Avant d'accueillir nos invités, je vous informe que j'ai rencontré avant-hier le président de la nouvelle délégation aux collectivités locales de l'Assemblée nationale, M. Jean-René Cazeneuve. Nous avons évoqué, au cours de notre discussion, l'idée de réunir nos deux bureaux pour examiner si nos ordres du jour comportent des thèmes sur lesquels nous pourrions travailler en partenariat. Souvenez-vous des blocages survenus sur certaines propositions de loi, en dépit de l'insistance du président Larcher et des accords de principe conclus avec le président Bartolone... Porter ensemble certains sujets échappant aux clivages serait une démarche de gagnant-gagnant. Je vous en reparlerai plus en détail ultérieurement.
Je me félicite que l'Assemblée nationale ait trouvé intérêt à créer une délégation aux collectivités, mais le coeur des missions du Sénat est la représentation des territoires et, si nous devons travailler ensemble, il est indispensable que chaque assemblée conserve sa spécificité. Les commissions, les autres délégations, ne tiennent pas bureau commun !
Nous n'allons pas vendre notre âme ! Au sein de ma commission, nous avons un dialogue régulier avec nos homologues de l'Assemblée. Je songeais en l'occurrence à une prise de contact en début de mandature...
Nous ne voulons pas être dépossédés de nos prérogatives, bien sûr, mais reconnaissons aussi que nous aurions plus de chances ainsi de faire aboutir un certain nombre d'améliorations.
Nous accueillons à présent M. Loïc Cauret, président délégué de l'AdCF, et M. Charles-Eric Lemaignen, premier vice-président, pour évoquer l'actualité des collectivités territoriales. Lors de la première conférence des territoires, le président Larcher avait appelé au renforcement des liens entre le Sénat et les associations d'élus locaux ; il souhaitait que celles-ci deviennent les partenaires privilégiées de notre assemblée, et tout particulièrement de notre délégation. C'est dans ce cadre, au lendemain du congrès des maires, que nous recevons les représentants de l'AdCF.
Ayant été président d'une agglomération jusqu'à l'an dernier, je connais bien cette association. Je porte en haute estime son travail et sa revue, et j'ai reçu à plusieurs reprises M. Lemaignen à Mulhouse pour travailler sur les textes en gestation.
M. Lemaignen et moi serons également entendus aujourd'hui par la mission Bur-Richard, puis nous nous rendrons à l'Assemblée nationale pour parler de la proposition de loi sur l'eau et l'assainissement. C'est dire la richesse de notre actualité.
L'AdCF se place, sur tous les sujets, en position d'accompagnement, d'enrichissement des textes, afin que les intercommunalités, des plus petites (il en existe encore à moins de 15 000 habitants) aux plus grandes métropoles et au Grand Paris, tiennent toute leur place dans les territoires, dans le paysage administratif et humain. Nous parlerons de contractualisation, de fiscalité locale, de ses nouvelles formes, de sa répartition - pour nous, quelles que soient les mesures récentes, elles ne sauraient empêcher d'avancer sur la révision des bases locatives, qui est un impératif d'équité.
Nous suivons le projet de loi « évolution du logement et aménagement numérique » (ELAN) et sommes représentés à la conférence de consensus, car les intercommunalités ont à présent une position centrale sur le logement - PLH, organisation des territoires, SCOT, PLUI, etc. Comment doivent-elles être représentées dans les gouvernances - je pense bien sûr aux HLM et aux bailleurs -, dès lors que l'éclatement antérieur va être revu ? Les zonages posent problème, on a l'impression que seules les zones tendues retiennent l'attention : une enveloppe pour des expérimentations devrait être prévue en région, par exemple dans les petites et moyennes villes, qui désormais sont exclues des dispositifs Pinel et autres. Autre dossier : comment faut-il traiter les 20% de la loi SRU : par commune ou par territoire ? Il est temps de regarder ce qu'il est possible de faire.
Les schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (Sraddet) prennent en compte tous les grands plans : il faut s'y intéresser, car les avancées sont inégales d'une région à l'autre. Les conventions qui lient les autorités organisatrices de la mobilité et les régions méritent un examen attentif, car les financements ne sont pas assurés sur tous les territoires et il en résulte des inégalités. Le versement transport n'est pas toujours à la hauteur des demandes, dans des zones anciennement très urbaines ou très rurales et devenues mixtes.
On pourrait imaginer des autorités organisatrices également pour le logement, pour fédérer et assembler les initiatives des promoteurs.
Il faut peut-être aussi, prenant la relève de la SNCF et des villes, une nouvelle gouvernance des gares, car aujourd'hui émergent autour d'elles des projets importants, de logement mais aussi de services et d'industrie. Il faut envisager l'urbanisme de ces zones au-delà de l'environnement strictement local.
Il y a encore le transport à la demande, les nouveautés telles que le covoiturage qui devient de plus en plus organisé grâce aux plateformes numériques - lesquelles méritent également débat. Nous soutenons les initiatives des Assises nationales des propriétaires et gestionnaires du réseau public fluvial.
Quelle place pour les intercommunalités dans la transition écologique et énergétique ? L'alliance des régions et de celles-ci, de par leurs compétences respectives, est fondamentale : la région est maître d'ouvrage stratégique sur l'économie, les grands plans ; les intercommunalités interviennent sur les Scot, les plans climat énergie, l'organisation des bassins versants, en lien avec le Sraddet. Il est possible d'aller plus loin ! Je songe au débat sur les éoliennes terrestres, nous siégeons au groupe de travail sur les pistes de facilitation, car aujourd'hui la création d'un parc d'éoliennes nécessite dix ans, cinq ans pour un renouvellement... Il importe, notamment, d'éviter la concurrence entre territoires. La ressource financière, depuis la fin de la taxe professionnelle, suscite un débat sur le partage de l'imposition forfaitaire des entreprises de réseaux (IFER) entre les communes et les communautés. Il n'est pas envisageable d'affaiblir les ressources des communautés, mais les communes pourraient être mieux associées à la gestion des projets, notamment dans leur aspect conséquences environnementales. C'est M. Pierre Jarlier qui représente, dans les groupes de travail, à la fois les petites villes de l'AMF et l'intercommunalité pour l'AdCF, afin d'avoir une vision partagée.
Eau et assainissement sont à nos yeux partie intégrante des projets de territoire. Depuis 2002, dans ma communauté, nous exerçons la compétence, on en voit aujourd'hui tous les effets sur le prix et la qualité. L'ingénierie s'organise en effet naturellement par bassin versant et non en fonction de frontières administratives !
La jurisprudence PLUI pourrait se transférer au domaine de l'eau et de l'assainissement : c'est une compétence en quelque sorte négative, qui ne peut être prise si une minorité sur le territoire la refuse. Il y a là une menace pour le fonctionnement démocratique... L'extension de compétence est exclue à notre sens ; si une partie du territoire exerce déjà la compétence, elle ne peut revenir aux communes.
Le pluvial aujourd'hui n'est géré ni par les intercommunalités, ni par les communes. Et en cas de transfert, il n'y a pas de financement... mais bien des problèmes de voirie à traiter, en revanche !
La compétence fluviale se trouve déconnectée de la compétence eau et assainissement...
La gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations (Gemapi) sont à présent organisées par la loi. Reste à discuter du financement. Les deux tiers, voire les trois quarts des intercommunalités n'ont pas encore décidé de lever la taxe particulière, attendant de savoir quelle jurisprudence se formera sur la responsabilité des élus. La police du maire est toujours en question. Et de grands travaux seront nécessaires. Le sujet n'est pas tranché. La loi Gemapi n'a du reste pas fait l'objet d'études d'impact. Or il faudra des travaux pharaoniques...
Il ne faut pas oublier la question de la fonction publique territoriale, celle du statut, celle de son avenir, celle de la déconnexion du point d'indice. C'est quand même la moitié de nos budgets.
S'agissant des finances, deux points majeurs : premièrement, la réduction des dépenses ; deuxièmement, la fiscalité.
En ce qui concerne la réduction des dépenses, la méthode nous convient. La contractualisation est une bonne solution, mais la manière dont elle sera conduite nous inquiète. Il faut homogénéiser les mouvements entre les communes et les intercommunalités au travers de compensations. Les transferts de compétences génèrent des dépenses de fonctionnement supplémentaires pour les intercommunalités, lesquelles devraient baisser pour les communes, alors que les compensations diminuent. Une méthode objective doit nous permettre de clarifier le périmètre de cette contractualisation. Un bon nombre de communautés d'agglomération, de communautés urbaines, de métropoles seront concernées par cette contractualisation, tandis que nombre de communes ne le seront pas. La métropole d'Orléans, c'est 36 millions d'euros de dépenses supplémentaires ; la ville d'Orléans, c'est 18 millions d'euros de dépenses en moins.
L'État doit respecter les contreparties, en particulier sur l'aide à l'investissement. Ses propositions devront intégrer le financement des agences, dont les budgets diminuent fortement - je pense aux agences de l'eau, mais pas seulement.
Sur la fiscalité, notre réflexion a toujours été la même : aller vers une plus grande cohérence entre la fiscalité et les compétences. Par ailleurs, la révision des valeurs locatives est la mère de toutes les réformes. Nous étions hostiles à la suppression de la taxe d'habitation : si elle est injuste pour 80 % de ceux qui la paient, elle est injuste pour tous. Pour les mêmes raisons, la taxe sur le foncier bâti l'est aussi. Partout en Europe, l'impôt sur le foncier bâti est un impôt sur la propriété, sauf en Autriche, où il pèse sur l'occupant. Ainsi, la France passerait à une fiscalité unique sur la propriété. S'il faut conserver une territorialisation minimale de l'impôt, il faut maintenir un lien territorial entre la fiscalité et la commune ou l'intercommunalité. Le maintien d'une fiscalité sur le foncier nécessitera une réforme des valeurs locatives, laquelle devrait être facilitée par la suppression de la taxe d'habitation.
La taxe d'habitation rapporte 21,7 milliards d'euros et sa suppression partielle coûte 10 milliards d'euros ; elle doit être financée par la baisse des dépenses.
Nous proposons que la région et le département soient financés par des quotes-parts d'impôts nationaux, par exemple la CSG s'agissant des départements. Le foncier bâti des départements, qui pèse 14 milliards d'euros, pourrait rebasculer sur le bloc local, ainsi que les 4 milliards d'euros de fiscalité résiduelle de la CDAE, dans la mesure où le département n'a plus de compétences économiques. L'architecture serait à peu près cohérente.
Quid des impôts spécifiques et de la tarification ? Comment répartir les recettes des collectivités entre une fiscalité globale de solidarité - l'impôt sur le foncier - et les fiscalités spécifiques - versement transport, fiscalité écologique, etc. ? Faut-il un pouvoir de taux ? Tout dépendra des choix de tarification des services fournis à la population.
J'en viens à la question des transports.
Les régions n'ont pas encore intégré que leur nouvelle compétence scolaire. Pour le moment, elles s'en tiennent à des Sraddet SRI ; mais toutes les régions ont une politique de contractualisation territoriale. Or se posent toujours les questions de mobilité : comment intégrer cette compétence transports scolaires dans cette demande des territoires relative aux questions de mobilité en milieu périurbain et en milieu rural, en particulier ? Il faut sanctuariser le versement transport, sans lequel il n'y a pas de politique de transport possible.
C'est une spécificité française à laquelle il ne faut pas toucher. Il faut lui conserver son caractère d'impôt et ne pas en faire la contrepartie d'un service. Une modulation du VT serait calamiteuse pour nos réseaux.
Le Gouvernement souhaite un élargissement des autorités organisatrices de mobilité à tout le territoire. Pourquoi pas, mais cela tuera le versement interstitiel pour les régions. Cela soulève aussi la question d'un transfert des compétences voirie-mobilité aux intercommunalités compétentes en matière de transports publics. Se pose la question de la minorité de blocage. Que le Gouvernement maintienne alors la règle actuelle, celle de la compétence facultative - 50 % des communes représentant les deux tiers de la population ou deux tiers des communes représentant 50 % la population. On ne peut pas, à la fois, encourager les transferts et les rendre plus difficiles.
Les gares sont des pôles de commercialité. Les autorités responsables des documents d'aménagement commercial ne peuvent pas ne pas être totalement associées au pilotage des gares.
Enfin, il est un peu paradoxal que le Gouvernement encourage le remplacement des véhicules automobiles avec une prime à la casse sans encourager l'acquisition de véhicules électriques ou écologiques, surtout si l'on veut aller au-delà du simple remplacement des bus polluants.
S'agissant de la Gemapi, il faut s'opposer au financement d'une compétence transférée par l'État aux collectivités par la possibilité offerte à ces collectivités d'augmenter leurs impôts.
Le zonage sur le logement pose problème : cessons de dire qu'il faut continuer à construire dans les zones tendues, tandis que ce ne serait plus nécessaire dans les zones détendues. La loi de finances pour 2018 illustre ce risque. Concentrer le Pinel sur des zones très ciblées revient à priver d'outils les autres territoires et à faire augmenter le prix du foncier, ce qui pénalise les bailleurs sociaux.
Deuxième point : l'eau et l'assainissement. Il peut paraître logique que l'assainissement soit géré sur un territoire suffisamment large. Un report vers 2026 me paraît justifié. Il faut absolument séparer le transfert du pluvial du transfert de l'assainissement. Derrière le pluvial, il y a des problèmes de voirie, d'aménagement des bourgs et des centres-villes, et les communes ne pourront plus faire ces aménagements si la communauté n'est pas capable de financer ces opérations.
Je m'associe à ce que vous avez dit sur la Gemapi. Il est inadmissible que ce transfert de compétences se traduise par une augmentation des impôts. Les gares jouent un rôle central, je suis d'accord. En matière de finances, c'est bien le périmètre qui est à prendre en compte en matière de contractualisation. Cela vaut pour les transferts de compétences et les transferts de charges qu'ils accompagnent : on ne peut pas imposer de nouvelles dépenses aux collectivités tout en leur demandant de limiter l'augmentation de leurs dépenses globales. Je pense bien sûr aux allocations individuelles de solidarité.
Les AIS pour les départements, avec l'APA, le RSA et la prestation handicap sont des dépenses décidées par l'État et l'on ne peut pas demander leur financement par les contribuables locaux. C'est pourquoi je suis favorable au fléchage d'un impôt national, par exemple la CSG. Il faut engager la réforme des bases locatives, c'est une évidence ; et s'orienter vers une spécialisation des impôts. La réforme de 2010-2011 a complètement rebattu les cartes : ce ne sont pas moins de huit impôts qui ont remplacé l'ancienne taxe professionnelle. La CSG pourrait aller vers les départements, tandis que les communes et les intercommunalité se verraient attribuer d'autres recettes.
Enfin, il faut faire très attention à l'autonomie fiscale souvent réclamée par les élus. Cela revient à demander aux contribuables locaux de financer les services et les investissements territoriaux. C'est le contraire de la péréquation, qui est nécessaire pour réduire les inégalités territori0ales.
Dans notre rapport sur la place de l'État territorial, M. Doligé et moi préconisions un renforcement de l'État au niveau départemental. Or la « décapitation » des services continue...
Si j'ai bien compris, vous préconisez de corréler les impôts aux dépenses des collectivités, par exemple la CSG aux départements, qui ont la compétence sociale. Est-ce à dire que vous cantonnez les départements dans leur mission de solidarité sociale ? Quid de leurs missions de solidarité territoriale ? Or les départements sont les plus gros péréquateurs, qui redistribuent de la richesse vers les territoires ruraux. Si on ne leur laisse que le produit de la CSG, je ne vois pas bien comment ils feront demain.
Quel est votre sentiment sur l'avenir de la fonction publique territoriale et ses évolutions nécessaires ?
Je partage ce que vous avez dit sur la nécessité d'une territorialisation du logement : on ne peut pas décréter depuis Paris un zonage sans lien avec les réalités. La loi de finances pour 2017 prévoyait une expérimentation pendant un an - elle a duré six mois - de territorialisation de l'investissement locatif et de définition d'un zonage au niveau local. Et n'oublions pas l'accession la propriété.
En ce qui concerne les finances locales, j'aime assez l'idée de la contractualisation dès lors que les deux partenaires peuvent discuter. Comment contractualiser lorsque l'État intègre dans la négociation des dépenses non négociables ?
La question de la mobilité est essentielle pour l'aménagement du territoire et l'architecture territoriale. On ne peut vouloir lutter contre la désertification sans faire preuve d'imagination en termes de mobilité. Les AOT doivent raisonner en termes de bassin de vie et envisager les mobilités alternatives. Les transports de masse ne correspondent plus aux modes de vie actuels.
La Gemapi est un véritable scandale : on n'oblige pas les collectivités à lever un nouvel impôt pour financer de nouvelles dépenses, pour en imputer la responsabilité par la suite ! En 2024, l'État ne financera plus l'entretien des digues domaniales, or la submersion marine est un vrai sujet. Il s'agit de compétences régaliennes de l'État et je ne vois pas comment les collectivités pourront prendre cela à leur charge.
En matière d'assainissement, je ne suis pas d'accord avec vous. Les territoires sont divers et imposer l'assainissement en milieu rural n'est pas judicieux. Prenons garde à l'allergie intercommunale.
Je vous remercie de vos interventions. On y note un tropisme communautaire. En tant que vice-président de métropole, je reste attaché au principe de subsidiarité. Je ne partage pas votre point de vue sur la minorité de blocage. Lorsque le transfert de compétence aux communes est imposé par la loi, l'approche ne me paraît guère plus positive. L'approche positive, c'est celle qui repose sur le volontariat des communes.
Je m'étonne que vous adhériez à la contractualisation proposée par l'État. J'apprécie celle-ci lorsqu'elle est équilibrée. Dans le cas présent, elle est léonine.
Vous avez raison de dire que la Gemapi aurait dû être compensée. Mais on connaît la réponse de l'État : cette compétence n'existait pas. Autrement, nous serions protégés par la Constitution, qui prévoit une compensation financière en cas de transfert de compétence. Même si mon département est moins concerné que d'autres, il ne pourra pas faire face tout seul aux problèmes de submersion.
Je suis d'accord avec l'idée de territorialisation de la politique du logement. Quand on met en oeuvre un programme local de l'habitat, des quotas de logements sont fixés à l'échelle du SCOT, dans l'idée de rationaliser l'utilisation du foncier agricole. Cela concerne même les logements construits sur des friches industrielles. Les services de l'État ne permettent pas une totale fongibilité au sein de l'intercommunalité, ce qui ne manque pas d'étonner les élus locaux : on leur explique qu'il faut tout communautariser sauf les droits à construire ! Il faut que cela évolue.
S'agissant de la séparation entre eaux pluviales et eaux usées, je suis d'accord sur le principe, mais concrètement, il y a le problème des réseaux.
Je suis plus réservé sur l'automaticité de la compétence assainissement : un bassin de vie n'est pas forcément un bassin versant. Les périmètres de l'Insee et de la nature ne sont pas toujours les mêmes.
La mise en oeuvre des transferts de compétences prévus par la loi NOTRe soulève quelques problèmes. En matière d'équipements culturels et sportifs, les intitulés diffèrent selon le type d'EPCI. En ce qui concerne les compétences économiques, il semble qu'une circulaire de novembre 2016 ne porte que sur les zones d'activité portuaire. Qu'en est-il de la gestion des réseaux d'eaux, d'assainissement et d'incendie ? Cet angle mort nous pose de gros problèmes.
Quelle est la position de votre association sur ce qu'on appelle l'esprit communautaire ? On a tendance à souligner les tensions qui peuvent apparaître entre les élus des petites communes et le conseil communautaire. Votre association a-t-elle des propositions à faire, éventuellement à caractère législatif, sans revenir pour autant sur la loi NOTRe, pour améliorer la prise en compte de ces communes, de leurs élus, dans l'élaboration et la mise en oeuvre des règles communautaires ? Il faut donner des gages à ces élus qui ne sont pas forcément membres de conseils communautaires.
La tarification des compétences est une question centrale. La loi NOTRe laisse soit trop de latitude, soit insuffisamment en fonction des compétences. En matière de développement économique, des départements délèguent certaines de leurs compétences contractuellement. D'où le flou dans la gestion de ces compétences. Il est temps de s'interroger : quelle est la bonne échelle, pour quels services, avec quelle efficacité ?
J'en viens à l'ingénierie territoriale et à la vision de l'aménagement du territoire. L'aménagement du territoire, cela concerne les services à la personne, les transports, les déplacements, le maillage. En la matière, on a un problème d'ingénierie : certains EPCI sont bien dotés, quand d'autres le sont moins ; les territoires urbains sont généralement ultra compétents dans ces domaines, et les territoires ruraux qui comptent en leur sein des adjoints à l'urbanisme ont cette capacité. À l'échelle nationale, on a du mal à avoir une vision de l'aménagement du plus gros vers le plus petit : par exemple, les SCOT peuvent parfois être très performants, mais ils peuvent être en décalage avec les Sraddet.
À une époque, l'aménagement du territoire tenait la route. C'est un combat à mener. Quand on voit la carte de France des agences d'urbanisme, il existe de larges zones blanches.
Concernant la représentation des communes dans les EPCI, certaines communes nouvelles ont le sentiment de ne pas exister au sein de ces ensembles. D'autres EPCI sont tellement importants que certaines des communes membres se sentent abandonnées et perdues au milieu de cet ensemble.
La relation entre les communes et les communautés dans cette nouvelle donne sera un prochain thème de travail.
Je remercie également nos invités pour la qualité et la clarté de leurs interventions. Dans les départements ruraux de densité très faible, les regroupements d'EPCI ont pu être catastrophiques. Des communes se sont regroupées qui n'avaient aucun lien entre elles et ne se situaient même pas dans les mêmes bassins de vie.
Comme l'a dit Bernard Delcros, le zonage pose problème. Dans les zones détendues à faible densité, nos concitoyens devront demain se contenter de logements vétustes, parfois insalubres ! C'est pourquoi il faut territorialiser.
Je m'inquiète qu'une quote-part des impôts nationaux soit attribuée aux régions. Je crains que cela ne finisse par appauvrir les départements très pauvres et très ruraux, qui ont besoin d'une péréquation puissante. L'aménagement du territoire est une notion qu'on a perdue de vue depuis longtemps.
Je remercie nos deux intervenants, dont je partage nombre de positions. J'insisterai néanmoins sur les points qui nous séparent.
En ce qui concerne l'eau et l'assainissement, il paraît difficile d'admettre un régime dérogatoire et une opposition de la minorité. Ce n'est pas un transfert de compétence permanente, c'est un transfert de compétence différée. Si l'on retient le système majoritaire, il suffira que la ville centrale s'oppose alors que ses intérêts divergent parfois. L'AdCF devrait mettre un terme à ce combat, qui lui nuit probablement.
S'agissant de la fiscalité, il ne suffit pas de substituer à la TH un panel d'impôts. On doit envisager une véritable réforme en visant précisément des impôts. Je fais partie de ceux qui pensent que le système fiscal doit être fondamentalement modifié. Comme il y a cinquante ans, l'impôt est territorialisé. Or, aujourd'hui, la richesse n'est plus répartie harmonieusement sur le territoire. Territorialiser la richesse impliquerait d'augmenter sans cesse la péréquation horizontale, qui devient insupportable pour ceux qui paient et insupportable pour ceux qui la reçoivent. Cela suppose de choisir des impôts non territorialisés et une nouvelle gouvernance systémique.
On considère que plus il y a d'habitants, plus il y a de charges. Or c'est faux. Il y a cinquante ans, les services publics étaient présents partout sur le territoire ; ce n'est plus le cas aujourd'hui et c'est aux territoires de les payer. C'est là une double peine. Il faut trouver un système pour apprécier les charges.
Je salue les positions de l'AdCF. Sur le fond, je partage ce qu'a dit Sonia de la Provôté. On considère que les territoires doivent être maillés d'intercommunalités. C'est une erreur manifeste. Pour autant, notre rapport « Laisser respirer les territoires » montre que dans certains départements les schémas départementaux de coopération intercommunale avaient abouti positivement - souvent, parce que les élus ont été proactifs et parce que l'État leur a fait confiance. Ce sont eux qui connaissent le mieux le territoire, ce n'est pas faire injure au préfet que de dire cela.
La taille d'une communauté ne préjuge pas de son bon fonctionnement ou non. Mais certains regroupements se sont faits de manière forcée et l'on sait qu'il faudra y revenir ; à défaut, leur gouvernance sera impossible. L'AdCF, comme les autres associations, doit porter ce message.
S'agissant du logement, je crains moi aussi que les dernières mesures qui ont été prises n'aillent pas dans le bon sens.
Le Gouvernement a mis en place une conférence nationale des territoires, à laquelle vous avez pris une part active. Il faut qu'elle soit une véritable instance de concertation, il faut s'écouter. Nous sommes d'accord, pas de big-bang territorial. Pour autant, il faut corriger ce qui ne fonctionne pas. C'est pourquoi les associations comme l'AdCF doivent fortement peser sur certains sujets. Certes, nous avons eu des avis différents sur la question de l'eau et de l'assainissement, mais parvenir à un consensus est essentiel.
Il ne faut pas raisonner par moyennes, mais avoir une lecture qualitative. Revenons à de véritables études d'impact, qui ne soient pas des artifices.
Lors de la conférence nationale des territoires, l'unité sénatoriale face au Premier ministre, au-delà des sensibilités politiques, a conféré une certaine force à notre démarche. Cela a conforté le Sénat dans son rôle de chambre des territoires.
Je suis élu depuis 1995 : nous avons regroupé cinq communautés sur la base d'un total volontariat. Les élus étaient aux commandes et l'État nous a accompagnés. Le préfet nous disait qu'il était d'abord notre huissier : « Je prends les notes, je regarde, j'organise. » Cela fait écho aux débats quasi philosophiques de la place de la communauté par rapport aux territoires, par rapport aux communes, par rapport aux élus des communes. Je sens que la loi NOTRe a fondamentalement changé les choses à cet égard. Pourquoi ? Parce que les anciennes communautés n'étaient pas du même type que celles que nous connaissons aujourd'hui. Cela nous conduit à nous interroger sur l'implication des élus - et pas seulement des maires -, des élus municipaux dans les commissions communautaires : il faut qu'ils y aient leur place. Chez nous, trois fois par an, nous réunissons les 700 conseillers municipaux. Le premier ambassadeur de la réussite de la communauté, c'est l'élu municipal, et le personnel municipal.
Ce qui nous amène à nous interroger sur le rôle de la communauté : celle-ci ne peut pas vouloir tout faire. Elle doit avoir une vision de la proximité. Élu d'une commune nouvelle, je sais ce que c'est qu'organiser la proximité. À cet égard, on oublie souvent l'associatif, qui a un rôle fondamental d'animation, y compris dans le cadre d'une délégation de service public. Les fonctionnaires ne peuvent pas tout faire ! Le débat n'est plus communauté versus communes ; il faut maintenant s'interroger pour savoir qui va faire quoi, dans le cadre d'une ingénierie définie par les communautés, avec une implication repensée des communes et des conseillers municipaux. C'est ainsi que l'on fera vivre la loi NOTRe différemment.
Cette loi est dans une phase d'adaptation. Nous aussi estimons qu'il faut revoir la question des eaux pluviales, ou encore la compétence Gemapi. L'organisation territoriale ne saurait être un jardin à la française ! Ce qui fonctionne sur tel territoire ou dans telle communauté ne fonctionnera pas forcément ailleurs. Il faudra pouvoir s'adapter.
À cet égard, les préfectures et les sous-préfectures ont un rôle complètement différent à jouer. Le contrôle de légalité se réduit trop souvent à sa fonction de contrôle, et insuffisamment à sa fonction d'accompagnement. L'État doit plutôt aider que contrôler.
Sur la Gemapi, il faut que nous agissions ensemble.
Sur l'eau et l'assainissement, nos divergences sont légitimes, même si nous comprenons parfaitement qu'il faudra des adaptations. Il n'y a pas de blocage de notre part.
À terme, nous pensons qu'il ne faudra plus que deux systèmes interconnectés, lesquels sont beaucoup trop nombreux aujourd'hui : les communautés de territoire au sens large et les métropoles. Le système actuel génère trop d'inégalités.
Il faudra également harmoniser les règles de délibération.
Le statut de la fonction publique territoriale doit être conservé mais adapté... ce qui exige d'en avoir le courage politique. Maire depuis 1995, je sais que ce statut est souple : encore faut-il assumer sa position d'employeur. Les employeurs territoriaux ne sont pas suffisamment reconnus dans la négociation nationale, par exemple sur la décorrélation du point d'indice.
Il ne faut pas avoir peur du dialogue social, ni peur de déplaire... et assumer le fait que tout n'est pas possible.
En tant que patron de collectivité, j'ai négocié le retour aux 35 heures effectives, et cela s'est bien passé.
La spécialisation des impôts ne signifie pas « une compétence, un impôt ». Si la CVAE n'est plus du niveau départemental, le département n'en est pas pour autant contingenté dans sa seule compétence sociale ; il perçoit d'autres impôts, et la CSG peut financer autre chose que les actions sociales. Il faut conserver une certaine souplesse.
Je préfère un impôt dont la base évolue correctement en fonction de la conjoncture économique, par exemple la valeur ajoutée, à un impôt reposant sur une base ridicule, par exemple la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques, dont il est nécessaire d'augmenter le taux pour obtenir un produit égal. Mieux vaut donc l'autonomie financière que l'autonomie fiscale. Pour autant, je comprends ce que dit Charles Guené. Mais on peut très bien transférer un impôt national vers les départements et les régions. Vers les communes, c'est plus difficile : un impôt sur le revenu au niveau communal créerait un trop grand décalage. Le risque serait de transformer l'impôt en dotation, et chacun sait que l'État, que le gouvernement soit de droite, de gauche ou du centre, est structurellement impécunieux. C'est pourquoi je souhaite le maintien d'un impôt local, comme l'impôt foncier, et donc du principe de territorialisation.
Compte tenu des nouveaux schémas de coopération intercommunale, il ne faut peut-être pas s'en tenir à une DGF par habitant, mais trouver des solutions permettant d'éviter une fracture territoriale entre les zones urbaines et rurales.
Sur la place de l'intercommunalité, nous sommes tout aussi favorables que M. Grosdidier au principe de subsidiarité. Toutes associations d'élus confondues, nous avions considéré qu'il fallait stabiliser les règles institutionnelles et ne pas revenir sur la loi, sauf à autoriser des expérimentations et des adaptations. Ceux qui souhaitaient un transfert obligatoire de la compétence Gemapi aux collectivités sont les mêmes à souhaiter aujourd'hui une minorité de blocage pour le transfert de la compétence assainissement, ce qui me fait sourire.
Si une compétence doit être exercée par une intercommunalité, la loi le dit. Sinon, qu'on s'en tienne à la compétence optionnelle et à la règle des 50 % et deux tiers - ou des deux tiers et 50 %. Cela est parfaitement logique dans la mesure où, dans nos conseils municipaux, on ne veut pas de minorité de blocage. Favoriser le transfert aux intercommunalités des compétences voirie et circulation ? C'est absurde, cela va les pénaliser !
Je veux également répondre à Mme de la Provôté que les répartitions de compétences ne sont pas toujours lisibles, compte tenu de la diversité de nos territoires. La répartition des compétences entre les communes et les intercommunalités dépend de l'intérêt communautaire. Il faut définir ce qui correspond aux besoins du territoire pour éviter ces jardins à la française.
L'AdCF travaille sur un bilan des schémas de coopération intercommunale et les questions de gouvernance. La décision rendue par le Conseil constitutionnel, saisi d'une QPC, a des effets ravageurs sur les pactes de constitution des intercommunalités. Il faudra trouver des solutions pour que les maires ruraux conservent toute leur place. Lorsque je présidais une métropole, des maires de très petites communes s'y sentaient plus écoutés que dans leur intercommunalité, où les querelles de clocher primaient. Ce n'est pas parce qu'on ne dispose que d'une seule voix au conseil communautaire qu'on n'a aucun poids. La plupart des décisions dans nos intercommunalités se prennent en commission, où l'on parvient généralement à des consensus.
La délégation produira un rapport sur cette question de la relation entre les communes et les communautés. Messieurs, nous vous remercions.