Mission commune d'information Agences de notation

Réunion du 14 mars 2012 : 1ère réunion

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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  • notation
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  • réglementation
  • standard and poor's
  • émetteur

La réunion

Source

Debut de section - PermalienPhoto de Frédérique Espagnac

Merci d'avoir répondu à notre invitation. Vous connaissez les agences de notation de l'intérieur, et je vous invite à exposer votre point de vue sans langue de bois. Mme Catherine Gerst doit encore nous rejoindre ; en attendant, messieurs, pourriez-vous vous présenter ?

Debut de section - Permalien
François Veverka

J'ai dirigé pendant seize ans les activités de Standard and Poor's en Europe, après avoir travaillé au ministère des finances et à la commission des opérations de bourse (COB). Chez Standard and Poor's, j'ai notamment été comme directeur général en charge des discussions avec les autorités françaises et européennes aux débuts de la réglementation des agences.

Debut de section - Permalien
Pierre Cailleteau

Pour ma part, j'ai travaillé chez Moody's pendant cinq ou six ans en tant que responsable de la notation des Etats. J'ai aussi travaillé pour le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque de France.

Debut de section - Permalien
Anouar Hassoune

Chez Standard and Poor's pendant sept ans, puis chez Moody's pendant trois ans, j'ai noté des banques et des compagnies d'assurance. J'ai ensuite créé ma propre entreprise.

Debut de section - PermalienPhoto de Frédérique Espagnac

Avant de passer aux questions, souhaitez-vous dire un mot d'introduction ?

Debut de section - Permalien
Pierre Cailleteau

Ma perspective sera sans doute quelque peu différente de la vôtre. Au risque de vous choquer, j'estime qu'au lieu de renforcer la réglementation, il faut au contraire déréglementer. On a sacralisé le rating. Oblige-t-on les gens à ne fréquenter que les restaurants auxquels le guide Michelin accorde de une à trois étoiles - car son échelle n'a que trois barreaux ? Eh bien, c'est justement ce que l'on fait pour les agences de notation : la réglementation interdit à certains investisseurs d'acheter des produits en dessous d'une certaine note, et les règles prudentielles applicables aux banques vont dans le même sens. Cette accumulation de règles élève une barrière à l'entrée sur le marché, dont il faudrait évaluer le coût financier global : combien cela coûte-t-il aujourd'hui de créer une nouvelle agence ? Je ne doute pas que les régulateurs aient leurs raisons, mais de bonnes intentions font de mauvaises règles...

Debut de section - Permalien
François Veverka

J'ai un avis similaire, mais un peu plus nuancé. Les agences de notation répondent à un besoin, à l'heure où les marchés financiers jouent un rôle grandissant dans un financement de l'économie : les Etats, les entreprises, les banques y recourent massivement. La future réglementation bancaire CRD 3 (Capital requirements directive) ne fera que renforcer leur importance au détriment de la finance directe. Or il existe un très grand nombre d'investisseurs, qui souhaitent parfois placer leur argent à l'autre bout du monde : ils ont besoin de références pour mesurer les risques qu'ils prennent. L'essor des agences de notation ne fait qu'accompagner la montée de la dette dans le financement de l'économie.

Dans ces conditions, il est normal que le rating soit soumis comme toute autre activité financière à un corpus réglementaire. Mais l'approche actuelle repose sur un contresens. On a intégré la notation des agences dans la réglementation applicable à certaines entités. Or une note est une opinion, qui n'a de sens que dans un environnement pluraliste. La santé d'une agence repose sur la confiance dans la qualité de sa notation. Si son activité est soutenue par la réglementation, elle change de nature et devient une activité protégée. Renforcer les contraintes d'information ou d'organisation ne gênera pas les grandes agences. En revanche, il devient très difficile l'entrée de nouveaux acteurs, à moins qu'ils ne soient protégés, au risque de détériorer la qualité de leur notation.

On a transformé les agences en quasi-régulateurs, et on leur a presque confié un droit de vie ou de mort : si la note d'un émetteur est dégradée, sa dette n'est plus éligible pour tel ou tel investissement, ses papiers ne sont plus utilisables comme garantie auprès d'une banque centrale, etc. Ainsi on n'a fait que renforcer l'oligopole. Or la pluralité des opinions et la concurrence sont absolument nécessaires. Les autorités américaines ont judicieusement commencé à retirer de leur réglementation les références à la notation des agences. Celles-ci doivent retrouver le rôle qui est le leur. Les trois grandes conserveront leur influence tant qu'elles ne font pas d'erreur majeure, mais il faut de nouveaux intervenants.

Debut de section - Permalien
Anouar Hassoune

La réglementation ne m'intéresse pas. Son renforcement n'améliorera que de manière marginale le fonctionnement des agences, qu'il s'agisse des conflits d'intérêts ou de la transparence. C'est surtout leur modèle économique qui est en cause, car elles font tout pour préserver leurs marges. On attend beaucoup trop d'elles : qu'elles mesurent les risques, qu'elles jugent la politique monétaire américaine, qu'elles se prononcent sur le cours du monde, comme si elles avaient une boule de cristal...

Les agences veulent maintenir leurs marges tout en continuant à se développer sur le marché. Pour ce faire, elles peuvent réduire leurs coûts en s'installant à Dakar : c'est ce que j'ai fait. Si les marges rétrécissent, les actionnaires ne sont pas contents. Je vais vous surprendre, mais selon moi, un actionnaire privé est un mauvais actionnaire. Il faudrait mettre sur pied une agence de notation à capitaux publics, soit en nationalisant Moody's - il serait plus difficile de nationaliser Standard and Poor's -, soit en créant une nouvelle agence. Les Chinois l'ont fait, mais leur agence a pour défaut rédhibitoire d'être possédée par un seul Etat, ce qui met en doute son indépendance. En revanche, la collectivité publique mondiale pourrait le faire ; les actionnaires d'une agence publique mondiale pourraient être le FMI, la Banque mondiale, la Banque des règlements internationaux, etc. Le rating est presque devenu une mission de service public. En diminuant les marges, on pourrait améliorer la qualité du recrutement - or dans ce domaine les hommes comptent plus que la technologie -, de l'information, donc des notations, et orienter dans le bon sens les décisions de crédit.

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Revet

Les décisions des agences ont de telles conséquences pour les Etats, les banques et les entreprises que nous avons besoin de comprendre comment elles fonctionnent, avant même d'envisager une éventuelle modification de la législation. Quelles étaient vos missions chez Standard and Poor's ou chez Moody's ?

Debut de section - Permalien
Pierre Cailleteau

Je l'ai dit, j'étais responsable chez Moody's de la notation des Etats. Des équipes d'analystes travaillaient sous ma supervision à New York, Singapour, Dubaï, Francfort et Londres. Chaque pays était suivi par un certain nombre d'entre eux, et nos notations reposaient sur une méthodologie publiée. S'il estimait que la note d'un pays devait être relevée ou abaissée, un analyste pouvait convoquer un comité de notation sans que je puisse m'y opposer ; je présidais ces comités, dont les réunions se tenaient par téléphone selon une procédure délibérative. J'avais introduit deux nouvelles règles : à chaque comité étaient associés des spécialistes d'autres domaines que la notation des Etats, afin qu'un double A signifie la même chose pour une banque et un Etat ; un prosecutor était chargé d'élaborer des contre-arguments. Je faisais en sorte que la délibération soit ordonnée et intelligente, et les décisions étaient prises à la majorité simple, selon le principe suivant : un homme, une voix. Enfin, nous publiions un communiqué où nous cherchions à justifier notre décision de manière intelligible. Toute décision supposait un travail analytique considérable en amont, et il fallait s'assurer qu'il n'y avait pas d'erreur matérielle.

Debut de section - Permalien
François Veverka

Chez Standard and Poor's, j'ai d'abord supervisé la notation des entreprises et des émetteurs du secteur public en France, puis j'ai été désigné responsable du développement et de l'expansion en Europe. Dans 99 % des cas, la notation est demandée par l'émetteur qui espère ainsi attirer les investisseurs et obtenir de meilleures conditions d'émission. La démarche est donc consensuelle et coopérative.

Debut de section - Permalien
François Veverka

En effet, une obligation réglementaire peut favoriser le consensus... L'agence, au terme de recherches préliminaires, définit en concertation avec l'émetteur les sujets à examiner. Ensuite, les analystes - deux, parfois plus - travaillent en se fondant sur des informations publiques ou transmises par l'émetteur. L'analyse est au cas par cas, mais suit quelques figures imposées : s'il s'agit d'une entreprise, il faut examiner sa situation financière, ses métiers, son endettement, ses risques... Des réunions de travail sont organisées avec l'émetteur, et la procédure est contradictoire. Puis le comité de notation se réunit : il s'agit normalement d'un comité ad hoc, composé de spécialistes de la zone géographique - des connaisseurs des institutions françaises si l'émetteur est français - ou du secteur - s'il s'agit de Renault, des analystes ayant noté Toyota ou Daimler. Le comité de notation est libre de ses décisions, sans que la direction de l'agence ait aucune autorité sur lui : si des interférences étaient connues, cela ruinerait le crédit de l'agence. La décision du comité est communiquée à l'émetteur, qui peut demander son réexamen dans un délai très bref, car il faut éviter toute fuite qui donnerait lieu à une information privilégiée. Le comité conclut et publie un communiqué pour diffuser l'information auprès du marché et de la presse.

Les analystes sont regroupés en équipes spécialistes de tel ou tel secteur (banque, corporate...) ; ils sont plusieurs centaines à travailler sur certains secteurs. Leur formation est économique, financière et comptable ; beaucoup ont d'abord travaillé en tant qu'auditeurs dans un cabinet. Ils restent en général assez longtemps dans une agence, car ce métier demande de l'expérience. La communauté est assez proche de celle des études économiques des banques ; l'on retrouve aussi à peu près ce profil à l'OCDE, dans les banques centrales, au FMI, etc.

Debut de section - PermalienPhoto de Aymeri de Montesquiou

Je ne mets pas en doute les qualités personnelles des analystes, mais dans quel esprit travaillent-ils ? Est-il normal que les agences soient sollicitées par les émetteurs ? C'est un peu comme si Miss Venezuela payait pour l'élection de Miss Monde... Pourquoi les investisseurs ne paient-ils pas plutôt ?

Debut de section - Permalien
François Veverka

C'est une question fondamentale. Les agences de notation sont par nature confrontées à un conflit d'intérêts : l'émetteur paie, mais la notation profite aux investisseurs. A l'origine, les agences vendaient des publications aux investisseurs. Le modèle a changé quand les marchés ont pris de l'importance et que les émetteurs se sont intéressés à leur notation. Une notation n'a de sens que si elle est crédible. Aujourd'hui, on critique volontiers les agences pour la sévérité de leurs décisions...

Debut de section - Permalien
François Veverka

Parfois. Mais si elles faisaient preuve de complaisance, leur travail n'aurait aucune valeur.

Si les investisseurs payaient, cela poserait d'autres problèmes, car les notes sont publiques. Or un grand investisseur comme BlackRock qui paierait pour que soit évalué tel ou tel émetteur n'aimerait pas que l'information soit divulguée. Les investisseurs ont parfois leurs propres équipes.

Debut de section - PermalienPhoto de Aymeri de Montesquiou

Le travail des agences s'apparenterait alors à une consultation.

Debut de section - Permalien
François Veverka

Oui, mais il en résulterait une asymétrie d'information. La réglementation impose la publicité des notes.

Debut de section - Permalien
Anouar Hassoune

Savions-nous ce que nous faisions ? Non, pas toujours. Sur 1 000 à 1 200 banques, j'ai contribué à en noter plus de 300. Noter la National Bank of Abu Dhabi, ce n'est pas trop compliqué : son bilan avoisine les 50 milliards, et l'on peut savoir assez précisément ce qu'il y a derrière les chiffres. Mais le bilan du Crédit agricole, c'est vingt-trois fois le PIB du Maroc ! Je ne sais pas faire, je l'ai dit, on ne m'a pas écouté, je suis parti. Pour analyser correctement la situation du Crédit agricole, il faudrait une dizaine d'analystes très expérimentés, connaissant tous les métiers de la banque, rémunérés chacun entre 500 000 et 600 000 euros : cela ruinerait une agence. De même, les agences n'ont aucun moyen de noter les Etats-Unis.

On revient donc à la question du business model, qui détermine la qualité de la notation. Entre 2000 et 2007, avant la crise, le recrutement a été un peu laxiste : les directions des ressources humaines ne s'en mêlaient pas, mais c'étaient les analystes seniors qui choisissaient eux-mêmes leurs équipes et certains, pour avoir la main sur leur équipe, ont été laxistes et n'ont pas retenu les plus « capés »... Or le monde est devenu de plus en plus complexe à la suite de l'énorme choc monétaire américain de 2003 et 2004, et nous nous sommes aperçus que l'information manquait. Tout le monde n'est pas Pierre Cailleteau !

Le modèle de l'investisseur payeur est intenable. Quand l'information est rare, elle a un prix. Aujourd'hui l'information est publique, disponible immédiatement sans aucun coût, et aucun investisseur ne veut payer. Une note communiquée confidentiellement à un investisseur aurait bientôt fait le tour de la planète ! Une fois l'information devenue un point focal au sens de Thomas Schelling, c'est l'émetteur qui doit la payer.

Quant aux conflits d'intérêts, il y en a, mais ils sont bien gérés. N'oubliez pas que la valeur du travail des agences repose sur leur crédibilité. Si on les savait corruptibles, elles seraient ruinées. Nous sommes tous co-responsables de la crédibilité de notre métier.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Hélène Des Esgaulx

Monsieur Cailleteau, vous dites qu'il ne sert à rien de réglementer. Mais les agences de notation ne sont-elles pas en partie responsables de la crise financière actuelle ? Sans la crise, on ne parlerait pas d'elles. Peut-on les considérer comme de simples prestataires de services ? Je peux le comprendre lorsqu'il s'agit de noter des entreprises, mais la dette souveraine, n'est-ce pas tout autre chose ?

Monsieur Veverka, j'ai entendu dire de mon côté que le modèle économique des agences de notation avait changé lorsqu'on s'est mis à s'échanger les notes...

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Hélène Des Esgaulx

Les agences n'évaluent pas seulement les institutions, mais aussi leurs produits : cela représente 50 % de leur chiffre d'affaires. Pourtant, n'est-ce pas d'une nature tout à fait différente ?

Debut de section - Permalien
Pierre Cailleteau

Les agences ont-elles commis des fautes, en particulier à propos de la finance structurée ? On peut en débattre. Si on l'admet, cela justifie-t-il un renforcement de la réglementation ? Je n'en suis pas certain. La crise est en partie due à la sacralisation du rating, à son intégration dans la réglementation. Encore une fois, oblige-t-on les gens à ne dîner que dans les restaurants étoilés ? Je ne suis pas convaincu par la réponse règlementaire.

Madame la sénatrice, vous dites que ce n'est pas la même chose de noter un Etat et une entreprise, mais qu'entendez-vous par là ? Cela signifie-t-il que les agences ont un rôle de service public ? Qu'elles devraient attendre plus longtemps avant de dégrader la note d'un Etat ? A mes yeux, l'idée de créer une agence de notation publique est saugrenue. Ces deux dernières années, les dirigeants européens juraient qu'ils ne laisseraient pas la Grèce faire défaut, mais c'est ce qu'ils ont fait cette semaine ! Quel crédit pourrait-on accorder à une agence placée sous l'autorité de la Commission européenne ?

Debut de section - Permalien
Anouar Hassoune

J'ai parlé d'une agence à capitaux publics.

Debut de section - Permalien
Pierre Cailleteau

Faire des agences des auxiliaires de la réglementation bancaire et financière, leur accorder un rôle de stabilisation est une erreur. Lorsque je travaillais auprès de la Banque des règlements internationaux, auprès d'une banque centrale ou chez Moody's, je me suis souvent interrogé sur la procyclicité des mesures que l'on prenait pour stabiliser le système...

La tâche des agences de notation est dire, en conscience : « Voilà ce que nous pensons » ; à d'autres d'en tirer les conséquences. Il n'y a pas lieu de leur confier un rôle contracyclique ou macro-prudentiel. Ce qu'il faut, c'est désacraliser les notes qu'elles publient et renforcer la pluralité des opinions.

Debut de section - Permalien
Anouar Hassoune

Tous les maillons de la chaîne de valeur sont responsables de la crise, les agences de notation ne le sont pas davantage que les banques régionales américaines qui ont accordé des crédits hypothécaires à des emprunteurs insolvables ou les compagnies d'assurance qui ont acheté du LBO (leverage buy out) « au cube ». La principale responsabilité incombe à la politique monétaire américaine.

Debut de section - Permalien
Pierre Cailleteau

Et au Congrès qui a encouragé à toute force l'accession à la propriété.

Debut de section - Permalien
Anouar Hassoune

La Réserve fédérale a maintenu des taux anormalement bas pendant des années, pour faire face aux conséquences du 11 septembre et financer la guerre. A partir de 2004, quand on eut proclamé « War is over », les taux d'intérêt ont augmenté de 25 points de base chaque trimestre. Nos modèles de notation étaient fondés sur l'expérience passée, et jamais on n'avait vu politique monétaire aussi belliqueuse !

Noter des institutions ou des produits titrisés, ce n'est pas la même chose, même si le produit fini est toujours une note. La notation des produits titrisés est l'affaire de juristes qui examinent le cadre juridique des produits, et de mathématiciens qui analysent la composition de portefeuilles infiniment granulaires. Le problème est que les spécialistes de la titrisation, qui travaillaient à un étage différent du même bâtiment, n'ont jamais demandé l'avis des autres sur la politique monétaire américaine ni sur les créances hypothécaires : ils estimaient leur modèle suffisamment robuste, sans y avoir intégré les effets d'une politique monétaire irresponsable.

Debut de section - Permalien
Pierre Cailleteau

Nous sommes au coeur du sujet. Les agences, c'est vrai, analysent deux types d'objets : des « animaux à quatre pattes » comme les entreprises, et des produits structurés. Après la crise, on les a obligées à différencier les notes de ces deux types d'objets, et à ajouter à celle des produits structurés les initiales « SF » (structured finance). Tout au contraire, il aurait fallu les mettre au défi de prouver que lorsqu'elles accordent un « AAA » à un produit titrisé, cette note a la même valeur que lorsqu'elle est appliquée à l'Allemagne ou à la Rabobank.

Debut de section - PermalienPhoto de Frédérique Espagnac

Je souhaite la bienvenue à Mme Catherine Gerst. Voulez-vous vous présenter et ajouter quelque chose aux remarques de vos collègues ?

Debut de section - Permalien
Catherine Gerst

Je suis entrée chez Moody's en 1991 comme analyste spécialiste des produits structurés - titrisation, crédits hypothécaires et commerciaux en France et en Europe occidentale. Plus tard, en tant que directrice générale de Moody's France, sans avoir une connaissance aussi précise de chaque domaine, j'assistais à tous les comités. J'ai quitté l'agence en 2001. Entre 2006 et 2008, j'ai travaillé pour l'agence canadienne DBRS, qui n'est restée en Europe que deux ans : alors qu'ils déploraient depuis longtemps l'oligopole des trois grandes agences, les émetteurs prétendaient avoir déjà assez à faire avec celles-là, et s'ils acceptaient d'être évalués gratuitement, ils refusaient de changer de prestataire...

Cela fait trois ou quatre ans que l'on parle de réglementer les agences de notation. En Europe, on a pris le parti de renforcer la concurrence, mais cela aurait mérité plus ample discussion, et ce n'est pas la voie qu'ont choisie les Etats-Unis. Comme le contrôle aérien, la notation fait partie des secteurs de « sécurité » qui supportent mal la concurrence. Imaginez que deux tours de contrôle se fassent concurrence, l'une ferait atterrir vingt-cinq avions par heure même si la réglementation fixait la limite à quinze : si j'ai le choix, je préfèrerai l'autre... Les autorités européennes ont décidé de soumettre les agences à une procédure centralisée de visa : sur les vingt-cinq qui en ont fait la demande, seize ont été autorisées, dont les trois grandes, DBRS, quelques compagnies d'assurance-crédit et des inconnus, dont on ne sait comment ils ont été audités.

Suis-je pour ou contre une réglementation ? Les drafts successifs dont j'ai eu connaissance sont fondés sur un diagnostic mauvais, insuffisant ou incomplet et ne se donnent pas les moyens de traiter leur objet. Ils n'auraient rien empêché s'ils avaient été en vigueur à la veille de la crise des subprimes.

Les agences de notation ne sont sur la sellette que depuis quatre ans. Or elles existent en Europe depuis 25 ans. J'ai ouvert le bureau de Moody's en France en 1989. Le sujet n'a émergé qu'à partir du moment où les Etats ont commencé à s'endetter massivement. C'est en 1988, Pierre Bérégovoy étant ministre des finances, que le gouvernement français a fait venir les agences de notation, sans aucune contrepartie, pour soutenir les emprunts de la France à l'étranger. Depuis lors, et jusqu'il y a trois ans, les gouvernements qui se sont succédé dans notre pays et chez nos voisins européens ont été foncièrement satisfaits du comportement des agences, qui leur accordaient un triple A. Ce n'est qu'à partir du moment où des interrogations ont surgi sur cette notation que le débat a été porté sur la place publique.

Les projets de régulation sont inadaptés. Pour modifier le fonctionnement des agences, il faut changer le système dans lequel nous sommes. La puissance des agences est liée à celle des marchés de capitaux. Sans la dette des Etats, il n'y aurait plus de marchés de capitaux ! La montée en puissance de la dette en Europe a été concomitante de celle des agences de notation. Je parie que si la dette des Etats diminuait, les marchés financiers redeviendraient ce qu'ils étaient avant, des lieux d'échanges obligés, et tout se dégonflerait. On retournerait au système bancaire, la finance servant le commerce. Il y aurait des évaluateurs, dont les agences de notation. On parle de boîte noire, à propos des agences, mais personne ne lit leurs analyses, à part quelques spécialistes ! Je ne suis plus dans le métier depuis quatre ans, mais je suis toujours assaillie de coups de fil d'hommes d'affaires, de banquiers, d'hommes politiques, me demandant telle étude de Standard and Poor's, telle statistique de Moody's, parce que c'est là que se trouvent les informations. Il faudrait s'interroger sur l'importance de cette recherche. Par quoi la remplacer ? Tout le monde s'en sert, parce qu'il n'y a qu'elle ! Les agences disposent de la seule ressource utile pour les hommes d'affaires...

Debut de section - Permalien
Anouar Hassoune

Mais elle pourrait être de meilleure qualité...

Debut de section - Permalien
Catherine Gerst

Quelle est la responsabilité des agences ? Des fautes, il y en a, mais plus ou moins que dans les banques ? Quel service au monde est exempt de faute ? Y a-t-il eu de la malhonnêteté, de la fraude pour les subprimes...

Debut de section - Permalien
Catherine Gerst

De mon point de vue, il ne s'agit pas d'incompétence mais de la conséquence d'une concurrence déjà trop forte dans le secteur. Les agences ont tenu le même raisonnement et pour les mêmes raisons que pour les assureurs européens. Quand on leur a demandé de noter ces produits apparus en 2005-2006 aux Etats-Unis, elles ne disposaient pas des données suffisantes. En matière hypothécaire, il faut dix ans de données et, sur les subprimes, les agences n'avaient que deux ans de statistiques ! Elles ont accepté de noter, en sachant pertinemment qu'elles manquaient de données, parce que si l'une des grandes refusait, la deuxième ou la troisième aurait accepté, ou les petites agences qui pullulent sur l'énorme marché américain. Il y a trop de concurrence entre les agences ! Il a fallu donc prendre les deux ans de données disponibles et extrapoler à partir de tout ce que l'on savait depuis 40 ans des assureurs américains, en s'efforçant de reconstituer des séries cohérentes, l'ensemble représentant des milliards de dollars. Est-ce une faute ? Oui. Une agence devait dire non. Ça a été ma position chez Moody's. En interne, elle était impossible à tenir !

Debut de section - Permalien
Anouar Hassoune

Jamais les actionnaires n'auraient accepté !

Debut de section - Permalien
Catherine Gerst

Dire oui si rapidement après le lancement d'un produit était une faute.

Debut de section - Permalien
Catherine Gerst

Si, les agences ont été décimées. Des cohortes d'analystes sont parties, parmi les meilleurs.

Debut de section - Permalien
Anouar Hassoune

Les bons deals de titrisation ne sont pas notés actuellement. La titrisation est la plus grande innovation de ces dernières années. C'est comme une Lamborghini, on ne va pas lui reprocher d'être ce quelle est ! C'est une technique fantastique, « trois en un », puisqu'elle assure à la fois le refinancement, la liquidité et une valeur de marché. On a eu peur de dire non, à cause du business model. Résultat : aujourd'hui, de bons deals ne trouvent pas preneurs !

Debut de section - Permalien
Catherine Gerst

Les agences se sont très vite aperçues de leur erreur car dès 2007, les performances des portefeuilles dérivaient. Elles ont immédiatement averti le marché et mis ces produits sous surveillance. Moins qu'une faute, ça a été un formidable aveu de transparence. Les prêteurs triple A ont vendu leurs parts, dont la valeur faciale s'est écroulée, mais les pertes qu'ils ont subies ne sont pas dues à la notation. Il y a là une incompréhension totale. Lorsque les bourses mondiales perdent 1 %, 15 000 milliards de dollars sont perdus, en une journée, à comparer avec 3 000 milliards au total dans la crise des subprimes. Il faut ramener les choses à leur juste proportion.

Debut de section - Permalien
Catherine Gerst

L'incompréhension de ce qui s'est passé a ouvert chez les hommes politiques européens, notamment en France et en Allemagne, la possibilité de tirer à vue sur les agences. Ça a été dramatique ! Ces discours politiques ont provoqué la sortie de la titrisation. C'est comme si l'on asséchait les pompes à essence ! Que s'est-il passé ? Un an après, les banques, qui ne pouvaient plus se refinancer, sont venues se plaindre au Trésor et au gouvernement ! Elles ont expliqué que la titrisation existait depuis trente ans, qu'il y avait eu des problèmes avec les subprimes, mais qu'elles étaient coincées et que les discours politiques avaient paniqué tout le monde. Une commission a été mise en place, sans publicité, avec le Trésor, les principales banques françaises, des experts, dont j'ai fait partie ; au bout d'un an et demi, sans le dire, la titrisation a été remise à l'ordre du jour, afin de redonner confiance aux marchés, à condition qu'elle porte sur du triple A, qu'elle soit bien encadrée, etc.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Namy

Les agences sont des accompagnateurs. Les responsables politiques les sollicitent pour accompagner leur politique de développement. Président de conseil général, aurais-je pu faire les mêmes choses si j'avais eu la chambre régionale des comptes en face de moi ? Je ne le pense pas. La démarche des agences de notation n'est pas facile. Les conséquences des mots employés sont considérables. C'est une gymnastique intellectuelle !

Debut de section - Permalien
Anouar Hassoune

Je n'ai pas évoqué un établissement public, mais une agence de notation à capitaux publics, ce qui permettrait de limiter le rendement exigé par l'actionnaire. Dans certains pays émergents, certains analystes doivent évaluer une trentaine d'émetteurs, ce n'est pas possible ! Nous n'étions que deux pour évaluer le Crédit agricole, nous aurions dû être six ou sept ! Un actionnaire public accepterait une compression des marges que refusent les actionnaires privés !

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Namy

Qui dit « actionnaire public » dit pression publique : voyez EDF...

Debut de section - Permalien
Anouar Hassoune

Il peut s'agir du FMI, de la banque mondiale, d'entités qui peuvent s'engager à ne pas interférer dans la gestion de l'agence et à accepter des marges plus faibles, ce qui accroîtra la qualité de l'évaluation. L'exigence de marges très élevées se paye, sur le terrain, au niveau des analystes qui se retrouvent avec une cinquantaine de crédits à noter. Lorsqu'il s'agit d'une banque du Kazakhstan, cela pose peu de problèmes, mais lorsqu'un même analyste doit noter Rabobank, BNP et le Crédit agricole, ou ne serait-ce que 50 milliards de gestion active des portefeuilles cantonnés (GAPC) d'une seule banque française, ce n'est pas possible !

Debut de section - Permalien
Anouar Hassoune

Non, c'est une question de moyens. Trois prix Nobel qui s'attèleraient jour et nuit à la même tâche, sans dormir ni manger, n'y arriveraient pas davantage !

Debut de section - Permalien
François Veverka

Je ne crois pas du tout à une agence publique, parce que dans une situation de stress très importante, un évaluateur doit garder une totale liberté d'appréciation. S'il est soumis au FMI ou à la banque mondiale, il ne l'aura pas. En revanche, je suis favorable à une réglementation de l'activité du secteur, en faisant attention à ce que l'on veut réglementer. Fitch dégrade la note de la Grèce, cela fait la une des journaux : c'est avant tout un problème de communication ! L'avant-projet de la Commission européenne, même s'il ne l'affiche pas clairement, tendant à interdire de noter le risque souverain, ne me paraît pas aller dans le bon sens. Il faut revenir à la problématique de la concurrence et des moyens. Face à un marché de bulle, qui peut exploser, mais qui est un eldorado pour les émetteurs, les investisseurs et les agences, la tentation est forte de capter ce marché, en ne mettant pas en place toutes les ressources nécessaires pour l'analyser.

Lorsque Standard and Poor's Londres constate que le marché européen de la titrisation, qui n'a pas connu beaucoup de difficultés depuis sa création, augmente de 40 % par an depuis l'an 2000, il faut des analystes en nombre suffisant pour accompagner la croissance de ce marché.

Les subprimes existent depuis plus longtemps que ne l'a dit Catherine Gerst. La titrisation des créances hypothécaires remonte aux années Clinton. Les banques n'ont pas fourni les informations qu'elles étaient censées fournir. Tout le monde s'est emballé, personne n'a vérifié s'il y avait des hypothèques de premier rang. Au bout d'un à deux ans de dysfonctionnements, les courbes ont divergé.

La réglementation doit s'appuyer sur la transparence. Je crois à la concurrence. Sans doute ne faut-il pas aller jusqu'à 25 agences, mais elle me paraît saine. Je ne suis pas tout à fait d'accord avec Anouar. Je préside le comité d'audit du Crédit agricole. Les analystes bancaires des grandes agences sont très respectés des banques. Ce sont des partenaires, qui jouent un rôle très important, au-delà de la notation. Se pose le problème de l'ajustement de la ressource, face à la complexité des marchés financiers. Il n'y a pas qu'une seule catégorie d'aide. Les agences doivent être capables d'accompagner le mouvement. La concurrence est une bonne chose, elle évite les situations de confort. De nouveaux entrants peuvent déployer des méthodes différentes. C'est très bien, y compris pour les grands acteurs.

La transparence est essentielle. Les acteurs de marché non spécialistes doivent voir ce que font les agences. Beaucoup d'informations sont données. Il faut fournir les informations sur les moyens dont on dispose, donner confiance au marché, éviter la complaisance. Il convient d'éviter les oligopoles et les marchés captifs.

J'ai passé beaucoup de temps, dans les années 2000, à négocier la possibilité d'avoir suffisamment de moyens. Recruter des analystes, c'est bien. Il faut veiller aux risques, sur certains marchés, mais attention à la crédibilité et à l'image des agences sur les marchés. La note de la France est actuellement triple A avec perspective négative chez Moody's, AA+ avec perspective négative chez Standard and Poor's, mais la notation implicite des marchés, selon le prix accordé par les investisseurs aux CDS (credit default swaps) ou contrats d'assurance garantie, est triple B, équivalente à celle de l'Irlande. Cela montre que les marchés ont une opinion plus négative que les agences, dont ils estiment la notation trop favorable. Si les agences disparaissaient, les marchés financiers seraient beaucoup plus volatils.

Je me souviens de la notation de France Telecom, triple B, qui n'est pas des meilleures, mais correspond à un risque faible. L'agence a été critiquée, au motif qu'elle ne comprenait rien au soutien de l'opérateur par l'Etat, triple A. Le prix de marché s'est d'abord établi autour du double A, puis, quand le premier éclatement de la bulle internet a entraîné une désaffection pour France Telecom, l'agence a maintenu sa note triple B, alors que les prix, en 2002, correspondaient à ceux d'un émetteur pourri, au bord de la faillite ; la note est restée stable et les prix de marché ont de nouveau convergé. Les agences jouent un rôle de contrepoids de la volatilité des marchés.

Que la réglementation porte sur la transparence et supprime toute référence réglementaire aux agences de notation semble une voie plus réaliste que l'interdiction de telle ou telle activité ou la rotation à très court terme, qui rendrait les relations entre agences et émetteurs très instables. La réglementation telle qu'elle est envisagée actuellement fait fausse route. Sans doute ai-je un regard plus objectif, maintenant que je ne suis plus en agence, je ne suis pas leur lobbyiste !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Je suis libéral par philosophie, mais sensible aux arguments en faveur d'une agence de notation financée sur fonds publics, qui pourrait asseoir la crédibilité européenne. Comment voyez-vous la volonté qui pourrait s'exprimer à ce niveau ?

Quel regard portez-vous sur l'évolution du comportement de la banque centrale européenne, qui a contribué à détendre les marchés, ce que j'approuve ?

Debut de section - Permalien
Anouar Hassoune

La constitution d'une agence financée sur fonds publics me paraît conceptuellement séduisante. Les pays émergents devraient y être favorables, notamment les Indiens et les Chinois, l'Amérique latine, de même que la Banque mondiale, qui dispose de bureaux dans ces pays. Quand nous devions évaluer les banques sud-africaines, nous voyagions à Johannesburg en faisant escale à Londres, mais nous n'avions pas idée de la tectonique quotidienne du secteur sur place. Nous avons là un défi à relever. Les Anglais n'en veulent pas.

Debut de section - Permalien
Anouar Hassoune

On peut commencer à y travailler. Quant au comportement de la Banque centrale européenne, je crois comme vous qu'elle n'a pas le choix et qu'il est conforme à son devoir, même s'il n'est pas conforme à son mandat...

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Les Allemands se sont laissés convaincre...

Debut de section - Permalien
Anouar Hassoune

et si elle devra revenir à un comportement plus conforme à son objet initial après la crise.

Debut de section - PermalienPhoto de Robert del Picchia

Je suis plutôt favorable aux agences de notation, mais je constate que certains actionnaires de Standard and Poor's et ceux de Moody's sont les mêmes...

Debut de section - Permalien
Catherine Gerst

Il y en a de communs !

Debut de section - PermalienPhoto de Robert del Picchia

Cela fait pas mal d'actionnaires communs ! Lorsque Standard and Poor's abaisse la note des Etats-Unis, comment et par qui cette décision est-elle prise ? Abaisser la notation de la France est une chose, abaisser celle des Etats-Unis en est une autre.

Lorsque vous notez les grandes entreprises, tout est-il mis sur la table, en toute transparence, pouvez-vous aller partout ?

Debut de section - Permalien
François Veverka

L'abaissement de la note des Etats-Unis a eu lieu l'an dernier, je l'ai vécue comme observateur et non comme insider. En dépit de critiques là-bas, cette décision a été analysée comme une démonstration de l'indépendance des agences par rapport aux autorités américaines.

Pour la notation corporate, le principe est de donner à l'agence la liberté d'obtenir les informations sur les points qui lui paraissent essentiels. Il s'agit de poser les bonnes questions, à partir de la connaissance que l'agence a du secteur. Contractuellement, l'émetteur s'engage à répondre aux questions posées par l'agence, dont les analystes peuvent aller partout. Pour autant, ce ne sont pas des auditeurs. Ils doivent utiliser l'information organisée dont ils ont connaissance, afin de bien comprendre les déterminants fondamentaux des risques des émetteurs, à partir de leur situation financière et de leur environnement économique. Bien sûr, les émetteurs ont intérêt à avoir la meilleure note possible, mais c'est aux agences de s'en faire une idée aussi précise que possible.

Debut de section - Permalien
Pierre Cailleteau

Il y a beaucoup de cas ou de pays où la transparence est moins importante. Peut-on noter, sans disposer des informations nécessaires ? La note peut être plus sévère en raison de l'opacité.

Debut de section - Permalien
Anouar Hassoune

On ne peut pas aller partout. Dans le cas que vous évoquez, on retient la pire hypothèse et on explique à l'émetteur pourquoi, ce qui l'incite à donner une information supplémentaire. A l'inverse, on peut surnoter, en fonction d'hypothèses trop positives. Ça a été le cas de l'Islande et de la Hongrie - quand j'ai été amené à remplacer des collègues, je me suis refusé à noter le système bancaire.

Il était courageux de dégrader les Etats-Unis, ce qui apparaissait à beaucoup comme impensable, même si le triple A, en raison de l'énormité de la dette accumulée (150 fois le PIB du Maroc !) et du déficit commercial abyssal, après vingt années de guerre, avait quelque chose d'irréel. Pierre Cailleteau a inventé la notion de robustesse institutionnelle. Standard and Poor's attendait un prétexte pour abaisser la note des Etats-Unis. En dépit de la maîtrise du dollar, la baisse des taux d'intérêt américains, consécutive à la faillite des dot.com puis du 11 septembre, suivie de leur maintien, de 2001 à 2004, autour de 1%, était intenable.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Noëlle Lienemann

Quelle est la part de marché des agences liée aux collectivités publiques ? Je soutiens la constitution d'une agence publique, au niveau européen. Que fait la Chine ? Y a-t-il des écarts de notation entre les agences chinoises et les autres ? Avant l'entrée de la Grèce dans l'euro, dès 1997-1998, un premier rapport au Parlement européen et à la Commission européenne était très réservé, puis on a envoyé je ne sais quels spécialistes qui ont estimé que les comptes de la Grèce lui permettaient de rejoindre l'euro ; quel a été le rôle des agences de notation dans ce diagnostic ?

Debut de section - Permalien
Pierre Cailleteau

Je n'étais pas à l'agence à l'époque. Lorsque j'étais responsable de la notation des Etats, les règles et les objectifs chiffrés de l'Union européenne ne constituaient pas un sujet majeur. Les agences n'avaient en tout cas pas la responsabilité de les valider.

Debut de section - Permalien
François Veverka

Les collectivités locales représentent un secteur limité, dans le portefeuille des agences, par rapport aux entreprises et aux banques. Les entités publiques contrôlées par l'Etat, comme la CADES ou La Poste, en revanche, émettent des quantités importantes sur les marchés et ont intérêt à convaincre les investisseurs. Elles ont besoin des agences pour optimiser leurs conditions d'accès aux marchés. Lorsque les agences se sont implantées en Europe, la notation des émetteurs répondait d'abord à un objectif de communication. Les emprunteurs sur les marchés décidaient de se faire noter, en espérant une bonne note, et s'ils n'en étaient pas satisfaits de celle qu'on leur donnait, ils n'avaient pas l'obligation de la publier. Ils sélectionnaient l'agence qui leur paraissait la plus favorable.

Ensuite, nous sommes passés à un marché d'investisseurs, le poids de l'endettement s'est accru et les acteurs ont eu besoin des marchés pour se refinancer. Ils ont dû fournir les évaluations des agences, même si elles ne correspondaient pas à ce qu'ils souhaitaient. Dans cette hypothèse, compte avant tout la crédibilité des notateurs. Si une nouvelle agence était créée sur capitaux publics, elle devrait susciter la confiance des investisseurs, ce qui prendrait du temps. En effet, il lui faudrait faire la preuve de son indépendance, qui pourrait être sujette à caution, si elle dépendait de la Commission, de la Banque centrale européenne ou du FMI. En attendant, il faudrait accepter de perdre de l'argent pendant un certain temps.

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Revet

Je retiens que M. Hassoune a reconnu ne pas avoir eu les moyens d'évaluer correctement et qu'il était difficile de dire non aux Etats-Unis. Mme Gerst a dit que des décisions ont été prises sans que les agences aient eu les moyens nécessaires. Mesurons les conséquences que peuvent entraîner de telles décisions, par exemple sur le crédit à la consommation, lorsque les taux doivent augmenter.

Il faut mettre en place un système crédible et solide pour éviter les dérapages, à partir d'un cahier des charges a minima. Est-ce à dire qu'il faut organiser la transparence, de telle sorte que les agences de notation aient les moyens d'appréhender la réalité ? Le législateur peut-il intervenir pour mettre en place un cadre de vérité ?

Debut de section - PermalienPhoto de Aymeri de Montesquiou

Lorsque je parlais d'incompétence, je me référais non pas à la qualité des personnes, mais aux moyens dont elles disposent. Mme Gerst a évoqué la titrisation, sur laquelle les agences manquaient de données, mais quid de Lehman Brothers, d'Enron, grandes compagnies bien connues ? Si la crise des subprimes n'a englouti que 3 000 milliards de dollars sur 15 000 milliards c'est déjà énorme, puisque l'onde du choc grec a été ressentie jusqu'à Shanghai : l'effet papillon joue aussi en finance.

Debut de section - Permalien
Pierre Cailleteau

Lehman Brothers était une banque d'investissement extrêmement fragile et sensible au marché. Ses problèmes de financement ont donné lieu à un grand débat : la Fed allait-elle intervenir ? Compte tenu des implications systémiques, les uns et les autres ont pensé que oui et ont maintenu leur notation. L'analyse a dû prendre en compte un jugement probabiliste...

Debut de section - Permalien
François Veverka

Il s'agissait d'évaluer si la firme pouvait rembourser sa dette...

Debut de section - Permalien
Anouar Hassoune

ce qui ne paraissait pas douteux dès lors qu'elle pouvait compter sur l'aide de la Fed, en raison de son caractère systémique, partagé par une dizaine de banques aux Etats-Unis. Il manquait 7 points de capital, par rapport à l'évaluation initiale de 22 % à 23 % faite par Standard and Poor's pour une grande banque d'affaires, puisque, quelle que soit la banque, une petite banque commerciale au Kazakhstan ou une grande banque d'affaires américaine, nous disposions du même modèle d'évaluation. Sans doute l'adaptation n'a-t-elle pas suffisamment tenu compte du poids du refinancement. Quant à Enron, elle mentait comme un arracheur de dents, tout comme la Grèce !

Debut de section - Permalien
François Veverka

Les auditeurs non plus. Il y a d'ailleurs un autre cas : le producteur de lait italien Parmalat, qui a fait faillite, alors qu'il disposait d'une note BBB- ! Les informations reçues de cette entreprise bien connue étaient défaillantes, frauduleuses. Elle affichait, la veille de sa faillite, un excédent de trésorerie équivalent à quelque 7 milliards d'euros. Les agences de notation ne sont pas des auditeurs. Sinon, il leur faudrait non pas 500, mais 50 000 analystes ! Les analyses se fondent sur des informations validées, sur un dialogue avec l'émetteur : garbage in, garbage out, selon un adage du contrôle, une mauvaise information ne peut déboucher que sur une analyse erronée ! A certains moments, le rôle des analystes est un peu bizarre, lorsqu'ils sont confrontés à des situations très complexes.

Debut de section - Permalien
Anouar Hassoune

Nous n'avons pas mesuré tellement d'écarts avec la notation chinoise, qui a fait beaucoup parler d'elle parce qu'elle a été la première à dégrader la note de la France.

Debut de section - Permalien
Catherine Gerst

Pourquoi ne pas envisager une délégation de service public, dans la mesure où les agences remplissent des missions de service public ? Cette formule juridique, que nous connaissons bien en France, permettrait, à partir d'un cahier des charges très strict, d'imposer un certain nombre d'obligations ne figurant pas dans la réglementation actuelle, notamment en matière de staffing, c'est-à-dire de ressources humaines : nombre d'analystes, nombre de crédits maximum par analyste (de l'ordre d'une dizaine). Il faudrait obliger les actionnaires à réinvestir leurs gains dans la ressource humaine. J'avais proposé cette idée à Bruxelles...

Debut de section - Permalien
Catherine Gerst

Elle n'a même pas été entendue ! Elle permettrait pourtant de résoudre la question des moyens, soulevée par Anouar. Lorsque nous avons implanté Moody's, l'agence a subi cinq années de pertes...

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Ce serait une façon concrète de concilier les deux orientations présentes autour de cette table...

Debut de section - Permalien
Catherine Gerst

Cette formule, qui n'est jamais parfaite, est utilisée dans bien des domaines, comme les aéroports...

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Noëlle Lienemann

L'on a besoin d'une visibilité qui ne paraît pas évidente, compte tenu du contexte que vous avez décrit. La méthodologie est en cause, pas seulement le nombre d'analystes...

Debut de section - Permalien
François Veverka

Il est difficile de réglementer la façon de noter : faut-il 5, 10 ou 50 analystes ?

Debut de section - Permalien
François Veverka

Cela risquerait de conforter les grandes agences...

Debut de section - PermalienPhoto de Frédérique Espagnac

N'hésitez pas à nous faire parvenir une note, pour compléter tel ou tel aspect de cette audition. Nous serons amenés à reprendre contact avec vous après les visites de terrain que nous avons prévues, notamment à Londres et à Washington...

Debut de section - PermalienPhoto de Aymeri de Montesquiou

L'argument du mensonge, s'agissant d'Enron, n'est pas recevable...

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Hélène Des Esgaulx

Votre contribution à tous les quatre était passionnante !

Debut de section - Permalien
Philippe Mills, directeur général de l'Agence France Trésor

Je suis honoré d'apporter mon témoignage devant votre mission d'information.

L'Agence France Trésor est le point de contact naturel de l'Etat avec les agences de notation. Le rôle de celles-ci est un sujet d'actualité pour tous les acteurs des marchés financiers depuis l'été 2007 ; il l'est plus encore depuis deux ans pour les émetteurs de dette souveraine en Europe et le cycle sans précédent de décisions de notation que nous avons connu, décisions généralement négatives mais dont l'impact doit être relativisé.

Dans ce contexte, la question du cadre réglementaire est posée. La législation avait déjà été renforcée après la crise des subprimes ; elle l'a été à nouveau en 2011 avec l'extension des pouvoirs de l'autorité européenne des marchés financiers -enregistrement, surveillance, contrainte- aujourd'hui effective. Un troisième document est en préparation à Bruxelles. En matière de notation souveraine, le communiqué des agences doit être publié uniquement après la clôture des marchés européens ou au moins une heure avant leur ouverture, et la notification adressée aux autorités publiques au moins 12 heures ouvrées avant publication.

Les relations de l'Agence France Trésor avec les agences de notation sont régulières, un peu sur le modèle de la procédure de l'article IV du FMI lorsque celui-ci évalue un pays. La notation de la France par les trois agences principales est « non sollicitée », comme pour la plupart des grands émetteurs souverains ; ce qui veut dire que nous ne payons pas pour être notés. Nous sommes dans une situation non contractuelle, non commerciale, et cela a toujours été le cas. Ce qui ne veut pas dire que les agences ne sont pas soumises à la réglementation européenne. Le délai de 12 heures avant publication du communiqué permet à l'émetteur de procéder à des vérifications d'ordre factuel ; il n'y a pas d'échange avec l'agence sur le projet de communiqué, celle-ci étant libre de reprendre ou non les remarques qui lui sont faites. Les agences respectent scrupuleusement ces règles.

Les agences de notation sont également libres de définir la fréquence de notation des émetteurs souverains ; pour la France, elle est annuelle. Le processus de notation fait intervenir une équipe de trois ou quatre analystes qui exploite l'ensemble des données publiques disponibles et mènent des entretiens avec les administrations économiques et financières ; c'est l'occasion d'obtenir des informations additionnelles sur certaines réformes, la stratégie budgétaire, le programme d'émission, et d'échanger sur la conjoncture. L'approche est holistique : sont prises en compte toutes les administrations publiques ainsi que les engagements dits contingents, soit la dette hors bilan de l'Etat.

L'équipe d'analystes présente ensuite son projet de décision au comité de crédit de l'agence, qui prend la décision finale ; l'équipe rédige alors le communiqué qui est adressé à l'émetteur et publié 12 heures après. Le communiqué est complété dans les semaines suivantes par un rapport qui détaille les fondements de la décision. Le ministre est informé de l'évolution du dialogue au cours de tout le processus.

Parallèlement, les agences publient des études relatives au contexte de l'évaluation ou à l'émetteur lui-même, par exemple sur le système bancaire ou l'impact du vieillissement de la population sur la trajectoire des finances publiques. Les décisions d'ampleur telle que la réforme des retraites ou un projet de loi de finances rectificative important donnent lieu à des conférences téléphoniques entre nos services et les agences.

Il faut souligner que les agences de notation notent surtout les entreprises. La notation des Etats est moins fréquente et plus stable. En 2012, Moody's notera 110 pays mais 12 000 émetteurs.

Le récent cycle de dégradations, exceptionnel par son ampleur et sa durée, a permis de tester la solidité des modèles utilisés. Les grilles d'analyse des grandes agences, comparables, même si chacune insiste sur le caractère spécifique de son approche, comportent 21 ou 22 crans et trois à cinq grandes familles d'indicateurs, niveau de performance macro-économique, situation globale des finances publiques, niveau et structure de l'endettement, capacité de résilience aux chocs financiers ou économiques, efficacité de la gouvernance institutionnelle. Dans le cas français, les trois principales agences ont toutes mis en avant la diversité de l'économie, le niveau élevé de productivité des agents économiques, le faible endettement du secteur privé et la solidité du système financier. Mais elles n'ont pas tout à fait la même philosophie de notation ; dans leurs récentes décisions concernant notre pays, elles n'ont pas tiré les mêmes conséquences d'un argumentaire en partie commun sur le problème de la gouvernance politique et budgétaire de la zone euro. Ainsi Moody's et Fitch ont placé le triple AAA de la France sous perspective négative tandis que Standard & Poor's dégradait à AA+, en mettant en avant des préoccupations un peu différentes.

En tant qu'acteurs de marché, les agences sont, surtout en période de crise, sensibles aux tendances de court terme, qu'elles doivent cependant concilier avec une approche de long terme. C'est un problème de continuité méthodologique entre les moments de notation.

La part de la subjectivité est-elle ou non importante ? Les décisions de Standard & Poor's de dégrader les Etats-Unis à l'été 2011 et la France en janvier 2012 ont pu surprendre les investisseurs, dans la mesure où les arguments invoqués - incapacité du système politique américain à adopter des mesures de redressement budgétaire efficaces dans un cas, efficacité, stabilité et prévisibilité insuffisantes de la politique et des institutions européennes dans l'autre- laissaient une certaine place à l'interprétation.

N'oublions pas que les agences sont des organisations humaines donc faillibles -voir l'erreur technique de Standard & Poor's en novembre- et non exemptes de défauts d'organisation ; s'agissant plus spécifiquement des équipes en charge des dettes publiques, on peut penser qu'elles connaissent aujourd'hui une certaine surchauffe... On peut aussi imaginer que leurs responsables aient envie de se démarquer de leurs concurrents.

S'agissant des pistes d'améliorations, la France soutient les propositions de la Commission européenne consistant à réduire la dépendance aux notations des agences, à mettre en place un régime européen de responsabilité civile et à mieux encadrer la notation des dettes souveraines en termes de transparence et de calendrier. Bien que le marché donne quelques signes d'ouverture, la France étant par exemple notée par l'agence canadienne DBRS ou l'agence japonaise JCR, 90% de l'activité demeure concentrée entre les mains des trois grandes agences. La France soutient la proposition européenne de mise en place de règles de rotation, ce qui renforcerait la concurrence ; cette mesure doit toutefois être calibrée de façon à tenir compte de façon réaliste de l'état du marché. Il faudra aussi regarder du côté de la règlementation bancaire, assurantielle et de marché, de sorte que l'avis ne résulte pas d'une norme imposée par le régulateur ; les grands acteurs de marché ont leurs propres analyses du risque.... De même, nous soutenons l'extension de la réglementation aux perspectives de notation. Nous estimons en revanche qu'il convient d'envisager avec prudence l'idée d'une substitution aux agences de notation. Je ne suis pas sûr que s'en remettre au marché serait un progrès.

Se pose aussi la question de savoir si la notation des Etats doit respecter les mêmes procédures que celles des entreprises, sujet sur lequel il n'y a pas aujourd'hui de consensus au niveau européen. Pour ma part, j'estime qu'il pourrait être utile d'encadrer la notation des dettes souveraines par la fixation d'un calendrier d'annonces, les risques d'augmentation de la volatilité des marchés à l'approche de ces dates connues à l'avance n'étant pas insurmontables. Cette solution aurait le mérite d'éviter la propagation de rumeurs entre deux dates. Il faut que les agences soient capables de s'appuyer sur des données de tendance.

S'agissant de la création d'une agence de notation européenne, si l'on ne peut que souhaiter davantage de concurrence et d'indépendance à l'égard des acteurs de marché privés, il faut être conscient des conditions qu'elle devrait remplir pour être acceptée par les marchés au même titre que les trois grandes agences historiques ; si elle n'était pas privée et indépendante, le risque existe que le marché la soupçonne de collusion avec les émetteurs souverains. Compte tenu du niveau de ces exigences, il me semble aujourd'hui préférable de mettre l'accent sur le renforcement de la réglementation, de la transparence et de la supervision.

Debut de section - PermalienPhoto de Aymeri de Montesquiou

Les agences de notation sont comme des médecins dont les diagnostics ne seraient pas soumis au secret médical, alors qu'elles peuvent commettre des erreurs considérables, comme sur les subprimes, Lehman Brothers ou Enron, dont les conséquences ne sont pas assumées par elles mais par l'ensemble de l'économie et des Etats. Nous avons besoin d'un antidote. Dans la mesure où vous repoussez l'idée d'une agence européenne qui me semble pourtant pouvoir représenter un élément pondérateur, quelles solutions préconisez-vous ?

Debut de section - Permalien
Philippe Mills, directeur général de l'Agence France Trésor

Je ne repousse pas l'idée d'une agence européenne, je dis simplement qu'elle devrait être en quelque sorte « ratifiée » par les acteurs de marché. Les agences elles-mêmes rappelant qu'elles ne font qu'émettre des opinions, le développement de la concurrence est aussi l'un des moyens d'en relativiser l'importance ; la règlementation devrait d'ailleurs rendre ce caractère d'opinion plus manifeste.

En période de crise, les agences prennent en compte des facteurs dont le caractère parfois difficilement évaluable est pris en compte par les acteurs de marché, comme en témoigne la réaction de ceux-ci aux dégradations des Etats-Unis et de la France. Comment mesure-t-on l'efficacité de la gouvernance ? Les investisseurs considèrent de plus en plus les avis de plusieurs agences tandis que les plus grands d'entre eux développent leurs propres outils d'analyses. La réglementation devrait venir en appui de cette évolution initiée par les acteurs du marché eux-mêmes.

Encore une fois, les agences posent un diagnostic mais ne dictent pas les remèdes.

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Revet

J'ai été proprement ahuri d'entendre que les notations des agences faisaient intervenir une telle part de subjectivité. C'est extrêmement grave au regard des conséquences de ces décisions, comme l'illustre le cas de la Grèce. Je ne sais pas s'il reviendra au législateur français ou européen de prendre des dispositions en la matière mais on ne peut pas laisser les agences continuer à travailler dans ces conditions. Serait-il au moins envisageable qu'on les oblige à être plus précises dans leurs appréciations et plus en phase avec les réalités ? Ne doit-on pas mettre en place des règles renforcées de transparence ?

Debut de section - Permalien
Philippe Mills, directeur général de l'Agence France Trésor

Telle est en grande partie l'objet des discussions en cours au niveau européen. L'autorité européenne aura un pouvoir de contrôle sur la méthodologie des agences. Quant à la Grèce, sa situation actuelle ne doit pas grand-chose aux agences de notation...

Debut de section - Permalien
Philippe Mills, directeur général de l'Agence France Trésor

Lorsque les agences notent les Etats, elles le font avec un certain recul dans le temps et l'espace, avec des critères d'une certaine stabilité, ce qui n'a pas été le cas dans leur évaluation des produits dérivés, produits sans mémoire dont le fonctionnement était inconnu, a fortiori dans un contexte de crise. Les acteurs de marché sont conscients de ces limites et ont déjà pris leurs distances. Les investisseurs que je rencontre souhaitent que la réglementation donne moins d'importance aux agences ; il faut desserrer la contrainte qui pèse sur le contrôle du risque au sein des institutions qui investissent en titres d'Etat.

J'ajoute qu'ayant été critiquées pour avoir réagi trop tard aux subprimes, les agences ont voulu réagir suffisamment tôt à l'évolution des dettes souveraines.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Noëlle Lienemann

Quelles relations entretenez-vous avec l'agence chinoise ? Qui, à vous entendre, a encore confiance dans les agences de notation, certains spécialistes indiquant même que la France pour les CDS serait classée comme l'Irlande ?

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Noëlle Lienemann

Quelles sont les principaux partenaires de la dette française ? Si l'on excepte les agences, avec qui peut-on discuter du risque souverain ? Enfin, avez-vous une stratégie de lobbying visant à contrer le discours général très défavorable aux Etats ?

Debut de section - PermalienPhoto de Robert del Picchia

En 1854 déjà, Edmond About disait que la Grèce était en faillite...

Comment verriez-vous l'organisation d'une agence de notation européenne, privée et indépendante ? Enfin, la fixation d'une date pour les notations de dettes d'Etat n'alimenterait-elle pas la spéculation ?

Debut de section - Permalien
Philippe Mills, directeur général de l'Agence France Trésor

Nous n'entretenons aucune relation avec l'agence Dagong ; nous n'avons aucune information sur sa méthodologie, sa note n'est jamais citée par les investisseurs.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Noëlle Lienemann

On dit que la suspicion est née après la dégradation de la France par Dagong ...

Debut de section - Permalien
Philippe Mills, directeur général de l'Agence France Trésor

D'où vient cette analyse ?

Debut de section - Permalien
Philippe Mills, directeur général de l'Agence France Trésor

L'agence chinoise n'a aucune relation avec les émetteurs européens.

S'agissant du prétendu triple B français, il ne s'agit que d'une appréciation du marché des CDS, dont la taille est microscopique au regard de celle des obligations d'Etat et qui, du fait de ses fortes spécificités, s'il est un indicateur de tensions pour certaines entreprises, est un mauvais marqueur du risque souverain. Le meilleur instrument de mesure demeure l'évolution des taux auxquels les Etats se financent.

La détention de la dette française est très diversifiée, banques centrales et fonds souverains des pays émergents, compagnies d'assurance, fonds de pension, gestionnaires d'actifs. Cette diversité est d'ailleurs un gage de solidité pour notre dette et nos émissions.

Quant à la stratégie de communication, elle fait partie intégrante de mon métier. Etant l'une des toutes premières agences de dettes publiques du monde, France Trésor organise tous les ans une vingtaine de rencontres itinérantes avec les investisseurs, à quoi s'ajoutent la participation à des panels et séminaires divers ainsi que des rendez-vous dans nos bureaux. Au final, nous rencontrons physiquement environ 300 investisseurs, plus des conférences téléphoniques à l'occasion d'évènements particuliers au niveau français ou européen. Comme tout haut fonctionnaire de la République, j'ai à coeur de vendre les atouts de la France, tout en reconnaissant que, comme tous les pays d'Europe continentale, nous sommes handicapés par le fait que les principaux médias d'informations financières sont anglo-saxons.

Par ailleurs, je n'ai pas d'idée particulière sur la composition du capital d'une éventuelle agence européenne mais il me semble qu'une telle initiative, si elle était prise par de grands acteurs du marché, serait accueillie positivement dans la mesure où elle renforcerait la concurrence. Mais cela prendra du temps.

Enfin, s'il est vrai que la fixation d'un calendrier précis des notations peut être un facteur de volatilité des marchés, l'expérience de la Banque centrale européenne, qui prend ses décisions tous les premiers jeudis du mois, montre que ce risque est de mon point de vue tout à fait gérable. Un tel cadre permettrait en outre de prendre un peu de recul dans les situations tendues.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Hélène Des Esgaulx

Si la réglementation a son importance, reste à savoir comment elle sera appliquée. Aussi, au-delà du contrôle de la méthodologie, ne serait-il pas nécessaire de mettre en place une véritable supervision des agences comme cela existe pour les commissaires aux comptes, cette mission pouvant être confiée à une institution supranationale ? Cela me semble indispensable au vu des conséquences considérables que peuvent avoir les décisions sur une dette souveraine, bien plus encore que sur une entreprise, ainsi que de la plus grande subjectivité dont il est fait montre dans ce cas.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Berson

Les échanges avec les agences pendant les 12 heures précédant la publication du communiqué sont-ils l'occasion d'un débat contradictoire susceptible d'infléchir la décision envisagée ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Caffet

Ces échanges sont-il seulement formels ou bien s'agit-il de discussions approfondies du type « FMI article IV » ?

En outre, tout en comprenant l'émotion suscitée par la dégradation de la note de la France, on peut s'interroger sur son impact réel au vu des conditions toujours favorables dans lesquelles le Trésor français continue de se financer. Le spread de taux avec l'Allemagne existait avant la dégradation ; il ne s'est pas passé grand-chose après. Dans le même ordre d'idées, la crise aurait-elle été évitée si les agences avaient alerté plus tôt sur les subprimes ? Au final, ne surestime-t-on pas l'impact des décisions de notation ?

Debut de section - Permalien
Philippe Mills, directeur général de l'Agence France Trésor

A propos de la supervision, rappelons qu'outre ce qui est prévu en cas d'erreurs graves et manifestes, les agences sont déjà soumises aux jugements des opérateurs du marché ; les décisions de notation sont regardées aujourd'hui avec davantage de prudence.

Quant aux discussions intervenant pendant la période des 12 heures, elles ne portent que sur des éléments factuels, les débats de fond ayant eu lieu auparavant ; la décision est déjà prise.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Berson

Ayant été confronté à ce type de situation en qualité de président d'un conseil général, je me rappelle que les discussions menées pendant les 12 heures avec l'agence avaient permis de modifier le contenu du communiqué...

Debut de section - PermalienPhoto de Aymeri de Montesquiou

A la différence d'un Etat, le conseil général paye l'agence...

Debut de section - Permalien
Philippe Mills, directeur général de l'Agence France Trésor

Ce qui compte, c'est la notation. Après la décision du comité de crédit, elle ne sera pas modifiée ; il faut agir avant.

Quant aux discussions que nous menons, elles s'apparentent effectivement à celles conduites dans le cadre de l'article IV des règles du FMI ; il s'agit de débats très approfondis, réunissant un grand nombre d'experts et couvrant tous les aspects de la question. C'est le choix qu'a fait la France, ce n'est pas celui d'autres Etats comme l'Allemagne.

Enfin, le faible impact des décisions tient au fait que la majorité des investisseurs ne se fondent pas sur la notation d'une seule agence et qu'ils procèdent, pour ceux d'une certaine taille, à leurs propres analyses. La décision de Standard & Poor's du 13 janvier sur la dette française n'est d'ailleurs pas évidente à analyser pour les opérateurs, dans la mesure où elle est essentiellement justifiée par des considérations sur l'impact pour la France de l'efficacité de la gouvernance européenne. Au final, les écarts de taux ne sont pas accrus, l'ensemble des émissions à moyen et long terme de janvier et février ayant été réalisées au taux moyen de 2,4%, soit 80 à 100 points de base de plus que pour la dette allemande. Si ce niveau moyen était conservé tout au long de 2012, l'année serait celle où les taux auront été les plus bas depuis la création de l'euro.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Frécon

La dégradation n'a donc pas eu de conséquence sur le niveau des taux...

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Noëlle Lienemann

C'est dire que les décisions des investisseurs dépendent d'autres facteurs...

Debut de section - Permalien
Philippe Mills, directeur général de l'Agence France Trésor

Oui, ils analysent notamment les raisons de la notation, la situation des autres Etats ou encore le contexte macro-économique général.

Debut de section - PermalienPhoto de Frédérique Espagnac

Je vous remercie. Nous complèterons nos demandes par écrit et attendons encore certains documents demandés.