La commission d'enquête a entendu M. Noël Renaudin, président du Comité économique des produits de santé (CEPS).
a tout d'abord précisé que le CEPS n'avait joué aucun rôle dans la gestion de la crise de la grippe A (H1N1)v et qu'il n'entrait pas dans ses compétences de procéder à des achats pour le compte de l'Etat. C'est donc à titre personnel et à la demande de la ministre de la santé qu'il est intervenu en appui à l'établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (EPRUS), au moment de la finalisation des contrats entre cet établissement et les entreprises pharmaceutiques.
En « régime de croisière », dans le cadre de la politique de la santé ou de l'assurance maladie, les rapports entre l'Etat et les entreprises pharmaceutiques sont des rapports de client à fournisseur. Ceux-ci obéissent à des procédures, progressivement renforcées, garantissant la confidentialité, le respect des principes éthiques et la préservation de l'intérêt général. L'actuel CEPS a remplacé, en 2001, le comité économique du médicament créé par le gouvernement en 1993 pour mieux encadrer les conditions de la détermination des prix des produits pharmaceutiques.
Les règles de fixation des prix et des tarifs sont fondées sur les principes de collégialité, de transparence et de contrôle juridictionnel. Dans ce cadre, les rapports de l'Etat et de l'assurance maladie avec les entreprises pharmaceutiques sont des rapports banals, les entreprises étant des entreprises capitalistes mues par le profit et intervenant sur le marché international.
Des institutions se sont progressivement mises en place pour séparer l'évaluateur et le tarificateur, conforter l'indépendance des organismes d'évaluation. La commission de transparence relève depuis 2004 de la Haute Autorité de Santé, et le CEPS, sans être une autorité indépendante, jouit d'une certaine autonomie.
Sans assurer que toutes les décisions prises sont parfaites, ces principes apportent ainsi des garanties que les décisions sont prises de bonne foi, motivées par des critères d'intérêt général et « laissent peu d'espace aux manquements à la probité ».
Le cas spécifique de la négociation des contrats de vaccins H1N1 s'est inscrit dans le même cadre de rapports sains et comptables entre l'Etat et ses fournisseurs.
a insisté en premier lieu sur le contexte concurrentiel de cette négociation. La demande était nettement plus importante que l'offre, l'ensemble des pays aspirant alors à disposer rapidement d'un grand nombre de vaccins.
Les contrats ont été conclus principalement auprès de trois entreprises, GSK, Sanofi Pasteur et Novartis.
a observé que trois éléments de ces contrats pouvaient soulever un certain intérêt : le prix, les clauses de responsabilité et la possibilité de tranches optionnelles.
A propos des prix, il a déclaré que son intervention avait été modeste. Elle s'est limitée à indiquer au ministère de la santé que ceux-ci ne lui semblaient pas abusifs.
En ce qui concerne les clauses de responsabilité, le souci essentiel, en liaison avec le directeur général de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS), était d'obtenir le retrait d'une clause prévoyant l'irresponsabilité des entreprises pharmaceutiques, y compris en cas de défectuosité des produits.
Cette clause figurait dans tous les contrats, et l'un des arguments qui a pu permettre de la modifier était qu'elle présentait un risque d'annulation contentieuse.
Sa rédaction a finalement pu être notablement améliorée.
Enfin, il est facile de dire a posteriori qu'il aurait été opportun de prévoir des tranches optionnelles qu'il aurait été plus aisé de ne pas lever.
On y a certes pensé, mais une telle démarche ne correspondait pas à la réalité du contexte, ni à la nécessité d'obtenir rapidement des livraisons importantes.
Pour obtenir des livraisons rapides, il fallait passer les commandes très vite et le risque des tranches optionnelles était que leur livraison intervienne trop tard.
Dans l'ensemble, les délais de livraisons ont correspondu à ceux prévus : ils ont été un peu plus rapides dans le cas de Sanofi Pasteur, un peu plus lents dans celui de GSK.
Un débat s'est ensuite engagé.
a observé qu'en dépit des efforts consentis pour garantir la qualité des procédures de fixation des prix et d'admission au remboursement des médicaments, on pourrait estimer que 95 % des médicaments admis à remboursement ne sont pas plus efficaces que ceux déjà existants et qu'ils sont vendus plus cher.
a souhaité connaître les éléments pris en compte pour la négociation et la fixation des prix des vaccins proposés par les entreprises ayant passé des contrats avec les pouvoirs publics.
a indiqué que chaque Etat avait discuté avec différentes entreprises dans le cadre de la préparation d'une éventuelle pandémie H5N1. Le Royaume-Uni et l'Allemagne avaient ainsi négocié des accords avec GSK, mais non la France, qui s'était pour sa part adressée à Sanofi Pasteur et à Novartis. Dans un contexte où il était nécessaire d'obtenir la production rapide de doses par GSK pour la France, le prix proposé de 7 euros ne semblait pas excessif, car il était le même que celui qui figurait dans les contrats passés en mars 2006 entre GSK et le Royaume-Uni et l'Allemagne, et la France avait été dispensée de droits de réservation, contrairement à ces deux pays. Ce tarif était par ailleurs assez proche du prix des vaccins saisonniers.
a observé que, selon les informations dont il disposait, les prix des vaccins saisonniers dans les pharmacies françaises sont compris entre 5,29 et 6,79 euros.
a répondu qu'il fallait se situer sur le marché international, en remarquant que la France avait obtenu de payer le vaccin de la grippe H1N1 aux prix européens du vaccin contre la grippe saisonnière, qui sont plus élevés que les prix français.
Le prix du vaccin de la grippe saisonnière est compris entre 11 et 12 euros en Allemagne, 5 et 7 livres en Angleterre (soit 9 à 10 euros en 2006), et 4,50 à 6,50 euros en Italie.
En France, les prix sortie d'usine s'élèvent à 4,10 euros (si l'on exclut un vaccin un peu adjuvé, moins vendu, dont le prix est supérieur d'environ 50 centimes d'euro), ce qui correspond à un prix de vente de l'ordre de 6,25 euros dans les pharmacies.
La France a obtenu de payer au prix unique européen, sinon au prix français, et n'a pas subi de discrimination par rapport aux autres Etats européens.
a donc remarqué que la « pandémie était plus intéressante pour les laboratoires que l'épidémie ».
a exprimé son désaccord sur ce point de vue.
Le prix du vaccin H1N1 a été fixé par chaque entreprise à un niveau voisin du prix du vaccin saisonnier à l'échelle européenne.
En Allemagne et en Angleterre, le vaccin saisonnier est ainsi plus cher que le vaccin pandémique.
Il a ajouté que, d'un point de vue économique, les coûts de fabrication sont globalement les mêmes, l'amortissement du développement des produits étant très différent, comme le montre l'exemple des laboratoires GSK qui ont développé un vaccin contre la grippe H5N1 qui n'a pas été vendu.
Par ailleurs, les entreprises contractantes prenaient en compte la possibilité pour l'Etat de résilier les contrats passés pour un motif d'intérêt général, sous réserve d'une juste indemnité.
Répondant ensuite à plusieurs questions de M. Alain Milon, rapporteur, M. Noël Renaudin a indiqué que l'explication des différences de prix entre les vaccins réside dans l'appréciation par les entreprises de leur situation sur le marché, lorsqu'elles ont proposé les contrats.
Il a également précisé que les clauses de limitation de la responsabilité des producteurs en cas d'effets secondaires des vaccins n'avaient pas eu pour contrepartie une limitation des prix.
Suite à une observation de Mme Marie-Thérèse Hermange, il a souligné que les prix étaient déterminés au niveau européen suivant la capacité des entreprises à fournir rapidement le nombre de vaccins demandés, et non selon les quantités fournies.
Revenant sur la question du niveau des prix et posant la question des indemnisations prévues, M. Jean-Jacques Jégou a également souhaité savoir s'il n'aurait pas été possible d'obtenir des livraisons en doses individuelles prêtes à injecter pour éviter les phénomènes de file d'attente que l'on a constatés. Il s'est aussi demandé si la résiliation des commandes correspondant à 50 millions de doses pouvait avoir des conséquences sur les rapports entre les laboratoires et les pouvoirs publics.
a souligné que le souci premier du Gouvernement avait été d'obtenir les plus grandes quantités de vaccins, en diversifiant les sources d'approvisionnement. Par ailleurs, les prix de Novartis et de Sanofi-Pasteur correspondaient à ceux prévus par les contrats antérieurs. A l'été 2009, les prix demandés ne semblaient donc pas abusifs et il n'aurait sans doute pas été possible d'obtenir mieux.
Enfin, il a précisé avoir été consulté sur les règles d'indemnisation des résiliations de commandes, indemnisation qu'il avait préconisé de fixer au prorata des quantités non livrées, solution qui a été retenue.
GSK avait pensé que ce mode de calcul lui serait favorable car il croyait être en avance sur la proportion des quantités livrées. Mais la situation est en réalité contraire, et GSK se trouve en fait sanctionné par ses retards de livraison.
Il est probable que la résiliation partielle des contrats suscitera un peu d'amertume. Mais l'indemnisation proposée se situe dans la fourchette des niveaux de juste compensation.
a remarqué que le prix cité pour les doses de vaccin H1N1 acquis par le Royaume-Uni, soit 5,8 euros, était plus avantageux que celui acquitté par la France.
a indiqué que les marchés entre GSK, qui est une entreprise britannique, et le Royaume-Uni sont libellés en livres sterling.
Le prix fixé en 2006 était de 4,83 livres, ce qui correspondait alors à 7 euros.
La variation de ce prix exprimé en euros correspond à la dépréciation de la livre par rapport à l'euro, le prix en livres n'ayant pas été réajusté.
La commission d'enquête a ensuite entendu Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé et des sports.
A titre liminaire, la ministre a déclaré que les décisions qu'elle avait été amenée à prendre pour la gestion de la pandémie grippale procédaient de ses conceptions de l'éthique, de la justice et de la responsabilité. Son rôle, en tant que ministre de la santé, est de garantir comme un impératif absolu la protection de tous et de chacun. Cet impératif a donc guidé les choix qu'elle a effectués au moment de la pandémie et l'a conduite à privilégier la santé des Français plutôt que la seule prise en considération des coûts financiers. C'est un choix politique qu'elle assume. Avec le Gouvernement, elle a également pris la décision de préparer la France à affronter une menace sanitaire grave plutôt que d'improviser.
Dans un contexte d'incertitude, il fallait faire des choix guidés par la prudence, l'analyse et la prise en compte de l'ensemble des scénarios possibles. Ces choix ont été présentés régulièrement à l'ensemble des citoyens, avec pédagogie et transparence. La commission d'enquête sénatoriale offre l'occasion de prolonger cette démarche en prenant en compte les enseignements à tirer de l'expérience acquise, mais aussi de mettre un terme aux fantasmes, aux rumeurs et à la désinformation qui ont trouvé à s'exprimer au cours de la pandémie.
a tout d'abord interrogé la ministre sur le dispositif de gestion de la crise. Il a souhaité connaître le rôle respectif des groupes d'experts consultatifs qui ont travaillé sur la grippe H1N1 et la façon dont ils ont participé à l'élaboration des avis du Haut Conseil de la santé publique (HCSP). L'intervention de nombreux acteurs dans la gestion des aspects sanitaires de la crise a-t-elle permis d'optimiser les conditions de prise de décision dans un contexte d'urgence ? Enfin, quelle est la marge de manoeuvre dont dispose le décideur politique face aux recommandations des experts scientifiques ?
a rappelé le cadre légal national qui résulte de la loi du 1er juillet 1998 relative au renforcement de la veille sanitaire et du contrôle de la sécurité sanitaire des produits destinés à l'homme. Conformément à la volonté de son rapporteur au Sénat, Claude Huriet, cette loi a organisé un système d'agences publiques sanitaires disposant d'une réelle légitimité scientifique pour assurer leurs fonctions de contrôle et de conseil. La pluridisciplinarité de l'expertise a été organisée et plusieurs garanties ont été mises en oeuvre pour conforter son indépendance. Ainsi, la gestion a été séparée de l'évaluation et les pouvoirs d'évaluation et de police séparés de la tutelle économique.
L'expertise répond à plusieurs exigences : la compétence, le souci de la santé publique, ce qui implique qu'elle soit pluraliste et collégiale, mais aussi la transparence, qui justifie l'obligation faite aux experts de révéler leurs liens d'intérêt avec les entreprises du secteur. Il faut d'ailleurs se garder de considérer que tout lien d'intérêt constitue forcément un conflit d'intérêts.
L'expertise scientifique et technique en matière de pandémie grippale relève de l'institut de veille sanitaire (InVS) et de l'agence française de sécurité sanitaire et des produits de santé (AFSSAPS). Plusieurs comités ad hoc ont également été amenés à intervenir. Ils sont réunis au sein du HCSP créé par la loi de santé publique du 9 août 2004. Il existe également un comité de lutte contre la grippe. Les dimensions sociales et éthiques de la pandémie ont quant à elles été prises en compte au travers de l'avis n° 106 du comité consultatif national d'éthique (CCNE). Plusieurs réunions thématiques informelles ont par ailleurs été organisées au ministère. L'efficacité de la réponse à la pandémie reposant sur la réactivité des instances expertales, il était nécessaire de s'appuyer sur les organisations existantes plutôt que d'envisager d'en créer de nouvelles.
Au niveau européen, deux instances jouent un rôle essentiel, le centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC) et l'agence européenne des médicaments (EMA). Enfin, au niveau international, c'est l'organisation mondiale de la santé (OMS) qui concentre les capacités d'expertise. Néanmoins, la France a organisé de nombreuses réunions avec les pays ayant une tradition de santé publique équivalente à la sienne, notamment le Canada, les Etats-Unis, l'Allemagne et le Royaume-Uni.
La déontologie des expertises est toujours perfectible. C'est pour répondre à cette exigence qu'en juin 2009, un groupe de travail conduit par la Haute Autorité de santé (HAS) a été mis en place par le comité d'animation du système d'agences (Casa). Ses travaux ont abouti à l'élaboration d'une charte destinée à la prévention des conflits d'intérêts. Mme Valérie Pécresse, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, a présenté pour sa part le 3 mars dernier une charte nationale de l'expertise scientifique et technique. D'autres pays, comme les Etats-Unis, se sont également engagés sur la voie du renforcement de la prévention des conflits d'intérêt en matière d'expertise.
a souhaité savoir si des membres du cabinet de la ministre de la santé ont eu, au cours des cinq dernières années, un lien d'intérêt avec l'industrie pharmaceutique. Il a, par ailleurs, relevé certaines difficultés dans la mise en oeuvre de la législation sur la déclaration des liens d'intérêt, dont témoigne le caractère tardif de la publication des liens des membres du comité de lutte contre la grippe avec l'industrie.
a indiqué qu'elle communiquerait par écrit la situation des membres de son cabinet et elle a précisé que les déclarations d'intérêt des membres du comité de lutte contre la grippe ont été rendues publiques il y a plusieurs mois. Rappelant que tout lien d'intérêt ne représente pas un conflit d'intérêt, elle a observé que la qualité de l'expertise repose sur le fait qu'elle s'exprime de façon plurielle et collégiale. Aucun expert ne prendrait le risque de remettre en cause sa crédibilité internationale devant une instance collégiale en émettant un avis évidemment biaisé. Par ailleurs, l'InVS, en charge de qualification de la pandémie, n'a aucun lien avec l'industrie pharmaceutique.
a précisé que l'OMS, qui lance les alertes sur l'émergence de nouveaux virus, s'appuie sur le travail de qualification et d'information d'organismes nationaux comme l'InVS.
a rappelé à la ministre sa question sur la multiplicité des avis d'experts et sur la marge de manoeuvre dont dispose le décideur politique par rapport à eux.
a répondu que les experts n'indiquent jamais quelle décision prendre mais présentent toujours une diversité de scénarios possibles. Elle a estimé que les experts ont été loyaux dans leurs présentations et ont d'ailleurs présenté plus de questions que de réponses. Il appartient au décideur politique de choisir quel scénario sera adopté en fonction de l'impératif de sécurité et d'assumer ce choix.
La multiplicité des acteurs dans le domaine de l'expertise est une chance dans un Etat démocratique car elle garantit que l'expertise sera plurielle et contradictoire, ce qui permet de dégager un consensus et d'écarter les avis dérivants.
a demandé des précisions sur les relations entre la France et l'OMS. Pourquoi le Gouvernement n'a-t-il pas souhaité avoir connaissance de la composition du comité d'urgence « grippe » ? Les représentants français à l'OMS ont-ils, à l'instar de leurs homologues suisses et britanniques, présenté des observations et des suggestions sur la stratégie de l'OMS et les conditions de déclaration de la pandémie grippale ?
a présenté les comités d'experts de l'OMS dont les membres sont choisis par son directeur général. A côté du comité d'experts permanents qu'est le groupe d'experts-conseils stratégique (Sage), dont les quinze membres sont choisis pour trois ans, et qui peut s'adjoindre des experts invités, un comité d'urgence a été mis en place pour la grippe H1N1. L'OMS a déterminé la composition de ce comité mais a choisi de garder celle-ci secrète afin de protéger les experts de la pression des Etats qui auraient pu avoir intérêt à minimiser le risque.
a considéré que, face à l'impact économique des pandémies, que l'on peut mesurer par exemple au Mexique, de nombreux Etats pourraient avoir intérêt à ne pas communiquer sur l'ampleur d'une attaque virale. Elle a relevé que le choix du secret fait par l'OMS ne correspond pas à la pratique française en la matière mais qu'il n'y a, a priori, aucune raison de remettre en cause l'indépendance des experts choisis. L'OMS révèlera leur identité dès qu'elle aura déterminé la fin de la situation d'urgence.
a demandé à la ministre si elle était favorable à ce que le nom des experts de l'OMS soit rendu public à l'avenir.
a estimé que l'argument selon lequel le secret protège les experts de l'influence des Etats n'est pas à minimiser.
a souhaité savoir quel crédit peut être accordé à l'évaluation du risque pandémique par l'OMS.
a indiqué que, contrairement à une idée souvent exprimée, l'OMS n'a pas changé sa définition de ce qu'est une pandémie à l'occasion de l'apparition du virus A (H1N1). Les critères de définition d'une pandémie ont toujours été son caractère mondial, l'émergence d'un nouveau virus et la naïveté immunitaire de la population. Ces critères font l'objet d'un processus de révision continue qui a abouti en 2009 et est à nouveau engagé pour une échéance en 2014. Mais, contrairement à une idée reçue, la définition adoptée en 2005 était plus large et non pas plus restrictive que celle de 2009. La sévérité ou le nombre de décès n'ont jamais été des critères de définition de la pandémie. A l'inverse, avant 2009, l'extension géographique du virus n'était pas prise en compte. Selon les critères de 2005, le passage à la phase pandémique aurait donc eu lieu plus tôt. Il paraît, par ailleurs, particulièrement difficile d'utiliser la mortalité comme critère de détermination d'une pandémie étant donné les divergences des pratiques nationales permettant d'établir le nombre de décès imputables à une affection.
A la demande de certains Etats, dont la France, l'OMS a néanmoins assorti son alerte d'éléments d'évaluation de la sévérité du virus, qui a été qualifiée de « modérée ».
a jugé que les critères de l'OMS ont abouti à traiter comme une pandémie une attaque virale qui n'était pas plus sérieuse que la grippe saisonnière.
a souligné la difficulté, en juin 2009, de porter un tel jugement.
a indiqué que plusieurs autres critères peuvent être utilisés pour définir une pandémie, notamment le degré de contagion et les populations-cibles du virus.
a souhaité savoir s'il a été fait un usage suffisant de l'expertise européenne.
a estimé que l'EMA a travaillé rapidement et efficacement pour permettre aux pays européens de disposer de vaccins de qualité. Elle a indiqué que les déclarations d'intérêt des experts membres de cette agence sont disponibles sur simple demande et a communiqué à la commission d'enquête le nom des experts français.
s'est interrogé sur la faiblesse de la coopération entre Etats pour la gestion de la grippe et a demandé des précisions sur les contacts établis entre la ministre de la santé et ses homologues européens.
a considéré que la coopération européenne a fait preuve d'une réelle efficacité sur plusieurs points, notamment en permettant aux Etats membres de refuser collectivement l'inclusion par les laboratoires, dans les contrats de fourniture de vaccins, d'une clause scélérate les exonérant de toute responsabilité du fait des produits défectueux.
La présidence française de l'Union européenne au deuxième semestre 2008 a également été l'occasion de préparer la lutte contre les pandémies au niveau européen. Le Health security committee (comité de sécurité sanitaire) mis en place à cette fin s'est d'ailleurs réuni quotidiennement pendant la première phase pandémique.
a souhaité que la ministre retrace l'historique des négociations des contrats de fourniture de vaccins. A quelle période ont été arrêtées les quantités commandées à chacun des différents fournisseurs ? Pourquoi a-t-il été décidé de permettre à toute personne qui le souhaiterait de se faire vacciner, et pour quelle raison les contrats ne comportaient-ils pas de clause permettant de modifier l'importance des commandes en fonction des dates auxquelles elles pourraient être livrées ? Enfin, l'incertitude sur le nombre de doses de vaccin nécessaires n'aurait-elle pas dû conduire à prévoir la fourniture de « traitements » et non de doses, comme le contrat passé en 2005 avec le laboratoire Sanofi Pasteur pour la fourniture de vaccins contre la grippe H5N1 ?
a rappelé que la France disposait déjà, au moment des négociations, de deux contrats de préréservation de vaccins, signés en 2006 au moment de la préparation d'une éventuelle pandémie du virus H5N1, avec les laboratoires Novartis et Sanofi Pasteur. C'est d'ailleurs à la suite de la passation de ces contrats que le CCNE a préconisé une vaccination générale mais séquentielle de la population.
Une comparaison des stratégies de vaccination entre les différents pays européens fait apparaître plusieurs groupes distincts. Un premier groupe de dix Etats a choisi de vacciner l'ensemble de sa population avec deux doses de vaccin. Un deuxième groupe a choisi lui aussi la vaccination générale mais avec une seule dose. Un troisième groupe a choisi la vaccination d'un segment ciblé de sa population. Enfin, trois pays ont décidé de ne pas effectuer d'achat, la Pologne, la Lettonie et la Slovaquie.
La France se trouve dans une situation à part car elle a décidé de proposer la vaccination à l'ensemble de la population mais a tenu compte, au nom du principe de réalité, du fait que tous ne pourraient ou ne voudraient se faire vacciner. Un taux d'attrition a donc été calculé à partir de l'exemple des vaccinations obligatoires, auxquelles 35 % de la population ne se soumet pas. A également été pris en compte le taux de vaccination contre la méningite dans les zones frappées par cette maladie, qui est en moyenne de 75 % de la population. En conséquence, 47 millions de vaccins à deux doses ont été commandés.
Cette solution a été validée le 3 juillet en réunion interministérielle, de même que la stratégie d'achat. Dès lors, le directeur du cabinet de la ministre et le directeur général de la santé ont été mandatés pour nouer le plus tôt possible des contacts avec les industriels fournisseurs et négocier la préréservation de vaccins. Ces négociations étaient d'autant plus urgentes que la France ne disposait pas de contrat avec les laboratoires Glaxo-Smith-Kline (GSK) et Baxter qui apparaissaient comme les fournisseurs les plus prometteurs. C'est dans ce contexte que la ministre a adressé mi-mai des lettres d'intention aux industriels. En conséquence, GSK s'est engagé à fournir à la France 8,33 % de la capacité de production de son usine de Dresde. Baxter, qui s'était engagé à livrer 4 millions de doses de vaccin, a annulé son offre au cours de l'été pour des raisons de production. De même, Novartis a réduit son offre de 24 millions de doses à 16 millions. Les quantités qui seraient livrées étaient donc très incertaines au moment des négociations.
C'est l'établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (EPRUS) qui a conduit les véritables négociations avec les laboratoires, spécialement avec les sociétés GSK et Baxter, avec lesquelles aucun contrat n'avait été antérieurement conclu. Il est important, à cet égard, de conserver à l'esprit le contexte de l'époque : les laboratoires ne disposaient pas encore de la souche virale et ne connaissaient donc pas les conditions de production des vaccins. De plus, le déséquilibre entre l'offre et l'importance de la demande au niveau mondial plaçait les laboratoires en position de force. Ceux-ci privilégiaient les commandes fermes et définitives. Aucun laboratoire n'a accepté de s'engager sur un calendrier de livraison. La France a néanmoins obtenu la modification de la clause exonérant les laboratoires de toute responsabilité, ainsi que la fourniture de notices en français et d'étiquettes de lots qui n'était pas prévue au départ.
Enfin, les mêmes incertitudes découlaient de la possibilité pour les laboratoires d'obtenir rapidement une autorisation de mise sur le marché (AMM) de leurs vaccins.
L'absence de clause de sauvegarde découle du contexte des négociations, qui était défavorable à l'Etat. En mai 2009, les estimations de la capacité de production mondiale variaient entre 500 millions et moins d'un milliard de doses. Si le rendement de la souche virale était inférieur aux prévisions, la capacité de production pouvait même descendre à 250 millions de doses. La France a donc cherché à obtenir les meilleures conditions pour l'achat de ces vaccins, spécialement auprès du fournisseur le plus prometteur en raison de son expérience en matière de vaccins pandémiques : GSK.
a noté que les concurrents de GSK ne paraissaient pas aussi bien placés pour répondre à la demande française : Novartis n'avait pas les mêmes capacités de production et Sanofi n'avait pas obtenu d'AMM pour son vaccin adjuvanté début 2009. Mais, à l'inverse de l'Allemagne et du Royaume-Uni, la France ne disposait pas d'un contrat de préréservation de vaccins avec GSK, car ce laboratoire n'avait pas répondu à l'appel d'offres lancé en 2005.
Le nombre de doses commandé était réaliste dans le contexte de l'époque et n'a d'ailleurs pas été contesté. Il a été fixé le 4 juillet dans un contexte où l'on ne disposait pas de bilan de la pandémie dans l'hémisphère Sud et où le virus paraissait certes modérément sévère, mais très contaminant, ce qui allait dans le sens de l'intérêt de prévoir une couverture de l'ensemble de la population. Il faut rappeler qu'à l'époque, le Royaume-Uni estimait qu'avant la fin du mois d'août le virus pourrait atteindre 100 000 personnes par jour.
Les négociations ont néanmoins été particulièrement poussées, spécialement sur la question du partage des responsabilités entre l'Etat et les fabricants. Si des quantités fermes ont été commandées, c'était dans le souci d'obtenir plus rapidement les vaccins, les laboratoires ayant fait savoir que les tranches conditionnelles ne seraient livrées qu'en 2010.
a souligné que les contrats signés faisaient peser sur l'Etat la responsabilité des effets indésirables des vaccins.
a indiqué que tel est le cas pour l'ensemble des vaccins en période de pandémie.
La notion de traitement a bien été prise en compte lors des négociations et a permis à la puissance publique, usant de ses prérogatives, d'annuler la commande de 50 millions de doses de vaccin lorsqu'il a été établi qu'une seule injection était suffisante, sauf pour certaines parties de la population.
a considéré que certains Etats, comme la Pologne, ont fait dans un contexte de difficultés budgétaires des choix en matière de vaccination qui paraissent a posteriori bien-fondés.
a souhaité s'arrêter un moment sur la question de la politique polonaise en matière de vaccination. Les propos de la ministre de la santé devant le Parlement polonais ont alimenté de nombreuses campagnes anti-vaccinales et il convient de souligner qu'ils relèvent de la désinformation. La ministre a en effet contesté tant l'efficacité que la sécurité des vaccins utilisés et s'est fondée sur ces arguments pour justifier le non-achat de vaccins. Or, l'expérience a montré que les vaccins étaient non seulement efficaces mais qu'ils n'ont pas d'effets secondaires notables. La Pologne n'a d'ailleurs présenté aucun argument contre la vaccination lors des nombreux sommets européens qui se sont tenus pendant la pandémie. En réalité, ce sont les difficultés budgétaires de la Pologne et l'état de son système de santé qui sont à l'origine de la position qu'elle a prise.
a fait état, à l'appui de ses propos, d'un courrier que lui adressé en septembre l'ambassadeur de Pologne, demandant à la France de s'engager avec son pays dans une démarche solidaire de fourniture de vaccins aux personnels diplomatiques, courrier qu'elle a jugé particulièrement significatif des contradictions de la position polonaise.
a demandé si le choix de vacciner l'ensemble de la population est fondé lorsque le virus s'est déjà répandu.
a répondu que l'efficacité sociale de la vaccination était certes réduite dès lors que le virus pandémique était devenu actif en France mais que l'efficacité individuelle de la vaccination demeure.
a précisé que les autorités ne disposaient d'aucune connaissance précise sur le moment où le virus attaquerait la France. Dès le mois de mai, cependant, plusieurs Etats de l'hémisphère Nord, dont le Royaume-Uni, le Canada et l'Espagne, avaient connu des cas de grippe A H1N1. Il paraissait donc possible que le virus arrive en France avant l'hiver. C'est cette inquiétude qui a poussé les autorités à négocier avec les laboratoires des calendriers prévisionnels de livraison des vaccins permettant d'engager la vaccination le plus rapidement possible avant le pic épidémique. Il est vraisemblable que certaines des mesures qui ont été prises, comme la fermeture de classes en Ile-de-France, ont eu un effet retardateur sur le pic épidémique.
a estimé que l'effet barrière associé à une vaccination collective était très improbable dès lors que la vaccination avait commencé plus d'un mois et demi après le début de l'épidémie en France. La stratégie vaccinale adoptée par le Gouvernement n'a donc eu aucun effet sur le déroulement de la pandémie, comme le laissaient supposer les avis du HCSP. La protection offerte par les vaccins à deux doses, utilisés pour les enfants, a été aussi trop tardive pour être réellement efficace. Les Français l'ont d'ailleurs bien compris en n'allant pas se faire vacciner. En cette circonstance, le bon sens populaire a remis légitimement en cause la crédibilité de la parole publique.
a insisté sur le fait qu'il était très difficile d'engager une démarche de protection partielle de populations cibles face à un virus grippal qui ne s'attaquait pas aux mêmes populations que la grippe saisonnière. Le choix d'offrir à tous ceux qui le souhaitaient la possibilité de se faire vacciner était donc justifié d'un point de vue médical aussi bien qu'éthique.
Elle a par ailleurs observé que la France est le seul pays à disposer de chiffres fiables - et sans doute même minimisés - sur son taux de vaccination. En effet, les vaccinations sont comptabilisées à partir du nombre de coupons renvoyés. Les autres pays procèdent à des estimations qui, en France, conduiraient à évaluer à 16 millions le nombre des personnes vaccinées. L'Etat organisera néanmoins une évaluation de la politique de santé publique.
a demandé des précisions sur les négociations relatives à l'indemnisation de la résiliation d'une partie des commandes de vaccins.
a regretté qu'une indiscrétion ait livré à la presse des informations qu'elle réservait à la commission d'enquête. Un accord a été trouvé avec la firme Novartis mais les négociations se poursuivent encore avec les firmes GSK et Sanofi Pasteur pour l'indemnisation de l'annulation, le 4 janvier, de la commande de 50 millions de doses. Le principe retenu a été celui d'une indemnisation fondée sur les dépenses effectivement mises en oeuvre par les laboratoires et fixée à 16 % du montant des contrats.
a rappelé que lors de la discussion de la loi dite Grenelle I, la création d'une agence nationale de l'expertise a été décidée par le législateur. Sa mise en place, qui devait intervenir dans les douze mois suivant la promulgation de la loi, est toujours attendue. Une telle instance serait pourtant de nature à garantir, plus efficacement que les chartes qui sont proposées à l'heure actuelle, la qualité de l'expertise publique en externalisant les contrôles des conflits d'intérêt.
a estimé qu'il serait compliqué de mettre en place une expertise des experts, spécialement dans le domaine de la santé dont les contraintes sont distinctes de celles des technologies de l'environnement.
a signalé que des institutions comme la Cour des comptes exercent un contrôle similaire à celui envisagé par l'agence de l'expertise.
a souligné que l'agence prévue par la loi doit contrôler les protocoles destinés à prévenir les conflits d'intérêt et pas les experts eux-mêmes.
a indiqué que les décisions en matière de pandémie ont été prises non seulement avec les experts et les agences mais avec l'ensemble des échelons territoriaux et des services déconcentrés de l'Etat ainsi qu'avec les professionnels de terrain. De nombreuses réunions ont été organisées tant autour de la ministre qu'autour du directeur général de la santé.
a remarqué que les recommandations du directeur général de la santé en matière de traitement n'avaient pas toujours été avisées.
Supposant que cette réflexion visait les recommandations relatives à l'utilisation de l'oseltamivir - ou Tamiflu - M. Didier Houssin a précisé que, à partir des retours d'expériences au Mexique, aux Etats-Unis et au Chili, et suite à un avis du comité de lutte contre la grippe en novembre, le champ de la prescription de cette molécule avait été élargi, hors AMM, aux cas de prévention. L'AFSSAPS a validé cette démarche. Cette recommandation a été notifiée aux médecins par l'intermédiaire d'un mail envoyé aux 50 000 professionnels inscrits sur le réseau « DGS-urgent ». L'évaluation menée au Chili montre que cette extension du champ de prescription de l'oseltamivir a sans doute sauvé de nombreuses vies. Il est à noter que la prescription d'oseltamivir reste très faible en France où cet antiviral n'est pas indiqué pour lutter contre la grippe saisonnière, comme dans d'autres pays et en particulier le Japon.
a insisté sur l'importance du rôle de la DGS en matière de notification urgente des évolutions en matière de connaissances scientifiques et de traitements.
Faisant état des constations qu'il avait faites sur le terrain, M. Serge Lagauche a observé que la communication gouvernementale est très mal passée, y compris auprès des personnels soignants. Il conviendrait à l'avenir de ne pas multiplier les modes de communication et de s'appuyer plutôt sur les relais de terrain pour favoriser la compréhension des directives par la population et limiter leur interprétation parfois erronée.
a considéré que des études sur la communication de la crise doivent être menées pour améliorer le système existant. Elle a signalé néanmoins que les professionnels de santé ont été finalement convaincus par les recommandations du ministère. A l'hôpital Henri Mondor de Créteil, situé dans le département où M. Serge Lagauche est élu, 17 % des personnels de santé avaient l'intention de se faire vacciner, 60 % ont finalement fait cette démarche.
a affirmé que cette campagne avait pâti d'un réel défaut de communication et de compréhension.
a déclaré, en conclusion du débat, qu'il ne fallait pas oublier, spécialement en France, que la vaccination a sauvé des millions de vies.