La commission entend M. Vincent Chriqui, directeur général du Centre d'analyse stratégique (CAS), sur les thèmes de l'autonomie des établissements scolaires et du bien-être des élèves.
Mes chers collègues, nous procédons aujourd'hui à l'audition de M. Vincent Chriqui, directeur général du Centre d'analyse stratégique (CAS), placé auprès du Premier ministre. Plusieurs d'entre vous, membres de la mission sur le métier d'enseignant, avaient pu, l'année dernière, l'entendre présenter les conclusions des dernières études sur « l'effet enseignant », c'est-à-dire sur l'influence individuelle des enseignants sur les résultats scolaires.
Depuis, le CAS a poursuivi ses travaux et publié plusieurs notes d'analyse sur le système éducatif. En préparation de nos débats sur le projet de loi pour la refondation de l'école de la République, adopté en Conseil des ministres le 23 janvier dernier, j'ai souhaité que M. Vincent Chriqui revienne devant la commission. Il évoquera ce matin deux thèmes essentiels dont nous avons déjà eu plusieurs fois l'occasion de discuter :
- l'autonomie des établissements scolaires, tant du point de vue pédagogique que sur les plans administratif, financier et des ressources humaines ;
- le bien-être des élèves, envisagé comme condition de la réussite éducative.
Ceux d'entre vous qui ont participé aux concertations préalables à l'élaboration du projet de loi ont entendu le terme d'école bienveillante.
Sur ces deux points, il existe à l'étranger de nombreux modèles et expériences, souvent très différents des nôtres et qui ont été soumis à des évaluations approfondies. Je crois que nous y trouverons matière à enrichir notre réflexion.
Je suis heureux et honoré de pouvoir présenter les travaux du CAS devant votre commission. Je suis accompagné de Mme Delphine Chauffaut, chef du département des questions sociales.
Le CAS a produit quatre notes, qui traitent du bien-être des élèves, de l'autonomie des établissements d'enseignement, de la scolarisation des enfants handicapés et du soutien scolaire.
Ces études thématiques permettent de comprendre comment un système d'enseignement s'insère dans un environnement donné par rapport aux reproches qui sont habituellement adressés au système français :
- le niveau important de jeunes en difficulté, puisque 17 % d'entre eux achèvent leurs études secondaires sans diplôme ;
- la persistance de fortes inégalités entre les élèves en raison de leurs origines sociales, avec des statistiques bien connues. Ainsi, un enfant de cadre obtient plus souvent le baccalauréat qu'un enfant d'ouvrier ;
- l'absence de progrès significatifs, sur une longue période, en termes de diminution des inégalités ou de résultats globaux, notamment sur les difficultés de lecture.
La France se caractérise par un système d'enseignement qui reste performant avec des personnels dont la qualité n'est pas en cause, mais avec certaines particularités : une certaine uniformité qui repose sur la logique d'une éducation nationale uniforme sur le territoire et moins sur l'expérimentation, une compétition assez précoce entre les élèves, une attention privilégiée à la pédagogie par rapport aux autres aspects de la vie scolaire, un taux élevé de redoublement et l'absence de choix net pour la scolarisation de certains publics, comme les enfants porteurs de handicaps.
Mon intervention portera sur les deux thèmes retenus : le bien-être des élèves et l'autonomie des établissements.
La majorité des jeunes se trouve bien à l'école, mais dans un climat très compétitif. Un tiers des élèves français déclare aimer beaucoup l'école et un tiers un peu. Ces chiffres se situent dans la moyenne haute de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Ce bien-être tend cependant à se détériorer avec l'âge. Un élève sur deux seulement estime avoir des résultats scolaires bons ou très bons, ce qui est très en dessous de la moyenne. Le système français met les élèves sous pression et tend à diminuer leur confiance en eux. Un tiers des élèves français considère être traité de façon injuste ou préjudiciable, contre un dixième au Danemark ou aux États-Unis. Des difficultés relationnelles entre les élèves se posent. Des enquêtes de victimisation montrent qu'un élève sur dix en France a été victime de harcèlement, ce qui est un taux élevé et une source de préoccupations. Globalement, les élèves français ont une appréciation positive de l'école mais avec une représentation de l'avenir professionnel très conditionnée par le niveau et le domaine d'études.
Sur les expériences à l'étranger mises en avant, je vous renvoie aux notes du CAS.
Quelles en sont les conclusions ? D'abord, il est nécessaire d'agir contre les violences scolaires. Des expériences intéressantes sont menées vis-à-vis des élèves et des enseignants. L'Allemagne prête une attention particulière à la question du cyber-harcèlement.
Sur la question de l'évaluation, certains pays ont choisi de supprimer les évaluations. Ce n'est pas forcément la solution idéale. L'émulation, la mesure des progrès sont en effet importantes. En même temps, un juste milieu est à trouver entre le contrôle sanction et l'absence totale d'évaluation. Par exemple, en Finlande, il est possible de distribuer un contrôle-type en amont, ou de repasser l'examen si l'élève n'est pas satisfait de la note obtenue.
Le développement de la coopération entre les élèves ne participe pas de la tradition dominante dans l'école française. Les travaux coopératifs avec des méthodes qui favorisent l'entraide et apprennent à travailler en groupe apportent beaucoup de bénéfices, car ils permettent l'acquisition de compétences utiles tout au long de la vie, au-delà des connaissances disciplinaires. Cela peut prendre aussi la forme de projets qui tendent à favoriser l'émergence d'une sorte de communauté éducative. Les idées sont nombreuses : projet culturel à l'échelle d'une classe ou d'une école, projet informatique... Ces activités sont considérées comme un peu à part par rapport à la pédagogie habituelle, alors qu'elles peuvent avoir des résultats très positifs. Cela donne une représentation différente de l'école.
Enfin, se pose la question de la réflexion sur le bâti scolaire comme agent d'apprentissage et de bien-être. Toutes les collectivités territoriales disposent de cette compétence et en même temps, chaque collectivité est laissée à elle-même. Il serait sans doute intéressant de mettre à disposition des collectivités une base de ressources de bonnes pratiques en matière d'aménagement des espaces scolaires.
Concernant l'autonomie des établissements, c'est un sujet d'étude à la fois constant et complexe : cela fait des années que l'on s'interroge sur le bon degré d'autonomie. De plus, il est très difficile de comparer utilement des expériences d'autonomie dans des systèmes d'éducation très différents.
Depuis les années 1980, la grande majorité des pays de l'OCDE ont accru le degré d'autonomie de leurs établissements scolaires, à savoir les marges de manoeuvres dont ces derniers disposent en termes de pédagogie, de gestion financière et de ressources humaines. Cette autonomie étendue a généralement pour contrepartie un contrôle plus strict des résultats obtenus par les établissements.
La France est restée relativement en retrait de ce mouvement, les établissements du primaire bénéficiant d'un degré de liberté restreint, seuls les établissements du secondaire ont disposé d'un certain degré d'autonomie grâce à leur accession au statut d'établissements publics locaux d'enseignement. Plus récemment la loi d'orientation de 2005 a permis aux écoles primaires, collèges et lycées de mettre en oeuvre des expérimentations pour une durée maximale de cinq ans. D'autres évolutions ont touché les lycées professionnels, les lycées polyvalents et les établissements dans les zones sensibles.
Un certain nombre de travaux ont cherché à évaluer les effets de l'autonomisation. Les comparaisons internationales suggèrent que l'autonomie bénéficie à la réussite des élèves. L'autonomie qui se révèle la plus utile au plan des résultats est celle relative à la gestion des ressources humaines, beaucoup plus que l'autonomie budgétaire.
Dernier point, pour que l'autonomie ait des effets positifs, il faut en contrepartie un mécanisme qui puisse rendre les établissements comptables de leurs résultats.
Si on regarde plus précisément les expériences menées dans différents pays, au Royaume-Uni, des gains d'efficacité ont été notés au début, aux États-Unis, les charter schools ont apporté des résultats intéressants mais difficiles à évaluer, et en Suède, les écoles indépendantes ont eu des résultats positifs et incitateurs.
La crainte d'une école à deux vitesses et d'un renforcement des inégalités ne s'est pas vérifiée car ces expérimentations étaient bien encadrées dès le départ : cela concernait des écoles gratuites et ouvertes à tous.
Ces expériences sont difficilement transposables à la France. On part d'une situation différente : les établissements ont moins d'autonomie, la marge de manoeuvre est donc plus grande sous trois conditions :
- privilégier l'autonomie en matière de gestion des personnels et d'adaptation locale de l'organisation des enseignements ;
- renforcer les dispositifs d'évaluation des établissements ;
- accompagner cette évaluation d'un système réactif permettant d'épauler les équipes en cas de résultats insuffisants.
Je vous remercie pour votre présentation qui me laisse toutefois avec quelques interrogations. Il me semble que la question des évaluations ne peut pas être posée en présupposant que dans une école où il n'y aurait pas d'évaluation les élèves seraient, de ce seul fait, plus heureux et apprendraient plus aisément. Il me semble qu'il ne faut pas confondre l'évaluation et le classement. Lorsqu'un élève est évalué par rapport à lui-même, par rapport à ses progrès, par rapport aux notions qu'il doit acquérir, alors l'évaluation est utile car elle est positive et permet la progression dans les apprentissages. En revanche, classer un élève par rapport aux autres, c'est le plus sûr moyen de créer chez lui défiance et découragement. Je considère que les inspecteurs de l'éducation nationale devraient porter et accompagner une modification du système actuel de classement des élèves pour développer à sa place une évaluation positive de leurs acquis.
Je remarque d'ailleurs que dans les tests PISA (programme international pour le suivi des acquis des élèves) les élèves français sont ceux qui laissent le plus de questions sans réponse par peur de se tromper. C'est la preuve qu'ils ont l'habitude de voir l'erreur plus sanctionnée que n'est récompensée la réussite.
En France, depuis longtemps, nous connaissons des établissements innovants qui rompent avec cette logique. Malheureusement, ils sont toujours considérés par l'éducation nationale comme expérimentaux, voire marginaux. Il suffit de penser aux écoles Freinet. Pourtant, dans ces écoles, l'accent est mis sur des pratiques de groupe où l'élève n'est pas laissé seul mais construit ses réponses en collaborant avec ses pairs. C'est cela même qui lui sera demandé plus tard au cours de sa vie professionnelle.
J'estime également qu'il ne faut pas se contenter d'évaluation des connaissances disciplinaires mais favoriser l'évaluation des savoir être des élèves.
Vous avez également évoqué la question du bâti scolaire. Je suis loin d'être persuadée qu'il existe un modèle idéal répétable partout. Il existe certes quelques principes de base qu'il convient de respecter mais je fais surtout confiance aux territoires et aux équipes pour innover et trouver les solutions les plus adaptées aux situations locales.
Vos conclusions sur l'autonomie des établissements me rappellent des discours que nous avons déjà souvent entendus. Je ne crois pas, pourtant, qu'il faille trouver dans l'autonomie des établissements la panacée aux problèmes du système scolaire. Il suffit de considérer la situation actuelle des universités pour voir que l'autonomie financière est plus source de questions que de solutions. En tout état de cause, pour être viable l'autonomie financière nécessite des compétences spécialisées en termes de gestion dont ne bénéficient pas systématiquement les entités autonomes. En revanche, l'autonomie pédagogique s'impose comme une évidence ; il faut la développer.
Je me rappelle nos déplacements précédents à l'étranger, notamment aux Pays-Bas. Nous y avons bien vu que, lorsque l'autonomie financière et administrative est beaucoup développée, et que l'attribution des moyens est liée aux résultats, les établissements sont soumis à une concurrence acharnée. Inévitablement, les établissements se mettent à sélectionner le plus possible les élèves afin de préserver leurs moyens financiers. On constate in fine l'accroissement des discriminations et une segmentation sociale nette des établissements. Un chef d'établissement nous confiait son malaise devant cette dérive.
Pour conclure, nous ne pouvons nous passer de régulation.
Je crois que nous tomberons d'accord pour constater qu'il est nécessaire que les élèves travaillent à l'école dans un esprit de plaisir et de curiosité. Mais il nous faut penser non seulement au bien-être des élèves mais aussi au bien-être de tous les adultes présents dans les établissements scolaires afin d'établir des climats propices aux apprentissages.
Le défi essentiel demeure d'affronter les questions de l'échec scolaire et des inégalités sociales. Repenser le métier enseignant me paraît de ce point de vue une priorité car il est primordial de développer la capacité des enseignants à poser des diagnostics justes et à proposer des remèdes adéquats aux difficultés scolaires de leurs élèves.
Tant sur l'évaluation que sur l'autonomie des établissements, je partage l'opinion de Mme Cartron. D'une part, nous avons encore à construire des procédures d'évaluation permettant de stimuler la progression des élèves. D'autre part, je reste très réservée sur les conséquences d'une poursuite de la décentralisation de l'éducation nationale qui pourrait aboutir à une territorialisation du système scolaire et une mise en concurrence néfaste entre les établissements et entre les territoires. Je tiens à rappeler que l'école de la République doit se proposer comme objectif d'amener chaque enfant au plus haut niveau de connaissance et de culture possible.
Si l'autonomie pédagogique des équipes éducatives ne me paraît pas poser de problème, en revanche, l'autonomie en matière de gestion des ressources humaines doit être rejetée. Je remarque d'ailleurs que nous ne disposons d'aucun bilan du dispositif Eclair (école, collège, lycée pour l'ambition, l'innovation et la réussite).
J'ai cru comprendre que des expérimentations avaient été menées dans notre pays sur le fondement de la loi Fillon de 2005. Quelles leçons pensez-vous que nous puissions en tirer ?
J'aimerais également souligner, aujourd'hui encore, combien l'enseignement agricole est un foyer d'innovations dont pourrait s'inspirer l'éducation nationale. Les excellents résultats de l'enseignement agricole en termes de réussite aux examens et d'insertion professionnelle plaident en ce sens.
Concernant la question du bien-être que vous avez également évoquée, ma conviction personnelle rejoint les conclusions de votre étude : un élève heureux est un élève qui réussit.
La question de l'évaluation est effectivement au coeur du sujet. Le système français est trop axé sur un principe de classement, qui pèse sur les élèves et ne leur permet pas de progresser. Il faut cependant trouver un juste milieu entre le classement et l'absence totale d'évaluation. Je ne pense pas qu'il faille pousser le raisonnement au point de ne prendre en compte que la progression de l'élève et son seul niveau individuel. Il ne faut pas oublier, à terme, les enjeux d'orientation et de sélection. Il faut plutôt privilégier les exercices collectifs et l'accompagnement, de manière à faire vivre l'évaluation de manière positive à l'élève.
Lorsque j'ai évoqué la question du bâti scolaire, j'entendais plutôt privilégier la mise en place d'une base de ressources dans laquelle les collectivités territoriales pourraient puiser. Je vous renvoie par exemple à l'expérience d'un lycée de Copenhague avec la construction d'un bâtiment en « open-space » entièrement en verre.
Concernant l'autonomie des établissements, je ne pense pas que l'on puisse considérer cette question de manière binaire : soit une absence d'autonomie dans un système totalement uniforme, soit un système totalement libéral dans lequel les établissements seraient autonomes à la fois en termes de budget, de recrutement des enseignants, de pédagogie et de sélection des élèves. Il peut, en réalité, exister plusieurs degrés d'autonomie. L'on pourrait par exemple imaginer la mise en place d'une carte scolaire très rigide mais une autonomie de recrutement du personnel. Dans un tel système, l'établissement gèrerait librement ses équipes pédagogiques, en évitant la concurrence possible avec les autres établissements grâce à l'affectation stricte des élèves du secteur.
Quant à l'attribution des moyens, je ne souhaitais pas suggérer que l'on supprime les financements aux établissements qui présentent de mauvais résultats. Au contraire, je pense plutôt qu'il faut accompagner les établissements en difficulté.
En réponse à Mme Gonthier-Maurin, je reconnais que la question de la place des adultes et de leur bien-être est une question centrale. Je vous renvoie au rapport du CAS remis en septembre 2012 à la ministre de la famille, intitulé « Aider les parents à être parents ». Vous y trouverez une description des initiatives étrangères ainsi que des pistes de réflexion pour impliquer davantage les parents dans le suivi et l'accompagnement du cursus scolaire de leurs enfants.
S'agissant de l'autonomie des établissements et la décentralisation, il faut rappeler qu'aujourd'hui, nous faisons le grand écart entre un système éducatif affirmant son caractère national et, dans les faits, un fonctionnement assez décentralisé et différencié des établissements. Au moment où l'on évoque un nouveau mouvement de décentralisation, il ne me semble pas inutile de se poser la question de la place de l'établissement scolaire au sein de ce mouvement.
Notre rapport tente de démontrer que nous ne sommes pas dans l'obligation de choisir entre une autonomie des établissements et une absence d'autonomie. Nous ne sommes pas, cela a été dit, face à un système binaire. Notre étude de certains modèles étrangers a notamment révélé deux types de positions sur cette question :
- les pays qui ont choisi de donner une autonomie à l'ensemble des établissements sur un nombre limité de points, comme l'organisation de la journée scolaire, ce qui permet une prise en compte de certaines disparités, notamment territoriales ;
- les pays qui ont choisi de donner une autonomie complète à certains établissements. Dans ce cas, il est beaucoup plus difficile de mesurer la plus-value de l'autonomie car les publics scolarisés dans les différentes catégories d'établissement sont nettement disparates.
Nos conclusions soulignent que certaines prérogatives spécifiques pourraient être assurées de manière autonome par tous les établissements entre eux et au bénéfice des élèves, sans que cela crée une concurrence.
Enfin, l'enseignement agricole évoqué par Mme Férat comporte certaines différences significatives par rapport à l'enseignement traditionnel, notamment s'agissant du rôle joué par les familles. Pour autant, il est vrai que certaines initiatives fonctionnent parfaitement et pourraient servir de modèle.
La préoccupation tant sur le plan de l'autonomie que du bien-être des élèves est la lutte contre l'échec scolaire. Il en existe trois causes principales, l'origine sociale des élèves, les rythmes scolaires et « l'effet maître », dont on a pu mesurer l'importance lors des travaux de la mission sur le métier d'enseignant. Cet « effet maître » rejoint la question de la formation des enseignants dont on a constaté dans le cadre du groupe de travail sur le pré-recrutement qu'elle est diversement organisée selon les académies, suivant les politiques menées par les universités en fonction des moyens attribués aux instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM). L'autonomie qui a été accordée aux universités peut parfois constituer un frein, alors qu'il faudrait former uniformément les enseignants sur l'ensemble du territoire. Certaines universités ont maintenu des formations axées sur la pré-professionnalisation tandis que d'autres ont conservé un caractère disciplinaire et académique à la formation proposée. Tel est l'écueil de l'autonomie.
La note du CAS considère que la semaine de quatre jours est néfaste, c'est une analyse que je partage. La politique menée aujourd'hui par le ministre de l'éducation nationale est la réponse. On peut juger de la rapidité et des conditions matérielles de sa mise en place. Même si ce n'est pas idéal, la semaine de 4 jours et demi est la seule solution et constitue une meilleure façon de traiter l'élève. Certes, pour les adultes, le rythme actuel leur laisse beaucoup de liberté et de disponibilité mais pour les élèves, cela oblige à ne faire que des mathématiques et du français, éventuellement de l'histoire-géographie et des sciences. En revanche, l'enseignant a des scrupules à leur faire pratiquer des activités sportives, artistiques ou culturelles, car le temps manque.
Lorsqu'on évoque l'origine sociale des élèves, on s'aperçoit que ces dernières années les zones d'éducation prioritaire (ZEP) n'ont pas produit les résultats escomptés. Sur ce plan, l'échec scolaire est difficile à combattre. Il faut donc apporter des réponses sur les autres points relevés.
La note du CAS évoque très peu le problème de la santé en tant que bien-être selon la définition de l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Elle n'intervient qu'au travers du climat scolaire, de violence, du cyber-harcèlement... Ce bien-être en termes de santé fait aussi partie de la réussite éducative. Notre pays a la chance de disposer de quelque chose d'unique qui est la santé scolaire même si elle est en grande souffrance. Vous n'avez pas suffisamment mis l'accent sur ce point. Cette dimension éducative de la santé devrait faire partie des programmes, car elle pourrait être, en termes de prévention et de promotion, un apport essentiel à la réussite de l'élève.
Agents techniques, assistants sociaux ou infirmiers peuvent également contribuer à favoriser un climat plus serein dans l'établissement, en luttant contre le harcèlement par exemple. J'ai lu dans votre note qu'un élève sur huit dit avoir été harcelé physiquement ou verbalement deux fois par an. Il est temps que la communauté éducative et les parents s'en préoccupent.
Une mesure a permis d'attribuer des adjoints de sécurité à certains établissements. Avez-vous pu évaluer leur impact sur ce climat de violence ?
Compte tenu de l'accroissement du nombre de familles en situation difficile qui ne sont plus capables de faire soigner leurs enfants ou même de les nourrir correctement, les acteurs de santé pourraient contribuer à la réussite éducative de nos élèves. La Finlande, qui est souvent mise en avant pour ses excellents résultats, connaît malheureusement un taux de suicide des élèves très élevé. C'est une sorte de paradoxe.
Il est assez curieux de constater comme certains mots amènent aussitôt le débat, par exemple celui d'évaluation ou d'autonomie. Pourtant, l'évaluation n'est pas une nouveauté. Je me souviens qu'en 1968 déjà, dans l'établissement où j'enseignais, nous cherchions désespérément comment noter sans pour autant pénaliser les élèves. Des dispositifs avaient été inventés et ont progressivement disparu. Nous voilà à nouveau dans ce débat.
Il me semble qu'il est nécessaire de fixer des objectifs à atteindre par les élèves. Si on évalue ce qu'ils ont parcouru du chemin jusqu'à ce qui semble nécessaire de leur faire apprendre, c'est utile. Vous avez-vous-même, monsieur Chriqui, senti la difficulté sur cette question de l'évaluation puisque vous avez parlé d'un juste milieu à trouver. Je pense que vous avez raison. Pouvez-vous nous préciser ce que vous entendez par « juste milieu » ?
Qu'il existe un niveau de connaissances à atteindre et que l'on vérifie que l'élève l'a atteint surtout si ces savoirs semblent nécessaires à la poursuite d'études ne devrait pas nous diviser.
Nous sommes un pays un peu curieux car officiellement tous les établissements de l'éducation nationale doivent se valoir et en même temps, tous les ans, les journaux publient des classements des établissements. Vous ne pouvez pas empêcher des parents, soucieux de l'avenir de leurs enfants, de vouloir les mettre dans ceux situés en tête de classement plutôt qu'en fin. C'est d'abord un problème d'information des familles sur des classements souvent contestables. Cette différenciation entre les établissements existe de toute façon. Cela peut passer parfois par des pédagogies un peu différentes qui font que certains établissements ont plus de succès que d'autres. Avez-vous des indications complémentaires à nous apporter sur ce point ? Ce qui me paraît préoccupant c'est le fait que nous soyons entre les deux, les établissements doivent se valoir et sont en même temps classés. Les chefs d'établissement et les enseignants sont stigmatisés en fonction de la place de leur établissement dans le classement.
Je ne considère pas personnellement l'autonomie comme une fin en soi, mais comme un moyen parmi d'autres d'amélioration des performances du système scolaire. Personne ne contestera que les établissements français ne bénéficient que d'une très faible autonomie. Deux raisons expliquent cet état de fait : d'abord, la France est historiquement un pays très centralisé où la prise de décision suit un mouvement descendant, alors que dans des pays plus décentralisés, les décisions se construisent progressivement en partant de la base. Ensuite, notre pays est régi par une culture de la circulaire plutôt que du contrat. Il me paraît certainement souhaitable de confier plus de liberté aux établissements. Encore faut-il réfléchir à la façon de procéder. Je renvoie à mon rapport de 2010 sur l'organisation territoriale du système éducatif où je préconisais la mise en réseau des établissements au sein des bassins de formation. Cette mise en réseau devrait s'entendre verticalement entre les différents niveaux d'enseignement (école, collège, lycée), mais aussi horizontalement en associant aux établissements publics de l'éducation nationale les établissements privés sous contrat ainsi que l'enseignement agricole.
Faire reculer l'échec scolaire doit être notre priorité, notamment dès l'enseignement du premier degré. Le bâti peut contribuer à cette réforme sans être le facteur déterminant. J'ajoute qu'en matière de bâti je ne vois pas d'autre méthode viable que la concertation entre les parents, les enseignants et les élus. Mais c'est fondamentalement, selon moi, le climat de la classe qui explique l'échec scolaire. Il faut donc d'abord agir sur le climat de la classe pour lutter contre l'échec. Mon expérience personnelle m'incite à penser que pour régler les problèmes et les tensions entre les enfants, il n'y a rien de mieux que les classes de découverte hors les murs. On y propose beaucoup d'activités, notamment sportives, qui changent complètement la vie du groupe classe. Là où il y avait de la violence, elle disparaît. Plus généralement, d'ailleurs, le sport à l'école me paraît fondamental pour mettre en situation de réussite des élèves qui peinent parallèlement en mathématiques ou en français. En retrouvant confiance en eux grâce au sport, ils peuvent progresser aussi dans les autres disciplines.
Par ailleurs il me semble que l'exemple de la Bretagne ne plaide pas en faveur du développement de l'autonomie des écoles. En effet, les écoles privées sont très nombreuses dans cette région, bénéficient de moyens importants, disposent de beaucoup plus de marges de manoeuvre que leurs homologues publiques mais elles n'obtiennent pas pour autant de meilleurs résultats.
J'aimerais revenir sur une des notes du centre d'analyse stratégique que vous n'avez évoquée que très succinctement. Il s'agit de votre étude comparative des différents modes de scolarisation des élèves handicapés dans les pays européens. Je l'ai lue avant votre audition, elle m'a parue très intéressante notamment lorsque vous y pointez l'absence d'évaluation des dispositifs en vigueur dans notre pays et j'aimerais que vous puissiez nous en dire un peu plus.
La loi handicap de 2005 pose en effet un certain nombre de principes généraux, mais elle n'a pas permis de mettre en oeuvre une politique cohérente sur l'ensemble du territoire national et, de fait, les situations varient d'un département à l'autre. Il me semble que nous hésitons entre un objectif social d'inclusion de tous les enfants dans le système éducatif public et une pratique concrète où les enfants sont orientés bien souvent vers des structures privées, souvent très coûteuses. En outre, la qualification du handicap répond aujourd'hui exclusivement à une logique hospitalière, médicale sans tenir compte des capacités d'apprentissage des différents enfants. Le défaut de coordination dans les prises en charge éducatives, sanitaires et psychologiques est patent. D'où ma question : selon vous, de quel instrument statistique et d'évaluation avons-nous besoin pour construire une politique intégrée et cohérente de scolarisation des enfants handicapés ?
J'ai beaucoup apprécié vos propos sur la nécessité de trouver un juste milieu entre des options trop radicalement tranchées. Le talent du peuple français pour se fracturer en deux factions antagonistes s'exprime particulièrement lorsque nous débattons de l'école. J'estime, au contraire, qu'il faut nous mettre tous à l'ouvrage afin de dégager un consensus sans nous crisper dans des postures idéologiques si nous voulons sauver notre école. Nous nous déchirons trop sur des mots comme « évaluation », « compétition », « élite ». Ne pouvons-nous avancer sans nous blesser les uns les autres ? Ne pouvons-nous réfléchir de façon apaisée aux meilleurs moyens de développer une élite forte, sans pour autant bloquer l'ascenseur social ? Il y aurait lieu de nous rapprocher mutuellement pour ne plus nous terroriser les uns les autres et nous vilipender gratuitement au détriment de l'évolution nécessaire du système éducatif et de l'avenir de nos enfants.
Je reviens un moment sur la notation des élèves. Avez-vous eu connaissance du travail de Alain Antibi, professeur de l'université de Toulouse, sur le système d'évaluation de notre pays qui lui semblait dominé par ce qu'il appelait la « constante macabre » ?
J'ai peur que mes propos précédents aient été pris pour l'expression d'une vision manichéenne. Ce n'était absolument pas mon intention et je tiens donc à les préciser.
L'échec se construit dès l'école maternelle, puis à l'école primaire, comme toutes les études le démontrent. A cet âge, la compétition entre les élèves n'apporte aucun bénéfice de l'avis de tous les pédo-psychiatres. Il est donc impératif de respecter les rythmes d'apprentissage propres à chaque élève en maternelle et à l'école élémentaire.
Considérons un moment l'apprentissage de la marche. Personne ne peut décider qu'un enfant doive marcher à neuf mois très exactement. De même, pourquoi fixerions-nous des délais rigides pour l'apprentissage de la lecture ? Sachons donner le temps qu'il faut aux élèves qui en ont besoin afin qu'ils acquièrent les fondamentaux. Les presser pour les faire entrer dans un moule uniforme ne peut que fragiliser leur scolarité et risque de les conduire à l'échec. Ce n'est pas de compétition dont l'école a besoin mais d'une différenciation fine des méthodes pédagogiques.
En réponse à M. Jacques-Bernard Magner, je préciserai que la question de la formation des enseignants n'a pas été abordée dans le détail dans cette note. C'est évidemment un point essentiel. De toute façon, si on met en place des systèmes différents, il y aura toujours des endroits où cela marchera mieux qu'à d'autres. C'est une question que l'on se posera à chaque fois qu'il y a décentralisation. Mais je souscris complètement à la professionnalisation qui est au coeur du métier d'enseignant.
La santé scolaire évoquée par Mme Maryvonne Blondin participe, bien sûr, au bien-être des élèves ; elle nécessite une étude spécifique que l'on a d'ailleurs l'intention de conduire en 2013. La lutte contre le harcèlement en fait partie. Nous avons émis des propositions précises à ce sujet. Par exemple, il existe une démarche volontaire et approfondie en Finlande dont on pourrait s'inspirer. Une autre caractéristique du système français est le cloisonnement des tâches. Dans les autres pays, les professeurs jouent un rôle beaucoup plus transversal. La question ne se résume pas seulement à augmenter le nombre de personnels mais à savoir quel rôle on veut donner à nos enseignants. Enfin, je ne pense pas que le taux élevé de suicide en Finlande soit lié aux méthodes d'enseignement.
Répondre à MM. Jacques Legendre et Jean-Pierre Leleux, qui appellent le CAS à devenir un Centre d'analyse sémantique, revient à s'interroger sur les moyens à mettre en oeuvre pour favoriser l'émergence d'une élite laïque et républicaine. On peut y parvenir par une réflexion sur l'évaluation. Je ne pense pas que l'on évalue de la même façon selon les âges. Pour les plus jeunes, l'objectif est de les aider à progresser. La question se pose essentiellement à partir du collège.
C'est tout le débat sur la notation. La question ne se pose pas en termes de noter ou pas, mais d'âge à partir duquel il faut noter les élèves.
Pour compléter ma réponse à M. Jacques Legendre, il faut trouver un juste milieu. Il ne faut pas de classement-sanction qui démotive les élèves, surtout au collège. Il ne faut pas les stigmatiser. A côté de cela, une évaluation est utile pour pouvoir se positionner au sein de la classe. Sur la question de la carte scolaire et du classement des établissements, la carte a été assouplie. On connaît l'existant mais on ne sait pas comment l'affronter. On sait parfaitement mesurer le vrai apport d'un établissement. Ensuite, il faut faire de la pédagogie pour les parents afin qu'ils ne se laissent pas influencer par les classements.
Je partage les propos de M. Jean-Claude Carle sur le fait qu'il ne faille pas tourner le dos à notre histoire et à notre culture. Je suis également d'accord avec l'idée de mise en réseau des établissements, de mutualisation. Il y a beaucoup de manières de décliner l'autonomie.
Je suis également d'accord avec M. Michel Le Scouarnec sur le bâti qui doit passer par la concertation et sur les activités et projets collectifs portés par les classes qui ont des effets très positifs.
En réponse à M. André Gattolin sur la question du handicap, je vous renvoie à une note du CAS relative à la scolarisation des enfants en situation de handicap dans les pays européens. L'information sur le sujet est fragmentaire et insuffisante. Il est nécessaire d'améliorer les moyens, dont la présence d'auxiliaires de vie scolaire. La maison départementale des personnes handicapées (MDPH) a été une tentative dans ce sens, mais n'a pas donné tous les effets escomptés. Une des difficultés réside dans la liaison entre le médico-social et l'école. Je pense que l'école doit porter le projet pédagogique.
Je découvre le terme de « constante macabre » mentionné par Mme Françoise Férat, c'est le pourcentage de mauvaises notes que les enseignants se sentent obligés de mettre, sous la pression de la société. C'est le principe d'une évaluation.
Je remercie M. Vincent Chriqui pour son intervention.
Pour votre information, plusieurs sinistres de presse récents dont l'arrêt de la publication papier de La Tribune, avait attiré notre attention et nous avions souhaité améliorer notre connaissance de l'utilisation des aides à la presse. A ce sujet, je vous informe qu'aux termes de l'article 58-2 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), la commission des finances du Sénat a saisi la Cour des comptes d'une demande d'enquête sur les aides à la presse, dont les résultats devraient lui être remis en septembre prochain.
J'attire votre attention sur le fait que les journaux ne paraissent pas aujourd'hui. L'origine du conflit est liée à la société de distribution Presstalis. C'est une situation très préoccupante et j'aimerais entendre les différentes parties sur le sujet.
Ce thème fera partie des travaux de notre commission mais j'ai comme priorité d'entendre Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée chargée des PME, de l'innovation et de l'économie numérique, notamment sur l'accord conclu entre Google et la presse.