La réunion est ouverte à 15h05
Notre bilan d'étape a conduit nos rapporteurs à envisager plusieurs auditions complémentaires. Dans ce cadre, nous recevons M. Jean-Luc Barçon-Maurin, chef du service juridique de la fiscalité au sein de la direction générale des finances publiques (DGFiP).
Monsieur Barçon-Maurin, nous souhaiterions mieux cerner l'environnement fiscal qui entoure la pratique du culte musulman en France, qu'il s'agisse de la fiscalité sur les associations cultuelles ou culturelles musulmanes, du régime de déductibilité des dons qu'elles perçoivent, ou d'autres sujets en rapport. On entend souvent parler d'une taxe sur le halal qui viendrait financer le culte musulman : cette idée paraît-elle réaliste et réalisable au technicien de la fiscalité que vous êtes ? Existe-t-il un dispositif fiscal spécifique sur les activités des associations de certification halal, ou bien un droit de timbre sur la délivrance des cartes de sacrificateur musulman ? Enfin, nous aimerions que vous nous éclairiez sur les obligations comptables et de transparence financière qui pèsent sur les instances de gestion du culte musulman, en particulier en ce qui concerne les dons provenant de pays ou de donateurs privés étrangers.
Ces questions très techniques sont essentielles pour nourrir notre réflexion concrète sur l'Islam en France.
Avant toute chose, je voudrais rappeler que les associations confessionnelles sont soumises pour l'essentiel au même régime fiscal que les autres associations. Ce régime, qui sert de cadre général d'analyse, a été défini dans les années 90. Son principe de base consiste à se concentrer sur l'activité d'une association, sans s'arrêter à sa forme juridique. Il s'agit d'abord de définir si l'association a une activité lucrative ou non. On applique pour cela la règle des quatre P (Produit, Public, Prix, Publicité) en étudiant la gestion de l'association. Est-elle intéressée ou désintéressée ? Quel est le niveau de rémunération des dirigeants ? Que prévoient les statuts en cas de dissolution ? On détermine ensuite si l'activité de l'association entre en concurrence avec celle d'autres acteurs et si les modes de son exercice peuvent la différencier de ses concurrents potentiels. À quel public s'adresse l'association ? Quel niveau de prix pratique-t-elle ? Quelle stratégie suit-elle en termes de publicité ? Nous appliquons cette grille d'analyse à toutes les associations.
Dans un environnement budgétaire durci qui a contraint les pouvoirs publics à diminuer leurs subventions, les associations se tournent davantage vers le mécénat. En effet, les articles 200 et 238 bis du code général des impôts (CGI) prévoient un dispositif d'incitation fiscale assez puissant pour favoriser les dons des entreprises et des particuliers aux associations qui se conforment aux conditions prévues par la loi. Les associations bénéficient également d'un dispositif d'accompagnement grâce à la procédure du rescrit fiscal : chaque année, 5 000 associations demandent à l'administration de prendre position sur leur situation fiscale et sécurisent ainsi leur activité. C'est un gros travail pour l'administration fiscale, mais c'est une offre de sécurité juridique particulièrement appréciée par les associations.
La qualification d'association cultuelle relève uniquement du ministère de l'Intérieur et des services préfectoraux. Une fois cette qualification acquise, les articles 200 et 238 bis du CGI sont très clairs : les associations cultuelles peuvent bénéficier du mécénat.
Il existe également un rescrit administratif relevant de la compétence du ministère de l'Intérieur, grâce auquel les services de la préfecture peuvent reconnaître, aux associations qui en font la demande et remplissent les conditions, la qualification de cultuelle.
L'analyse se complique dans le cas d'une association exerçant une activité mixte, à la fois cultuelle et culturelle. Nous étudions alors au cas par cas les activités présentées comme culturelles. La difficulté est ensuite de faire la distinction entre ce qui procède d'une activité culturelle exercée de manière prépondérante et de ce qui relève d'une pratique religieuse. Pour donner un exemple, une association qui enseignerait l'histoire d'une religion en tant qu'objet d'étude pourrait demander à bénéficier du mécénat selon les modalités des articles 200 et 238 bis du CGI. L'examen d'une telle demande viserait à s'assurer qu'elle remplit un objectif culturel voire éducatif. En revanche, une activité présentée comme culturelle mais qui vise à promouvoir la pratique d'une religion n'entre pas dans les prévisions de la loi et ne peut être éligible au mécénat. Tout l'enjeu est de distinguer d'une part l'exercice d'une religion et le discours sur la foi religieuse qui lui est attaché, d'autre part la transmission d'une histoire et d'une religion sur un mode aussi neutre que possible.
Les associations dont l'activité est liée à l'abattage des animaux et aux rites associés sont soumises à la même grille d'analyse que les autres. Dans quelle mesure leur activité est-elle encore liée à une pratique religieuse, alors que le marché halal représente un marché économique important en France ? Conditions d'intervention, type de prestations proposées, différences d'approche, niveaux de prix, comportement commercial, tels sont les critères grâce auxquels nous déterminons si l'association est à caractère lucratif ou non.
C'est au législateur de décider s'il faut recourir à des taxes spécifiques pour financer les activités cultuelles. Sachant que la fiscalité française comporte déjà plus d'une centaine d'impôts et taxes et que les pouvoirs publics s'attachent à en diminuer le nombre, est-il vraiment judicieux d'en lever de nouvelles ? Le droit de timbre est un impôt coûteux à gérer, qui toucherait une partie limitée de la population dans l'exemple cité et dont le produit resterait faible. La DGFiP suit davantage une logique de rationalisation des impôts que de proposition de création de nouvelles taxes.
Lorsqu'une association bénéficie d'un mécénat, l'administration contrôle-t-elle l'utilisation des fonds reçus ? Les dons en espèces à une association cultuelle donnent-ils lieu à un reçu fiscal ? Outre le contrôle de leur utilisation, y a-t-il un suivi ou une traçabilité de ces dons en espèces ?
Notre intention n'est pas de stigmatiser les associations cultuelles. Le sujet est délicat, car on est toujours sur le fil de la suspicion.
En ce qui concerne l'abattage rituel, nous avons auditionné le dirigeant d'une association dont l'activité a été requalifiée en activité de type commercial, de sorte qu'elle a été soumise à l'impôt sur les sociétés. De manière plus générale, que préconiseriez-vous pour favoriser la transparence des financements dont bénéficient les associations, qu'elles soient cultuelles ou non ?
Certains établissements d'éducation fonctionnent sous forme associative tout en bénéficiant du produit des droits d'inscription et de financements étrangers, notamment pour leur construction, ce qui me semble parfaitement légitime dans la mesure où la loi de 1905 interdit à l'État d'intervenir dans ce domaine. Là aussi, comment encourager la transparence, qu'il s'agisse des écoles musulmanes, juives ou catholiques ? Faut-il rétablir une déclaration préalable pour les associations ? Faut-il une procédure spéciale ? Ou bien considérez-vous qu'il n'y a pas à s'inquiéter au sujet des financements étrangers ? Tous les cultes bénéficient d'un montant important de dons en espèces. Pour éviter la suspicion, il faut davantage de transparence. Le système est-il satisfaisant en l'état ? Quelles améliorations lui apporter ?
La France compte des millions d'associations qui ont des objets hétérogènes : associations de quartier, associations confessionnelles, soutien scolaire dans les quartiers difficiles, action sanitaire et sociale. Le cadre associatif est également utilisé par des entreprises pour réaliser leur activité... Dans ce contexte, prendre des dispositions transversales applicables à l'ensemble des associations n'est pas aisé. Encore une fois, sur le plan fiscal, nous ne nous déterminons pas à partir de la forme juridique de l'association, mais par rapport à l'activité qu'elle pratique.
En outre, le directeur des libertés publiques du ministère de l'Intérieur a dû rappeler que les associations sont protégées par le juge, de sorte qu'il est difficile de leur imposer de nouvelles obligations juridiques. Leurs obligations comptables sont légères, voire nulles quand l'association n'a pas d'activité lucrative. Lorsqu'une association reçoit des dons éligibles au mécénat dépassant un certain montant (153 000 €), la loi prévoit une obligation de suivi comptable. Quant à cibler les associations cultuelles, la liberté des cultes et la liberté d'association nous obligent à rester très prudents. La jurisprudence du Conseil constitutionnel sur les associations compte parmi les grandes décisions en matière de libertés publiques.
Dès lors que le ministère de l'Intérieur qualifie une association de cultuelle, les dons qu'elle reçoit sont éligibles au mécénat. L'administration fiscale contrôle chaque année 500 associations, en moyenne. C'est à cette occasion qu'elle s'assure que l'association exerce une activité conforme à celle qui l'a rendue éligible au mécénat. Si ce n'est pas le cas, elle peut lui imposer des pénalités à hauteur de 25 % des récépissés que l'association a émis à tort, conformément à l'article 1740 A du CGI.
Je suis surpris que vous parliez des associations en général alors que cette mission d'information porte sur l'organisation et la place du financement de l'Islam en France. La DGFiP porte-t-elle une attention particulière au financement de l'Islam ? À droite comme à gauche, nous sommes fatigués de ne plus pouvoir dire quoi que ce soit sous prétexte qu'on ne doit stigmatiser personne. Ma question est claire : avez-vous mis en place un accompagnement, un contrôle ou une surveillance particulière pour encadrer le financement de l'Islam ? Quel intérêt y a-t-il à jouer sur l'ambiguïté de la distinction entre cultuel et culturel, alors que les deux sont souvent mêlés ? L'enjeu est-il de dégager des recettes supplémentaires ? À aucun moment, je ne vous ai entendu prononcer le mot « Islam ». Cessons d'être frileux.
L'administration fiscale a pour mission de s'assurer que la loi fiscale est respectée. Pour cela, elle contrôle chaque année 500 associations, y compris celles de type cultuel ou culturel.
Nous ne distinguons pas les confessions, mais les activités. Notre mission est de s'assurer que la législation fiscale est correctement appliquée. C'est un travail qui, s'agissant des associations, a son utilité, car en pratique, les associations qui ne sont pas exclusivement cultuelles ne peuvent pas bénéficier du mécénat si elles n'exercent pas l'une des activités prévues aux articles 200 et 238 bis du CGI. Quant au financement de ces associations et aux subventions qu'elles reçoivent de l'État, c'est un sujet qui dépasse le périmètre de la DGFiP.
Selon vous, la taxe halal serait difficile à gérer et à mettre en place. À supposer qu'on la crée, comment l'affecter et à qui ? Dominique de Villepin avait songé à utiliser le régime des fondations. Peut-on imaginer que la taxe halal soit affectée à la Fondation pour les oeuvres de l'Islam de France pour financer le culte musulman, à travers la construction de bâtiments religieux ou d'écoles et la formation des imams ?
La question nécessite une vraie expertise. Au regard de la Constitution et du principe de laïcité, pouvons-nous créer une taxe dont la connotation religieuse serait aussi forte ?
La taxe sur les produits casher représente plus de 30 % du financement du culte israélite. Ce ne serait pas négligeable pour l'Islam. Cependant, les produits qui dérivent de la cashrout sont particulièrement codifiés, alors qu'on ne dispose d'aucune certification pour le halal. Pourrait-on taxer tous ceux qui produisent du halal et affecter le produit de cette taxe à une fondation dédiée au financement de l'Islam ?
Il faudrait avoir une connaissance très fine de l'organisation institutionnelle de la religion pour déterminer la nature de l'organisme d'intérêt général auquel vous faites référence. À vous écouter, on pense à une sorte d'agence en charge de redistribuer le produit de la taxe. Encore faudrait-il définir sur quoi elle pèserait.
L'administration se chargerait dans ce scénario de la collecte et le produit de la taxe serait attribué à un organisme public. La taxe pourrait éventuellement s'apparenter à une redevance. Je ne peux vous donner qu'une réponse insatisfaisante. Il faudrait une étude.
Ce n'est qu'une hypothèse, avec toutefois la même difficulté : les redevances sont toujours affectées à un organisme investi d'une mission de service public. Le bénéficiaire reçoit le produit issu d'une activité particulière pour le redistribuer à des fins d'intérêt général.
Pourrait-on verser le produit de la taxe à cette fameuse fondation qui a le mérite d'exister, à défaut de fonctionner ?
À mon avis, M. Jean-Luc Barçon-Maurin ne peut pas vous répondre, cette question sort du cadre de la mission de la DGFiP et du contrôle sur les associations.
Notre mission est aussi de conseiller le ministre sur la création de nouvelles taxes ! Mais pour apporter une réponse précise, il faudrait étudier le statut de cette fondation et examiner son mode de fonctionnement.
Dans les municipalités, un projet de construction de mosquée va en général de pair avec le développement d'un projet culturel. Les collectivités territoriales n'accordent aucune aide pour construire la mosquée proprement dite et les salles de prières, mais elles peuvent allouer des aides pour monter des projets culturels. Votre rôle est surtout de contrôler les associations cultuelles et culturelles. Si la Fondation pour les oeuvres de l'Islam était publique, pourrait-elle bénéficier de subventions des collectivités territoriales pour soutenir la construction de lieux de culte, ou bien ce montage se heurterait-il à une impossibilité juridique ? Par ailleurs, quand vous contrôlez les associations, comment jugez-vous de leur capacité à recevoir du mécénat compte tenu des liens étroits entre le cultuel et le culturel ? Enfin, pourquoi n'en contrôlez-vous que 500 ?
L'administration fiscale réalise 50 000 contrôles externes, chaque année, qu'il s'agisse d'entreprises, de particuliers ou d'associations. Elle se concentre sur des enjeux budgétaires, donc sur des grandes entreprises dont les contrôles peuvent donner matière à des rappels fiscaux significatifs. Si elle ne consacre pas l'essentiel de ses moyens aux associations, c'est qu'il s'agit pour la plupart d'associations à but non lucratif, avec des enjeux budgétaires très réduits.
La loi prévoit qu'une association reçoit la qualification de cultuelle lorsqu'elle a pour objet exclusif l'exercice d'un culte. Or, en pratique, les associations ont souvent un double objet, à la fois cultuel et culturel. Pour ce deuxième volet de leur activité, elles ne répondent pas nécessairement aux critères posés par les articles 200 et 238 bis du CGI.
À côté du contrôle d'environ 500 associations, l'administration délivre environ 5 000 rescrits chaque année et à cette occasion se livre à l'analyse des activités des associations pour déterminer si elles peuvent bénéficier ou non du mécénat. La relation entre les associations et l'administration fiscale est plus simple dans le cadre de l'examen d'une demande de rescrit que dans celui d'un contrôle fiscal qui présente des règles procédurales plus strictes.
Enfin, l'octroi de subventions à une fondation qui aurait un objet dédié au financement d'actions culturelles doit faire l'objet d'une étude sous l'angle de sa faisabilité juridique mais l'idée ne me semble pas choquante.
Votre administration traite de la même manière l'aide à domicile en milieu rural (ADMR), l'association des joueurs de boules ou les associations musulmanes. Vous avez l'air de considérer que le système est satisfaisant. Cependant, disposez-vous d'un clignotant ou d'une mesure un peu plus comminatoire pour contrôler les associations, plutôt que d'attendre qu'elles vous demandent un rescrit ? Certaines bénéficient de fonds très importants qui leur sont versés de l'étranger. Travaillez-vous en coopération avec le traitement du renseignement et l'action contre les circuits financiers clandestins - Tracfin, notamment - pour établir la traçabilité de ces fonds ? On ne peut pas traiter de la même manière l'école islamique qui se trouve derrière l'OCDE et qui fait l'objet de toutes les attentions de Tracfin et l'ADMR de nos départements ruraux. Encore une fois, avez-vous des propositions à nous faire pour améliorer la transparence de ces transferts de fonds ? La laïcité est une règle immuable et intangible ; elle n'interdit pas la transparence.
On compte au moins trois mosquées en France qui font commerce de cartes de certification. Aucun responsable n'a pu nous dire combien elles les négocient. L'administration fiscale a-t-elle des informations sur ce sujet ?
Soyons clairs : le droit des associations dépend du ministère de l'Intérieur. C'est donc à lui qu'il reviendrait d'instaurer de nouvelles obligations déclaratives pour les associations qui reçoivent des financements étrangers.
S'agissant de l'appréciation du cadre et du contrôle des associations cultuelles, nous essayons d'exploiter au mieux les outils dont nous disposons et les échanges d'informations entre les services de l'Etat compétents pour l'exercice des missions qui sont les nôtres.
En ce qui concerne les obligations déclaratives, lorsque les dons éligibles au mécénat dépassent un certain montant, soit actuellement 153 000 euros, les associations sont déjà soumises à des obligations déclaratives : aller plus loin relève de la compétence du ministère de l'Intérieur s'il le juge opportun.
En ce qui concerne les écoles, je vais devoir vous faire la même réponse : cela relève du ministère de l'Éducation nationale... La question qui intéresse la DGFIP, c'est de savoir si telle ou telle école est éligible au mécénat si elle en demande ou revendique le bénéfice. Pour le reste, la DGFiP n'est pas en charge du contrôle de l'activité de ces associations au regard du code de l'éducation.
Par ailleurs, Je n'ai pas d'informations particulières sur les cartes de certification commercialisées par les mosquées. Ces cartes sont un bon indice pour déterminer la nature lucrative ou non lucrative de l'activité d'une association. Cela étant, s'il s'agit d'une activité marginale, l'association pourra la sectoriser pour en limiter l'incidence fiscale.
Enfin, je vous confirme que nos collègues du contrôle fiscal sont en contact avec Tracfin et, si nécessaire, avec les parquets pour la transmission des informations qui les concernent.