La mission commune d'information a d'abord procédé à l'audition de M. Fabien Choné, président de l'Association nationale des opérateurs détaillants en électricité (ANODE).
Présentant l'association dont il assure actuellement la présidence, en tant que directeur général de Direct Energie, M. Fabien Choné a indiqué qu'elle fédérait, depuis sa création en septembre 2006 à l'occasion du projet de loi relatif au secteur de l'énergie, les opérateurs détaillants en électricité. Précisant que les fournisseurs d'électricité n'étaient pas forcément des producteurs d'électricité, il a néanmoins considéré que l'intégration en amont était de nature à limiter leurs risques. Puis il a plaidé pour la promotion, en France, d'une organisation de marché libéralisé pleinement efficace, permettant aux consommateurs de disposer des bénéfices de la politique européenne en faveur de la concurrence et des avantages spécifiques de la politique énergétique française.
Estimant cependant que l'organisation actuelle du marché de l'électricité n'était pas optimale, il s'est inquiété de la préservation de la sécurité d'approvisionnement en électricité dans ses trois composantes :
- la sûreté du système électrique interconnecté, qui vise à assurer la continuité et la qualité du transit de l'énergie produite par le parc de production vers les consommateurs ;
- le dimensionnement du parc de production, afin de garantir l'adéquation entre, d'une part, la capacité du parc et la pointe de consommation et, d'autre part, la structure du parc et la nature des besoins en France, exprimée notamment par le prix de l'électricité ;
- les ressources en combustibles pour l'approvisionnement du parc, en particulier en ce qui concerne le gaz, le pétrole ou l'uranium.
a estimé que le dimensionnement du parc était l'une des questions les plus importantes en termes de sécurité d'approvisionnement et, observant que les deux autres thèmes avaient déjà été présentés à la mission d'information dans le cadre de ses précédentes auditions, il a souhaité axer son propos sur cette question. Il a ainsi relevé que, pour favoriser la sécurité de l'approvisionnement en électricité, il convenait de stocker non pas le produit fini, ceci étant techniquement impossible, mais des capacités de production de celui-ci, disponibles en cas de nécessité. Soulignant que, dans cette perspective, il était indispensable de développer des « surcapacités » d'électricité permettant d'avoir le niveau de sécurité souhaité, il a déploré que les marchés d'échange n'expriment aucun signal, par les prix, permettant de mener une politique d'investissements en capacités de production. Il a indiqué qu'en effet, ces marchés rémunéraient l'électricité en elle-même, au coût marginal de fonctionnement, et non les capacités de production de celle-ci, en tenant compte des coûts fixes d'investissement. Observant que le démarrage de ces marchés, en 1999, avait immédiatement entraîné une baisse du prix de l'électricité d'environ 20 %, il a estimé que l'on pouvait théoriquement démontrer que ce pourcentage représente les besoins en rémunération de la capacité de production. Il a en outre souligné que, depuis 1999, aucun investissement conduisant à un accroissement des capacités de production n'avait été réalisé, ce qui témoignait, selon lui, de l'inadaptation actuelle de la formation des prix en termes d'incitations aux investissements. Il a du reste rappelé que l'inscription, dans le contrat de plan Etat/EDF, d'un programme d'investissement de 30 milliards d'euros ne résultait pas d'une décision économique de l'entreprise, fondée sur une analyse de la rentabilité de ces investissements, mais de la volonté politique d'accroître les capacités de production. A cet égard, il a salué la prise en compte par le ministre de l'industrie, lors de son audition par la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale, le 6 juin 2006, des risques de sous-capacités susceptibles de résulter du défaut d'investissement, qui pourraient provoquer une déstructuration du parc de production français.
Afin de préciser les risques en cascade résultant de l'absence de rémunération de la capacité de production de l'électricité, M. Fabien Choné, président de l'ANODE, a expliqué qu'en l'absence de signal par les prix, aucun investissement n'était entrepris, ce qui conduisait, dans un contexte d'augmentation de la consommation, à une tension sur l'équilibre entre offre et demande. Celle-ci, dès lors, entraîne une forte augmentation des prix « spot », et donc des prix à terme (« forward »), qui, si elle permet de compenser l'absence de la rémunération de la capacité « en base », reste insuffisante et, surtout, trop incertaine pour accroître les moyens de production « en pointe ». Aussi, les éventuels investissements restent-ils limités aux moyens « de base » et « de semi-base », ce qui amène à une modification du dimensionnement du parc préjudiciable à la stabilité des prix et aggravant les risques de défaillance.
a ensuite estimé que les orientations actuelles en matière d'investissements étaient certes nécessaires, mais non suffisantes. S'agissant de la programmation pluriannuelle d'investissements (PPI), il l'a jugée indispensable pour provoquer des investissements, mais relevé qu'elle ne résolvait pas le problème structurel de l'absence de signaux de marché pour engager les investissements. En ce qui concerne les interconnexions, il a regretté que la question de l'exploitation du parc de production au niveau européen occulte celle de sa structuration et de sa qualité. Evoquant les enquêtes « concurrence » de la Commission européenne, il a déploré leur focalisation sur les rétentions de capacité plus que sur les rétentions de l'investissement. S'agissant de la séparation entre marchés régulés et non régulés, il a estimé que l'adéquation entre l'offre et la demande était insuffisamment prise en compte par rapport au risque de discrimination, mis en avant par la proposition de séparation patrimoniale des réseaux. Enfin, concernant l'évolution de la directive CO2, il a considéré que l'incertitude pesant sur la pérennité du mode d'attribution des quotas, dont les cours de marché sont intégrés dans le prix de l'électricité, constituait un facteur aggravant pour les anticipations des investisseurs.
En conclusion, M. Fabien Choné, président de l'ANODE, a estimé qu'il était urgent de mettre en oeuvre, en France, un mécanisme de rémunération de la capacité comme il en existe déjà en Espagne, au Royaume-Uni ou aux Etats-Unis, afin de stabiliser le marché de gros de l'électricité en envoyant des signaux de prix adaptés à la décision d'investir. Il a ainsi indiqué que Direct Energie avait proposé la mise en place d'un mécanisme de « primes de capacité » dans le dispositif de responsable d'équilibre géré par RTE, dispositif qui pourrait nécessiter des aménagements législatifs à la marge, notamment à l'article 74 de la loi de programme fixant les orientations de la politique énergétique (POPE) du 13 juillet 2005. A cet égard, pour réduire le risque de défaillance du parc de production, il a fait valoir qu'il était économiquement équivalant de valoriser l'effacement d'une consommation à la pointe, comme le prévoit l'article 74 de la loi POPE, ou de rémunérer un producteur à la pointe. Soulignant qu'EDF s'était également exprimé en faveur d'un mécanisme de rémunération de la capacité, notamment à Bruxelles lors de l'enquête sectorielle de la Commission européenne, il a enfin indiqué que la PPI publiée le 9 juin 2006 avait conclu à la nécessité de mener des réflexions tant sur le niveau de sécurité d'approvisionnement que les pouvoirs publics souhaitent pour le parc électrique national que sur la question du financement des moyens de pointe par des mécanismes de marché.
A l'issue de cette intervention, M. Bruno Sido, président, a souhaité savoir si les vendeurs non producteurs d'électricité constituaient un réel apport pour le marché.
Rappelant qu'en matière d'électricité, il existait deux marchés, celui de la production, libéralisé en 1999, et celui de la fourniture, libéralisé progressivement jusqu'au 1er juillet 2007, M. Fabien Choné, président de l'ANODE, a observé que les fournisseurs d'électricité pouvaient sensibiliser de façon privilégiée les consommateurs aux enjeux environnementaux, mieux en tout état de cause que dans un système de monopole. Estimant ensuite que les gains de productivité étaient moins à attendre dans le domaine de la production que dans le domaine de la fourniture, il a indiqué qu'il fallait se concentrer sur l'activité de fourniture et que la concurrence était le meilleur moyen d'émulation entre les fournisseurs. Il a toutefois mis en garde contre le fait que le marché de la fourniture ne pouvait fonctionner de manière optimale que si le marché de la production fonctionnait lui-même correctement.
s'étant inquiété de l'éventualité d'une augmentation progressive des prix faisant peser sur le consommateur le coût de la rémunération des capacités de production, M. Fabien Choné, président de l'ANODE, a relevé que la possibilité ouverte aux producteurs d'engager des investissements dont la rentabilité ne ferait économiquement pas de doute permettrait, sur le long terme, de stabiliser les prix pour le consommateur et de garantir la sécurité d'approvisionnement.
a voulu connaître l'utilité de l'ANODE pour le fonctionnement du marché de l'électricité et savoir si l'association était favorable à la séparation patrimoniale des réseaux.
Faisant remarquer que peu de consommateurs étaient en mesure d'indiquer précisément la puissance souscrite dans leurs contrats d'électricité et que nombre d'entre eux se désintéressaient de la question de leur consommation, M. Fabien Choné, président de l'ANODE, a réitéré sa conviction que les fournisseurs tenaient un rôle privilégié en matière de sensibilisation des consommateurs à leur consommation, ainsi que dans le domaine de la modernisation et de l'innovation. S'agissant de la séparation patrimoniale, il a estimé radical de la part de la Commission européenne de vouloir l'imposer à la France au vu des conclusions d'enquêtes ayant révélé des dysfonctionnements dans d'autres pays. Jugeant que d'autres alternatives à la séparation patrimoniale pouvaient éventuellement constituer des solutions acceptables, à condition de présenter toutes les garanties d'efficacité et de non discrimination, il s'est par ailleurs déclaré opposé à l'alternative ISO de gestionnaire indépendant, considérant que cette option était lourde des risques inhérents à toute location et rappelant que les conclusions de l'enquête menée à la suite du « black out » italien de 2003 mettaient directement en cause ce système. Puis il a ajouté qu'il était partisan d'une libéralisation régulée, estimant qu'il devrait être possible de choisir d'être producteur pur ou fournisseur pur, indépendamment de l'intérêt stratégique à intégrer l'amont et l'aval.
s'est ensuite interrogé sur l'opinion de la Commission de régulation de l'énergie (CRE) sur l'organisation de marché préconisée par l'ANODE et, à la veille de la libéralisation du marché de l'électricité aux particuliers, sur la manière de garantir un prix avantageux pour le consommateur, alors que les prix à la source sont très différents en fonction des modes de production.
Réaffirmant que les prix devaient rémunérer la capacité, M. Fabien Choné, président de l'ANODE, a répété qu'il était nécessaire de créer des signaux d'investissement permettant des ajustements du marché. Il a estimé que la CRE avait conscience de la problématique, mais que la question de savoir s'il fallait intégrer ces coûts dans le tarif d'accès au réseau ou dans le mécanisme de responsable d'équilibre n'était toujours pas tranchée. Puis, s'agissant des modes de production, il a considéré que le nucléaire devait faire l'objet d'un traitement particulier. Rappelant la spécificité française du maintien et du développement du nucléaire, alors que des décisions contraires ont été prises dans d'autres pays européens, il a jugé que l'établissement d'un prix unique de l'électricité au niveau européen était incompatible avec l'absence de politique énergétique unique et le maintien de différences de coûts de production des diverses sources d'électricité. A cet égard, observant que le surcoût actuel de l'électricité d'origine éolienne était placé « hors marché » tant en France, avec le mécanisme de compensation des charges de service public de l'électricité (CSPE), qu'en Allemagne, il a préconisé un dispositif inversé pour l'électricité d'origine nucléaire, ou encore la valorisation des externalités qu'elle produit en termes de sûreté ou de stockage des déchets, perspective que semblerait désormais admettre la Commission européenne.
Puis M. Bruno Sido, président, a souhaité savoir si les membres de l'ANODE avaient constaté des difficultés d'accès aux réseaux d'électricité, et si l'existence de fournisseurs non producteurs d'électricité était de nature à fragiliser la sécurité d'approvisionnement.
Indiquant tout d'abord que le Réseau de transport d'électricité (RTE) était parfaitement indépendant et que les quelques difficultés techniques étaient toujours traitées de manière non discriminatoire, M. Fabien Choné, président de l'ANODE, a ensuite indiqué, la sécurité d'approvisionnement étant une question physique, que le véritable potentiel de fragilisation de celle-ci était la multiplication du nombre de producteurs d'électricité dans l'organisation actuelle d'un marché ne présentant pas de bons signaux, et non celle du nombre des fournisseurs.
s'étant ensuite interrogé sur le nombre d'entreprises ayant en Europe cette activité de détaillant, M. Fabien Choné, président de l'ANODE, a reconnu qu'elles étaient très nombreuses et que les plus petites d'entre elles, dès lors qu'elles n'exerçaient pas d'activité de production en amont, étaient très sensibles aux fortes variations de prix. Il a ajouté que le nucléaire assurant 80 % de la consommation française, ce secteur devait constituer un domaine d'investissement pour les fournisseurs souhaitant devenir producteurs, comme avait du reste récemment cherché à le faire Direct Energie. S'agissant du tarif réglementé, il a considéré qu'il reflétait légitimement l'avantage comparatif du nucléaire français, tout en soulignant qu'il ne saurait être maintenu qu'à condition de constituer un tarif de référence et d'être soumis à la concurrence. Dans ce contexte, il a insisté sur le fait que les enchères de capacité nucléaire ne devaient s'appuyer ni sur les prix de production des autres Etats européens, ni sur le prix du nucléaire d'ores et déjà amorti, mais sur celui du renouvellement et de l'extension du parc nucléaire.
Enfin, à M. Jean-Paul Amoudry, qui lui demandait si des opérateurs détaillants en électricité avaient des collectivités publiques pour clients, M. Fabien Choné, président de l'ANODE, a répondu positivement, indiquant que, par exemple, Direct Energie fournissait Versailles depuis 2006 et Caen depuis 2007, deux communes dont il a salué le courage dans le contexte d'informations actuel, ainsi que la confiance qu'elles placent dans cette nouvelle organisation du secteur.
Il a conclu en soulignant l'excellente gestion par RTE de la panne du 4 novembre dernier, jugeant les désagréments subis par 5 millions de consommateurs pendant moins d'une heure bien préférables aux effets du « black out » italien de septembre 2003, qui avaient privé 50 millions de personnes d'électricité pendant plus de trente heures. Il a estimé que cette panne avait révélé l'importance du compromis coût/qualité dans la gestion des réseaux et la nécessité de maintenir le bon équilibre trouvé à cet égard par le gestionnaire français.
La mission commune d'information a ensuite procédé à l'audition de M. Henri Prévot, ingénieur général des mines, auteur du livre « Trop de pétrole ! Energie fossile et réchauffement climatique ».
a tout d'abord expliqué que les menaces sur la sécurité d'approvisionnement électrique pouvaient découler, d'une part, de facteurs accidentels, tels qu'un problème sur le réseau, une tempête ou une hausse imprévue de la demande, comme pendant l'été 2003 et, d'autre part, de raisons chroniques, liées à des difficultés récurrentes en matière de fourniture d'électricité du fait d'une insuffisance globale de l'offre, avec des conséquences importantes en termes de délestage. Il a annoncé qu'il allait centrer son exposé sur l'inadaptation du potentiel de production par rapport à la demande à moyen et long terme, avec en toile de fond l'impérieuse nécessité de lutter contre les émissions de gaz à effet de serre (GES). Il a tenu en effet à souligner que les questions de l'épuisement des ressources fossiles et de l'augmentation de l'effet de serre ne pouvaient pas être mises sur le même plan, dans la mesure où la consommation par l'humanité de l'ensemble des ressources disponibles en pétrole, gaz et charbon, entraînerait des dommages dramatiques du fait d'une augmentation très importante de la température de la planète. Dès lors, le problème serait donc plutôt celui d'une surabondance des énergies fossiles, dont les coûts ne sont aujourd'hui pas suffisamment élevés pour inciter à réduire leur consommation.
Dans ce contexte, M. Henri Prévot s'est demandé comment il serait possible de respecter l'objectif de la division par deux, voire par trois, des émissions de GES en trente ans, conformément à l'article 2 de la loi de programme du 13 juillet 2005 fixant les orientations de la politique énergétique (loi POPE), en tenant compte à la fois des marges en matière d'économies d'énergie et des contraintes financières imposant de choisir les solutions les moins onéreuses, plus acceptables pour les citoyens.
En ce qui concerne les économies d'énergie, rappelant que l'article 3 de la loi POPE prévoit un rythme annuel de réduction de l'intensité énergétique finale à 2 % dès 2015 et à 2,5 % d'ici à 2030, il a estimé cet objectif réalisable par la stabilisation de la consommation d'énergie dans le transport et le chauffage, et sans faire peser des contraintes plus lourdes sur les entreprises industrielles, qui subissent la concurrence internationale. Il a évoqué concrètement l'utilisation de techniques prometteuses combinant les différents types d'énergie comme les véhicules hybrides, les batteries, le stockage de la chaleur dans les nappes d'eau souterraines, les pompes à chaleur ou encore l'utilisation de l'électricité comme une résistance introduite dans l'eau du chauffage central en période de pointe, technique qui permet d'arrêter d'utiliser de l'électricité en pointe et aux consommateurs équipés de « s'effacer » pendant ces périodes.
S'agissant ensuite du bouquet énergétique permettant d'atteindre l'objectif de diminution d'émission des GES, M. Henri Prévot a considéré qu'en dehors de la biomasse et du nucléaire, les différentes sources d'énergie renouvelables ne pourraient contribuer qu'à hauteur de 10 % du résultat à atteindre. Les éoliennes ont ainsi une production à la fois faible, aléatoire et coûteuse. L'utilisation de l'énergie fossile avec stockage du gaz carbonique, même si elle devenait possible, serait quant à elle deux à trois fois plus chère que l'énergie nucléaire et pourrait poser des problèmes au regard de l'étanchéité des sites. L'énergie hydraulique, l'utilisation de la mer et des déchets urbains, la géothermie profonde et les cellules photovoltaïques se heurtent enfin à des limites techniques ou financières, tout au moins dans les trente prochaines années. Aussi a-t-il estimé en conclusion qu'avec une stabilisation de la consommation d'énergie et une mobilisation maximale de la biomasse, une augmentation de la capacité nucléaire de 50 % en trente ans serait nécessaire pour diviser par deux les émissions de GES, et de 80 % pour les diviser par trois. Cet objectif impliquerait concrètement le lancement de deux ou trois tranches nucléaires par an.
Relevant que le coût de production de l'électricité était essentiel pour analyser correctement la problématique de la sécurité d'approvisionnement, M. Henri Prévot a indiqué qu'avec une hypothèse où le baril de pétrole coûte 100 dollars, il suffisait qu'une centrale nucléaire fonctionne 800 heures dans l'année, soit moins d'un dixième du temps, pour que le coût de production soit inférieur à celui d'une centrale au gaz. Il a reconnu néanmoins que les variables étaient nombreuses, soulignant notamment l'importance du coût de financement des investissements. A cet égard, il a précisé que le coût de production en continu du MW d'origine nucléaire était de 30 euros si le taux d'emprunt pour financer les infrastructures était fixé à 8 %, et de 22 euros seulement, soit un écart de 30 %, si ce taux d'intérêt était de 4 %, niveau habituellement retenu pour les investissements publics.
Il a enfin estimé que les intérêts stratégiques de la France devraient la conduire à mettre en place rapidement, même de façon isolée, une politique de réduction des GES, dans la mesure où cela permettrait d'anticiper sur une très probable prise de conscience au niveau mondial, dans les années à venir, de l'urgence de la situation, ainsi que sur une vraisemblable aggravation des tensions sur les sources d'approvisionnement en énergies fossiles.
Après cette intervention, M. Marcel Deneux, rapporteur, a demandé s'il était possible de diminuer la consommation de pétrole dans le domaine des transports, quelles étaient les perspectives en matière d'approvisionnement en uranium et si les prévisions de l'intervenant en matière de stockage des émissions de CO2 n'étaient pas trop pessimistes.
a tout d'abord estimé que, compte tenu de la croissance assez modérée de l'usage de la voiture et des distances parcourues, estimée autour de 0,5 % par an, de l'amélioration de l'efficacité des moteurs, de l'augmentation de l'utilisation et du rendement des biocarburants, et du développement des voitures hybrides, les émissions liées au transport ne devraient pas augmenter. S'agissant de l'approvisionnement en uranium, il a considéré qu'il serait une source d'inquiétude moindre lorsque la technologie des surgénérateurs sera devenue fiable, dans la mesure où les besoins des surgénérateurs en uranium sont 200 fois moins importants que pour une centrale traditionnelle. Quant au stockage du CO2, il a souligné que même si les technologies devenaient parfaitement fiables, le coût en resterait très largement supérieur à celui de l'énergie nucléaire à l'échéance 2035.
A Mme Nicole Bricq qui souhaitait savoir, en évoquant une rémunération du financement à 4 % seulement, s'il préconisait un financement du nucléaire par un acteur public, M. Henri Prévot a répondu par l'affirmative en remarquant que le taux d'emprunt était plus élevé pour une société privée que pour un établissement public garanti ipso facto par l'Etat, et qu'une entreprise demandait une rentabilité de son capital investi également plus élevée, notamment du fait de l'incertitude pesant sur la stabilité du choix politique en faveur du nucléaire.
Revenant sur la proposition d'augmenter très significativement la production d'énergie nucléaire, M. Bruno Sido, président, s'est interrogé sur les difficultés à trouver des lieux d'implantation des centrales face à l'opposition des populations, sur le respect de la loi sur l'eau, sur la gestion des déchets et sur l'impératif de renforcement des réseaux pour transporter le surplus d'électricité, rappelant que la construction d'un nouveau segment de réseau exigeait plus de temps que celle d'une centrale nucléaire et rencontrait les même problèmes d'acceptabilité par l'opinion.
Après s'être déclaré convaincu que les conséquences du réchauffement de la planète ainsi que les risques d'approvisionnement en matières fossiles (pétrole, charbon et gaz) feront adhérer les populations à la solution nucléaire, ce qui permettra plus facilement de déterminer de nouveaux emplacements pour les centrales, M. Henri Prévot a jugé qu'il serait opportun de favoriser la construction des certaines centrales en bord de mer, ce qui rendrait nécessaire de modifier la loi « Littoral ». S'agissant des déchets, il a répondu qu'il préférait des déchets, même dangereux comme les déchets nucléaires, concentrés et localisés de manière à être surveillés, que les émissions de gaz carbonique, lequel est incontrôlable, non traçable et très meurtrier. A cet égard, il a mis en avant l'intérêt des surgénérateurs, qui permettront de diminuer les déchets.
A une question de M. René Beaumont sur l'intérêt de l'utilisation des déchets urbains pour produire de l'énergie, M. Henri Prévot, bien que reconnaissant l'utilité du biogaz, a répondu qu'il était beaucoup plus efficace d'utiliser la chaleur issue de la combustion des déchets directement dans les réseaux de chauffage urbain que pour la production électrique. A ce titre, il a estimé que la collecte des déchets ménagers pour le recyclage avait peu d'intérêt et a plutôt préconisé la mise à l'écart systématique des déchets dangereux, afin de pouvoir brûler aisément l'ensemble de la collecte.
ayant demandé quel était le périmètre pertinent pour l'action de la France, M. Henri Prévot, considérant que l'essentiel des mesures pouvait être pris au niveau national, notamment concernant le bouquet de production de l'électricité ou en matière d'urbanisme, a jugé qu'il était très important pour la France d'anticiper sur le moment où l'ensemble des pays prendrait des dispositions. Il a néanmoins souligné que, s'agissant des véhicules hybrides, dont la production est conditionnée par l'existence d'un marché international, ou de la taxation du gazole consommé par les transports routiers, seule, une action coordonnée au niveau européen pouvait être envisagée. Il a en revanche vivement critiqué l'organisation actuelle du marché des quotas de gaz carbonique qui, selon lui, encourage les industries émettrices à s'implanter dans d'autres pays, ce qui pénalise ainsi les pays européens sans réduire pour autant les émissions de GES dans le monde.
La mission commune d'information a ensuite procédé à l'audition de M. Alberto Martin Rivals, directeur général d'Endesa France, et de M. Stéphane Morel, directeur des moyens.
a tout d'abord présenté brièvement le groupe Endesa, premier électricien espagnol et l'un des cinq plus grands groupes européens du secteur, présent dans quinze pays. A cette fin, il a cité les principaux chiffres caractérisant Endesa, à savoir :
- l'emploi de 27.000 collaborateurs, dont moins de la moitié exercent leur activité en Espagne ou au Portugal ;
- un chiffre d'affaires consolidé de 20.580 millions d'euros en 2006 ;
- une capacité installée de 45.908 mégawatts (MW) et une production de 185,3 térawattheures (TWh) ;
- des ventes de 203,3 TWh à 23 millions de clients.
Puis il a rappelé qu'Endesa avait acquis, en 2004, la majorité du capital de l'ancienne Société nationale d'électricité et de thermique (SNET), ancienne filiale de Charbonnages de France (CdF), devenue Endesa France. Il a précisé que cette entreprise employait 1.072 personnes et qu'elle avait réalisé en 2006 un chiffre d'affaires consolidé de 1.036,5 millions d'euros, pour un résultat net de 64,6 millions d'euros. Il a également indiqué qu'en incluant les chiffres de Byalistok, filiale polonaise d'Endesa rattachée à Endesa France, sa capacité installée représentait 2.807 MW et sa production 9,9 TWh, pour des ventes de 19 TWh, dont 4,5 TWh à des clients éligibles.
a ensuite détaillé les capacités de production d'Endesa France, soit quatre centrales et sept tranches thermiques pour une capacité totale de 2.477 MW répartie entre la centrale Emile Huchet à Saint-Avold (1.086 MW), la centrale de Provence à Meyreuil-Gardanne (868 MW), la centrale Lucy à Montceau-les-Mines (270 MW) et la centrale d'Hornaing (253 MW).
En réponse à une demande de précision de Mme Nicole Bricq, il a indiqué que 65 % du capital d'Endesa France appartenait à Endesa Europe, elle-même filiale à 100 % d'Endesa, EDF possédant pour sa part 18 % du capital de l'ancienne SNET, dont CdF a conservé 17 %. Puis il a évoqué la composition du capital de la holding Endesa, expliquant qu'elle était privée à hauteur de 97 % et cotée en bourse, ses deux principaux actionnaires étant le groupe de bâtiments et travaux publics Acciona et l'institution financière Caja Madrid. Il a déclaré que la valorisation boursière du groupe s'établissait aux environs de 40 milliards d'euros, soit approximativement la moitié de celle d'EDF.
Puis M. Alberto Martin Rivals, directeur général d'Endesa France, a dressé un bilan de la consommation française d'électricité, constatant qu'entre 1990 et 2005, sa croissance annuelle moyenne s'élevait à 2,2 %, qu'il s'agisse de la consommation de base ou de la consommation de pointe. Il a souligné que, corrigée de l'effet des variations d'activités de l'usine d'enrichissement d'uranium d'Eurodif et des variations saisonnières, l'année 2006 s'inscrivait dans cette tendance, avec une hausse de 1,8 %. Puis, à partir d'une analyse du marché de la pointe électrique, il a constaté que sa couverture s'était dégradée de 17.000 MW entre 1990 et 2005, relevant, de plus, que ce phénomène s'était considérablement accéléré au cours des cinq dernières années. Il a illustré son propos par deux descriptions :
- celle de la courbe de production de l'année 2004, qui montre que la production d'électricité hydraulique au fil de l'eau et d'origine nucléaire ne suffit pas à couvrir les besoins de la France pour les trois quarts des jours de l'année ; il en a déduit que l'électricité d'origine thermique devrait s'imposer en tant que complément naturel, étant rentable pour une utilisation de 3.000 heures par an, à l'inverse des centrales nucléaires ;
- celle de la couverture d'une journée d'hiver ordinaire, qui révèle la nécessité d'importer de l'électricité durant un nombre d'heures significatif ; il a fait valoir que, si la tendance à l'augmentation du marché de la pointe poursuivait sa croissance de 2 % par an dans les années à venir, la part des importations, en particulier d'Allemagne, risquait de s'accroître, ce qui pourrait constituer un facteur d'incertitude à long terme.
a alors présenté une vision d'un marché électrique français dual : un système de base, essentiellement assuré par le nucléaire et fonctionnant bien, et un système de pointe, qui recourt aux autres types de production et qu'il a estimé fragile. Il a expliqué, à cet égard, que, du fait des contraintes réglementaires en vigueur, des groupes à charbon et à fuel, représentant 4,5 GW, devraient être fermés d'ici à 2015, de même que 3,6 GW de capacités de réserve, et que, de plus, 5,9 GW de fuel devraient être limités à un fonctionnement de moins de 500 heures par an à cette même date. Il a enfin indiqué que, selon une analyse de RTE, la société gestionnaire du réseau de transport d'électricité, 1,6 GW seraient nécessaires à partir de l'été 2008 pour maintenir la sécurité d'approvisionnement à un niveau convenable, les moyens supplémentaires à installer avant la fin de l'année 2015 s'élevant à 7,3 GW et concernant essentiellement la « semi base » et la pointe, besoins que la filière thermique est à même de couvrir.
Puis M. Alberto Martin Rivals, directeur général d'Endesa France, a exposé le plan de développement industriel d'Endesa France, qui se compose de :
- cinq centrales à gaz à cycle combiné (CCGT), sur les sites d'Emile Huchet (800 MW) et Hornaing (400 MW), pour lesquels Endesa France a déjà obtenu un permis de construire, de Lucy (400 MW), pour lequel le permis est attendu dans les mois à venir, et de Lacq (800 MW) et de Meyreuil-Gardanne (400 MW), pour lesquels les formalités administratives sont en cours ;
- un projet de centrale à charbon propre, d'une capacité de 700 MW, au Havre ;
- plusieurs projets d'éoliennes, d'une capacité totale de 47 MW.
Un débat s'est instauré à l'issue de cette présentation.
a souhaité savoir pourquoi Endesa France n'avait pas prévu de projet de développement de capacités de production en Bretagne, région pourtant déficitaire en matière de production d'électricité, et connaître les conséquences du possible rachat d'Endesa par le groupe allemand E.ON.
Après avoir indiqué que la candidature d'Endesa à un appel d'offres pour un projet en Bretagne n'avait pas été retenue, M. Alberto Martin Rivals, directeur général d'Endesa France, a relevé qu'E.ON, initiateur d'une offre publique d'acquisition (OPA) sur Endesa, avait déclaré vouloir garder le plan industriel de l'énergéticien espagnol, comparant la possible position future de celui-ci au sein du groupe E.ON à celle d'Electrabel au sein de Suez, qui a su lui conserver une identité et une assez large autonomie. Il a déclaré qu'il n'attendait donc pas de conséquences négatives d'une prise de contrôle d'E.ON sur Endesa, jugeant de plus qu'un tel rapprochement pourrait permettre à Endesa de diversifier ses sources d'approvisionnement en gaz.
ayant demandé d'où provenait le charbon utilisé par Endesa France pour le fonctionnement de ses centrales thermiques, M. Alberto Martin Rivals, directeur général d'Endesa France, a indiqué que, si la localisation des centrales thermiques de la SNET s'expliquait historiquement par celle des bassins houillers de CdF, lesdits bassins étaient à présent épuisés. En conséquence, Endesa France doit importer 90 % de ses besoins de charbon, achetés auprès de sources diversifiées. Observant que la localisation des centrales d'Endesa France renchérissait aujourd'hui sensiblement l'acheminement de ce charbon depuis les ports, il a confirmé à M. Marcel Deneux, rapporteur, que c'était bien ce facteur de proximité qui avait conduit Endesa France à projeter de construire une centrale de « charbon propre » au Havre.
ayant ensuite voulu savoir si la configuration actuelle du marché français de l'électricité était incitative à l'investissement pour des acteurs privés comme Endesa, M. Alberto Martin Rivals, directeur général d'Endesa France, a répondu par l'affirmative, rappelant les besoins structurels de ce marché qu'il avait développés dans son exposé liminaire. Il a, de plus, considéré favorablement la libéralisation du marché de la fourniture d'électricité en France, ainsi que l'établissement de Powernext. En revanche, il a estimé que l'établissement du tarif réglementé transitoire d'ajustement du marché (TARTAM) par la loi du 7 décembre 2006 relative au secteur de l'énergie pouvait constituer un frein au développement commercial en France, considérant toutefois que le caractère provisoire de ce dispositif, prévu pour durer deux ans, ne devrait pas le rendre trop pénalisant.
a alors demandé à l'intervenant de préciser si le maintien de tarifs administrés d'une part, et le TARTAM d'autre part, pouvaient décourager l'investissement privé dans le secteur électrique.
En réponse, M. Alberto Martin Rivals, directeur général d'Endesa France, a souligné que, s'ils étaient très inférieurs au prix du marché, des tarifs réglementés ne pouvaient pas avoir un caractère incitatif. Puis il a précisé qu'il s'agissait surtout de savoir quelle proportion du marché était concernée par les tarifs réglementés, estimant que les industriels n'avaient pas autant vocation à en bénéficier que des ménages à revenus modiques.
A M. Marcel Deneux, rapporteur, qui souhaitait savoir si Endesa France avait des relations avec Exeltium, le groupement de consommateurs dits électro-intensifs, M. Alberto Martin Rivals, directeur général d'Endesa France, a répondu par la négative, expliquant que la relative petite taille de sa société et sa spécialisation sur le marché de la pointe ne correspondait pas aux besoins du consortium. M. Stéphane Morel, directeur des moyens d'Endesa France, a précisé que, bien qu'ayant participé à la table-ronde réunie autour du ministre délégué à l'industrie, Endesa France n'avait pas été en mesure de répondre à la demande exprimée par Exeltium.
s'est ensuite demandé si le mouvement de concentration observé dans le secteur de l'énergie en Europe favorisait la sécurité de l'approvisionnement électrique, et s'est posé la même question au sujet de la multiplication des fournisseurs d'électricité.
répondant d'abord à cette seconde interrogation, a observé que le marché espagnol, historiquement fragmenté entre cinq ou six groupes distincts, fonctionnait correctement, y compris en termes d'investissement productif, seule une décision gouvernementale ayant gelé le développement d'un parc nucléaire espagnol à son niveau de capacité actuel, égal à 8.000 MW. Il a toutefois considéré qu'une dispersion excessive entre un plus grand nombre d'acteurs de petite taille pourrait être plus néfaste.
Puis, revenant sur la première question du président, il a jugé que les regroupements n'avaient pas le même effet selon qu'ils concernent des entreprises agissant sur le même marché, nécessitant une grande vigilance des pouvoirs publics et des autorités de régulation, ou d'entreprises exerçant sur des marchés différents. Dans ce dernier cas, qu'illustre le possible rapprochement d'E.ON et Endesa, il a estimé que ces opérations ne pouvaient affecter le fonctionnement des marchés et qu'au contraire, l'atteinte d'une taille critique par certains groupes pouvait être bénéfique en termes tant de capacité d'investissement, par exemple dans le nucléaire, que de capacité de négociation face aux producteurs de gaz naturel.
lui ayant demandé son opinion sur la séparation de propriété entre fournisseurs d'électricité et gestionnaires de réseau de transport, et si son entreprise avait eu des problèmes d'accès au réseau géré par RTE, M. Alberto Martin Rivals, directeur général d'Endesa France, a jugé fondamental que les gestionnaires des réseaux de transport d'électricité et de gaz soient des acteurs réellement indépendants, afin d'éviter toute situation de conflit d'intérêt. A cet égard, il a considéré que la séparation de propriété constituait une réponse indiscutable, mais que d'autres solutions pouvaient être envisagées, citant la fixation de mécanismes particulier de nomination des administrateurs des gestionnaires de réseaux ou encore des audits précis et fréquents des régulateurs. Il s'est félicité de l'indépendance manifestée par RTE, se demandant toutefois si cette saine attitude n'était pas plus liée aux hommes qu'aux structures et plaidant pour que le système lui-même garantisse une telle indépendance.
Il a enfin insisté quant à l'importance que, dans le secteur du gaz, non seulement le gestionnaire du réseau de transport, mais encore celui des capacités de stockage de gaz naturel soient indépendants par rapport à Gaz de France, un accès égalitaire auxdites capacités constituant un élément-clé de développement du marché.
A M. Jean-Paul Amoudry, qui souhaitait connaître l'effort d'Endesa en matière de recherche et développement (R&D), M. Alberto Martin Rivals, directeur général d'Endesa France, a indiqué que son groupe investissait 100 millions d'euros par an en R&D, principalement dans les domaines du captage du CO2, de l'amélioration de l'efficience des centrales électriques, du développement de l'énergie solaire, de l'automatisation des réseaux et de la pile à combustible.
Enfin, répondant à M. Marcel Deneux, rapporteur, qui s'inquiétait de la trop grande visibilité des éoliennes d'Endesa figurant dans le document ayant servi de support à sa présentation, M. Alberto Martin Rivals, directeur général d'Endesa France, a précisé que son entreprise n'avait pas encore installé d'éoliennes en France et que, dans certains sites, des contraintes réglementaires liées à la sécurité aérienne imposaient une certaine visibilité.