Je vous prie d'excuser notre présidente Sabine Van Heghe, qui devrait nous rejoindre au cours de cette audition mais est retenue par la séance publique. Je salue nos collègues qui nous suivent par visioconférence.
Nous entendons ce matin des représentants des associations de parents d'élèves : Mme Zihar Zayet, secrétaire générale de la Fédération des parents d'élèves de l'enseignement public (PEEP), ainsi que Mme Carla Dugault, présidente de la Fédération des conseils de parents d'élèves (FCPE) et M. Paul Vitart, membre du bureau national de l'Association des parents d'élèves de l'enseignement libre (APEL), qui sont en visioconférence.
Notre mission d'information souhaite placer les victimes et leurs proches au centre de notre attention. En effet, nos premières auditions ont souligné la cruauté d'un phénomène qui touche toutes les catégories, tous les âges sans distinction et laisse les parents démunis. D'autant plus que le développement du cyberharcèlement crée désormais un continuum de violence qui ne s'arrête plus à la porte de l'établissement, mais poursuit la victime jusqu'à son domicile. Il se double aussi, de plus en plus fréquemment, de la diffusion de propos ou d'images à contenu sexiste ou sexuel qui peuvent détruire, et à tout le moins blesser profondément et durablement. Face à ce fléau, notre objectif est d'aboutir, à l'issue de nos travaux en septembre, à des conclusions opérationnelles en s'appuyant sur l'ensemble des parties concernées.
Quel regard portez-vous sur les actions mises en place par le ministère de l'Éducation nationale pour lutter contre ce phénomène ? En tant que représentants des parents, vous estimez-vous suffisamment informés de la réalité du harcèlement scolaire et du cyberharcèlement ? Estimez-vous es qualité être suffisamment impliqués dans leur prévention ? Avez-vous des pistes d'amélioration à nous suggérer ?
Je suis parent élue dans un établissement situé à Saint-Étienne dans la Loire et référente sur le harcèlement au niveau national. Lorsque les cas nous remontent, c'est que le dialogue a été rompu entre l'Éducation nationale et les parents de l'élève harcelé : nous sommes alors là pour recréer du lien. Souvent, dans un premier temps, les parents ne détectent pas le harcèlement ou le minimisent, considérant que cela va passer. Mais lorsque cela ne passe pas, ils se sentent alors coupables et sont très en colère. D'autant plus lorsque la sanction se résume à un simple rappel à la loi.
Depuis 2015, le sujet du harcèlement est ouvertement abordé, notamment dans les médias à l'occasion de faits divers particulièrement graves. Le ministère de l'Éducation nationale a commencé à mettre en place des actions à partir de 2015, que le nouveau ministre a poursuivies à son arrivée en 2017. Ces actions sont visibles, avec de très bons outils : je pense notamment au numéro d'appel - qui fonctionne, je l'ai moi-même testé - et au concours « Non au harcèlement » destiné à faire de la prévention auprès des plus jeunes et à les sensibiliser.
La grande majorité des parents, peu familiers des nouveaux réseaux sociaux, ont du mal à détecter les cas de cyberharcèlement. D'une manière générale, les parents sont insuffisamment formés car de nouveaux réseaux sociaux apparaissent tous les 2-3 ans. Nous souhaitons que les parents soient beaucoup plus impliqués dans cette politique.
Je suis responsable des questions de harcèlement au sein de l'APEL. J'ai un enfant scolarisé en collège à Caen, en Normandie. Cette problématique est un sujet majeur de préoccupation pour nous.
Nous essayons d'informer les parents au maximum, mais cela n'est pas toujours facile. C'est surtout en direction des parents que l'on voit moins que nous essayons de mener notre action. Nous avons publié, en 2019, un guide intitulé « Agir contre le harcèlement à l'école ». Nous l'avons mis à jour récemment avec un numéro de téléphone, des conseils. La thématique du harcèlement est très régulièrement abordée dans notre magazine bimestriel « Famille & éducation » - qui est diffusé à un million d'adhérents, pour 2,1 millions d'enfants scolarisés. Celui de mai-juin 2019 traitait des écrans-rois, et contenait notamment une interview du psychiatre Serge Tisseron, qui expliquait qu'il fallait un lien de confiance entre parents et jeunes - mais qui dépasse la problématique de l'éducation nationale. Celui de novembre-décembre 2019 se titrait « En finir avec le harcèlement. Le rôle des adultes ? Écoute et responsabilité ».
Nous soutenons les actions entreprises par le ministère depuis 2015. Je pense notamment aux ambassadeurs dans les lycées, qui se développent aussi au collège ; c'est une bonne chose, car les faits de harcèlement concernent majoritairement des collégiens - je crois que seuls 14 % des faits de harcèlement se passent au lycée. Le numéro d'appel fonctionne bien et l'APEL dispose aussi de son propre numéro d'appel, « Information et conseil aux familles », qui permet aussi de traiter des cas de harcèlement. La formation « passeport numérique » proposée en CM1-CM2 par le ministère explique particulièrement bien aux futurs collégiens les dangers du cyberharcèlement et des plateformes. Nous sommes assez sensibles aux réseaux sociaux, notamment de TikTok qui peut abriter des prédateurs sexuels.
Nous avons développé, auprès des chefs d'établissement, des enseignants et des cadres éducatifs, une formation à la méthode de préoccupation partagée du finlandais Anatole Pikas - et que Jean-Pierre Bellon a essayé de reproduire en France - en lien avec l'Association nationale des psychologues de l'enseignement catholique (ANPEC), en évitant tout angélisme. Nous avons également monté, avec l'Union générale sportive de l'enseignement libre (UGSEL), une formation sur la prévention des violences et du harcèlement, afin de donner aux enseignants et aux cadres éducatifs des clés pour désamorcer les conflits et sortir du triangle victime/bourreau/sauveur. Cette année, quatre formations ont été organisées et notre objectif est de dix formations l'an prochain.
L'usage détourné de photos dénudées pose une question plus générale d'éducation. L'Éducation nationale a donc bien évidemment un rôle à jouer pour apprendre aux jeunes à être prudents : l'ami d'un jour peut être l'ennemi de demain.
La FCPE est très investie sur le sujet du harcèlement. Le ministère a certes fait avancer les choses, mais c'est encore insuffisant, notamment au regard de la place des parents et de la co-éducation. Un seul exemple : la ministre Marlène Schiappa vient d'annoncer la mise en place d'un comité pour lutter contre le harcèlement à l'école, sans y associer aucune fédération de parents d'élèves !
Il faut des campagnes de terrain, qui associent les parents, afin de sensibiliser les acteurs de la communauté éducative, et au premier chef les élèves. Il faut davantage aborder la problématique du cyberharcèlement et leur expliquer leurs droits et leurs devoirs. Par exemple, la diffusion d'une photographie sur les réseaux, même fermés, peut être punie par la loi, mais ils n'en ont pas conscience. Dès treize ans, les enfants sont responsables de leurs actes. Ces sujets-là doivent être abordés en classe ; or les enseignants ne sont formés que sur la base du volontariat.
Je salue toutefois l'initiative des élèves-pairs, qui sont formés sur ces questions et qui essayent, avec le personnel de l'Éducation nationale de leur établissement, de repérer si leurs camarades sont embêtés.
On parle beaucoup de cyberharcèlement, mais on peut aussi parler de cybersexisme, car ce sont les jeunes filles qui sont particulièrement affectées sur les réseaux sociaux.
En revanche, les parents ne sont pas suffisamment sensibilisés. Ils ne sont pas informés, et ne connaissent pas du tout la loi. En lien avec notre fédération, la gendarmerie anime des réunions de sensibilisation des parents et des élèves. Nous avons également lancé en 2018, avec la MAE (mutuelle assurance éducation), un film de sensibilisation dispensant des conseils pratiques aux parents pour protéger leurs enfants, comme fermer l'ordinateur lorsqu'on va se coucher, ou cacher la caméra, car c'est souvent ainsi que des personnes malveillantes entrent en contact avec les jeunes filles, qui sont marquées à vie ensuite.
En complément de ce propos liminaire, nous vous adresserons une contribution écrite.
Je vous remercie pour vos contributions.
En cas de détection d'un cas de harcèlement, les parents du harceleur et du harcelé sont-ils bien informés, voire impliqués dans sa résolution ? Les personnels de direction et les enseignants sont-ils suffisamment formés et outillés pour faire face au harcèlement et au cyberharcèlement ? Avez-vous été associés à la conception de la mallette des parents dans le cadre du programme pHARe (prévenir le harcèlement et agir avec respect) ? Les deux numéros consacrés au harcèlement scolaire - le 30 18 et le 30 20 - sont-ils suffisamment connus des élèves, des parents, des enseignants ? Lors de nos auditions, il est apparu que le 30 20 était plus un numéro de signalement que d'accompagnement des familles. Estimez-vous que ces deux numéros répondent aux attentes des familles d'enfants harcelés (aide, accompagnement, orientation, etc.) ? Ne faudrait-il pas un numéro unique et organiser une campagne d'information sur ces numéros ? Que pensez-vous du comité des parents annoncé par la ministre Marlène Schiappa, même s'il n'a pas encore été mis en place ? Que pensez-vous du passeport numérique ? Ne faudrait-il pas prévoir un temps dédié à la prévention du harcèlement dans l'emploi du temps des élèves ?
J'entends dans l'intervention de Mme Mélot le mot « empathie », même s'il n'a pas été prononcé. Dans les pays scandinaves, et au Danemark tout particulièrement, les enfants de six à seize ans ont des cours sur l'empathie. Qu'en pensez-vous ?
Les outils existent : ils sont sur le site du ministère. Il faudrait généraliser les actions comme le concours, qui permet une action de prévention qui s'étale au moins sur plusieurs semaines. Mais tout dépend de l'équipe de direction, et de ce qu'elle souhaite mettre en oeuvre. La PEEP a publié un vade mecum qui recense tous les outils de l'Éducation nationale en matière de lutte contre le harcèlement. Je déplore toutefois le manque d'actions en matière de prévention. Dans notre vade mecum, nous essayons d'impliquer les parents. Lors du conseil d'administration, les parents peuvent insister sur le harcèlement.
Le 30 20 est un numéro d'écoute, qui permet de répertorier les situations de harcèlement, mais sans proposer d'accompagnement. Nous souhaitons que cela reste ainsi, car dès le lendemain, le rectorat et l'académie sont informés et, depuis 2015, une cellule harcèlement accompagne les parents au niveau local pour essayer de trouver une solution. C'est le plus important pour nous.
Nous n'avons pas été consultés sur le programme pHARe, mais il nous a été présenté. Il vient à peine d'être mis en place, il est donc difficile de l'évaluer à ce stade, mais il présente plus d'actions de prévention.
Nous souhaitons être mieux impliqués, et notamment qu'un parent élu soit présent au sein de la cellule du rectorat. Cela permettrait aux parents de l'élève harcelé, souvent très en colère, de se sentir compris et de faire confiance à cette équipe.
Les enseignants doivent probablement être formés - je ne pourrai pas vous dire s'ils sont bien formés - mais en ont-ils le temps ? On en revient à la question de savoir si le chef d'établissement est impliqué sur le sujet ou pas.
Le comité des parents a été proposé en mars. Malheureusement, ce genre de mesure constitue souvent un effet d'annonce à la suite d'un drame. Nous n'avons pas été impliqués, c'est dommage.
L'APEL n'a pas non plus été consultée sur la mallette des parents ni sur le comité des parents.
Un numéro unique serait intéressant ; mais il mériterait une meilleure publicité que les numéros existants qui sont insuffisamment connus. Ce numéro doit permettre de collationner les cas, mais le traitement doit continuer à être réalisé au niveau local, par les acteurs de terrain. Je suis d'accord avec Mme Zayet sur ce point.
Les parents sont insuffisamment formés. Cela concerne tous les milieux sociaux, mais d'expérience je dirais que cela touche plus particulièrement des parents aisés - qui sont débordés, ne s'occupent pas trop de leurs collégiens et compensent financièrement par l'achat de tablettes - et des parents qui ont eu un vécu scolaire personnel difficile et qui se tiennent en retrait de l'institution scolaire : nous devons aller vers eux.
De par son statut dans l'enseignement catholique, le chef d'établissement a un pouvoir très fort : il faut les choisir avec discernement. En règle générale, et tout particulièrement dans les écoles et établissements de petite taille, en cas de harcèlement, les parents sont reçus par le chef d'établissement qui en parle avec le président de l'APEL locale. Le premier message que nous délivrons aux parents est de ne pas intervenir eux-mêmes et de faire confiance aux équipes.
Nous avons également monté une formation sur la violence éducative à l'attention des chefs d'établissements et des enseignants, car eux aussi peuvent - le plus souvent par maladresse dans leur expression - faire violence aux élèves. Ainsi, une des formations que va mettre en oeuvre l'UGSEL pour les enseignants et les chefs d'établissement de nos structures est consacrée spécifiquement à la bien-traitance éducative.
Nous sommes d'accord sur l'empathie et développer cette conception scandinave. Mais nous sommes en France, et pas un pays de culture protestante comme au Danemark. Nous devons agir sans angélisme excessif : je pense qu'il faut des sanctions.
La formation des élèves peut avoir lieu sur le temps de classe prévu au collège, mais de préférence par petits groupes de cinq à dix élèves plus qu'avec tout le groupe classe.
Le passeport numérique est un très bon outil.
Le contrôle parental ne suffit pas. Il faut légiférer sur les Gafam qui ont aussi un rôle à jouer dans la prévention ; il faut éduquer les élèves aux droits et aux devoirs, aux lois sur le numérique (dont fait partie le passeport numérique), aux données personnelles, aux médias et au débat contradictoire ; il faut développer leurs compétences psychosociales, ce qui n'est jamais abordé à l'école ; il faut débloquer des moyens ; il faut lutter contre les stéréotypes et les préjugés, dès la maternelle ; il faut développer les pratiques coopératives et transversales ; il faut enfin faire davantage confiance aux élèves dans la résolution et la médiation de ces problématiques, afin qu'ils en deviennent acteurs. Un des leviers possible et à encourager est leur participation à la rédaction du règlement intérieur.
Les sanctions doivent être éducatives et pédagogiques. Cela n'est malheureusement pas toujours le cas, faute de temps disponible de l'enseignant. La question de la réparation est également importante.
Oui, mieux vaut un numéro unique que deux numéros. Des campagnes sont faites pour promouvoir ces numéros, mais, en dehors de la journée nationale de lutte contre le harcèlement scolaire, elles ne sont pas suffisamment relayées.
Nous avons été associés à la Mallette des parents, qui ne date pas d'hier puisque j'en avais parlé avec M. Jean-Marc Huart lorsque celui-ci était directeur général de l'enseignement scolaire ! Nous avions fait, alors, des propositions d'amélioration, pour l'adapter aux attentes des parents. Depuis, je n'en ai pas entendu parler. La FCPE, notamment, n'avait pas été conviée au jury national sur le thème du harcèlement scolaire. Il faut davantage nous associer en amont.
Le passeport numérique est une bonne chose : il faut continuer, et intégrer plus encore le numérique dans les apprentissages.
Que pensez-vous de la journée nationale de lutte contre le harcèlement scolaire ? Est-elle suivie d'effet ? Les enfants en parlent-ils ? Les parents ? Bien sûr, une journée, c'est peu, mais elle a le mérite d'exister : c'est un jour où on en parle à la télévision et à la radio.
Cette journée dépend du chef d'établissement, qui décide de sa mise en place. Dans le lycée de ma fille, elle existe. Mais une journée pendant toute une année, ce n'est pas assez, pour un thème aussi grave. Nous devrions mobiliser davantage les conseils de la vie collégienne et lycéenne, qui décident du programme de cette journée. En général, en tant que parents, nous invitons les référents harcèlement de la police nationale ou de la gendarmerie, et quelques membres de la cellule. Mais nous aimerions pouvoir profiter de cette journée pour organiser sur cette base une conférence sur les réseaux sociaux et le cyberharcèlement. Il est vrai que l'édifice national ne peut pas non plus former tout le monde, mais ce sujet est suffisamment important pour proposer aux parents d'être formés. Venant de l'établissement, ce serait plus suivi et il y aurait beaucoup plus de monde.
L'immense mérite de cette journée est que tout le monde en parle, à la télévision, dans les journaux, notamment régionaux - qui sont lus par les grands-parents... Ce jour-là, toute la société prend conscience du problème. Pour valoriser davantage encore cette journée, on pourrait aussi imaginer une conférence le soir, pourquoi pas dans une grande ville - avec le concours de la mairie pour disposer de salles assez grandes - pour réunir plusieurs établissements, publics comme privés, de façon à ce que les forces de police et de gendarmerie ne soient pas excessivement mobilisées. Cela permettrait aux chefs d'établissement de présenter rapidement ce qu'ils ont fait dans la journée, avant une formation utile par des professionnels à destination de tous les parents.
Cette journée est un bon début, qui donne l'occasion de parler du sujet et de sensibiliser, mais ce n'est pas suffisant. L'idée de faire une conférence de presse avec l'ensemble des acteurs de la communauté éducative, dont les parents, est bonne. Ainsi, on embarquerait plus d'acteurs. En général, nous faisons un communiqué, mais ce n'est pas suffisant. La presse saurait relayer autrement cette journée nationale. Dans les établissements, les chefs d'établissement, les enseignants, les équipes pédagogiques ont beaucoup d'autres choses à faire... Pourtant, il serait bon d'embarquer davantage l'ensemble des acteurs de la communauté éducative.
Il faut repenser l'école : les enseignants ne doivent pas être simplement axés sur leur discipline. Les professeurs d'EPS (éducation physique et sportive), notamment, connaissent bien chaque enfant, son comportement et peuvent constater la traduction immédiate d'un malaise à travers le corps et la manière d'être dans la vie scolaire.
Vous dites que les outils sont là. Mais comment les parents sont-ils mis au courant de ces affaires ? Le lien de confiance avec les enfants est-il assez fort pour que ceux-ci en parlent ? Je sais que des élèves peuvent être des référents... Pendant la pandémie, le lien avec l'école a été moins fort et moins clair, les enseignants n'étant pas là. Comment les choses se sont-elles passées ? Comment les parents sont-ils avertis sur ce qui se passe si l'enfant ne le leur dit pas ?
Un syndicat d'enseignants me disait hier qu'un enfant ne peut être considéré comme harceleur lorsqu'il est trop petit, mais qu'il aurait des « comportements d'harceleur ». Pour autant, le rappel à la loi est primordial. Il semble qu'on agisse plutôt du côté du harcelé que du harceleur. Mais il ne faut pas être dans le déni non plus. L'âge de 13 ans me paraît bien tardif : l'éducation aux bons comportements doit se faire beaucoup plus tôt.
Je me rappelle la polémique sur l'interdiction du téléphone en milieu scolaire. Or, tout arrive par les réseaux sociaux, qui entrent à l'école. Dès lors, s'impose une vraie réflexion sur la responsabilisation de ceux qui mettent en place ces réseaux sociaux.
La Mallette des parents fournit des outils pour identifier les enfants victimes de harcèlement. Souvent, les parents d'enfants harceleurs tombent des nues. Existe-t-il des formations pour ces parents ? Comment anticiper ces comportements, qui sont parfois simplement grégaires ?
Le directeur général de l'enseignement scolaire qui a mis en place la Mallette des parents s'appelait Jean-Michel Blanquer... Cela date donc de 2008, je pense. Je pense que les choses ont évolué depuis.
On entend souvent dire que les signaux sont que l'enfant a de plus mauvaises notes, que le travail scolaire est en chute... Ce n'est pas forcément vrai. J'ai vécu les deux situations, puisque ma fille aînée s'est fait harceler en quatrième, et ma plus jeune fille a fait partie d'un groupe d'enfants qui harcelaient. Un enfant ne dit pas qu'il est harcelé, on ne le sait pas ! Je l'ai su au conseil de classe, puisque certains enseignants s'en étaient rendu compte - mais ne m'avaient pas alertée, alors que je fais partie du conseil d'administration ! Les enseignants sont un levier important d'information. Ma fille aînée avait essayé de m'en parler, et je lui avais dit que ce n'était rien et que cela allait passer. Du coup, elle a arrêté totalement de m'en parler. Ses notes sont restées les mêmes, et je ne me suis rendu compte de rien. C'est l'enseignante qui a vu le changement en classe : lorsqu'elle interrogeait ma fille, toute la classe se mettait à rire... On ne saurait dire assez l'importance de l'implication du chef d'établissement, puisque les outils de prévention sont là.
Ma dernière fille, elle, a fait partie d'un groupe de harceleurs. Je ne m'en suis pas rendu compte, jusqu'à ce que le CPE m'appelle. Notre fédération parle moins de co-éducation que d'accompagnement à l'éducation : les parents restent les premiers éducateurs. Je suis donc intervenue. Il n'est pas normal qu'un enfant puisse arriver à l'école, en 2021, en ayant mal au ventre. Mais c'est dur d'expliquer à un parent que son enfant harcèle. Bien souvent, la réponse est le déni. C'est tout le drame du harcèlement : s'il n'y a pas une personne pour le dire, nul ne le reconnaît. Comme c'était un groupe d'élèves, j'ai appelé les autres parents. Ma démarche était mieux perçue lorsque j'expliquais que ma fille était dans le groupe... Il y avait des signes que je n'ai pas su percevoir. Mais il n'est pas évident de surveiller sans être intrusif !
Vous évoquez le rappel à la loi. Cela reste des enfants, qui ne comprennent pas forcément la portée de cet acte. Sur le cyberharcèlement, c'est la police nationale ou la gendarme qui doivent intervenir, car ils peuvent enlever les photos. Nous ne sommes pas assez formés, et ce n'est pas notre rôle. Bien sûr, il faut expliquer aux parents qu'il faut être vigilant. Le rappel à la loi fonctionne peut-être pour certains parents. Mais beaucoup sont dans le déni.
Vous évoquez enfin la responsabilité des réseaux sociaux. Interdire le téléphone, par exemple avant 13 ans, est une utopie. En tant que parent, je préfère que ma fille ait son téléphone, au collège ou bien au lycée, et que je puisse la joindre. Mais je suis d'accord : les responsables des réseaux sociaux doivent être beaucoup plus fortement sanctionnés, pour les responsabiliser davantage. Certes, les assurances scolaires proposent de plus en plus d'aider à supprimer les images - moyennant un forfait supplémentaire, toutefois, qui n'est pas à la portée de tous les parents.
Il est extrêmement difficile pour des parents de voir que leur enfant est victime de harcèlement. On a tendance à minimiser. Il est donc essentiel que les enseignants soient sensibles aux moqueries, ou au changement d'un comportement de classe vis-à-vis d'un élève qui est mal à l'aise. Oui, les enseignants d'EPS sont bien placés pour cela. Quand vous accompagnez une classe à la piscine, dans le bus, vous entendez beaucoup de choses. De même, si vous accompagnez une classe à Barcelone ou à Portsmouth. Dans ce genre de contexte, on peut comprendre des choses que le professeur de mathématiques, qui fait cours ex cathedra dans sa classe pendant 50 minutes, ne voit pas.
Le rappel à la loi doit être fait devant les parents. Les jeunes doivent aussi comprendre qu'une bêtise doit être sanctionnée. Le comprennent-ils vraiment ? Je n'en suis pas sûr. Quant aux interdictions du téléphone, elles soulèvent des questions compliquées. Nous devons aussi laisser nos jeunes aller sur les réseaux sociaux, être à l'aise avec l'outil numérique pour s'autonomiser. Mais un portable est-il utile dès la sixième ? Dans le train, j'entends des gens qui appellent pour dire qu'ils sont bien dans le train : à mon avis, le portable devrait être utilisé plutôt si l'on a raté le train ! Comment faisions-nous il y a dix ans ? Puis, il y a des téléphones portables sans accès aux réseaux sociaux. Des sanctions plus fortes des Gafam seraient sans doute bienvenues, aussi. Et il serait bon de faire des cours pour apprendre aux jeunes les bons comportements sur ces réseaux, pour éviter les accidents. Le but est de développer un réseau d'amitié, pas de pousser sans fin la concurrence des « Like » ! On peut être un bon citoyen sans constamment guetter la reconnaissance des autres. Cela commence par nous autres parents : avons-nous besoin, à tout moment, de répondre à des e-mails ? Expliquons à nos enfants ce qu'est une vraie urgence.
C'est un travail de longue haleine. Les parents, comme les enseignants, doivent être formés au cyberharcèlement. Ils doivent surveiller comment leurs enfants évoluent dans une journée : si un enfant s'enferme davantage, par exemple, c'est un signe que quelque chose ne va pas, et qu'il faut engager une discussion. Ils doivent aussi savoir quels réseaux sociaux leurs enfants fréquentent : Instagram, Facebook, TikTok, Snapchat ? Pour cela, il faut échanger régulièrement avec ses enfants. Le dispositif des élèves-pairs, formés et présents dans les établissements, est bienvenu. Un jeune ira plus facilement vers un copain ou une copine référent harcèlement dans son établissement pour discuter que vers un adulte, une infirmière ou un autre personnel de l'Éducation nationale.
La sanction doit surtout être éducative. Sanctionner pour sanctionner ne sert à rien. La sanction éducative prend plus de temps, plus d'énergie à tout le monde, mais elle produit un résultat durable, pour une société qui fonctionnera beaucoup mieux et qui sera plus apaisée. Nous devons apprendre à nos enfants à se faire par eux-mêmes leur propre avis, à prendre de la hauteur quand il le faut.
Quelles sont vos connaissances sur les réseaux sociaux ? Selon vous, les parents d'élèves connaissent-ils l'âge minimum d'utilisation des réseaux sociaux ? Pour TikTok, Instagram, Snapchat, c'est 13 ans. Pour WhatsApp, c'est 16 ans. Et pour Facebook, 13 ans, également, je crois. Les parents le savent-ils ? Il n'y a pas vraiment d'interdiction, sinon : il suffit de mettre une fausse date de naissance, que personne ne vérifie...
Nous le savons, mais nous savons pertinemment aussi que, dès la fin du primaire, ils ont leur compte ! Il existe d'ailleurs des applications qui cachent les comptes... En réalité, les parents sont dépassés, tant l'évolution est rapide. D'où l'importance d'une formation régulière.
Non, les parents ne sont pas assez informés sur le cadre légal - sauf ceux qui sont très impliqués dans nos fédérations. Il faut les former, tout comme les enseignants.
Il serait opportun de faire une campagne d'affichage sur la question dans tout ce qu'on appelle le tiers-temps, c'est-à-dire les centres aérés, qui abritent les activités du mercredi après-midi. Dans tous ces centres où les jeunes se croisent, il faudrait rappeler qu'avant 13 ans, ils ne sont pas censés aller sur les réseaux sociaux.
Je vous prie de bien vouloir excuser la présidente Sabine Van Heghe, retenue en séance publique.
Nos auditions d'associations de victimes ont été un moment fort, par la profondeur humaine des témoignages qu'elles contenaient. Aujourd'hui, nous poursuivons l'écoute de ces témoignages en accueillant des représentants de l'association e-Enfance, qui est pionnière sur la protection de l'enfance sur internet, avec, en particulier, la plateforme 30 18.
Votre audition traduit la volonté de notre mission d'information, volonté partagée par l'ensemble des groupes politiques du Sénat, de placer les victimes et leurs proches au centre de notre attention.
C'est aussi le signe de notre volonté d'aboutir, à l'issue de nos travaux en septembre, à des conclusions opérationnelles en s'appuyant sur l'ensemble des parties concernées.
Votre regard nous est, en effet, essentiel pour bien cerner et définir la notion et pour saisir les particularités du cyberharcèlement : quels sont ses contours ? Comment évolue-t-il ces dernières années et quel bilan faites-vous des outils que vous avez mis en place ?
L'association e-Enfance, créée en 2005 et reconnue d'utilité publique, a pour objet unique la protection des mineurs dans l'environnement numérique, dans tous les usages numériques. J'en suis la directrice depuis dix ans. En 2005, nous étions précurseurs, on parlait alors de pornographie, de prédateurs sexuels sur MSN et autres blogs, et aussi de surexposition aux jeux vidéo. Le contexte a changé en profondeur, autour de 2008, avec l'apparition simultanée de Facebook et de l'iPhone, c'est-à-dire des réseaux sociaux et des smartphones : nous avons eu entre les mains un outil nomade et personnel, voire « privé », et des réseaux avec qui communiquer en permanence ; les usages ont littéralement flambé chez les jeunes, particulièrement sensibles à cette communication entre pairs.
Notre association avait déjà deux missions : la prévention des usages numériques, pour laquelle nous avions reçu un agrément du ministère de l'éducation nationale, et une plateforme d'écoute, missionnée par la Commission européenne dans le cadre de son programme Safe internet - nous avions mis en place un numéro d'appel que nous avions inauguré alors en présence du ministre de l'intérieur et du ministre de l'économie numérique ; nous avons conventionné avec Plateforme d'harmonisation, d'analyse, de recoupement et d'orientation des signalements (Pharos) et avec le 119 « Enfance en danger », pour traiter au maximum la situation des personnes qui nous contactaient, en leur évitant de devoir rappeler ou de s'adresser à un autre service.
En 2011, le ministère de l'éducation nationale s'est intéressé à ce qu'on a commencé à désigner comme « cyberharcèlement ». Nous suivions déjà ce qui se faisait dans les pays d'Europe du Nord, où le cyberharcèlement était un sujet et nous avons fait valoir nos capacités acquises ; nous avions déjà un accord avec Facebook et Youtube pour signaler les cas de mineurs victimes, nous avons proposé au ministère de mettre à disposition nos outils pour évaluer les contenus et les signaler éventuellement, mais aussi pour prendre en charge les élèves - et nous avons signé une convention avec le ministère en juin 2011. Notre association a été reconnue d'utilité publique, contrôlée par le Conseil d'État concernant le statut, et contrainte à la publication annuelle de nos comptes au Journal Officiel. Notre plateforme a pris de l'importance, jusqu'à ce que le 30 18 devienne un numéro national ; nous y assurons une écoute des enfants et des familles six jours sur sept, de 9 heures à 20 heures, par téléphone bien sûr mais aussi par chat, par Messenger, sur WhatsApp et aussi par un chatbot en cours de développement. Nous travaillons de longue date en partenariat avec les réseaux sociaux, au point qu'aujourd'hui tous les réseaux qui sont utilisés par les jeunes - de TikTok à Discord, en passant par Instagram, Ask et Yubo, mais aussi ceux que j'ai mentionnés précédemment... - entrent naturellement en contact avec nous sur les questions de cyberharcèlement des mineurs.
Quand un jeune ou sa famille nous appellent, nous recueillons la parole et nous enregistrons les éléments de preuve qui nous sont présentés, nous évaluons les contenus et, dès qu'il y a lieu, nous les transmettons au service de modération du réseau social, avec un signalement de la victime et de l'auteur, ainsi qu'une demande de suppression du compte d'où vient le harcèlement. Les liens de confiance que nous avons développés se traduisent par une capacité de réaction très rapide, en général dans l'heure qui suit la demande ; dans les faits, toutes les plateformes sont réactives, y compris celles qui n'ont pas la réputation de l'être, je pense à TikTok en particulier. Twitter reste le réseau social avec lequel nous avons le plus de difficulté, mais cela s'améliore. La marge d'erreur est de 10 à 20 % (contre 5 %) pour les autres plateformes : ces chiffres sont positifs.
Même s'il ne s'agit pas d'un cas de harcèlement scolaire, nous avons par exemple pris en charge Mila dans le cadre de notre convention avec l'Éducation nationale, parce qu'il s'agit d'une lycéenne victime d'un harcèlement en meute. L'Éducation nationale a fait appel à nous, et nous avons été en contact très régulier avec elle et sa mère, pour stopper autant que possible les contenus de cyberharcèlement, qui comprenaient des menaces de mort, de viol et d'agression, y compris pour la famille, avec divulgation des données personnelles de la lycéenne, y compris son adresse postale. La priorité a été de faire disparaître ces informations qui la mettaient en danger. Nous avons travaillé en collaboration avec Pharos, chacun a paré au plus pressé. Dans ce type d'action, les réseaux sociaux sont très coopératifs, allant au-delà de leurs obligations légales, pour identifier en particulier les hashtags.
Les professionnels peuvent également nous joindre, en particulier les équipes éducatives, qui sont témoins de cyberharcèlement et qui ont tout intérêt à le signaler au plus tôt - en particulier en veille de week-end, parce que la situation peut se dégrader très fortement au cours du week-end.
Nos équipes d'écoutants se composent de trois profils : des professionnels psychologues, pour la prise en charge émotionnelle face à la panique ou à l'épuisement, des juristes pour apprécier l'action avec les réseaux sociaux, et des jeunes, interlocuteurs naturels des jeunes et en phase avec des usages numériques qui évoluent très rapidement - il est très important que dans l'urgence, les victimes n'aient pas à expliquer le fonctionnement des réseaux, il faut que l'écoutant comprenne la situation très vite pour donner les conseils utiles. En tout, nous avons une douzaine d'écoutants salariés, auxquels s'ajoutent une trentaine de volontaires en service civique.
Pendant nos heures de fermeture, nous avons une convention avec la brigade numérique de la gendarmerie nationale, qui prend le relais sur les chats. Nous projetons d'élargir nos horaires plus tard le soir et le dimanche.
Dans la prise en charge des jeunes, nous avons la capacité d'orienter vers les référents harcèlement des académies lorsque le phénomène cyber est une partie d'un phénomène plus large relevant de l'Éducation nationale : lorsque les élèves s'adressent à nous, c'est bien souvent parce que leur établissement a mal pris en charge la situation. Nous pouvons nous adresser à l'établissement scolaire mais, quand les familles estiment qu'elles n'ont pas été entendues ou qu'il faut responsabiliser les auteurs de harcèlement, nous pouvons aussi conseiller de porter plainte ; nous les informons alors sur les articles de loi susceptibles de caractériser le harcèlement et le cyberharcèlement, pour être sûrs que leur plainte soit bien prise en compte. En effet, les familles sont souvent découragées à porter plainte : on leur donne aussi un courrier type au Procureur de la République si elles n'y sont pas parvenues. Si le harcèlement révèle d'autres problématiques, on peut recourir au 119, faire un signalement direct au centre de recueil des informations préoccupantes, et, en cas de risque suicidaire (qui se produit de plus en plus avec les restrictions sanitaires), nous avons une convention avec Pharos et les pompiers qui permet d'effectuer une intervention physique directe chez l'adolescent.
Le cyberharcèlement, protéiforme, est en progression. Nous sommes très sollicités par la police, la gendarmerie, la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), nous expliquons les contours du cyberharcèlement et comment le gérer. Les jeunes ont été les premiers utilisateurs réguliers des réseaux sociaux et des smartphones, donc les premières victimes de cyberharcèlement, avant les adultes ; le phénomène a pris de l'ampleur et touché des personnes connues. Il est devenu un thème d'actualité et les forces de l'ordre se mobilisent désormais.
Nous formons les gendarmes qui interviennent dans les 53 maisons de protection des familles de la gendarmerie, auprès des auditeurs de la police judiciaire, la PJJ à l'école de Roubaix, auprès des opérateurs de la brigade numérique de la gendarmerie nationale et celle de la police nationale sur les violences sexuelles et sexistes - et nous mettons nos relations déjà anciennes avec les plateformes numériques pour faire des signalements.
Nous avons aussi actions de prévention avec l'Éducation nationale, nous intervenons auprès de 100 000 élèves par an. Notre approche du numérique est globale, nous avons un programme de prévention dès le primaire, car le cyberharcèlement commence dès 8 ou 9 ans ; avec les enfants de primaire, notre module débute par un travail sur les émotions. C'est le premier enjeu car sur le Net les émotions sont pulsionnelles, elles peuvent être ressenties et exprimées de façon très différente qu'en face-à-face. Nous commençons donc à montrer aux enfants comment nos émotions sont en jeu dans l'espace numérique.
Quelles sont les formes de cyberharcèlement ? Il y en a de toutes natures. Cela peut commencer contrairement à ce que l'on pense habituellement par le simple fait d'exclure quelqu'un de la sociabilité numérique, en refusant systématiquement de répondre à ses messages sur un groupe, en le radiant d'un groupe d'amis - et cela va jusqu'aux messages menaçants, à l'injure, à l'incitation au suicide, mais aussi à la création de comptes contre un élève, à l'usurpation d'identité sur le Net pour nuire à la réputation en faisant, par exemple, passer une élève pour une « fille facile ». Cela comprend aussi le revenge porn, et notamment au moment de la rupture, où on peut assister à la révélation de contenus intimes, de fausses images, ce dont les filles sont beaucoup plus victimes que les garçons, à la diffusion d'informations personnelles, y compris l'adresse physique, le numéro de téléphone... Nous tâchons le plus possible de rattacher ces faits à des infractions qui existent, ce qui est le cas, puis à du harcèlement, qui contient la répétition. Internet a cet avantage que ces faits laissent des traces, alors que le harcèlement ordinaire entre enfants se passe à l'abri du regard des adultes. Nous conseillons de prendre des captures d'écrans, de signaler les faits aux réseaux sociaux : nous accumulons alors des preuves pour pouvoir faire un signalement aussitôt que possible.
Nous avons beaucoup accru notre activité depuis le premier confinement. Je remercie nos équipes qui se sont remarquablement mobilisées dès le premier jour pour répondre à la demande dont nous savions qu'elle augmenterait. D'autres numéros ont fermé, et nous nous sommes trouvés submergés. De fait, nous avons reçu 30 % d'appels en plus dès le début du premier confinement, générant deux fois plus de signalements. Les élèves n'étant pas à l'école, il y a eu mécaniquement moins de cyberharcèlement scolaire : il a diminué de moitié.. Cependant des cyberviolences ont explosé, au gré de la vie des jeunes dans une ambiance d'ennui, de conduites à risque et de colère liée au confinement, et e-Enfance ne se limite pas au sujet du harcèlement scolaire. Il faut retenir, en tout cas, que harcèlement scolaire et cyberharcèlement ont diminué pendant le confinement.
Comment améliorer la lutte contre le cyberharcèlement scolaire ? Les familles et les jeunes nous disent que le problème n'est pas suffisamment pris en compte par l'établissement scolaire, ils ont le sentiment qu'ils ne peuvent pas parler ou qu'on ne les entend pas. Cela ne participe évidemment pas à la libération de la parole. Ce qui est inquiétant, c'est que nous faisons ce constat depuis dix ans, comme si rien ne changeait. La mauvaise prise en charge a des effets immédiat sur le sentiment que la parole des victimes n'est pas prise en compte et qu'elles ne sont pas protégées. Les parents expriment leur douleur profonde quand, au nom de l'obligation scolaire, ils doivent maintenir leur enfant dans l'établissement où le harcèlement s'est produit, ils éprouvent la culpabilité de les laisser à l'école sans protection contre les violences de pairs, mais aussi un sentiment de révolte de voir qu'une communauté d'adultes ne parvient pas à régler des problèmes d'enfants. Et les chiffres leur donnent raison, puisque le phénomène ne recule pas depuis dix ans que nous le suivons de près : les enquêtes établissent qu'un enfant sur dix environ dit avoir été victime de harcèlement à l'école. Autour de 12 à 14 % des adolescents disent avoir été victimes de cyberharcèlement. C'est considérable et depuis 10 ans la situation ne s'améliore pas
Merci pour cet exposé très clair. Que pensez-vous de la coexistence de deux numéros d'appel : ne vaudrait-il pas mieux un numéro unique ? Votre plateforme d'écoute est-elle assez connue ? Comment faire mieux connaître le 30 18 ?
Comment pensez-vous qu'on puisse améliorer la formation des enseignants sur le cyberharcèlement ?
Vous heurtez-vous à difficultés matérielles, administratives, avez-vous le sentiment que votre action n'est pas, ou mal prise ne compte ?
Constatez-vous que les entreprises des réseaux sociaux ont fait évoluer leur politique - et qu'elles mesurent l'ampleur du phénomène ?
Enfin, quelles sont les marges de manoeuvre des entreprises pour agir sur les messages « privés » ?
Vous touchez un problème central avec les messages dits « privés ». De fait, dès lors que les messages sont qualifiés de « privés » par le réseau social, ils échappent aux règles de modération définies pour les messages publics - d'ailleurs Pharos n'agit que sur ces messages publics. Cependant, des messages qui sont adressés à des milliers voire des centaines de milliers de personnes sont, en réalité, des messages publics. Il y a un débat sur le sujet qui touche directement à la liberté d'expression. Le droit européen, qui est en cours de définition, privilégie le caractère privé des échanges, c'est un point sur lequel il faut avancer car les contenus comptent évidemment, surtout quand on parle de harcèlement, qui est illégal. Cette politique de e-privacy privilégie la protection des données personnelles, mais pas une vraie protection des personnes. Les réseaux sociaux ont réagi différemment aux règles européennes, certains les ont appliquées à la lettre en refusant d'intervenir pour supprimer des contenus, sauf si c'est un membre du réseau qui leur en fait la demande ; d'autres réseaux sociaux ont accepté d'intervenir à notre demande, devant l'illégalité des contenus. Dans le débat sur le rôle de la médiation, qui concerne l'ensemble des échanges sur internet, nous faisons valoir que les contenus illégaux doivent être retirés au nom de la protection de l'enfance, la question de la liberté d'expression ne se pose pas comme pour les adultes.
Je suis confiante dans la capacité d'action des réseaux sociaux, je pense qu'ils mesurent l'ampleur du phénomène. Cependant, ce sont des entreprises privées, leur priorité va à leur développement économique, elles n'ont généralement pas assez investi dans la modération et elles courent derrière la réalité. Les choses s'améliorent cependant, avec des outils individuels de protection qui permettent d'ajouter des filtres de modération, je crois que c'est une solution d'avenir. Une difficulté se pose cependant avec le fait que les mineurs ne disent pas qu'ils sont mineurs, ce qui empêche l'efficacité du filtrage. La question de l'identité numérique, à cet égard, est importante : il faut savoir si les internautes sont majeurs ou non.
M. Samuel Comblez, directeur des opérations de l'association e-Enfance. - Beaucoup reste à faire sur la formation des enseignants et des équipes éducatives au sens large. Aujourd'hui, la décision de former relève du seul chef d'établissement : l'action dépend donc de l'importance qu'il attache au sujet. Je crois important de former tous les personnels d'éducation, chacun étant en position de repérer les dérives.
Il faut, ensuite, sortir de l'idée que le harcèlement est d'abord scolaire : il est partout, au club de sport, au centre de loisir, dans la rue... ce qui implique qu'il faut intervenir partout également. Le thème du cyberharcèlement est désormais connu dans la population en général, mais lorsque cela touche un proche, surtout son enfant, on ne sait pas quoi faire, on se trouve face à une jungle de services, alors que la réponse doit aller très vite. Les conséquences du cyberharcèlement sont graves, dévastatrices, nous voyons des jeunes marqués à vie, comme une maladie qu'on va garder avec soi malgré les soins, des jeunes adultes portent cette croix de la dévalorisation d'eux-mêmes qui va influencer leur vie entière.
Sur les 12 millions d'enfants scolarisés, un sur dix serait harcelé, mais nous recevons environ 15 000 appels. C'est dire que nous sommes encore loin de couvrir les besoins - en réalité, nous sommes surpris du nombre de personnes qui nous découvrent trop tard, même des personnels de l'Éducation nationale ne connaissent pas notre numéro. Nous sommes pourtant facilement joignables : notre priorité est l'accessibilité et nous voulons faciliter la tâche des parents et des victimes. Il est vrai qu'on peut observer une superposition de services - qui se complètent.
Nous travaillons avec des jeunes qui connaissent le numérique car ce domaine nécessite une mise à jour quotidienne. Nous sommes très sensibles aussi au harcèlement en général, pour traiter la totalité demande plutôt que renvoyer vers un autre service, y compris en cas de harcèlement scolaire.
Nous sommes favorables à un numéro unique ; il est salutaire pour les parents épuisés par le côté permanent d'internet, de trouver un interlocuteur qui comprenne la situation - et le seul lieu francophone où l'on soit tout de suite compris en matière de cyberharcèlement, c'est notre association, c'est le 30 18. C'est particulièrement vrai pour les jeunes victimes, qui peuvent avoir du mal à dire ce qui leur arrive à leur entourage proche et à leurs parents en particulier - 60 % des appels que nous recevons concernent le corps ou la sexualité, des thèmes que les jeunes n'ont pas souvent envie d'aborder avec leurs parents, nous sommes donc des référents plus faciles dans ces cas-là.
Vous paraissez distinguer les réseaux sociaux entre ceux qui acceptent d'intervenir et ceux qui refusent, selon l'application qu'ils font des règles européennes : lesquels sont-ils ?
En réalité, même si Twitter est le moins bon élève, tous les réseaux sociaux acceptent d'intervenir rapidement quand nous les saisissons de cyberharcèlement sur des mineurs. La situation change à grande échelle, y compris pour des raisons de simple marketing. C'est la conséquence heureuse de l'impact qu'ont eu des fake news célèbres sur la vie démocratique même de nos pays, les plateformes acceptent désormais la modération et la suppression des comptes. La « génération Facebook » qui a 20 ans aujourd'hui a aussi de fortes attentes des réseaux sociaux, et c'est dans l'intérêt même des plateformes qu'elles ne soient pas des lieux dangereux. Aux États-Unis, cela peut conduire à des boycotts D'un autre côté, leurs réticences tiennent à ce qu'elles craignent d'être entrainées à devoir modérer systématiquement les échanges, ce qui n'entre pas dans leur modèle économique. Le Digital Services Act européen devrait changer cela.
Du côté de l'Éducation nationale, en revanche, je parlerai de défaillance, car depuis dix ans que nous travaillons avec le ministère, aucun programme de formation ni aucune action de prévention n'a été contraignant - cela fait dix ans que le ministère propose des modules qui restent parfaitement facultatifs, ceci au nom du volontariat nécessaire, c'est un discours que j'ai désormais du mal à entendre. Nous sommes face à un problème structurel, il faut aller plus loin pour changer les choses, comme on a su le faire dans d'autres domaines avec les quotas. L'école n'est pas qu'un lieu de transmission des savoirs qui ne s'adresserait qu'au cerveau, elle est un lieu de formation d'êtres humains qui y apprennent aussi à vivre ensemble et à se comporter en citoyens - qui ne regardent pas la chose publique comme extérieure à eux mais comme leur affaire propre, tout ceci commande que l'école en fasse bien davantage pour prévenir et prendre en charge le cyberharcèlement.
Je crois donc que cela passe par une forme d'obligation pour les personnels éducatifs, au sens large, à se former en matière de cyberharcèlement. Il faudrait également mieux responsabiliser les auteurs d'actes de cyberharcèlement de façon à ce qu'ils sachent vraiment que si on n'applique pas la règle, on peut être sanctionné. Pourquoi ne pas rendre contraignants certains programmes. Dans notre étude sur le harcèlement et le cyberharcèlement, les auteurs de cyberharcèlement reconnaissent que, dans près de 60 % des cas, ils n'ont reçu aucune sanction ni conséquence dans leurs actes et que, pour les 22 % qui avaient été sanctionnés, cela avait été par leurs parents. Seulement 4 % ont été sanctionnés par l'établissement scolaire : c'est dire qu'il y a du travail à faire ! Je ne suis pas pour la sanction par principe, mais il est évident qu'elle responsabiliserait les auteurs et ferait mieux reconnaitre les victimes - les enquêtes montrent d'ailleurs que les parents aussi bien que les enfants y sont très majoritairement favorables. 68 % des parents et 65 % des adolescents appellent à renforcer les sanctions à l'égard des auteurs. Le but de la sanction est surtout de tenir la règle !
Merci pour ces informations très riches, je partage votre idée sur l'idée de former des personnels éducatifs bien plus systématiquement.
La réunion est close à 13 h 25.