Nous recevons ce matin Mme Ipavic, Ambassadrice de Slovénie en France, une semaine après que la Slovénie a pris la responsabilité de la Présidence tournante du Conseil de l'Union européenne, avant que la France la prenne à son tour le 1er janvier 2022.
La Slovénie, qui compte deux millions d'habitants, est le premier pays des Balkans à être entré dans l'Union en 2004. En 2007, elle est le premier pays issu de l'éclatement du bloc de l'Est à adopter l'euro et elle a depuis réussi son intégration économique à la zone. Elle apparaît comme un modèle de stabilité pour ses voisins. Aujourd'hui, elle prend la Présidence à un moment charnière pour l'Union européenne, où la relance se profile et où la pandémie qui semblait reculer risque de resurgir, tant est contagieux le variant delta. Le 31 mai 2021, la décision relative aux ressources propres a été ratifiée par tous les États membres conformément à leurs exigences constitutionnelles. La Commission européenne est donc en mesure de financer la reprise et, le 15 juin dernier, elle a levé 20 milliards d'euros à cet effet. Elle a également validé plus de la moitié des plans de relance nationaux, dont ceux de nos deux pays.
Parallèlement, l'Union européenne propose d'engager un dialogue avec les citoyens pour interroger le projet européen et dessiner des perspectives : cette Conférence sur l'avenir de l'Europe, qui a enfin été lancée le 9 mai dernier, doit se conclure au printemps prochain. Son déroulement reposera donc sur votre présidence et sur la nôtre.
Dans ce contexte où l'avenir de l'Union européenne semble incertain, la Slovénie elle-même connaît des troubles internes : des manifestations à vélo ont récemment rassemblé à Ljubljana des milliers de personnes demandant la démission du gouvernement et la majorité des Slovènes appellent à des élections anticipées. Une polémique a également éclaté à l'occasion de la rencontre le 1er juillet entre votre gouvernement et la Commission européenne, deux députés européens S&D ayant été critiqués par votre Premier Ministre, M. Jansa, pour avoir posé sur une photo avec des juges.
C'est dans ce climat tendu que la Slovénie a dévoilé les priorités de sa présidence. M. Jansa les a présentées avant-hier au Parlement européen : reprise et résilience, autonomie stratégique, santé, transition numérique et écologique, conférence sur l'avenir de l'Europe, renforcement de l'État de droit, sécurité et stabilité, Balkans occidentaux... Autant de priorités très constructives que nous soutenons, mais qui risquent d'être éclipsées par les inquiétudes grandissantes sur le respect de l'État de droit dans votre pays où le Premier ministre a officiellement déclaré la « guerre » aux médias de gauche, accusé les juges d'être « communistes » et refusé de nommer le procureur délégué slovène au Parquet européen, devenu opérationnel le 1er juin.
Nous vous remercions particulièrement d'être venue ce matin nous présenter les priorités de votre présidence et de nous offrir ainsi cette occasion d'échanger avec vous.
Merci, mesdames et messieurs les sénatrices et sénateurs pour votre invitation. Merci, monsieur le Président pour votre présentation. Ces dernières années, l'Europe a été confrontée à de nombreux défis dont les conséquences de la crise économique et financière, la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne, la crise migratoire et bien sûr, la pandémie de covid-19. Ces défis sont de nature à questionner l'efficacité et les avantages inhérents au statut de membre de l'Union européenne, particulièrement du point de vue des citoyens.
La Slovénie a préparé le programme de sa présidence en partenariat avec les pays membres du trio, à savoir l'Allemagne et le Portugal, conformément au plan stratégique de l'Union européenne pour la période comprise entre 2020 et 2024. La Slovénie est le dernier pays de ce trio à prendre la présidence avant de céder la place à un nouveau trio, dont la France fait partie, en janvier prochain. C'est pourquoi la coopération étroite entre les présidences de nos deux pays est très importante. Je voudrais exprimer toutes mes félicitations à nos partenaires du trio qui sont parvenus à accomplir un excellent travail malgré cette période difficile provoquée par la crise de la covid-19. Ils ont façonné les accords de relance et oeuvré à leur mise en oeuvre historique. Grâce à cela, le premier lot de plans nationaux a aujourd'hui été adopté par la Commission, ouvrant la voie à l'utilisation par les États membres des fonds alloués pour la sortie de crise. Ces plans apportent en outre un nouvel élan pour l'économie européenne, fondé sur la transition verte et la transformation numérique afin de rendre l'Europe stratégiquement plus autonome. Nous visons à achever dans les meilleurs délais la procédure d'approbation des plans nationaux. Nous attendons avec impatience ces six mois de présidence qui constituent la seconde présidence du Conseil de l'Union européenne par la Slovénie après la première en 2008.
La Slovénie souhaite vivement travailler avec les vingt-six membres de l'Union pour créer une Europe plus résiliente et prête à relever les défis de l'avenir. Travailler ensemble signifie se soutenir mutuellement et agir de manière solidaire dans l'intérêt de chaque citoyen de l'Union européenne. Ceci sera essentiel pour renforcer la résilience de l'Europe. Dans ce contexte, la Slovénie a choisi le slogan « ensemble, résilients, Europe » comme une réponse aux défis que cette dernière devra relever. Comme déjà évoqué par le Président, les quatre domaines pour lesquels la présidence slovène accordera le plus d'attention auront pour objectif de soutenir la résilience, la relance et l'autonomie stratégique en vue de construire une Union européenne plus forte.
L'objectif principal est de coordonner les efforts collectifs afin que l'Union européenne apporte une réponse plus efficace que les réponses individuelles des États membres face aux différentes crises à venir. Au cours de la présidence, nous nous concentrerons sur le renforcement de notre capacité à faire face avec succès aux pandémies et aux divers risques et menaces de sécurité de plus en plus complexes telles que les cyberattaques. Nous procéderons à un examen approfondi de l'expérience acquise lors de la gestion de la crise de la covid-19 qui comprendra un regard stratégique sur l'avenir. La Slovénie se concentrera donc particulièrement sur les menaces liées à la santé et à la cyber résilience. Pour ce faire, nous souhaitons renforcer l'Union européenne de la santé en élargissant les missions du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies ainsi que celles de l'Agence européenne des médicaments. Cette Union européenne de la santé aura pour objectif de créer une base scientifique de qualité sur laquelle les États membres pourront appuyer leurs décisions en cas de pandémie. Nous poursuivrons en outre le travail effectué en vue de la création d'HERA, la nouvelle autorité européenne de réaction aux urgences sanitaires.
Dans le domaine de la cybersécurité, notre priorité est de soutenir les États membres en matière de cyber résilience en révisant la directive Network and Information System Security (« directive NIS »). La Slovénie s'engagera également à oeuvrer au renforcement de l'efficacité de la réponse de l'Union européenne face aux catastrophes naturelles. Ainsi, les capacités de la Réserve européenne de protection civile devront être développées. L'expérience de la crise de la covid-19 a montré que la résilience de l'Union européenne ne peut être garantie sans aborder la question de la dépendance de l'Union vis-à-vis de certains biens essentiels. La présidence slovène souhaite de fait accélérer la discussion visant à garantir l'autonomie de l'Union européenne dans certains domaines stratégiques. Nous accorderons une attention particulière à la mise en oeuvre de la stratégie industrielle révisée qui affecte notamment la souveraineté technologique de l'Union européenne. L'objectif est de garantir l'autonomie stratégique, particulièrement vis-à-vis des vaccins et des médicaments essentiels. La présidence slovène travaillera donc sur le développement des missions de l'HERA. Notre objectif est de doter HERA de ses propres capacités de recherche et de développement ainsi que d'infrastructures appropriées au niveau européen afin de permettre la production de médicaments et de vaccins.
La situation d'urgence liée à la covid-19 a aussi rappelé l'importance stratégique de l'approvisionnement alimentaire. L'objectif de la présidence slovène sera ainsi de rappeler le rôle stratégique de l'agriculture durable et résiliente conformément à la stratégie « de la ferme à la table ».
La reprise de l'économie européenne fondée sur la transition écologique et la transformation numérique, compte tenu des défis démographiques, sera la tâche principale de l'Union européenne pour la période à venir. La présidence slovène lancera le débat concernant la proposition de nouvelles ressources propres. Nous porterons une attention particulière aux propositions en lien avec la mise en place de la taxe numérique et du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières. Je tiens ici à souligner notre engagement en faveur de la transition verte et de la lutte contre le changement climatique. Nous voulons progresser autant que possible sur le package « Fit for 55 » tout en préservant la compétitivité de l'industrie européenne. La présidence slovène travaillera ainsi à l'élaboration d'un projet européen ambitieux en vue de l'organisation de la prochaine conférence « Cop 26 » à Glasgow.
Nous soutiendrons les avancées européennes vers une plus grande autonomie numérique et une réduction des écarts avec les leaders mondiaux. Pour ce faire, nous travaillerons à l'amélioration de la connectivité et au développement d'infrastructures numériques résilientes capables de supporter le déploiement du réseau 5G. La présidence slovène cherchera à mettre en avant le rôle de la science et de la recherche dans la reprise économique en instaurant un nouveau cadre de gouvernance européenne de la recherche. Nous envisageons d'adopter un pacte pour la recherche et l'innovation.
La Slovénie soulignera par ailleurs l'urgence de la nécessité de faire face au défi démographique qui constitue un enjeu incontournable vis-à-vis de la reprise économique et l'un des défis stratégiques les plus importants pour l'Union européenne. Notre objectif est de mettre en oeuvre des politiques de qualité en vue de contribuer au renversement de la tendance démographique. Le point de départ de ces politiques sera le plan d'action pour la réalisation d'un socle européen pour les droits sociaux.
Notre deuxième priorité portera sur la conférence sur l'avenir de l'Europe afin de définir pour les citoyens une nouvelle vision renforçant la compréhension commune des défis auxquels les pays membres sont confrontés. Une partie importante de la conférence se tiendra sous notre présidence. C'est pourquoi la Slovénie cherchera à engager des discussions directes avec les citoyens, comprenant des débats larges et inclusifs sur notre avenir. Elle fera en outre tout ce qui est en son pouvoir pour que les travaux de la conférence avancent selon le programme établi et pour que la conclusion de ces derniers soit annoncée sous la présidence française en 2022.
La troisième priorité concernera la défense du mode de vie européen, de l'État de droit, de la dignité personnelle, de la liberté et des droits fondamentaux. À cet égard, les éléments-clés à prendre en compte sont : un développement économique soutenu, un niveau élevé de sécurité sociale et une éducation de bonne qualité et inclusive. Sur la base du deuxième rapport annuel de la Commission européenne, nous chercherons à défendre l'État de droit et organiserons un grand débat à ce sujet. Nous sommes convaincus qu'un dialogue constructif permettra une meilleure compréhension des différents systèmes caractérisant les États membres de l'Union européenne et ainsi la préservation de l'État de droit.
La quatrième et dernière priorité porte sur la consolidation d'une Union européenne crédible, sûre et capable d'assurer la sécurité et la stabilité dans son voisinage. Au cours de sa présidence, la Slovénie travaillera au renforcement de la sécurité de l'Union européenne, à savoir sa sécurité intérieure et extérieure. Dans ce contexte, l'objectif de la Slovénie est la mise en oeuvre effective de la législation Schengen en vue de bâtir un espace Schengen plus robuste sans contrôles aux frontières intérieures. De plus, la Slovénie tentera de faire avancer les négociations relatives au pacte sur la migration et l'asile. L'Union européenne a besoin de moyens supplémentaires pour lutter contre les migrations illégales, tout en prenant en compte leur source, et pour parvenir à une protection plus efficace des frontières extérieures. Elle a également besoin d'un système d'asile fonctionnel et d'une coopération étroite avec les pays d'émigration et de transit. Afin de garantir la sécurité de ses frontières, l'Union européenne doit pouvoir s'appuyer sur une politique de défense solide et autonome, à la fois de par les capacités de défense de ses États membres mais aussi de par les capacités de défense communes.
Dans le cadre de son action extérieure et de son voisinage européen, la Slovénie accordera une attention particulière aux Balkans occidentaux en leur dédiant notamment un sommet en octobre prochain. Le principal objectif sera de garantir la reprise économique dans la région ainsi que de garantir la résilience de cette dernière en matière de cybersécurité, de connectivité et de transition verte. Nous restons persuadés qu'un processus d'adhésion crédible reste l'unique solution pour garantir la stabilité dans les Balkans occidentaux. Dans le contexte de la politique de voisinage, un sommet est prévu au sujet du partenariat oriental et un autre avec l'Ukraine. Enfin, de manière plus générale, une attention particulière sera accordée aux relations transatlantiques et à la poursuite du dialogue concernant notamment le changement climatique, le multilatéralisme et la coopération avec l'OTAN.
Pour conclure, je me permets de rappeler de nouveau l'importance d'entretenir une coopération étroite entre la Slovénie et la France. Dans le cadre de nos deux présidences consécutives, les interactions se sont intensifiées entre Paris et Ljubljana ces six derniers mois et j'espère que les échanges entre le Sénat français et notre Conseil national se multiplieront. J'étais très heureuse d'apprendre que le groupe d'amitié franco-slovène avait planifié prochainement une visite en Slovénie. Je souhaiterais pour finir vous présenter un projet de la présidence slovène qui réside dans la création d'une bibliothèque virtuelle européenne. Celle-ci sera disponible durant notre présidence. Le lien d'accès se trouve sur le site de notre ambassade et de notre présidence. Merci pour votre attention.
Merci, Madame l'Ambassadrice. Ce programme est chargé mais correspond bien au programme d'une sortie de crise. Nous serons particulièrement attentifs aux différents travaux mentionnés et partageons pleinement ces ambitions, notamment sur l'aspect concernant la santé, qui comprend une réponse sanitaire immédiate en cas de crise, ainsi qu'un volet extrêmement intéressant sur la recherche. Nous évoquerons bien sûr l'ensemble de ces différents points au travers des questions de mes collègues. Je cède sans plus attendre la parole à la présidente du groupe d'amitié France-Slovénie, Colette Mélot.
Merci, Monsieur le Président. Madame l'Ambassadrice, je tiens à saluer votre présence au sein de notre commission. Nous souhaitions connaître vos priorités notamment en vue d'articuler nos politiques durant les périodes successives de présidence. Il est évident qu'en sortie de crise, les difficultés demeurent et il est compliqué de savoir ce que les mois à venir nous réserveront. Néanmoins, je crois que le fait de garantir une stratégie industrielle concernant les vaccins et les médicaments est primordial. En outre, vous avez à juste titre mis l'accent sur la transition verte et les défis démographiques alors que la conférence sur l'avenir de l'Europe approche. Si la Slovénie est aujourd'hui regardée par la presse des pays de l'Union européenne comme un pays où l'État de droit doit encore être renforcé, je constate que les priorités que vous avez mentionnées à ce sujet nous intéressent au plus haut point.
Par ailleurs, je partage totalement votre point de vue concernant les Balkans occidentaux, dont l'intégration à l'Union européenne est fondamentale. À cet égard, ces derniers ont besoin de disposer de perspectives concrètes vis-à-vis du processus d'adhésion. Je rappelle pour finir l'importance de la coopération étroite entre la Slovénie et la France et regrette que le projet culturel que vous aviez dans les jardins du Luxembourg n'ait pas pu avoir lieu pour des raisons de sécurité. Je confirme enfin que le groupe d'amitié France-Slovénie devrait se rendre dans votre pays au mois de septembre. Je laisse la parole au président pour continuer à échanger sur le sujet.
Merci. Je cède la parole à Marta de Cidrac, présidente du groupe d'amitié France - Balkans occidentaux.
Merci, Monsieur le Président. Je remercie ma collègue d'avoir mentionné les Balkans occidentaux. Merci beaucoup de votre présence, Madame l'Ambassadrice. En effet, vous avez développé un programme ambitieux pour ces six mois de présidence qui s'effectueront dans un contexte peu évident. En tant que présidente du groupe d'amitié France - Balkans occidentaux, je souhaiterais rappeler que les Balkans occidentaux comprennent la Serbie, la Bosnie-Herzégovine, la Macédoine du Nord, le Monténégro et le Kosovo. En tenant compte des dernières élections ayant eu lieu dans cette région et sachant que certains de ces pays sont plus avancés que d'autres en matière d'adhésion, quelle est selon vous la manière à adopter pour aborder l'élargissement de l'Union européenne à ces pays ? Je pense bien sûr à la Macédoine du Nord dont le processus d'intégration est particulièrement avancé, au même titre que celui de la Serbie et du Monténégro. Je souhaite ainsi connaître la position de la Slovénie à ce sujet et la façon dont vous allez aborder ce dernier dans le cadre de votre présidence.
Merci, Madame l'Ambassadrice. Ma question portera sur un sujet sensible en Slovénie, à savoir l'entrée prochaine de la Croatie dans l'espace Schengen. Étant donné que la présidence française du Conseil de l'Union européenne courra en réalité sur une période de trois mois en raison de la tenue de l'élection présidentielle, les questions européennes de fond vous reviendront. Je souhaite de fait connaître votre position à ce sujet dans le cadre de la conférence pour l'avenir de l'Europe alors que votre gouvernement paraît sensiblement en recul sur la question de l'intégration européenne.
Pourriez-vous également revenir sur le sujet du Parquet européen ?
Merci. Pour répondre à Madame de Cidrac sur la question des Balkans occidentaux, la Slovénie considère que ces derniers font office de partenaires stratégiques à qui l'Union européenne doit donner une véritable perspective européenne. Je rappelle que le processus a commencé en 2003 à Thessalonique mais depuis dix-huit ans, l'Union européenne a changé à plusieurs reprises les modalités d'adhésion, donnant l'impression de ne pas souhaiter l'élargissement. Pourtant, si l'Union européenne n'avance pas dans le processus d'élargissement, d'autres puissances internationales n'attendent pas, comme observé lors de l'approvisionnement des Balkans occidentaux en vaccins. La Chine et la Russie ont en effet aidé les pays des Balkans occidentaux dans cet approvisionnement. La Slovénie souhaite, durant sa présidence, convaincre les Balkans occidentaux que l'Union européenne souhaite leur intégration. Nous espérons faire avancer les négociations avec la Macédoine du Nord et l'Albanie notamment.
Concernant la question de l'adhésion de la Croatie à l'espace Schengen, la Slovénie soutiendra, comme exprimé par mon Premier ministre devant le Parlement européen, l'adhésion à l'espace Schengen de la Croatie, de la Roumanie et de la Bulgarie. La Slovénie n'exprime aucune hésitation sur ce sujet.
À propos de la conférence sur l'avenir de l'Europe, je précise que la Slovénie ne dirigera pas cette dernière. Toutes les institutions européennes y seront parties prenantes. La Slovénie prépare rigoureusement les travaux de la plénière dans le but de présenter la conclusion de cette conférence durant les trois premiers mois de la présidence française.
Concernant le Parquet européen, la Slovénie fait partie des vingt-deux États membres à avoir adhéré à ce dernier et regrette la non-participation de certains États. Nous nommerons prochainement notre procureur à cet effet.
Merci, Madame l'Ambassadrice. La parole est à Monsieur Franck Menonville.
Madame l'Ambassadrice, je souhaite savoir quels sont les leviers sur lesquels vous comptez appuyer votre politique relative à l'évolution de la démographie européenne. En outre, quelles sont plus précisément les ambitions de votre présidence en matière de politique d'asile et de migration ?
Concernant la démographie, nous considérons ce sujet comme étant très important puisqu'il nous concerne tant à l'échelle européenne qu'à l'échelle nationale. Nous travaillons très étroitement avec la Commission européenne pour aborder cet enjeu européen et en faire l'un des sujets de débat lors de la conférence sur l'avenir de l'Europe. La question démographique nous semble être au coeur du plan d'action pour la réalisation du socle européen pour les droits sociaux. Celle-ci est également décisive pour garantir un travail de qualité à toutes les étapes de la vie et la participation des personnes âgées à la société.
À propos de la politique d'asile et de migration, nous avons conscience que ce thème est sensible au sein des différents États membres mais beaucoup de travaux ont déjà été réalisés en la matière. Nous entendons poursuivre ces derniers.
Merci, Monsieur le Président et Madame l'Ambassadrice. Je reviens sur la question de l'asile. Si de nombreux textes existent déjà en la matière, force est de constater que plusieurs pays ne souhaitent pas les appliquer et que la solidarité se vérifie très peu dans les faits. Ainsi, une politique forte est indispensable pour faire appliquer ces textes. Votre présidence fera-t-elle preuve de volontarisme en la matière ?
Par ailleurs, plusieurs difficultés émanent aujourd'hui de certains États membres quant au respect de l'État de droit. Quelles positions votre présidence entend-elle adopter à ce sujet ? Il apparait évident que l'Union européenne ne peut pas continuer son développement à partir d'États membres manifestant des conceptions si différentes de l'État de droit.
Madame l'Ambassadrice, il me semble que l'un des points forts dans la présidence portugaise résidait dans les efforts faits sur la question de la construction de l'Europe sociale. La France entend poursuivre ces efforts. Qu'en est-il pour la présidence slovène ? Enfin, je me permets de remarquer que la Slovénie est aujourd'hui éligible à 5,2 milliards d'euros du fonds de relance européen, soit 10 % de son produit intérieur brut (PIB). Je précise que l'intégration politique et le respect de l'État de droit font office de contrepartie à cette solidarité européenne.
Merci, Madame l'Ambassadrice pour votre exposé. Je ne reviens pas sur les questions sensibles en lien avec le respect de l'État de droit. Je souhaite plutôt savoir comment la Slovénie entend renforcer les relations transatlantiques et celles avec l'OTAN dans un contexte où la défense européenne est en déclin, comme l'atteste l'ambition réduite du fonds européen de la défense. Comment la présidence slovène envisage la défense européenne ? Concernant l'élargissement aux Balkans, j'ai bien compris votre position mais je souhaiterais savoir votre vision du partenariat oriental car la relation entre l'Union européenne et la Russie me semblait quelque peu absente de votre présentation. Quelles vont être les orientations de votre présidence à ce sujet ?
Je vous confirme que la Slovénie fait preuve d'une grande volonté en vue d'avancer sur la question de l'asile car celle-ci constitue un défi majeur pour l'Europe. La période actuelle n'est toutefois pas optimale pour avancer sur ce sujet notamment car, d'un point de vue politique, les élections fédérales se tiendront en Allemagne en septembre prochain notamment. Concernant la question de l'État de droit, la Slovénie entend poursuivre au Conseil de l'Union européenne le dialogue mené en partenariat avec la Commission européenne. Sous notre présidence, ce dialogue sera conduit en particulier avec l'Italie, la Croatie et la Lituanie. Celui-ci nous apparaît très important afin de comprendre les différents aspects propres à chaque pays en vue de construire une Europe de valeurs communes. Pour la Slovénie, le respect de ces valeurs constitue l'un des fondements de l'Union européenne mais nous souhaitons néanmoins encourager le dialogue sur le travail de la Commission, notamment à l'égard de la Hongrie.
Au sujet de l'aspect social, je dois reconnaître que les thématiques sont difficiles, à l'instar de celles concernant le salaire minimum ou la coordination des systèmes sociaux, mais nous entendons poursuivre les travaux déjà engagés.
À propos des relations transatlantiques, la Slovénie souhaite continuer le dialogue ouvert avec le nouveau gouvernement américain mais aussi la politique européenne de voisinage et de coopération. C'est pourquoi nous pensons que le dialogue avec la Russie est aussi nécessaire. L'Union européenne doit à ce titre réfléchir à la création d'un cadre de travail avec la Russie.
Merci, Madame l'Ambassadrice. Nous serons probablement amenés à nous revoir au cours de la présidence de la Slovénie et c'est avec plaisir que nous vous inviterons de nouveau au sein de notre commission. Nous attendrons également le retour documenté du déplacement en Slovénie du groupe d'amitié franco-slovène.
Mme Metka Ipavic. - Merci, Monsieur le Président. Merci à toutes et tous.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Nous accueillons maintenant le comité de réflexion et de propositions pour la présidence française du Conseil de l'Union européenne mis en place par le Gouvernement. Clément Beaune, ministre en charge des affaires européennes, a en effet souhaité constituer un « comité de sages » pour donner un cap à la Présidence française. Il en a confié la présidence à Thierry Chopin, professeur de sciences politiques et conseiller spécial à l'Institut Jacques Delors, que je remercie pour sa présence. Il est aujourd'hui venu entouré de trois des onze membres de ce comité : Dominique Schnapper, sociologue et ancienne membre du Conseil constitutionnel, Michel Foucher, géographe, diplomate et essayiste, et Jean-François Jamet, conseiller du Directoire de la Banque centrale européenne. Merci à chacun de vous d'avoir accepté d'échanger ce matin avec la commission des affaires européennes du Sénat.
Votre mission nous apparaît particulièrement délicate, au moment où l'Union européenne semble sur le fil du rasoir, entre une relance qui s'amorce et une pandémie qui menace de resurgir à la faveur du variant delta. Entre une Présidence slovène à peine entrée en fonctions et les polémiques déjà vives sur la situation de l'État de droit dans ce pays et les démocraties « illibérales ». Je rappelle à cet égard que nous venons de recevoir l'ambassadrice de Slovénie en France. Entre une Union fragilisée par l'amputation de son membre britannique et les tensions internationales croissantes qui mettent au défi l'unité européenne et son autonomie stratégique, votre mission semble délicate.
Au Sénat aussi, nous nous préparons à cette présidence française du Conseil de l'Union européenne. Elle interviendra dans un contexte électoral très particulier, qui réduira finalement de moitié le temps utile de la Présidence. C'est une difficulté majeure. Comment conciliez-vous l'ambition de la mission qui vous a été confiée avec ce rétrécissement calendaire ?
Deuxième point qui m'interroge : le Gouvernement a déjà annoncé vouloir orienter la présidence française autour de trois axes : appartenance, puissance et relance. Comment vous accommodez-vous de cette feuille de route, déjà fixée en amont de votre réflexion ? Quelle liberté vous reste-t-il ?
Dernière question : sur une initiative du Président Macron, reprise à son compte par la Présidente de la Commission, l'Union européenne a lancé le 9 mai dernier un dialogue avec les citoyens pour interroger le projet européen et dessiner des perspectives. Cette Conférence sur l'avenir de l'Europe, qui a tant peiné à être lancée, doit se conclure au printemps prochain, sous présidence française. Comment ce processus interfère-t-il avec votre propre travail puisqu'il consiste lui aussi à tracer des perspectives européennes ? Et comment en outre éviter la confusion, que nous constatons déjà grandissante chez de nombreux compatriotes, entre la Conférence sur l'avenir de l'Europe et la présidence française ?
Merci pour votre invitation Monsieur le Président. Je souhaite commencer en explicitant ce qu'est le Comité de réflexion et de propositions pour la présidence française du Conseil de l'Union européenne, voulu par le secrétaire d'État, Clément Beaune. Je poursuivrai en vous exposant les objectifs du Comité ainsi que l'état d'avancement de nos travaux.
Au-delà des composantes politique et administrative mobilisées dans la préparation de la présidence française du Conseil de l'Union européenne, le secrétaire d'État a souhaité créer un comité de réflexion spécifique, composé de personnalités provenant d'univers différents. Nous comptons ainsi des universitaires, des représentants de think tanks et des praticiens, qui s'expriment tous les douze en parfaite indépendance par rapport aux institutions pour lesquelles ils travaillent. Les domaines couverts sont également très divers, puisque nous comptons des économistes, des géographes et des sociologues, afin d'appréhender de la manière la plus complète possible les thématiques « relance, puissance et appartenance » énoncées par le secrétaire d'État.
L'une des principales missions du Comité consiste à essayer d'articuler le travail technique autour d'un discours qui sera porté politiquement durant la présidence française. Au-delà du travail politique et administratif, l'objectif du Comité est de réfléchir à moyen et long terme à certains enjeux qui dépassent le cadre de la présidence française. Depuis une dizaine d'années, les Européens sont confrontés à des chocs successifs de souveraineté, le dernier ayant été provoqué par la crise sanitaire. Dans ce contexte, il est judicieux de s'interroger sur ce à quoi pourrait ressembler l'Union européenne dans les années à venir.
Le dernier objectif m'apparaît comme complémentaire à ceux formulés par le secrétaire d'État. Il me semble important de tenter de saisir l'opportunité fournie par cette présidence française en matière de réappropriation par les Français de la réalité de l'Union européenne et de prendre de la hauteur dans la perspective de la Conférence sur l'avenir de l'Europe. Ce doit être l'occasion de réfléchir sur ce que représente l'Union européenne, mais aussi la France en Europe et l'Europe en France.
Concernant la méthode, nous avons fait le choix de ne pas nous limiter à une réflexion franco-française. Il nous paraît en effet indispensable de définir les conditions permettant de rendre notre discours et nos propositions audibles pour nos partenaires. Je crois que nos travaux ont de fait une sensibilité assez forte aux autres pays européens. Le Comité est à ce titre composé de ressortissants allemands et italiens par exemple. Nous essayons par ailleurs de clarifier le rapport des Français à l'Union européenne car ce dernier se caractérise par un degré d'euroscepticisme très fort par rapport à d'autres pays européens. Le même constat peut être établi en Italie. Il convient par conséquent d'intégrer ces représentations à nos réflexions en vue d'articuler les dimensions européenne et nationale.
Pour finir, le travail du Comité n'a pas vocation à se substituer au travail de l'administration. Il s'agit d'une démarche complémentaire qui a pour but d'étendre la réflexion au-delà des cadres institutionnels traditionnels.
Je vous confirme, Monsieur le Président, que notre agenda de travail est largement orienté par les thématiques « relance, puissance et appartenance », définies par le Gouvernement. Je précise pour conclure que nos travaux sont également ouverts à d'autres acteurs que l'administration, tels que des universitaires, des acteurs associatifs, territoriaux transfrontaliers... Nos travaux donneront lieu à la publication d'un rapport vers la fin octobre ou le début novembre 2021. Ce dernier sera remis au secrétaire d'État.
Thierry Chopin m'a proposé de travailler sur le troisième terme proposé à notre réflexion, à savoir l'appartenance. Ce dernier comprend un certain nombre de dimensions mais nous avons fait le choix de nous concentrer sur des dimensions particulièrement utiles aux décideurs politiques.
Nous sommes partis du constat que la construction européenne avait abouti à des contacts objectivement de plus en plus étroits entre les différents pays européens sans pour autant que le sentiment d'appartenance ait grandi de la même façon. Plusieurs causes expliquent ce phénomène, à commencer par l'élargissement de l'Union européenne aux pays héritiers de l'ancien empire soviétique. Ces derniers ont des traditions démocratiques sensiblement différentes de celles des pays de l'ouest de l'Europe. Le renouvellement des générations a en outre provoqué une évolution des sociétés qui a permis l'émergence d'une certaine remise en cause interne des principes et des pratiques démocratiques. L'idée issue de la seconde guerre mondiale, selon laquelle les pays européens doivent s'unir pour éviter la guerre et faire face au totalitarisme, est désormais moins prégnante au sein des sociétés.
Afin de ranimer le sentiment d'appartenance, nous avons réfléchi à la formulation de trois suggestions. La première concerne l'éducation car il apparaît indispensable d'assurer la transmission des valeurs, de l'histoire et des institutions européennes. Or, à tous les niveaux d'enseignement, du primaire au supérieur, il existe une grande ignorance dans ces domaines. Le sentiment d'appartenance à l'Union européenne doit naître en parallèle de l'éveil à la société politique. Pour ce faire, les écoles bilingues pourraient notamment se multiplier. Le programme Erasmus pourrait également être étendu plus largement aux alternants et aux professionnels et non plus essentiellement aux étudiants. La seconde suggestion concerne les médias puisqu'il a été constaté que ces derniers ne relayaient que très peu d'informations à l'échelle européenne. Ils pourraient donc s'appuyer sur des sources communes européennes et des échanges d'informations entre les médias des différents pays membres. Enfin, la troisième suggestion porte sur l'organisation de « grands tours », sur les modèles qui existaient aux XVIIIe et XIXe siècles, afin d'ouvrir les formations et les professionnalisations entre les différents États membres. L'objectif serait notamment de multiplier les rencontres entre les individus. Ces suggestions reposent plus sur la place donnée aux individus que sur les rôles détenus par les institutions qui sont souvent peu connues par la population européenne.
Vous avez mentionné à juste titre les contraintes inhérentes à l'agenda de la présidence française du Conseil de l'Union européenne. Lors de la précédente présidence, qui avait été bien préparée, la crise en Géorgie avait bousculé l'agenda prévu. Les dernières présidences britannique et allemande ont aussi été bouleversées, respectivement par des attentats à Londres ainsi que par la pandémie de covid-19. C'est pourquoi, l'hypothèse d'un événement imprévu ne pouvant être écartée, cette présidence raccourcie nous a incités à suggérer au secrétaire d'État, Clément Beaune, de distinguer un noyau dur de propositions à l'intérieur de nos propositions qui seront déjà restreintes.
Ce noyau sera constitué de cinq recommandations. L'une de ces recommandations concerne la terminologie puisque le terme « puissance » n'est pas le terme qu'il convient d'employer publiquement avec les autres Européens. L'expression « autonomie stratégique » ne convient pas non plus forcément car elle pourrait sous-entendre pour certains la sortie de la France de l'OTAN. En revanche, l'expression « souveraineté européenne » ferait plus consensus, particulièrement à Berlin : ayant émergé en 2017, cette expression façonne désormais le débat, d'autant que l'année écoulée a révélé les vulnérabilités européennes, tant à l'égard des États-Unis qu'en matière de santé. Celle-ci doit se décliner en termes juridiques, diplomatiques, technologiques, monétaires et normatifs.
Toutefois, l'un des principaux constats est que l'Union européenne n'est pas un État donc elle n'est pas prête à rivaliser dans le nouveau monde bipolaire qui se dessine actuellement autour des États-Unis et de la Chine. L'Allemagne, qui maintient une équidistance entre la sécurité américaine et le marché chinois, pense cependant que ces considérations ne sont pas fondamentales pour l'avenir de l'Europe. L'Allemagne applique la politique étrangère de son industrie exportatrice. Quant à la France, il me semble qu'elle occupe désormais le statut de puissance de second rang au même titre que la Russie, la Turquie et l'Iran, bien qu'elle détienne des attributs de puissance de premier rang à savoir la dissuasion nucléaire et un siège permanent au Conseil de sécurité des Nations unies. Ces changements d'échelle sont en partie dus à l'affirmation de la puissance chinoise.
Il ne s'agit pas de s'aligner derrière la croisade américaine anti-chinoise, mais d'aller vers une « compétition stratégique maîtrisée », pour reprendre les termes du Premier ministre australien. De fait, Wall Street ne se prive pas d'investir en Chine, malgré la doctrine de la Maison blanche.
À l'échelle européenne et dans le contexte des élections fédérales allemandes en septembre prochain, nous constatons qu'il existe une attente de leadership français malgré la prégnance de l'euroscepticisme en France et l'organisation de l'élection présidentielle en 2022. Dans cette lignée, la dynamique franco-allemande ne suffit pas et il est, à mon sens, nécessaire de travailler davantage avec nos partenaires, Italiens notamment. Le traité du Quirinal est un cadre important où nous devons discuter stabilité au Maghreb, en Lybie... Je précise à cet égard que les questions migratoires ne se régleront pas sans une étroite concertation avec l'Italie, l'Espagne, le Portugal, la Grèce et Malte.
Il convient que l'Union européenne s'ouvre tout en s'affirmant comme centre de pouvoir, car je rappelle qu'elle est le plus grand espace démocratique du monde.
Les propositions additionnelles porteront sur plusieurs sujets tels le style à adopter durant la présidence en s'inspirant du dialogue continu qu'avait établi Michel Barnier lors des négociations sur le « Brexit », et sur la manière de s'adresser à l'opinion publique qui doit être empreinte d'humilité coopérative sur tous les sujets : la technologie, la défense, l'approfondissement de l'autonomie stratégique, l'Europe de la santé et la politique de voisinage (terme que je préconise d'ailleurs d'éviter).
Il me semble aussi judicieux de travailler avec la Russie, la Turquie, l'Égypte et l'Algérie en leur laissant une marge de manoeuvre, que ce soit en Méditerranée ou au Moyen-Orient, où la France n'a pas la capacité d'agir seule. Aujourd'hui, la France est par exemple impuissante face à la situation en Syrie et n'aura aucun rôle à jouer dans la résolution de la crise. À l'aide de partenaires, la France peut en revanche continuer de se concentrer sur les terrains libyens et sahéliens par exemple. En conclusion, la France doit éviter le discours de la puissance et se recentrer sur ses objectifs stratégiques concrets tout en prenant en compte les différents impératifs budgétaires.
Concernant le volet de la relance, notre groupe de travail a identifié trois messages clés qui doivent être véhiculés. Le premier consiste à insister sur le caractère pour l'heure très fragile de la reprise économique. Le second porte sur la nécessité d'accompagner les transformations de l'économie puisque la pandémie de covid-19 a démontré l'existence d'un besoin de réallouer les ressources. L'enjeu est ici de s'orienter vers un capitalisme responsable et une transformation numérique efficace. Enfin, le troisième message a vocation à faire émerger l'idée de biens communs européens.
Fort heureusement, des points positifs sont à relever dans la gestion économique de la crise sanitaire par l'Union européenne puisque cette dernière a réagi de manière plus rapide que lors de la crise financière de 2008. À cet égard, l'émission d'une dette commune constitue un véritable changement de paradigme. Toutefois, l'Union européenne a également été plus fortement affectée que d'autres économies et connaît une reprise plus tardive que la Chine ou les États-Unis par exemple. Il convient par conséquent d'éviter le retrait prématuré des mesures de soutien. Je rappelle à ce titre qu'un point de croissance (1 %) non retrouvé équivaut globalement à la perte d'un million d'emplois dans la zone euro. Un dernier risque à combattre en Europe et particulièrement en France est lié à l'existence d'un fort pessimisme à l'égard de la situation économique et des capacités européennes à relancer la croissance. Une majorité d'Européens pense que l'Union européenne ne sortira pas de la crise avant 2023. Nous avons de fait identifié un véritable risque d'autoréalisation de cette croyance. En France par exemple, l'adhésion des citoyens au plan de relance est particulièrement faible.
Pour répondre à ces problématiques, notre groupe de travail suggère à la présidence française de soutenir une réponse budgétaire ambitieuse, de viser un retour rapide à 1, 3 % de croissance supplémentaire et d'accompagner la reprise du marché du travail en se concentrant notamment sur l'insertion des jeunes.
Pour finir, les aspects économiques et financiers liés au développement du numérique et de la transition verte sont aussi particulièrement importants et l'Union européenne peut à ce titre jouer un rôle prégnant à l'échelle mondiale dans l'avènement du capitalisme responsable. Il faut pour ce faire valoriser les entreprises à partir de critères autres que des critères uniquement financiers. De manière plus générale, il est nécessaire de comprendre la relance européenne dans le contexte de la relance mondiale et des intérêts géopolitiques inhérents à cette dernière. À cet égard, la Chine est devenue de loin le principal créancier bilatéral dans le monde, ce qui correspond à une stratégie géopolitique.
Il va sans dire que la période électorale qui s'ouvrira prochainement n'est pas de nature à favoriser l'efficacité de la présidence française. Il sera probablement difficile de faire avancer de nouvelles idées et de les mettre en oeuvre. Je pense à titre personnel que l'accent peut être mis sur l'appartenance : je souscris à l'idée de profiter de l'opportunité que représente cette présidence pour faire reculer l'euroscepticisme en France. Nous devons tenter de changer de paradigme afin de faire en sorte que les Français soient fiers de cette présidence française. Ceci nécessite toutefois des mesures efficaces en termes de communication notamment. À cet égard, l'exemple du cas de Strasbourg est édifiant. La ville est censée être le siège du Parlement européen mais elle n'accueille en réalité que très peu de séances parlementaires. Ceci tient au manque de volonté politique de la part des derniers gouvernements français ainsi qu'au manque d'infrastructures dans la ville. Enfin, nous devons profiter de la présidence française pour changer les règles de la coopération transfrontalière.
M. Thierry Chopin. - Nous disposerons en effet de seulement trois mois utiles pour cette présidence et je relève un risque de « siphonage » des enjeux de cette présidence par les thématiques de l'élection présidentielle. Parallèlement, la coopération franco-allemande sera également mise à mal par la désynchronisation des calendriers électoraux. En essayant toutefois d'apporter une certaine organisation, nous avons distingué trois phases dans le calendrier, à savoir, la préparation qui a lieu actuellement, la phase d'initiative politique durant les trois premiers mois de présidence puis la phase technique lors des trois derniers.
Sur le volet de l'appartenance, je partage entièrement votre point de vue. La question de la fierté est en effet primordiale à mon sens. Par ailleurs, les géographes ont d'ores et déjà décelé l'existence d'une véritable géographie de l'euroscepticisme. Comme expliqué par Dominique Schnapper, un travail considérable doit être fourni en matière d'éducation et d'informations véhiculées par les médias. Concernant les relations transfrontalières, je partage en effet votre idée selon laquelle de nombreuses avancées peuvent être prochainement réalisées, notamment dans le domaine de la formation.
Pour poursuivre sur la thématique de l'appartenance, il me semble que nous devons répondre à deux questions essentielles posées par les citoyens, à savoir : qu'est-ce que l'Union européenne ? Qu'apporte-t-elle aux citoyens européens ?
Concernant Strasbourg, je partage le point de vue selon lequel cette ville doit reprendre sa place de capitale européenne, à côté de Bruxelles ou Luxembourg. Parmi les 352 évènements prévus durant la présidence française du Conseil de l'Union européenne, un certain nombre de ces derniers devrait, à mon sens, avoir lieu à Strasbourg.
Par ailleurs, pour revenir sur les questions liées à la politique de voisinage, la stabilité du Maghreb me semble être une problématique primordiale et particulièrement la stabilité du Maroc. Malgré les tensions actuelles entre le Maroc et l'Espagne, l'Union européenne doit percevoir le Maroc comme étant l'une des clés de la sécurité, notamment à l'égard des flux migratoires, du passage de produits illicites et de terroristes.
Je rejoins vos propos : il est fondamental de mettre en avant l'Union européenne du quotidien, c'est-à-dire ce qu'elle représente pour le citoyen et pourquoi elle lui est utile. Je pense également que la liaison entre Bruxelles, Francfort et Strasbourg devrait être assurée de manière efficace au moyen d'infrastructures adéquates.
Les régions frontalières devraient effectivement être de véritables laboratoires d'appartenance européenne. Concernant l'éducation, des études, dont une menée par Thierry Chopin, ont démontré qu'en France, le programme d'histoire et de géographie reste significativement nationaliste. Quant aux médias, Thierry Chopin demandera d'approfondir ce sujet. Cependant, une récente étude menée par la Fondation Jean Jaurès a d'ores et déjà montré qu'entre 2015 et 2020, les médias publics télévisés français, hors Arte, ont consacré 2,5 % de leurs sujets à des questions européennes. Je rappelle à ce titre que TF1 ne dispose pas de correspondant à Bruxelles, car la direction de la chaîne estime que les sujets européens n'intéressent pas le public. Le cabinet de Clément Beaune en est conscient mais les solutions en la matière semblent difficiles à mettre en oeuvre.
Comment parvenez-vous à concilier les deux bouts de la chaîne de réflexion, c'est-à-dire l'ambition française de se projeter dans l'idéal, avec la défiance imposée par un monde de crises ? Nous vivons dans des sociétés « gazeuses » avec une grande autonomie de particules élémentaires susceptibles de s'agréger dans une atmosphère devenue explosive, comme nous l'avons vécu avec la crise des « gilets jaunes ». Je remarque à ce titre que vous n'avez pas mentionné le terme galvaudé de « résilience ». Dans un monde incertain et complexe, comment procéder pour renforcer l'idée européenne au plus près des préoccupations de nos concitoyens ?
Deux éléments de réponse me paraissent structurants. Le premier porte sur l'ambivalence du rapport des Français à l'Europe, tant des élites politiques et administratives que de l'opinion publique. Cette ambivalence découle de la position particulière adoptée par la France dans la construction européenne, tantôt motrice de cette dernière et tantôt à l'initiative d'importants coups d'arrêt comme en 1954. Comment s'explique cette ambivalence ? Il semblerait que la logique de projection précédemment évoquée constitue un élément de réponse puisque la France semble avoir cherché, à travers la construction européenne, la réincarnation alors que l'Allemagne cherchait la rédemption. Cette réincarnation peut se traduire par une projection du modèle hexagonal à l'échelle supérieure, en matière politique, économique et même diplomatique. Lorsque cette projection ne fonctionne pas, une frustration est générée pour la France et elle s'accompagne de défiance.
Afin de remédier à cette problématique d'ambivalence durant la présidence française, il apparaît structurellement nécessaire de clarifier les liens entre les Français et l'Europe. Politiquement, il faut également comprendre que l'Union européenne ne fonctionne pas de la même manière que le système politique français : il s'agit, à une échelle réunifiée, de se réapproprier l'Europe comme une polyarchie fonctionnant sur une logique de compromis et interroger la place qu'y tient le libéralisme. Concernant les crises actuelles, il semblerait que la première réponse à apporter concerne la crise économique et sociale actuelle, qui génère de nombreuses angoisses au sein de la population. Comme précisé par Jean-François Jamet, le rapport de notre Comité aura pour objectif de proposer des solutions face à la peur du déclassement et de la perte d'emploi. Il existe en outre des angoisses liées aux questions de sécurité individuelle mais aussi collective, comme indiqué par Michel Foucher. Les angoisses relatives aux questions de sécurité collective proviennent des doutes exprimés par la population sur les capacités de l'Union européenne à faire face à de nombreux défis actuels, à l'instar des crises migratoires. Enfin, comme évoqué par Dominique Schnapper, les enjeux d'appartenance créent également des angoisses de type identitaire et culturel dans plusieurs pays d'Europe, notamment la France et les Pays-Bas. Notre rapport traitera de fait l'ensemble de ces problématiques.
Mme Dominique Schnapper. - Je souhaite compléter brièvement la réponse de Thierry Chopin pour revenir sur la contradiction évoquée par le sénateur Houllegatte entre le réenchantement et la réalité. Cette dernière n'est, à mon sens, pas propre à l'Europe mais à toute l'action politique. Nous devons prendre en compte cette contradiction en vue de développer un sentiment d'identification à l'Union européenne.
Je constate que les crises auxquelles est aujourd'hui confrontée l'Union européenne concernent des domaines dans lesquels elle n'a pas réellement de compétences, à l'exemple de la santé et de l'éducation par exemple. Je regrette que le comité des élus constitué par le ministre, avec mon plein soutien, ne permette pas de développer une analyse et une prospective fructueuses. L'une des caractéristiques qui me dérange fortement dans la construction européenne est le rejet quasi total de l'histoire, particulièrement de l'histoire qui précède la Seconde Guerre mondiale : je pense aux raisons de l'échec de la Ligue hanséatique, au traité de Westphalie.... Je pense en outre que la construction d'un « eurosapiens » est néfaste et contribue à une mauvaise perception des institutions et des fonctionnaires européens. À ce titre, si le programme Erasmus a en effet connu de grands succès, nous ne pouvons pas demander constamment aux individus d'aller vers l'Europe, il faut aussi que l'Europe vienne à eux. Pour terminer sur le volet éducatif, il me semble que l'apprentissage des langues sans civilisation ne constitue pas une méthode d'enseignement efficace.
M. Jacques Fernique. - J'ai en effet mesuré en tant qu'ancien professeur d'histoire et de géographie l'incapacité de l'Éducation nationale à intégrer la dimension européenne aux programmes. À mon sens, l'une des solutions pour répondre au problème de l'éducation en France relève de l'échange avec les autres collègues professeurs en Europe. Adopter leurs pratiques pédagogiques pourrait être réellement bénéfique en vue d'inclure la dimension européenne à nos programmes scolaires. Il serait dommage que toute une génération d'élèves européens garde un souvenir aride des questions européennes telles qu'enseignées dans le système scolaire de l'Éducation nationale.
Je précise à ce sujet que l'éducation et la culture ne peuvent être diffusées que par les canaux de l'Éducation nationale. Elles doivent aujourd'hui être diffusées via d'autres canaux pour être entendues par les jeunes.
Je vous confirme que nous travaillerons à la rentrée sur les questions relatives à l'éducation et aux médias dans la perspective de la conférence sur l'avenir de l'Europe mais aussi de la présidence française du Conseil de l'Union européenne. Je vous remercie pour l'ensemble de vos interventions et pour la qualité des débats auxquels les sénateurs ont activement contribué. Je souhaite bon courage au Comité pour l'élaboration de son rapport, un travail qui semble toutefois être semé d'écueils en raison des impératifs calendaires très contraignants.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
chers collègues, notre collègue Christophe-André Frassa m'a saisi il y a déjà plusieurs mois de la question de l'acquisition de la « citoyenneté par investissement » ou « golden visa ». C'est un sujet important, à l'heure où précisément sont questionnés les valeurs de l'Union et le sens de la citoyenneté européenne.
Nos collègues André Reichardt et Jean-Yves Leconte sont les rapporteurs de notre commission sur les sujets migratoires et de visa. Aussi, je propose de désigner nos trois collègues, Christophe-André Frassa qui a soulevé la question, et les rapporteurs André Reichardt et Jean-Yves Leconte, pour explorer cette question des golden visas.
Compte tenu de la programmation des travaux de notre commission, il me semble raisonnable d'envisager une présentation des conclusions de leur travail à l'automne prochain.
La réunion est close à 11 h 05.