Commission des affaires sociales

Réunion du 28 septembre 2022 à 9h50

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La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

présidente. – Mes chers collègues, nous entendons ce matin Mme Patricia Ferrand, présidente et M. Jean-Eudes Tesson, vice-président de l’Unédic, sur le projet de loi portant mesures d’urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi.

Sous réserve de sa bonne transmission par l’Assemblée nationale, nous devrions examiner ce texte en commission le 12 octobre prochain, puis en séance publique à partir du 25 octobre.

Nos rapporteurs pressentis, que je soumettrai à votre confirmation tout à l’heure, sont Frédérique Puissat et Olivier Henno.

J’indique que cette audition fait l’objet d’une captation vidéo retransmise en direct sur le site du Sénat et disponible en vidéo à la demande.

Debut de section - Permalien
Patricia Ferrand, présidente de l’Unédic

– Nous vous remercions de votre invitation, mesdames, messieurs les sénateurs.

Nous n’avons pas prévu de propos liminaires. En revanche, je précise que l’Unédic est un organisme paritaire. Je préside le conseil d’administration et représente la CFDT, Jean-Eudes Tesson représentant pour sa part le Medef.

Les organisations patronales et syndicales, que vous auditionnerez très certainement, vous livreront sans doute des points de vue contrastés sur ce projet de loi.

Pour notre part, nous nous efforcerons d’avoir un regard paritaire : nous ne sommes pas ici les porte-parole des organisations que nous représentons.

Mme Frédérique Puissat. – Toute promesse politique tenue doit être saluée. En l’occurrence, la promesse du Gouvernement de faire des textes courts l’est manifestement, puisque ce projet de loi ne comprend que cinq articles – dont deux sur l’assurance chômage.

Ce texte pose tout d’abord la question de la gouvernance de l’assurance chômage, gérée aujourd’hui selon le principe du paritarisme. L’article 1er vise notamment à ce que le Gouvernement se ressaisisse de la détermination des règles de l’assurance chômage jusqu’en décembre 2023. En d’autres termes, l’exécutif « reprendrait les clefs du camion », considérant peut-être que les partenaires sociaux n’ont pas suffisamment bien géré l’Unédic.

Les deux composantes que vous représentez considèrent-elles que l’assurance chômage doit rester dans le champ du paritarisme ? Selon vous, est-ce que la gouvernance paritaire de l’assurance chômage fonctionne ?

S’agissant du budget de l’assurance chômage, le ministre a annoncé des excédents pour 2022, en les attribuant de façon très politique à la loi de 2018. Toutefois, le retour à l’équilibre du système d’assurance chômage avait été annoncé avant même la réforme de 2019. Pouvez-vous nous confirmer qu’indépendamment du décret de carence de 2019, les comptes de l’Unédic seraient revenus à l’équilibre ?

Enfin, vous aviez, à l’époque, et de façon très intéressante, détaillé la provenance de la dette de l’assurance chômage, pointant un certain nombre de domaines qui relevaient de décisions de l’État et qui pesaient dans votre budget : le point de retraite complémentaire des chômeurs – 2 milliards d’euros –, l’indemnisation des travailleurs transfrontaliers – 700 millions d’euros –, le fonctionnement de Pôle emploi – 4 milliards d’euros – et l’activité partielle, qui a beaucoup pesé, notamment au cours de la crise sanitaire. Pensez-vous qu’il soit possible de « nettoyer » le budget de l’Unédic pour rendre à l’État ce qui lui appartient ?

Enfin, de façon constante, la majorité du Sénat s’est opposée au mécanisme du bonus-malus sur les contributions d’assurance chômage. Sans remettre en cause ce dispositif, ce texte propose d’éclairer les entreprises concernées par le dispositif en leur permettant d’obtenir la liste des salariés pris en compte pour la détermination de leur taux modulé. Dès lors, deux approches sont possibles : soit nous continuons à nous opposer au bonus-malus, soit nous entreprenons de le recentrer en excluant notamment des fins de contrat pris en compte les intérimaires, les licenciements économiques et les abandons de postes. Quelle est votre opinion sur ce point ? Personne ne peut se satisfaire des contrats courts, mais peut-être le dispositif de bonus-malus pourrait-il être affiné.

– Oui, il me semble que la gouvernance de l’assurance chômage fonctionne. Mais derrière le vocable de gouvernance, il faut distinguer deux choses : d’une part, la négociation des règles de l’assurance chômage – celle-ci est en principe déléguée aux partenaires sociaux, mais, en effet, ce projet de loi a pour but de mettre totalement entre parenthèses cette délégation, ce qui est un acte très fort – ; d’autre part, la gestion du régime lui-même : il revient à l’Unédic de mettre en œuvre les règles décidées par les partenaires sociaux par convention, hors régime de carence, et d’assurer la gestion financière du régime.

S’agissant de la gestion, la période covid a montré le savoir-faire de la structure associative paritaire qu’est l’Unédic. En mars 2020, il a fallu rapidement indemniser 1 million de chômeurs supplémentaires, et le système a fonctionné.

Il me semble que la performance de l’Unédic ne doit pas se mesurer seulement au regard de son niveau d’endettement, qui a augmenté y compris sous le régime de carence.

Debut de section - Permalien
Jean-Eudes Tesson, vice-président de l’Unédic

– Ce projet de loi peut être perçu de façon très politique ou exclusivement technique. Les partenaires sociaux, chargés de négocier les règles de l’assurance chômage, devaient recevoir pour le 30 juin 2022 une lettre de cadrage. Sur fond d’élections, celle-ci n’est jamais arrivée.

Nous avons travaillé en concertation avec l’État pour examiner les solutions possibles. On pouvait proroger les règles actuelles, mais avec quels outils juridiques ? Le ministère a estimé qu’un décret ne suffisait pas et qu’il fallait passer par la loi. Techniquement, le rôle des partenaires sociaux dans la gouvernance de l’assurance chômage devait être suspendu pendant un certain temps. De ce point de vue, il s’agit d’un projet de loi technique. Cache-t-il néanmoins des intentions plus politiques ? L’État souhaite-t-il durablement suspendre le rôle des partenaires sociaux dans l’élaboration des règles ? Je n’ai pas la réponse ; seul l’avenir nous le dira. Étant toutefois d’un naturel optimiste, je préfère m’en tenir à l’hypothèse d’un dispositif purement technique, en attendant la concertation qui s’annonce.

Je veux toutefois saluer le rôle des partenaires sociaux durant toutes ces années au cours desquelles ils ont défini entre eux les règles de l’assurance chômage. Nous sommes loin d’un constat d’échec, me semble-t-il. En revanche, il est bon de réfléchir à la question de la gouvernance, car l’Unédic d’aujourd’hui n’est pas celle d’hier, en particulier par son rôle de financeur.

Nous ne sommes plus dans un système où les cotisations étaient directement fléchées vers leurs destinataires. L’Unédic est devenue une sorte de pot commun, alimentée par des cotisations patronales, mais aussi par une part de CSG ; elle doit financer non seulement les allocations des demandeurs d’emploi – son cœur de métier –, mais aussi contribuer à la retraite des demandeurs d’emploi, à celle des détenus et prendre en charge la plus grosse partie du budget de Pôle emploi. La gouvernance d’ensemble devient donc plus difficilement lisible.

Debut de section - Permalien
Patricia Ferrand, présidente de l’Unédic

– Je partage le point de vue de Jean-Eudes Tesson.

D’ailleurs, sauf erreur de ma part, dans l’exposé des motifs du projet de loi, il est fait référence à une concertation non seulement sur la modulation des allocations en fonction de la conjoncture, mais aussi sur la gouvernance.

Les organisations syndicales et patronales s’accordent pour dire que nous sommes au milieu du gué. Le document de cadrage de 2019 rendait la négociation impossible, et il faut aujourd’hui clarifier les responsabilités des uns et des autres. Quelles sont les compétences de l’État, les responsabilités des partenaires sociaux ? Le statu quo semble impossible.

Au sein de la dette de l’Unédic, qui avoisinera sans doute 60 milliards d’euros fin 2022, 19 milliards d’euros environ relèvent des strictes mesures d’urgence prises pendant la période covid – le financement de l’activité partielle pour 15 milliards d’euros, mais aussi la prolongation des droits et l’année blanche pour les intermittents.

Certes, nous portons cette dette covid, mais nous estimons qu’elle ne relève pas du financement du régime. Jean-Eudes Tesson a parlé des nouveaux bénéficiaires qui ne cotisent pas. Cela soulève beaucoup d’interrogations dans la gestion d’un régime que nous souhaitons toujours assurantiel, avec des cotisants qui acquièrent des droits. Il me semble donc que toutes les organisations souhaitent une clarification des responsabilités entre l’Unédic et l’État.

Debut de section - Permalien
Jean-Eudes Tesson, vice-président de l’Unédic

– Je me permets d’insister sur la dette « covid ». Nous distinguons désormais toujours la dette de l’Unédic liée à sa mission, qui dépend de la conjoncture, et cette dette exceptionnelle née de décisions qui ne relevaient pas des partenaires sociaux.

Sur cette dernière, nous considérons que nous assurons seulement une mission de portage, et nous comptons bien engager des discussions avec l’État pour savoir qui va devoir la rembourser. En attendant, nous remboursons notre propre dette, grâce aux prévisions d’excédents dont vous avez fait état – les dernières prévisions quadrimestrielles font apparaître un excédent prévisible de 2,5 milliards d’euros cette année, et d’environ 10 milliards d’euros sur les exercices 2022, 2023 et 2024. Même si, techniquement, il s’agit bien d’un excédent, n’oublions pas que notre dette reste abyssale au regard de nos ressources et de notre résultat d’exploitation. Il n’y a donc pas de cagnotte et le vrai excédent reste celui de notre dette.

Toutefois, si l’on retirait à l’Unédic toutes les charges qui ne sont pas adossées à des cotisations, sa situation financière serait nettement différente.

Debut de section - Permalien
Patricia Ferrand, présidente de l’Unédic

– S’agissant de l’article du projet de loi visant à informer les entreprises sur « l’origine du mal » en leur communiquant les données nominatives des salariés concernés, je me permets, cette fois au nom des organisations syndicales, de lancer une petite alerte.

La moitié des personnes qui sont indemnisées le sont sur des contrats courts et récurrents, le plus souvent conclus avec le même employeur. Il faut savoir que ce phénomène de « réembauche » représente environ 75 % de l’ensemble des contrats courts.

Or, on a constaté dans d’autres pays que cette communication des données nominatives pouvait comporter un risque de chantage à l’emploi, de non-recours aux droits ou d’augmentation du travail au noir. « Je ne te réembauche pas si tu t’inscris à Pôle emploi... ». C’est un élément qu’il faut prendre en compte dans la réflexion aujourd’hui.

Debut de section - Permalien
Jean-Eudes Tesson, vice-président de l’Unédic

– Je ne porterai pas de jugement sur le dispositif du bonus-malus lui-même en tant que vice-président de l’Unédic, mais je peux vous apporter un témoignage de chef d’entreprise opérant dans l’un des sept secteurs assujettis.

Dans ma société de logistique de vins et spiritueux, dont l’activité a un caractère très saisonnier, le taux de séparation est de 775 %, bien au-dessus du seuil fixé à 150 % au-dessus duquel un secteur est assujetti au dispositif. Nous sommes donc au malus maximum, mais comment améliorer notre taux de séparation ? Les alternatives ne sont pas simples à trouver et leur mise en œuvre exige de déployer beaucoup d’énergie. De surcroît, même en faisant des efforts substantiels, on restera sans doute au malus maximum, ce qui n’est pas franchement incitatif.

On pourrait certes envisager de demander la liste des salariés, mais comment la vérifier ensuite, et comment la contester le cas échéant ? La voie du recours amiable auprès de l’Urssaf me semble assez stérile. Comment, enfin, préserver une certaine confidentialité sur le parcours du salarié ?

Debut de section - Permalien
Patricia Ferrand, présidente de l’Unédic

– Le rôle de l’Unédic est aussi d’opérer des évaluations pour le compte des partenaires sociaux. Le dispositif du bonus-malus sera donc évalué, bien évidemment, mais comme il ne s’applique que depuis quelques jours, les données sont encore insuffisantes. Il semblerait toutefois que la situation décrite par Jean-Eudes Tesson ne soit pas si exceptionnelle que cela.

Aujourd’hui, ce mécanisme s’applique à un très petit nombre d’entreprises, d’autant que certains secteurs ont été exclus à la suite de la crise du covid. Des questions se posent sur l’efficacité de ce mécanisme incitatif, mais il est encore difficile de l’évaluer pour l’instant.

Debut de section - Permalien
Jean-Eudes Tesson, vice-président de l’Unédic

– Vous avez évoqué l’idée d’exclure les intérimaires, madame la sénatrice. On pourrait aussi envisager d’exclure les salariés qui refusent un CDI. Un employeur qui se trouve pénalisé dans ce cas n’est pas incité à faire des efforts !

Debut de section - Permalien
Patricia Ferrand, présidente de l’Unédic

– Je ne dis pas que cela n’existe pas, mais, comme pour les abandons de postes, c’est une réalité très difficile à quantifier.

Rappelons aussi que les droits de ceux qui alternent entre emploi et périodes d’inactivité ont très fortement diminué avec la dernière réforme. Il est certes important d’entendre les réalités de terrain des chefs d’entreprise, mais de très nombreux salariés se voient toujours proposer des contrats de quelques heures, y compris en cette période où les recrutements sont difficiles. Un quart de la vingtaine de millions de missions d’intérim accomplies chaque année dure moins d’un jour !

M. Olivier Henno. – Nous pouvons dire que ce projet de loi présente à la fois une dimension technique, politique et financière. Toutefois, comme le disait Pierre Mauroy, on est toujours rattrapé par la politique !

Sur le paritarisme, je salue vos propos. Il est bon en effet que les partenaires sociaux réaffirment leur attachement au paritarisme, qui peut – et doit ! – permettre à une négociation d’aboutir.

Sur le plan financier, on a effectivement besoin de bilans et d’évaluations, car on a parfois l’impression de passer d’une convention à une autre sans avoir totalement mesuré les impacts de la convention précédente.

J’aimerais également avoir votre avis sur le dispositif d’activité partielle – évolutions possibles, impacts financiers – et sur la validation des acquis de l’expérience (VAE) ?

Enfin, s’agissant de gouvernance, quel regard portez-vous sur le projet de création de France Travail ?

– Sans parler de son adaptation en urgence à l’occasion de la crise sanitaire, le dispositif d’activité partielle est ancien. On peut toujours l’améliorer, mais il ne fonctionne pas trop mal.

On pourrait également consolider, me semble-t-il, le dispositif d’activité partielle de longue durée (APLD), qui exige un accord collectif, de branche ou d’entreprise, et qui permet, s’il est bien négocié, de profiter de l’activité partielle, par exemple, pour monter en compétences – on sait que c’est un enjeu majeur aujourd’hui sur le marché du travail. En ce qui concerne la formation, le dispositif de base d’activité partielle est un peu moins incitatif, la rémunération n’étant pas abondée.

Nous nous intéressons évidemment à la VAE, sur laquelle je pourrais m’exprimer longuement. Pour nous, il est évident que l’indemnisation et l’accompagnement doivent cheminer ensemble. L’indemnisation sera d’autant moins longue que les personnes seront bien accompagnées et formées pour retrouver rapidement un emploi stable.

Enfin, s’agissant de France Travail, une concertation est lancée, avec peut-être une autre grande loi Travail à la clef. L’Unédic est concernée au premier chef, car nous finançons aujourd’hui quatre-cinquièmes du budget de Pôle emploi, mais nous n’en savons pas beaucoup plus pour l’instant. De façon transitoire, la question sera sans doute réglée par une prorogation de la convention tripartite actuelle entre l’État, l’Unédic et Pôle emploi pour 2023. Mais il y a là aussi un vrai sujet de gouvernance, qu’il faudra articuler avec le chantier de la gouvernance de l’assurance chômage.

Debut de section - Permalien
Jean-Eudes Tesson, vice-président de l’Unédic

– S’agissant du dispositif de chômage partiel, il a été salutaire pour notre pays lors de la crise du covid. En cas de nouvelle crise – imaginons des fermetures d’entreprises en raison d’une crise de l’énergie –, faudrait-il reconduire le dispositif retenu pendant la pandémie ? La situation ne serait pas exactement la même, et il faudrait veiller aux risques spéculatifs sur l’énergie : certaines entreprises pourraient fermer uniquement pour revendre leurs droits Arenh (accès régulé à l’énergie nucléaire historique) et gagner plus d’argent. Il faudrait aviser en fonction de la situation.

Enfin, Pôle emploi – peut-être France Travail demain – est l’un des deux opérateurs de l’Unédic – avec l’Urssaf, qui assure le recouvrement des cotisations. Nous souhaitons donc qu’il continue à faire baisser nos charges en pourvoyant un maximum d’emplois et qu’il assure de façon satisfaisante le versement des allocations. Pour nous, le critère le plus important est l’amélioration de la qualité de service. Si tel devait être le cas, nous serions favorables à la création de France Travail.

Mme Monique Lubin. – Pour notre part, nous désapprouvons totalement la reprise en main par le Gouvernement de ces questions et la fin annoncée du paritarisme. À titre personnel, je trouve la méthode assez violente, mais nous aurons l’occasion d’en discuter lors de la présentation de ce projet de loi.

Au-delà de la forme, sur le fond, n’assiste-t-on pas à un changement de philosophie de l’assurance chômage ? L’indemnisation des demandeurs d’emploi est réduite au minimum, on les pousse à revenir obligatoirement vers l’emploi, épousant en cela la vox populi qui estime majoritairement que les chômeurs doivent retourner bosser.

Je crois que l’on devrait tenter d’éclairer la vox populi, et que l’assurance chômage est aussi faite pour que les demandeurs d’emploi, après un échec dans l’emploi, puissent prendre un peu de temps pour se pencher sur leur avenir professionnel, se former, changer d’orientation, et non être obligés de reprendre n’importe quel emploi dans n’importe quelles conditions.

Mme Raymonde Poncet Monge. – L’article 62 de la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel dispose que le Gouvernement doit remettre au Parlement, dans un délai de deux ans à compter de la promulgation de la loi, un rapport sur la réalité et les conséquences du non-recours aux droits en matière d’assurance chômage.

La presse estime que ce rapport existe, mais, à ma connaissance, il n’a toujours pas été rendu public. Que contient-il ? Que sait-on du non-recours dans ce domaine ?

Par ailleurs, vos évaluations confirment-elles une baisse des allocations et du nombre d’allocataires induite par la loi de 2018 ? Comptez-vous également évaluer à l’avenir la qualité de l’emploi retrouvé après l’entrée en vigueur de cette loi, en termes de niveau de rémunération, de temps de travail et de durabilité de l’emploi ?

M. Philippe Mouiller. – J’ai bien noté qu’un tiers de la dette de l’Unédic était liée à la crise du covid. Pourtant, souvent, dans le bilan du Gouvernement en la matière, cette ligne n’apparaît pas !

J’ai entendu aussi vos interrogations sur le champ d’intervention de l’Unédic. Ne faut-il pas le recentrer sur sa mission première, et en parallèle mettre sur la table la question du transfert à la sécurité sociale des 35 % de CSG qui reviennent à l’Unédic ?

Sur mon territoire, je suis entouré de chefs d’entreprise qui ne parviennent pas à recruter ou qui essuient des refus de CDI. Ce texte n’est-il pas l’occasion de durcir clairement les positions ? De même, les ruptures conventionnelles ont pu être un atout, mais ne sont-elles pas aujourd’hui utilisées de façon abusive au détriment du marché de l’emploi ?

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. – Lors de la discussion de la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale, j’avais déjà invité les partenaires sociaux à remettre complètement à plat le système paritaire s’ils ne voulaient pas que l’État se mêle plus de leurs affaires qu’il ne le fait actuellement.

À mes yeux, sans révision profonde du fonctionnement de la gouvernance, le paritarisme est en danger. Pourtant, je vous assure, je suis « paritariste » à fond ! J’y crois, et cela fonctionne très bien à l’Agirc-Arrco.

J’étais opposé à la suppression des cotisations salariales en 2019, car cela changeait complètement la nature du régime, le faisant dériver d’un régime d’assurance vers un régime d’assistance.

La création de France Travail peut être l’occasion d’un débat de fond. Pour moi, il faut dépasser la notion de chômage et viser le plein emploi, ce qui passe par la formation de tous ceux qui se retrouvent un jour au chômage. Or être en formation, ce n’est plus être au chômage. Si l’on ne pose pas le problème de cette manière, on ne trouvera jamais de solutions.

M. Daniel Chasseing. – Vous nous avez expliqué qu’une partie de la dette était due au chômage partiel mis en place pendant la crise du covid. Quels sont les déficits dont l’Unédic est responsable ? Depuis 2020, n’avez-vous pas eu de réponse du Gouvernement pour la prise en charge de cette dette, que vous estimez due aux directives de l’État ?

À l’avenir, ne faut-il pas que les chômeurs soient pris en charge par France Travail sur la base d’un diagnostic santé, logement et mobilité pour aller vers l’emploi ?

Mme Cathy Apourceau-Poly. – Une fois n’est pas coutume, je partage l’intervention de M. Vanlerenberghe. L’emploi, c’est aussi la dignité. Il faut aller vers le plein emploi, mais avec des conditions de travail dignes et des salaires à la hauteur.

L’exécutif souhaite moduler l’assurance chômage en fonction de la situation du marché du travail, comme cela se fait au Canada à l’échelon régional. Depuis la réforme de 2019, il faut avoir travaillé six mois sur les vingt-quatre derniers mois pour y avoir droit. Comment interviendra cette modulation demain ? Faudra-t-il avoir travaillé sept mois ? La période de référence passera-t-elle à dix-huit mois ?

Vous avez évoqué, madame Ferrand, la question des contrats courts. Si, épuisée, une aide-soignante arrête de travailler, elle sera indemnisée sur une période moindre, car les besoins du secteur seront forts. On fait fi de la pénibilité de ces emplois.

Debut de section - Permalien
Patricia Ferrand, présidente de l’Unédic

– Nous partageons l’idée qu’il faut refonder le système. Un accord national interprofessionnel sur le paritarisme a été signé voici quelques mois ; il aborde notamment la démocratie sociale. Au-delà de la place des partenaires sociaux, il faut déterminer à quoi sert le régime, ce qui permettra ensuite de clarifier les responsabilités. Le régime ne peut pas tout faire ! Il y a très certainement de nouveaux besoins sur le marché du travail, auxquels il faut répondre de façon plus systémique. Il faut aussi déterminer l’articulation du régime avec d’autres systèmes de protection. Il convient de partir de là, plutôt que de la nature du financement, en se demandant à quels besoins le régime doit répondre. Les chômeurs constituent aujourd’hui des publics très hétérogènes, avec des besoins très différents. Il faut replacer l’indemnisation dans cet écosystème, et surtout ne pas confondre le régime avec les minima sociaux.

Nous n’avons pas plus d’informations que la commission sur le rapport relatif au non-recours. Une concertation se tiendra prochainement sur la durée d’indemnisation. L’évaluation d’une réforme, a fortiori une réforme ayant pour objet de modifier les comportements, prend davantage que trois mois. L’Unédic mène systématiquement ce travail pour donner des éléments de réflexion aux partenaires sociaux et nourrir le débat public, sous le double angle du financement et des effets sur les personnes concernées.

Enfin, je ne partage pas l’estimation de 1,5 million d’emplois vacants. La Dares estime que leur nombre, certes en hausse, est compris entre 350 000 et 500 000. Nous sommes loin du nombre de demandeurs d’emploi.

Debut de section - Permalien
Jean-Eudes Tesson, vice-président de l’Unédic

– Il n’y a pas un, mais des chômages. La véritable bascule a été, à mon avis, le remplacement des cotisations salariales par la CSG, qui a eu un impact sur la perception du demandeur d’emploi. Tant que l’assurance chômage était une véritable assurance, elle était perçue comme un remboursement versé à des sinistrés de manière transitoire. En passant à un financement par la solidarité nationale, on fait de la demande d’emploi un statut.

Après cette bascule, que fait-on ? La réponse varie selon les territoires. En Vendée, Pôle emploi aide les entreprises à recruter. Dans d’autres territoires, il accompagne les demandeurs d’emploi. Dans cette dernière catégorie, il faut distinguer les chômeurs en situation transitoire, qu’il n’est pas nécessaire d’accompagner, ceux qui ont besoin d’être formés, et ceux qui sont « inemployables », même si je n’aime pas ce terme. Je connais ce dernier public, ayant présidé durant vingt ans une association d’insertion par le logement. Il n’y a pas de solution sans approche par l’inclusion, dans toutes les dimensions de la vie : le travail, mais aussi la santé, car beaucoup d’entre eux relèvent de la psychiatrie, ce que la société ne veut pas voir.

Adapte-t-on la gouvernance à la nouvelle philosophie ou revient-on à la philosophie d’origine ? Ce n’est pas à moi de trancher. Concernant la gouvernance, mon organisation m’a demandé de prendre ce mandat pour défendre le paritarisme au sein de l’Unédic, et non pour m’occuper de ses finances. Geoffroy Roux de Bézieux m’a réitéré cette demande, à laquelle je souscris pleinement.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. – Cela me convient parfaitement, à condition que l’Unédic se saisisse pleinement de la question du paritarisme. Sans partenaires sociaux au premier rang, cela ne fonctionnera pas. J’entends que les associations d’inclusion participeront à la gouvernance de France Travail. J’ai présidé pendant plus de vingt ans une association qui porte le nom de « Maison de l’emploi et des métiers », alors qu’elle s’appelait à l’origine la Maison des chômeurs. C’est dire que nous avons changé de paradigme pour mettre l’accent sur l’insertion.

Que fait-on des gens inemployables, qui ont des difficultés de santé ? Aux Pays-Bas, ils sont retirés du chômage. C’est un problème social. Il faut, lorsqu’on est aux portes du plein emploi, permettre à tout le monde d’avoir sa chance. Tout doit être intégré dans une vision d’ensemble, et vous avez un rôle éminent à jouer car vous gérez 30 à 35 milliards d’euros de cotisations et contributions.

Mme Catherine Deroche. – Je vous remercie pour vos interventions.

Ce point de l’ordre du jour a fait l’objet d’une captation vidéo qui est disponible sur le site du Sénat.

La commission désigne Mme Frédérique Puissat et M. Olivier Henno rapporteurs sur le projet de loi n° 219 (A.N., XVIe lég.) portant mesures d’urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi, sous réserve de sa transmission.

La commission désigne Mme Raymonde Poncet-Monge rapporteure sur la proposition de loi n° 224 (2021-2022) visant à faire évoluer la formation de sage-femme.

La commission désigne Mme Corinne Imbert rapporteure sur la proposition de loi n° 419 (2021-2022) visant à la consolidation et à la professionnalisation de la formation des internes en médecine générale afin de lutter contre « les déserts médicaux » présentée par M. Bruno Retailleau et plusieurs de ses collègues.

La commission désigne Mme Brigitte Devésa rapporteure sur la proposition de loi n° 874 (2021-2022) visant à accompagner la mise en place de comités sociaux et économiques à La Poste, présentée par Mme Denise Saint-Pé et plusieurs de ses collègues.

La commission désigne Mme Jocelyne Guidez rapporteure sur la proposition de loi n° 875 (2021-2022) créant une aide universelle d’urgence pour les victimes de violences conjugales, présentée par Mme Valérie Létard et plusieurs de ses collègues.

La commission demande à être saisie pour avis sur le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027 (AN n°272, 16e legisl.) et désigne Mme Élisabeth Doineau rapporteure pour avis.

La commission désigne Mme Florence Lassarade rapporteure sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de M. Benoît Vallet aux fonctions de directeur général de l’Agence nationale chargée de la sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, en application de l’article 13 de la Constitution.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

présidente. – Nous sommes saisis, dans le cadre de la procédure prévue par l’article 13 de la Constitution, de la candidature de M. Benoît Vallet, candidat présenté par le Président de la République aux fonctions de directeur général de l’Anses.

Comme vous le savez, la nomination du directeur général de l’Anses est soumise à cette procédure en application de la loi organique modifiant la loi organique n° 2010-837 du 23 juillet 2010 relative à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution.

Je rappelle que l’Anses a été créée en 2010 à la suite du Grenelle de l’environnement, et qu’elle est chargée d’évaluer les risques sanitaires dans les domaines de l’alimentation, de l’environnement et du travail. Elle a vocation à éclairer le débat public sur des questions de sécurité sanitaire où le besoin d’objectivation scientifique se fait fortement sentir. L’actualité nous fournit régulièrement des illustrations de ce besoin.

M. Vallet a déjà eu l’occasion de s’exprimer à différents titres devant notre commission, notamment le 4 juin 2020 où il est venu présenter sa candidature à la présidence… du conseil d’administration de l’Anses.

Nous avions alors abordé les perspectives que vous souhaitiez tracer pour l’agence, votre conception de ses relations avec la tutelle, dans laquelle pas moins de cinq directions générales sont impliquées, et le partage des responsabilités entre les ministères et les agences sanitaires dans le contexte de la crise sanitaire.

Notre commission reste mobilisée sur le sujet du financement des agences sanitaires, marqué par un net désengagement de l’État et un passage de relais à l’assurance maladie mais aussi de leur bonne coordination, ce qui est un sujet de la tutelle alors que sont promus des concepts comme celui de One Health.

Je rappelle que cette nomination ne peut intervenir qu’après audition devant les commissions compétentes de l’Assemblée nationale et du Sénat. Cette audition est publique. Elle sera suivie d’un vote, qui se déroulera à bulletin secret. Les délégations de vote ne sont pas autorisées et le dépouillement doit être effectué simultanément à l’Assemblée nationale.

En vertu du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, le Président de la République ne pourrait procéder à cette nomination si l’addition des votes négatifs exprimés dans les deux commissions représentait, au total, au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés.

Debut de section - Permalien
Benoît Vallet, candidat aux fonctions de directeur général de l’Agence nationale chargée de la sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail

– Je suis heureux et impressionné de me présenter devant vous dans le cadre de cette audition.

Avant d’aborder ma candidature, je me permettrai un bref rappel sur l’Anses.

Créée voici douze ans, c’est donc une agence assez jeune qui regroupe à ce jour, sur seize sites du territoire national, près de 1 400 agents, neuf laboratoires de recherche et utilise pas moins de 800 experts extérieurs issus d’universités et d’organismes de recherche français et étrangers.

La première mission de cette agence est d’apporter aux décideurs publics des repères scientifiques et des recommandations visant à mieux protéger la santé humaine contre les risques liés à l’alimentation, l’environnement ou le travail, ou qui affectent la santé des animaux et des plantes.

Les travaux de l’Anses alimentent l’élaboration de nombreuses dispositions législatives et réglementaires, et peuvent aider les pouvoirs publics à décider de mesures de gestion dans leurs champs de compétence.

L’Anses intervient également comme opérateur et financeur de la recherche publique ; elle coordonne divers dispositifs de vigilance tels la toxicovigilance, s’appuyant sur les centres antipoison, la phytopharmacovigilance, ou encore la nutrivigilance depuis 2015. Elle assure des missions de surveillance et d’alerte sur les risques émergents ou récurrents, comme la grippe aviaire.

L’Anses joue également un rôle essentiel en matière de sécurité sanitaire en garantissant la qualité des analyses officielles en santé animale, en santé des plantes et en sécurité sanitaire des aliments, à l’instar des laboratoires nationaux de référence qui interviennent en santé humaine.

L’Agence s’est également vu confier l’examen des demandes de mise sur le marché pour plusieurs familles de produits réglementés à enjeux sanitaires spécifiques, dont les produits phytopharmaceutiques, les biocides et les médicaments vétérinaires.

Enfin, l’Anses participe aux travaux de nombreuses instances européennes et internationales dans ses différents champs de compétence, notamment en ce qui concerne la sécurité sanitaire des aliments, le risque chimique, la santé et le bien-être animal, champs dans lesquels elle exerce des mandats de laboratoire de référence de l’Union européenne, et y représente la France à la demande du Gouvernement. On peut également évoquer le rôle de coordonnateur confié à l’Anses pour le très ambitieux Partenariat européen pour l’évaluation des risques chimiques (Parc), programme au budget de 400 millions d’euros associant près de 200 partenaires de 28 pays et trois agences européennes. C’est l’exemple même du rôle que l’Anses doit prendre pour stimuler la recherche européenne et internationale dans ses domaines d’expertise.

Je suis candidat à la direction générale de cette agence car plusieurs éléments de mon parcours professionnel me semblent à même de répondre aux compétences requises pour ce poste.

Médecin formé à la recherche, j’ai poursuivi une activité de chercheur et d’enseignant au profit de la santé publique et de la santé mondiale : j’encadre encore un étudiant en thèse de doctorat.

J’ai exercé des responsabilités de management dans plusieurs organisations de santé comme le centre hospitalier universitaire (CHU) de Lille, la direction générale de la santé (DGS) ou l’agence régionale de santé (ARS) des Hauts-de-France.

J’ai contribué en 2016, en tant que directeur général de la santé, à la mise en place des agences sanitaires, selon un système reposant sur trois piliers. D’abord, la veille et surveillance épidémiologique de la population avec l’Agence nationale de santé publique (ANSP) devenue Santé publique France ; ensuite, les produits et les pratiques de santé avec l’Agence nationale de sécurité des médicaments et des produits de santé (ANSM) ; et enfin l’évaluation scientifique de risques sanitaires nouveaux, notamment environnementaux ou encore mal cernés avec I’Anses.

En tant que tutelle, j’ai eu l’occasion de saisir l’Anses et d’apprécier la pertinence de ses réponses scientifiques ; j’ai participé à l’élaboration de son contrat d’objectifs et de performance 2018-2022.

Je me suis engagé en faveur de la déontologie et de la prévention des conflits d’intérêts, qui constitue la première condition de la confiance dans la décision publique, avec la mise en place du site unique de déclaration publique d’intérêts dans le cadre de la loi de 2016 pour la transparence sur les liens d’intérêt en santé.

Mon expérience interministérielle m’a, par ailleurs, amené à contribuer à la mise en place de cadres et politiques de santé publique structurants pour l’action de l’Anses : je citerai l’antibiorésistance, la problématique du chlordécone avec le plan Chlordécone 3, le plan national Santé-Environnement 3, ou le plan Santé au travail 3.

Enfin, membre du Conseil exécutif de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) de 2014 à 2017, acteur de la mise en place de l’Académie de l’OMS à Lyon en 2019, ou de la gestion de la crise covid aux côtés du Délégué interministériel à la stratégie nationale de déconfinement et en tant que directeur de l’ARS des Hauts-de-France, je me suis progressivement familiarisé avec une vision plus globale et transversale de la santé, à l’échelle régionale, nationale ou mondiale, cohérente avec les missions de l’Anses au titre d’une seule santé – One Health pour les Anglo-saxons.

J’ai pris en septembre 2020, soit un mois avant d’assumer la direction de l’ARS des Hauts-de-France, la présidence du conseil d’administration de l’Anses. J’avais auparavant demandé aux membres du conseil s’ils souhaitaient que je décline cette responsabilité ; pour la direction des affaires juridiques du ministère de la santé, il n’y avait pas de lien d’intérêt suffisamment probant pour entraîner des conflits, cette présidence étant non exécutive.

J’ai ainsi pu bénéficier ces dernières années d’un panorama privilégié sur son activité et d’un solide apprentissage des valeurs de l’Anses et de l’attention qu’elle porte à ses administrateurs, qu’ils représentent l’État, les organisations professionnelles et syndicales, les organisations de la société civile ou les personnels de l’Anses, et plus largement à l’expression des attentes de notre société.

Grâce à cette fonction, j’ai véritablement pu saisir le rôle de l’Agence et les défis sanitaires qu’elle contribue à résoudre, et appréhender ce qui me semble être les compétences requises pour sa direction générale.

J’ai pu constater que l’Anses est une agence de référence dans le paysage français et européen, avec un périmètre de compétence parfaitement cohérent avec ce regard global, transversal, sur la santé, qui constitue désormais la clé de lecture des questions de santé depuis la pandémie de covid-19 et la prise de conscience des défis sanitaires dus à l’impact des activités humaines sur notre planète.

J’ai également pu observer combien l’Anses est attentive à la bonne compréhension de ses travaux par l’ensemble des décideurs et parties prenantes, faute de quoi leur utilité ne serait que limitée. Les échanges qu’elle entretient avec vous, les élus du Parlement, sont à ce titre particulièrement soutenus, avec une trentaine d’auditions par an dans les deux assemblées et autant de sollicitations. Je sais combien la direction et les experts de l’Anses ont à cœur de répondre à vos demandes, qui contribuent pleinement à sa mission d’appui à la décision et aux politiques publiques. J’ai aussi pu remarquer les nombreuses interactions entre l’Anses et l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et techniques (Opecst).

Au fil des conseils d’administration auxquels j’ai participé, j’ai noté le souci extrême d’écoute et de dialogue de l’Anses, en aval de son action mais également en amont. L’Agence intervient en effet sur de nombreuses questions sanitaires nouvelles ou encore mal cernées, qui suscitent de fortes inquiétudes et des attentes chez nos concitoyens – ainsi des pesticides, des nanotechnologies, des biotechnologies et des ondes, quatre sujets pour lesquels elle a même institué des comités de dialogue permanents.

Dernier point saillant, son implication forte et croissante dans des dispositifs européens qui mutualisent les efforts scientifiques pour renforcer la sécurité sanitaire dans l’Union européenne.

Fort de tous ces constats, en tant que directeur général, il m’importera de consolider la force et la réputation de l’Agence sur ses deux piliers fondamentaux que sont l’excellence scientifique et la confiance que suscite son action. Sur cette base, je m’attacherai aussi à renforcer la capacité de l’Anses à alerter et agir avec un temps d’avance, et à occuper pleinement sa place d’agence de référence sur la scène française, européenne et internationale.

Concernant les orientations de mon action en tant que directeur général de l’Anses, je souhaite définir cinq priorités.

D’abord, la reconnaissance du rôle et de l’expérience de l’Anses dans la mise en œuvre d’une approche plus décloisonnée, davantage One Health, des santés humaine, animale et végétale. Nombreux sont ceux qui appellent de leurs vœux la création de lieux où médecins, vétérinaires, chercheurs de différentes obédiences pourraient dialoguer et travailler ensemble, par exemple pour éviter de nouvelles pandémies.

Je serai attentif à la prise en compte de l’expérience de l’Anses alors que des structures capitalisant sur l’expérience de la crise covid se mettent en place. Je songe notamment au comité de veille et d’anticipation des risques sanitaires qui a remplacé le conseil scientifique installé pour le covid-19. Il m’importera également d’aider à renforcer les liens avec les organisations professionnelles de la santé humaine et leurs cursus de formation pour une meilleure appropriation des travaux de l’Agence, ainsi que des enjeux de santé environnementale ou de santé au travail.

La deuxième priorité de mon action sera le vivier de 800 experts extérieurs que j’ai évoqué. C’est une très grande richesse, mais les sollicitations augmentent et il est parfois difficile de les motiver, d’abord parce que la valorisation n’est pas très importante, ensuite parce que la mise en application des déclarations publiques d’intérêts conduit à limiter le recours à ces experts. Cette motivation implique la pleine reconnaissance de ce type de mission dans les parcours des chercheurs et dans les potentialités de publications scientifiques. Pour progresser dans cette direction, je suis prêt à engager un dialogue avec le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche pour renforcer la reconnaissance des missions d’expertise. Un rapport récent nous a fourni quelques pistes.

Troisième priorité, l’extension pérenne des capacités d’expertise de l’Anses aux sciences humaines, économiques et sociales. L’Agence a souhaité renforcer cette année ses capacités d’analyse socioéconomique pour lui permettre de mieux cerner les comportements exposant le plus à certains risques sanitaires, de tenir compte des dimensions économiques et sociales de différentes options d’action, ou encore de préciser la balance bénéfice-risque dans certaines situations. Je veillerai à la mise en route de ces nouveaux développements car ils renforcent la pertinence des réponses de l’Anses.

Une quatrième priorité sera d’améliorer l’accès aux données, car une expertise scientifique sera d’autant plus robuste et rapide qu’elle aura bénéficié d’un accès simple, riche et de qualité aux différents types de ressources indispensables : publications scientifiques internationales, résultats de surveillances épidémiologiques, indicateurs d’usage d’une substance ou d’un produit, résultats de contrôles sanitaires, etc. Ce sont des données à croiser et à partager entre agences sanitaires, notamment les trois agences pivot que j’ai citées.

Pour terminer, je veillerai à maintenir au plus haut niveau la qualité d’écoute et de dialogue que l’Anses a instaurée avec les parties prenantes et avec la société, et qu’elle renforce en permanence. Je serai notamment attentif à la bonne mise en route du comité de dialogue sur les biotechnologies qui commencera ses travaux cet automne, et je soutiendrai les initiatives d’association du public dans le cadre de la recherche ouverte, ou encore le développement des relations de l’Agence avec deux organisations nationales de référence sur le débat public, la Commission nationale du débat public (CNDP) et le Conseil économique, social et environnemental (Cese).

Pour conclure, je suis sensible à l’attention que l’Anses porte au monde dans lequel nous vivons, à son sens du service public. Si vous me donnez votre confiance, je serai fier d’en promouvoir l’action, au profit de toutes les santés, et de faire en sorte que cette agence continue à mettre à l’épreuve les barrières hissées entre les disciplines sanitaires et scientifiques, entre les registres d’action publique nationaux et internationaux, entre la science et la confiance.

Debut de section - PermalienPhoto de Florence Lassarade

rapporteure. – Le rapport de mars 2021 de notre commission sur la politique de santé environnementale relevait la multiplicité des autorités de tutelle de l’Anses. Le ministère de la santé est loin d’être prépondérant, puisqu’il ne contribue qu’à hauteur de 20 % au budget de l’Agence. Le rapport préconisait de reconnaître un rôle de chef de file de la tutelle stratégique au ministère de la santé. En tant qu’ancien président du conseil d’administration, quel regard portez-vous sur la multiplicité des tutelles de l’établissement ?

Ce même rapport relevait la permanence dans le conseil d’administration de l’Agence de représentants d’industriels et d’exploitants agricoles et recommandait le renforcement des garanties d’indépendance. Plus récemment, un rapport d’experts publié en juillet 2022 a comparé les politiques de transparence et de gestion des conflits d’intérêts des agences européennes chargées de l’évaluation du glyphosate en Europe. L’Anses s’en sort plutôt mieux que les agences allemande ou suédoise, par exemple, mais dans un contexte de défiance à l’égard des agences de santé publique, comment améliorer la transparence des positions prises par l’agence ? Que faut-il en conclure sur la coopération privilégiée qu’entretient l’Anses avec ses homologues européennes ?

Comment voyez-vous le partage des rôles entre les différentes agences intervenant dans le domaine sanitaire au sens large, principalement entre l’Anses et Santé publique France, mais aussi entre l’Anses et le Haut Conseil de la santé publique ? La complémentarité s’est vue sur certains sujets, comme l’incendie de Lubrizol ou le cluster des cancers pédiatriques de Sainte-Pazanne, mais sur d’autres, comme celui de l’efficacité du Nutri-score, elle a été plus discutable. Y a-t-il lieu de clarifier les compétences respectives ?

Disposez-vous de statistiques récentes sur les types de saisine de l’Agence, en particulier sur la part des autosaisines et sur les saisines à l’initiative d’associations agréées comme la loi le prévoit ? D’une manière générale, les modalités de saisine de l’Agence et l’usage qui en est fait vous semblent-ils de nature à garantir la réactivité, l’efficacité et la transparence de l’expertise scientifique dans notre pays ? Ainsi, avez-vous des précisions sur la reprise du réseau Obépine de surveillance des eaux usées ?

L’Agence a-t-elle en outre les moyens de répondre rapidement à des situations de crise ou d’urgence très localisées, par exemple en outre-mer – je songe au chlordécone ou aux sargasses dans les Antilles, mais il pourrait en survenir d’autres ?

Debut de section - Permalien
Benoît Vallet, candidat aux fonctions de directeur général de l’Agence nationale chargée de la sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail

– La multiplicité des tutelles me semble plutôt une richesse qu’un inconvénient. L’interministérialité immédiate qu’elle implique permet des réponses croisées sur des sujets comme la répression des fraudes, le contrôle de l’alimentation, les questions environnementales ou sanitaires.

Quant au chef de file, il est désigné annuellement. Cette année, c’est le ministère de la santé, représenté par la direction générale de la santé, qui préside les réunions pluriannuelles des cinq directeurs généraux. Cela peut amener à partager les responsabilités entre ministères, notamment vis-à-vis des acteurs moins impliqués comme le ministère du travail.

De plus, cette interministérialité garantit la complétude des moyens donnés à l’Anses.

Au risque de vous surprendre, j’estime qu’il faut envisager de faire du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche une tutelle de l’Agence. Celle-ci conduit un important travail de recherche, elle est équipée de laboratoires de très haut niveau qui nourrissent l’expertise. En tant qu’organisation de recherche, l’Anses n’est pas aussi sollicitée que l’on pourrait le souhaiter, en comparaison de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) ou du Centre national de la recherche scientifique (CNRS). Le directeur général actuel, Roger Genet, a engagé ce dialogue avec le ministère. La question de la tutelle se posera si vous me désignez pour lui succéder.

La loi de programmation de la recherche n’a pas introduit la santé et l’environnement dans les financements du ministère, ce qui est un manque considérable au regard des enjeux actuels.

Le directeur général doit-il venir du monde de la santé humaine ? Je ne me permettrai pas d’y répondre, étant en situation évidente de conflit d’intérêts sur cette question...

La défiance est en effet un sujet récurrent. Les règles déontologiques, pour les experts mais aussi pour les agents et les membres du conseil d’administration, garantissent autant que possible la transparence. Elle n’est pas absolue, puisque l’on ne dépasse pas le niveau déclaratif. Pour la santé, la base Transparence santé que j’ai contribué à installer en 2016 introduit néanmoins un contrôle. Peut-être les organisations parties prenantes pourront-elles s’en inspirer.

Le comité de déontologie de l’Anses est à nouveau en ordre de marche, il a récemment émis des avis, notamment sur le fait que n’apparaît pas, dans les déclarations publiques d’intérêts de l’expert, le soutien substantiel à certaines organisations dont celui-ci aurait pu bénéficier de façon indirecte.

Actuellement, le comité de déontologie ne peut être saisi que par le conseil d’administration et la direction générale. Mais certains des membres du conseil d’administration n’appartiennent pas à l’Anses et sont issus de la société civile. Si les règles de la saisine devaient évoluer, la question de l’externalité mériterait d’être examinée.

La complémentarité des agences m’a beaucoup préoccupé lorsque j’étais directeur général de la santé. Sur ma proposition, le Comité d’animation du système d’agences (Casa) a été créé par la loi. Son programme de travail consiste à favoriser le rapprochement des agences : Anses et Santé publique France, Anses et Agence du médicament. Mais le Haut Conseil de la santé publique, la Haute Autorité de santé en font aussi partie, ainsi que les directions des tutelles qui participent aux débats. Le Casa se réunit tous les deux mois, mais ces parties prenantes se rencontrent également chaque semaine, le mercredi matin, pour régler les questions d’urgence en matière de sécurité sanitaire.

L’Anses déporte ainsi certains de ses professionnels vers les sujets d’actualité de crise, notamment pour les analyses virologiques ou bactériennes en santé animale. Cela implique des permanences d’activité assez lourdes pour ces agents. L’Anses est une agence qui se mobilise en période de crise : il est important de le rappeler.

Les contributions de l’Anses et de Santé publique France au Nutri-score sont assez convergentes. Le premier avis de l’Anses sur les dispositifs d’affichage nutritionnels n’était pas très favorable, car les dispositions proposées étaient issues de résultats de laboratoire, et n’avaient pas encore été examinées en vie réelle. L’expérimentation en vie réelle, qui a eu lieu par la suite, a été entourée de grandes précautions scientifiques ; elle a donné lieu à la proposition d’un Nutri-score comme seul affichage susceptible de modifier les comportements d’achat des Français – qu’ils soient issus des classes aisées ou non, ce qui était un point très important de l’expérimentation, conduite en 2016.

La contribution de l’Anses au Nutri-score est réelle. Nous avons un conservatoire de la formulation des aliments : l’un des impacts importants du Nutri-score est la reformulation de certains produits par les industriels avant de l’afficher. En effet, en s’engageant dans la démarche Nutri-score – parfois pour des raisons de marketing – ils se contraignent à afficher l’ensemble de leurs produits. Cette reformulation a été conséquente. Certains éléments d’évaluation du Nutri-score seront diffusés dans le domaine public.

Mais le Nutri-score ne constitue pas à lui seul une politique nutritionnelle. Il présente également, comme tout dispositif, des fragilités. Ainsi, il ne tient pas compte des contaminants dans l’alimentation. Il a néanmoins eu, au moins de façon indirecte, un effet sur la qualité nutritionnelle dans notre pays.

Les saisines – plusieurs centaines par an – viennent principalement de nos autorités de tutelle, mais aussi d’associations, qui nous ont notamment sollicités sur les sols artificiels des terrains de sport. Les saisines d’associations ne représentent que 10 % du total, ce qui incite à un dialogue plus nourri avec la société civile. L’Opecst, qui a la capacité de faire des saisines, peut travailler avec nous sur ce sujet.

Le réseau Obépine a permis de déceler la présence du covid dans les eaux usées. Il a été pérennisé, avec des points de surveillance moins nombreux. La méthodologie est acquise, et le travail se fait conjointement avec Santé publique France, qui affiche les résultats sur son site. Obépine est principalement un outil d’alerte. Les tests demeurent plus efficaces pour nous informer sur la circulation virale. Cependant, le suivi de ce réseau, dans les périodes où nos préoccupations s’éloignent du covid, peut nous inciter à revenir, le cas échéant, à une situation de vigilance sanitaire.

Ce système a été utilisé dans les Hauts-de-France pour le suivi des eaux usées en aval des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) autour de Dunkerque, à une période de recrudescence de la covid. C’était donc un usage très ciblé.

M. Bernard Jomier. – Une autre préconisation du rapport cité par Mme Lassarade est que le directeur général de l’Anses soit auditionné en même temps que celui de Santé publique France par les commissions compétentes en amont de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS). Nous allons la mettre en œuvre dès cette année...

Le ministre de la santé – désormais également ministre de la prévention, ce qui est une très bonne chose – a annoncé un virage de la prévention en présentant le PLFSS, au travers de plusieurs actions relevant de la prévention médicalisée. Comment le directeur de l’Anses lirait-il un PLFSS qui porterait le virage de la prévention sur les questions de santé environnementale ?

– L’Anses aborde la prévention sous l’angle de la santé globale. Ainsi, la prévention ne doit pas être liée qu’aux comportements favorables à la santé, même si cette dimension reste importante : les professionnels du soin, dont les médecins, les pharmaciens et les kinésithérapeutes, doivent ainsi davantage s’en emparer. La formation restant trop timide, on reste en deçà des possibilités qu’offre cette puissante armée d’acteurs de la santé publique.

La santé est aussi environnementale, liée aux évolutions climatiques de l’anthropocène. Elle doit se colorer de ces éléments. Mme Firmin le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé, a rappelé l’importance de la santé unique, ou One Health.

Il serait souhaitable d’assortir cela de moyens de recherche en santé publique, particulièrement populationnelle. Ainsi, le programme de recherche clinique de 1993, que je cite souvent, a donné des résultats considérables en matière de comparaison des pratiques et de soins. Nous n’avons pas l’équivalent en santé populationnelle : un prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale serait l’occasion de déclencher un vrai programme de recherche en santé publique comportant des éléments de santé environnementale. Ainsi, Roger Genet a signalé à Sylvie Retailleau, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, que la loi de programmation de la recherche ne traitait pas assez de cette question.

Les regards de Santé publique France et de l’Anses sont complémentaires. Une audition conjointe de leurs deux directeurs généraux me semble de bon aloi.

Mme Victoire Jasmin. – Vous avez parlé des maladies et des risques émergents, dont certains sont liés aux mutations de virus et de bactéries. Travaillez-vous avec les collectivités territoriales dans ce domaine ? De quels moyens disposez-vous pour les outre-mer, et singulièrement pour la Guadeloupe ? Sont-ils suffisants pour les actions de contrôle ? Il y a un véritable travail à faire dans ce domaine, car certaines personnes conditionnent elles-mêmes des produits alimentaires vendus sur la voie publique, parfois avec l’autorisation des collectivités, ne respectent pas les normes de sécurité alimentaire et d’hygiène, ce qui n’est pas sans conséquence, notamment avec des infections alimentaires. On observe aussi des problèmes de qualité de l’eau sur mon territoire.

Avez-vous la compétence et l’intention de travailler sur les produits, vendus en ligne et sur la voie publique, qui échappent à des contrôles et s’apparentent à une concurrence déloyale ?

Qu’en est-il des autorisations de vente de certains produits liés à l’environnement, conditionnés artisanalement mais mis en vente dans des entreprises officielles ?

Enfin, l’Anses est-elle concernée par la lutte antivectorielle ?

M. Alain Milon. – Nous avons déjà travaillé ensemble, monsieur Vallet. Je pense que votre nomination est une bonne chose pour l’Anses, dont personne ne devrait remettre en cause les recommandations.

Je reviens sur les affaires Lactalis et Buitoni. Dans les deux cas, les recommandations de l’Anses, tout comme les travaux des commissions d’enquête de l’Assemblée nationale et du Sénat, n’ont pas été suivis d’effets sur le terrain. Comment entendez-vous faire appliquer ces recommandations ?

M. Xavier Iacovelli. – L’Anses a eu un rôle clé dans le cadre de l’initiative européenne de biosurveillance humaine, notamment dans la définition d’indicateurs clés d’exposition à des substances toxiques. Quel serait le rôle de l’Anses dans cette coopération européenne, et quels en seraient les bénéficiaires nationaux ?

Ensuite, la sédentarité est un risque pour la santé, particulièrement entre 11 et 17 ans. Plusieurs programmes, comme « Mission : retrouve ton cap », contre l’obésité infantile, ont été lancées, notamment dans les départements du Nord et du Pas-de-Calais, que vous connaissez bien. Faudra-t-il renforcer les analyses sur ces problématiques pour développer des outils ciblés pour la santé des jeunes ?

Mme Cathy Apourceau-Poly. – À la tête de l’ARS des Hauts-de-France, vous avez fait de l’amélioration des conditions de travail et de la qualité de vie au travail un levier du pacte de la refondation des urgences. Quelles sont vos intentions en la matière, pour le milieu hospitalier mais aussi pour les salariés en général ?

Dans les Hauts-de-France, on recense chaque année plus de 32 000 cas de cancers et 15 000 décès qui y sont liés, soit trois décès sur dix. C’est la première région métropolitaine en termes de mortalité du cancer. Qu’envisagez-vous pour améliorer la prévention, le dépistage, la qualité de vie et l’accès aux soins ?

Enfin, la qualité de l’eau est devenue un sujet sensible. La sécheresse et la sobriété énergétique cumulées renforcent le besoin de contrôle de la qualité de l’eau, ce qui est fait par des laboratoires agréés par l’ARS : cela nécessite-t-il une mise à jour des critères et des exigences ?

– Madame Apourceau-Poly, sur les cancers évitables, les comportements de santé sont importants, mais la prévention passe aussi, désormais, par la santé environnementale. La territorialisation de la prévention des cancers évitables et la coordination de l’offre de soins sont à la main des ARS. Nous avons d’ailleurs lancé notre feuille de route cancer, qui doit durer dix ans, il y a quelques jours. Ainsi, même si nous prévoyons de renforcer la campagne antitabac, nous resterons sans doute à 30 % de prévalence dans le pays, avec de probables mauvaises surprises associées à la crise covid. La lutte contre le surpoids, facteur de risque, est aussi fondamentale.

L’Anses n’a pas été saisie sur la covid en tant que maladie professionnelle. Les travaux montrent que le personnel des urgences est plutôt contaminé à l’extérieur, puisqu’il est protégé au sein de l’hôpital.

La qualité de l’eau, particulièrement au regard des métabolites de pesticides dont le chloridazone, héritage dans les Hauts-de-France de la culture betteravière intensive, est d’autant plus sensible qu’une partie de la solution est la dilution, et donc l’interconnexion entre les réseaux. Or, la sécheresse diminue les possibilités de dilution alors qu’on approche de 3 microgrammes par litre, niveau retenu par les autorités sanitaires pour prononcer la restriction de consommation. Il existe encore des solutions avant d’appliquer, après une campagne de surveillance renforcée au cours de l’été, une restriction de la consommation d’eau du robinet pour quelques centaines d’habitants des Hauts-de-France.

Je souligne la dynamique européenne de l’Anses : il faut de l’harmonisation car les pesticides, utilisés depuis des dizaines d’années sous diverses formes, sont présents dans tous les pays européens. La limite de qualité de 0,1 microgramme par litre pour les métabolites est fixée au niveau européen. Il faut définir des normes de gestion lorsque les limites de qualité sont franchies. Les métabolites de la chloridazone sont jugés pertinents par défaut : c’est un mécanisme excessif mis en place de précaution faute de connaître sa dangerosité réelle. Par exemple, en Allemagne, cette même valeur de trois microgrammes par litre n’est pas associée à des restrictions de la consommation d’eau. L’Anses peut favoriser l’établissement de ces valeurs sanitaires maximales, ou Vmax, au niveau européen.

La biosurveillance et le renseignement de l’exposome, c’est-à-dire la somme des expositions de chacun à son environnement tout au long d’une vie, sont mentionnés dans la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé. Certaines cohortes sont à la croisée des travaux de Santé publique France et de l’Anses, comme le montre l’étude de santé sur l’environnement, la biosurveillance, l’activité physique et la nutrition (Esteban). Elles renseignent sur la présence de contaminants tels les métaux lourds et les pesticides. Les relations entre manifestations cliniques et maladies sont l’occasion d’amplifier les études sur les perturbateurs endocriniens et de préciser leur définition.

L’Agence travaille sur la toxicologie de référence interne, notamment sur la chlordéconémie dans les Antilles, madame Jasmin, et sur ses conséquences pour les populations exposées. Cela peut éclairer la façon dont l’agriculture ou la pêche, par exemple, peuvent se faire. Les résultats seront bientôt présentés, en décembre prochain, dans le cadre du plan chlordécone. Une importante réunion se tiendra à la Guadeloupe, j’y serai présent si j’ai votre confiance.

Mme Victoire Jasmin. – C’était d’ailleurs l’objet d’un de mes amendements, qui a permis qu’on en soit à ce stade.

– Précisément. Vos actions en tant qu’élus sont indispensables, y compris pour solliciter les agences. Ainsi, pour le dioxyde de titane, le travail des élus a été crucial, de même que pour le bisphénol A, pour lequel l’Anses a été exemplaire.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. – Cela n’entraîne-t-il pas le risque de conflits avec l’Europe ?

– Une telle situation peut arriver, car l’Europe reconnaît des règles de marché plutôt que de santé. Il faut construire l’Europe de la santé. Pour cela, l’Anses a des capacités d’influence au niveau européen, avec une présence objective dans le cadre par exemple du Partenariat européen pour l’évaluation des risques liés aux substances chimiques, doté de 400 millions d’euros.

Les contrôles ne sont pas le domaine d’expertise de l’Anses mais plutôt de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) et de l’ANSM. En revanche, pour les produits artisanaux par exemple, les travaux de l’Anses pourraient déclencher des actions de gestion des ministères concernés. Nous travaillons avec les consommateurs pour la détermination du risque, avec des résultats parfois en contradiction avec l’apparence bénigne de certains produits comme cela a été le cas pour certaines essences.

Les autorisations de l’Anses sont surtout pour des produits phytopharmaceutiques, des médicaments vétérinaires et des biocides. Pour les premiers, la substance principale est évaluée au niveau européen et sa déclinaison au niveau national par l’Anses. Sa vigilance est d’autant plus grande que son expertise est sur l’évaluation des risques. Elle est ainsi bien placée pour retirer des autorisations afin de limiter la temporalité de la distribution des produits et donc l’exposition des personnes, ce qu’elle a fait à plusieurs reprises ces dernières années.

Monsieur Milon, la résolution de l’affaire Lactalis est le reflet d’une coordination forte des agences sanitaires et des tutelles. À la fin de l’année 2017, alors que j’étais encore directeur général de la santé, des pédiatres avaient fait parvenir à l’Institut Pasteur des échantillons de salmonelle de nouveau-nés et de nourrissons. L’identification de génotypes similaires dans toute la France a conduit Santé publique France à mener un travail d’épidémiologie pour identifier une source unique, le site de Lactalis à Craon, en Mayenne, où les services vétérinaires ont retrouvé des traces de salmonelle. Cela a été suivi par le travail du ministère de l’agriculture et de l’Anses, puis une action de la DGCCRF pour arrêter cette usine. La situation était semblable pour Buitoni.

La conclusion que j’en tire est que les autorités de tutelle peuvent renforcer leurs demandes de contrôle. En effet, les résultats des autotests des industriels ne sont fournis aux autorités sanitaires qu’à leur discrétion.

Debut de section - PermalienPhoto de Florence Lassarade

rapporteure. – Vous dites vouloir amplifier les travaux de recherche, mais le budget de l’agence qui y est consacré n’est que de 6 millions d’euros : cela semble une force de frappe bien légère. Le rapport de la commission sur la santé environnementale regrettait le manque d’accompagnement des équipes de recherche, notamment pour répondre aux appels d’offres européens. Comment comptez-vous y remédier ?

Debut de section - Permalien
Benoît Vallet, candidat aux fonctions de directeur général de l’Agence nationale chargée de la sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail

– J’ai plaidé pour le développement des programmes de recherche en santé publique. Les financements affichés sont ceux que l’Anses obtient pour ses laboratoires dans le cadre des appels à projets. Il faut y ajouter des investissements de fond, en partie soutenus par les collectivités, pour les laboratoires – 35 millions d’euros consacrés aux laboratoires de l’Anses et de l’ANSM de Lyon, par exemple. On est donc bien au-delà des 6 millions d’euros que vous évoquez.

L’Anses est aussi promoteur de recherche, avec les ministères de tutelles, pour la santé environnementale. Elle réussit 28 % de ses candidatures aux appels d’offres européens, ce qui est très élevé. Ainsi, le Parc, dont le budget est de 400 millions d’euros et auquel participent plusieurs pays, est coordonné par l’Anses.

Il faut toutefois renforcer les échanges avec le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche. Ils ont été initiés par Roger Genet avec le programme national de recherche environnement-santé-travail (PNR EST). Pour ma part, si vous m’accordez votre confiance, j’y veillerai dès ma nomination.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

présidente. – Merci beaucoup, monsieur Vallet.

Ce point de l’ordre du jour a fait l’objet d’une captation vidéo, disponible en ligne sur le site du Sénat.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

présidente. – Nous avons achevé l’audition de M. Benoît Vallet, candidat proposé par le Président de la République pour exercer les fonctions de directeur général de l’Anses. Nous allons maintenant procéder au vote sur cette proposition.

Le vote se déroulera à bulletin secret, comme le prévoit l’article 19 bis de notre Règlement. En application de l’article 1er de l’ordonnance n° 58-1066 du 7 novembre 1958 portant loi organique autorisant exceptionnellement les parlementaires à déléguer leur droit de vote, les délégations de vote ne sont pas autorisées.

Je vous rappelle que le Président de la République ne pourrait procéder à cette nomination si l’addition des votes négatifs des commissions de l’Assemblée nationale et du Sénat représentait au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés dans les deux commissions.

La commission procède au vote, puis au dépouillement du scrutin sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de M. Benoît Vallet aux fonctions de directeur général de l’Anses, simultanément à celui de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale.

Le dépouillement a lieu en présence de Mmes Corinne Féret et Florence Lassarade, en qualité de scrutatrices.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

présidente. – Voici le résultat du scrutin, qui sera agrégé à celui de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale :

Nombre de votants : 26

Bulletins blancs : 0

Bulletins nuls : 0

Suffrages exprimés : 26

Pour : 26

Contre : 0

Agrégé à celui de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, le résultat est le suivant :

Nombre de votants : 68

Bulletins blancs : 6

Bulletins nuls : 0

Suffrages exprimés : 62

Seuil des trois cinquièmes : 38

Pour : 55

Contre : 7

La réunion est close à 12 h 20.