Au cours d'une première séance tenue dans la matinée, la commission a procédé à l'audition de MM. Alain Pichon, président de la 4e chambre de la Cour des comptes, Marc Moinard, secrétaire général, Léonard Bertrand de la Gatinais, directeur des services judiciaires, Philippe-Pierre Cabourdin, conseiller budgétaire, Jean-Marie Huet, directeur des affaires criminelles et des grâces au ministère de la justice, et Philippe Josse, directeur de cabinet du ministre délégué au budget et à la réforme de l'Etat, pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes relative aux frais de justice en matière pénale.
a rappelé que les frais de justice, constitués principalement des dépenses d'enquête et de procédure dont la charge incombe à l'Etat, avaient augmenté très fortement ces dernières années, la progression ayant atteint en 2004 un taux de 23 %. Il a exposé que les principales raisons tenaient à un besoin croissant de justice de la part de la population, à une « législation de plus en plus coûteuse » et au coût élevé de l'expertise scientifique qui, par ailleurs, permettait à la justice d'amplifier son efficacité. Il a souligné qu'à la gestion quelque peu aveugle de la justice se substituait progressivement une réelle culture de la performance.
a fait valoir qu'en conférant aux frais de justice la nature de crédits limitatifs, la LOLF n'avait pas particulièrement « visé » les crédits de la justice, les crédits évaluatifs constituant désormais l'exception. Il a rappelé que M. Roland du Luart avait utilisé, en sa qualité de rapporteur spécial, ses pouvoirs de contrôle budgétaire résultant de l'article 57 de la LOLF pour étudier la mise en oeuvre de la LOLF dans les juridictions judiciaires. Il a précisé qu'un volet important du rapport d'information qu'il avait publié à l'issue de ce contrôle portait sur les frais de justice et que l'enquête demandée par la commission des finances à la Cour des comptes en application de l'article 58-2° de la LOLF s'inscrivait dans ce contexte. Il a ajouté que le souci principal de l'audition présentement organisée consistait à s'inquiéter des suites qui seraient données tant à cette enquête qu'à ce rapport d'information.
M. Alain Pichon, président de la 4e chambre de la Cour des comptes, a tout d'abord rappelé les évolutions récentes des frais de justice qui, à partir de l'année 2002 ont connu une progression, variable selon les Cours d'appel, se situant entre 12 % et 40 %. Il a exposé que l'hétérogénéité des logiciels informatiques ne contribuait pas à améliorer la connaissance des coûts par les acteurs concernés, indispensable à la maîtrise de ces dépenses. Il a déploré la sous-estimation manifeste des dotations budgétaires pour les frais de justice depuis l'année 2003, ajoutant que cette insincérité avait pour conséquence, soit des redéploiements au détriment des crédits de fonctionnement des juridictions, soit des reports de charges susceptibles, précisément, d'aggraver l'insincérité budgétaire.
a relevé un suivi insuffisant de l'exécution des dépenses, ainsi que des difficultés résultant du rattachement des frais de justice à une procédure déterminée, tout en relevant les efforts récemment accomplis dans ces domaines par la Chancellerie. Il a noté que les officiers de police judiciaire (OPJ) ne prêtaient pas une attention suffisante au coût de mesures ne relevant pas du budget de la mission « Sécurité ».
a regretté que les OPJ se dispensent trop souvent de solliciter, avant l'engagement d'une dépense, une autorisation préalable du parquet dans les hypothèses où celle-ci est légalement requise. Il a observé une insuffisance notoire du recours à la concurrence, tout en reconnaissant des progrès notables en la matière depuis plusieurs mois. Evoquant ensuite l'expérience de gestion des dépenses de fonctionnement des juridictions en « mode LOLF » au sein de la Cour d'appel de Lyon, il a estimé celle-ci insatisfaisante, d'une part, en raison de la régulation budgétaire et, d'autre part, du fait de vacances d'emplois au sein de son ressort, ce qui réduisait la signification des résultats de cette expérimentation.
Pour remédier à cette situation, M. Alain Pichon a préconisé le retour à la sincérité des évaluations budgétaires, une meilleure définition du champ des frais de justice afin de parvenir à des imputations budgétaires plus cohérentes, en particulier une réflexion sur l'opportunité du maintien de l'inclusion dans les frais de justice des investigations demandées par les victimes et un développement du logiciel « Fraijus » y compris en réseau avec les OPJ. En conclusion, il s'est félicité de la prise de conscience, certes tardive, de la Chancellerie et a estimé nécessaire, pour encourager les efforts engagés par celle-ci, de renforcer les effectifs de sa direction des services judiciaires et de prévoir une répartition des dépenses de frais de justice entre les missions « Justice » et « Sécurité ».
a tout d'abord déclaré partager les constatations faites par la Cour des comptes et s'est félicité d'entendre celle-ci reconnaître les évolutions positives récentes de la Chancellerie. Il a admis, en effet, que le coût des mesures avait rarement constitué une réelle préoccupation au sein des juridictions, en raison notamment du caractère évaluatif des frais de justice jusqu'au 31 décembre 2005. Il a souligné l'amorce d'un réel changement de mentalité, imputant cette évolution au fait que la LOLF conférait désormais aux frais de justice un caractère limitatif.
a exposé que le taux de majoration des frais de justice pénale connaissait une décélération, celui-ci revenant de 25 % en 2004 à 17 % en 2005 et ce, en tenant compte de l'accélération au cours des derniers mois de 2005 du rythme de paiement des mémoires, y compris ceux portant sur des dépenses engagées au cours des exercices précédents.
a fait état d'une évaluation à 40 % de la dépense constatée en 2005, soit 200 millions d'euros, du montant des mémoires portant sur des dépenses engagées avant cette année 2005, soulignant toutefois, à ce stade, le caractère très aléatoire de ce type d'évaluation.
a expliqué qu'il était, structurellement, inévitable de régler des dépenses engagées au cours d'exercices antérieurs, convenant cependant de l'impératif de réduire le volume de ces règlements « en décalé ».
a vu dans cette constatation l'illustration de l'intérêt de la mise en place d'une comptabilité d'engagement, faisant clairement apparaître les dépenses engagées au titre de l'exercice considéré, au lieu d'une comptabilité de paiement.
a indiqué qu'en 2005, sur l'ensemble des cours d'appel « expérimentales », les frais de justice pénale avaient connu une baisse de 7 % de leur niveau par rapport à l'année précédente, précisant que le taux d'évolution était positif ou négatif selon les cours d'appel. Il a ajouté que, dans les cours d'appel « non expérimentales », ces dépenses avaient progressé, dans tous les cas, même si la progression était plus modérée qu'en 2004. Il a estimé que, sur la base d'une baisse de 7 % des frais de justice constatée en 2005 dans les cours d'appel « expérimentales », on pouvait espérer, pour l'année 2006, une inversion de la tendance enregistrée depuis quelques années. Il a reconnu que, dans certains cas, des mémoires pouvaient avoir été payés deux fois sans que nul ne s'en aperçoive et fait valoir que l'évaluation à 370 millions d'euros des frais de justice dans la loi de finances initiale pour 2006 avait suscité une crainte salutaire au sein des juridictions.
évoquant les dépenses de téléphonie, a déploré un recours exagéré aux écoutes et indiqué que la Chancellerie allait informer les juridictions sur une tarification plus juste des prix, et ce, après discussion avec les opérateurs. Il s'est réjoui de ce que la récente modification de l'article 800 du code de procédure pénale permette désormais une modulation des tarifs par arrêté, alors que jusqu'à présent celle-ci devait nécessairement être effectuée par la procédure plus lourde du décret en Conseil d'Etat.
Il a exposé que le coût des empreintes génétiques automatisées, faites sur les personnes, paraissait excessif au regard de la simplicité des opérations à réaliser, et s'est félicité de ce qu'à l'automne dernier, celui-ci ait été abaissé à 85 euros. Il a ajouté que les opérations d'empreintes sur des traces étaient nécessairement plus coûteuses et fait valoir que les recherches d'empreintes non directement destinées à la recherche de la vérité dans le cadre d'une procédure judiciaire ne relevaient pas du principe de liberté de prescription des magistrats et pouvaient donc faire l'objet d'un marché public.
a exposé qu'il en était de même en ce qui concerne les frais postaux, du moins pour les envois supérieurs à 50 grammes désormais placés en dehors d'une situation de monopole. Il s'est félicité de ce que le système d'information « Cassiopée » sur la chaîne pénale serait implanté sur l'ensemble du territoire à la fin de l'année 2006 et a évoqué les difficultés rencontrées pour la mise en place du système d'information « Fraijus ». Il a relevé, en particulier, que le contenu des informations recueillies dans le cadre de ce système risquait, trop souvent, de porter atteinte au secret de l'instruction, précisant que cet état de fait avait conduit la Chancellerie à opter pour une nouvelle version moins lourde que celle envisagée initialement. Il a observé que, dans le cadre de procédures de flagrant délit, les OPJ n'avaient pas besoin de solliciter une autorisation du parquet.
s'est inquiété du niveau des dépenses induites par la gestion des frais de justice.
a exposé que le système d'information « Fraijus » permettait d'identifier le montant des dépenses engagées par chaque magistrat. Il a souligné que la démarche de la Chancellerie consistait, d'une part, à donner aux juridictions la possibilité de dépenser mieux et moins et, d'autre part, à évaluer les résultats sur la base des engagements, et non des paiements.
a indiqué que la Chancellerie avait demandé à chaque parquet leur compte rendu de gestion des frais de justice.
a souligné l'importance de distinguer, au sein de la hausse des frais de justice, la part imputable au règlement des mémoires engagés au cours des années passées. Il a estimé nécessaire de maintenir le co-ordonnancement des dépenses par les chefs de cour, à savoir les premiers présidents et les procureurs généraux des cours d'appel, car la recherche de la vérité constituait un ensemble indivisible et, pour cette raison, non pas une activité propre au parquet que l'on distinguerait de celle du siège.
a tout d'abord souligné que l'effort de la Nation pour la justice était marqué par une progression sensible de son budget, passant de 4,5 milliards d'euros en 2002 à 6 milliards en 2006. Il a estimé qu'un tel effort justifiait pleinement une conciliation au sein des juridictions de la nécessaire culture de gestion avec l'indépendance de l'autorité judiciaire établie par l'article 64 de la Constitution. Il a fait valoir que la mise en oeuvre de la LOLF dans les juridictions, notamment le classement des frais de justice en crédits limitatifs, déboucherait sur une maîtrise de la dépense grâce à son meilleur contrôle. Il a souligné que des économies substantielles étaient programmées à la fois sur les volumes de dépenses grâce à une meilleure responsabilisation des prescripteurs et sur les coûts par des économies d'échelle. Il a estimé que l'évaluation dans la loi de finances initiale pour 2006 des frais de justice à 420 millions d'euros, dont 50 millions d'euros susceptibles d'être « débloqués » par Bercy si nécessaire en cours de gestion, prenait en compte les efforts fructueux de maîtrise des frais de justice engagés par la Chancellerie. Il a observé qu'il n'était pas utile d'anticiper, dès maintenant, sur l'éventuelle nécessité d'une dotation complémentaire.
se félicitant de l'organisation de la présente audition, a souligné qu'il serait prématuré d'affirmer aujourd'hui que les réformes en cours d'étude s'orientent vers l'instauration d'une procédure accusatoire. Reconnaissant que la justice avait souffert d'une absence notoire du sens de la gestion, il s'est réjoui de la prise de conscience réelle de celle-ci, opérée récemment. Il a estimé que la Chancellerie avait aujourd'hui encore quelques difficultés à utiliser de manière efficace les moyens de communication. Il a réaffirmé la nécessité de concilier l'autonomie de la prescription avec les impératifs incontournables d'économie budgétaire.
a souhaité l'engagement d'efforts plus importants pour le contrôle des expertises de toute nature. Estimant, lui aussi, nécessaire de maintenir le co-ordonnancement des dépenses par les chefs de juridictions, il a toutefois souligné la nécessité de placer auprès de ces derniers des gestionnaires ayant reçu la formation adéquate.
s'est inquiété de la clarification de la répartition des frais de justice aujourd'hui à la charge de la mission « Justice » entre cette dernière mission et celle relative à la « Sécurité ».
a estimé, qu'au regard de l'objectif de maîtrise des frais de justice, cette question apparaissait désormais moins importante en raison du caractère limitatif donné aux frais de justice par la LOLF depuis le 1er janvier 2006. Il a reconnu néanmoins qu'une réflexion interministérielle sur le sujet serait opportune.
a estimé souhaitable que les OPJ informent le parquet préalablement à l'engagement de dépenses supérieures à 150 euros.
convenant de l'effort consenti par la Nation pour la justice, a confirmé son scepticisme quant à la sincérité de l'évaluation des frais de justice dans la loi de finances initiale pour 2006 au regard des dépenses constatées en 2005. Il a rappelé que 90 % de l'augmentation des crédits consommés en 2004 pour le fonctionnement des services judiciaires avaient été absorbés par la majoration des dépenses de frais de justice. Enfin, il a tenu à saluer les efforts substantiels de la Chancellerie et des juridictions pour adopter une culture de gestion.
a indiqué que, pour « éponger » les mémoires en retard avant l'entrée en vigueur de la LOLF, les deux derniers mois de l'exercice 2005 avaient connu un doublement des paiements.
a souligné qu'il était, en l'état, difficile de tirer des conclusions fiables sur les dépenses constatées en 2005, compte tenu du paiement des mémoires arriérés.
a affirmé que les réformes éventuelles de la justice devraient impérativement être précédées d'une étude d'impact financier solide et sérieuse, marquant son intention de veiller personnellement à cette question.
s'est interrogé sur la possibilité de délibérer sérieusement sur une réforme dont l'impact budgétaire n'aurait pas été correctement évalué.
marquant à son tour sa satisfaction tant pour la prise de conscience opérée dans les juridictions que pour les mesures adoptées par la Chancellerie, a souhaité une redéfinition du champ des frais de justice. Il s'est inquiété de l'état d'avancement du déploiement des « référents frais de justice » dans les juridictions ainsi que du contenu du système d'information « Fraijus » et de son accessibilité aux différentes catégories de prescripteurs.
a estimé que la mise en place du système « Fraijus » avait permis de révéler les « peurs » de l'institution judiciaire devant les évolutions nécessaires. Il a indiqué que les « référents frais de justice » seraient, le plus souvent, désignés par les chefs de juridiction et seraient chargés de favoriser les politiques de mise en concurrence et d'aider les magistrats prescripteurs à choisir les meilleurs spécialistes capables d'offrir les meilleurs coûts. Il a précisé que ceux-ci seraient réunis par la Chancellerie dès le 22 mars 2006.
En réponse à M. Jean Arthuis, président, M. Marc Moinard a indiqué que certaines dépenses excessives de frais de justice pouvaient être la conséquence, de la part des prescripteurs, d'un manque de recul et de réflexion.
a déploré qu'une certaine « pression des médias » puisse influencer les magistrats et les priver, précisément, de la réflexion nécessaire.
En réponse aux questions de M. Jean-Claude Frécon, M. Marc Moinard a confirmé la nécessité de rester prudent sur les évaluations concernant la part des dépenses imputables aux mémoires engagés au cours des exercices précédents. Il a précisé que l'évolution des frais de justice commerciale, dont le niveau était très préoccupant (+ 27 % en 2005), faisait pour la première fois l'objet de réflexions.
a déploré que la complexification du droit suscite une véritable « industrie » de cabinets conseils spécialisés.
En réponse à M. Jean Arthuis, président, M. Marc Moinard a reconnu que la question de l'éventuelle numération des dossiers n'avait pas encore trouvé de solution.
s'est félicité du mouvement engagé par la Chancellerie, se déclarant positivement impressionné par les réponses faites au cours de la présente audition. Il a estimé que celle-ci constituait, notamment grâce aux travaux menés par la Cour des comptes, une illustration de l'utilité de la LOLF, qui a suscité une prise de conscience salutaire de la nécessité d'ouvrir la justice sur l'intérêt d'une gestion performante. Il a également considéré que cette audition démontrait la compatibilité de deux principes constitutionnels, à savoir l'indépendance de l'autorité judiciaire et l'obligation pour tout agent public de rendre compte de sa gestion. Il a émis le souhait que les prochaines audiences de rentrée des juridictions fassent état du bilan de la mise en oeuvre de la LOLF.
Evoquant les craintes émises par M. Roland du Luart, rapport spécial pour la mission « Justice », il a regretté que les projets de loi de finances initiale soient trop souvent utilisés comme des vecteurs de communication, estimant que, désormais, grâce à la LOLF, la « loi de finances de vérité » serait la loi de règlement.
La commission des finances a décidé, à l'unanimité, d'autoriser la publication de l'enquête de la Cour des comptes ainsi que du compte rendu de la présente audition sous la forme d'un rapport d'information.