La réunion est ouverte à 18 h 30.
Nous recevons M. Tanneguy Larzul, président de la Commission centrale compétente en matière de bénéfices agricoles, créée par la loi du 13 janvier 1941, et que l'étude du Conseil d'État de 2001 a classé dans la catégorie des autorités administratives indépendantes (AAI). Vous êtes accompagné de M. Jean-Jacques Genest, administrateur des finances publiques adjoint. Vous nous présenterez le fonctionnement de votre collège, qui est composé de trois magistrats, honoraires ou en activité : un conseiller d'État, qui le préside, un magistrat de l'ordre judiciaire et un conseiller-maître à la Cour des comptes.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Tanneguy Larzul et Jean-Jacques Genest prêtent serment.
J'espère ne pas vous décevoir : pressenti pour présider cette commission il y a un an, j'ai été nommé juste après sa dernière réunion. Elle ne siègera plus avant novembre 2015. Vous recevez donc un président qui n'a jamais présidé.
Cette commission déjà ancienne, instituée par l'article 1652 du code général des impôts, est compétente pour fixer les éléments retenus pour le calcul du bénéfice agricole forfaitaire. Prévu par les dispositions de l'article L. 64 du code général des impôts, ce régime, qui a failli être réformé par un récent projet de loi de finances rectificative, est réservé à des exploitations dont le chiffre d'affaires se situe en deçà d'un seuil, révisable, qui est actuellement de 76 300 euros, et dont les modalités de détermination sont fixées par les articles L.1 à L.4 et R.1 à R.4 du livre des procédures fiscales. Il permet à de jeunes agriculteurs, en particulier, d'être soumis à un régime fiscal qui peut être avantageux.
Le mécanisme s'appuie sur un découpage départemental et par région agricole, donc parfois infra-départemental. Les commissions départementales établissent le forfait agricole, c'est-à-dire le revenu attendu d'une production, par hectare et par culture, qui permet à l'administration d'établir des bases individuelles. Si ces commissions n'ont pas statué à temps, ou si le résultat fait l'objet d'une contestation par l'administration ou les syndicats agricoles représentatifs - parfois systématique dans certains départements -, la commission nationale est saisie et tient lieu d'instance d'appel.
La composition de la commission centrale est fixée par les textes : outre les trois magistrats, honoraires ou en activité, du Conseil d'État, de l'ordre judiciaire et de la Cour des comptes, siègent aussi, avec voix consultative, deux hauts fonctionnaires de la direction générale des finances publiques (DGFiP), un haut fonctionnaire du ministère de l'agriculture et deux représentants de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA). Ses décisions ne peuvent être attaquées que devant le Conseil d'État par la voie d'un recours pour excès de pouvoir. La commission n'a pas de budget propre : ses coûts, minimes, sont assumés par la DGFiP. L'indemnisation de ses membres, fixée par arrêté, est de 87,05 euros par séance de quatre heures pour le président et de 57,78 euros pour les autres magistrats.
Vous considérez-vous comme une AAI, hormis le fait que vous avez dû remplir une déclaration de patrimoine ?
Une déclaration d'intérêts, bientôt, en effet. Lorsque j'ai reçu votre convocation, j'ai eu un doute - mais le Conseil d'État l'ayant classée comme telle, je ne peux rien objecter. En réalité, les listes sont variables : une quarantaine d'AAI selon l'étude de 2001, les AAI sont également répertoriées sur le site de Légifrance, mais le projet d'ordonnance visant à instituer la parité au sein des AAI, actuellement devant le Conseil d'État, n'en répertorie que 19. Il s'agit de celles que le législateur a lui-même qualifié d'AAI, car c'est cette liste qui a été transmise par le Gouvernement au Conseil constitutionnel, à sa demande, lorsqu'il a examiné la loi relative à l'égalité entre les femmes et les hommes. La jurisprudence du Conseil d'État, plus ouverte, est assez large pour englober notre commission : elle prend des décisions, c'est donc une autorité ; ses décisions, susceptibles de recours devant le Conseil d'État pour excès de pouvoir, sont administratives, c'est donc une autorité administrative, sa composition organique en témoigne. Enfin, elle est indépendante dans son fonctionnement, même si elle est peuplée de fonctionnaires. Je m'efforcerai en tout cas qu'elle le soit.
Nous n'en doutons pas. Mais sans personnel, sans locaux, avec une assistance technique de la DGFiP, comment cependant pouvez-vous l'être ? Les indemnités des membres sont très modestes, je le concède.
Combien de cas vous sont-ils soumis ? Les recours devant le Conseil d'État sont-ils fréquents, et si oui, vos décisions sont-elles souvent infirmées ?
À ma connaissance, aucune décision n'a été contestée, du moins au cours des dix dernières années. L'année dernière, quatre départements ont fait appel ; les trois années précédentes, ils étaient respectivement 22, 20 et 15.
La Constitution prévoit que le Gouvernement dispose de l'administration et que le Premier ministre dirige l'action du Gouvernement. Dès lors qu'une décision engageant l'administration est prise non pas selon la voie hiérarchique mais par une délibération collective, elle peut revêtir un caractère juridictionnel - ce n'est pas le cas de votre commission, sans préjuger de ce que dirait la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) à ce sujet. Vous fixez des normes financières de référence au nom de l'administration : vous êtes bien une AAI, aussi circonscrite soit-elle.
Elle n'est pas considérée comme telle ; si elle l'était, ce serait une juridiction très singulière. C'est une commission d'essence administrative, de par le processus de désignation de ses membres, son budget, son fonctionnement, sa dépendance à l'égard de la DGFiP. Ce n'est pas une instance d'appel au sens juridictionnel, mais plutôt une instance d'arbitrage et de conciliation. L'État peut choisir la voie hiérarchique, unilatérale, mais aussi l'administration concertée : comme vous l'avez dit, la mise en place d'un régime forfaitaire a nécessité la création de cette modalité de concertation. S'il y a une attrition des contestations, c'est que les règles du jeu sont aujourd'hui bien acceptées. L'existence même d'une voie de recours indépendante est sans doute de nature à rassurer les parties.
Le contribuable est-il obligé de d'entrer dans cette procédure ou peut-il toujours opter pour le contentieux fiscal ?
Le contribuable garde toujours la possibilité de faire un contentieux à titre individuel. Il s'agit ici d'une procédure collective : l'appel est fait soit par les organisations syndicales du département, soit par l'administration du département.
J'ai lu qu'il y avait un président suppléant qui ne souhaitait pas siéger, et que le Gouvernement n'a toujours pas remplacé, tant il se soucie de votre AAI...
J'en fais le constat avec vous. Je ne pense pas que ce soit imputable aux nouvelles règles applicables aux membres des AAI, même si celles-ci peuvent dissuader certaines vocations...
Quel a été le résultat des appels de vos décisions devant le Conseil d'État ? Quel type de décisions prenez-vous ? Sur quoi porte la réforme des décisions des commissions locales à laquelle vous procédez ?
Nous n'avons pas trouvé trace de contentieux devant le Conseil d'État. La commission aura sans doute bien travaillé !
Les débats portent sur un tarif : le rendement à l'hectare dans une région agricole donnée. La commission tranche dans la fourchette que constituent les évaluations respectives de l'administration et des syndicats, en fonction des arguments présentés par les deux parties. Elle peut pencher d'un côté, de l'autre, ou prendre une position médiane.
Tous les dix ans, lors du recensement général agricole, l'administration établit un compte d'exploitation type : il s'agit de calculer les comptes d'une exploitation agricole moyenne fictive, viable, dans chacun des 400 à 450 petites régions agricoles, en fonction des charges, du coût des matières premières, des intrants, etc, remis à jour chaque année. C'est un calcul arithmétique dépendant de différents paramètres qui permet de discuter d'égal à égal avec les organisations syndicales.
Ces données évoluent dans le temps et sont établies en collaboration avec les organisations syndicales. Le concours de spécialistes est indispensable, car ce n'est pas l'administration qui peut dire combien de tonnes d'engrais seront nécessaires pour telle ou telle production...
J'ai cru comprendre que ce n'étaient pas des organisations syndicales, mais une seule, qui siégeait.
Au niveau central, oui, c'est la FNSEA, même si d'autres organisations siègent dans les départements.
Il s'agit donc, sous l'oeil bienveillant du président, d'une négociation entre l'administration et la FNSEA.
C'est la lecture que j'en fais.
Le régime du bénéfice agricole est applicable aux exploitations dont le chiffre d'affaires est inférieur à 76 300 euros. En reste-t-il beaucoup ?
Il y a environ 200 000 exploitations au forfait et 300 000 qui choisissent le régime réel.
Cela concerne surtout les jeunes agriculteurs ou les agriculteurs retraités qui continuent une activité réduite. Une micro-population, donc, mais, vu le morcellement, un grand nombre d'exploitations. Le régime du forfait n'est pas aussi avantageux qu'on pourrait croire car on ne peut déduire les charges, qui sont parfois lourdes, notamment pour les jeunes agricultures. D'où le droit d'option entre les deux régimes.
Est-il utile de continuer sous cette forme ? Quelle valeur ajoutée y a-t-il à être une AAI ?
Je pense que c'est utile. Être en marge des circuits de décision de l'administration permet une concertation, une procédure contradictoire, dans une profession où les réactions peuvent être épidermiques. Le nombre de contentieux baisse, j'y vois un gage d'efficacité : l'absence de recours, de frictions, est un signe de succès. Si cette instance était supprimée, le mécontentement s'exprimerait autrement, sans doute par le contentieux, auquel cette commission permet d'échapper pour un coût somme toute modeste.
Qu'est-ce que la commission centrale des impôts directs, dont vous êtes président ?
Il s'agit en fait de la commission centrale permanente compétente en matière de bénéfices agricoles. La décision est prise localement, par la commission départementale des impôts directs au sens de l'article 1651 du code général des impôts, présidée par un magistrat de tribunal administratif. La commission centrale, que je préside, n'intervient qu'en appel. Ce sont bien deux étages d'une même fusée.