La réunion est ouverte à 15 h 50.
Nous accueillons avec plaisir MM. Pascal Cormery, président de la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole (MSA), Michel Brault, son directeur général, et M. Christophe Simon, son chargé des relations parlementaires, dans un contexte de crise agricole grave et structurelle. Quel est votre point de vue sur les initiatives du gouvernement dans le domaine : baisse générale de trois points des cotisations familiales dans le cadre du pacte de responsabilité pour 230 millions d'euros, baisse annoncée par le Premier ministre de sept points - donc des prélèvements passant de 45 à 35 %, pour un coût de 500 millions d'euros, année blanche pour les plus vulnérables ?
Quel est l'impact de la suppression de la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S), qui finançait pour moitié le Régime social des indépendants (RSI) et la MSA ? Faisant partie de la commission mise en place par Mme Marisol Touraine sur le RSI devant étudier l'avenir de ces régimes, leur éventuelle fusion ou un éventuel rattachement au régime général, j'aurais aimé connaître votre opinion sur ce sujet.
L'agriculture rencontre une crise profonde, structurelle, aboutissant à un grand désarroi dans les campagnes. Quel que soit le modèle auquel nous, agriculteurs, nous rattachons - et qui ont chacun leur place en France - la majorité d'entre nous est en difficulté.
La baisse des cotisations de dix points est une mesure importante qui ne pourra être efficace que dans une situation normale : lorsque vous n'avez pas de revenus, 35 ou 45 % de zéro font toujours zéro. Mais cela sera utile pour retrouver notre compétitivité. Citons deux autres mesures efficaces : la possibilité de choisir l'année N-1 pour le calcul de ses cotisations et les 50 millions d'euros de prise en charge des cotisations pour les plus vulnérables.
En 2015, le Premier ministre a annoncé début septembre une diminution de l'assiette minimale de cotisation d'assurance maladie à 4 184 euros, ce qui représente un impact de 48 millions d'euros, supporté par la Caisse nationale d'assurance maladie (Cnam) et touche 170 000 personnes. Pour calculer l'assiette des revenus soumis à cotisations, les exploitants peuvent retenir, pour cinq ans, soit la moyenne triennale, soit l'année précédente ; s'ils ont un revenu inférieur à 4 184 euros, il leur est désormais possible de revenir sur leur choix au profit de cette dernière solution, lorsqu'elle est plus favorable. En ont bénéficié à 26 737 personnes pour un coût de 39 millions d'euros. Une partie - concernant les 13 000 éleveurs pour un peu moins de 14 millions d'euros - pourrait être imputée sur des fonds européens.
La MSA est intégrée financièrement à la Cnam pour les prestations en nature de la branche maladie et à la Caisse nationale d'allocations familiales (Cnaf) pour la branche famille. Mais ce n'est pas le cas pour sa branche vieillesse, qui affiche un déficit cumulé de 3 milliards d'euros.
Enfin, la prise en charge de 50 millions d'euros de cotisations, dépendant de la branche famille, est donc supportée par la Cnaf. Il y a eu au total 137 millions d'euros en 2015 de mesures de baisse de cotisations - la baisse des trois points du pacte de responsabilité étant exclue.
En 2016, la Cnam supportera une baisse de 500 millions d'euros de cotisations, correspondant à la baisse de 7 points. La protection universelle de la maladie (Puma) supprime l'assiette minimum, pour un coût estimé à 25 millions d'euros. La reconduction de l'option pour l'année N-1 aura un impact probablement supérieur aux 39 millions d'euros de l'année dernière, car les revenus ont baissé et le nombre d'agriculteurs gagnant moins de 4 248 euros a augmenté - le seuil a été revalorisé. Avec l'année blanche, nous demanderons en 2017 aux exploitants s'ils veulent reporter leurs cotisations en 2017, 2018 ou 2019. Ce sera automatique pour ceux qui gagnent moins de 4 248 euros. Ils pourraient être 45 000 à en profiter. La prise en charge des cotisations est reconduite pour 50 millions d'euros au total : 40 millions pour les éleveurs, 5 millions pour la grippe aviaire du Sud-Ouest, et 5 millions pour les producteurs de salades et de choux-fleurs.
Le déficit de la branche vieillesse est donc le seul à ne pas être compensé. La logique selon laquelle le régime général fait l'appoint pour les régimes indépendants nous fait nous interroger sur l'avenir de ces derniers. Mais autant nous pouvons prévoir une hausse du travail indépendant, autant, dans le contexte de la crise actuelle, nous pouvons craindre une baisse substantielle des cotisations d'exploitants agricoles.
Quelles masses financières prévisionnelles les mesures de 2015 et 2016 représentent-elles ? Combien de personnes sont-elles touchées ? Quelle est la part qui pourrait provenir de fonds structurels ? Par quels outils ? Quelles sont les perspectives face aux 3 milliards d'euros de déficit cumulé de la branche vieillesse, sachant que l'assiette risque de diminuer encore ?
Tous les 5 ou 6 ans, l'État vient à notre secours, que ce soit directement ou via la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades). Nous demandons chaque année que cette dernière agisse, car les exploitants agricoles, comme tout le monde, paient la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS). Nous espérons que ce sera le cas en 2016 ou 2017.
Il faudrait pour cela que les parlementaires votent un transfert de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss) à la Cades, car la dernière autorisation a été consommée en totalité.
Jusqu'en 2014, la MSA empruntait directement. Depuis 2015, l'Acoss peut nous aider en nous accordant des avances, mais nous devons emprunter en complément. Pour 2016, l'Acoss n'a pas voulu prendre d'engagement ferme ; nous avons donc dû ouvrir une ligne de crédit auprès de banques. Or il y a un différentiel d'un point entre le taux, parfois négatif, que peut obtenir l'Acoss, qui peut souscrire des billets de trésorerie, notamment auprès de la Cades, et celui, de 0,8 %, qu'obtient la MSA. Même si nous ne mobilisons pas les sommes, la simple ouverture de ligne nous coûte 0,5 % ! Le déficit sera de 300 millions d'euros en 2016.
Quant aux perspectives de la branche vieillesse, elle tend désormais plutôt vers l'équilibre. Nous avons plus de décès que de départs à la retraite. Mais, reconnaissons-le, l'essentiel de nos ressources proviennent de taxes affectées et non des cotisations.
A peine. Les fonds européens profiteront à 13 187 éleveurs pour 13 680 000 euros. Nous complèterons les dossiers de chaque éleveur avant mai. Ils passeront ensuite sans doute par France Agrimer.
La vraie problématique reste la capacité des exploitations à dégager un revenu. Éleveur de porcs et de bovins à viande, je sais de quoi je parle. Soulignons aussi que les caisses de notre réseau peuvent faire du cousu-main pour chacun des exploitants en difficultés sur l'ensemble du territoire, sans parler de l'accompagnement social et humain.
Le Premier ministre a annoncé le 17 février dernier un projet de décret diminuant les cotisations d'assurance maladie de 7 points. A-t-il été publié ? Sinon, savez-vous quand il le sera ?
Question subsidiaire, cette baisse de cotisation fait-elle partie ou non du pacte de responsabilité ?
Après avoir été soumis pour avis au conseil central début février, le projet de décret l'a été début mars au conseil de la Cnam, dont nous attendons l'avis. La MSA prélève un appel provisionnel au premier semestre sur la base de l'année précédente, et ne procède à l'appel définitif qu'en octobre ; ce qui compte, c'est donc que le décret soit publié avant cette période.
Face à cette crise agricole difficile, comme toujours, nous gérons une crise économique par des solutions sociales. Si 30 % des agriculteurs n'ont pas de revenu, combien touchent le RSA ou la prime d'activité ? Quid des 200 millions d'euros consacrés à la prévention du vieillissement et des conférences départementales de financeurs ?
La prime d'activité n'était pas prévue pour les non-salariés. Dès lors, un exploitant agricole avec un revenu négatif ne peut y prétendre, car il faut un minimum de revenu d'activité ; mais il peut bénéficier du RSA. Beaucoup d'exploitants hésitent cependant à le demander, malgré les efforts des caisses, et notamment de leurs travailleurs sociaux. Ils considèrent qu'ils ont une activité et créent de la richesse, quelle que soit leur génération, même si cela n'est pas sans créer des difficultés pour leurs familles.
A la dimension psychologique s'ajoute la disparité de traitement selon les départements, en fonction de la prise en compte du foncier, du bénéfice réel ou forfaitaire. Une prime d'activité pour les exploitants en déficit aurait été beaucoup plus acceptable. Il suffit de déclarer un euro de revenu ; mais nous ne pouvons pas encourager les fausses déclarations... Depuis janvier, le nombre de ses bénéficiaires augmente. En décembre, 12 000 salariés et 8 000 exploitants touchaient le RSA, soit 20 000 en tout ; ce chiffre passe à 35 000 en février. Nous ferons un bilan début avril, car les exploitants ont jusqu'à la fin mars pour demander la prime d'activité.
Nous avons un partenariat avec la Cnav et le RSI sur le vieillissement. Je n'ai pas entendu parler de difficultés particulières concernant les conférences de financeurs.
J'ai reçu quelques courriers d'exploitants, incités par la MSA à demander la prime d'activité, mais qui ne remplissaient pas les conditions. Quid de l'allocation logement, forfaitaire en dessous d'un certain niveau de revenus, ce qui met l'exploitant en difficulté ? En Mayenne, je constate une recrudescence de courriers à ce sujet.
Sans parler des loyers entre ascendants et descendants. Les deux démarches nécessaires pour obtenir la prime d'activité ont pu rebuter certains exploitants.
Nous n'avons pas reçu beaucoup de demandes écrites, mais nous constatons un afflux d'appels téléphoniques et de demandes de rendez-vous à ce sujet. Je regarderai de près cette question des allocations logement. Mais forcément, avec la chute des revenus, les demandes d'allocation devraient augmenter ; mais ce sont tous les revenus, y compris ceux des autres membres de la famille, qui sont alors à prendre en compte.
Gérard Roche et moi avons été rapporteurs sur la loi d'adaptation de la société au vieillissement. La cotisation additionnelle de solidarité pour l'autonomie (Casa), est payée par les salariés retraités, mais pas par les indépendants. Nous avions proposé qu'elle le soit au-dessus d'un certain plafond... Quel n'a pas été le tollé ! Quelle est votre opinion à ce sujet ? Chacun vieillit, même les médecins et les pharmaciens. Cela rapporterait près de 250 millions d'euros : ce n'est pas rien !
Le revenu professionnel agricole est de 7 milliards d'euros ; mais 70 000 personnes, soit 38 % des exploitants agricoles ont un revenu inférieur à 800 fois le Smic horaire. Nous craignons que cela s'accentue.
C'est pour cela que nous avions proposé de n'appliquer cette cotisation qu'au-dessus du Smic.
Je suis sur le fond d'accord avec une telle proposition, avec un tel plancher. Si une entreprise dégage du revenu, il est normal, équitable, qu'elle prenne sa part du financement. Nous vieillissons tous.
Précisons que nous sommes intégrés à la Cnam pour les prestations en nature de l'assurance maladie ; concernant les prestations en espèces, les indemnités journalières sont acquittées par un fonds spécifique équilibré.
Les petites retraites ont été revalorisées ; sur le fond, très bien ! Mais cela a été fait au détriment de la retraite complémentaire obligatoire (RCO) qui, devant être équilibrée, se retrouvera en difficulté fin 2017, si rien n'est fait d'ici là.
Nous ne parlons pas des mesures financées par la taxe sur le tabac, mais des garanties récentes passées à 73, puis 74 et 75 % du Smic. Fin 2017, la RCO aura épuisé ses maigres réserves. Il faudra donc soit augmenter les cotisations, ce qui serait très mal accepté, soit prévoir une participation de la solidarité nationale. Le Gouvernement nous a demandé d'attendre 2017, Dieu sait pourquoi...
C'est la même chose pour la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités territoriales.
Pourriez-vous nous présenter les comptes pour 2015 ?
Les professions indépendantes et les agriculteurs ne veulent pas de fusion de leurs régimes respectifs avec le régime général. Mais un rapprochement entre la MSA et le RSI est-il envisageable ?
Avec ses 35 caisses et ses 250 agences, la MSA est présente sur tout le territoire. Si la MSA disparaissait, il n'y aurait plus d'organismes sociaux en milieu rural. Ainsi, nous menons des actions d'accompagnement social avec nos collègues des caisses d'assurance retraite et de la santé au travail (Carsat).
À l'heure actuelle, nous sommes des prestataires de service pour la Caisse interprofessionnelle de prévoyance et d'assurance vieillesse (Cipav), pour la SNCF, pour la RATP. Avec nos 16 000 salariés, nous accompagnons diverses structures et nous pourrions le faire pour aider le RSI à faire face à ses difficultés techniques. En revanche, nous ne souhaitons pas la fusion du RSI et de la MSA.
Je crains que les réformes territoriales successives n'affaiblissent le monde rural.
La MSA est un guichet unique : elle gère les cotisations mais aussi les retraites et la maladie. Nous sommes un régime professionnel qui couvre à la fois les exploitants et les salariés. Ainsi, quand un exploitant devient salarié de sa société, il reste à la MSA, alors qu'un artisan ou un commerçant qui constitue une société passe au régime général. Enfin, la MSA est constituée d'un réseau d'élus : les élections ont lieu par cantons et par départements et le conseil central en est l'émanation. Ainsi, le directeur général que je suis est nommé par le conseil central, et non par le Gouvernement, contrairement à mes collègues du régime général. Nous sommes très attachés à ce mode de gouvernance.
Nous offrons des services à d'autres régimes. Ainsi, nous gérons les régimes maladie de la SNCF et de la RATP. Nous gérons aussi divers régimes complémentaire-santé (Agrica, Groupama, Mutualia). Nous payons la part obligatoire et la part complémentaire à plus de 2 millions de personnes sur les 3,3 millions que nous couvrons : en ce qui nous concerne, le tiers payant n'est donc pas un problème.
Nous recouvrons les cotisations chômage depuis 40 ans, alors que les Urssaf ne le font que depuis deux ans. Nous recouvrons les parts obligatoires et complémentaires pour les retraites des salariés agricoles pour le compte d'Agrica.
En cas de fusion avec le RSI, les exploitants agricoles seraient rattachés aux artisans et aux commerçants tandis que les salariés agricoles le seraient au régime général ; ce serait inacceptable. En revanche, nous sommes disposés à aider le RSI à sortir de ses difficultés, même s'il n'est pas responsable de tous ses maux : ainsi, un meilleur service des Urssaf résoudrait un certain nombre de ses difficultés. Pour peu que le Gouvernement remette en cause les organismes conventionnés auprès du RSI, nous pourrions lui proposer des prestations de service, pour un coût de 120 millions au lieu des 220 millions actuels représentés par les remises versées actuellement.
Nous sommes donc capables de maîtriser les coûts de gestion pour préserver les équilibres, mais nous ne voulons pas remettre en cause notre régime.
Le législateur ne devrait-il pas s'interroger sur notre périmètre d'activité ? Les activités des entreprises agricoles et agroalimentaires ne relèvent pas toutes de la MSA, si bien qu'il est très difficile de présenter des chiffres fiables sur le monde agricole. Ainsi, les filiales commerciales d'une coopérative adhérant à la MSA sont affiliées au régime général. Lactalis, qui réalise 100 % de sa collecte auprès des agriculteurs, n'est pas au régime agricole.
Merci pour ces précisions. La MSA est le dernier facteur social de proximité dans le monde rural. Il y a 25 ans, les maires étaient assaillis de demandes d'organismes sociaux qui voulaient des salles de réunion. Aujourd'hui, c'est fini.
Avec Jean-Pierre Godefroy, j'avais préconisé une mutualisation des moyens pour venir en aide aux cotisants, quels que soient leur régime de base. Il va falloir remettre l'ouvrage sur le métier.
La réunion est levée à 16 h 40.