Mes chers collègues, l'objet de cette réunion est de procéder ensemble à un bilan d'étape de nos travaux. Votre présence en nombre ce matin fait écho à votre participation importante à l'ensemble de nos auditions et tables rondes. Nous avons en effet, depuis la constitution de cette mission d'information, constitué une équipe soudée !
Je vais vous présenter tout d'abord quelques éléments statistiques montrant l'ampleur de tout ce que nous avons réalisé au cours de ces deux mois d'activité, dans un esprit de consensus que je veux souligner car il reflète l'esprit dans lequel travaille notre institution.
Entre le 11 mars et le 3 mai, nous avons procédé à une douzaine d'auditions et tables rondes en réunion plénière ; 18 réunions au format « rapporteur » ont complété utilement les auditions organisées en réunions plénières. Nous avons ainsi entendu les représentants de nombreux acteurs de la vie étudiante.
Les thématiques abordées au cours de ces auditions et tables rondes sont très diverses : la santé, avec un focus particulier sur la santé psychologique, une problématique mise en évidence par la crise sanitaire ; le logement ; les défis du numérique ; le handicap ; les enjeux territoriaux. L'importance des relations entre les établissements d'enseignement supérieur et les territoires se devait de figurer à notre agenda. Nos auditions ont confirmé l'intérêt de cette approche, naturelle pour le Sénat. Je pense notamment à l'échange particulièrement stimulant que nous avons eu avec la directrice de l'Institut universitaire d'Albi.
La situation des étudiants ultramarins a été l'objet d'une attention soutenue, grâce à la vigilance de notre collègue Victoire Jasmin que je remercie en notre nom à tous. L'audition du délégué interministériel pour l'égalité des chances des Français d'outre-mer et la visibilité des outre-mer, ouverte à la délégation sénatoriale aux outre-mer, a conféré à cette séquence une richesse particulière. Ces étudiants sont en quelque sorte les « oubliés » de la crise. Le concours que nous ont apporté nos collègues de la délégation sénatoriale aux outre-mer a permis d'inscrire les difficultés de ces étudiants au coeur de nos travaux.
Je tiens par ailleurs à souligner la diversité de nos interlocuteurs : les informations apportées par élus et les représentants de leurs associations ont complété celles que nous ont apportées les acteurs institutionnels (Observatoire de la vie étudiante, Cnous, Campus France...). Je rappelle aussi la diversité territoriale qui s'est exprimée par la voix des élus que nous avons rencontrés. La diversité de nos interlocuteurs reflète aussi, nous y avons veillé, celle des établissements d'enseignement supérieur : université et grandes écoles, classes préparatoires, établissements privés et publics.
Un point important à mettre en valeur dans ce bilan : le dialogue que nous avons collectivement instauré avec les jeunes, par les réseaux sociaux tout d'abord, avec un appel à témoignages qui a marqué le début de nos travaux, puis en recevant de nombreuses associations étudiantes. Ces « retours du terrain » jouent un rôle décisif dans notre mission d'information. Nous avons pu le mesurer lors de notre visite à l'université de Versailles-Saint Quentin, le lundi 3 mai : la table ronde avec les étudiants a été un temps fort de ce déplacement. Le Sénat se devait de marquer son intérêt pour la parole de ces jeunes.
Quelques mots, enfin, sur la suite de nos travaux : d'autres tables rondes sont prévues sur la précarité alimentaire, les questions relatives à l'emploi étudiant et la thématique du « campus de l'avenir » ; une réunion est programmée le 31 mai, au format « rapporteur », sur le thème des études doctorales ; le 3 juin nous entendrons Mme Frédérique Vidal, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche.
Notre rapporteur va maintenant faire le point sur les enseignements que nous pouvons d'ores et déjà tirer de ces auditions.
Cette réunion nous permet d'avoir un échange sur les principaux constats que nous tirons de nos travaux et sur lesquels pourront s'appuyer nos propositions.
Le constat général est assez sévère, avec deux idées sous-jacentes. Ces dernières années, les gouvernements ont fait d'importants efforts pour accueillir quantitativement un nombre d'étudiants en pleine progression mais ils ne se sont pas accompagnés d'un effort qualitatif pour que le parcours des étudiants se déroule dans les meilleures conditions. En outre, l'épidémie de covid-19, d'une particulière gravité, agit comme un révélateur et un amplificateur des difficultés que connaissent les étudiants.
On constate également que le terme générique d'« étudiants » masque une réalité diverse, avec des groupes d'étudiants qui diffèrent selon leur niveau d'études, le type d'établissement fréquenté, les territoires ou encore la façon dont ils sont logés. Il n'y a donc pas une population étudiante, mais des populations étudiantes : nous devons donc entrer plus dans le détail pour conduire notre analyse sur la vie étudiante.
En abordant les différents aspects de la santé des étudiants, en particulier celui de la santé mentale, on voit bien qu'il faut prendre en compte la situation des étudiants sous l'angle du parcours de vie, de l'émancipation, de l'identité étudiante, et pas seulement du déroulement des études. Sous cet angle, on mesure bien l'impact très significatif qu'a eu la crise sur la vie étudiante.
Lorsque l'on regarde la photographie d'avant crise, on voit, à travers les enquêtes de l'Observatoire de la vie étudiante (OVE), que la problématique du logement est une constante. Les difficultés d'accès au logement et l'effet du coût du logement sur le reste à vivre de l'étudiant ont un impact significatif sur la réussite de ses études. L'OVE nous montre néanmoins qu'il y a des améliorations, mesurables par la progression de la satisfaction des étudiants sur le déroulement de leurs études.
Les difficultés de santé commençaient à émerger avant la crise sanitaire, même si ce thème n'était pas si présent lorsqu'on abordait la question de la vie étudiante. Elles sont devenues très prégnantes avec la crise sanitaire, en particulier celles relevant de la santé psychologique.
La question des ressources est complexe. De quoi a besoin un étudiant pour mener convenablement ses études, sans être perturbé de manière trop importante par des difficultés financières ? Il y a manifestement besoin de regrouper l'accès aux différentes aides financières dans un guichet unique, car leur multiplicité nuit à leur accessibilité. Plus les dispositifs sont complexes, plus il y a besoin d'informer. Or, on constate un vrai déficit d'information sur ce plan ainsi que des difficultés à bien cibler le public étudiant. À ce sujet s'ajoute celui des bourses qui n'est pas parfait et des améliorations sont à trouver, notamment en évaluant les éventuels effets de seuils.
Une attention doit être portée à la bonne articulation, s'agissant des ressources des étudiants, entre les bourses et les emplois étudiants. Il ne faut pas les opposer mais y voir une complémentarité. Le fait de qualifier l'emploi étudiant de « petit boulot » n'est pas péjoratif !Il faut valoriser l'emploi étudiant et le compléter par des bourses afin qu'il ne pénalise pas les étudiants salariés par un volume de travail trop important. Une voie semble se dessiner autour de l'accompagnement de l'étudiant dans son parcours. Il faut regarder comment les bourses contribuent à cette accompagnement en prenant en compte le coût des études, l'éloignement de l'étudiant. Ce sont des pistes de réflexion que nous devrons préciser par nos travaux.
Concernant la question du logement, les difficultés sont anciennes, en particulier pour favoriser la construction de logements. La mise en oeuvre du plan du gouvernement visant à construire 60 000 logements étudiants connait des lenteurs. Il faut accélérer les choses, appréhender l'ensemble de l'offre de logements et en améliorer la lisibilité. Il me semble intéressant de renforcer l'approche territorialisée des politiques de logement, en particulier pour le logement des étudiants. Pour cela, les communes doivent s'engager davantage dans la construction de logements étudiants.
La construction de certains de ces logements entre d'ailleurs dans les quotas de la loi dite « SRU ».
Oui, et nous devrons regarder comment inciter davantage les collectivités à s'engager dans la construction de logements pour les étudiants.
La question de la santé a émergé alors qu'elle était moins visible dans la population étudiante. Les outils existants sont sous-dimensionnés par rapport à la réalité des difficultés. Il faut améliorer la connaissance dont nous disposons sur la santé des étudiants et renforcer la coordination des acteurs de santé au profit des étudiants, les services de santé universitaire et les acteurs de santé de la ville et de l'hôpital. Nous avons également bien identifié la problématique spécifique de certains étudiants ultramarins, qui mettent parfois plusieurs mois à bénéficier d'une couverture sociale lorsqu'ils viennent étudier dans l'hexagone. Ces difficultés d'ordre administratif doivent impérativement être résolues.
S'agissant des étudiants en situation de handicap, les efforts sont à poursuivre pour améliorer l'accessibilité des locaux et des contenus pédagogiques, et renforcer les dispositifs d'accompagnement.
Il nous faut également évoquer l'enseignement à distance. Les établissements d'enseignement supérieur réfléchissent depuis plusieurs années à sa généralisation progressive, mais le développement de masse de ce mode d'apprentissage, dans le contexte de la crise, nous invite à prendre position sur le sujet. Nous devons porter un discours fort sur l'enseignement à distance : l'essentiel de l'enseignement doit se faire en présentiel, les cours à distance ne devant être proposés que lorsqu'ils présentent une réelle plus-value pour les étudiants. Par ailleurs, le recours à l'enseignement à distance soulève la question de la fracture numérique.
S'agissant des stages, nous avons relevé une vraie inquiétude des étudiants sur le fait de ne pas trouver de stage et de s'en trouver pénalisés au cours de leur cursus - qui plus est en période de crise sanitaire. Il nous faut réfléchir à la manière dont les établissements d'enseignement supérieur eux-mêmes pourraient proposer des stages et des activités rémunérées. Les entreprises et les collectivités doivent également, bien sûr, être associées à cette réflexion.
J'en viens à la vie associative, inséparable de la vie étudiante. La crise du covid a mis en exergue l'intérêt et les limites de la vie associative. Les associations étudiantes ont pu prendre des initiatives pour intervenir de manière complémentaire avec les dispositifs d'aide existants. Si les associations étudiantes ont montré leur capacité de mobilisation et leur adaptabilité face aux défis de la crise, elles sont confrontées aujourd'hui à certaines difficultés. Nous devons réfléchir à la manière de valoriser l'engagement associatif des étudiants.
Enfin, un dernier point, fondamental, concerne le rôle des collectivités territoriales. À mon sens, les problématiques d'enseignement supérieur ont vocation à être replacées dans une dynamique d'aménagement du territoire. Si cette réflexion était extrêmement présente dans les années 2000, elle semble moins prégnante actuellement. Les échanges avec l'Institut Champollion ont été très instructifs en la matière. La politique d'implantation des établissements doit donc être davantage adaptée aux enjeux territoriaux, afin de prévenir un développement territorial déséquilibré, marqué notamment par une métropolisation à outrance. Il semblerait dès lors pertinent de réfléchir à une carte universitaire fondée sur les complémentarités territoriales, et combinant des établissements d'enseignement supérieur de différentes tailles. En effet, les petites structures sont souvent plus à même que les grands pôles universitaires de proposer un accompagnement individuel aux étudiants : elles présentent donc un intérêt certain.
Je note enfin que les collectivités territoriales n'ont pas, à ce jour, une connaissance très précise de la population étudiante : il s'agit également d'un axe d'amélioration.
La question de l'hébergement et de la santé des étudiants me parait constituer davantage une problématique nationale que spécifiquement étudiante. L'ensemble de la population est confrontée au problème des déserts médicaux et de l'accès aux soins. Les questions de santé doivent donc être repensées au niveau territorial, sans viser uniquement certaines populations, comme les étudiants. Il en est de même pour le logement.
Je souhaiterais également évoquer les dispositifs de tutorat. Il existe un grand nombre de structures payantes qui préparent les étudiants aux examens, en parallèle de leurs cours : un système de tutorat entre les élèves de première année et les autres permettrait aux étudiants de réaliser des économies, tout en améliorant leurs chances de réussite.
Enfin, il va de soi que les étudiants, notamment étrangers, peuvent davantage être accompagnés et pris en charge dans les petites collectivités territoriales que dans les grandes villes universitaires. Mais il peut être d'attirer ces populations : j'en ai fait l'expérience dans mon département. Il n'est pas évident, à 40 kilomètres de Lyon, d'implanter une classe préparatoire et de faire venir des étudiants internationaux. En revanche il semble plus aisé de faire venir des doctorants. L'accueil de ces étudiants de troisième cycle peut être très dynamisant pour certaines filières territoriales et très enrichissant pour des activités traditionnelles.
Je voudrais vous remercier, mes chers collègues, pour votre exhaustivité.
J'adhère complètement à la notion d'expérience étudiante et de populations étudiantes diversifiées. Concernant les aides financières, notamment en matière de santé, les auditions ont mis en lumière un vrai besoin d'harmonisation et de structuration. Si l'accès aux soins concerne l'ensemble de la population, il existe cependant des aides dédiées aux étudiants, qui pourraient être simplifiées. Tel est notamment le cas du remboursement des consultations de psychologie. Mme Monique Ronzeau, lors de son audition, a par ailleurs souligné que souvent les étudiants ne sont pas conscients des éventuels problèmes de santé qu'ils rencontrent. Il existe donc une problématique d'accès à l'information.
Je voudrais également évoquer la question de la citoyenneté dans l'expérience étudiante. L'engagement citoyen des étudiants semble très prégnant, et se manifeste notamment par leur investissement dans les associations d'entraide. Certains étudiants n'ont en effet pas accès aux aides, et sont difficiles à atteindre ; les associations jouent alors un rôle utile, en permettant d'identifier ces étudiants précaires.
Concernant l'avenir, de nombreuses pistes de réflexion sont ouvertes, qu'il s'agisse des cours à distance ou de la modulation des espaces d'enseignement, avec notamment la création d'espaces de coworking.
Je précise que nos collègues Céline Boulay-Espéronnier et Bernard Fialaire sont co-rapporteurs d'une mission d'information de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication sur la Contribution de vie étudiante et de campus (CVEC).
La question de la santé, sous l'angle de l'organisation de la prise en charge sanitaire, occupe une place importante dans nos travaux. La crise a révélé la gravité de la situation, mais cette problématique a une antériorité. Comment prendre en charge sur le plan sanitaire des étudiants qui ne vivent plus sur leur territoire d'origine et qui sont donc éloignés des professionnels de santé auxquels ils s'adressaient habituellement ? Ce sujet me semble prééminent.
Autre thématique majeure, l'équilibre entre enseignement en distanciel et enseignement en présentiel. Certes, le premier a acquis une place essentielle pendant la crise, mais il faut aussi réfléchir à celle du second. L'avenir du présentiel, ce n'est plus forcément les cours magistraux donnés dans des amphithéâtres et fondés sur une information descendante du professeur aux étudiants. Les contenus des enseignements doivent être réaménagés sous un format plus interactif, comme les travaux pratiques ou les petits groupes. Ce serait un vrai changement par rapport à la culture traditionnelle du cours magistral. Le présentiel a un coût de fonctionnement, mais il mérite d'être optimisé. Il me semble donc important de réfléchir à la fois à l'avenir du présentiel et à celui du présentiel.
Le logement est évidemment une question prégnante pour les étudiants. Toute la difficulté réside dans la capacité à trouver des solutions innovantes, par exemple la colocation ou les formules de logement intergénérationnel. Il faut, je pense, ouvrir tout le champ des possibles et sortir du prisme du logement individuel. Beaucoup de ressources existent, mais encore faut-il les connaître et pouvoir y accéder.
L'accompagnement des étudiants dans leur parcours est une approche très intéressante. Je pense en particulier aux primo-arrivants qui ont des besoins spécifiques. Leur situation mériterait d'être prise en compte avant leur entrée dans l'enseignement supérieur. En effet, c'est dès le lycée que se construisent les choix d'orientation. Il nous faudrait travailler sur le continuum lycée-enseignement supérieur. La réforme du baccalauréat constitue la première marche vers les études supérieures. Pourquoi ne pas envisager un référent pour chaque lycéen qui l'accompagnerait dans son choix d'orientation, puis qui continuerait à le suivre dans sa formation post-bac ?
Ce sujet du continuum « bac - 3/bac + 3 » me semble tout à fait fondamental. Nous le soulevons régulièrement à la commission de la culture, de l'éducation et de la communication.
Je partage votre présentation très complète.
De nos travaux, je retiendrai principalement l'importance des inégalités dans l'accès aux études et dans leur déroulement. Selon qu'un étudiant se trouve dans une grande ville universitaire ou dans un site plus éloigné des centres urbains, les modalités des études ne sont pas identiques. Des inégalités existent aussi entre universités, lesquelles ne sont pas dotées des mêmes capacités financières. Certaines, en situation critique, ont dû procéder à des arbitrages, ce qui a une incidence sur les contenus et les conditions de déroulement des formations.
Je suis inquiet sur l'après-crise : le distanciel ne constitue-t-il pas une source d'économie, dont certains pourraient chercher à tirer profit ? Il faut veiller à ce qu'il ne devienne pas un substitutif au présentiel. J'en suis convaincu, l'intérêt en termes pédagogiques doit prévaloir sur la logique de rentabilité.
J'observe aussi de grandes disparités selon les territoires. Les programmes d'excellence du type « Initiative d'excellence » (Idex) bénéficient à certains et pas à d'autres. Or ce sont des leviers importants pour les secteurs de l'enseignement supérieur et de la vie étudiante. Les territoires qui ont remporté des appels à projets mettent en place une ingénierie qui leur donne un temps d'avance sur ceux qui ne sont pas concernés par de tels programmes.
Enfin, la CVEC est un sujet qui mérite d'être traité. Elle n'avait que très peu d'ancienneté lorsque la crise est survenue. Celle-ci a perturbé son déploiement. Il me semble que peu d'établissements ont, grâce à elle, développé une vraie stratégie en faveur de la vie étudiante. On pourrait se demander comment l'utiliser pour atténuer les inégalités dont j'ai parlé. Nous devrons y être attentifs.
Je vous remercie pour ce point d'étape extrêmement précieux. Nos travaux ont été tellement denses et riches qu'il sera sans doute difficile d'élaborer un rapport à la fois concis et complet.
La santé mentale est une question majeure, de même que celle des bourses sur laquelle il y a indéniablement une marge de progression. Je suis satisfaite que nous ne nous soyons pas attardés sur le sujet du RSA jeunes car tel n'est pas l'objet de notre mission.
L'audition de la responsable de l'Institut national universitaire Champollion d'Albi a été un moment fort pour la problématique de l'aménagement du territoire. Je pense que la ministre sera intéressée par ce volet. Je me souviens qu'au moment du lancement de la plateforme Parcoursup, elle avait émis le souhait que les étudiants ne se concentrent pas tous dans les grands centres universitaires. Il faut nous donner les moyens d'une meilleure répartition territoriale de l'offre de formation.
Le logement est une autre thématique centrale. Intégrer le logement étudiant dans le périmètre de la loi SRU a un caractère vraiment incitatif pour les maires. Je suis aussi très intéressée par l'hébergement intergénérationnel. D'une manière générale, je crois que nos dispositifs actuels méritent d'être améliorés.
Je formule un léger regret quant au sujet de la réussite universitaire, que nous avons peu abordé. Deux étudiants sur trois abandonnent avant la fin de leur année de licence. Que proposer à ces décrocheurs ? Il faudrait peut-être approfondir ce point.
Je veux tout d'abord remercier notre président et notre rapporteur pour le travail qu'ils ont accompli.
Pour revenir sur le problème des « les petits boulots», outre le fait qu'ils constituent une ressource complémentaire non négligeable pour les étudiants, ils permettent à ceux - ci de se confronter au monde des entreprises et d'y apprendre la rigueur, la ponctualité ainsi que le respect des contraintes et de la hiérarchie. Cette activité économique, d'autant plus indispensable que l'éloignement de la famille est important, représente également l'occasion de relations entre les générations et une étape pour aborder l'entrée dans la vie active.
Sur le développement des cours en visioconférence pendant la crise sanitaire, je souhaite signaler que cette situation existait avant cette crise, dans les établissements universitaires d'Outre-mer. Pour des questions d'agenda, de coût des transports mais également de prise en compte des décalages horaires, des professeurs dispensaient déjà leurs cours en visioconférence à nos étudiants ultramarins présents physiquement, pour leur part, dans l'amphithéâtre.
Il faudrait à mon avis que le rapport de notre mission mette en avant les points forts et les expériences positives apparus durant cette pandémie.
Étant élu d'une ville universitaire, j'ai découvert au fil des auditions des axes d'approche de la vie étudiante assez originaux.
Avec cette crise sanitaires et l'arrêt des « petits boulots étudiants », les problèmes de ressources des étudiants, et plus particulièrement les bourses, deviennent cruciaux. Le ticket restaurant pour les étudiants me paraît une bonne chose.
La carence en matière de logement étudiant n'est pas limitée aux seuls étudiants : c'est un problème global pour notre pays. Il faut tenir compte du maquis des normes en ce domaine. Une piste intéressante à cet égard pourrait être le logement intergénérationnel.
Concernant l'enseignement à distance et plus globalement le développement du numérique dans notre vie, l'outil numérique représente aujourd'hui 10% de l'énergie mondiale consommée ; sa part augmente de 10% chaque année. Il s'agira, nous devons en avoir conscience, d'un facteur de pollution très important.
Les interventions de notre président et de notre rapporteur montrent que la vie étudiante et plus généralement l'enseignement supérieur pourraient inspirer des réformes d'ampleur.
À mon avis, on ne peut opposer les « petits boulot » aux bourses. Les « petits boulots » sont quelque chose de normal pour de nombreux étudiants. La priorité demeure, j'en suis convaincu, de travailler sur la définition des seuils d'attribution des bourses ; trop de familles en sont exclues. Une meilleure prise en compte de l'ensemble des revenus des familles, aides diverses comprises, s'impose.
La simplification administrative doit être un objectif également pour les étudiants, qui n'ont pas l'expérience de la complexité de certaines démarches et peuvent être démunis et découragés par la lenteur de traitement de certains dossiers.
S'agissant du logement, la situation démographique actuelle est cause de tensions et de carences. Mais cette tension pourrait s'atténuer à l'avenir. Il faut donc faire attention à ne pas investir sans discernement : il convient à mon avis de privilégier la souplesse ainsi que des formules telles que l'habitat intergénérationnel.
Je souhaite rappeler que les stages constituent non seulement une opportunité, mais aussi une obligation dans certains cursus. La pandémie a repoussé, voire annulé certains stages diplômants, reculant ainsi l'entrée des étudiants dans la vie active. Ce report va mettre en difficultés les étudiants qui avaient emprunté pour le financement de leurs études. J'ai eu des discussions avec des banquiers qui m'ont confirmé que le problème est réel. Si le début du remboursement peut être repoussé, le terme du prêt, en revanche, ne bouge pas. Je vous laisse imaginer les conséquences pour des jeunes qui entrent dans la vie active...
Les travaux de notre mission ont mis en lumière des problèmes tels que les modalités d'utilisation de la CVEC et les indemnisations des gardes effectuées par les étudiants de santé (n'oublions pas que le système hospitalier repose sur eux !)... Actuellement, d'autres missions d'information que la nôtre travaillent sur ces sujets. Il serait donc souhaitable que les différents rapporteurs se rapprochent et se coordonnent.
Les étudiants d'aujourd'hui se servent tous très bien des smartphones et de tous les outils numériques : qu'ils aient du mal à accéder à l'information me surprend. Par ailleurs, le moment de l'inscription dans l'enseignement supérieur est très important pour transmettre des informations aux étudiants sur tous les aspects de leur vie quotidienne liée à l'établissement où ils vont faire leurs études. C'est un temps qu'il faut mettre à profit et, peut-être, renforcer afin d'en profiter pour dispenser aux étudiants, à cette occasion, toutes les informations nécessaires à leur parcours.
Je travaille sur la CVEC pour la commission de la culture et je suis d'accord sur le fait que la transparence sur l'emploi des crédits de cette contribution est essentielle. Je rejoins également mes collègues sur la nécessité de simplifier les aides et les démarches, notamment par un guichet unique. Les formalités d'inscription et de demande d'information pourraient être davantage dématérialisées. Il faut voir l'étudiant comme un usager du service public de l'enseignement supérieur, auquel des aides sont proposées selon les besoins. C'est certainement une piste de réflexion à creuser.
Merci beaucoup pour cet échange constructif et dynamique.
La réunion est close à 12 h 20.
Nous poursuivons les travaux de notre mission d'information sur les conditions de la vie étudiante avec une table ronde dédiée à la précarité alimentaire et à l'aide alimentaire apportée aux étudiants, grâce à une intense mobilisation de la société civile dont nous accueillons aujourd'hui des représentants. Cette mission d'information a été demandée par le groupe Union centriste au Sénat et c'est le président de la commission de la culture, M. Laurent Lafon, qui en est le rapporteur.
L'objectif de cette mission est double : comprendre la vie étudiante durant cette crise et porter une réflexion plus générale sur les conditions de la vie étudiante et les solutions que nous pourrions préconiser pour qu'elles soient mieux assurées.
Je rappelle que cette audition fait l'objet d'un enregistrement vidéo, disponible sur le site du Sénat en direct et à la demande, sans limitation de durée.
La précarité alimentaire est probablement, de toutes les conséquences de la crise pour les étudiants, celle qui a le plus marqué les esprits. Nous en avons eu une nouvelle illustration lors de la visite que nous avons effectuée lundi à l'université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines.
Élus de terrain, nous avons pu apprécier le travail des associations auprès d'un public qui ne leur était pas familier, grâce à une générosité et à un élan national que j'ai moi-même constatés.
Au nom de la mission d'information, je tiens à vous remercier, mesdames et messieurs, pour votre engagement.
Je souhaite donc la bienvenue au Sénat, pour cette table ronde, à des acteurs qui se sont mobilisés dans la lutte contre la précarité alimentaire étudiante : MM. Patrice Douret, président des Restos du coeur, accompagné de Louis Cantuel, responsable des relations institutionnelles, Mmes Marie-Luce Rouxel et Alexandra Houy, respectivement directrice déléguée à la formation et responsable du pôle bénévolat et jeunesse à la direction des activités bénévoles et de l'engagement de la Croix-Rouge française, MM. Julien Meimon, président de l'association Linkee et Valentin Ceze, responsable des relations extérieures, Mmes Bérangère Poncet, présidente de l'association AGORAé et Élise Nuret, vice-présidente ainsi qu'à MM. Ulysse Guttmann-Faure, président de l'association Co'p1 - Solidarités Étudiantes et Benjamin Flohic, directeur général.
Les difficultés auxquelles les étudiants pouvaient être confrontés sont apparues très fortement ces derniers mois. Avant cette crise, aviez-vous connaissance de telles difficultés et quels étaient les étudiants concernés ?
Pour mieux comprendre la crise actuelle, pourriez-vous nous donner des indications quantitatives, par exemple sur le nombre d'étudiants dans le besoin ? Y a-t-il des facteurs amplificateurs des difficultés ? Des catégories d'étudiants ont-elles été plus particulièrement exposées ? Quelles sont, en somme, les faiblesses de notre système d'accompagnement ?
Dans cette crise, quels partenariats avez-vous noués, notamment institutionnels ? Quel dialogue avez-vous engagé avec les établissements de l'enseignement supérieur, les centres régionaux des oeuvres universitaires et scolaires (Crous) ou les collectivités territoriales ?
Enfin, s'agissant des perspectives, qu'est-ce qui selon vous pourrait être amélioré, qu'avez-vous pensé des repas à 1 euro dans les restaurants universitaires et quel est votre avis sur l'idée d'un ticket restaurant étudiant, issue d'une proposition de loi du Sénat ?
Les Restos du coeur travaillent sur ces sujets depuis de nombreuses années et ont alerté l'État sur la précarité étudiante depuis un certain temps, notamment parce que les jeunes de moins de 25 ans représentent 50 % de nos bénéficiaires. C'est considérable ! Au pic de la campagne d'hiver, nous accueillons 900 000 personnes, dont quelque 100 000 jeunes. Nous avions alerté l'État lorsqu'un étudiant s'était immolé par le feu en 2019. La situation actuelle n'est donc pas une découverte pour nous.
Cette année, nous avons remarqué qu'une quinzaine de nos centres, accueillant déjà des centaines d'étudiants, ont vu un fort afflux de cette population. Nous avons dû modifier nos conditions de fonctionnement dès le premier confinement, notamment car 30 % de nos bénévoles ont plus de 70 ans et devaient être protégés du risque de contagion. C'est pour cette raison que nous avons eu besoin d'aller vers les étudiants, tant pour leur apporter de l'aide que pour mobiliser certains d'entre eux, qui nous ont rejoints.
S'agissant de l'évolution des besoins, nous avons observé, dès les premières semaines, une augmentation des étudiants dans nos dispositifs d'activité de rue. Nous avons vu des étudiants étrangers dans l'impossibilité de repartir chez eux, confinés dans des logements exigus et des étudiants très souvent en rupture familiale. Cette précarité, très grave et subite, a donc mis en avant la nécessité de mettre en place une réponse urgente.
Nous avons conclu un certain nombre de partenariats tournés en priorité vers les associations étudiantes (notamment la FAGE), ce qui est nouveau pour nous. Nous avons ouvert de nouveaux points d'activité, par exemple à Montpellier, au sein du Crous. Cela nous a permis de flécher les étudiants vers nos centres d'activités habituels, l'aide alimentaire n'étant qu'une porte d'entrée. Au centre de Montpellier, nous accueillons aujourd'hui près de 900 personnes, contre 300-400 au début de la crise. L'évolution est donc très préoccupante.
La première cause évoquée par les étudiants est, bien entendu, la perte de revenus issus des emplois précaires ou des « petits job » étudiants dans les secteurs de la restauration, du tourisme ou de l'hébergement. Cela s'est produit de manière très soudaine. Des étudiants se sont retrouvés à la rue. Nos associations essayent d'éviter la bascule dans la pauvreté dont il est très difficile et très long - cela peut prendre des générations - de se relever.
Cette situation s'est avérée très éprouvante pour nos bénévoles. Il a fallu, dans certains cas, nous orienter vers des associations spécialisées en soutien psychologique tout en formant nos bénévoles à mieux résister et à tenir dans le temps.
Nous avons noué des partenariats avec la Fédération des associations générales étudiantes (FAGE), la Croix-Rouge ou Action contre la faim pour le volet hygiène, mais aussi avec des associations locales qui promeuvent des aides plus personnalisées.
La question des locaux est fondamentale et ne pas pouvoir ouvrir un centre d'activité à proximité ou au sein d'un campus universitaire a souvent pour unique cause le manque de locaux. Dans ce domaine le partenariat avec les collectivités territoriales est stratégique. Nous avons néanmoins pu ouvrir des centres éphémères, comme au stade Vélodrome à Marseille, en nouant des partenariats avec des associations faisant autre chose que de l'aide alimentaire, par exemple de l'aide à la santé.
Les difficultés rencontrées ont bien sûr été, dès le départ, la main d'oeuvre bénévole, avant que les étudiants ne nous rejoignent, notamment pour rompre leur isolement. On pourrait ainsi penser à inscrire, dans les cursus universitaires, la participation à des actions de solidarité au sein d'associations comme les nôtres.
S'agissant du repas à 1 euro, nous ne disposons pas encore d'éléments suffisants pour en juger l'efficacité. Néanmoins, nous n'avons pas remarqué de diminution de la fréquentation de l'aide alimentaire depuis que ce dispositif existe. Beaucoup nous ont dit que les restaurants universitaires sont trop éloignés.
Le chèque alimentaire, s'il peut constituer un complément, ne résout pas tout, notamment car il ne permet pas d'initier un accompagnement. Notre action a sen effet pour objet non seulement d'aider les gens à survivre, mais aussi d'anticiper la suite. Le chèque alimentaire reste toutefois un outil efficace.
S'agissant des solutions, la quasi-totalité des étudiants et des jeunes nous font savoir que leur principale difficulté est d'ordre financier. Ils n'ont pas seulement besoin d'être aidés en termes alimentaires, difficulté pour laquelle ils ont des compléments, mais d'un soutien financier, d'un « petit coup de pouce » pour leur permettre de mieux se consacrer à leurs études. Cela pose effectivement la question du revenu minimum.
Je dirige les établissements et les instituts de formation de la Croix-Rouge française au sein desquels chaque année plus de 18 000 jeunes sont formés aux métiers du sanitaire et du social. En outre, nous comptons 15 000 jeunes volontaires et 150 jeunes en service civique.
Cette crise a accéléré la précarité des jeunes, qui ont été touchés de plein fouet : 74 % des étudiants rencontrent des difficultés financières depuis le mois de mars 2020 ;la moitié ont du mal à payer leur loyer et même à s'alimenter correctement ; par ailleurs, 72 % ont vu leur activité salariée interrompue. Nous constatons une augmentation de 20 à 25 % des besoins dans plus de 90 % de nos structures d'aide alimentaire et plus de 24 % sont des étudiants. Enfin, plus de 50 % des personnes sollicitant de l'aide alimentaire le faisaient pour la première fois. Parallèlement, nous observons aussi une augmentation de l'engagement des jeunes, un engagement toutefois affecté par leur précarité.
La Croix-Rouge française forme dans les domaines du sanitaire, du social et du médicosocial ; ainsi, une majeure partie de nos étudiants - mais pas tous - ont été moins touchés par la crise, essentiellement parce qu'ils ont été réquisitionnés dans des établissements. Nous avons donc, autant que possible, accompagné nos étudiants qui représentent tout de même 12 % des effectifs formés dans le sanitaire, social et médicosocial, notamment par des chèques d'accompagnement à hauteur de 250 000 euros, soit 225 euros par étudiant, utilisables notamment dans les supermarchés.
Cette précarité des apprenants - j'inclus les jeunes qui n'ont pas le bac : ils ont été très touchés par la crise - est un sujet sur lequel nous sommes attentifs depuis longtemps. Cela fait longtemps que la Croix-Rouge met à disposition de l'aide alimentaire à destination des étudiants via des paniers repas et des épiceries sociales. Dès avant la crise du covid-19, le constat d'une précarisation de nos étudiants nous a amenés à accélérer leur accompagnement. Pour finir, je rappellerai que nous aidons nos étudiants par un système de bourse interne. Par ailleurs nous avons débloqué des fonds pour aider les ultramarins étudiant en métropole à rejoindre leurs familles.
Dès le début de la crise, sur nos 60 000 bénévoles, nous en avons perdu près de 12 000, âgés de plus de soixante ans.
Or cette tranche d'âge est surreprésentée dans les bénévoles de la distribution de l'aide alimentaire. Nous parvenons néanmoins à maintenir une aide alimentaire dans tous les territoires grâce aux autres bénévoles et aux jeunes.
Sur nos 1 000 implantations locales, nous avons 800 centres de distribution et 80 épiceries sociales. Depuis le début de la crise, nous avons chiffré l'augmentation du nombre de jeunes bénéficiaires à 20 %. Pour lutter contre la réticence des jeunes à s'adresser à des associations comme la Croix-Rouge ont mis en place des dispositifs itinérants, comme à Tours où fonctionne le dispositif « Petit caddie ». Mis en place par des jeunes, il permet de renforcer l'engagement comme un rempart contre l'isolement social. Ainsi, la question fondamentale de la santé mentale des jeunes devra rapidement être prise à bras-le-corps, leur engagement étant une partie de la réponse car c'est un rempart contre l'isolement social.
Le public étudiant est différents de celui auquel nous nous adressons habituellement. Le partenariat avec un Crous ou une association étudiante peut s'avérer difficile. Accompagner des jeunes nous permet donc de nous ouvrir à un nouveau public, de nous trouver en situation de pair à pair, ce qui est très stimulant.
S'agissant du ticket à un euro, le recul est insuffisant pour savoir si cette mesure a permis une diminution de fréquentation de l'aide alimentaire. Nous savons néanmoins que plusieurs difficultés s'étaient fait jour, notamment l'accessibilité et le fait qu'ils n'étaient, parfois, pas ouverts le week-end.
Nous sommes donc convaincus qu'une garantie jeune ou un revenu minimum élargi pourrait permettre à de nombreux jeunes d'aborder bien plus sereinement leurs études. Il est en tout cas certain qu'on ne peut rester sur cette urgence du quotidien.
Effectivement, à la crise sanitaire s'ajoute la crise sociale, qui aura des conséquences à beaucoup plus long terme. De nombreuses associations étudiantes sont nées durant cette période, partout sur le territoire ; elles sont d'une grande efficacité sur le terrain et sont parfois des modèles de résilience durant cette période de crise. Je veux sur ce point saluer le travail effectué par AGORAé.
La précarité étudiante n'est pas née avec le confinement, mais elle s'est aggravée, et l'association Linkee s'est attachée à attirer l'attention des responsables sur cette réalité.
Née il y a cinq ans d'une ambition : développer une aide alimentaire durable à partir d'invendus et de bons produits, notre association a constaté, dès le premier confinement et de concert avec le Secours populaire, les Restos du coeur, la mairie de Paris et le Crous, que beaucoup de jeunes étaient présents, étudiants ou non. Nous avons alors décidé de la création d'un dispositif ad hoc dédié aux étudiants, pour la rentrée universitaire de 2020. C'est ce dispositif que nous animons depuis lors.
Depuis octobre 2020, ce dispositif représente quelque 163 distributions, 20 lieux de distributions en Île-de-France et, chaque mois, 160 000 repas. Notre équipe très motivée s'appuie sur des partenariats institutionnels ainsi que sur la solidarité entre les associations.
Notre distribution, qui a connu un certain succès médiatique, se base sur quatre piliers.
Premièrement, l'accueil inconditionnel : une carte d'étudiant suffit pour venir. Nous partons du principe que ceux qui viennent vers nous en ont besoin. La contrepartie est un suivi a posteriori des étudiants que nous accueillons. Nous avons donc lancé une enquête sociologique quantitative et qualitative pour identifier qui sont ceux qui viennent aux distributions et quels sont les ressorts de leur précarité, pour être ainsi en mesure d'informer les pouvoirs publics sur la nature de la précarité en temps de crise. Nos résultats portent aujourd'hui sur quelque 3 000 étudiants, ce qui n'est pas négligeable.
Deuxièmement, nous avons fait le choix de distribuer des colis d'alimentation durable constitués de fruits et légumes bio récupérés ou achetés, ainsi que de produits frais. Nous voulons donner la possibilité de cuisiner aux étudiants qui le peuvent et avons à cet effet institué des ateliers de cuisine solidaire. Les colis pèsent 7 kg, ce qui permet aux étudiants qui vont aux deux distributions par semaine de tenir une semaine et d'évacuer la question alimentaire de leur charge mentale.
Troisièmement, nous avons fait le choix de proposer des lieux de distribution particuliers. Beaucoup d'étudiants étant rétifs à l'idée d'aller aux Restos du coeur, nous avons choisi de privilégier des lieux non stigmatisants et nous nous sommes adressés aux restaurants et bars fermés. De la même manière, ce sont des étudiants qui sont les bénévoles sur place, certains étant également bénéficiaires, ce qui permet d'abolir la frontière entre celui qui aide et celui qui reçoit et de créer du lien social.
Quatrièmement, nous avons voulu proposer une ambiance chaleureuse : des étudiants viennent jouer de la musique et contribuer au bien-être de chacun lors de ces distributions.
Nous nous sommes volontairement liés à des associations s'occupant d'autre chose que l'aide alimentaire, à l'instar de celles soignant la détresse psychologique des étudiants, proposant des produits d'hygiène - des kits d'hygiène sont présents dans toutes nos distributions - et traitant de la question de l'accès aux droits, de la santé ou du logement. Notre idée est que, dans nos lieux de distribution, toutes les précarités puissent être prises en charge grâce à la présence d'acteurs très divers. Notre étude nous révèle d'ailleurs qu'il n'y a pas une mais des précarités étudiantes : notre travail est de jouer le rôle de filet de sécurité durant la crise, en nouant des partenariats de long terme avec des associations aux actions complémentaires aux nôtres.
Comme cela a été dit, la précarité étudiante n'est pas une problématique nouvelle. La FAGE a créé le projet AGORAé il y a dix ans en ouvrant la première antenne à Lyon en 2011. Aujourd'hui, ce sont 27 AGORAé qui distribuent chaque jour à de nombreux étudiants des produits alimentaires, hygiéniques ou d'entretien. Si la précarité étudiante a largement été médiatisée depuis 2019 et durant cette crise, les dispositifs mis en place ne sont pas pérennes. Il nous semble pourtant important qu'ils soient poursuivis via des accompagnements quotidiens.
Le projet AGORAé est fait par et pour les étudiants, ce qui permet d'être le plus au fait des problématiques quotidiennes. Nos épiceries accueillent sans condition de ressources, même si, au vu de la demande, il est impossible d'aider tout le monde. Avec l'aide de la FAGE et des territoires, de nombreuses AGORAé ont été créées partout en France. À Paris, nous avons distribué 1 000 paniers en mars dernier, ce qui constitue un très petit chiffre en comparaison de la demande. Les témoignages des étudiants ont également été très frappants, certains nous disant qu'ils n'avaient pas mangé durant plusieurs jours - je me souviens d'un témoignage faisant état d'une pomme pendant tout un week-end ! Parallèlement au dispositif pérenne des épiceries, nous distribuons des repas chauds - 4 000 depuis le mois de janvier.
Les profils d'étudiants que nous rencontrons sont très variés : famille à l'étranger qui ne peut pas aider, rupture familiale, coût onéreux des études, écoles qui ne proposent pas d'aide sociale, accès aux bourses limité ou perdu. Les étudiants étrangers, qui n'ont pas accès aux bourses, représentent 80 % des étudiants que nous accueillons.
Les achats de matériel indispensable ont fragilisé le budget alimentaire de nombreux étudiants, tout en contribuant à leur endettement. Je ne peux qu'aller dans le sens de ce qui a été dit sur le non recours des étudiants à l'aide alimentaire, même si leur précarité alimentaire est aujourd'hui assez banalisée. Les associations étudiantes, par leur proximité avec les étudiants, peuvent permettre d'abaisser cette barrière.
S'agissant des partenariats, nous avons essentiellement travaillé avec l'Université de Paris et Sorbonne université, qui nous fournissent aides financières, lieux, accompagnement et aide à l'organisation. Depuis cinq ans nous travaillons avec les Crous, la mairie de Paris et, d'une manière générale, avec les collectivités territoriales. Comme Linkee, nous reprenons les invendus tout en essayant de nous organiser de manière écologiquement responsable.
Nous avons constaté une forte hausse de la mobilisation étudiante : 250 bénévoles sont arrivés d'un coup au mois de novembre dernier. Nous avons également vu l'entraide nationale grâce aux nombreux contacts d'entreprises et d'associations dont nous avons bénéficié, même si, au vu de la demande, l'aide est toujours insuffisante.
Le repas du Crous à 1 euro a été une excellente initiative, néanmoins le repas était, jusqu'à fin janvier dernier, uniquement accessible aux étudiants boursiers et seulement mis en place dans les restaurants universitaires et non dans les cafeterias. En outre, la nécessité de disposer d'un compte bancaire n'a pas facilité les choses. Enfin, la qualité des repas proposés, tout du moins au début, n'était pas particulièrement qualitative.
S'agissant du ticket restaurant étudiant, cette mesure remet en cause l'équilibre nutritionnel des étudiants ainsi que la restauration écoresponsable et durable des Crous. De la même manière, elle a pour conséquence immédiate que les étudiants se rendent moins dans les lieux de vie que sont les Crous, ce qui aggrave leur isolement social.
S'agissant des pistes de réflexion, il existe déjà de nombreux dispositifs de solidarité. Il faudrait travailler à leur visibilité ainsi qu'à la coordination entre les différentes associations, qui fonctionne déjà très bien. Nous pouvons également proposer, dans une logique pérenne, de nouvelles alternatives financières aux étudiants, comme la garantie jeunes universelle, proposée par la FAGE, tout en valorisant les engagements étudiants, tels que le volontariat en service civique.
- Présidence de M. Stéphane Piednoir, vice-président -
Merci pour cette invitation. C'est un honneur pour nous de présenter notre action et nos constats devant le Sénat. Notre association est non partisane, et son seul but est de porter assistance aux étudiants en situation de précarité. Créée il y a neuf mois en réaction à la crise sanitaire et à ses impacts sur les étudiants, elle compte aujourd'hui 500 membres, tous bénévoles et tous étudiants - d'où le retard d'Ulysse et ma propre participation par visioconférence : j'étais en partiel il y a encore une demi-heure ! Nous aidons 1 000 étudiants par semaine en Île-de-France, en organisant une distribution tous les jeudis dans le quatorzième arrondissement de Paris et deux distributions par semaine à la maison des initiatives étudiantes (MIE) de Bastille. Au début, au mois d'octobre 2020, nous aidions 150 étudiants par semaine ; nous distribuons à présent à un millier d'étudiants des paniers de 8 à 10 kg, d'une valeur d'environ 35 euros, qui doivent leur permettre de tenir la semaine en ayant suffisamment à manger ; nous incluons des produits d'hygiène - le tout avec des produits de bonne qualité : ce n'est pas parce qu'on est en situation de précarité qu'on n'a pas le droit de bien manger.
Notre association est construite par et pour les étudiants. C'est important, car certains bénéficiaires peuvent être réticents à aller à des distributions qui s'adressent à des personnes sans domicile fixe, par exemple. Vu le nombre d'étudiants qui ont sombré et les conséquences gravissimes engendrées par la crise sur les situations personnelles, nous ne pouvions accepter que l'aide que nous pouvions leur apporter soit perdue au motif qu'ils ne se seraient pas sentis légitimes à la recevoir. Ce sentiment, nous en avons beaucoup entendu parler. Certains étudiants ont fini par venir après n'avoir rien mangé pendant deux jours... Nous avons donc voulu casser cette barrière. C'est pourquoi nous rendons les distributions aussi sympathiques que possible, et tâchons de montrer qu'il n'y a aucune différence entre le fait d'être bénévole et d'apporter de l'aide et le fait d'avoir besoin de l'aide que nous proposons. Nos distributions se font avec de la musique, nous tutoyons les bénéficiaires, dont certains deviennent bénévoles à leur tour, nous organisons ensemble des activités comme des tournois de billards... Nous essayons de légitimer et de normaliser le fait d'être aidé par ses pairs quand on se trouve dans une situation compliquée.
Nous avons mis en place des systèmes de parrainage et de suivi pour chaque étudiant, s'il le souhaite, afin d'accompagner au mieux les besoins de chacun. Nous avons également achevé la semaine dernière une étude de 60 pages sur le profil des étudiants bénéficiaires. Beaucoup de nos bénévoles ont travaillé sur cette étude, lancée dès la création de l'association. Elle répond à trois questions : qui sont les bénéficiaires ? Comment adapter nos distributions en fonction des besoins de chacun, notamment en produits d'hygiène et de première nécessité ? Quelle est l'ampleur des effets de la crise sur les étudiants ?
L'étude a révélé une explosion de la précarité étudiante - qui n'a pas commencé avec la crise, naturellement. Plus de mille étudiants ont répondu à l'enquête et nous ont apporté leurs témoignages, qui nous permettent de mettre des mots sur les chiffres. Le premier chiffre qui ressort de notre étude est que 79 % des bénéficiaires qui ont répondu à l'enquête sollicitaient une aide alimentaire pour la première fois à la rentrée 2020. C'est pire que ce à quoi on pouvait s'attendre : huit étudiants sur dix sont devenus précaires du fait de la crise, c'est une catastrophe sociale absolue ! Un étudiant sur deux, dans notre enquête, affirme ne pas manger à sa faim de manière répétée. Ce fait est corroboré par les témoignages apportés par nos discussions avec les bénéficiaires : plusieurs fois par semaine, on saute un repas, on se couche le ventre vide, on arrive en fin de semaine en ne pouvant plus manger de toute la journée avant de venir à la distribution du vendredi soir ou du samedi midi...
Ces chiffres sont marquants, en effet : 79 % des étudiants reçoivent une aide pour la première fois. Ce sont de nouveaux précaires, ce qui induit une difficulté supplémentaire sur le plan psychologique, puisqu'ils découvrent cette précarité - parce qu'ils ont perdu leur emploi, parce que le chômage partiel leur a fait perdre 20 % ou 30 % de leurs revenus, ou parce que leurs parents ne peuvent plus les aider.
D'autres chiffres sont très parlants. Par exemple, sept bénéficiaires sur dix sont des étudiantes. La précarité touche donc majoritairement des femmes. Pourquoi ? Quelles solutions ? L'explication par la précarité menstruelle et le coût des produits d'hygiène n'est pas suffisante.
Autre pourcentage intéressant : 63 % des bénéficiaires sont des étudiants étrangers. Et 27 % seulement des étudiants qui nous sollicitent sont boursiers. Ce critère, qui est l'un des principaux pour chiffrer la précarité chez les étudiants, est largement dépassé avec cette crise sanitaire et économique. Les étudiants étrangers ne sont pas boursiers, par définition... C'est pourquoi nous n'avons pas conditionné notre aide au fait d'être boursier : notre seul critère est d'être étudiant et de se sentir en difficulté. Notre étude a complètement conforté cette intuition, d'autant que les bourses renvoient à la situation de l'année n-1, voire n-2...
La découverte de la précarité a des conséquences psychologiques extrêmement fortes sur les étudiants. Des dispositifs ont été mis en place, comme le chèque psy. Ils vont dans le bon sens, mais il faut aller plus loin. Par exemple, nous distribuons des produits d'hygiène, mais 55 % des étudiants qui nous sollicitent ne parviennent pas à subvenir à leurs dépenses de santé. Un étudiant me disait la semaine dernière qu'il n'avait pas les 3 euros pour se payer du dentifrice et se laver les dents tous les jours... En d'autres termes, plus de la moitié des étudiants qui sont en difficulté font des choix qu'ils ne devraient pas faire pour leur santé.
Ces constats sont quelque peu effrayants. Ils doivent nous conduire à réfléchir sur les critères d'attribution des bourses.
Vos constats sont convergents sur le fait que les premières sollicitations d'aide alimentaire sont majoritaires dans le public étudiant auquel vous vous adressez. Cela permet d'espérer que la situation se rétablira avec le retour à la normale, et que ces aides deviendront moins indispensables.
Vous avez évoqué une forte mobilisation de bénévoles. Avez-vous également enregistré une hausse significative du montant des dons ? La générosité, la solidarité des Français s'est-elle accrue durant cette période ?
Des étudiants ont été amenés à abandonner leur logement très tôt durant le premier confinement, et à nouveau au cours de cette année universitaire. Ils sont désormais chez leurs parents, qui eux-mêmes peuvent être confrontés à des difficultés financières. Comment aller chercher ces étudiants pour faire en sorte que leur précarité soit aussi résorbée, autant que faire se peut ? C'est certainement plus compliqué...
Merci pour vos interventions précises, qui répondent bien à nos interrogations - je pense notamment à la dernière intervention, sur la question de l'efficacité du système de bourses, qui nous interpelle depuis le début de cette mission. Vous avez indiqué que les jeunes femmes semblent plus affectées encore par les difficultés - ainsi que les étudiants étrangers, mais pour ceux-ci, il y a des explications évidentes : absence d'accès au système de bourse, éloignement de la famille, etc. Avez-vous tous affaire à un plus grand nombre d'étudiantes que d'étudiants ? Avez-vous des éléments d'explication sur ce point ?
Quelque 26 % des familles que nous accueillons sont monoparentales, et 86 % de ces familles-là ont des femmes à leur tête. Pour ces femmes, il faut à la fois s'occuper des enfants et de la vie quotidienne et essayer de trouver un emploi. Et lorsque l'on a un emploi, se pose la question des horaires : il est très difficile de s'en sortir quand on a une charge de famille.
Pour rappel, les Restos du coeur n'avaient pas vocation à aller exercer leur activité au sein des Crous. Nous avons voulu surmonter la difficulté, pour les étudiants et étudiantes, d'aller vers nos centres de distribution, qui n'étaient pas forcément à proximité - même si des dizaines de milliers d'étudiants les fréquentaient déjà avant la crise. Quand nous ouvrons des centres d'activités, nous constatons une très forte proportion d'étudiantes. Sans doute occupent-elles des emplois plus précaires, dans la distribution, dans l'entretien - et souvent, ces emplois ne sont pas aussi bien payés que les emplois considérés comme masculins.
Depuis un an, la crise a mis en évidence la générosité des Français. Les Français sont un peuple très généreux, non seulement de leur argent, mais de leur temps. En mars, nous avons fait un appel au télébénévolat pour les seniors : nous avons reçu plus de 10 000 candidatures en quelques jours ! Peut-être devrait-on mieux en tenir compte, en donnant par exemple la possibilité aux employeurs de permettre aux salariés de consacrer chaque année un peu de leur temps de travail - deux jours par exemple- à une association de solidarité.
Nous devons réfléchir à la suite, au-delà des actions immédiates qui relèvent du sauvetage - pour lesquelles les pouvoirs publics ont été très présents. Nous devons préparer la prochaine crise dès maintenant. Cela implique de prendre en compte la question du bénévolat. Déjà, nous sommes capables de travailler ensemble et de nous mettre tous autour de la table, en conservant notre liberté d'action, nos valeurs et nos tailles respectives. Reste à trouver des solutions pour intervenir en amont et non plus courir après la crise - sans doute en s'appuyant davantage sur le bénévolat, et en mettant en place un revenu, ou du moins un petit coup de pouce financier, permettant de se consacrer vraiment à une recherche d'emploi ou de finir ses études sereinement. On ne franchit pas la porte d'une association de solidarité par plaisir !
La mobilisation est au fondement de notre action : nous avons largement compté sur l'élan de générosité qui est disponible en France. Cette mobilisation prend d'ailleurs plusieurs formes : au-delà du don financier, il y a le don alimentaire. Nous récupérons des invendus de très bonne qualité, frais, que nous allons chercher tous les jours et avec lesquels nous constituons des colis de très haute qualité, car ils n'ont aucunement vocation à finir à la poubelle. Or 10 millions de tonnes d'invendus sont détruites chaque année, malgré les lois qui ont été votées pour limiter le gaspillage alimentaire. L'engagement citoyen est au fondement de notre action, comme la capacité de résilience des personnes et des associations qui les mobilisent en période de crise. Nous avons enregistré un afflux de bénévoles, de dons financiers, de dons alimentaires... Il y a quelque chose de très affectif dans cette démarche. De fait, l'évolution du paysage audiovisuel fait qu'on en appelle moins à la réflexion qu'à l'affectif, voire à l'indignation. Nous en profitons ! Nombreux sont ceux qui, en voyant les files d'attente d'étudiants, se sont indignés.
Mais cela ne peut pas tenir sur le long terme : nous ne sommes pas une entreprise de communication. Il faut donc prévoir la suite, et anticiper dès maintenant ce qui va se passer à la rentrée. Nous pensons que beaucoup d'étudiants vont retrouver une forme de sécurité. Mais ceux qui ont décroché mettront beaucoup de temps à retrouver un équilibre. Nous devrons donc être là pendant toute la durée de la crise.
Depuis le début, nous avons sollicité des associations spécialisées dans l'aide au logement pour qu'elles soient présentes lors de nos distributions. Nous ne prenons pas en charge directement le problème du logement, mais nous avons connaissance de cas très concrets. Il y a peu de temps, nous avons vu des étudiants qui se retrouvaient sans domicile, en particulier à Paris, vu le niveau des prix. De fait, le logement consomme une grande partie du maigre budget dont disposent les étudiants. C'est un point majeur dans la question du reste à vivre des étudiants, de même importance que celles de l'hygiène et de la détresse psychologique, quand on parle de précarité étudiante.
Sur la proportion de femmes aux distributions, nos chiffres sont assez cohérents avec ceux qui ont été avancés ou ceux qui ont été donnés dans la presse à plusieurs reprises. J'attendrai les résultats définitifs de l'étude de fond que nous avons menée pour donner des explications structurées. Peut-être que, lorsque les étudiants sont en couple, comme dans beaucoup de cas dans la vie, c'est la jeune femme qui va chercher le colis alimentaire plutôt que le jeune homme. La diversité des situations est extrême : célibataires, couples, couples avec enfants... Beaucoup de nos bénéficiaires, en tous cas, n'imaginaient pas se trouver dans cette situation aujourd'hui.
Votre action est très importante. Je me trouve en Guadeloupe, mais j'ai bien vu la détresse de certaines personnes, en métropole comme outre-mer. Bravo pour la complémentarité de vos actions. Pour les femmes, l'hygiène corporelle pèse davantage dans le budget - nous avons été sensibilisés à la précarité menstruelle par de nombreux courriers sur ce sujet. On peut comprendre la difficulté des étudiants à se rendre aux distributions. Ils n'auraient jamais imaginé devoir solliciter de l'aide alimentaire ! Les réseaux sociaux ont diffusé les images de files d'attente d'étudiants, mais certains n'en parlent pas à leur propre famille... Peut-être faudrait-il veiller à ce que ceux-ci ne puissent pas être reconnus. À cet égard, en tous cas, l'implication des étudiants eux-mêmes dans les distributions est capitale. Il faut continuer, et notre mission est vraiment bienvenue. La santé mentale est aussi un thème important afin de préparer l'après-crise.
Y a-t-il une proportionnalité entre la mobilisation des Français et l'indignation qu'ont pu susciter certaines images ? Les moyens sont-ils adaptés pour donner suite à cette indignation ? Il est important que celle-ci se transforme en mobilisation. De nombreux Français ont été choqués par ces images de files d'attente mais, concrètement, que peuvent-ils faire ?
Vous avez parlé de partenariats avec les particuliers et avec les pouvoirs publics, mais assez peu avec les entreprises. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce point ?
Oui, nous avons été énormément aidés, et pas seulement par les étudiants qui sont venus bénévolement prêter main forte. Beaucoup d'entreprises, justement, nous ont contactés, secteur par secteur, pour faire don de produits. Par exemple, un producteur de thé nous a offert plus de 10 000 sachets ! Des particuliers nous aident soit en nous donnant de l'argent, soit en faisant des courses et en nous les déposant. Des étudiants aident pour les collectes et, en diffusant le message à leurs proches, nous aident à construire un réseau. Certains professionnels se sont mobilisés, et notamment beaucoup d'enseignants, en collège, en lycée ou en plus petites classes, qui ont souhaité sensibiliser leurs élèves et futurs étudiants à la précarité, en organisant des collectes. Des restaurateurs, aussi, nous ont beaucoup aidés. Comme leurs établissements ont été fermés, beaucoup de leurs produits se seraient périmés dans l'année : ils nous en ont fait don avant. Des cinémas, des entreprises du monde de l'agriculture nous ont fait des dons, aussi. Les 4 000 repas chauds dont je parlais tout à l'heure sont préparés grâce à un restaurateur du quatrième arrondissement.
La mobilisation est-elle proportionnelle à l'indignation ? En tous cas, celle-ci permet de faire connaître une situation sur les réseaux sociaux et d'inciter certaines personnes ou entreprises à agir pour aider.
Certains étudiants ont dû retourner chez leurs parents à cause de la crise. Comme AGORAé est un réseau national, nous pouvons continuer à les soutenir, même s'ils changent d'adresse. L'association générale des étudiants de Paris, l'AGEP, possède un pôle de défense des droits qui a pour mission d'accompagner les étudiants en difficulté et peut les aider, sur toutes les questions universitaires comme sur la question du logement.
Enfin, concernant la précarité des étudiantes, on constate que les écarts salariaux entre les hommes et les femmes se retrouvent aussi dans les emplois étudiants. Une étude de la FAGE montre que la précarité menstruelle est répandue. Lorsqu'une étudiante dispose d'à peine quelques euros pour manger, elle n'a pas les moyens de dépenser 15 euros chaque mois pour acheter les protections nécessaires. Le problème est aggravé du fait que les produits d'hygiène féminins sont plus chers que ceux des hommes. C'est aussi une des raisons qui explique que les femmes soient plus nombreuses à solliciter l'aide de la Croix-Rouge.
La Croix-Rouge a mis en place depuis avril 2020 une plateforme « Croix-rouge chez vous » avec un numéro vert pour centraliser les offres de bénévolat : on en a recensé 14 000 ! Pendant le premier confinement, on a croulé sous les demandes. Était-ce l'effet de surprise, la volonté de sortir ? En tout cas, cela a permis à chacun de redécouvrir l'échelon de proximité. Nous avons lancé l'opération « Confinés et solidaires » pour développer le bénévolat de voisinage, comme nous l'avions fait pendant la canicule. Toutefois, depuis novembre, la mobilisation baisse : alors que nous comptions 1 000 candidatures par semaine, on en compte désormais 250 sur quinze jours.
Je souhaite d'abord remercier la Croix-Rouge pour son action, très utile pour tous les étudiants sans domicile fixe ou sans-abri. Les dispositifs associatifs ont permis de répondre à la crise. Les Crous et les assistantes sociales sont très sollicités.
Les dépenses des femmes, et des étudiantes, sont en effet plus importantes que celles des hommes. Même si l'écart peut sembler faible - quelques centimes pour les rasoirs par exemple -, c'est beaucoup pour des personnes qui ont déjà des difficultés pour se nourrir. Les différences concernent aussi l'engagement : sur nos 500 bénévoles, 80 % sont des femmes. Les femmes s'engagent davantage. Je note aussi que les emplois qui ont été supprimés avec la crise étaient plutôt féminins - métiers du social, baby-sitting, événementiel, etc. - tandis que les métiers manuels ou dans la sécurité ont été davantage préservés. Les dispositifs d'aide ne répondent pas à la situation : le chômage partiel n'est pas adapté au babysitting, tandis que la rémunération dans l'événementiel repose surtout sur des extras.
J'attire aussi votre attention sur le développement des cas d'étudiants endettés à cause de la crise : 15 % des étudiants qui nous sollicitent sont endettés - prêts à la consommation, prêts pour payer leurs études à cause de l'impossibilité de travailler -, la moitié pour des encours supérieurs à 15 000 euros. Cela signifie que certains auront du mal à rembourser et que la crise aura des conséquences à long terme pour ces étudiants. L'éloignement représente aussi un coût : 92 % des étudiants qui nous sollicitent ne vivent plus chez leurs parents. Il s'agit d'étudiants étrangers ou de province qui sont montés à Paris pour finir leurs études. Il serait judicieux de revoir le dispositif d'aides au logement pour que le coût du logement ne soit pas un obstacle.
Je vous remercie pour votre engagement. Nous espérons tous que la crise ne se pérennisera pas.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 16 h 20.