Le projet de budget de la défense pour 2011 s'inscrit dans le cadrage établi par le projet de loi de programmation des finances publiques pour la période 2011-2013. Ce nouveau cadrage triennal a été fortement conditionné par la nécessité de redresser nos finances publiques. Les objectifs qui avaient été fixés par la loi de programmation militaire ont dû être retouchés, mais la défense a bénéficié d'une attention prioritaire : à la différence des autres ministères, elle verra ses crédits progresser sur les trois prochains exercices. En outre, les prévisions de recettes exceptionnelles ont été revues à la hausse et nous avons désormais sur ce point des perspectives un peu plus concrètes et encourageantes, puisque nous connaissons le calendrier de vente des fréquences.
L'impact des réductions opérées par rapport à la loi de programmation me paraît assez modeste sur l'exercice2011. Il sera en revanche plus sensible à partir de 2012 et au-delà. Je souhaiterais que vous nous indiquiez, monsieur le ministre, les conséquences précises de ce nouveau cadrage budgétaire par rapport aux objectifs de la LPM. Y aura-t-il des incidences sur les effectifs et sur le fonctionnement, domaines dans lesquels l'effort est déjà très important ? Nous souhaiterions également connaître l'impact sur les équipements, puisqu'un certain nombre de décalages de programmes ou d'étalements des paiements ont été annoncés.
Le budget 2011 marque aussi la troisième année de mise en oeuvre de la réorganisation du ministère. Les déflations d'effectifs, les dissolutions et regroupements d'unités, les réformes liées à la RGPP sont désormais largement avancées. Les économies réalisées devraient être significatives. Ont-elles jusqu'à présent été conformes à ce qui était attendu et comment ont-elles été réutilisées dans les dépenses du ministère?
Enfin, au-delà de la présentation des crédits pour 2011, peut-être pourriez-vous nous donner votre sentiment sur l'avenir de notre défense au moment où, chez beaucoup de nos partenaires, les coupes budgétaires sont beaucoup plus brutales. La coopération et la mutualisation sont plus que jamais à l'ordre du jour. Avons-nous aujourd'hui des pistes concrètes avec nos partenaires, et notamment avec les Britanniques ?
Les crédits budgétaires prévus par la loi de programmation militaire (LPM) pour la période 2011-2013 étaient devenus incompatibles avec l'effort de redressement des finances publiques. Ils ont donc été réduits de 3,6 milliards d'euros sur cette période. Toutefois, la défense reste une priorité de l'Etat : son budget passera de 30,160 milliards d'euros en 2011 à 30,5 milliards en 2012 et 31 milliards d'euros en 2013, alors que celui d'autres ministères diminue. Aux crédits budgétaires s'ajouteront des recettes exceptionnelles pour un montant total de 3,3 milliards d'euros, supérieur de 2,3 milliards aux prévisions de la LPM. La perte de recettes nette cumulée ne s'élève donc qu'à 1,3 milliard d'euros pour ces trois années, à 40 millions seulement cette année. En 2011, nous attendons 1 milliard de recettes exceptionnelles dont 150 millions de produits de cessions immobilières -je tiens à la disposition de vos rapporteurs la liste des emprises concernées- et 850 millions de produits de cessions de fréquences.
Le budget de la défense pour 2011 confirme la priorité donnée aux équipements, auxquels nous prévoyons toujours de consacrer 17 milliards d'euros par an en moyenne au lieu de 15 milliards dans le cadre de la précédente LPM. En 2009, nous avons même consommé 18 milliards d'euros grâce au plan de relance ; notre objectif pour 2010 est de 17 milliards, même s'il sera difficile à tenir en raison des dysfonctionnements du logiciel Chorus durant cinq mois, qui nous ont parfois obligés à revenir au traitement manuel pour le paiement des entreprises.
Nous continuerons à augmenter la provision pour opérations extérieures (Opex), qui passera de 570 à 630 millions d'euros : comme vous le savez, les Opex ne sont plus financées par des ponctions sur les crédits d'équipement. La différence entre les provisions et les dépenses réelles est intégralement remboursée par la réserve de précaution interministérielle. Comme je l'ai dit, les recettes de la défense seront inférieures de 1,3 milliard d'euros aux prévisions sur la période 2011-2013, mais c'est moins que les sommes naguère prélevées sur les crédits d'équipement pour financer les Opex !
Parmi les nouveaux équipements, que nous ne devons pas oublier, il faut mentionner les deux frégates anti-aériennes Horizon admises au service actif cet automne, ainsi que notre flotte de 93 Rafale -j'ai entendu Jean-Marc Ayrault dire ce matin sur RTL que les nouvelles commandes étaient un cadeau à M. Dassault pour qu'il puisse acheter Le Parisien. C'est évidemment absurde. Il a fallu accélérer le rythme des livraisons pour maintenir la chaîne de production alors que les négociations à l'exportation n'ont pas encore abouti ; nous diminuerons nos achats lorsque ce sera chose faite.
Faut-il continuer à acheter de mauvais avions ? Ceux que nous avons vus en Afghanistan n'étaient même pas dotés de systèmes de visée !
Préférez-vous acheter aux Américains ?
Je pense aussi au nouveau système de défense sol-air moyenne portée (SAMPT), que reçoivent les bases de Luxeuil et d'Avord, aux véhicules blindés de combat d'infanterie (VBCI) dont le rythme de livraison est accéléré à 100 en 2011, aux 4 000 équipements Félin livrés en 2011 à quatre régiments, au missile air-sol moyenne portée amélioré (ASMPA) admis au service actif le 1er juillet dernier , et au sous-marin nucléaire lanceur d'engins Le Terrible qui va prochainement effectuer sa première patrouille. Ces matériels sont en permanence adaptés aux besoins des forces déployées sur les théâtres d'opérations, notamment en Afghanistan. 103 millions d'euros ont été consacrés à la procédure d'acquisition d'urgence : l'armée de terre s'est dotée d'un système de veille optronique, d'un radar de surveillance du sol, d'un alerteur terrestre contre les tirs indirects, mais aussi du système Rover. Nous en assurons le maintien en condition opérationnelle, dans des contextes souvent difficiles grâce aux réformes de structure, à la politique d'emploi et de gestion des forces (PEGP) et au maintien de financements importants autour de 2,7 milliards d'euros par an.
Nous préparons l'avenir : 700 millions d'euros sont consacrés chaque année aux études amont, le projet Musis est en voie de réalisation -j'espère que les Allemands seront au rendez-vous en ce qui concerne la composante radar- avec la commande de deux satellites optiques permettant d'éviter une rupture capacitaire avec Hélios II-. Un troisième sous-marin nucléaire d'attaque (SNA) sera commandé.
Comme vous le releviez, monsieur le président, c'est après 2013 que la situation budgétaire deviendra plus difficile, car nous n'aurons plus de recettes exceptionnelles. Sur la période 2013-2020, l'écart avec les prévisions de la LPM pourrait atteindre 20 milliards d'euros environ, ce qui pourrait remettre profondément en cause notre modèle d'armée. En effet, les dépenses de fonctionnement ne sont plus guère compressibles, les frais liés aux programmes lancés se caractérisent par une forte hystérésis, la dissuasion consomme 20 à 25 % des crédits d'équipements et le maintien en condition opérationnelle est indispensable. C'est donc sur les autres programmes d'équipement qu'il faudrait jouer alors que les marges de manoeuvre sont très faibles.
Sauf reprise nette de la croissance permettant de dégager des recettes et de les affecter à l'effort de défense, 2013 constituera donc un rendez-vous majeur pour le pouvoir politique et pour notre défense.
L'année 2011 sera décisive pour la réforme de la défense qui suscite l'adhésion de l'encadrement supérieur puisque pas moins de 72 % des responsables que j'ai réunis récemment à l'Ecole militaire jugent positif l'impact de la modernisation sur la performance du ministère. Les restructurations continueront à faire l'objet d'un accompagnement social approfondi pour un montant de 238 millions d'euros en 2011. Nous achèverons la réforme statutaire et indiciaire des militaires, conformément aux recommandations du Haut comité d'évaluation de la condition militaire.
C'est en 2011 que sera signé le plus important contrat de partenariat public-privé immobilier jamais conclu en France, pour regrouper les états-majors et l'administration centrale à Balard, ce qui nous permettra de gagner environ 2 000 postes, d'améliorer les conditions de travail, de bénéficier du produit de la cession des 15 emprises actuelles et d'éviter des coûts de maintenance considérables. J'ai également décidé de déconcentrer autant que possible les services, afin que les fonctionnaires du ministère puissent vivre dans des agglomérations où la vie est moins chère qu'à Paris.
J'évoquerai pour conclure la coopération militaire franco-britannique. L'objectif est de permettre à chacun de nos pays de profiter des capacités de l'autre et d'éviter les doublons comme dans le domaine de la guerre des mines : les Anglais pourraient aussi nous aider en matière de ravitaillement en vol. Les autorités politiques des deux pays sont très déterminées : nous espérons conclure un accord le 2 novembre. Ce rapprochement s'inscrit dans un contexte où les autres pays européens semblent avoir abdiqué toute prétention militaire. Les Allemands, qui ne consacraient à la défense qu'un peu plus de 1 % de leur PIB par an, semblent avoir décidé de réduire leurs dépenses de 8 milliards d'euros en quatre ans soit presque 15 % de leur budget ; d'autres amputent des budgets déjà dérisoires ; les Britanniques eux-mêmes ont annoncé une baisse de 10 % des crédits. Si nous ne réagissons pas, le monde sera dominé dans quarante ans par un condominium sino-américain.
Merci pour la clarté et la sincérité de vos propos, qui montrent que la défense est encore une priorité de l'Etat.
Je vous interrogerai d'abord sur les recettes exceptionnelles. Il était prévu d'externaliser les télécommunications par satellite et de céder l'usufruit des satellites Syracuse. Ce projet a pris du retard, mais il est encore à l'ordre du jour cette année. Peut-on espérer le voir aboutir ? La durée de vie des satellites est telle que la cession ne présentera bientôt plus d'intérêt, ni pour les opérateurs, ni pour le ministère.
De combien de drones moyenne altitude longue endurance (Male) voulons-nous disposer ? Quelles sont les solutions envisagées en termes de délais et de coût ?
Dans le domaine de la dissuasion, M. Rasmussen a déclaré dans Le Figaro de samedi qu'une coopération était envisagée avec les Britanniques pour le maintien en condition de nos forces nucléaires. Pouvez-vous nous en dire plus ? Cela concerne-t-il la simulation, avec notamment le laser mégajoule ?
La cession d'usufruit des satellites a été retardée par un problème juridique, mais elle sera conclue en 2011.
La France a pris un retard considérable dans le domaine des drones : il aurait été utile d'en disposer pour venir en aide aux otages du Sahel. Ma mission, c'est de faire en sorte que les armées françaises soient correctement équipées, par des appareils français ou étrangers. On ne peut pas me reprocher de n'avoir pas soutenu l'industrie française : elle exporte plus que jamais, et des contrats ont encore été récemment conclus après mes déplacements dans certains pays comme le Mexique pour des hélicoptères. Dans le cadre de la LPM, j'ai insisté pour dégager 1 milliard d'euros afin que les compétences de nos industriels soient préservées dans le domaine des missiles : faute de quoi, MBDA aurait été en bien mauvaise posture. Mais pour ce qui est des drones, les offres françaises et européennes pour trois systèmes à trois vecteurs -modernisation du Harfang, Advanced UAV d'EADS, SDM de Dassault- restent bien plus chères que les Predator américains ou les Héron TP israéliens. Je souhaite que nous trouvions une solution à terme dans le cadre de la coopération franco-britannique, afin de maintenir nos compétences dans le domaine des avions de nouvelle génération et de nous doter d'ici 2020 de drones MALE de haut niveau. Dans l'intervalle, il nous faut trouver une solution qui assure la permanence de l'équipement de nos forces.
S'agissant du successeur du missile Milan, je rappelle que les propositions de MBDA concernaient un missile non doté de la fonction « tire et oublie », fire and forget, ce qui laisse ses utilisateurs à découvert, à la merci des snipers. Par ailleurs, ce missile n'aurait pas pu être tiré depuis un espace confiné. Comment aurais-je pu privilégier cette solution au détriment de la sécurité de nos soldats ? Les décisions que j'ai prises permettent à MBDA de modifier un missile pour le conformer à la demande de l'état-major et aboutir à une commande de matériel français ou européen en 2014. Entre temps nous achèterons sur étagère des missiles Javelin.
Dans le domaine nucléaire, des perspectives de coopération existent uniquement sur le plan de la simulation avec le Royaume-Uni.
D'autres vous interrogeront sans doute sur les recettes exceptionnelles, à propos desquelles il existe un excellent rapport de l'Assemblée nationale. Au cours des dernières années, 1,672 milliard de recettes tirées de cessions immobilières étaient attendues, on n'en a eu que 400 millions !
S'agissant du programme 146 relatif aux équipements, je ne comprends pas pourquoi il a été décidé de commander onze Rafale supplémentaires : à ma connaissance il n'en manquait que six pour équilibrer le plan de charge de l'entreprise. En outre, la LPM prévoyait l'homogénéisation de notre force aérienne et la remise à niveau de 77 Mirage 2000D, qui n'aurait pas coûté très cher et aurait augmenté la durée de vie de ces appareils de quinze ans. A-t-on renoncé à ce projet ?
Sur l'A 400 M, les principaux problèmes techniques ont été résolus, reste celui du financement. Quant aux véhicules de transport blindés, il faut trouver une solution financièrement raisonnable et conforme aux souhaits de l'armée de terre.
Les études amont seront-elles maintenues au niveau initialement prévu ?
La réintégration de la France dans les structures de commandement de l'OTAN devait donner un nouvel élan à la défense européenne. Mais celle-ci est au point mort. La présidence française s'était pourtant enorgueillie de l'avoir relancée. L'Otan, pour sa part, doit bientôt redéfinir son concept stratégique : quelle est la position de la France sur la défense antimissile balistique ?
Les commandes de Rafale ont été augmentées d'ici 2013, en raison de la non-réalisation actuelle de contrats à l'exportation. Pour maintenir la chaîne de production, il faut que celle-ci réalise 11 Rafale par an. Dans la loi de programmation, nous avions prévu la livraison de 10 Rafale en 2010, de 7 en 2011 et de 5 en 2012. Pour maintenir la cadence de fabrication à 11 appareils par an, et faute de commande à l'export, nous devons acheter 1 appareil de plus que prévu en 2010, 4 de plus en 2011 et 6 de plus en 2012. J'espère que ces commandes pourront être réduites après cette date grâce aux exportations : nous ne devrions pas au total acheter plus d'avions qu'il n'était prévu dans la période 2010-2020.
La modernisation du Mirage 2000D va prendre deux ans de retard. Il faut absolument éviter de créer à nouveau une « bosse » budgétaire telle que nous l'avons observée en 2007, mais elle n'est pas abandonnée.
Sur l'A 400 M, le nouveau gouvernement britannique montre de meilleures dispositions que le précédent, et le ministre allemand des affaires étrangères, Karl-Theodor zu Guttenberg, a également fait part de son accord. Si l'avenant n'a pas encore été signé, c'est à cause d'un retard industriel lié au système de guidage.
Quant aux véhicules blindés, les premières livraisons du VBMR devraient avoir lieu en 2016, celles de l'EBRC en 2019.
Enfin, les 700 millions d'euros de crédits d'études-amont ont été préservés.
J'en viens à la défense européenne. Je déplore comme vous que certains Etats membres aient renoncé à tout effort militaire substantiel. Les projets de coopération ne manquent pas : flotte européenne de transport, A 400 M, projet Musis, Erasmus militaire. Mais certains pays tergiversent, et les dirigeants européens manquent de capacité d'entraînement. C'est d'ailleurs une conception intergouvernementale de la construction européenne qui prévaut aujourd'hui, et qui réduit l'intérêt européen à la somme des intérêts nationaux. Le Royaume-Uni, de son côté, ne veut entendre parler que de coopérations bilatérales. Une conclusion s'impose : la plupart des Européens ne veulent pas que l'Europe soit une puissance ! Tout projet de coopération structurelle renforcée devrait reposer sur une volonté politique et des efforts partagés.
En ce qui concerne la défense antimissile, nous sommes encore dans le flou : à quelle menace est-elle censée parer ? Nous protégerait-elle effectivement ? Qui en aurait le commandement ? Veut-on la voir couvrir des théâtres d'opération ou des pays entiers ? Les conséquences budgétaires seraient très différentes... Comment les dépenses seront-elles réparties ?
La défense antimissile ne me semble un projet judicieux que pour les pays qui consacrent un effort important à la défense et possèdent une certaine capacité de résilience. En Europe, je crains qu'un tel dispositif ne soit conçu comme une ligne Maginot... Le meilleur moyen de garantir sa sécurité, c'est d'être soi-même militairement crédible. Avant d'investir dans un système antimissile, il faudrait s'assurer que nous disposons des équipements de base...
Il faut cependant maintenir nos compétences, et c'est pourquoi je suis favorable à un financement de nos bureaux d'études dans ce domaine.
J'apprécie votre effort pour parler vrai. Mais à propos de l'affaire des Rafale, ne trouvez-vous pas inquiétant que des groupes bénéficiant de la commande publique puissent posséder de puissants organes de presse ? Nous sommes plusieurs ici à partager l'avis de Jean-Marc Ayrault.
Je pourrais vous retrouver sur la question de la concentration de la presse mais les commandes de Rafale n'ont rien à voir avec le projet de rachat du Parisien.
C'est à voir... Ne croyez-vous pas que le modèle de défense élaboré il y a quelques années était inadapté ? Les contraintes budgétaires et les réserves de nos partenaires européens le laissent à penser. Que la bosse de 2007 y ait contribué, je ne le conteste pas.
Quant à notre engagement militaire en Afghanistan, il a fallu de votre part des trésors d'inventivité pour le justifier. Aucun progrès n'est observable sur le terrain. Faut-il rester, pour quoi faire et avec quels moyens ? A la stratégie militaire ne faudrait-il pas substituer une stratégie civile de développement ? Nous sommes tous d'accord pour dire que l'on ne peut quitter l'Afghanistan du jour au lendemain, mais il faut changer de cap.
Je pense que la France sera en mesure, l'an prochain, de transférer aux forces de sécurité afghanes la zone de Surobi. J'ajoute que nous participons déjà à des actions de coopération civile dans le pays.
Quant au modèle de défense, la question est de savoir si les crédits nécessaires seront affectés à nos armées entre 2014 et 2020. Des économies budgétaires limitées ne remettent pas en cause pour l'instant l'efficacité de nos armées. Les contrats opérationnels sont globalement honorés et notre pays pourrait augmenter ses capacités en cas de crise.
La volonté des Britanniques de coopérer avec nous est-elle sérieuse et durable ?
Au niveau politique, il y a une véritable volonté de part et d'autre... Le Royaume-Uni mène actuellement une revue stratégique qui demande du temps. Mais les terrains de coopération ont été définis : ils devraient permettre d'économiser à terme des centaines de millions d'euros.
Je salue vos efforts passés pour permettre à MBDA de revenir dans la course sur le projet de missile sol-sol. De même, la solution retenue pour les drones MALE me semble bonne, à condition qu'elle ne nous empêche pas de construire à l'horizon 2018-2020 un nouveau drone franco-britannique sur la base d'une coopération entre BAE et Dassault-Thalès.
Mais ne pensez-vous pas, étant donné le contexte budgétaire, qu'il faudra redéfinir le format des armées après 2013 ?
Si nous n'augmentons pas alors notre effort de défense et si nous revoyons à la baisse notre modèle, la France ne sera plus une puissance militaire globale, capable d'entrer en premier sur un théâtre, d'être nation-cadre au niveau européen. La question du maintien des deux composantes de notre dissuasion se poserait inéluctablement.
Au sujet des drones, vous avez évoqué l'achat de trois systèmes de drones male comprenant trois vecteurs. N'est-ce pas insuffisant ? Cette acquisition ne risque-t-elle pas de nous empêcher de donner un successeur au drone tactique et de développer un drone à voilure tournante pour la marine ?
Ces projets sont remis à plus tard. Je souhaite que l'on trouve une solution pour ce qui existe et pour maintenir nos capacités opérationnelles.
Nos moyens financiers sont limités, et le seront encore davantage si les recettes exceptionnelles se révèlent moins élevées que prévu. Sur l'Europe, je partage votre constat. Le Royaume-Uni et la France consacrent 2 % de leur PIB à leur défense en comptant large, en Allemagne l'opinion publique est pacifiste et ses dirigeants se contentent de verser un maigre tribut à l'Otan, et depuis que j'ai inauguré la brigade franco-allemande et le Conseil de défense franco-allemand, en 1988, rien n'a changé. On espérait pourtant beaucoup de la défense européenne ! Je ne crois pas que la méthode intergouvernementale soit en cause : Jacques Delors n'aurait rien fait sans l'assentiment de François Mitterrand et Helmut Kohl. Soyons réalistes, et privilégions des coopérations à géométrie variable.
La France pourrait donc coopérer avec les Britanniques, mais ceux-ci réduisent leur budget militaire de 10 %. Pourront-ils conserver quatre sous-marins nucléaires ? Envisage-t-on d'entretenir en commun nos ogives nucléaires ? N'oublions pas que les Britanniques restent tournés vers les Etats-Unis.
Quant à l'Otan, elle est en crise. Elle demande de l'argent pour construire un bouclier antimissile, mais nous avons déjà tant de mal à maintenir nos forces que nous ne pouvons pas nous lancer dans ce projet fuligineux : j'approuve entièrement votre position. Il faut seulement dégager 50 millions d'euros par an pour entretenir nos compétences.
Les Européens se réveilleront peut-être de leur léthargie quand les pays émergents seront capables d'envoyer des missiles à longue portée, ou qu'ils seront menacés par des fusées tirées au Moyen-Orient. Nous devons nous y préparer en préservant notre force de dissuasion et nos principaux programmes d'équipement.
Je m'interroge enfin sur les retards pris dans la modernisation des Mirage 2000D et dans la réalisation du lance-roquettes unitaire, alors que nous avons abandonné le lance-roquettes multiple pour des raisons bien connues que je ne commenterai pas.
Il est indispensable de conserver quatre sous-marins nucléaires lanceurs d'engin pour garantir notre dissuasion et en avoir constamment un en patrouille. Parmi les programmes de coopération franco-britannique, je citerai le drone MALE pour 2020, la maintenance de l'A 400 M et la formation des pilotes, la guerre des mines, les porte-avions, les ravitailleurs et les avions de patrouille maritime Atlantique 2.
En ce qui concerne l'Otan, nous avons demandé, avec mes homologues britannique et allemand, une rénovation profonde de la gouvernance financière de l'organisation. Une réforme structurelle devrait permettre la réduction des états-majors et des agences ainsi que la baisse des effectifs de la structure de commandement, qui passeraient de 11 000 à environ 9 000. Nous plaidons aussi en faveur d'une diminution des effectifs des agences qui dépendent de l'Otan. S'agissant de la DAMB, s'il y a un très réel risque de prolifération, si l'Iran se dote de l'arme atomique, je suis persuadé que notre meilleure protection, c'est notre force de dissuasion.
Encore une fois, la rénovation des Mirage 2000 D est nécessaire et n'est pas en cause. Quant aux Rafale, j'attends que l'on me prouve qu'il n'était pas nécessaire d'en acheter onze cette année pour éviter de rompre la chaîne de production de l'entreprise !
Quant au projet de lance-roquette unitaire, auquel le régiment de Belfort est très attaché, il a pris du retard, mais il sera bien réalisé.
Le Président de la République s'est rendu il y a quelques semaines à Saint-Nazaire pour rencontrer la direction et les salariés de STX. Il a confirmé l'achat de quatre bâtiments de projection et de commandement, dont deux construits en France et deux en Russie. N'ayant aucune nouvelle, je me suis adressée à Mme Christine Lagarde qui m'a répondu que l'on attendait les financements russes. Vous connaissez les attentes des salariés et la minceur du carnet de commandes de STX. Pouvez-vous nous rassurer ?
Les négociations sont en cours et, comme vous le savez, nous sommes en concurrence avec d'autres. Je reste néanmoins très confiant dans la qualité de notre offre.
Un récent rapport de la Cour des comptes a mis en lumière la situation déplorable des hôpitaux militaires. Malgré leur excellente réputation, ces neuf hôpitaux affichent un déficit supérieur au déficit cumulé des hôpitaux de l'Assistance publique de Paris, de Lyon et de Marseille, pour une capacité inférieure à celle de l'hôpital Purpan de Toulouse ! Leur budget n'est pas mince : 1,3 milliard d'euros. Ces services sont peu spécialisés, puisque 90 % des patients sont des civils et 95 % des soins sans lien avec les activités militaires. Est-il raisonnable de maintenir ce système en l'état, alors que les départements ont du mal à conserver leurs hôpitaux civils ? J'invite la commission à se pencher sur ce sujet.
Je serai la semaine prochaine à Lyon pour rencontrer les cadres du service de santé des armées. Une réorganisation est nécessaire, mais elle a déjà été entamée depuis que la Cour des comptes a enquêté sur des données datant parfois de 2008.
Il faudrait réduire le niveau d'encadrement administratif des hôpitaux : j'ai demandé au directeur central de me faire des propositions dans un délai d'un mois. Il faudrait aussi favoriser la complémentarité avec les hôpitaux civils : nous ouvrirons le dialogue avec les agences régionales de santé. Les deux écoles de santé ont enfin été regroupées à Lyon. L'externalisation de certains services, comme la restauration, est également envisagée. Le directeur central, un médecin, se verra adjoindre un gestionnaire.
Toutefois je veux exprimer ma confiance envers le service de santé des armées. Aucun pays n'envoie ses hommes en opération s'il ne peut les soigner correctement ! Les hôpitaux militaires sont à la pointe de la recherche et de l'innovation technologique. Il ne s'agit donc pas de dégrader le service, mais de le rationaliser.
La spécialité des maladies tropicales ne sera bientôt plus enseignée à l'Ecole de santé des armées : or c'est un domaine où l'armée a beaucoup apporté.
Les centres de recherches seront maintenus et dotés d'équipements de pointe grâce à leur regroupement à Brétigny. L'armée possède aussi des compétences exceptionnelles en chirurgie réparatrice.
Vous avez évoqué la perspective d'un monde dominé par les Etats-Unis et la Chine. L'Europe ne devrait-elle pas renforcer sa coopération avec la Russie ? Je songe à l'affaire du Mistral.
Je le crois comme vous : la Russie a tout intérêt à construire avec l'Europe un espace de paix et de sécurité. Mais, dans certains pays d'Europe de l'Est, les blessures sont longues à cicatriser. Il faut dialoguer avec la Russie de manière constructive et confiante et l'associer sur des questions comme la défense antimissile et le nouveau concept stratégique de l'Otan.
Monsieur le ministre, merci. Force est de reconnaître que vous vous êtes battu avec énergie pour maintenir les capacités militaires de la France dans un contexte difficile. C'est aussi grâce à vous que le projet d'A 400 M a abouti : il fut un temps où vous étiez presque le seul à le défendre.
Nous accueillons M. Jean-Pierre Maulny, directeur adjoint de l'Institut de relations internationales et stratégiques où il est responsable des questions liées à la politique de défense, à la PESD et à l'OTAN, à l'industrie d'armement et aux ventes d'armes.
M. Maulny vient de publier le mois dernier une étude intitulée « l'Union européenne et le défi de la réduction des budgets de défense » qui a été mise en distribution. Au moment où nous commençons le cycle de nos auditions budgétaires il nous a semblé particulièrement intéressant de disposer d'un éclairage transversal sur l'impact de la crise sur les budgets nationaux en Europe et sur l'Europe de la défense.
Avec le Livre blanc nous avons correctement anticipé l'évolution du contexte stratégique mais personne n'avait prévu la « surprise stratégique » que constitue la crise économique et financière de 2008, puis la crise des dettes souveraines. Si nous avons su commencer à y répondre, notamment en réformant la gouvernance mondiale et en régulant la sphère financière, cette crise conduit tous les gouvernements à une politique de rigueur qui impacte naturellement les budgets de défense.
Si notre collègue Jean-Pierre Raffarin était là il pourrait nous dire que les deux caractères chinois pour définir le mot crise sont « danger » et « chance à saisir ». La crise est donc l'occasion à saisir au milieu du danger, l'occasion fournie par le danger même.
Le danger c'est celui d'un décrochage capacitaire des pays européens alors même que les budgets de défense dans le monde ne cessent d'augmenter : + 6% en moyenne rien que sur l'année dernière. Le soft power de l'Europe ne suffit évidemment pas. L'adage de Clauzewitz demeure : « la guerre n'est qu'un prolongement de la politique par d'autres moyens ». L'Europe puissance ne peut exister que si elle dispose d'un outil militaire.
Lors de la réunion informelle des ministres de la défense à Gand les 23 et 24 septembre dernier, Hervé Morin caractérisait la situation actuelle n déclarant : « Les Etats ont démissionné pour la plupart sur une ambition simple, que les Européens aient un outil militaire leur permettant de peser sur les affaires du monde. Au rythme où nous sommes, progressivement l'Europe est en train de devenir un protectorat, et dans 50 ans nous deviendrons le jeu de l'équilibre des puissances nouvelles et nous serons sous un condominium sino-américain. »
L'intérêt des prédictions étant d'être contredites par les faits la crise offre une réelle opportunité de mieux coordonner les politiques d'armement, de mutualiser les besoins et les capacités et de construire l'Europe de la défense.
C'est ce que déclarait le Premier ministre devant l'IHEDN la semaine dernière : « pour conserver notre poids stratégique nous devons aller plus loin dans les coopérations, dans la mutualisation, dans la rationalisation de nos structures. » Les enjeux sont extrêmement importants puisque l'Europe est confrontée à une seconde vague de désarmement après celle des illusoires « dividendes de la paix » de la décennie 90. Si celle-ci se produit non seulement notre industrie risque également de disparaître avec les conséquences que l'on imagine en termes d'emplois mais aussi nous risquons de disparaître comme pôle d'excellence en matière de recherche et de technologie.
Avant de passer la parole à M. Maulny pour un exposé liminaire, je vous rappelle que demain nous entendrons notre collègue Yves Fromion pour son rapport sur la directive traitant des transferts intracommunautaires. La deuxième partie de son rapport porte sur la coopération structurée permanente qui sera sans doute l'un des outils de construction de l'Europe de la défense pour peu qu'on en définisse les conditions de fonctionnement.
M. Maulny, je vous passe la parole.
En me fondant sur les perspectives de réduction des budgets de la défense en Allemagne, au Royaume-Uni et en France connues en septembre 2010, je montre, dans ma note, comment rationaliser, mieux articuler les politiques de défense en Europe.
Permettez-moi, tout d'abord, un petit historique. Si les années 1990 étaient marquées par une diminution progressive des budgets de la défense en Europe d'environ 30%, ce qu'on a qualifié de « dividendes de la paix », les coupes financières sont aujourd'hui drastiques, et surtout brutales, en Allemagne, au Royaume-Uni, en Italie et en Pologne. En revanche, on note une même absence de coordination des politiques budgétaires. La France a commencé à diminuer son budget militaire en 1992 lors de la « mini-crise » économique, soit après l'Allemagne et le Royaume-Uni. Il en a été de même aux États-Unis qui, eux, ont choisi de maintenir le niveau de leur budget en recherche et technologie. D'ailleurs, ces budgets en R&T diminués, ou tout au moins contraints, depuis vingt ans -l'augmentation des budgets dans les années 2000 en France et au Royaume-Uni correspond à l'entrée dans une période de fabrication où l'on a rogné sur la recherche pour financer les programmes d'équipement- pourraient conduire à un décrochage technologique, un risque dont je reparlerai. Comme hier, l'absence de coordination a donc été la règle. Citons le cas de la Pologne qui, touchée par la crise dès la fin de l'année 2008, a réduit ses dépenses militaires dès 2009 pour les redresser dans le prochain budget pour 2011. Ces réductions budgétaires ont des causes et des significations différentes. A cause d'un déficit public de 13%, le Royaume-Uni, qui consacre traditionnellement des efforts importants à la défense, a annoncé une réduction de 15 à 25% de son budget militaire. En Allemagne, où le déficit public est de seulement 4%, cette décision semble être davantage due à sa volonté de respecter les équilibres budgétaires qu'à une remise en cause de sa politique militaire, symbole de sa souveraineté retrouvée. Je vous renvoie à son engagement dans le programme de l'A 400 M et à son importante participation aux OPEX. La baisse de son budget de défense s'accompagne d'une réforme profonde avec l'abandon de la conscription, un sujet tabou depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. En France, la réduction budgétaire semble peu élevée par rapport au déficit public de 8%. Autrement dit, nous parions sur un retour à la croissance rapide. Une étude du FMI dans les années 1990 a montré la forte corrélation existant entre l'évolution des budgets de défense, la croissance et la situation internationale. Les États-Unis ont considéré être en guerre après le 11 septembre, l'Europe, non. Cette diminution de l'effort militaire intervient sur des outils militaires fragilisés, notamment français et britannique. En effet, le modèle d'autonomie en équipements de défense est aujourd'hui écorné en raison de nos pertes de capacités militaires et technologiques, conséquences de la réduction de nos budgets militaires en R&T. Ces pertes de capacités ne concernent pas les prime contractors mais la supply chain, c'est-à-dire la chaîne des sous-traitants, d'après l'étude que nous avons réalisée pour la Commission européenne sur le contrôle des investissements étrangers dans les entreprises de défense européenne. Le modèle d'autonomie n'est plus viable dans un cadre national. Par idéal politique autant que par nécessité, il faut aujourd'hui accélérer le passage à un modèle intégré européen. La création de groupes de travail bilatéraux avec, d'une part, l'Allemagne, et d'autre part, le Royaume-Uni, pour coordonner les réductions budgétaires va dans le bon sens. Pour autant, il aurait fallu y songer dès 2008 et, plus important, veiller à l'inscription de ces échanges bilatéraux dans le cadre européen. Or les Britanniques, qui font preuve d'opportunisme en travaillant aujourd'hui à ces rapprochements, refusent tout « bouclage » européen.
Dans ce contexte, il conviendrait, tout d'abord, de réviser les documents stratégiques et modèles capacitaires dans un cadre européen. Au Royaume Uni, la nouvelle Strategic Defence and Security Review de 2010 a fait l'objet de vives critiques de la part du Parlement et du secrétaire d'État à la défense, M. Fox, qui a reproché au Premier ministre britannique, M. Cameron, de réaliser des coupes dans un souci strictement économique et budgétaire. L'Allemagne, qui, je le répète, envisage d'abandonner la conscription, a publié un Livre blanc en 2006 ; le dernier datait de 1994 comme la France, qui, quant à elle, a adopté un nouveau Livre blanc en 2008. Pourquoi ne pas travailler à un Livre blanc européen de la défense ? On en parle depuis une dizaine d'années sans s'accorder sur son contenu. Il existe pourtant un socle avec la « stratégie européenne de sécurité » et l'ensemble des missions civilo-militaires réalisées en commun. La crise oblige à imaginer un nouveau modèle capacitaire au niveau européen.
La coopération structurée permanente, telle qu'elle a été conçue dans le Traité de Lisbonne, concerne davantage un groupe de pays pionniers qui acceptent des indicateurs économiques contraignants, ce qui semble difficile en temps de crise... Gardons l'esprit de la coopération structurée permanente pour construire un outil européen coordonné ouvert, comme le propose M. Fromion, à chaque pays européen qui le souhaite, qui fixera des objectifs capacitaires à atteindre, dont le respect serait vérifié par l'Agence européenne de la défense. Il s'agit de dépenser moins en dépensant mieux. Ensuite, il convient de distinguer les mutualisations selon ce qui reste du domaine de la souveraineté et ce qui peut être partagé, voire délégué. Ainsi, l'idée d'un porte-avions franco-britannique me paraît-elle complexe, tant nos intérêts industriels et notre doctrine d'emploi divergent. En revanche, pourquoi ne pas utiliser un groupe aéronaval national dans le cadre de l'Europe ou de l'Otan ? L'addition des capacités nationales, après définition d'une stratégie commune, peut fonder une capacité européenne. Cette démarche est envisageable pour tous les équipements de hard power. A l'inverse, les activités de soutenance et de logistique - le transport par avion et hélicoptère, le ravitaillement en vol, la surveillance non stratégique -, parce qu'elles ne relèvent pas de la souveraineté nationale, peuvent faire l'objet d'une mutualisation plus intégrée avec une gestion commune des capacités. Autre type de mutualisation, celui où aucun pays n'a les moyens financiers de construire une capacité, mais où chacun en acquiert une partie dans un cadre multinational. Tel est le cas du projet d'observation satellitaire MUSIS, où l'optique relève de la France, le radar de l'Allemagne tandis que les stations au sol sont mises en commun. Enfin, il existe des niches capacitaires, c'est-à-dire qu'un pays se doterait de la capacité militaire pour tous les autres. On peut penser à la protection NRBC pour la République tchèque ou les navires-hôpitaux pour l'Allemagne.
Nos modèles capacitaires industriels étaient jusqu'à aujourd'hui essentiellement nationaux, avec une partie européenne via des entreprises plurinationales comme EADS apparues à la fin des années 1990. Or la restructuration du paysage industriel de l'armement européen est au point mort depuis 10 ans : aucun programme n'a été lancé depuis l'A400M et Meteor. Nous assistons à un repli national à l'heure où il faudrait passer à un modèle intégré, augmenter la R&T et viser le long terme plutôt que toujours la production. La France s'était engagée dans une politique industrielle au début des années 2000 en passant commande de derniers chars Leclerc, dont l'armée de terre n'avait pas nécessairement besoin, et, plus intelligemment, en s'engageant au début des années 2000 dans le programme Meteor pour soutenir l'entreprise MBDA. Ces initiatives doivent être replacées dans une politique industrielle à long terme. Par exemple, faut-il commander onze Rafale supplémentaires en 2011 pour soutenir Dassault ? Ne vaut-il pas mieux imaginer le modèle aéronautique militaire de 2025 dans un cadre européen ? Même logique concernant la décision de construire le démonstrateur nEUROn en 2004 ou encore le secteur naval, bien qu'il soit relativement protégé en raison de l'absence de concurrence américaine.
Pour conclure, l'IRIS, en partenariat avec l'allemand SWP, l'anglais RUSI et un think tank polonais a organisé une étude sur la coordination de nos politiques de réduction des budgets de la défense avec les représentants de la Défense et de la politique industrielle des quatre pays, dont les conclusions seront présentées devant l'Agence européenne de la défense fin novembre.
En écoutant votre analyse réaliste, je m'interrogeais : avons-nous les moyens de notre politique ou la politique de nos moyens ? Ce matin, le ministre Morin a rappelé que la politique européenne de défense est une politique en soi, non une addition de politiques nationales. Tant qu'il n'y aura pas de volonté politique, nous ne parviendrons à rien. J'en veux pour preuve l'anecdote que rapporte M. Jean Monnet dans ses mémoires sur la manière dont il a été chargé en 41 par les Américains de soutenir l'effort de guerre des Britanniques grâce au prêt-bail, c'est-à-dire grâce à une politique coordonnée. Une fois les priorités définies, les 13 000 avions dont avaient besoin les Britanniques ont été produits sans difficultés en 1942, le double leur a même été livré en 1944. L'Europe souffre justement de cette absence de définition commune des besoins et des objectifs. Quand a-t-on réuni les 27 chefs d'état-major européens autour d'une table ? Cette démobilisation est-elle le fait, avec la fin de la Guerre froide, de la disparition d'un agresseur potentiel bien identifié ? Prenons le cas de l'Allemagne : son industrie de défense est efficace, mais son peuple pacifiste. Existe-t-il vraiment la volonté suffisante de construire une base industrielle de défense européenne ?
Le budget militaire de la France représente aujourd'hui moins de 2% du PIB, contre 3% dans les années 1980. Il y a donc eu désarmement depuis la fin de la Guerre froide. La chute du mur de Berlin aurait dû inciter les pays européens à construire leur autonomie de défense, hors de l'Otan. Nous l'avons fait, d'une certaine manière, avec la PESD depuis la déclaration de Saint-Malo de 1998 et les conseils européens de Cologne et d'Helsinki en 1999 et la restructuration de l'industrie d'armement européenne -je vous renvoie aux déclarations des chefs d'État et de gouvernement de la France, du Royaume-Uni et de l'Allemagne en 1997. Aujourd'hui, cette volonté politique fait défaut, certains pays cherchant à protéger à court terme leurs emplois et leurs capacités. Jusqu'à présent la France, si j'ose dire, a joué « petit bras » mais il est évident qu'il est plus difficile de négocier dans l'Europe des 27 que dans l'Europe des quinze : cela impose de chercher de nouveaux alliés. Les Britanniques, par exemple, refusent d'envoyer des représentants de la Défense au séminaire que nous organisons avec les autres think tanks européens. Autrement dit, ils refusent toute discussion sur la défense au niveau multilatéral. Le couple franco-allemand fonctionne mal sur les questions industrielles de défense. Pour autant, je suis plutôt optimiste concernant l'Allemagne : l'actuelle réduction budgétaire marque une simple pause dans un processus de récupération de leur souveraineté via l'armement ; processus bénéfique à la France, contrairement au précédent historique du XXe siècle. Prenons l'A 400 M : ils ont eu les yeux plus gros que le ventre : ils en ont commandé 72 sans avoir les moyens de les financer !
D'après moi, cette importante commande de l'Allemagne reflète surtout sa volonté de retrouver des compétences technologiques perdues depuis l'époque Dornier et Messerschmitt et d'obtenir un meilleur taux de retour sur l'emploi. La même analyse vaut pour MTU qui a hérité du logiciel Fadec sans en avoir les compétences techniques ! Le chiffre de 40 A 400 M finalement commandés par l'Allemagne, que vous avancez dans votre note, ne se heurte-t-il pas à une clause du contrat qui limiterait à 10 la baisse globale des commandes ? Contrairement à vous, je ne suis nullement choqué par le retour du travail bilatéral qui permet de constituer des noyaux durs. D'autres pays pourront prendre le train en route sur des parties marginales si les mutualisations sont fructueuses. Enfin, si les États n'ont pas la volonté d'approfondir les mutualisations, n'est-ce pas aux industriels de prendre l'initiative ? Pourquoi nos industriels de l'armement terrestre n'auraient-ils pas, comme Rheinmetall en Allemagne ou BEA au Royaume-Uni, une vision de meccano industriel ? Ils doivent se regrouper pour éviter la disparition de ceux qui ne remporteront pas le marché des véhicules blindés de reconnaissance multirôles ou VBRM.
Le bilatéral, que je ne remets nullement en cause, doit s'inscrire dans un cadre européen afin d'écarter le risque d'incohérence et d'éviter de décourager les pays européens qui se sentiraient exclus. Les pays nordiques font jouer leur coopération à trois dans le cadre européen sans qu'il y ait de problème. Pour moi, la solution est l'autonomie dans le cadre européen.
L'Allemagne devrait commander 53 A400M, dont 13 seraient revendus à l'exportation. Quelles seront les règles concernant l'exportation ? Personne ne le sait. Le chiffre de 40 avions circule depuis longtemps, le rapporteur de la commission du budget allemande m'en parlait déjà fin 2001. D'où l'intérêt des projections à long terme. Grâce à elles, nous aurions anticipé depuis longtemps que l'Allemagne aurait un problème de financement en 2010.
Les industriels détiennent effectivement une partie de la solution, notamment en matière de rapprochement des besoins opérationnels. Je vous renvoie à l'exemple des missiles au milieu des années 1990 : les Britanniques développaient le Storm Shadow, nous un autre missile. Matra, qui n'était pas encore fusionné avec British Aerospace, a alors proposé à l'armée de l'air de reprendre la spécification britannique pour mettre au point un appareil bien moins coûteux.
Soit mais, pour que l'opération soit fructueuse, il faut une volonté et de la part des industriels et de la part des états-majors.
Si l'on évoque un Livre blanc européen de la défense depuis une dizaine d'années, on parle de la Communauté européenne de la défense depuis la crise de 1954 qui a provoqué la brouille définitive de Mendès France avec le principal parti centriste de l'époque qui était, comme la SFIO, un partisan convaincu de l'Europe de la défense... Qu'en est-il des forces militaires des pays entrants comme la Pologne, allié fidèle des États-Unis comme en témoigne son engagement à ses côtés en Irak, ou encore de la République tchèque et de la Slovaquie ?
Du reste, la Pologne, qui va assumer la présidence du conseil européen au second semestre, compte faire des questions de défense et d'armement une priorité !
La Pologne a un budget pour 2011 de l'ordre de 7 milliards, contre 35 milliards pour la France, 20 pour l'Italie, entre 20 et 25 environ pour l'Allemagne et entre 35 et 40 milliards pour le Royaume-Uni. Bref, une somme relativement modeste...
La Grèce est le pays de l'Union qui a le budget de la défense le plus élevé en proportion du PIB, il était d'environ 5% durant la Guerre froide en raison du conflit avec la Turquie.
A l'exception de la Hongrie, qui se trouve dans une situation très particulière, la tendance pour les pays entrants semble être au rapprochement européen, à la suite de déceptions dans les coopérations avec les Etats-Unis comme ce fut le cas en Pologne. Raison pour laquelle il ne faut pas laisser ces pays sur le bord de la route.
Merci de cet éclairage fort utile. Vous avez montré les insuffisances et les difficultés de la coopération et de la mutualisation, tout en traçant des pistes d'amélioration possibles. Toutes les occasions doivent être bonnes pour défendre cette idée, tant vous avez excellemment souligné que tout effort solitaire est aujourd'hui condamné à l'inefficacité !