capital pour le Medef. Traduisant le voeu des organisations syndicales et patronales, toutes confondues, la loi du 2 août 2021 pour renforcer la prévention en santé au travail a instauré une visite permettant de prévenir la désinsertion professionnelle. Ce double cadre, relatif à la santé au travail et à l'employabilité, nous paraît tout à fait vertueux : il est à même d'engager les entreprises, quelle que soit leur taille, dans cette dynamique de la seconde partie de carrière. Enfin, nous relevons la volonté de taxer les indemnités de rupture avant la retraite. La rupture conventionnelle, dispositif vieux d'environ quinze ans, est souvent plébiscitée par les salariés eux-mêmes. Soyons vigilants : cette procédure simple, généralement amiable, est à la fois flexible et bien plus protectrice qu'une simple démission. Par ricochet, une telle taxation pourrait freiner les embauches.
Le but premier de cette réforme est de garantir l'équilibre global du régime de retraite par répartition. Il s'agit là d'un sujet d'inquiétude perpétuel pour la CPME, à moyen et long terme : à l'avenir, les taux de remplacement des jeunes seront bien plus faibles qu'ils ne le sont aujourd'hui. Voilà pourquoi la CPME souhaitait à l'origine reporter l'âge de départ à 65 ans, compte tenu des différentes mesures d'accompagnement et des dérogations nécessaires. Le compromis proposé par le Gouvernement nous paraît le bon. Il permet de rétablir l'équilibre du système de retraite à moyen terme et contient des mesures de solidarité absolument essentielles, que nous soutenons sans ambiguïté.
Premièrement, le dispositif d'usure professionnelle représente un droit nouveau à la prévention. Je reviendrai sur cette innovation ; très important pour la CPME, ce sujet est intimement lié aux dispositifs relatifs aux carrières longues, auxquels nous sommes aussi très attachés.
Deuxièmement, le minimum de pension doit être fixé à 85 % du Smic pour toutes les carrières complètes, passées et à venir. Lors de la concertation menée par le Gouvernement, nous avons fait un certain nombre de propositions pour que toutes les catégories d'actifs puissent bénéficier de cette mesure, tout spécialement les commerçants et les artisans.
Troisièmement, l'annulation de la décote est maintenue à 67 ans ; cette disposition nous paraît particulièrement équitable.
Quatrièmement et enfin, en cas d'invalidité ou d'incapacité, le départ à 62 ans est lui aussi maintenu ; à nos yeux, c'est indispensable, d'autant que le nouveau dispositif de prévention de l'usure professionnelle est à même de permettre des départs anticipés pour les catégories exposées.
Les dispositifs destinés à faciliter le cumul emploi-retraite et la retraite progressive méritent bien sûr d'être développés dans les entreprises. Dans les très petites entreprises (TPE) comme dans les petites et moyennes entreprises (PME), où l'on a coutume de garder les compétences le plus longtemps possible, le cumul emploi-retraite semble être le plus adapté. Il peut également être utile de conserver lesdites compétences après l'âge d'ouverture des droits pour assurer la transmission des connaissances. Mais, pour l'heure, nous sommes bloqués par la franchise de six mois imposée avant de revenir chez le même employeur. Nous avons soumis quelques propositions sur ce sujet. En parallèle, nous saluons les grandes améliorations apportées au C2P ; nous y avons beaucoup travaillé avec le Gouvernement. Dans les petites entreprises, notamment dans l'artisanat, les chefs d'entreprise sont aussi concernés que leurs salariés par les questions d'usure professionnelle. Toutefois, les critères supplémentaires prévus en un autre temps avaient débouché sur une véritable usine à gaz ; mieux vaut opter pour un nouveau dispositif - c'est précisément le choix opéré par le Gouvernement. Cela étant, si elles le souhaitent, les branches professionnelles doivent pouvoir se saisir de cette question pour déterminer, en leur sein, les métiers objectivement exposés. De leur côté, les commissions AT-MP sont à même de proposer une vision d'ensemble afin d'assurer la cohérence du dispositif. Avec la visite de mi-carrière évoquée par Mme Deperrois et prévue autour de 45 ans, une réflexion doit être engagée sur l'état physique et psychique du salarié ainsi que sur sa formation, afin que ce dernier puisse aborder correctement sa seconde partie de carrière. Le but est qu'il puisse rester actif le plus longtemps possible. Entre partenaires sociaux, nous travaillons effectivement à un ANI relatif à la branche AT-MP. Avec la santé au travail, la prévention des accidents figure parmi les points majeurs abordés ; l'objet de nos négociations est bien sûr lié au contenu du projet de loi relatif aux retraites. Notre objectif est que, demain, la prévention supplante la réparation. Aujourd'hui, on répare énormément, mais l'on peine encore à prévenir l'usure professionnelle. À cet égard, nous portons une attention particulière aux carrières longues. Je précise que celles-ci n'impliquent pas en elles-mêmes une iniquité quant à la durée de vie à la retraite, notamment en bonne santé. La vraie différence - vous le savez - porte sur l'invalidité et l'incapacité : ces dernières entraînent effectivement une diminution de la durée de vie en bonne santé à la retraite. En ce sens, le maintien de la borne de 62 ans s'imposait.
Certes, nous ne sommes pas opposés aux indicateurs permettant d'apprécier l'évolution sociologique des populations salariées, dans les branches comme dans les entreprises, mais nous savons bien ce qu'un simple index peut entraîner. À l'origine, l'index seniors devait être réservé aux entreprises de plus de 300 salariés, ce qui avait du sens. En effet, c'est pour ces dernières que les informations de la base de données économiques, sociales et environnementales (BDESE) sont les plus complètes. En revanche, les entreprises de 50 à 300 salariés devraient produire de la donnée pour que cet index puisse fonctionner ; or parmi elles figurent un certain nombre de PME qui ne disposent pas de services de ressources humaines en mesure d'accomplir ce travail. L'abaissement du seuil à 50 salariés ne nous semble donc pas pertinent.
Selon vous, le Gouvernement a-t-il eu raison de retenir comme hypothèses un taux de chômage à 4,5 % et un taux de croissance à 1 % ?
Quant au transfert de cotisations entre la branche AT-MP et la branche vieillesse, annoncé pour 2024 alors que les partenaires sociaux sont en pleine négociation, vous semble-t-il bien judicieux ?
Vous mettez l'accent sur l'effort de prévention. Il est évidemment nécessaire, mais, pour ce qui concerne les troubles ergonomiques, ce qui est proposé n'est pas satisfaisant. À l'évidence, il faut un autre dispositif : vous savez mieux que d'autres comment y parvenir sans pour autant décaler l'âge de départ pour incapacité permanente de 60 à 62 ans. Ce serait une véritable avancée.
Certains proposent de conditionner les aides aux entreprises à certains engagements pour l'emploi des seniors, notamment à des engagements de non-licenciement : qu'en pensez-vous ? En parallèle, faut-il en revenir au contrat de génération, dans une version améliorée ?
Enfin, j'ai cru comprendre que vous étiez désormais enclin à accepter l'index seniors - maintenant qu'il a été supprimé à l'Assemblée nationale... (Sourires.) -, à partir de 300 salariés. De même, je relève que vous privilégiez les commissions AT-MP par rapport aux branches ; pourriez-vous préciser votre position à ce propos ?
Vous avez insisté sur la nécessité de travailler plus longtemps en expliquant précisément ce que vous ne vouliez pas. Quelles sont, selon vous, les mesures concrètes à même de favoriser l'emploi des seniors ?
Madame Deperrois, vous semblez regretter que l'État injecte chaque année 30 milliards d'euros pour financer le système de retraite. Déplorez-vous aussi les exonérations sociales ? Leur suppression n'aurait-elle pas, in fine, un effet en faveur de l'emploi ?
Premièrement, un certain nombre de nos collègues députés, dont Philippe Juvin, proposent d'introduire une part obligatoire de capitalisation dans notre système de retraite ; qu'en pensez-vous ?
Deuxièmement, pour préserver l'emploi des seniors, il faut non seulement s'efforcer de maintenir ces derniers dans leur poste, mais aussi favoriser leur embauche. Le contrat à durée indéterminée (CDI) d'employabilité permet aux entreprises d'externaliser leur main d'oeuvre à long terme tout en conservant la flexibilité de l'intérim. J'ai retenu que le Medef n'y était pas très favorable, mais ne serait-ce pas une solution ?
Il ne se passe pas un jour sans que les organisations syndicales expriment leurs revendications. En revanche, on vous a très peu entendus : pourquoi ?
Le maintien des personnes dans l'emploi à partir d'un certain âge est bel et bien un sujet central : que proposez-vous concrètement à ce propos ?
J'insiste sur la nécessité de changer de regard sur l'emploi : la France doit renouer avec le travail. En parallèle, il faut s'efforcer de réduire la pénibilité et traiter certains problèmes concrets, comme la garde d'enfants qui pose beaucoup de difficultés dans les secteurs en tension. Quelles sont vos propositions à cet égard ?
La retraite minimale à 85 % du Smic est une mesure très vertueuse, mais - on l'a vu chez les agriculteurs - elle crée beaucoup de frustrations : certains voient leur pension augmenter, d'autres non.
Vous vous focalisez sur les seniors, mais que proposez-vous pour faciliter le recrutement des jeunes, qui, même lorsqu'ils sont diplômés, peinent à trouver du travail ? Bien souvent, on ne leur propose que les minima sociaux. De même, vous semblez ignorer la situation des femmes et les inégalités qu'elles continuent de subir.
Vous vantez une réforme équilibrée : elle pèse à 100 % sur le travail. Vous dites qu'elle est courageuse : il faut effectivement du courage pour soutenir un projet auquel s'opposent 93 % des actifs ; malgré la déflation salariale que nous connaissons, une majorité d'entre eux préféreraient une hausse du taux de cotisation.
Certes, la prévention doit supplanter la réparation ; mais, aujourd'hui, l'on répare mal les conséquences de la pénibilité. Or le Gouvernement ne vous demande rien à cet égard, alors même qu'un nombre croissant de salariés exercent des métiers pénibles : depuis 1984, les différents indicateurs d'exposition aux facteurs de pénibilité ne cessent de se dégrader. C'est avant tout cette exposition qu'il faut réduire ; nous en sommes très loin.
La tendance, c'est encore et toujours l'intensification du travail ; et pour les ouvriers, qu'ils soient qualifiés ou non, l'espérance de vie à la retraite reste plus faible que pour les autres - je mets à part la question des risques psychosociaux. Si vous voulez une véritable politique de prévention, rompez avec cette logique d'intensification du travail.
Pour ma part, j'insiste sur le renouvellement des générations : le système de retraite par répartition l'exige. Faut-il prévoir des mesures spécifiques en ce sens ? Une majoration de 5 % des pensions dès le second enfant serait-elle une mesure pertinente ? Dans le cadre de cette réforme, envisagez-vous d'autres gestes en faveur des familles ?
En France, seuls 33 % des actifs de plus de 55 ans sont encore dans l'emploi ; en outre, ces salariés sont souvent les premiers concernés par les mesures de restriction d'emploi et par les vagues de licenciement. Comment l'expliquez-vous ?
Monsieur Chevée, puisque la prévention doit supplanter la réparation, pourquoi ne pas inclure les critères ergonomiques dans le C2P, éventuellement pour les trimestres de bonification ?
Dans une tribune récente, M. François Asselin, président de la CPME, a proposé trois mesures en faveur des seniors : premièrement, une prime à l'embauche inspirée de ce qui existe en faveur des jeunes ; deuxièmement, une exonération des contributions chômage en cas de maintien dans l'emploi, assortie éventuellement d'une compensation ; troisièmement, une mutualisation par un fonds spécifique pour éviter que le dernier employeur d'une personne reconnue handicapée soit le seul ciblé. Pourriez-vous revenir sur ces sujets ?
Dans le privé, la différence de salaires reste de 9 % entre les femmes et les hommes. Comment l'expliquez-vous ? Quelles sont vos propositions pour parvenir à une véritable égalité salariale ?
J'ai été, avec M. Artano, rapporteur de la loi pour renforcer la prévention en santé au travail, qui a créé le document unique d'évaluation des risques professionnels (Duerp) ; ses effets positifs ont-ils été observés dans les plus petites entreprises ?
Je suis également rapporteur de la branche AT-MP. Je comprends les mouvements opérés, mais j'aurais souhaité un prélèvement ciblé, destiné à accompagner les entreprises dans leur effort de prévention. Je suis convaincue de la nécessité de travailler plus longtemps, à condition que les salariés restent en bonne santé jusqu'à la fin de leur carrière, puis à la retraite. Voilà pourquoi la prévention est au coeur du dispositif.
J'ajoute que la pénibilité d'aujourd'hui n'est pas celle d'hier, et que celle de demain sera encore différente. Il faut en avoir conscience.
Enfin, au sujet des risques psychosociaux, j'appelle votre attention sur le cas des patrons eux-mêmes, notamment lorsque l'entreprise ferme : il s'agit là d'un véritable enjeu.
Premièrement, parmi les pays industrialisés, la France reste le plus mauvais élève pour l'emploi des seniors : pourquoi ? Si les Français travaillaient plus longtemps, le débat ne se poserait pas tout à fait dans les mêmes termes.
Deuxièmement, certains métiers sont si pénibles que l'on pourrait les assortir d'une limite d'âge. En parallèle, il faudrait prévoir un financement à même d'assurer une reconversion. Que pensez-vous de cette piste ?
Vous n'avez pas évoqué les aidants familiaux, qui reprennent parfois leur travail après un arrêt prolongé. Pour ce qui les concerne, les mesures avancées par le Gouvernement vous semblent-elles satisfaisantes ? Avez-vous formulé vos propres propositions ?
L'équilibre de cette réforme des retraites exige une vision d'ensemble ; c'est pourquoi j'ai mentionné les 30 milliards d'euros versés chaque année par l'État. Le Gouvernement a retenu un certain nombre d'hypothèses, nous verrons si celles-ci se vérifient ou non. L'essentiel, pour nous, est de garder cette vision globale.
Nous n'avons pas demandé l'échange de cotisations proposé entre les branches AT-MP et vieillesse. À ce titre, le milliard d'euros annuel prévu pour cinq ans en faveur du fonds de prévention exigera toute notre vigilance.
Les décrets d'application de la loi du 2 août 2021 sont en cours de publication. À cet égard, j'insiste sur l'importance de la médecine du travail ; je pense notamment aux infirmières en pratiques avancées (IPA) du travail, qui jouent un rôle indispensable sur le terrain. Dans un certain nombre de cas, les médecins du travail doivent aussi recevoir le renfort de médecins praticiens correspondants (MPC), notamment pour assurer la visite de désinsertion professionnelle, laquelle fait partie intégrante de la prévention. De même, les visites de fin de carrière ont toute leur importance.
La prévention est un tout. Il faut développer un équilibre entre vie privée et vie professionnelle, et améliorer la qualité de vie au travail ainsi que les conditions de travail. Le dialogue social est très important, car il permet d'ancrer les accords de mobilité, de qualité de vie et sur les conditions de travail dans le contexte de chaque entreprise ; cela fait partie de cette dynamique d'employabilité globale, et pas seulement des seniors. N'opposons pas jeunes et seniors, car l'entreprise est une dynamique à part entière et les jeunes doivent être accueillis. L'apprentissage et l'accueil d'alternants sont des soutiens importants, et les personnes expérimentées apportent un relais : tutorat, mentorat, dispositif de patrimoine métiers-compétences... De nombreux mécanismes sont développés dans les entreprises. De même, avec le reverse mentoring, les jeunes apportent leurs connaissances, par exemple du numérique, aux entreprises. Il faut donc organiser des collectifs inclusifs, que l'entreprise a à coeur de développer. Au travers des accords négociés par le dialogue social, c'est cette dimension qui est mise en avant. L'employabilité, c'est aussi parler de formation au sein des entreprises, afin que celle-ci soit déployée auprès des différents publics ; il est donc important de tenir des entretiens professionnels, focalisés, notamment, sur la deuxième partie de carrière.
Si nous parvenons à faire reconnaître la prévention à travers la santé au travail et la branche AT-MP, nous aurons fait oeuvre utile pour prévenir l'usure au travail, face à laquelle nous ne sommes pas égaux. Ce sujet doit être considéré à la fois par le biais des visites médicales individuelles, et par l'employabilité, c'est-à-dire par la projection des salariés, notamment grâce aux formations.
Je n'entrerai pas dans des considérations sociétales sur la politique familiale. Certes, un système de retraite par répartition repose sur un nombre suffisant de cotisants pour financer les retraités. Au sein de l'entreprise, l'équilibre entre vie privée et vie professionnelle ainsi que la marque employeur sont des dimensions importantes afin que chacun ait une vie équilibrée dans un fonctionnement plus fluide.
Sur les femmes et la retraite, le Conseil d'orientation des retraites (COR) a estimé que les systèmes étaient redistributifs et qu'il n'y avait pas de sujet particulier. Au Medef, nous estimons qu'il faut étudier cette question durant toute la vie professionnelle ; les index d'égalité professionnelle développés par Mmes Pénicaud et Rixain visent d'ailleurs à progresser dans ces domaines.
En juin prochain, un rapport du COR, qui doit raisonner à législation actuelle - donc modifiée éventuellement par le projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale (PLFRSS) - vous indiquera l'équilibre financier global au terme de la réforme. Je siège au COR, lequel réalise de nombreuses projections à très long terme qui sont autant de discussions possibles. Il devrait sans doute être plus précis et identifier plus clairement une échéance à moyen terme. Les partenaires de l'Agirc-Arrco gèrent à horizon de quinze ans, et cela fonctionne bien. Pour autant, multiplier les hypothèses trouble davantage les esprits, même s'il faut conserver des prospectives à échéance d'une génération. L'Insee réalise des prévisions démographiques hautes, basses et moyennes, on pourrait ainsi recadrer un peu le travail du COR ; vous avez la main : cela relève de la loi.
On ne peut se satisfaire d'un système prévoyant 98 % de réparation de l'usure professionnelle, mais seulement 2 % de prévention, alors que les cotisations patronales atteignent 14 milliards d'euros. Au total, on dépense 100 millions d'euros par an dans les entreprises pour la prévention de l'usure professionnelle, laquelle consiste, pour chaque poste de travail, à identifier, au travers du Duerp, les risques associés, à prévoir les moyens suffisants pour les réduire ainsi qu'à limiter les risques d'accident. Nous devons apporter les compétences nécessaires dans les TPE et dans les PME pour accompagner le chef d'entreprise sur la prévention de l'usure et du risque professionnel. Actuellement, tout passe dans la réparation. C'est humainement inacceptable ; nous devons parvenir à basculer vers la prévention. Pour nous y aider, un fonds de 1 milliard d'euros permettra d'enclencher la culture de la prévention dans tout l'écosystème de production de biens et de services.
Il y aura toujours de l'usure professionnelle, et il faudra y faire attention, par exemple pour les métiers en milieu hyperbare. On peut réfléchir à des durées d'exposition maximale, l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) y travaille sans doute. Je rappelle que 85 % à 90 % des sorties pour inaptitude concernent les trois facteurs ergonomiques de troubles musculo-squelettiques. Dans le dispositif d'usure professionnelle, il ne faut pas créer des catégories actives ou des régimes spéciaux, mais bien traiter correctement le risque. C'est cela qui est envisagé avec ce dispositif : vers 45 ans, en milieu de carrière, une première étape est réalisée. Chacun réagit à raison de sa physiologie à l'exposition au métier. Interviennent alors le médecin du travail et les acteurs de la prévention et de la désinsertion professionnelle. En matière de formation professionnelle, une visite de mi-carrière est prévue, qui doit proposer un bilan à 360 degrés. Si le salarié souhaite conserver son métier, il faut trouver les moyens de l'accompagner ; si, à 60 ans, il est abîmé par l'usure professionnelle, il faut lui offrir la possibilité de partir plus tôt ou lui proposer des réorientations au sein de l'entreprise, de la branche ou vers d'autres métiers, grâce à des dispositifs de transition professionnelle. Il s'agit donc d'un suivi individuel renforcé du salarié.
- Présidence de Mme Chantal Deseyne, vice-président -
Ce salarié est découpé en tranches ! Pour les facteurs de risques ergonomiques, le suivi spécifique proposé intervient à 45 et 60 ans, mais pour le C2P, le salarié sait quand il partira de manière anticipée, en raison du système de points. Il faut prendre en compte la personne en entier, et non par secteur d'usure. Comment rapprocher les dispositifs ?
Il n'y a pas d'un côté une santé au travail, de l'autre, une santé civile. Nous étions favorables à l'introduction de médecins praticiens correspondants, pour cela. Souhaitez-vous que l'on déverse l'usure professionnelle dans le C2P ?
Ce n'est pas la question. Vous voyez ce qui nous est proposé, et vous y êtes pour quelque chose, puisque vous avez exclu des facteurs de pénibilité. Selon le projet de loi, l'examen serait réalisé en raison des critères d'usure, et non de la personne elle-même. Ainsi, un médecin verrait à la visite obligatoire des 60 ans une personne portant des charges lourdes, mais ne s'occuperait pas du travail de nuit, lequel relèverait du C2P. Il faut rapprocher les deux ! Actuellement, le départ anticipé pour les personnes soumises à des troubles ergonomiques dépend du médecin ; en revanche, le départ appuyé sur les autres facteurs de pénibilité, comme le travail de nuit, est défini par la personne, en fonction des points cumulés. Comment mettre en place un mécanisme plus simple ?
Les critères de pénibilité répondent à une exposition très particulière qui requiert un traitement particulier. Le médecin du travail est là pour cela. C'est pourquoi nous souhaitons libérer du temps médical, grâce aux médecins praticiens correspondants, et ainsi restaurer la spécialité de la médecine du travail : prendre en charge des salariés préalablement fléchés au niveau de la branche ou de l'AT-MP, en raison de taux d'usure professionnelle plus importants ; petit à petit, un suivi sera réalisé tous les cinq ans.
Nous ne voulons pas recréer des catégories actives, car cela génère des effets de bord insupportables.
Vous ne me facilitez pas la tâche de trouver un dispositif plus adapté ! Comment rapprocher le choix du médecin et celui du salarié ? C'est incompréhensible pour le salarié...
Rester exposé dans les catégories du C2P relève aussi du choix du salarié, ainsi que de celui de l'employeur. Je ne vois pas comment rendre la main au salarié sans un jugement objectif du médecin du travail et du médecin conseil de la sécurité sociale. Cela ne me semble pas exorbitant.
Cela va à l'encontre des efforts que vous voulez faire pour la prévention dans le C2P : on ne parle que de réparation. Je voudrais trouver une solution avec une partie prévention des risques ergonomiques qui se rapproche du C2P, sans en avoir les obligations et sans non plus créer de catégories spécifiques.
Le Duerp est la première marche d'une prise de conscience de l'identification des risques et de la prévention au sein de l'entreprise. Il faut aussi un dialogue avec la médecine du travail, et une dynamique de prévention avec l'incitation de l'AT-MP.
Il ne s'agit pas forcément de rendre la main aux salariés sur la question de l'usure...
C'est possible : il est prévu, dans le suivi individuel renforcé, de proposer certaines transformations de carrière, en sus du suivi médical.
Pourquoi a-t-on des taux d'emploi des seniors aussi faibles ? Depuis 40 ans, on part du principe que la quantité de travail est limitée, et qu'il faut dégager nos anciens pour laisser la place aux jeunes. Cela n'a jamais fonctionné.
C'est ce que nous proposons. Tout le code du travail a été construit ainsi. Les partenaires sociaux ont mis en place des dispositifs en ce sens, notamment dans le cadre de l'assurance chômage. Or l'embauche des jeunes explose, notamment en apprentissage, sans que cela n'emporte de conséquences sur le taux d'emploi des seniors. À l'instar de ce qui a été réalisé sur le contrat d'apprentissage, nous pensons qu'il faut des dispositifs particuliers, comme ceux que propose notre président François Asselin, mais surtout qu'il faut faire évoluer les mentalités. Pour ce qui concerne l'apprentissage, on a franchi un cap en 2018, avec la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel. L'opinion française a compris qu'il s'agissait d'une voie d'excellence. Aujourd'hui, la même révolution culturelle doit être accomplie en faveur de l'emploi des seniors. La France est le pays où l'on part à la retraite le plus tôt ; or, de manière tout à fait étonnante, elle est également celui où le taux d'emploi des seniors est le plus faible. La création d'un nouveau contrat d'employabilité a été évoquée ; pour sa part, lors de la revue de la convention d'assurance chômage prévue cette année, la CPME défendra un contrat spécifique exonéré de cotisations d'assurance chômage pour les seniors restant dans l'emploi jusqu'à l'âge de départ.
Si l'entreprise ne respecte pas cet engagement, elle devra reverser les montants octroyés.
Enfin, M. Vanlerenberghe a évoqué la mutualisation du coût de l'inaptitude professionnelle. Il s'agit là d'un point extrêmement important.
Lors des concertations, nous avons insisté auprès du Gouvernement sur la nécessité de réduire de 36 à 24 mois la durée d'indemnisation des chômeurs de plus de 59 ans.
En tout cas, cette période doit être réduite.
Enfin, après l'adoption de la réforme précédente, les salariés sont mécaniquement restés plus longtemps dans l'emploi.
À l'évidence, les dernières évolutions socioéconomiques nous imposent de repenser la politique familiale. Pour sa part, la CPME plaide pour des mesures très incitatives. Force est de constater que les carrières se resserrent petit à petit et que certains dispositifs créés en faveur des femmes deviennent plus ou moins caducs. La garde d'enfants exige, elle aussi, des efforts massifs.
De même, nous sommes tout à fait favorables aux mesures en faveur des aidants. Les seniors peuvent être appelés à soutenir non seulement leurs enfants et leurs petits-enfants, mais aussi leurs parents : c'est un véritable enjeu de l'équilibre entre vie privée et vie professionnelle.
Dans l'accord qu'ils viennent de signer au sujet du partage de la valeur, les partenaires sociaux ont d'ailleurs étendu aux aidants familiaux le mécanisme de déblocage de l'épargne salariale.
Les commerçants et artisans doivent, eux aussi, bénéficier d'un minimum de pension ; c'est une question d'équité. Souvent, les premiers, et dans une moindre mesure les seconds, ont été victimes de mauvais conseils, prolongés pendant des années. Les commerçants subissent aussi les grandes évolutions de l'économie ; le commerce de centre-ville a subi la concurrence du commerce de périphérie, lequel est à son tour mis à mal par le commerce en ligne. Or, généralement, le commerçant assurait sa retraite grâce à la vente de son fonds ou de son pas-de-porte ; aujourd'hui, cette ressource a disparu et, une fois à la retraite, certains commerçants sombrent dans l'extrême pauvreté. Nous avons un devoir de solidarité envers ces professionnels. Nous devons notamment regarder comment le régime complémentaire des indépendants peut participer à l'équilibre global du système ; les représentants des commerçants et des artisans sont les mieux à même de traiter cette question.
Si nous ne sommes pas favorables aux index, c'est parce que ceux-ci sont souvent détournés de leur but premier pour devenir des instruments de taxation au profit de telle ou telle politique. En résultent des effets délétères ; parfois, ils atteignent même l'inverse du but initial.
Peut-être ; mais, en la matière, nous restons extrêmement prudents. Le ministre lui-même l'a souligné, prenons garde à ne pas créer un monstre administratif dans les PME.
Les situations des entreprises sont très hétérogènes, il faut en tenir compte. Il faut valoriser les efforts de l'entreprise, peut-être via un label. Mais nous ne sommes pas favorables à l'index tel qu'il est présenté dans ce projet de loi.
Je vous entends parler de l'apprentissage qui a été, certes, une vraie révolution en France, mais qui ne reposait pas uniquement sur des aides aux employeurs. C'était une révolution de la formation. Vous proposez toutefois encore des aides de l'État ou des taxes en moins : cela, ce n'est pas une révolution, et vous ne voulez pas de l'index, car il pourrait vous pénaliser. Faites des propositions, et reconnaissez que vous n'embauchiez pas de seniors ou que vous les licenciiez trop tôt. Dites-nous où vous voulez aller pour faire la révolution, et faites des propositions !
Une entreprise est une communauté, rassemblant des âges et des talents différents. Nous devons être dans une dynamique de développement à tout âge de l'employabilité des collaborateurs. Sur le sujet spécifique des seniors, il faut envisager la deuxième partie de carrière ; on ne peut opposer les jeunes et les plus anciens au sein d'une entreprise, c'est le corps social qui doit être employable. La retraite progressive et le cumul emploi-retraite sont ainsi des dispositifs de première importance pour contribuer à l'emploi des seniors.
Nous pourrions imaginer de vraies politiques sur le cumul emploi-retraite, en ouvrant le verrou des six mois.
C'est compliqué... Pour la révolution culturelle sur l'emploi des seniors que nous appelons de nos voeux, on pourrait imaginer de liquider les droits à la retraite tout en conservant, pendant trois mois à un an, la transmission sur le poste, ainsi qu'un contrat de génération rénové...
J'entends bien que certains salariés veulent partir plus tôt à la retraite, mais il y a une vraie révolution à faire chez les chefs d'entreprises et nous ne vous avons pas entendu le dire. J'ai 62 ans ; j'ai de nombreux amis ou collègues cadres en entreprise qui sont partis au chômage à la demande de leur employeur, durant deux ans. Si vous ne le dites pas - il faudrait même le marteler ! - vous ne ferez pas cette révolution. Les cadres ont souvent envie de rester dans l'entreprise, et ils dépriment - voire entrent en dépression - après leur départ.
Je repose ma question. Tous les ans, systématiquement, nos collègues évoquent les exonérations de cotisations sociales et les fraudes fiscales. J'aimerais avoir des réponses, et pas celle selon laquelle les exonérations sociales permettraient à l'entreprise de vivre. Si demain je déposais un amendement supprimant les exonérations fiscales, je suis certain que le Sénat le voterait. Je n'ai pas une folle envie de le faire ; en revanche, je souhaite savoir quelles seraient les conséquences exactes d'une telle mesure pour l'emploi.
L'index seniors vient d'être supprimé à l'Assemblée nationale ; un index pénalise, tandis qu'un label valorise. Il y a une voie de passage entre les deux, qui serait simple : l'index pourrait pénaliser au-dessus de 300 salariés, le label valoriser entre 50 et 300. Faites des propositions, sinon, cela sera tranché sans vous et vous ne pourrez pas vous plaindre. Dites clairement que les seniors sont une valeur ajoutée pour l'entreprise, et qu'ils ne travaillent pas au détriment des jeunes. C'est comme cela que la proposition sera acceptable et acceptée par les salariés, et que l'on parviendra à mieux travailler, main dans la main.
Un CDI senior, par exemple, éviterait de mettre un employé au chômage et maintiendrait son expérience et ses compétences à disposition de l'entreprise. Les organisations syndicales ont également des idées, qu'il faut prendre en compte pour que ce dispositif soit mieux accepté, car il demande un effort particulier aux salariés.
Les exonérations existantes ont toutes leur raison d'être ; il faut les examiner une à une en tenant compte du contexte.
Quant à la question de l'emploi des seniors, elle exige, d'une part, un dialogue entre le salarié et l'employeur et, d'autre part, un dialogue social. À ce sujet, nous avons fait un certain nombre de propositions. Nous suggérons ainsi de créer un bilan de compétences obligatoire à un âge donné ou encore d'utiliser les entretiens existants pour assurer, entre l'employeur et le salarié, un dialogue spécifiquement dédié à sa seconde partie de carrière et à son employabilité. Aujourd'hui, ce dialogue n'existe pas ; en tout cas, il existe peu. Il entraînera, au sein de l'entreprise, de nouveaux efforts de formation pour maintenir l'employabilité, efforts qu'un label ou un index pourront ensuite mesurer. En outre, pour certains salariés, des priorités de reconversion professionnelle pourront être définies.
Je ne suis pas opposé à un tel label, bien au contraire ; notre organisation pourra tout à fait travailler sur ces sujets, qui relèvent des partenaires sociaux, dans le cadre des négociations relatives à l'assurance chômage ou des négociations de branche.
Monsieur Milon, on ne saurait traiter des exonérations en faisant abstraction de la situation globale des prélèvements obligatoires en France, marquée par le poids des cotisations patronales et salariales. L'apprentissage bénéficie, certes, d'une exonération fiscale et d'une prime à l'embauche, mais le résultat est là : presque 1 million d'apprentis. Il faut donc avoir une vision d'ensemble. En France, le coût du travail est déjà élevé ; si vous supprimez les exonérations en vigueur, il va exploser. Ces dernières posent sans doute un problème de lisibilité, mais c'est un autre sujet.
Enfin, pour protéger les générations futures, il nous semble absolument indispensable de créer un système complémentaire de capitalisation collective obligatoire et géré par les partenaires sociaux. La CPME défendra cette mesure le moment venu.
En conclusion, j'insiste sur la nécessité de garder en tête l'équilibre financier de cette réforme, même si un certain nombre de mesures d'équité et d'accompagnement sont nécessaires.
Nous vous remercions de vos contributions.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Article 1er ter
L'amendement n° 1, présenté par Colette Mélot, tend à préciser que la loi de programmation prévue par l'article 1er ter porte sur la lutte contre les violences conjugales et non uniquement contre les violences faites aux femmes.
Bien sûr, j'approuve l'intention que traduit cet amendement : il ne faut en aucun cas invisibiliser les hommes victimes de violences conjugales. Toutefois, les dispositions visées n'ont pas de portée normative : l'aide universelle d'urgence, qui est au coeur de ce texte, est bien destinée à toutes les victimes de violences conjugales, quel que soit leur sexe. Cette précision sémantique remettrait en cause une adoption conforme du présent texte : je propose donc à la commission d'émettre un avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 1.
TABLEAU DE L'AVIS
La réunion est close à 13 h 10.