Monsieur le Directeur général, la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire souhaite vous entendre en premier lieu sur le financement des collectivités territoriales. Celles-ci sont des acteurs majeurs en matière de développement économique local et il est essentiel de s'assurer qu'elles disposent des moyens financiers nécessaires à leur effort d'investissement. Nous sommes là au coeur de la compétence de notre commission en matière d'aménagement du territoire et de développement économique. Pour ma seule région, certaines informations indiquent qu'il y aurait des emprunts d'un montant total de 172 millions d'euros à mettre en place d'ici à la fin de l'année 2011 pour boucler le budget. L'enveloppe de trois milliards d'euros débloquée par le Gouvernement pour garantir l'accès au financement des collectivités territoriales sera-t-elle suffisante pour répondre aux besoins ? Dans quelles conditions, selon quelles modalités, les collectivités auront-elles accès à ces ressources ? Les membres de la commission ont besoin d'être informés, voire rassurés, sur ces questions dans le contexte difficile lié à la décision de démanteler Dexia.
Selon le schéma de démantèlement de ce groupe, la Caisse des dépôts et consignations (CDC) devrait prendre une participation de 65 % dans DexMA (Dexia Municipal Agency), pour un coût de 250 millions d'euros. DexMA sera chargé de gérer l'encours des financements déjà accordés aux collectivités, ce qui représente un stock de prêts d'environ 80 milliards d'euros. Quelles seront les conditions de sortie des collectivités qui souhaitent se désengager des emprunts parfois toxiques qu'elles ont contractés ? Quels sont les risques pour la Caisse des Dépôts et la Banque postale, nouveaux actionnaires de DexMA, en cas de défaut de remboursement des emprunteurs ou de désengagement anticipé ?
La Caisse des Dépôts devrait également prendre une participation de 35 % dans la nouvelle banque de financement des collectivités territoriales qui doit se mettre en place prochainement. Quel est votre sentiment concernant les risques d'assèchement du crédit pour les collectivités, qui est évoqué dans la presse ? En attendant la mise en place du nouveau dispositif, quel sera l'engagement de la Caisse des Dépôts ? À plus long terme, quel sera l'engagement de la Banque postale, qui sera le principal actionnaire de cette future banque des collectivités ? C'est un nouveau métier pour elle et on peut se demander comment elle l'abordera.
Outre ces questions relatives au financement des collectivités, la commission souhaite aussi vous entendre sur votre rôle au sein de La Poste et dans le Fonds stratégique d'investissement (FSI) créé en décembre 2008 pour répondre aux besoins en fonds propres des entreprises ayant un fort potentiel de croissance et de compétitivité. Ce fonds, constitué sous forme de société anonyme et détenu à 51 % par la Caisse des Dépôts et à 49 % par l'État, a été doté de 20 milliards d'euros. Quelles sont les articulations du FSI avec CDC-Entreprises et avec l'Agence des participations de l'État (APE) ? Y a-t-il un pilote dans cet ensemble de structures ? Quelles ont été depuis 2008 les actions du FSI en direction des PME ?
C'est la première fois que je m'exprime devant la Commission de l'économie en tant que telle et j'en suis ravi. Effectivement, les compétences de votre commission recoupent de nombreuses missions de la Caisse des Dépôts telles que définies par la loi. La Caisse des Dépôts est un groupe public, c'est-à-dire un établissement public et des filiales, au service de l'intérêt général et du développement économique du pays. À ce titre, la Caisse des Dépôts effectue toute mission à la demande des pouvoirs publics ou des collectivités locales. Placée sous la surveillance du Parlement, elle est en quelque sorte « l'entreprise publique » du Parlement et il est donc normal que je vienne vous rendre compte de nos activités sur les trois sujets sur lesquels j'ai été interpellé : le financement des collectivités locales, notre investissement dans La Poste et le FSI.
Concernant le financement des collectivités, nous vivons malheureusement une révolution complète en revenant à la situation dans laquelle nous étions il y a vingt-cinq ans. Au début des années 1960, le financement des collectivités se faisait sur le produit du fonds d'épargne. Très vite, il a été considéré que ce fonds devait se limiter au logement social et des émissions de titres ont donc commencé sur le marché pour financer les collectivités locales avec le Crédit local de France. Puis cette banque, qui a pris son indépendance, est devenue Dexia. En 2007, quand je suis arrivé à la tête de la Caisse des Dépôts, j'ai pu constater que l'affectio societatis avait singulièrement diminué : nous n'avions plus que 11 % du capital et Dexia était partie dans un rêve de banque universelle, dont le bilan pouvait s'accroître de façon démesurée en profitant d'une situation atypique. Dexia prêtait en effet à long terme aux collectivités locales, sur des durées de vingt-cinq à trente ans, à des taux relativement élevés de 4 à 5 % tout en se refinançant, à court terme à des taux de 1 à 1,5 %. Mais la liquidité n'est pas un bien éternel. En 2008, il y a ainsi eu une crise du refinancement, les banquiers ne prêtant plus aux banquiers. Dexia a dû faire face alors à un problème de liquidité majeur, qui a conduit dans l'urgence à une recapitalisation à hauteur de plus de six milliards d'euros pour redonner confiance aux acteurs du système et permettre à Dexia de se refinancer. Le nouvel administrateur délégué de Dexia, Pierre Mariani, a entrepris tout ce qui était en son pouvoir, avec le soutien de ses actionnaires, pour réduire la taille du bilan de Dexia. La réduction opérée a dépassé cent milliards d'euros. Il a vendu une filiale américaine de rehaussement de crédits, qui faisait courir de lourds risques à la banque.
Cependant, il n'a pas été en mesure de surmonter la crise de défiance de septembre-octobre 2011, liée à la crise des dettes souveraines. Après la dégradation de la note des États-Unis, le 5 août, un nouveau cycle de défiance entre les banques s'est en effet enclenché. L'impact sur Dexia a été fort en raison de l'exposition de cette banque sur la dette de l'Espagne, du Portugal et de la Grèce. Pour survivre, Dexia a envisagé, dès le début de septembre, de revendre à la Caisse des Dépôts la structure qui lui servait à refinancer les prêts aux collectivités locales. Je m'explique. Le financement aux collectivités se faisait à travers Dexia-crédit local, qui détenait 40 % du marché il ya encore deux ans, mais dont la part était tombée depuis à 10 %. Dans cette activité, intervenaient deux entités, l'une dédiée à l'origination des prêts, l'autre au refinancement, DexMA. Cette dernière faisait de la gestion actif/passif : en face des prêts à long terme des collectivités locales, elle utilisait les bénéfices de la loi de 1999 sur les sociétés de crédit foncier pour lever des ressources sous forme d'obligations à long terme très sécurisées. Dexia a considéré que la vente de cette activité à la Caisse des Dépôts, avec tout le portefeuille associé, soit près de 80 milliards d'euros environ, pouvait constituer une réponse à la crise qu'elle traversait, car, dans cette société de refinancement, se trouve un besoin de liquidité de 15 milliards d'euros correspondant à ce qui est nécessaire pour sécuriser les détenteurs d'obligations foncières. La Caisse des Dépôts a observé que, même en rachetant ce portefeuille pour un euro symbolique, cela occasionnerait une perte de première consolidation de près de 5 milliards d'euros, car les taux d'intérêts auxquels les prêts avaient été accordés étaient avec des marges d'intérêt beaucoup plus basses que celles auxquelles on pourrait les reprêter aujourd'hui. À quoi s'ajoutait le risque sur les emprunts dits toxiques dans la mesure où l'on peut s'attendre à ce que les collectivités locales les renégocient. Nous avons donc demandé à l'État des garanties, qui ont fait l'objet de la loi de finances rectificative en cours d'adoption.
Bien que les États aient donné leur garantie globale à Dexia au cours de la troisième semaine de septembre et alors que le rachat de DexMA n'était plus indispensable à la survie de Dexia, la Caisse des Dépôts a poursuivi le projet en raison de l'importance de la question du financement des collectivités locales. La situation du financement des collectivités est aujourd'hui la suivante. Les banques commerciales sont réticentes à prêter, notamment en raison des nouveaux ratios de Bâle III, qui obligent à inscrire dans le bilan, en face d'un emploi de long terme, une ressource de long terme. Or, ces ressources sont coûteuses, de sorte que les banques hésitent à aller sur ce marché. La Caisse des Dépôts et le groupe La Poste ont donc le projet de mettre en place, pour le début de 2012, une nouvelle banque, dont le nom sera dévoilé bientôt, pour prêter aux collectivités. Elle sera détenue à 65 % par la Banque postale et à 35 % par la Caisse des Dépôts. Parallèlement, l'activité de refinancement sera assurée par Dexma détenue à 65 % par la Caisse des Dépôts, à 5 % par la Banque postale, Dexia en conservant 30%. Nous espérons pouvoir commencer à délivrer les nouveaux prêts à la fin du premier trimestre 2012. Dans l'intervalle, le premier ministre a annoncé, le 7 octobre, qu'il dégageait une enveloppe de 3 milliards d'euros sur fonds d'épargne pour satisfaire aux besoins d'emprunts des collectivités de fin d'année. Elle sera distribuée, pour moitié, entre les banques commerciales et la Caisse des Dépôts. Le taux auquel sortiront les prêts sera connu dans les prochains jours. Il devrait se situer au taux du Livret A + 185 pb. Ces prêts pourront être soit souscrits directement auprès de nos directeurs régionaux, soit auprès de banques qui auront soumis pour des adjudications qui doivent avoir lieu très prochainement. Nous espérons que cette enveloppe de 3 milliards d'euros sera suffisante, dans la mesure où les informations qui nous remontent donnent à penser que la demande de 2011 sera peut-être supérieure à celle de 2008. En novembre 2008, nous avions mis en place une enveloppe de 5 milliards d'euros, qui n'avait été consommée qu'à hauteur de 2,7 milliards d'euros. Je vous invite à nous faire remonter les difficultés qui pourraient se poser sur tel ou tel territoire.
Pour finir sur ce thème, je considère que notre projet de joint venture avec La Poste n'est pas concurrent du projet d'Agence de financement des collectivités locales. S'il existe un bon projet de l'Agence de financement des collectivités locales, nous croyons à la concurrence et nous croyons qu'il est nécessaire que puissent se développer des établissements capables de répondre aux besoins des collectivités - même si je pense que cette agence devrait plutôt répondre aux besoins des grandes collectivités. J'ai indiqué au président de l'Association des maires des grandes villes de France et au président de l'Association des maires de France que nous étions ouverts à toutes les discussions possibles entre l'agence et notre joint venture avec La Poste.
Avant d'aborder les autres thèmes, souhaitez-vous, chers collègues, poser des questions ?
Nous avons bien compris le « tuilage » entre les trois milliards d'euros et le dispositif pérenne que la Caisse des dépôts est en train de mettre en place avec la Banque postale. Sur cette enveloppe de trois milliards, vous nous confirmez donc que les prêts seront accordés à taux fixe et que l'adjudication, qui permettra de connaître la répartition entre la Caisse des dépôts et le secteur privé, aura lieu dans les prochains jours.
Si les besoins sont plus importants que l'enveloppe prévue, comment sera gérée la « file d'attente » ? Y aura-t-il, par exemple, des enveloppes régionales ? Par ailleurs, l'État va-t-il être en mesure d'accorder sa garantie à l'Agence de financement des collectivités locales ? Sans garantie, je pense qu'il ne peut y avoir d'agence. Le taux moyen des prêts accordés par l'Agence aux grandes collectivités sera-t-il simplement une moyenne entre bons et mauvais élèves ?
Indépendamment de la crise, la mise en oeuvre des accords de Bâle III complexifie l'accès au crédit des collectivités territoriales. Est-il envisagé que leur cas particulier soit évoqué dans le cadre de la renégociation de ces accords ? Ces accords ne risquent-ils pas de conduire à un certain malthusianisme des banques dans la gestion de leur enveloppe de 1,5 milliard d'euros ?
Par ailleurs, la Caisse des dépôts avait-elle revendiqué d'être le seul opérateur en charge de l'enveloppe de trois milliards d'euros ? Un dispositif est-il envisagé pour la période allant de fin décembre 2011 à mars 2012 ?
Enfin, n'existe-t-il pas, à long terme, un risque d'assèchement des fonds d'épargne au profit des collectivités territoriales ? Cela ne pourrait-il pas, par exemple, affecter le développement du logement social ?
Les petites et moyennes communes sont confrontées aux réticences de l'ensemble des banques. Il existe donc aujourd'hui un défaut d'emprunt pour certains travaux effectués en 2011. Ma question est pragmatique : en tant qu'élus locaux, nous sommes habitués à être en contact avec les directions régionales de Dexia. Aujourd'hui, à qui s'adresser ?
Ne serait-il pas utile d'aider davantage les collectivités locales victimes d'emprunts toxiques ? Par ailleurs, la politique de la Caisse des Dépôts en matière de prêts accordés aux opérations de politique de la ville va-t-elle évoluer du fait de la crise actuelle ?
Les emprunteurs auront le choix entre quatre types de prêts : des taux indexés sur l'inflation, des taux indexés sur le LEP soit équivalent Livret A+50 pb, des taux indexés sur l'Euribor et des prêts à taux fixes. Ces prêts à taux fixe ont été obtenus par la Caisse des dépôts, sur l'intervention du président de la commission de surveillance.
L'enveloppe répondra-t-elle à tous les besoins ? C'est notre espoir mais les premières indications montrent que cela risque d'être difficile.
S'agissant de l'Agence de financement des collectivités territoriales, elle devrait pouvoir, en théorie, se financer sans garantie de l'Etat si elle fait la démonstration de la surface financière des collectivités qui en seraient les parties prenantes. Pour autant, j'estime aujourd'hui, à titre personnel, qu'il est important de réfléchir à des convergences éventuelles entre l'Agence et la nouvelle société créée par la Caisse et la Banque postale. J'ai compris que le taux de crédit consenti par l'agence aux collectivités devrait être différencié selon leur taille et leur notation.
S'agissant des règles de Bâle III, le Club des investisseurs de long terme écrit régulièrement à la Commission européenne pour obtenir l'assouplissement des normes dans tous les domaines techniques qui pénalisent l'investissement de long terme. Il pourrait être en effet utile d'introduire dans ces règles une disposition visant à ce que, pour les grandes infrastructures ou les prêts aux collectivités territoriales, l'exigence de coefficient de liquidité soit diminuée. Votre commission pourrait utilement saisir le commissaire européen Michel Barnier à ce sujet.
La Caisse des dépôts avait-elle revendiqué pour elle 100 % de l'opération de transition ? Au départ, le projet était que la Caisse des dépôts n'intervienne pas et elle s'est battue pour en assurer 50 % de la distribution, comme en 2008. S'agissant des banques, il ne faut pas leur faire un procès en malthusianisme, alors que rien n'indique pour l'heure que tel sera leur comportement.
Entre décembre et la fin du premier trimestre 2012, les autres banques, si elles avaient épuisé l'enveloppe d'1,5 milliard d'euros, pourraient avoir avantage à maintenir la relation commerciale avec les collectivités territoriales.
Aucun risque ne pèse sur le logement social car la loi a prévu un mécanisme assurant que la Caisse des Dépôts centralisera en toute circonstance 1,25 fois le montant des prêts au logement social et à la politique de la ville. Il y a d'ailleurs d'autant moins de risque de contingentement que la collecte livret A est exceptionnellement dynamique, avec près de 16 milliards d'euros de nouveaux dépôts à fin août.
Je conseillerais, M. Yves Chastan, aux collectivités locales de s'adresser à la direction régionale de la Caisse des dépôts pour le financement de leurs projets, dans le cadre de l'enveloppe des 3 milliards d'euros, et aux autres réseaux bancaires.
A M. Claude Dilain, j'indique que le sujet des renégociations des emprunts toxiques est très délicat. Dès lors que la Caisse des Dépôts doit reprendre le portefeuille d'emprunts toxiques, elle doit être immunisée par l'État. Il fallait néanmoins trouver une solution pour éviter la déresponsabilisation des renégociateurs : la société Dexia va donc disposer d'un ticket modérateur. S'agissant des prêts à la politique de la ville, je suis à votre disposition pour transmettre au ministère des Finances des suggestions sur l'évolution des champs d'intervention.
N'y a-t-il pas un risque que le démantèlement de Dexia contamine la Caisse des dépôts et la Banque postale ?
D'autre part, les priorités de la Banque postale, qui fonctionne comme une société anonyme à capitaux publics, seront-elles bien d'accorder des crédits aux collectivités territoriales et à quelles conditions proposera-t-elle ces emprunts ? Des contraintes seront-elles imposées à la Banque postale ? D'expérience, je sais que le premier réflexe des banques locales dans ma circonscription est plutôt malthusien en matière de prêts aux collectivités.
La question de la « contamination » de la Caisse des dépôts et la Banque postale par le démantèlement de Dexia n'est pas évidente. En effet, le pari que nous faisons en rachetant la société DexMA - je souligne d'ailleurs que ce n'était pas la seule solution envisageable à partir du moment où les États ont apporté leur garantie à Dexia crédit local - est que nous allons réussir à réanimer cette société qui, aujourd'hui, n'émet plus sur les marchés. Nous faisons le pari que nous allons réussir à la réanimer avec le triple A de la Caisse des dépôts et nos forces de conviction afin de réémettre des nouvelles obligations pour financer des nouveaux prêts et afin que cette société soit de nouveau bénéficiaire. Le prix net de DexMA que nous allons payer est d'environ 250 millions d'euros alors que cette société possède environ un milliard d'euros de fonds propres : nous disposons ainsi d'un matelas de 750 millions d'euros qui nous permettra d'absorber les pertes pendant une dizaine d'années.
Mais pour que le pari que nous faisons soit totalement gagnant, il faut que DexMA redevienne une centrale de refinancement pour l'avenir, ce qui suppose deux choses :
- d'abord réussir à convaincre les marchés de prêter à nouveau à DexMA ;
- ensuite que Dexia se retire de ce métier car on ne comprendrait pas qu'elle se remette à prêter aux collectivités locales.
Il est donc indispensable de faire revivre DexMA. Dans ces conditions, on peut dire que le risque pour la Banque postale et la Caisse des dépôts est réduit aux risques normaux puisque par ailleurs vous avez voté des garanties très substantielles : en un mot, d'une part les 10 milliards de prêts toxiques contre lesquels nous sommes immunisés et d'autre part, une garantie sur l'ensemble du portefeuille. Le risque des collectivités locales correspond normalement à un point de base, et nous sommes garantis au-delà de 10 points de base, ce qui fait que nous ne pouvons pas perdre plus de 70 millions d'euros par an.
Le risque de « contamination » que vous évoquez peut donc exister dans trois domaines :
- le risque de ne pas pouvoir revitaliser DexMA : nous allons nous battre pour éviter cela ;
- l'image de la marque : le souhait de la Banque postale est de ne plus opérer sous la marque Dexia ; de ce point de vue, il n'y aura pas de risque car nous allons dévoiler une marque qui sera bien différente et dans laquelle on verra l'identité de la Banque postale et le partenariat avec la Caisse des dépôts ;
- le troisième point pourrait être des pertes de la Caisse des dépôts : il y a un petit risque après 2021, échéance de la garantie, mais le ministre s'est engagé dans les débats parlementaires à soumettre une nouvelle loi de finances en 2021 si besoin était.
Sur la question des priorités de la Banque postale, je crois qu'il est intéressant pour le Parlement que la Caisse des dépôts soit rentrée au capital du groupe La Poste à hauteur de 26 % car la Caisse des dépôts est l'entreprise publique qui a la gouvernance la plus perfectionnée du pays : une réunion de la commission de surveillance tous les quinze jours et cinq parlementaires membres de cette commission. Donc à tout moment, n'importe quel député ou sénateur peut savoir ce que fait la Caisse des dépôts de son argent.
On peut toujours discuter des priorités de telle ou telle entreprise publique, je ne suis pas qualifié pour parler au nom de la Banque postale. Mais la Caisse des dépôts, en tant qu'administrateur du groupe La Poste, aura forcément partie liée avec vos préoccupations.
Sur la question des prêts, le maître mot de la Banque postale est de faire des prêts « vanille », c'est-à-dire des prêts très simples, et extrêmement lisibles. La préoccupation de la Banque postale semble donc la même pour les collectivités que pour les particuliers : ils ont été incroyablement affectés par l'affaire d'un produit d'épargne qui a défrayé la chronique et cette perte d'image a été telle qu'il n'y a pas de risque qu'elle propose des prêts toxiques. Vous pouvez donc être totalement rassurés.
J'ai deux questions à poser :
- la première concerne la fusion Transdev-Veolia : le contexte d'aujourd'hui modifie-t-il les perspectives de départ ? Les difficultés actuelles de Veolia remettent-elles en cause l'idée d'avoir un grand groupe international de transport ? J'ai quelques inquiétudes à ce sujet.
- la seconde concerne la dualité entre banque de dépôt et banque d'investissement : j'ai récemment lu un article de Michel Rocard qui considère que cette fusion des banques de dépôt et des banques d'investissement à risque est une des causes des dérives que nous connaissons aujourd'hui. Partagez-vous cette analyse ? Pensez-vous qu'il faille revenir à une distinction plus claire entre ces deux activités ?
La première question va nous permettre d'aborder le deuxième volet de cette audition, avec notamment le rôle de la Caisse des dépôts dans le Fonds stratégique d'investissement (FSI).
Vous savez que la fusion de Veolia et de Transdev avait été initiée par le précédent directeur général de Transdev qui m'avait convaincu que ce projet pouvait être utile à Transdev et à son développement puisque cette société n'atteignait pas la taille critique.
Depuis, la nouvelle société a enregistré de très mauvaises surprises à l'international, au Maroc et en Allemagne par exemple, et le contexte économique est effectivement beaucoup plus mauvais qu'au moment de la fusion.
J'ai deux certitudes :
- la Caisse des dépôts se considère comme comptable de l'avenir de cette société et elle ne se désengagera pas de Transdev quoi qu'il arrive ;
- le niveau de profitabilité de la société sera en 2011 beaucoup plus réduit que ce qui était escompté et donc nous n'aurons dans l'avenir que des bonnes surprises ! J'aurai à coeur de préserver la qualité des relations avec les collectivités et la qualité de service pour conserver le capital de confiance de Transdev.
La Caisse des dépôts n'a absolument pas l'intention de se désengager du transport public.
Sur la dualité entre banque de dépôt et banque d'investissement, il est vrai qu'en cas de crise financière, cette fusion de deux activités fait craindre aux particuliers qu'ils ne retrouvent pas leurs dépôts. Au-delà même des explications sophistiquées, je ne suis pas convaincu qu'il soit forcément nécessaire de militer pour le maintien de la fusion entre banque d'investissement et banque de dépôt. L'idée qu'on puisse séparer le risque encouru par les particuliers lorsqu'ils déposent leurs économies dans un établissement, du risque encouru par des investisseurs avisés ne me choque pas, bien au contraire. Mais il faut être conscient que la réduction de la taille du bilan de toutes les banques qui va résulter de l'application de Bâle III va déjà être néfaste à la croissance économique. Le volume des prêts consenti à l'économie sera en très forte réduction dans les années à venir. Donc même si on peut être d'accord avec le principe de la séparation des banques d'investissement et des banques de dépôt des particuliers, une période de transition semble nécessaire pour éviter le risque d'un effet dépressif sur l'économie.
Sur le Fonds stratégique d'investissement, pouvez-vous nous dire un mot de votre action et de votre bilan ?
Pour bien comprendre, il faut revenir sur ce qu'était la Caisse des dépôts avant le 19 décembre 2008. Avant cette date, la Caisse des dépôts avait en charge un programme dans le cadre du programme France Investissement, qui était devenu une priorité pour le groupe en 2007 : cela consistait à investir dans les PME 400 millions d'euros par an via des fonds d'investissement principalement régionaux.
Avant 2007, la Caisse des Dépôts, dans le cadre du programme France investissement, investissait dans des PME, via des fonds d'investissement dans lesquels elle était minoritaire, et présentait un profil d'actionnaire institutionnel relativement passif. En 2007, j'ai décidé que la Caisse des Dépôts allait soutenir les PME, et j'ai mobilisé à cet effet 400 millions d'euros pour investir chaque année, soit plus d'un million d'euros quotidiennement en fonds propres. J'ai par ailleurs réorienté la Caisse des Dépôts, qui avait jusqu'alors l'image d'une banque d'investissement, vers l'investissement de long terme, en entretenant des relations avec les grands fonds souverains internationaux afin d'obtenir des capitaux à cet effet.
Suite à l'annonce par le président de la République, le 20 novembre 2008, de la création du Fonds stratégique d'investissement (FSI), il a été décidé que l'État contribuerait à hauteur de 10 milliards d'euros, que la Caisse des Dépôts apporterait une même somme, dont son portefeuille de participations dans les PME, et qu'elle gèrerait le Fonds. Je souhaitais éviter qu'il n'y ait, d'une part le FSI pour les grandes entreprises, et d'autre part CDC-Entreprises pour les PME. L'objectif de cette nouvelle structure est donc à la fois de sécuriser le capital des grandes entreprises françaises n'ayant pas d'actionnaire de référence, de soutenir les 220 fonds d'investissement nationaux et régionaux pour les PME et enfin d'agir en faveur des entreprises de taille intermédiaire (ETI), ceci constituant aujourd'hui le coeur de mission du FSI.
Les ETI sont en effet trop peu développées dans notre pays, qui ne comptait en 2009 que 4 200 entreprises comprenant de 250 à 5 000 salariés, dont 750 seulement ayant une activité industrielle, exportant, créant de l'emploi et, in fine, relevant du FSI. Du fait du désengagement des banques et des assurances du soutien aux entreprises, la Caisse des Dépôts est désormais - aux côtés de familles plaçant leurs fonds dans des family offices et des grands investisseurs internationaux pratiquant le private equity - l'interlocuteur idéal pour celles de ces entreprises recherchant des fonds propres de l'ordre d'une cinquantaine de millions d'euros. Au terme de cette évolution, l'activité du FSI se partage entre des participations de 15 à 30 % dans des entreprises intermédiaires, de 3 à 5 % dans des très grandes entreprises et le financement de fonds régionaux et spécialisés via CDC Entreprises.
Un des défis est aujourd'hui de mieux faire connaître l'action du FSI en faveur des PME, en mobilisant des responsables uniquement à cette tâche dans chaque direction régionale. Ce fonds, qui bénéficie de réserves financières bien dimensionnées, n'ayant jamais refusé le financement d'entreprises par manque de crédits, constitue pour les pouvoirs publics, avec les pôles de compétitivité et les actions d'Oseo Innovation, le socle financier d'une véritable politique industrielle.
Le caractère stratégique du FSI prête à discussion. Les statistiques les plus récentes font ainsi état d'une perte d'emplois industriels dans notre pays. La dichotomie entre des grands groupes réalisant les trois-quarts de leur chiffre d'affaires à l'export et des très petites et moyennes entreprises peinant à financer leurs projets tend à s'accentuer. La comparaison avec notre voisin allemand, dont l'industrie est en pleine santé, met en exergue la question de l'accès au crédit, outre celle de la culture industrielle.
Il est enfin surprenant, d'un point de vue stratégique, que la Caisse des Dépôts, à travers sa filiale Qualium Investissement, ait racheté pour 800 millions d'euros le groupe Quick, dont la valorisation a pu être estimée à 300 millions d'euros. La priorité devrait être donnée aux projets véritablement industriels !
Je voudrais évoquer à nouveau le transfert entre Transdev et Véolia avec la participation de la Caisse des Dépôts. A l'heure où les collectivités territoriales souhaitent développer les transports collectifs - ce qui suppose des investissements conséquents - peut-on également aider Véolia par le biais de Transdev alors que Véolia est en concurrence avec des transports régis directement par les collectivités territoriales ?
Tout d'abord, je me félicite que le FSI soit un levier qui permette de consolider les ETI en France. Vous avez dit à juste titre que nous basculions d'une société de l'endettement vers une société de fonds propres. Or, en France, les marges des entreprises ne sont pas bonnes - par rapport à l'Allemagne, par exemple - et, outre Bâle III dont nous avons beaucoup parlé, Solvabilité II touche les assureurs et va gripper le circuit d'alimentation de l'assurance-vie (1 300 milliards d'euros par an environ) vers le secteur de l'activité économique, créatrice d'emploi. De plus, le système comptable avec la déduction des frais financiers et son système d'amortissement pousse les entreprises à s'endetter. Les entreprises allemandes ont la KWF, la banque de reconstruction, qui permet aux entreprises familiales, aux ETI ou aux grosses PME de se rassembler pour s'alimenter via des obligations avec un système de garantie et de couverture ; la Caisse des Dépôts pourrait-elle jouer ce rôle de plateforme et de garantie pour les entreprises françaises ?
Je voulais, Monsieur le Directeur, réagir à la dernière partie de votre intervention. Vous semblez souligner que les PME ou PMI qui étaient saines n'avaient pas de difficultés pour se financer dans le système bancaire et financier traditionnel. Cela ne correspond pas aux réalités de terrain. Lorsqu'une collectivité comme la région Pays-de-la-Loire lance un prêt régional de redéploiement industriel pour, pendant quelques temps, aider ces entreprises saines dont le carnet de commandes est fortement plombé par la situation économique et financière, il ne s'est pas trouvé d'initiative privée pour y répondre. On entend parler de banque régionale d'investissement de manière à être à niveau par rapport à nos concurrents allemands ; nous savons très bien que nous avons un réseau de PME qui est important et intéressant, mais, par rapport à l'Allemagne, nous n'avons pas de grosses PME. C'est aussi et surtout parce que le système financier traditionnel ne les soutient pas comme cela est le cas en Allemagne.
Deuxièmement, vous évoquez la future Agence de financement des collectivités territoriales dont l'objectif est aussi d'aider les communes de moindre importance pour qu'elles puissent obtenir des prêts à des taux intéressants, l'objectif de cette agence étant de lancer des emprunts au niveau national. Donc il ne devrait pas y avoir de difficultés à traiter différemment les petites, moyennes ou plus importantes communes. Enfin, à partir du moment où il y a une initiative de l'ensemble des collectivités pour créer cette agence de financement et pour permettre de trouver des liquidités, ne serait-il pas intéressant d'imaginer avec la Caisse des Dépôts et la Banque postale une présence forte des collectivités publiques dans cette nouvelle structure, de telle manière que la puissance publique et les élus contrôlent efficacement les choses afin que ce qui s'est produit avec Dexia ne se reproduise pas.
M. Martial Bourquin, vous êtes sans doute le plus qualifié pour parler de la réindustrialisation avec votre rapport d'avril dernier et votre région a expérimenté durement la crise du secteur automobile. Mais c'est sans doute grâce au fonds de modernisation des équipements automobiles que l'on a eu un des outils les plus réactifs qui a permis de sauver plusieurs dizaines d'équipementiers automobiles grâce à l'association entre les grands groupes et l'État au sein du FMEA : 600 millions d'euros au total dont 200 de Renault, 200 de PSA et 200 du FSI. On peut critiquer le FSI mais la société de sous-traitance aéronautique Mécachrome a pourtant été sauvée par lui, pour le plus grand bénéfice des compagnies du secteur, à commencer par EADS. Je crois que la difficulté est la suivante : nous avons, par rapport à l'Allemagne - où vous dites observer une santé insolente - un écosystème qui n'a strictement rien à voir. Pardonnez-moi de revenir à l'histoire mais, dans le cadre du FSI, nous avons envoyé une mission en Allemagne et j'ai reçu l'ambassadeur d'Allemagne à qui j'ai demandé pourquoi son pays montrait une telle vivacité de ses entreprises familiales. Il m'a répondu : « C'est bien simple, pendant tout le Saint-Empire romain germanique, les 600 princes allemands avaient deux objectifs : avoir une belle université pour le prestige et avoir le maximum d'entreprises pour augmenter les recettes fiscales ». Donc, en Allemagne, il y avait un tissu local amical pour les entreprises et, lorsqu'un industriel réussissait, il n'était pas jalousé. D'ailleurs, cela doit être le cas dans votre région qui est une région de grosses entreprises familiales mais, malheureusement, ce n'est pas le cas dans le reste du pays. Vous dites que la question du crédit est une question clé et c'est vrai. Certes, je parlais des fonds propres des ETI mais je ne conteste pas que le crédit soit un vrai sujet. A tel point que le Médiateur du crédit a pu constater en 2008 que les banques nationales, rapatriant à Paris leurs centres de décisions, s'étaient incroyablement éloignées de leurs clients. Ainsi, M. Martial Bourquin, je crois qu'assez peu de choses nous séparent, si l'on regarde votre rapport d'avril 2011. J'ajoute qu'avec le FSI, nous avons une structure qui associe dans sa gouvernance l'État, la Caisse des Dépôts, les chefs d'entreprises et les organisations syndicales d'employeurs et de salariés. Je suis aussi très attentif à ce que peut dire le Comité d'orientation stratégique présidé par Jean-François Dehecq dans lequel siègent ces syndicats ; nous sommes preneurs de toutes les bonnes idées !
Lorsque je dis, M. Yannick Vaugrenard, que je n'ai pas rencontré d'entreprise me disant qu'elle n'avait pas d'argent pour se financer, c'était uniquement en fonds propres. En termes de crédit, la question est effectivement beaucoup plus sérieuse, mais cela relève plutôt du domaine des banques et d'OSEO.
Monsieur Bourquin, j'assume l'acquisition de Quick qui a été faite par mon prédécesseur. Qualium Investissement est le seul véhicule de la Caisse des Dépôts qui investisse de façon majoritaire. Et en l'espèce, un des fonds géré par Qualium Investissement possède 99 % de Quick... ! Normalement, Qualium Investissement n'investit que dans des transmissions d'entreprises familiales comme Feu Vert ou Carré Blanc et Quick constitue une exception. Néanmoins, je peux vous rassurer en vous disant que la société a été rachetée dans un processus concurrentiel à travers une OPA sous contrôle des autorités de marché sans aucune malversation. La valeur de l'époque était de 800 millions d'euros et nous en avons vendu l'immobilier ; ainsi, le prix de revient de Quick est de 500 millions d'euros, d'où une réelle et large plus-value. Quick est le premier recruteur de France avec McDonald's, soit 25 000 jeunes concernés.
S'agissant de Véolia-Transdev, aidons-nous indirectement Véolia Environnement? Pas le moins du monde, nous sommes à 50/50 dans la gouvernance. Avant cette fusion, il ya avait quatre opérateurs : la RATP, Kéolis, Véolia et Transdev, et nous considérions que la concurrence et la recherche de marchés à l'étranger étaient tellement rudes qu'il y avait un acteur de trop. C'est la raison pour laquelle j'ai accepté la proposition de M. Lebreton de marier Véolia Transports et Transdev. Aujourd'hui, la situation économique est très difficile mais j'assume ce choix. Nous gardons un maximum d'ambition pour cette société et nous prendrons les mesures qui s'imposent.
Sur le rôle de la future Agence de financement des collectivités territoriales, il faut signaler que, lorsqu'elle prêtera, elle demandera que l'emprunteur dote simultanément l'agence en fonds propres. Autant pour les grandes collectivités qui font un raisonnement économique cela peut se concevoir facilement, autant pour les collectivités plus petites cela peut poser plus de difficultés. J'ajoute que cette agence, comme toute banque, fixera des conditions différentes selon le risque. Les collectivités vont-elles facilement l'admettre ? Je ne le sais pas. En résumé, je n'ai aucune raison d'être malheureux que vous appeliez à des réflexions entre l'Agence, d'une part, et la joint-venture Banque postale-Caisse des Dépôts, d'autre part. Cela passera-t-il par une structure à gouvernance commune ? En tout cas, à la Caisse des Dépôts, nous sommes habitués à la gouvernance avec des parlementaires.
Concernant la question de M. Bruno Retailleau, la KFW est notre institution soeur à la différence près qu'elle ne s'occupe pas des fonds propres mais juste des prêts, qu'elle dispose d'un énorme bilan (500 milliards d'euros), et qu'elle prête aux collectivités locales. Toute collectivité dont la dette est inférieure à 750 euros par habitant a une ligne de crédit ouverte automatiquement. Elle est également un mélange d'OSEO et de la COFACE, d'où son dynamisme pour accompagner les entreprises allemandes à l'étranger. Je milite d'ailleurs pour le développement de synergies entre la Caisse des Dépôts et OSEO dont la Caisse des Dépôts détient 27 %. Comment projeter les entreprises françaises à l'exportation ? Cela doit-il se faire par des dispositifs publics ? Pas uniquement, mais ce sera bien volontiers que nous aiderons à la manoeuvre.
La COFACE, depuis trois jours, a décidé de ne plus participer à l'aide de PME pour l'Europe du Sud. D'ailleurs, j'attire votre attention, Monsieur le Président, sur ce problème dont nous devrons débattre rapidement alors même que les banques françaises ont, elles aussi dans le cadre d'emprunts, décidé d'augmenter la participation des entreprises de 10 à 20 %.
Je vous remercie, Monsieur le directeur général, pour cette audition. Compte-tenu du contexte difficile, je pense que nous aurons l'occasion de nous revoir bientôt. En effet, je reste inquiet pour les collectivités territoriales de ma région qui doivent trouver, d'après les chiffres récents, quelque 180 millions d'euros d'ici à la fin de l'année.
- Présidence commune de M. Daniel Raoul, président, et de M. Simon Sutour, président de la commission des affaires européennes -
La commission entend M. Jean Leonetti, ministre auprès du Ministre d'État, ministre des affaires étrangères et européennes, chargé des affaires européennes, sur les conclusions du Conseil européen du 23 octobre 2011.
Je vous remercie, monsieur le ministre, d'avoir maintenu la date de cette audition, qui se trouve de fait placée désormais entre la réunion du Conseil européen de dimanche dernier et celle de mercredi prochain, dans une sorte de suspension de séance. Nous avons conscience d'un écart inévitable entre ce que nous aurions voulu savoir et ce que vous allez nous dire, mais notre calendrier rendait un report difficile.
Je devine que cette première audition conjointe entre nos deux commissions ne sera pas, eu égard au contexte, la dernière. Je remercie la commission des affaires européennes de nous avoir associés à cette audition qui se trouve, en effet, après une première réunion du Conseil déjà repoussée du 18 au 23 octobre, placée aujourd'hui dans un entre-deux. Vous nous présenterez donc des conclusions provisoires, qui doivent être replacées dans le contexte de crise financière majeure que connaît l'Europe, crise marquée par une spéculation sur la dette souveraine que les dirigeants européens ne semblent pas en mesure de contenir tant la crise semble toujours avoir un temps d'avance sur les décisions. Les négociations du 23 octobre n'ont pas abouti, celles du 26 n'ont pas le droit d'échouer : que pouvez-vous nous dire quant aux points qui font l'objet d'un accord et à ceux qui restent négocier ? Le conseil Ecofin doit, le même jour, aboutir sur des mesures relatives au secteur bancaire, qui seront reprises par le Conseil européen. Quelles en seront les conséquences pour les banques françaises ? Quid, enfin, de la position défendue par la France, qui prône un renforcement du FESF (Fonds européen de stabilité financière) et son adossement à la BCE ? Les positions ont-elles réellement évolué ? Est-il envisageable de parvenir à un compromis le 26 ? Quel effort supplémentaire pourrait être demandé à la Grèce, à l'Italie, et peut-être à la France ?
Je vous remercie de m'accueillir entre deux mi-temps dont la première a apporté des éléments qui doivent faciliter la seconde. Les yeux du monde sont tournés vers cette réunion du Conseil européen, qualifiée par beaucoup de « rendez-vous de la dernière chance » tant est puissant le sentiment que l'avenir de l'Europe et l'équilibre monétaire mondial se jouent dans les jours à venir.
Quelle stratégie économique pour la zone euro et l'Europe ? Tel est, je suppose, parmi les sujets abordés, celui qui vous occupe aujourd'hui. Le Conseil a cependant permis d'avancer, également, sur la question du G20 ou la conférence de Durban ; les conclusions du Conseil « Affaires générales » ont également oeuvré pour répondre à la nécessité de voir la croissance au rendez-vous en Europe, une fois la crise passée. Le sujet de préoccupation principal restant, comme de juste, la recherche d'un accord autour de la crise de la dette.
Les craintes d'un défaut et d'un abandon de la Grèce sont levées. L'Europe n'abandonne pas la Grèce, qui ne sort pas l'euro. Ce n'était pas, d'emblée, une évidence, tant restait marqué l'écart entre la position française, préconisant l'alliance de la solidarité et de la discipline, et celle de l'Allemagne, tenant davantage pour la rigueur, au risque de l'abandon.
Le peuple grec est en grande souffrance. Un plan de rigueur strict, alors même que la Grèce manque cruellement d'une administration fiscale digne de ce nom, associé à une récession profonde, ne saurait mettre ce pays en mesure de rembourser à bref délai la dette qui pèse sur ses épaules. Il faut donc la restructurer. Les institutions financières avaient précédemment accepté de renoncer à 21 % de leur créance. Les chiffres avancés sont aujourd'hui plus élevés, de 40 à 60 %. Le débat a lieu avec les banques, car la restructuration ne peut se faire que sur la base d'une décision volontaire du système bancaire, et de telle manière qu'elle n'apparaisse pas comme un défaut ou un « évènement de crédit », au risque de créer un effet de domino.
Depuis l'accord du 21 juillet, le FESF a gagné en souplesse, grâce au vote de l'ensemble des pays, de la France à la Slovaquie. Ce ne fut pas un parcours sans embûches, mais on ne peut pas demander que soient consultés les parlements des dix-sept, voire des vingt-sept démocraties européennes et reprocher à l'Europe d'agir avec lenteur. Les décisions du Conseil de juillet ont donné au FESF un caractère plus opérationnel. Il est doté par les États de 440 milliards, et les dettes grecque, irlandaise et portugaise ne l'amputeront que de 140 milliards. Les 300 milliards restants seront-ils suffisants pour qu'il joue son rôle de tampon ? Sachant que la Grèce ne représente que 2 % du PIB et 4 % de la dette de la zone euro, le problème n'apparaît pas insurmontable. Néanmoins, par un effet de domino, d'autres pays se trouvent touchés, dont l'Italie, troisième puissance économique de l'Europe. D'où l'idée qu'il faut un FESF fort, capable d'opposer un mur à la tentation spéculative. On a parlé de 1 000 milliards, voire de 2 000. Comment y parvenir ?
L'hypothèse française va à un adossement à la BCE, qui est au reste déjà un peu sortie de l'orthodoxie en rachetant de la dette souveraine, au profit des pays en difficulté, ce que certains n'ont néanmoins accepté qu'à condition que cela restât une situation transitoire. Il est vrai qu'assimiler le FESF à une banque pourrait mettre en cause l'indépendance de la BCE, à laquelle l'Allemagne et la France, sont très attachées, et blesser une lecture véritablement orthodoxe des traités. La France n'a cependant pas renoncé à explorer cette piste, même si elle a bien compris que la BCE et l'Allemagne y étaient opposées. De là sont venues d'autres pistes, comme l'aide du FMI en même temps que la création d'un véhicule spécifique de soutien à la dette des pays membres, engageant un partenariat entre fonds publics et fonds privés. L'objectif est de lever des fonds sans une contribution trop forte des États, ce qui pourrait aboutir, pour la France, à une aggravation excessive de sa dette, au risque de fragiliser sa notation. L'hypothèse retenue consiste alors en une « garantie plancher » accordée par le FESF, susceptible de déclencher un effet de levier démultiplicateur.
Reste la question de la recapitalisation. On se souvient que les banques européennes avaient été soumises à des stress tests -fondés sur une hypothèse de croissance négative de deux points sur une période de plus de deux ans- dont l'ensemble des banques françaises se sont sorties avec succès. Cependant, la situation de Dexia, très particulière, était mal prise en compte, puisque les tests ne prenaient pas en compte le problème, fondamental pour cette banque, de la combinaison de prêts de court terme à taux bas et de crédits à long terme à taux plus élevés. Si seules huit banques européennes se sont mal sorties des stress tests, il convient, cependant, de refinancer l'ensemble des banques, et pas seulement les structures les plus fragiles, ne serait-ce que pour éviter un effet de cible, qui verrait les banques soutenues mises en difficulté par les marchés financiers, ainsi avertis de leurs difficultés. Parce que la réponse doit être globale, harmonisée, durable, l'idée d'une recapitalisation de l'ensemble des banques fait son chemin. L'Allemagne souhaite qu'elle se fasse avec la participation de tous les États. L'expertise des banques françaises a montré qu'elles n'ont aucun besoin d'une recapitalisation étrangère à leurs fonds propres, mais seulement d'une anticipation sur le calendrier de Bâle III. Elles devront augmenter leurs fonds propres de 10 milliards, sachant qu'elles l'ont déjà fait, pour ce même montant, au premier semestre. Etant exposées pour 8 milliards d'euros à la dette grecque, la restructuration de celle-ci, dans une hypothèse de 50 % de décote, les expose à une perte de 4 milliards, qui sera largement absorbée par l'effort de renforcement des fonds propres consenti.
Parmi les autres points évoqués, vient l'association des 27 Etats de l'Union européenne aux 17 Etats de la zone euro. J'ai dit à mes collègues du Conseil « Affaires générales » ce que, je le suppose, le Président de la République aura fait valoir à M. Cameron : que l'on ne peut vouloir tout à la fois rester à l'écart de la zone euro et participer aux décisions. Pour mieux connaître la zone euro, ai-je dit à mon homologue britannique, qui a beaucoup d'humour, le mieux serait d'y entrer. Quant à M. Van Rompuy, il a déclaré que les 27 devaient être « informés et impliqués » dans les décisions, mais qu'il n'accepterait en aucun cas les amendements des gouvernements.
Autre point abordé, celui de la discipline budgétaire. Elle doit être au coeur des politiques, sans qu'elles en fassent cependant un élément de récession. C'est pourquoi la France et l'Allemagne ont réaffirmé leur solidarité avec l'Italie tout en rappelant leur vigilance.
Troisième volet, enfin, et d'importance, la question de la renégociation des traités. L'Allemagne milite pour leur révision, selon une double optique. Règles de discipline budgétaire, tout d'abord - et l'on peut comprendre que nos compatriotes d'outre-Rhin requièrent des grands pays qui affichent des déficits importants qu'ils prennent des initiatives, sachant que l'Allemagne est le contribuable habituel des défauts... Elle suggère un cadre comparable à la « règle d'or » telle que proposée en France, ce qui exigerait une vigilance européenne, soit un contrôle préalable ou ex post, pour vérification. Cette proposition est assortie, ensuite, d'un volet relatif à la relance de l'économie, issu de l'initiative française, pour aller vers une gouvernance économique européenne. Puisqu'on est arrivé aux limites du respect des traités, mieux vaudrait les adapter. Le Président de la République a clairement déclaré qu'il ne saurait être envisagé de franchir cette étape supplémentaire sans débat, et que les peuples devaient être associés à une telle évolution. Avec tous les risques que cela comporte. N'allons-nous pas alimenter par là l'euroscepticisme, ainsi que me le faisait remarquer un journaliste ? Mais nous ne pouvons nous soustraire au devoir de pédagogie qui est le nôtre. Utilisons tous les moyens que nous laissent peu ou prou les traités - renforcement du FESF, recapitalisation des banques, restructuration de la dette grecque, puis attelons-nous à leur révision, pour franchir une étape supplémentaire qui verra s'allier solidarité et discipline. Il est acté que M. Herman Van Rompuy présidera pour les deux ans et demi à venir les sommets de la zone euro, le commissaire aux affaires économiques, Olli Rehn, lui étant associé, avec l'objectif d'ébaucher cette gouvernance économique et je dirais sans hésiter, si le mot ne faisait pas si peur à certains, un fédéralisme économique, pour nous assurer la protection que nous souhaitons tous.
Telles sont, en quelques mots, les hypothèses brassées par le Conseil, dont le compte rendu que je viens de faire devant vous ne préjuge en rien de ce qui se passera mercredi.
Notre commission vient d'aborder la recomposition de Dexia. Ce qui m'engage à vous poser la question suivante : si l'on demande aux banques un effort de 50 % dans le cadre de la décote de la dette grecque, comment certaines pourront-elles s'en sortir et quels pourraient en être les effets sur leurs filiales, qui pourraient être touchées par contamination ? Il est vrai que nos banques se sont bien sorties des stress tests, mais la donne est ici toute différente.
Je vous remercie des précisions que vous nous avez apportées. Le Sénat examine en effet, comme l'Assemblée nationale, la situation de Dexia. Nous avons le sentiment que la situation des banques peut se dégrader à tout instant, et à vive allure, sous l'effet des soubresauts de la crise. La crise du crédit, qui pèsera sur l'économie, suscite de fortes inquiétudes, mais plus fortes encore sont celles qui naissent du constat que la crise née des dérives du secteur financier, avec ses répercussions en chaîne, n'est pas traitée par l'Europe. M. Jean-Pierre Jouyet, président de l'Autorité des marchés financiers (AMF) n'a-t-il pas rappelé que 75 % des transactions financières échappent à tout contrôle ?
Vous évoquiez la possibilité de faire évoluer le FESF, tout en rappelant la divergence d'appréciation entre la France et l'Allemagne. Qu'est-ce qui a déterminé la France à préconiser son adossement à la BCE, sachant les conséquences qu'en redoutent les Allemands, échaudés par leur histoire : l'injection, avec le remède, du virus de l'inflation ?
A-t-on tenté d'évaluer le montant des engagements des banques françaises en Italie ?
Nous perdrons, dites-vous, 40 à 60 % de ce qui est dû par la Grèce. Que met en place l'Union européenne pour que l'État grec retrouve des recettes fiscales ? On sait que les contribuables y sont aux abonnés absents, que les entreprises ne payent guère d'impôts et l'Eglise, plus grand propriétaire terrien, pas du tout.
Autre question. Chacun sait qu'un cadre budgétaire strict est indispensable, les gouvernements, de droite comme de gauche, ayant fait preuve d'une grande légèreté. Mais comment rendre la rigueur compatible avec un plan de relance ?
Pour venir à l'appui de ce que disait mon collègue François Marc, je dirai que nous sommes face à deux crises. La première, liée à l'équilibre budgétaire de la Grèce et d'autres pays européens, engage à renforcer le FESF et la gouvernance économique afin d'opposer un mur à la tentation de la spéculation, pour reprendre vos propres paroles. Mais cela m'amène à une autre question, celle du traitement de ces tentations. Car là est la deuxième crise. Si l'on se contente de traiter le surendettement, sans travailler à contenir la capacité spéculative, on entre dans une course sans fin.
Après l'Irlande, la Grèce, le Portugal, voici l'Italie qui requiert une intervention. Il semble que BNP-Paribas soit très exposée sur la dette italienne. Ce pays est la troisième puissance économique de l'Union européenne. Il faut protéger la France, et la zone euro, mais qu'attend-on, en contrepartie, de l'Italie ? Quelle est, enfin, la situation de la France ?
Le président Daniel Raoul m'interroge sur les conséquences de la restructuration de la dette grecque pour nos banques. Les banques grecques se trouvent face à un séisme insurmontable : seule une implication du FESF peut pourvoir à leur recapitalisation. Il n'en va pas de même pour les banques françaises, dont les fonds propres, je l'ai dit, peuvent largement traiter la perte de 4 milliards à laquelle elles seraient exposées, si l'on retient une hypothèse à 50 %. Si donc le problème reste circonscrit à la Grèce, le FESF sera suffisant.
La situation de Dexia, M. François Marc, est très particulière. Le mécanisme d'adossement au franc suisse sur les prêts de long terme associé à des emprunts de court terme à taux bas pose un problème qui est davantage de liquidité que de solvabilité, mais n'en reste pas moins préoccupant en temps de crise. La volonté des États partenaires, au premier rang desquels la France et la Belgique, ont décidé de cantonner les actifs plus risqués, sans toucher à l'argent des déposants et au financement des collectivités territoriales : telle est leur volonté forte.
Comment réguler les flux financiers ? Deux phénomènes se conjuguent. L'euro est en fait une monnaie plus forte que le dollar, mais l'endettement des États de la zone euro est insoutenable. La compétitivité insuffisante de pays qui ont profité de leur entrée dans la zone pour s'endetter facilement, pose à son tour problème. Dans un moment de crise, aggravé par des comptes insincères, un phénomène de spéculation se déclenche, autorisé par la dérégulation des marchés financiers. Notre stratégie, s'agissant de la régulation financière, consiste à régler d'abord le problème européen avant d'affronter ceux qui appartiennent à l'enceinte du G20.
Sans être un tenant de la théorie du complot, on peut attribuer une part des difficultés des banques françaises à s'approvisionner en dollars à une certaine vision outre-Atlantique d'un euro en partie concurrent du dollar. Il faut qu'advienne, au G20, la conscience de notre interdépendance, tant de la part de la Chine, qui ne saurait souhaiter voir ses engagements sur la dette souveraine s'envoler avec la faillite des États, que des États-Unis, dont la croissance serait annihilée par un effondrement de la zone euro.
Le fait est, comme on l'a rappelé, que 75 % des opérations passées sur les marchés sont automatisées, ce qui laisse comprendre comment une crise peut s'amplifier. Un tel phénomène spéculatif est inacceptable. Il faut poursuivre, au plan européen, dans la voie désormais ouverte : taxation des banques, limitation des bonus des traders, surveillance macroéconomique des bulles spéculatives.
Mais il importe avant tout de ne pas voir s'ouvrir le G20 alors que n'aurait pas été réglée la situation de la zone euro, à laquelle on imputerait des fautes dont l'origine n'est pas en Europe. Il faut que la présidence française puisse arriver au G20 avec ce problème réglé, pour négocier sereinement la question de la régulation du système financier international, qui est aujourd'hui totalement déconnecté de l'économie réelle.
L'Italie, M. Alain Chatillon, est un pays économiquement important. La situation qu'il traverse en est d'autant plus dangereuse. Le contrat passé avec elle est clair : les décisions prises doivent se mettre effectivement en route. S'il n'y a aucune raison de ne pas croire au respect des engagements, il reste que cette économie forte est menacée de récession si elle ne prend pas rapidement les mesures convenues.
Conjuguer rigueur et relance est en effet, M. Aymeri de Montesquiou, un exercice délicat. La Grèce est aujourd'hui entrée dans une récession durable, aggravée par son défaut d'organisation administrative. On ne peut lui infliger la rigueur et lui demander la croissance. Si donc la troïka : Commission européenne, FMI et BCE est chargée d'un rôle de surveillance, sont également présents à ses côtés des experts qui doivent l'aider à réorganiser son administration fiscale et à établir un cadastre pour la collecte de l'impôt, et répondre par là à l'engagement courageux qui est le sien. Mais cela prendra plusieurs mois, voire quelques années. D'où l'option de la restructuration, avec l'idée que la Grèce peut se rétablir si elle met en place les structures nécessaires à la croissance de demain.
Le déficit grec est de 17 milliards d'euros et la fraude fiscale... de 17 milliards également. Disons que ce pays n'a pas une grande culture du recouvrement de l'impôt... Des habitudes ont été prises, difficiles à modifier.
Vous ne répondez pas sur l'encadrement des budgets et les plans de relance : comment rendre les deux compatibles ?
La troïka surveille ; elle va débloquer les 8 milliards d'euros de la sixième tranche...
Mais comment rendre compatibles les règles d'or et des plans de relance forcément hors cadre ?
Il y a les versements par la troïka et aussi les fonds structurels : la Grèce en a profité mais les a probablement mal utilisés. Il faut dire oui à la cohésion et l'aide aux territoires, à la recherche, etc. mais sous la double condition de dépenses orientées vers la croissance de demain et d'une discipline budgétaire réelle. C'est à ce prix que la Grèce pourra à nouveau solliciter les marchés financiers. En France, le Président de la République a proposé la combinaison d'une règle d'or et de dépenses d'avenir. Souvenez-vous du débat sur le montant souhaitable pour le plan de relance, du rapport Rocard-Juppé, des 35 milliards d'euros qui représentent, a-t-on dit à l'époque, « l'épaisseur du trait de la dette ». Des projets ont été retenus par des jurys internationaux incontestés, nous avançons vers la croissance de demain, fondée sur l'innovation, la recherche. Notre pays est, comme tous les pays endettés, en difficulté mais il a procédé à une relance sur des objectifs ciblés. J'espère les mêmes décisions au plan européen.
Et si une taxe sur les transactions financières est créée, nous sortirons du système schizophrène dans lequel le parlement national vote une ligne budgétaire sans savoir ce qu'elle recouvre, tandis que le Parlement européen se prononce sur une ligne budgétaire encadrée, dont il peut seulement modifier la ventilation. Quelle frustration pour tout le monde ! Si la taxe est perçue au niveau européen, nous quitterons aussi la logique du « I want my money back »... La France verse 18 milliards d'euros au budget européen, mais il est un peu vain de se demander combien elle reçoit en fonds structurels et en aides européennes. La bonne question est : combien l'Europe peut-elle gagner en croissance ? Les pays en forte croissance, la Suède, le Danemark, le Canada sont tous passés par une phase de rigueur budgétaire associée au financement de la croissance à venir. Nous organisons un rallye automobile à Antibes : les grands compétiteurs disent que le secret de la vitesse sur les petites routes sinueuses, c'est d'appuyer en même temps sur le frein et sur l'accélérateur.
Vous m'interrogez aussi sur la contrepartie exigée de l'Italie : tout simplement, qu'elle respecte ce à quoi elle s'est engagée - c'est ce qu'ont rappelé en conférence de presse le président de la République et la Chancelière allemande. La solidarité sans contrôle, c'est la faillite des Etats - la Grèce par exemple. Mais la rigueur sans la solidarité mène à la récession et la misère des peuples. La solidarité associée à la rigueur est gage d'efficacité.
Nous sommes dans une période d'élaboration des budgets européens pour la période 2014-2020. Notre commission y sera très attentive : le Sénat unanime a voté une proposition de résolution sur la politique de cohésion, présentée à l'initiative de M. Yann Gaillard et de moi-même, soutenant en particulier la création de la catégorie des « régions intermédiaires ». Nous avions auparavant rédigé un rapport sur l'avenir de la politique de cohésion. La bonne ou mauvaise utilisation des fonds structurels ne doit pas servir d'argument pour supprimer en partie cette politique européenne.
Parmi les bons esprits européens que vous avez mentionnés, il faut compter le président de la République et la Chancelière allemande, qui ont imaginé, en cas de non-respect des engagements, des mesures de rétorsion touchant le versement des fonds de cohésion. Or les régions ne sont pas responsables de ce qui a été fait au niveau national et ces gels rendraient leur développement plus difficile. Ce n'est pas une bonne idée.
Il est heureux que les banques françaises procèdent à une recapitalisation autonome, car on sait le niveau des dividendes qu'elles ont versés l'an dernier.
La « dette insoutenable » me semble un concept difficile à manier : est-ce le montant, est-ce la nature de la dette, qui est en cause ? La dette japonaise est importante, mais détenue à 60% par des Japonais... A partir de quand et selon quels critères juge-t-on que la dette est insoutenable ?
Vous parlez, Monsieur le Ministre, du couple discipline-solidarité. Mais ne risque-t-on pas d'avoir la discipline seulement, la solidarité peinant à se mettre en place ? J'ajoute que la croissance de demain exige une politique industrielle, impossible sans liquidité, or il y a aujourd'hui un problème de liquidité ; c'est un frein pour la croissance. Est-il possible de parler de solidarité et de discipline sans envisager la taxe sur les transactions financières ? Enfin, la question des eurobonds n'est-elle pas oubliée dans les négociations ?
Je veux dire à mon collègue Michel Delebarre que les politiques des régions et la politique au niveau national sont imbriquées étroitement : aux régions d'être vigilantes afin que le pays ne soit pas menacé de rétorsions. Mais si le système ne comporte aucune possibilité de rétorsion, il explosera !
La justice sans la force est impuissante, la force sans la justice est tyrannique, ayons cette pensée de Pascal à l'esprit ! Nos politiques ne pourront pas être équilibrées en l'absence de contraintes. Quand un chauffeur de taxi, en Bretagne, me dit « vous qui faites de la politique, ne nous faites pas payer pour les Grecs, ils ont triché », je perçois bien le risque d'une vague populiste. Elle se manifeste en Allemagne, où le peuple se souvient des efforts pour absorber l'Allemagne de l'Est, pour restructurer l'organisation sociale, pour conserver un euro fort, après un mark fort. Et on lui demande d'être solidaire de ceux qui n'ont pas fait d'efforts ! La France estime qu'il ne faut pas abandonner la Grèce, mais il n'y aura pas de solidarité possible sans discipline.
Nous ne pouvons pas nous affranchir de la situation dans les États membres. Contrecoup de la crise, tous ont élaboré leur plan de rigueur. Songez que l'Espagne compte 21% de chômeurs, que les salaires ont baissé de 30% en Grande-Bretagne, où 500 000 postes de fonctionnaires ont été supprimés ! Les rémunérations sont en recul dans tous les pays de la zone euro. On ne peut accepter des restrictions ici et des dépenses à budget européen ouvert là. Nous déplorons aujourd'hui que, parmi les politiques européennes, seule la PAC ait fait l'objet d'une expertise. Ne coupons pas les crédits à des politiques utiles, mais reconnaissons que la Grèce a bien mal profité des aides apportées... Pas de relance, pas de préparation de l'avenir : en période faste, cela ne se sent pas trop, mais en période de crise, cela ne pardonne pas. De la même manière, les bulles spéculatives en Irlande ou en Espagne ont éclaté dés le début de la crise.
Une dette devient insoutenable lorsque le débiteur ne parvient plus à y faire face. La dette italienne n'est pas si volumineuse, mais avec une croissance négative et une chute du commerce extérieur, elle devient très lourde. La Grèce est en récession, n'a ni politique de croissance, ni organisation de collecte de l'impôt, alors que sa dette atteint 165% du PIB : cette dette est insoutenable. La dette américaine, gigantesque, est soutenable car les Etats-Unis fabriquent à leur guise des dollars...
J'ai dit beaucoup de mal des agences de notation, et je ne le regrette pas, mais casser le thermomètre ne fait pas tomber la fièvre. Mieux vaut proposer, au nom de la France, une surveillance des déclarations, des critères de notation objectifs, une transparence sur les décisions. Nous avons besoin des agences de notation, qui ne fragilisent que les pays lourdement endettés : elles n'ont jamais posé problème en Allemagne. Et mieux vaut se rendre fort face à la spéculation qu'espérer supprimer la spéculation. La taxe sur les transactions financières est une obligation morale et politique, a dit le Président de la République, et il n'est pas anormal que soient mis à contribution ceux par lesquels la crise est arrivée, les marchés financiers. C'est une bonne réponse au populisme. En outre, avec les 20 à 70 milliards d'euros que pourrait produire la taxation, l'Europe pourrait prendre des mesures de relance et de croissance. Que les Etats membres appliquent la discipline budgétaire et l'Union européenne s'occupera de la croissance de demain, dans un partage des rôles qui ressemble à celui de l'intercommunalité.
Mais le commissaire européen au budget annonce que la taxe se substituera aux recettes actuelles, et ne s'y ajoutera pas. Quelle est la position du gouvernement français ?
Le gouvernement pense que toute nouvelle ressource propre devrait venir en substitution aux contributions des Etats membres.
Mais il y aura un cercle vertueux, parce que l'on abandonnera la logique du taux de retour ; et les budgets nationaux seront allégés. On trouve immédiatement, à toute nouvelle recette, des affectations multiples. Cependant, commençons par la mettre en place !
Les Anglais, les Suédois, y seront hostiles, il conviendra donc de définir un taux support suffisamment bas pour ne pas susciter de déplacement des transactions financières, mais suffisamment haut pour fournir une recette substantielle.
Nous allons la proposer au G20 ; si les 20 n'en veulent pas, nous la proposerons à l'Union européenne ; si certains Etats membres n'en veulent pas, nous la proposerons à la zone euro.
Il serait bon, si la taxe s'applique aux opérations internationales, que les pays du sud reçoivent une partie de la recette...
Si le produit entre dans le budget européen, ce sera le cas, via les politiques d'aide existantes.
Je comprends votre appréciation de la gestion fiscale en Grèce. Mais sur quelle évaluation fondez-vous votre jugement de mauvaise utilisation des fonds structurels ?
C'est simple : la Grèce reçoit ces aides depuis son adhésion à l'Europe, donc depuis les années 80. Or l'économie ne s'est pas développée dans ce pays. Cette fois, les 8 milliards d'euros de fonds structurels seront versés pour un objet précis, financer la mise en place d'une organisation administrative. Comment imaginer qu'un pays de grande culture, de grand patrimoine, de grand passé, n'ait pas réussi à se doter d'un État et d'une administration d'État ? Comment peut-il avoir si peu d'activités de recherche ? Comment peut-il avoir si peu à exporter ? On suggère un retour au drachme pour augmenter la compétitivité du pays : à quoi bon, s'il y a très peu d'activités exportatrices ?
L'Europe est fautive également, qui a distribué les aides en période de croissance, sans se préoccuper de possibles temps incertains. Désormais, elle cible ses aides sur l'organisation administrative et sur les dépenses qui assureront la croissance de demain.
S'agissant des eurobonds, ils sont en fait une mutualisation immédiate de la dette. L'Allemagne aura les mêmes taux d'emprunt que la Grèce... Je ne suis pas certain que l'idée doive être présentée ainsi. Cependant, le fonds de stabilisation, qui garantit une partie de la dette souveraine des Etats, revient un peu au même.
Une agence de notation a annoncé que si les eurobonds étaient lancés maintenant, elle leur affecterait la même note qu'à la dette grecque... La charge d'intérêt augmenterait de 2 milliards d'euros en France, 5 milliards en Allemagne. Les marchés, eux, seraient bien contents de troquer des obligations portugaises contre des obligations garanties par la France et l'Allemagne ! Lorsque l'on aura monté une muraille contre la spéculation, instauré discipline et solidarité, lancé le FESF, mené des interventions dissuasives, restructuré la dette grecque, alors seulement nous pourrons envisager des eurobonds, dans une Europe intégrée fiscalement et économiquement - voire socialement, car comment demander à une population qui prend sa retraite à 67 ans de garantir des émissions de titres en faveur d'un peuple qui bénéficie de la retraite à 60 ans... C'est ce que le Premier Ministre a dit en parlant de convergence fiscale et sociale. Il est clair qu'il faut un socle de sécurité sociale garanti dans l'ensemble de l'Europe, chaque Etat membre conservant la liberté de faire plus. Une intégration économique partielle nous donnera la liberté par rapport aux spéculateurs - à la condition de respecter une discipline budgétaire, comme la « règle d'or » par exemple ....
Quant aux régions intermédiaires, il faut effectivement éviter de créer une disparité : les régions naguère défavorisées et qui aujourd'hui peuvent être qualifiées de régions intermédiaires vont conserver des aides plus importantes au développement. Il serait inéquitable que ces mêmes aides n'aillent pas aux régions où le PIB par habitant est similaire. Il faut traiter de la même manière les régions comparables.
Depuis le début de son audition, M. le ministre nous tient des propos inquiétants. L'important cependant n'est pas d'être optimiste ou pessimiste, mais d'être déterminé, comme disait Jean Monnet. Je souhaite que vous soyez un ministre déterminé !
Merci de cet échange. Nous aurons l'occasion de nous revoir, en particulier sur la taxation des transactions financières. M. François Marc nous a rappelé que 75% des opérations échappent à la régulation : donc sans doute à la taxation. Je comprends l'idée, j'y adhère, mais comme avec la loi Hadopi du 12 juin 2009, n'aurons-nous pas toujours un métro de retard par rapport aux « flingueurs » des marchés, qui contournent toutes les règles ? Quelle est la faisabilité réelle des eurobonds ? Les créer, n'est-ce pas se tirer une balle dans le pied ? Quel serait le périmètre : zone euro, Union européenne ? Il faudra en débattre.
Demain n'est pas la Pentecôte et je n'attends donc pas que l'Esprit saint descende sur nous ; mais j'espère tout de même que nous aurons de bonnes nouvelles.
Vous avez tenu des propos très durs sur la Grèce - étant président de notre groupe d'amitié avec les parlementaires de ce pays, je suis particulièrement sensible à ce sujet. Et je fais remarquer que la Grèce est sous le regard de la troïka et des experts européens. En tout cas, il ne faudrait pas revenir à des relations d'antan entre peuples d'Europe. Et si l'on critique, que l'on procède aussi à une autocritique !
L'élaboration des budgets européens va se poursuivre au premier semestre 2012. Les politiques territoriales sont très importantes pour les collectivités locales. Quant à la notion de région intermédiaire, ce n'est pas la France mais le commissaire européen qui propose la novation, avec l'accord du Parlement européen. Je suis chagrin de constater que le gouvernement français est à la traîne sur cette question.
Il me reste à vous remercier, monsieur le ministre, de cet échange de vues.