La commission entend tout d'abord une communication de M. Jean Arthuis, président, relative à la simplification et à l'éventuelle réduction du nombre des normes applicables aux collectivités territoriales et procède à un échange de vues entre ses membres.
Mes chers collègues, lors de la conférence sur le déficit de mai 2010, le Président de la République a annoncé un moratoire sur les normes applicables aux collectivités territoriales, dans le cadre de l'objectif de maîtrise de la dépense publique. On peut en effet penser que certaines normes sont des « activateurs » de dépenses pour les collectivités territoriales. Cette annonce visait également à répondre à des critiques qui avaient été formulées, notamment par les élus locaux, sur les coûts parfois inutiles ou disproportionnés engendrés pour les collectivités territoriales par les normes édictées par l'Etat.
Des dispositions ont déjà été prises pour concrétiser cette annonce.
Elle a ainsi été partiellement mise en oeuvre par une circulaire du Premier ministre du 6 juillet 2010 destinée aux ministres et aux secrétaires d'Etat. Cette circulaire prévoit un moratoire sur l'édiction de toute norme « réglementaire concernant les collectivités territoriales dont l'adoption n'est commandée ni par la mise en oeuvre d'engagements internationaux de la France ni par l'application des lois ».
Le champ du moratoire est donc limité puisque les normes résultant directement des dispositions législatives ne peuvent évidemment pas être prohibées, qu'elles aient ou non un coût pour les collectivités territoriales.
En outre, l'édiction des autres normes n'est pas totalement interdite mais sujette à une procédure particulière. Le projet de norme doit être transmis au secrétariat général du Gouvernement et, à la demande du Premier ministre, la commission consultative d'évaluation des normes (CCEN) doit être saisie pour rendre un avis. La circulaire du Premier ministre précise que celui-ci « tiendra compte très strictement de l'avis rendu par la commission pour déterminer si le projet peut être adopté ».
Ce moratoire s'inscrit dans le cadre de la procédure, applicable depuis 2008, de saisine de la CCEN, créée par la loi de finances rectificative pour 2007.
Le législateur a défini de façon très large le champ de compétence de la CCEN, instance créée au sein du comité des finances locales. Celle-ci est obligatoirement consultée sur deux types de textes :
- d'abord, les mesures réglementaires créant ou modifiant des normes à caractère obligatoire concernant les collectivités territoriales, leurs groupements et leurs établissements publics ;
- en second lieu, les propositions de textes communautaires ayant un impact technique et financier sur les collectivités territoriales, leurs groupements et leurs établissements publics.
En outre, le Gouvernement a la faculté de consulter la CCEN sur tout projet de loi ou d'amendement concernant les collectivités territoriales et leurs établissements.
Nous ne disposons pas encore du bilan de l'activité de la CCEN pour l'année 2010 mais, pour 2009, cette commission, présidée par notre ancien collègue Alain Lambert, n'a pas chômé : elle s'est réunie à treize reprises pour l'examen de cent soixante-trois projets de textes réglementaires.
Bien que les avis rendus par la CCEN ne lient pas le Gouvernement, ils ont été largement suivis en 2009 puisque les deux textes ayant suscité un avis défavorable de la commission n'ont pas été publiés et que la CCEN a par ailleurs obtenu à plusieurs reprises que des projets de textes soient modifiés.
L'objectif de la commission n'est pas de refuser toute norme entraînant des coûts pour les collectivités territoriales mais de juger de la pertinence et de la proportionnalité de ces coûts. Ainsi, en 2009, les cent soixante-trois projets de textes examinés par la commission ont induit pour les collectivités territoriales un coût supplémentaire avoisinant les 580 millions d'euros.
C'est pour aller plus loin que ces mesures déjà existantes - le moratoire et la CCEN -, que le Président de la République a sollicité du Sénat, représentant des territoires, un éclairage sur les normes existantes applicables aux collectivités territoriales qui pourraient faire l'objet d'un moratoire, voire d'une suppression.
Le Président du Sénat a donc souhaité que les commissions permanentes concernées soient consultées pour effectuer un travail de recensement des secteurs qui lui semblent prioritaires au regard de la problématique de simplification et de réduction des normes applicables aux collectivités territoriales. Notre contribution, comme celle des autres commissions, sera transmise à la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, présidée par notre collègue Claude Belot, qui travaillera, à partir notamment de ces éléments, à l'élaboration d'un rapport définissant les secteurs prioritairement concernés par la « révision générale des normes ».
Tel est donc l'objet de notre réunion d'aujourd'hui.
Le rapport annuel de la CCEN apporte des éléments utiles pour cadrer nos débats. En effet, il ressort de son activité que les coûts les plus significatifs ont résulté, en 2009, de normes relevant :
- de la fonction publique - que le texte émane du ministère du budget ou du ministère de l'Intérieur - pour 330,6 millions d'euros, soit 57 % du coût total des normes édictées en 2009 ;
- du secrétariat d'Etat au logement - notamment les règles d'urbanisme - pour 87 millions d'euros, soit 15 % du coût total ;
- du ministère en charge de l'écologie - y compris les contraintes pesant sur les services d'eau et d'assainissement - pour 37 millions d'euros, soit 6 % du coût total.
Je vous propose donc d'examiner successivement ces trois secteurs prioritaires, et de tenter d'identifier des normes qui pourraient, le cas échéant, faire l'objet d'un moratoire ou d'une suppression.
Puis, nous pourrons débattre des normes applicables dans d'autres domaines : normes de sécurité, accessibilité - le Président de la République ne souhaitant toutefois pas que soit remise en cause la réglementation prévue pour les personnes handicapées -, crèches, maisons d'assistantes maternelles, droit du travail, normes applicables aux infrastructures sportives, code des marchés publics, etc.
Dans chacun de ces domaines, le champ de compétence de notre commission nous invite à nous attacher principalement aux normes les plus coûteuses pour les finances des collectivités territoriales.
Pour introduire nos débats sur les mesures applicables à la fonction publique, j'ai notamment à l'esprit les remarques formulées par notre collègue Claude Haut et par d'autres membres de notre commission, lors de l'examen annuel du budget de la mission « Sécurité civile ». Ainsi, par exemple, le ministère de l'Intérieur impose dorénavant que chaque service départemental d'incendie et de secours (SDIS) dispose d'un pharmacien pompier professionnel, ce qui entraîne un coût par rapport au simple recours à des volontaires.
Les normes édictées par l'Etat relatives à la rémunération des sapeurs-pompiers et aux contraintes que doivent respecter les SDIS me semblent emblématiques des mesures dont la justification est parfois faible et qui sont prises par l'Etat alors que le coût en est supporté par les collectivités territoriales - en l'occurrence les communes et, surtout, les départements.
Peut-être y a-t-il ici un premier vivier d'économies qui pourrait faire l'objet d'un passage en revue.
Je pense, par ailleurs, au cas d'une petite commune de mon département, qui a dû prévoir un ascenseur pour permettre d'accéder à la cabine du projectionniste de sa salle de cinéma, afin que le poste puisse être occupé, le cas échéant, par une personne handicapée.
Je vous invite à faire part de vos préconisations, tout d'abord en matière de fonction publique, et vous remercie de votre attention.
La délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation a l'intention de rendre un rapport unique, qui sera adopté le 16 février prochain, en tenant compte des contributions des commissions qui ont été sollicitées.
Il est clair que c'est un domaine où des abus existent, notamment depuis que l'Etat n'a plus les moyens d'être le payeur des dépenses et qu'il se contente souvent de prescrire des normes de manière irresponsable.
En ce qui concerne la fonction publique et les normes de sécurité, il est en effet plus facile pour l'Etat d'édicter des normes dont il ne subit pas le coût, celui-ci pesant sur les collectivités territoriales. Deux exemples me viennent à l'esprit.
D'une part, dans les zones rurales, imposer un diamètre minimal pour les conduites d'eau, exigé pour l'obtention du permis de conduire des bâtiments, est non seulement coûteux mais inutile. En effet, cette réglementation est censée aider à la lutte contre les incendies alors qu'en pratique les camions de sapeurs-pompiers disposent toujours de citernes remplies et n'ont pas besoin de ces conduites.
D'autre part, la réglementation des maisons de retraites impose des normes de sécurité drastiques, comportant notamment des surveillances de nuit. Cela a un impact sur le coût des prestations, alors même que l'intérêt de la réglementation, en termes de sécurité, est très limité.
Une grande partie des normes applicables en matière de sécurité incendie datent d'ailleurs d'une circulaire de 1951, devenue obsolète du fait des progrès techniques, et que les ministres de l'Intérieur successifs s'engagent, sans jamais le faire, à modifier.
Je partage ce qu'ont dit mes collègues. Je voudrais par ailleurs insister sur les normes fixées non par l'Etat mais par les fédérations sportives, par exemple en matière d'équipements pour l'accueil des arbitres sportifs, qui me semblent excessivement coûteuses au regard de leur utilité. Il faudrait interpeller l'Etat sur ce transfert de responsabilité.
En ce qui concerne la fonction publique, notamment les sapeurs-pompiers, il me semble plus difficile de remettre en cause les décisions déjà prises. Chaque SDIS ne dispose-t-il pas actuellement d'un pharmacien pompier professionnel ? La décision de généraliser ce poste résulte-t-elle d'une revendication syndicale ?
Elle s'explique surtout par la présence de sapeurs-pompiers professionnels au sein des cabinets des ministres successifs de l'Intérieur.
J'ai bien conscience que le Président de la République ne souhaite pas remettre en cause les décisions prises en matière d'accessibilité pour les personnes handicapées. Toutefois, on sait bien que les objectifs fixés pour 2015 ne seront jamais atteints, les communes n'en ont pas les moyens financiers. Et c'est la crédibilité de la parole politique qui est en pâtira. Je pense qu'il faudrait interroger l'ensemble des maires et sensibiliser l'opinion en rendant public l'état d'avancement de la mise en oeuvre de ces décisions.
Dans une petite commune de mon département, le maire a dû refaire les trottoirs afin qu'ils soient suffisamment larges pour permettre à deux fauteuils roulants de se croiser, alors même que cette éventualité est hautement improbable...
Je suis d'accord avec Marie-France Beaufils en ce qui concerne les normes sportives. Dans mon département, la construction d'un terrain de football a été remise en cause du fait de la modification de la taille réglementaire du terrain.
En outre, il faut signaler que, même en l'absence de tutelle de certaines collectivités sur d'autres, les régions et les départements imposent souvent, pour participer au financement d'investissements communaux, le respect de normes qui, elles aussi, peuvent avoir un coût élevé pour les finances locales.
En effet. Par exemple, mon département ne subventionne les « points lecture » que si leur surface est supérieure à un seuil minimal. Les collectivités territoriales sont ainsi elles-mêmes productrices de normes qui peuvent être coûteuses.
Il faudrait étudier nos voisins européens pour examiner s'ils produisent autant de normes que nous.
J'adhère à tout ce qui a été dit. Notre rôle de parlementaires est de dénoncer les normes inutiles. Je pense par exemple à l'impossibilité de servir des oeufs au plat dans les gîtes de montagne en raison de l'obligation de recourir à des oeufs en barre. Dans un autre domaine, il est fait obligation aux chantiers sur les ponts de prévoir la présence d'une barque sur la rivière enjambée par le pont. Or, je me souviens d'un cas où le chantier avait été verbalisé par des agents de contrôle en raison de l'absence de cette barque, alors même que la rivière était à sec !
Dans le même ordre d'idée, les normes applicables aux chantiers imposent la présence d'au moins un agent de la SNCF lorsqu'ils se situent sur un terrain appartenant à cette entreprise, pour le cas où un train surgirait. Or, cette règle s'applique également, sans aucune justification, aux gares où plus aucun train ne roule...
J'ai rencontré le même problème lorsque j'ai souhaité effacer les tags présents sur des voies de chemin de fer. Un agent de la SNCF était nécessaire malgré la présence de forces de l'ordre.
Par ailleurs, depuis le 1er janvier dernier, le nombre de personnes d'encadrement exigé pour l'accueil des effectifs scolaires dans les piscines a augmenté et cela représente une contrainte supplémentaire.
Le même problème d'un taux d'encadrement excessif se pose pour les activités périscolaires ou les mercredis éducatifs.
L'enjeu de notre débat est essentiellement budgétaire. Or, la part la plus importante des 580 millions d'euros de coût supplémentaire engendré par les normes nouvelles appliquées aux collectivités territoriales en 2009 relève de la fonction publique. Il me semble pourtant difficile de remettre en cause les normes dans ce secteur-là.
En revanche, en matière d'urbanisme, de réels progrès peuvent être faits. Je pense par exemple à la réglementation excessivement tatillonne encadrant l'adoption des plans locaux d'urbanisme (PLU). Ainsi, dans une commune de mon département, le PLU risque d'être annulé par la justice parce qu'il n'a fait l'objet que d'un affichage en mairie au lieu de trois affichages successifs exigés par les normes en vigueur. Au-delà de son coût financier, cette annulation pourrait bloquer la réalisation de projets utiles, alors que le motif de l'annulation serait futile.
Je voudrais revenir sur les propos de Jean-Pierre Fourcade. Je pense qu'il ne faut pas mettre sur le même plan, d'une part, les normes édictées par l'Etat et entraînant un coût pour les collectivités et, d'autre part, la conditionnalité du versement des subventions régionales et départementales, qui ne peut être remise en cause.
Par ailleurs, je m'inquiète des réglementations qui pourraient être adoptées en matière de voirie communale, quand je constate qu'à l'heure actuelle beaucoup de ces routes ne permettent pas le croisement de deux véhicules. Imposer une telle norme serait excessivement coûteux.
Il faut distinguer trois choses :
- d'abord, les normes dont le non respect pourrait entraîner la mise en cause de la responsabilité des élus ;
- ensuite, les normes qui engendrent un risque important d'annulation des décisions locales par les tribunaux administratifs ;
- et, enfin, les normes imposées comme condition au versement de subventions par les collectivités territoriales, qui sont d'une moindre ampleur financière et d'une nature bien différente.
Nous devons nous concentrer sur les deux premiers types de normes.
Le champ du moratoire me semble excessivement restreint. En effet, en ne prenant pas en compte les normes européennes, on exclut de fait plus de 90 % de la réglementation applicable en matière d'environnement. Il faudrait que l'Etat s'engage à évaluer le coût des engagements qu'il prend au niveau européen.
Il y également un problème d'homogénéité dans l'application des normes. Il me semble que certaines normes de sécurité ne sont pas appliquées avec autant de rigueur à Paris que dans les zones rurales.
Sans remettre en cause les règles d'accessibilité pour les personnes handicapées, il me semble que certaines procédures pourraient être allégées. Ainsi, par exemple, la réglementation impose de recourir à un second architecte, différent du maître d'oeuvre d'un chantier, pour vérifier la régularité du bâtiment en matière d'accessibilité. Cette disposition est coûteuse et pourrait être supprimée sans remettre en cause l'application des normes d'accessibilité.
Les élus locaux font souvent preuve de zèle parce qu'ils craignent la mise en cause de leur responsabilité. Il faudrait savoir ne pas toujours céder aux normes dont l'application n'est pas impérative.
En ce qui concerne la réglementation sportive, même les petites communes sont dans l'obligation de prévoir une douche accessible aux personnes handicapées dans les vestiaires des arbitres. Il me semble que cette règle, qui vise à permettre l'accueil de compétitions de handisport, pourrait être assouplie. Un terrain aux normes handisport dans chaque arrondissement serait suffisant.
Pour conclure ce large débat, je vous invite, si vous le souhaitez, à me faire parvenir au plus tard mercredi prochain 19 janvier vos éventuelles contributions écrites, qui permettront de compléter la lettre qui sera transmise sur ce thème au président de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation.
Enfin, la commission désigne M. Éric Doligé comme rapporteur de la proposition de loi organique n° 196 rectifié (2010-2011) de M. Louis-Constant Fleming tendant à l'approbation d'accords entre l'Etat et les collectivités territoriales de Saint-Martin, de Saint-Barthélemy et de Polynésie française.