Nous examinons le rapport de Mme Anne Emery-Dumas sur la proposition de loi n° 397 (2013-2014), adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à renforcer la responsabilité des maîtres d'ouvrage et des donneurs d'ordre dans le cadre de la sous-traitance et à lutter contre le dumping social et la concurrence déloyale.
Cette proposition de loi transpose la directive d'exécution de la directive 96/71/CE relative au détachement de travailleurs dans le cadre d'une prestation de services, adoptée le 16 avril dernier par le Parlement européen. Notre pays ayant la fâcheuse habitude de transposer avec retard les textes européens, nous nous réjouissons de cette diligence. Cette directive ne nous est pas inconnue : le 15 mai, nous avons auditionné M. Eric Bocquet, auteur pour la commission des affaires européennes d'un rapport d'information sur le détachement des travailleurs et d'une proposition de résolution adoptée par le Sénat le 16 octobre 2013.
Les règles du détachement s'appliquent aux personnes, salariées ou travailleurs indépendants, qui exécutent leur travail pendant une période limitée, sur le territoire d'un État membre autre que l'État dans lequel elles travaillent habituellement. L'interprétation que font la Commission européenne et la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) de ces règles, fondée sur la liberté de circulation des personnes et des services, est très protectrice. Elles concernent le plus souvent l'exécution d'une prestation de service, mais s'appliquent aussi à la mobilité intragroupe et à la mise à disposition de salariés au titre du travail temporaire.
Par principe, c'est le droit du travail du pays d'accueil qui s'applique. Les salariés détachés bénéficient du même noyau dur de dispositions légales et conventionnelles que ceux employés par les entreprises de la même branche établies en France, et ce dans dix matières : protection des libertés individuelles et collectives, respect de la durée du travail, des repos et congés, interdiction de verser un salaire inférieur au minimum légal ou conventionnel, etc. En revanche, si le détachement dure moins de deux ans, le travailleur détaché reste affilié au régime de sécurité sociale de son pays d'origine. Les ressortissants des pays tiers, eux, sont soumis aux règles spécifiques stipulées par la quarantaine de conventions bilatérales en vigueur et doivent se prévaloir d'une autorisation de travail.
Les détachements ont augmenté de manière exponentielle ces dernières années. Selon la direction générale du travail (DGT), 170 000 salariés ont été détachés en France en 2012, soit 22 fois plus qu'en 2000. Compte tenu de la durée variable de ces prestations - 44 jours en moyenne -, ce flux correspond à 25 000 équivalents temps plein sur l'année. Plus de quatre salariés détachés sur dix sont originaires d'États ayant adhéré à l'Union européenne en 2004 et 2007 ; un salarié sur dix vient d'un pays tiers. Les dernières estimations font état de 210 000 salariés détachés en 2013, soit 33 000 équivalents temps plein.
Les abus et les fraudes ont augmenté corrélativement. Parmi les infractions les plus fréquentes figure l'absence de déclaration préalable : en 2009 et 2010, la DGT estimait le taux de déclaration moyen entre 33 % et 50 %, soit 220 000 à 330 000 salariés détachés non déclarés en France - estimations jugées toutefois peu fiables et abandonnées en 2011. L'entreprise prestataire de service peut également n'être qu'une coquille vide sans activité stable, continue et permanente dans le pays d'origine, ou ne pas respecter le salaire minimum du pays d'accueil. Ces infractions se doublent parfois de délits de travail illégal - travail dissimulé, prêt de main d'oeuvre illégal - au moyen de montages juridiques complexes. Pour y faire face, la Commission européenne s'est résolue non pas à refondre la directive de 1996, mais à préciser les règles en vigueur par une simple directive d'exécution.
Celle-ci a suscité de fortes oppositions de certains États membres. Les versions intermédiaires du texte nous auraient obligés à déconstruire nos mécanismes de responsabilité solidaire. Mais grâce à l'accord obtenu au Conseil du 9 décembre 2013 sous l'impulsion du gouvernement français, le texte définitif fait même progresser notre législation. L'article 9 dresse la liste les mesures de contrôle que peut imposer un État en cas de détachement - déclaration préalable, conservation des bulletins de salaire, désignation d'un représentant pendant la prestation ; l'article 12 impose à tous les États membres de créer un mécanisme de solidarité financière dans le secteur de la construction entre le maître d'ouvrage ou le donneur d'ordre et son sous-traitant direct en cas de non-paiement du salaire minimum, les États demeurant cependant libres de prévoir des règles plus strictes et d'étendre ce mécanisme à d'autres secteurs.
Le principe du détachement demeure nécessaire à notre économie : en 2011, la France a détaché dans le monde environ 300 000 personnes, dont la moitié dans l'Union européenne. Cette proposition de loi a pour premier objectif de lutter contre les abus et fraudes qui se généralisent aux dépens de nos entreprises, de nos travailleurs, de notre modèle social et bien évidemment des travailleurs détachés eux-mêmes, qui pâtissent souvent de conditions de travail inacceptables. Rétablir une concurrence équitable au sein du marché intérieur est une urgence économique et sociale.
Le texte transpose d'abord les articles 9 et 12 de la directive d'exécution. L'article 1er oblige les maîtres d'ouvrage ou les donneurs d'ordre à effectuer une déclaration préalable de détachement en cas de sous-traitance auprès de l'inspection du travail pour les prestations dont le montant dépasse 500 000 euros. Toute personne qui n'a pas vérifié que le prestataire étranger a bien réalisé sa déclaration sera tenue solidairement responsable en cas de non-paiement des salariés détachés, à l'exception des particuliers. Ce dispositif comble un manque de notre législation, qui ne prévoit la solidarité financière qu'en matière de travail illégal. En outre, un représentant de l'entreprise qui détache des salariés sur le sol français sera désigné pour assurer la liaison avec les agents de contrôle.
L'article 2 crée un mécanisme de solidarité financière complémentaire. Il ne s'agit pas d'une obligation de vigilance lors du dépôt de la déclaration, mais d'une obligation de diligence pendant la prestation ; elle s'applique à tous les sous-traitants directs ou indirects, y compris français, et est subordonnée au signalement préalable d'un agent de contrôle.
Cette proposition de loi met ensuite en oeuvre certaines préconisations de la résolution européenne de l'Assemblée nationale du 11 juillet dernier, dont la proposition de créer une liste noire d'entreprises et de prestataires de services indélicats. Un site internet dédié indiquera pendant une durée maximale de deux ans les noms des personnes physiques ou morales condamnées pour travail illégal à des amendes supérieures à 15 000 euros. Les articles 6 bis et 7 renforcent les prérogatives des partenaires sociaux pour défendre les droits des salariés détachés ou pour se constituer partie civile en cas de procès-verbal en matière de lutte contre le travail illégal, même si l'action publique n'a pas été mise en mouvement.
Troisième axe du texte : renforcer notre arsenal de lutte contre le travail illégal. Notre cadre juridique, l'un des plus protecteurs en Europe, est globalement très satisfaisant, notamment grâce au mécanisme de solidarité financière. La proposition de loi comble quelques lacunes, et innove en obligeant à l'article 1er bis le donneur d'ordre ou le maître d'ouvrage à annexer à son registre unique du personnel la déclaration de détachement de son prestataire.
L'article 1er ter oblige les maîtres d'ouvrage et donneurs d'ordre, après signalement d'un agent de contrôle, à vérifier que les sous-traitants directs ou indirects respectent le noyau dur des droits des salariés, sous peine de sanction. Il autorise en outre l'inspection du travail à leur imposer de prendre en charge l'hébergement collectif des salariés d'un cocontractant ou d'une entreprise sous-traitante directe ou indirecte si ces derniers ont été hébergés dans des conditions incompatibles avec la dignité humaine. On ne saurait tolérer une quelconque forme d'esclavagisme sur le territoire de la République.
L'article 3 étend le mécanisme de solidarité financière en cas de travail dissimulé, qui ne concerne actuellement que les sous-traitants et les subdélégataires, à tous les cocontractants du maître d'ouvrage ou du donneur d'ordre. Il s'appliquera à celui qui contracte avec une entreprise principale, ainsi qu'à toute personne qui recourt aux services d'une entreprise de travail temporaire.
L'article 4 renforce les pouvoirs des agents de contrôle chargés de lutter contre le travail illégal, qui pourront se faire présenter des documents relatifs au détachement temporaire de salariés par une entreprise non établie en France et en obtenir copie immédiate.
L'article 6 ter assouplit les conditions imposées à l'autorité administrative, lorsqu'elle a connaissance d'un procès-verbal relevant une infraction liée au travail illégal, pour fermer provisoirement un établissement ou exclure une entreprise des marchés publics, et relève les pénalités en cas de non-respect des décisions administratives précitées à deux mois d'emprisonnement et à 3 750 euros d'amende.
L'article 7 bis autorise le juge à prononcer à l'encontre d'une personne condamnée pour travail illégal, à titre de peine complémentaire, une interdiction de percevoir toute aide publique pendant une durée maximale de cinq ans. L'article 7 ter introduit la notion de bande organisée dans diverses infractions afin de mieux lutter contre les réseaux de travail illégal. Enfin, l'article 8 oblige tout candidat à un marché public à présenter sur demande son contrat d'assurance de responsabilité décennale.
Quatrième et dernier axe de cette proposition de loi, ajouté à l'initiative du rapporteur de l'Assemblée nationale : l'encadrement du cabotage routier de marchandises, ces opérations de chargement et de déchargement effectuées sur le territoire national par un transporteur établi à l'étranger à l'occasion d'un transport international. La déclaration préalable de détachement n'est obligatoire que pour les interventions en France dont la durée est égale ou supérieure à huit jours. La proposition de résolution européenne qui a fait suite au rapport d'information du 10 avril dernier de M. Bocquet appelle à un renforcement des règles du cabotage, ce qui est en parfaite cohérence avec les travaux et les orientations de notre commission.
L'article 9 punit d'un an d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende les personnes qui organisent délibérément le travail des conducteurs routiers de manière à les empêcher de prendre leur repos hebdomadaire normal de 45 heures. Ces pénalités peuvent sembler élevées : elles répondent aux abus extrêmement graves constatés par les agents de contrôle. Les mêmes sont prévues en cas de rémunération calculée sur la distance parcourue ou le volume de marchandises transportées, si ce mode de calcul est de nature à compromettre la sécurité routière ou à encourager les infractions à la réglementation européenne. Certaines entreprises vont chercher des chauffeurs en Pologne ou en Roumanie, et les font conduire des poids lourds pendant deux ou trois mois sans leur permettre de rentrer chez eux : ils vivent et dorment donc dans la cabine de leur camion, et assurent ainsi en prime le gardiennage des véhicules...
L'article 10 supprime l'obligation, non conforme au droit européen, faite aux transporteurs de marchandises par route de disposer d'une licence communautaire pour réaliser des opérations de cabotage. Cette obligation avait pour effet, en pratique, de ne pas soumettre les véhicules de moins de 3,5 tonnes à la réglementation du cabotage, dans la mesure où ils sont dispensés de plein droit de licence communautaire. Conformément aux attentes des transporteurs routiers français, l'article 10 mettra fin à la concurrence déloyale des véhicules de moins de 3,5 tonnes, qui seront désormais soumis aux mêmes règles de cabotage que les poids lourds.
Ce texte contient des dispositions très techniques. Il s'agit presque d'un travail de dentelle, tant les contraintes juridiques sont puissantes. Chaque disposition sera examinée scrupuleusement par la Commission européenne, qui vérifiera que les restrictions à la libre prestation sont justifiées, proportionnées et non discriminatoires. Les entreprises françaises, elles, redoutent l'alourdissement des charges administratives, d'une réglementation déjà riche en matière de travail illégal, et rappellent leur attachement au principe constitutionnel de liberté d'entreprendre.
Le texte qui nous est proposé est équilibré et évite tout amalgame entre détachement de travailleurs et travail illégal. Le détachement de travailleurs est naturel dans un marché unique. Encore faut-il que les acteurs concernés respectent les règles sociales du pays d'accueil et que la concurrence soit loyale. Les amendements que je vous propose ne font que simplifier les règles déclaratives et de solidarité financière. Plus celles-ci seront simples, plus leur contournement sera difficile et le contrôle aisé.
Ceci étant, cette proposition de loi ne suffira pas à lutter contre les abus. Il faudra accélérer l'harmonisation sociale en Europe et mettre fin à la dichotomie entre les règles relatives à la sécurité sociale et le droit du travail. La CJUE interdit par exemple à tout État membre de rendre obligatoire la déclaration préalable d'affiliation à la sécurité sociale, le document portable A1, au grand dam de l'Urssaf... Cette simplification est pourtant la condition sine qua non d'une meilleure coopération transfrontalière entre les autorités compétentes.
Au niveau national, la coopération entre agents de contrôle doit être poursuivie. Elle est au coeur du plan de lutte contre le travail illégal élaboré pour 2013-2015, qui comprend un objectif spécifique de lutte contre les abus lors des détachements. L'inspection du travail doit être mieux organisée sur le territoire et disposer de cellules spécialisées, d'effectifs et de pouvoirs renforcés. Le décret du 20 mars 2014 franchit un premier pas en créant des cellules spécialisées au niveau national et dans chaque direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte). En aval, la réponse pénale doit être améliorée, les parquets sensibilisés et les sanctions administratives davantage utilisées.
Je vous invite à adopter cette proposition de loi ainsi que les amendements que je vais vous proposer.
Merci pour ce bel effort de pédagogie sur un sujet qui demeure très complexe.
Merci en effet pour cet excellent rapport, clair malgré la technicité du sujet. Le véritable problème n'est toutefois pas traité : la distorsion de concurrence induite par le paiement des charges sociales dans le pays d'origine, Pologne ou Roumanie - sachant que nous payons en France les charges sociales les plus élevées d'Europe.
Nous approuvons ce texte sous cette forme, ainsi que les amendements de simplification destinés à nous mettre en conformité avec le droit européen. Je m'étonne toutefois que la transposition d'une directive d'exécution passe par une proposition plutôt qu'un projet de loi.
Sans doute est-ce pour occuper les créneaux d'initiative parlementaire... Bref, une autre proposition de loi serait utile pour mettre fin à la distorsion de concurrence induite par les règles relatives aux charges sociales.
Félicitations pour cet excellent rapport. Sans suspense, les écologistes voteront en faveur de ce texte. Je suis néanmoins surpris, moi aussi, que nous soyons saisis d'une proposition de loi : comment cela s'explique-t-il ?
Je rejoins la rapporteure dans sa conclusion : nous devons évoluer vers une harmonisation sociale en Europe. Il serait intéressant de faire la liste des points qui, à l'instar de la communication des déclarations Urssaf, pourraient aller dans ce sens. La France doit être une force motrice sur ce chantier.
Notre groupe n'a pas encore discuté de cette proposition de loi. Elle a en tout cas le mérite de s'inspirer du rapport d'information de M. Bocquet, et nous nous félicitons que certaines de ses propositions soient ici reprises.
J'ai eu la chance d'assister à certaines des auditions conduites par la rapporteure, et nous lui savons gré de son implication sur ce sujet sensible. Le laisser-aller au niveau européen, le manque d'encadrement et de contrôle sont la cause des jugements légitimement sévères que les Français portent sur la construction européenne. Nous avons besoin d'une volonté politique d'harmonisation sociale dans de nombreux domaines pour lutter contre le dumping social.
L'audition de l'Organisation des transporteurs routiers européens (Otre) était particulièrement intéressante. Les transporteurs français, victimes de la concurrence déloyale qui sévit dans leur secteur, souhaitent contrôler plus étroitement le cabotage, et notamment le respect de la règle des sept jours. Va-t-on attendre dix ans la mise en place d'un système de géolocalisation, comme le propose la Commission européenne ? L'Otre propose, elle, que les fameux portiques Ecotaxe servent à contrôler le respect des règles relatives au cabotage et au détachement, puisqu'ils sont immédiatement utilisables...
Notre groupe déposera des amendements pour enrichir le texte sur au moins trois points : prohiber la sous-traitance au-delà de trois niveaux, renforcer les contrôles en impliquant les syndicats, et étendre la clause de responsabilité du donneur d'ordre à toutes les activités. Cette dernière a été renforcée dans le bâtiment, mais elle devrait s'appliquer dans d'autres secteurs, comme l'agriculture - la Confédération paysanne l'a souligné.
A mon tour de féliciter la rapporteure. Cette proposition de loi renforce opportunément le contrôle du travail illégal, mais rien n'est prévu pour améliorer l'évaluation du phénomène. Le rapport Bocquet insistait pourtant sur ce point. Je rejoins la rapporteure sur la nécessité d'une harmonisation sociale en Europe : c'est le noeud du problème.
En quoi consiste le repos normal de 45 heures des conducteurs de camions que vous avez évoqué ?
La création de cellules spécialisées de lutte contre le travail illégal au niveau national est une bonne chose, mais il en faudrait également au niveau européen. Le rapport Bocquet faisait état d'accords de coopération bilatéraux, par exemple entre le Nord-Pas-de-Calais et la Belgique, destinés à favoriser la coopération administrative. Notre groupe votera ce texte ainsi que les amendements déposés.
Je salue également le beau travail de la rapporteure.
L'article 6 autorise le juge à ordonner la diffusion sur Internet d'une décision de sanction. Cette faculté introduit une part d'aléa, voire d'arbitraire. Ne vaudrait-il pas mieux rendre cette diffusion automatique, mais la limiter aux cas de récidive ?
Ce texte va dans le bon sens et son objectif est louable. Plusieurs points sont néanmoins à clarifier. D'abord, les sanctions prévues dans le texte sont nécessaires, mais difficiles à mettre en oeuvre. Or les sanctions non appliquées affaiblissent toujours la loi. Réfléchissons à une solution réellement dissuasive, fut-elle moins ambitieuse.
Ensuite, publier une liste noire sur Internet revient à montrer du doigt les vilains petits canards. Je doute de l'efficacité d'une telle mesure. Elle pourra être dissuasive, mais elle risque aussi paradoxalement de faire de la publicité à l'entreprise en faute !
Ne craignez-vous pas en outre que la substitution des syndicats aux salariés pour ester en justice pose un problème constitutionnel ? Cela me semble aller à l'encontre de la liberté individuelle.
Enfin, l'interdiction de percevoir toute aide publique pendant cinq ans risque de causer de graves ennuis à l'entreprise. Quid de l'entreprise en redressement judiciaire, dont les dirigeants ont changé ? Faut-il maintenir la sanction, au risque d'empêcher sa reprise et de pénaliser ses salariés ?
L'harmonisation sociale est en effet nécessaire. Dans l'idéal, nous aurions tous une carte européenne de sécurité sociale. Ce n'est malheureusement pas l'objet de cette proposition de loi... Les écarts de 20 % à 30 % de coût du travail entre un salarié polonais et un salarié français sont un premier élément de distorsion, parfaitement légale. Cette distorsion est toutefois largement accrue par la fraude - à laquelle s'attaque ce texte.
Nous examinons une proposition et non un projet de loi pour une simple raison d'opportunité : nos collègues députés, comme M. Bocquet, n'ont pas attendu la directive pour travailler sur ce sujet, et leur proposition de loi était prête au moment où les négociations sur la directive d'exécution étaient sur le point d'aboutir. Le gouvernement y a vu un véhicule législatif adapté pour une transposition rapide.
Monsieur Watrin, l'Organisation des transporteurs routiers européens a transmis sa proposition au ministère des transports, qui l'étudie. Si elle est jugée bonne, nous y reviendrons sans doute prochainement. Nous débattrons également de l'opportunité d'interdire la sous-traitance au-delà de trois niveaux. Les auditions ont révélé que les avis divergeaient sur ce point : d'aucuns y sont favorables, d'autres ont relevé les difficultés de sa mise en oeuvre. La DGT est plutôt favorable à ce qu'une telle limitation soit librement consentie par les entreprises. La réflexion n'est pas mûre non plus s'agissant du rôle des représentants du personnel lors des contrôles.
Étendre les règles de la solidarité financière à davantage de secteurs : c'est précisément l'objet de cette proposition de loi. Elle ne se limite pas au bâtiment.
Mme Génisson s'interroge sur le chiffrage du détachement en Europe. Le renforcement de la déclaration préalable devrait conduire à augmenter le nombre de déclarations et donc à mieux appréhender le phénomène. L'application SIPSI (Système d'information - prestations de services internationales), en cours de déploiement, qui recueillera les déclarations de détachement, sera accessible aux organismes de contrôle.
Le système en vigueur dans le transport routier impose un repos d'au moins 24 heures consécutives toutes les semaines, et de 45 heures toutes les deux semaines, ce dernier devant être pris hors du véhicule.
La coopération entre organismes de contrôle sera assurée par les bureaux de liaison, dont la tâche sera facilitée par l'obligation de déclaration préalable.
Monsieur Cardoux, nous proposons dans nos amendements de remplacer la contravention en cas de défaut de déclaration préalable au détachement par une sanction administrative qui sera prononcée et appliquée plus rapidement. La « liste noire » des entreprises condamnées, introduite par amendement à l'Assemblée nationale, est diversement appréciée par les organisations patronales : le Medef souhaite sa suppression, la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (CAPEB) voudrait qu'elle s'applique au premier euro...
Le seuil de 15 000 euros me parait équilibré.
Les syndicats peuvent déjà se substituer aux salariés dans diverses matières : prêt illicite de main d'oeuvre, harcèlement, discrimination, marchandage. Nous avons opté pour un parallélisme des formes avec les dispositions existantes.
Enfin, vous soulevez la question de la suppression des aides publiques en cas de reprise de l'entreprise condamnée. Je vous suggère de déposer un amendement, sur lequel nous demanderons l'avis du Gouvernement, car la question mérite d'être débattue en séance.
Article 1er
L'amendement n° 1 réécrit l'article 1er, qui nous paraissait peu clair et difficile à appliquer. Il découple la déclaration préalable de détachement et la solidarité financière en cas de non-paiement des salariés détachés. L'amendement impose au prestataire étranger d'effectuer auprès de l'inspection du travail une déclaration préalable de détachement indiquant les coordonnées du représentant en France, conformément à l'article 9 de la directive d'exécution. Il oblige le donneur d'ordre ou le maître d'ouvrage qui recourt à un prestataire étranger à vérifier que celui-ci s'est bien acquitté de son obligation de déclaration, quel que soit le montant de la prestation. Les particuliers sont toutefois dispensés de cette obligation. Tout manquement à ces règles sera passible d'une sanction administrative. L'amendement supprime l'obligation de déclaration spécifique en cas de recours à une entreprise sous-traitante ou de prestations de plus de 500 000 euros, ainsi que le dispositif de solidarité financière spécifique aux salariés détachés, prévu à l'article 1er, au bénéfice du dispositif transversal défini à l'article 2.
Je préfèrerais pour ma part que la déclaration soit faite auprès des organismes concernés, comme l'Urssaf, plutôt que de l'inspection du travail.
En outre, je trouve la rédaction de l'Assemblée nationale, selon laquelle « toute personne vérifie, lors de la conclusion et de l'exécution d'un contrat (...) que son cocontractant (...) s'acquitte des formalités déclaratives », plus percutante que la vôtre.
La déclaration de détachement s'est toujours faite auprès de l'inspection du travail. L'objectif est que l'application SIPSI, qui sera alimentée par l'inspection, soit accessible à terme à l'Urssaf et aux organismes de contrôle.
Mieux vaudrait que toutes les déclarations soient enregistrées par une même caisse.
La rédaction que je vous propose ne change pas le fond de l'article : tout le monde sera couvert.
Les députés avaient introduit une déclaration supplémentaire à la déclaration de détachement spécifique pour la sous-traitance et pour les entreprises contractant un marché de plus de 500 000 euros. Dès lors que l'article 1er prévoit une vérification par le donneur d'ordre ou le maître d'ouvrage dès le premier euro cette disposition devient inutile.
L'amendement n° 1 est adopté.
Article 1er bis
Article 1er ter
Article 2
L'amendement n° 4 étend le nouveau mécanisme de solidarité financière en cas de non-paiement du salaire minimal des salariés détachés à tous les cocontractants du maître d'ouvrage et du donneur d'ordre. Il n'y aura qu'un dispositif, qui bénéficiera à tous les salariés, détachés ou non.
L'amendement n° 4 est adopté.
Article 6
L'amendement n° 11 de M. Marseille reprend la proposition de la CAPEB qui souhaite l'inscription sur la liste noire de toute entreprise condamnée, quel que soit le montant de l'amende prononcée. J'estime pour ma part que le seuil de 15 000 euros est équilibré : avis défavorable.
L'amendement n° 11 n'est pas adopté.
Mon amendement n° 5 supprime une disposition inutile : l'affichage d'une décision judiciaire doit toujours être payé par la personne condamnée.
L'amendement n° 5 est adopté.
Article 6 bis
Article 6 ter
L'amendement n° 7 est de clarification rédactionnelle. La sanction s'applique si une forte proportion de salariés est concernée d'une part, et si les faits sont soit répétés, soit d'une particulière gravité, d'autre part.
L'amendement n° 7 est adopté.
L'amendement n° 8 prévoit une pénalité unique - 3 750 euros d'amende et deux mois d'emprisonnement - pour les personnes visées par un procès-verbal relevant une infraction pour travail illégal qui ne respecteraient pas une décision administrative de remboursement d'une aide publique, de fermeture provisoire d'un établissement ou d'exclusion des contrats administratifs.
Etant donné la nature des décisions administratives citées, il ne peut s'agir que d'entreprises ayant une implantation en France.
L'amendement n° 8 est adopté.
Article 7 bis
L'article 7 bis permet au juge de prononcer, à titre de peine complémentaire, l'interdiction pour toute personne condamnée pour travail illégal de percevoir toute aide publique pendant cinq ans. L'amendement n° 9 prévoit que le juge puisse également interdire les aides financières versées par une personne privée chargée d'une mission de service public.
INTITULÉ DE LA PROPOSITION DE LOI
Je remercie notre rapporteur pour cette présentation lumineuse. Nous examinerons les amendements extérieurs mardi prochain, avant le passage en séance publique.
La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Nous procédons à l'examen des amendements sur la proposition de loi visant à permettre le don de jours de repos à un parent d'un enfant gravement malade.
Article additionnel avant l'article 1er
L'amendement n° 3 du groupe CRC demande au gouvernement un rapport évaluant le coût et les avantages de porter le montant de l'allocation journalière de présence parentale à 90 % du salaire. Les logiques de solidarité nationale et de solidarité individuelle sont complémentaires. Nous interrogerons bien sûr le ministre sur la possibilité, dans le contexte financier actuel, d'augmenter l'allocation de présence parentale, mais ne retardons pas l'application de ce texte. Cette proposition de loi a été déposée sur le bureau de l'Assemblée nationale à l'automne 2011 ; elle suscite un grand engouement médiatique et est très attendue par les familles. Je vous propose de la voter conforme, et donc de retirer les amendements.
On ne peut proposer d'augmenter l'allocation journalière sans se heurter à l'article 40. La présente proposition de loi n'a aucun impact financier, n'en rajoutons pas !
Nous maintenons notre amendement pour provoquer un débat en séance publique. Ce texte est insuffisant et renforce l'inégalité entre les salariés des grands groupes qui ont conclu des accords collectifs et ceux des PME. D'accord pour encourager la solidarité individuelle, mais il faut aussi renforcer la solidarité nationale. Je trouve intolérables les propos du député Salen, qui traite d'irresponsables les parlementaires qui déposeraient des amendements sur sa proposition de loi. C'est un peu fort de café !
Nous aurons un débat sur le montant de l'allocation de présence parentale. J'aurais moi-même souhaité amender le texte à la marge, mais les familles attendent depuis longtemps. La première des inégalités, c'est la maladie. Même si ce texte ne résout pas tout, il importe de le voter rapidement, pour les familles et les enfants qu'il aidera.
Nous sommes tous d'accord sur l'objectif du texte, mais il faudra se pencher sur ces inégalités entre petites et grandes entreprises.
Certes, mais vu la diversité des situations individuelles, nous n'arriverons jamais à répondre à tous les cas de figure.
Les inégalités sont déjà présentes dans le droit du travail. Certaines conventions collectives autorisent les salariés à cumuler les RTT sur plusieurs années, d'autres non. Ce texte généreux offre une possibilité et ne coûte rien. Où est le problème ?
La commission demande le retrait de l'amendement n° 3 et, à défaut, y sera défavorable.
Article 1er
Je demande également le retrait de l'amendement n° 2. Qu'apporte la notion de « jeune » ? « Enfant » s'entend au sens de l'état civil.
En pédiatrie, le terme « enfant » est utilisé jusqu'à 15 ans et 6 mois.
Au sens de la CAF, on est « enfant » jusqu'à l'âge de la majorité, et « enfant majeur » entre 18 et 20 ans.
Il est précisé que le texte vise les enfants « âgés de moins de 20 ans ».
Sur le fond, nous souhaitions distinguer clairement la notion de jours de repos de celle de congés payés, pour éviter toute mauvaise interprétation.
Le congé annuel ne peut être cédé que pour sa durée excédant 24 jours ouvrables : l'amendement est satisfait.
La commission émet un avis défavorable sur l'amendement n° 2.
Votre amendement est déjà satisfait : l'employeur conserve la faculté d'organiser le travail dans l'entreprise.
De même, les salariés peuvent déjà donner des jours de congé... Nous y reviendrons en séance.
La commission demande le retrait de l'amendement n° 1 et, à défaut, y sera défavorable.
Nous poursuivons l'examen des amendements sur la proposition de loi n° 396 (2013-2014) tendant au développement, à l'encadrement des stages et à l'amélioration du statut des stagiaires.
AMENDEMENTS DU RAPPORTEUR
EXAMEN DES AMENDEMENTS DE SÉANCE
L'amendement n° 50, tout comme l'amendement n° 62 rectifié bis, vise à exonérer de l'obligation de gratification les périodes de formation en milieu professionnel (PFMP) des élèves des maisons familiales rurales (MFR). Il est vrai que dans certains cas et pour certains cursus offerts par les MFR, des PFMP peuvent durer plus de deux mois. Au vu des craintes qui sont suscitées par cette disposition, il me semble nécessaire de solliciter l'avis du Gouvernement pour qu'il nous éclaire sur la situation spécifique des MFR. J'ai d'ailleurs interpellé la ministre sur ce sujet hier lors de la discussion générale.
Je soutiens tout à fait la démarche des maisons familiales rurales. Il ne faut pas oublier qu'elles accompagnent chaque année 52 000 élèves de l'enseignement agricole.
Je crois qu'on peut dire que nous sommes tous ici sensibles à leur demande.
Il faudrait clarifier le rôle et l'organisation des MFR. Dans les années 1980, elles n'ont pas souhaité accompagner le mouvement de décentralisation qui était alors amorcé. Aujourd'hui, elles se tournent pourtant vers les collectivités territoriales lorsqu'elles souhaitent financer de nouvelles infrastructures. C'est problématique.
J'entends parfois certains qui prétendent que les MFR n'ont de pas craintes à avoir car leurs PFMP n'excèdent jamais deux mois. Cet argument n'est pas valide, il me semble même faux.
La commission soumet au Sénat la candidature de M. Georges Labazée comme membre titulaire appelé à siéger au sein du conseil d'orientation des retraites et comme membre suppléant appelé à siéger au sein du conseil de surveillance du Fonds de réserve pour les retraites en remplacement de M. René Teulade.
La réunion est levée à 12 h 30.