Mes chers collègues, nous entendons ce matin M. Antoine Durrleman, président de la sixième chambre de la Cour des comptes, sur la certification des comptes du régime général de sécurité sociale pour l'année 2016. Il est accompagné de M. Jean-Pierre Laboureix, conseiller maître, président de section, et de M. David Appia, conseiller maître.
La mission de certification des comptes est confiée à la Cour des comptes par l'article 12 de la loi organique du 2 août 2005.
S'il était besoin de souligner l'importance de cet exercice pour le Parlement, je rappellerais simplement que les dépenses entrant dans le champ de la certification représentent 433 milliards d'euros, soit près de 20 % du PIB de notre pays.
Ce rapport est le onzième présenté par la Cour.
Je voudrais tout d'abord souligner qu'il a paru plus tôt que les années précédentes, à peine quelques jours après celui sur la certification des comptes de l'État, et qu'il est accompagné d'une synthèse... plus synthétique encore que les années précédentes. Nous en remercions vivement la Cour.
D'autre part, on peut mesurer le chemin parcouru en onze ans par les organismes de sécurité sociale, puisque la Cour a certifié l'ensemble des comptes pour la quatrième année consécutive.
Il reste néanmoins beaucoup à faire : la prise en compte des engagements pluriannuels et l'amélioration du recouvrement des cotisations des travailleurs indépendants sont ainsi des sujets récurrents.
L'exercice de certification peut aussi faire apparaître une certaine précipitation dans la mise en oeuvre des réformes ; c'est, semble-t-il, le cas de la protection universelle maladie, mais aussi du tiers payant.
Monsieur le président, je vous laisse la parole.
Je présenterai le onzième rapport de certification des comptes du régime général de sécurité sociale sous trois angles.
Premièrement, de quoi parlons-nous ? En tant que certificateur, la Cour a prononcé des opinions sur neuf comptes : ceux des branches maladie, accidents du travail et maladies professionnelles, famille, vieillesse, de l'activité de recouvrement du régime général de sécurité sociale, de la Caisse nationale d'assurance maladie (CNAM), de la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF), de la Caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV) et de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS). Je rappelle que la certification est l'assurance raisonnable que les comptes sont fiables et sincères.
Les masses financières sont importantes : elles représentent près de 20 % du PIB en dépenses et de 25 % en recettes. En effet, l'ACOSS et les URSSAF opèrent des prélèvements pour le compte non seulement du régime général de sécurité sociale, mais aussi d'autres régimes et d'autres attributaires, parmi lesquels l'assurance chômage et les autorités organisatrices de transport.
Ayant constaté que les organismes de sécurité sociale avaient atteint un palier de maturité, nous avons modifié, depuis l'an dernier, notre stratégie d'audit sur deux points.
Le premier point est l'anticipation des calendriers.
Nous nous sommes placés dans un calendrier plus resserré, de façon à fournir au Parlement, au même moment, l'acte de certification des comptes de l'État et le rapport de certification des comptes du régime général de sécurité sociale. Nous poursuivrons cet effort, que vous avez souhaité, d'abrègement des délais, lequel dépend aussi de la capacité des caisses nationales à transmettre à temps à la Cour les informations et les états comptables. Nous avons eu le sentiment, cette année, qu'elles avaient eu des difficultés à le faire. Nous en mesurerons l'ampleur dans quelques jours à l'occasion d'un retour d'expérience avec la direction de la sécurité sociale, afin d'évaluer les marges de progression pour l'année prochaine.
Deuxième point sur lequel nous avons modifié notre stratégie d'audit : nous inscrivons la campagne annuelle dans une stratégie pluriannuelle de levée progressive de réserves, l'objectif - notre Graal ! - étant de parvenir à établir, un jour, une certification sans réserve de l'ensemble des neuf comptes du régime général de sécurité sociale. Pour ce faire, nous travaillons opiniâtrement avec les caisses nationales, lors de réunions mensuelles, afin de hiérarchiser les efforts et de lever certains points d'audit.
Je veux rappeler les points focaux de cette stratégie d'audit renouvelée.
Il s'agit, tout d'abord, des dispositifs de contrôle interne mis en place dans les organismes nationaux et locaux pour éviter l'apparition d'erreurs et d'anomalies lors de la liquidation des prestations ou du recouvrement des cotisations. C'est un point déterminant au vu des milliards d'opérations traitées chaque année. La répétition d'erreurs portant sur des sommes peu importantes peut ainsi entacher la sincérité et la fiabilité des comptes.
Nous « embarquons » dans cette stratégie d'audit les systèmes informatiques, qui constituent l'ossature de la capacité de traitement des organismes de sécurité sociale. Nos experts informatiques opèrent en permanence un audit de ces systèmes et nous confions, chaque année, des missions d'audit informatique à des cabinets extérieurs.
Un autre point focal concerne les justifications, les estimations comptables, en particulier le mode de provisionnement des organismes de sécurité sociale. Il appartient à la Cour de vérifier que ces provisions sont constituées conformément au principe de prudence et à l'information dont disposent les organismes.
Nous avons constaté, cette année, plusieurs progrès consécutifs à l'adoption de cette stratégie.
Parmi les progrès globaux, nous certifions pour la quatrième année consécutive l'ensemble des neuf comptes du régime général de sécurité sociale, avec un nombre de réserves en baisse. En 2014 et en 2015, nous avions prononcé 33 réserves ; pour 2016, nous en prononçons 31. Nous avons levé 5 réserves. Nous en avons aussi ajouté 3 - l'une portant sur les comptes de la branche maladie, une autre sur ceux de la CNAM, la troisième sur l'activité de recouvrement - qui tiennent à l'imputation, selon nous sans base juridique, dans les comptes du régime général d'un produit exceptionnel de contribution sociale généralisée (CSG) à hauteur de 740 millions d'euros.
Une fois ces dernières réserves « neutralisées », nous constatons que la marche en avant a repris et qu'elle se traduit par des progrès significatifs. Après des années d'efforts, il existe désormais une traçabilité, une continuité, un « chemin d'audit » rétabli entre la liquidation des prestations et les systèmes d'information comptables, ce qui permet à la Cour de lever des réserves importantes relatives à la branche vieillesse et à l'activité de recouvrement. La branche famille, qui était le mauvais élève en la matière - la certification lui avait même été refusée -, connaît, elle aussi, des progrès, certes lents mais réels.
Vous trouverez dans la synthèse de notre rapport les motifs des réserves que nous avons prononcées.
Je tiens à souligner le grand nombre d'erreurs et d'anomalies ayant une incidence financière. Plus les dispositifs de contrôle progressent, plus les risques identifiés sont considérables. C'est particulièrement vrai dans le domaine de l'assurance maladie, où l'on observe de nombreuses erreurs de liquidation, dans la branche famille, du fait de l'extrême complexité de prestations telles que le RSA, la prime d'activité et les aides au logement, mais ça l'est aussi dans la branche vieillesse.
S'agissant de l'activité de recouvrement, nous constatons des progrès dans le traitement et la prise en charge des travailleurs indépendants grâce au dispositif de l'interlocuteur social unique. La meilleure organisation du travail entre le régime social des indépendants (RSI) et l'ACOSS a permis de lever certaines difficultés, mais pas toutes.
Des progrès se confirment donc, certains importants, et l'ensemble des producteurs de comptes font preuve d'un esprit positif.
L'an dernier, à l'occasion du bilan de dix années de certification, non pas dans le seul cadre du régime général mais dans l'ensemble des régimes obligatoires de base de sécurité sociale, nous avions montré qu'il s'agissait d'un levier de modernisation dont l'intérêt allait bien au-delà de la fiabilité, de la transparence et de l'exactitude des comptes. En effet, tandis que l'État dispose de trois systèmes de comptabilité - budgétaire, nationale, générale -, les organismes de sécurité sociale n'en ont qu'un, de comptabilité générale. Lorsque nous certifions le régime général de sécurité sociale, nous sommes conduits à certifier la justesse de ses résultats, mission que vous nous avez confiée via la loi organique de 2005.
La certification est aussi un levier de progrès majeur pour la gestion des organismes et pour la qualité du service rendu. Moins nombreuses seront les erreurs et les anomalies, mieux couverts seront les assurés sociaux. Les responsables d'organismes nationaux l'ont bien compris, et c'est l'origine des progrès accomplis. Il ne s'agit ni d'une mécanique tournant à vide ni de joliesse d'esprit, mais d'un meilleur service attendu.
Nous nous réjouissons des progrès accomplis. Cette année, vous certifiez avec une diminution notable du nombre des réserves. Espérons que celles-ci disparaîtront un jour !
Vous avez évoqué le produit de CSG des régimes spéciaux pour les revenus d'activité de décembre 2015, comptabilisé en 2016. À la suite de la mise en place de la protection universelle maladie (PUMA), qui prévoit que les charges et les produits des dix autres régimes sont retracés dans les comptes de la CNAM, cette opération améliore de 740 millions d'euros le solde déficitaire de la CNAM en 2016. Vous indiquez que ce produit exceptionnel n'a pas été pris en compte en comptabilité nationale dans le compte des administrations de sécurité sociale (ASSO). Pouvez-vous nous expliquer comment un tel écart est possible alors que les comptes certifiés sont censés faire foi pour le contrôle du respect de nos engagements européens ?
À la suite de la mise en place de la PUMA, la Cour indique que l'état financier spécifique consolidant les montants PUMA par nature des charges et des produits n'entre pas dans le champ de la certification. Pouvez-vous nous en préciser la raison ?
Quel est l'état d'avancement du processus de certification des comptes dans les établissements de santé ? Plus généralement, les remontées d'informations prévues par le code des juridictions financières, récemment renforcées par la loi Santé, sont-elles satisfaisantes du point de vue de la Cour, alors que la direction générale des finances publiques (DGFIP) semble rencontrer quelques difficultés dans la collecte des données ?
Par un arrêté du 9 mars 2016, la ministre des affaires sociales a fixé le montant de la remontée des excédents de la branche vieillesse de la caisse de Mayotte. Cette opération est-elle détachable de l'intégration financière aux branches du régime général, dont la Cour indique qu'elle n'a pu être menée à bien dans les délais prévus par la loi de financement de sécurité sociale de 2015 ?
Merci pour la pédagogie et la précision de cette présentation.
Je ferai d'abord une observation sur la différence entre la perception des événements et la réalité. J'ai sous les yeux un article de presse intitulé : « L'assurance maladie peine à lutter contre la fraude. » La réalité, c'est un préjudice estimé à 245 millions d'euros, certes en légère augmentation par rapport à 2015, mais qu'il faut comparer aux 163 milliards d'euros de prestations versées...
J'en viens à mes questions.
Pouvez-vous faire le point sur l'évolution de la facturation individuelle des actes et consultations externes par les établissements hospitaliers ?
Est-il possible d'améliorer les prévisions en matière de crédits de remises pharmaceutiques par le Comité économique des produits de santé (CEPS) ? Ces remises sont-elles forcément soumises à des aléas importants ?
Je ferai un commentaire personnel sur les 740 millions d'euros de décalage constatés : dans le domaine commercial, un commissaire aux comptes qui aurait constaté une incidence de 20 % sur un résultat ou un déficit se serait, je pense, orienté vers un refus de certification...
S'agissant de la branche vieillesse, celle-ci affiche un excédent de 0,88 milliards d'euros, avec un déficit du fonds de solidarité vieillesse (FSV) de 3,64 milliards d'euros. Cela signifie que le régime vieillesse avec FSV présente un déficit de 2,76 milliards d'euros. Récemment, le Conseil d'orientation des retraites (COR) a émis une alerte relative à la possibilité d'agir sur les futures retraites. Compte tenu du déficit fléché dans votre rapport et des perspectives démographiques, pensez-vous qu'il faille à court terme prendre des dispositions pour pérenniser le régime de retraite ?
De fait, le produit exceptionnel de CSG n'a pas été pris en compte par l'INSEE, la direction générale du trésor et Eurostat du point de vue de la comptabilité nationale, dans la mesure où ce produit n'a pas vraiment de réalité économique et du fait de son caractère exceptionnel.
L'an dernier, le produit lié à l'anticipation des versements de cotisations sur les caisses de congés payés du bâtiment et des travaux publics, qui avait rapporté plus de 1 milliard d'euros au régime général de sécurité sociale, avait également été neutralisé en comptabilité nationale.
L'état spécifique présentant le détail des charges et produits des 10 régimes intégrés dans la branche maladie du régime général de sécurité sociale a, aux termes de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2017, un caractère extra-comptable. Dès lors, il ne peut pas entrer dans le champ de la certification de la Cour des comptes. Nous n'avons d'ailleurs reçu ce document que le 9 juin dernier.
Nous avons demandé à la direction de la sécurité sociale une série d'informations sur cet état pour nous assurer de la justesse des soldes intégrés dans les comptes de la branche maladie. Mais, j'y insiste, nous ne certifions pas cet état.
J'en viens à la certification des établissements publics de santé. La première vague a concerné les comptes de 2014, qui ont été certifiés en 2015, de 35 établissements volontaires. La deuxième vague portait sur les comptes de 2015, certifiés en 2016, de 85 établissements. La troisième vague concerne donc les comptes de 2016, pour lesquels les résultats de la certification ne sont pas encore disponibles.
Les comptes de 2014 ont été certifiés pour l'ensemble des établissements, à l'exception de deux d'entre eux. Pour les comptes de 2015, la moitié des établissements a obtenu une certification sans réserve ; des réserves ont été émises pour l'autre moitié, la certification ayant été refusée à trois établissements.
La certification des comptes de 2016 concerne les plus grands établissements, notamment l'AP-HP, les Hospices civils de Lyon et l'AP-HM.
Les enseignements des rapports de certification seront intégrés dans l'avis sur la qualité des comptes publics, que la Cour des comptes publiera, comme tous les deux ans, à l'automne.
Sur la question de Mayotte, l'arrêté d'intégration du 9 mars 2016 découle directement de l'absence d'intégration, due à des discordances diverses entre les comptes, de la caisse de sécurité sociale de Mayotte dans les comptes combinés des branches du régime général. Cet arrêté a fixé le montant des remontées d'excédents de la branche vieillesse de la caisse de Mayotte vers la branche vieillesse du régime général. La direction de la sécurité sociale nous a assuré que ce problème serait levé l'an prochain, mais elle nous avait déjà dit cela l'année dernière... Nous avons encore sur la question une forme de doute hyberbolique !
S'agissant de la lutte contre la fraude en matière d'assurance maladie, nous constatons que les progrès en termes de fraude décelée sont relativement lents. Le montant de 245 millions d'euros peut paraître important, mais il est à rapporter à un volume de dépenses considérable. La CNAMTS devrait faire plus et mieux. Nous analysons actuellement les résultats obtenus grâce aux stratégies de lutte contre la fraude menées dans les domaines de l'assurance maladie, des prestations familiales et de la branche vieillesse, afin d'identifier les bonnes pratiques qui pourraient être généralisées.
Nous avons relevé dans notre rapport que la facturation individuelle des actes et consultations externes traduisait la fiabilité très insuffisante des processus de facturation dans les établissements publics de santé. Nous allons travailler avec les chambres régionales des comptes sur ce sujet en 2018.
J'en viens aux remises pharmaceutiques. C'est un sujet obscur, sur lequel nous avons beaucoup de mal à obtenir des renseignements de la part du Comité économique des produits de santé (CEPS). Les remises dépendent du chiffre d'affaires constaté des laboratoires. Les données « remontent » tardivement, et leur fiabilité mérite d'être contre-expertisée par le CEPS. C'est la raison pour laquelle il est difficile de faire des prévisions. Mais le problème est plus général : le CEPS a focalisé sa politique de tarification non pas sur le prix facial, mais sur l'importance des remises négociées. La dynamique, la complexité et la superposition des remises rendent le système difficile à piloter par rapport à une politique de négociation du prix facial. Les remises produisent des économies, mais elles soulèvent d'autres problèmes. Comme nous ne connaissons pas l'importance des remises consenties à d'autres pays, quid de la comparaison avec les prix européens ? Par ailleurs, ce système brouille l'effort d'économie demandé.
En ce qui concerne le produit exceptionnel de CSG, qui s'élève à 740 millions d'euros, faut-il le rapporter au résultat ou à l'ensemble des produits de la branche ? En tant que certificateur, nous avons tranché en faveur d'une réserve expresse et explicite, ce qui a suscité une vive réaction de la direction de la sécurité sociale.
Le lien entre la CNAV et le FSV est une question majeure que votre commission a déjà soulevée. De notre point de vue, il faudrait prévoir une combinaison des comptes puisque les ressources du FSV bénéficient essentiellement à la CNAV. Ainsi, les choses seraient plus claires. Les tableaux d'équilibre qui ont été présentés dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2017 intègrent néanmoins un progrès : un tableau d'équilibre spécifique est certes toujours prévu pour le FSV, mais dans le tableau d'équilibre de l'ensemble des régimes obligatoires de base et du régime général, figure désormais une ligne supplémentaire intégrant le résultat du FSV.
Mes questions sont liées à deux missions d'information que nous menons actuellement pour le compte de la Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (Mecss).
Ma première question porte sur l'évaluation du risque de fraude. La méthode appliquée par la branche famille est-elle transposable aux autres branches ? Une évaluation fiable peut-elle être obtenue à partir des reliquidations demandées par la Cour ? Quels résultats pourrait-on obtenir pour la branche maladie ?
Ma seconde question concerne la branche vieillesse. La Cour évoque les « montants significatifs des majorations de retraite en attente de calcul », notamment pour le minimum contributif. Faut-il augmenter le niveau de contrainte des régimes partenaires ? Comment expliquer que les informations ne soient pas prises en compte de façon automatisée ?
Je participe également à la mission d'information sur la fraude aux cotisations et aux prestations sociales. Au coeur du sujet se situent les questions informatiques, notamment de croisement des données.
Nous aimerions savoir si les équipes de certification ont constaté une bonne intégration de la dimension de contrôle dans le déploiement de la déclaration sociale nominative, qui va être généralisée. Les outils nécessaires sont-ils mis en place pour exploiter toutes les potentialités de la DSN en matière de contrôle ?
Par ailleurs, je veux évoquer le défaut de fiabilité des données entrantes fournies par les tiers, notamment pour la branche famille. Quels sont les leviers disponibles pour améliorer la situation ?
Avec les 4,13 milliards d'euros de déficit du régime général, les 740 millions imputés sur l'exercice et les 3,64 milliards de déficit du FSV, on atteint un montant de 8,5 milliards d'euros de déficit, par rapport à l'encaissement de 371 milliards d'euros de produits de l'ACOSS. Au total, peut-on encore dire que le déficit du régime général est de 2,5 milliards d'euros ?
Je veux évoquer l'assurance maladie des frontaliers travaillant en Suisse. Le fait qu'ils soient affiliés à la CMU française depuis trois ans conduit-il à une amélioration des comptes ou à une augmentation des déficits ? Ma question étant très précise, vous pourrez me faire parvenir la réponse !
En 2016 a été mise en oeuvre la loi relative à l'adaptation de la société au vieillissement. Vous vous souvenez certainement des débats sur l'attribution des crédits de la contribution additionnelle de solidarité pour l'autonomie (CASA) au FSV... Les crédits de la CASA sont-ils toujours fléchés sur la CNSA, même s'il y a eu des reports dans la mise en oeuvre de la loi, ou la tentation de refinancer le FSV existe-t-elle toujours?
La branche famille est la seule branche qui procède à une estimation du montant de la fraude - 1,8 milliard d'euros en 2016, contre une évaluation de 1,48 milliard en 2015. Nous avons salué à plusieurs reprises cette initiative, mais il faut souligner que l'estimation repose sur une méthodologie spécifique qui n'est pas aisément reproductible : les visites domiciliaires par des agents assermentés des caisses d'allocations familiales. C'est à partir de ces enquêtes portant sur 7 500 familles d'allocataires qu'il est procédé à une estimation de la fraude. Les autres régimes ne peuvent reproduire cette méthode.
La Cour fait procéder depuis plusieurs années, à la fois pour les prestations en nature et pour les prestations monétaires, à des tests de reliquidation en matière d'assurance maladie. Nous avons constaté que certaines erreurs étaient en faveur des assurés - ce sont des trop-perçus - et d'autres à leur détriment - il s'agit d'insuffisances de versements. Ainsi, pour les prestations en espèces, les indus représentent 53 %, et les rappels en faveur des assurés 47 % des 9,7 % d'anomalies relevées lors des contrôles. La situation n'est donc pas simple. Par ailleurs, on ne peut pas dire que toutes ces anomalies relèvent de la fraude : celle-ci suppose un élément intentionnel, qui n'est pas toujours présent.
S'agissant des majorations de retraite, notamment pour le minimum contributif, il y a effectivement un million de dossiers en attente. Ce chiffre est considérable, et il donne lieu à un provisionnement que nous estimons peu documenté. Il faudrait « interfacer » les systèmes d'information, par une remontée directe des informations qui seraient reprises dans le système de la branche vieillesse. La CNAV a fait des propositions à la direction de la sécurité sociale pour aller en ce sens, créer un comité de pilotage et de suivi... Pour l'instant, d'après nos informations, la direction de la sécurité sociale n'a pas donné suite.
Pour ce qui concerne la déclaration sociale nominative, qui est un réel progrès, je laisse la parole à David Appia.
Nous avons constaté durant les audits de la branche de l'activité du recouvrement une situation grandement améliorée par rapport à la première phase du déploiement du dispositif en 2015. En effet, à cette époque, les taux d'anomalies étaient élevés. L'ACOSS avait fait la même observation que nous.
En revanche, à la suite de la deuxième phase, durant l'été 2016, pendant laquelle 200 000 entreprises sont entrées dans le dispositif, la mobilisation des services de l'activité du recouvrement a été forte. Les taux d'anomalies ont été nettement plus faibles, identiques, voire inférieurs, aux situations observées avant l'entrée en vigueur de la DSN. Les dispositifs de contrôle interne ont donc été mis en oeuvre de façon efficace.
Le sujet reste important. L'ACOSS et les URSSAF nous ont assuré que leur mobilisation resterait forte.
La question de la qualité des données entrantes - les données nécessaires à la liquidation des prestations de sécurité sociale qui sont apportées par d'autres institutions telles que la direction générale des finances publiques, Pôle emploi ou d'autres régimes de sécurité sociale - est absolument majeure. Deux éléments sont de nature à améliorer la situation.
Tout d'abord, il faut que les systèmes d'information puissent dialoguer ensemble, ce qui est loin d'être le cas actuellement. Les systèmes d'information « métiers » des régimes de sécurité sociale, qui datent de la fin des années soixante-dix ou du début des années quatre-vingt, ont beaucoup de peine à évoluer pour accueillir un interfaçage avec des systèmes plus modernes. Tous les régimes de sécurité sociale sont en train de changer leur système de liquidation. Ces investissements considérables devraient conduire à une automatisation de l'intégration des données entrantes ainsi qu'une automatisation de la liquidation. Il s'agit d'enjeux très importants.
Ensuite, les différentes institutions concernées pourraient elles-mêmes déployer des dispositifs de contrôle interne de la qualité des données qui leur sont transmises.
De notre point de vue, ces opérations de contrôle de données mériteraient d'être approfondies dans les institutions concernées, en vue d'améliorer les systèmes de sécurité sociale. C'est là un chantier important.
Le nouvel indicateur de la branche famille, l'indicateur de risques résiduels « données entrantes », montre que l'enjeu est considérable pour cette branche, puisqu'il est de l'ordre de 4 milliards d'euros. Comme nous l'avions souhaité, l'indicateur spécifique permettra une meilleure mobilisation.
Concernant la réalité du solde du régime général de sécurité sociale, les comptes ont été arrêtés : ils sont ce qu'ils sont. Certes, certaines provisions, ainsi que le produit exceptionnel de la CSG, essentiellement au bénéfice de l'assurance maladie, n'auraient pas dû concourir au résultat. Mais la Cour des comptes avait déjà formulé cette observation l'an dernier.
S'agissant des frontaliers travaillant en Suisse, nous ne manquerons pas de nous documenter au mieux pour vous répondre.
Enfin, pour ce qui concerne les crédits de la CASA, nous nous sommes assurés, dans le cadre de notre audit, que la recette était bien recouvrée, mais nous n'avons pas vérifié son affectation.
Nous allons examiner le rapport d'information sur la prise en charge sociale des mineurs isolés étrangers.
Monsieur le président, mes chers collègues, permettez-moi tout d'abord de remercier Jean-Pierre Godefroy : son expérience et son caractère enjoué m'ont permis de vivre agréablement cette première mission !
Vous le savez, notre pays, comme l'Europe dans son ensemble, fait face à l'arrivée massive de migrants venus d'horizons divers, fuyant la guerre ou la misère qui touchent leur pays d'origine. Au sein de cette question migratoire, une problématique particulière prend une ampleur croissante en France : celle des mineurs qui arrivent seuls, ou du moins sans leurs parents, et se retrouvent privés de toute protection sur notre territoire.
Ces jeunes « mineurs isolés étrangers » (MIE) ou, selon la terminologie aujourd'hui retenue, « mineurs non accompagnés » (MNA), font naturellement face à des difficultés particulières, auxquelles il convient de répondre. C'est afin d'évaluer cette réponse et de formuler des propositions de nature à améliorer la prise en charge des MNA que la commission nous a confié l'élaboration de ce rapport d'information.
Depuis le mois de février dernier, nous avons procédé à de très nombreuses auditions d'acteurs associatifs et institutionnels, mais aussi de jeunes directement concernés. Nous nous sommes déplacés à plusieurs reprises en Île-de-France, dans le département de la Manche, dans la région des Hauts-de-France ainsi que dans le département des Alpes-Maritimes, principale porte des migrations, afin de bien apprécier les différents aspects de la problématique des mineurs non accompagnés. Néanmoins, il est nécessaire en cet instant de préciser que notre travail n'a porté que sur la France métropolitaine. La situation dans les départements d'outre-mer, notamment en Guyane et, surtout, à Mayotte, est particulièrement préoccupante et mériterait sans doute un travail spécifique, tant les déterminants des flux migratoires y sont différents de ceux qui sont observés dans l'Hexagone.
Une précision sémantique s'impose de prime abord.
Depuis le début de l'année 2017, le ministère de la justice emploie la dénomination de « mineur non accompagné » en lieu et place de celle de « mineur isolé étranger » ou de « mineur étranger isolé ». Si cette nouvelle appellation, qui reprend les termes utilisés en droit européen, peut avoir le mérite de mettre en avant la minorité plutôt que l'extranéité, elle renvoie strictement au même public, c'est-à-dire les personnes étrangères de moins de dix-huit ans arrivant en France sans leurs parents ou tout autre titulaire de l'autorité parentale.
En droit, ces mineurs entrent dans la catégorie des mineurs « temporairement ou définitivement privés de la protection de leur famille » citée par le code de l'action sociale et des familles et relèvent, à ce titre, de la protection de l'enfance, compétence du département.
La présence en France de mineurs non accompagnés n'est pas nouvelle. Elle a cessé d'être anecdotique à partir de la fin des années quatre-vingt-dix, notamment avec l'arrivée de mineurs venant de pays d'Europe de l'Est. Elle est devenue un phénomène établi au cours des années 2000, suscitant la rédaction d'un rapport de l'Inspection générale des affaires sociales remis en janvier 2005, puis la mission confiée à notre collègue Isabelle Debré, qui a rendu son rapport, toujours d'actualité, en mai 2010. Ces rapports ont permis de mieux identifier la question et ont servi de base à notre travail.
Toutefois, au cours des années 2010, ce phénomène a changé d'échelle et connaît une progression exponentielle. Alors que l'Assemblée des départements de France (ADF) estimait à 4 000 le nombre de MIE pris en charge par les départements en 2010, il était de 13 000 au 31 décembre 2016 et s'élève actuellement à environ 18 000. À ce rythme, le nombre de MIE pourrait atteindre 25 000 d'ici à la fin de l'année, soit une multiplication par deux en l'espace d'un an. Ces chiffres ne tiennent pas compte des personnes en cours d'évaluation de minorité, ni des mineurs qui, souhaitant gagner le Royaume-Uni ou un pays d'Europe du Nord, évitent de se faire repérer par les services sociaux ou les forces de l'ordre.
Alors que la question des MNA ne concernait, il y a quelques années encore, qu'un nombre limité de départements, notamment ceux proches d'une frontière ou disposant d'un aéroport international, l'ensemble du territoire est aujourd'hui touché, y compris des départements ruraux pourtant à l'écart des routes migratoires.
Ces statistiques objectivent ce que beaucoup d'entre nous constatent chez eux, c'est-à-dire la saturation des capacités d'accueil devant l'intensité des flux d'arrivée. Cette saturation obère une partie des efforts déployés par les pouvoirs publics pour faire face au défi que représente la prise en charge des MNA et explique une grande part des difficultés et des dysfonctionnements que nous avons pu constater.
Dans le même temps, la prise en charge des MNA par les départements au titre de la protection de l'enfance représente un coût croissant, alors même que la situation financière des départements est extrêmement tendue.
Bien que la question des MNA, qui sont dans plus de 90 % des cas des garçons, s'inscrive dans un contexte de mouvements migratoires d'une ampleur sans précédent en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale, nos travaux ont montré qu'elle répond à des dynamiques et à des déterminants distincts.
Les statistiques du ministère de la justice montrent que plus de 70 % des MNA pris en charge sont originaires d'Afrique, essentiellement de pays francophones d'Afrique de l'Ouest ou du Nord. À l'inverse, les personnes originaires de Syrie, d'Irak, d'Afghanistan ou de la Corne de l'Afrique, qui représentent la majeure partie des demandeurs d'asile, sont beaucoup moins nombreuses parmi les MNA. Au demeurant, la France n'enregistre qu'un nombre très faible de MNA demandeurs d'asile : 475 sur 77 000 primo-demandeurs en 2016.
Si la diversité des situations individuelles empêche toute généralisation, le phénomène de l'arrivée de plus en plus massive de MNA en France semble davantage s'inscrire dans la logique d'une migration économique, plus ou moins forcée, que résulter des conflits qui marquent certaines zones géographiques et expliquent largement la grande vague migratoire actuelle.
Pour reprendre une typologie établie par la sociologue Angélina Etiemble en 2002, les MNA seraient plus fréquemment des enfants « mandatés » pour apprendre un métier et aider financièrement leur famille que des exilés ou des fugueurs.
De plus, on constate que l'arrivée de ces jeunes est bien souvent organisée, depuis le pays de départ, par des filières que l'on peut parfois qualifier de « criminelles ». Les témoignages des responsables de services de l'aide sociale à l'enfance (ASE) que nous avons recueillis sont à cet égard édifiants : il arrive fréquemment que des jeunes se présentent directement à l'accueil des services départementaux et demandent à voir un éducateur dont on leur a donné le nom, voire décrit l'apparence physique... La lutte contre de telles filières, qui dépasse l'objet de notre rapport et ne relève certainement pas des compétences de notre commission, est donc d'une impérieuse nécessité.
Nos travaux ont permis de dresser un certain nombre de constats et de formuler un certain nombre de préconisations.
Tout d'abord, il convient de souligner que l'ampleur prise, depuis 2014, par un phénomène qui restait jusque-là circonscrit à un nombre réduit de territoires a conduit les pouvoirs publics à développer des réponses spécifiques, parmi lesquelles il convient de citer le dispositif de répartition géographique créé, dans un premier temps, par la circulaire du 31 mai 2013 dite « Taubira », puis inséré dans la loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l'enfant.
Ce mécanisme, qui visait à assurer une certaine péréquation entre des départements inégalement concernés par les arrivées de MNA, ne donne pas pleinement satisfaction. Tout d'abord, alors que tous les départements sont aujourd'hui concernés et voient leurs capacités d'accueil saturées, la recherche d'une péréquation apparaît vaine. Ensuite, dans environ 20 % des cas, la cellule chargée d'orienter les décisions des magistrats n'est pas saisie. Enfin et surtout, la clé de répartition ne tient compte que du nombre de mineurs confiés l'année précédente par décision judiciaire et ne comptabilise pas les mineurs en cours d'évaluation pris en charge par les départements.
À titre d'illustration, le département des Alpes-Maritimes, qui est, de par sa position géographique, fortement concerné par les flux migratoires, continue d'accueillir des mineurs réorientés depuis d'autres départements. Une révision du mode de fonctionnement de ce mécanisme semble donc nécessaire.
Il convient ici de rappeler que les mineurs pris en charge à la suite des évacuations de campements sauvages, hébergés dans les centres d'accueil et d'orientation pour mineurs, les CAOMIE, n'entrent pas dans ce dispositif de péréquation. Si ces centres ont pu bénéficier d'une forte médiatisation liée à celle qui a entouré les opérations d'évacuation, ils ne concentrent en fait qu'une faible part du total des MNA. Au demeurant, les CAOMIE, solution d'urgence conçue pour être temporaire, sont en passe d'être tous fermés.
Des textes ont également été récemment publiés pour tenter de mieux organiser la période de mise à l'abri et d'évaluation des personnes se présentant comme des MNA, notamment un décret du 24 juin 2016 et un arrêté du 17 novembre 2016 fixant un référentiel national. De l'avis des acteurs associatifs et institutionnels que nous avons rencontrés, ces textes posent un cadre qui pourrait être satisfaisant s'il était respecté à la lettre, ce qui s'avère difficile en raison de l'embolie des dispositifs.
En principe, le conseil départemental a l'obligation d'organiser la mise à l'abri de toute personne se disant mineure et isolée qui se présente ou est présentée à ses services, afin de procéder à une évaluation de sa situation.
Cette phase de mise à l'abri est l'occasion d'une première série de dysfonctionnements. Il arrive en effet encore trop souvent que des jeunes soient hébergés à l'hôtel dans des conditions ne permettant pas un suivi éducatif et les exposant à de nombreux risques. Le département de la Haute-Garonne a ainsi été récemment condamné par le juge administratif, qui lui a enjoint d'assurer des conditions d'hébergement plus satisfaisantes. Il arrive même que des jeunes soient laissés à la rue alors que les textes prévoient leur mise à l'abri immédiate. Ces situations sont choquantes et sont régulièrement dénoncées à juste titre par des acteurs associatifs ou par le Défenseur des droits.
Toutefois, l'obligation faite aux départements de mettre à l'abri de manière inconditionnelle toute personne se disant mineure se heurte à la réalité de l'augmentation continuelle des flux d'arrivées.
De plus, les départements sont confrontés à un nombre important de personnes se déclarant mineures alors qu'elles sont en fait bel et bien majeures. Le principal objet de l'évaluation est donc de déterminer la réalité de l'âge allégué par le jeune. Or il n'existe pas de moyen irréfutable de vérifier la minorité d'une personne et les documents d'état civil des pays d'origine sont délivrés dans des conditions ne permettant pas de s'assurer de leur fiabilité et sont généralement aisément falsifiables, ainsi que nous l'ont confirmé les diplomates congolais et guinéens que nous avons pu rencontrer.
Les évaluateurs sont donc conduits à apprécier la réalité de la minorité des jeunes qu'ils ont en face d'eux à partir d'un faisceau d'éléments peu objectivables, ce qui ouvre la voie à des critiques, parfois justifiées, des associations.
Premièrement, il convient d'apprécier la véracité du récit fait par des jeunes souvent traumatisés par les épreuves du voyage, ce qui nécessite des compétences pluridisciplinaires dont ne disposent pas nécessairement les professionnels de la protection de l'enfance. Nous proposons à ce sujet d'améliorer les formations délivrées aux évaluateurs, en lien avec des organismes plus habitués à ce genre de démarche, comme l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA). Néanmoins, un récit appris par coeur auprès de passeurs, fût-il lacunaire, voire incohérent, ne permet pas à lui seul d'écarter la minorité alléguée.
Deuxièmement, s'agissant des tests de maturité osseuse, dont la fiabilité est sujette à controverse, nous rappelons que leur usage a été encadré par la loi du 14 mars 2016. S'il est désormais précisé que ces tests ne peuvent être pratiqués que sur demande de l'autorité judiciaire et avec l'accord de l'intéressé, la rédaction de l'article 388 du code civil continue de poser un certain nombre de difficultés.
Même si le doute doit profiter à l'intéressé, il est aisé d'imaginer que le refus de se soumettre à un tel test peut être interprété, même de manière non formalisée, comme un aveu de majorité. En outre, cet article exclut tout examen des caractères de développement pubertaire, y compris secondaires, ce qui suppose que les évaluateurs fassent totalement abstraction de l'apparence physique du jeune évalué, de sa pilosité ou de sa musculature notamment. Nous ne proposons toutefois pas de faire évoluer les dispositions législatives adoptées voilà à peine plus d'un an.
Par ailleurs, il convient d'évoquer le coût financier supporté par les départements au titre de l'évaluation et de la mise à l'abri.
L'accord trouvé par les départements et l'État en 2013, formalisé dans les textes récents, prévoit la couverture par l'État du coût de cette évaluation dans une limite de cinq jours et à raison de 250 euros par jour. Ce montant forfaitaire apparaît bien souvent inférieur au coût réellement supporté par les départements, la durée de l'évaluation dépassant bien souvent très largement cinq jours, notamment en raison des délais nécessaires aux expertises médicales ou à l'obtention d'une expertise documentaire par les services de l'État.
Selon les estimations de l'ADF, les départements auraient assumé en 2016 une dépense de 155 millions d'euros au titre de la phase d'évaluation, dont 16,5 millions, soit 10,6 %, ont été couverts par la participation de l'État. Si la prise en charge des mineurs en danger relève de la compétence des départements au titre de la protection de l'enfance, il ne nous paraît pas justifié que ces derniers supportent une telle charge au titre de l'évaluation de jeunes dont la plupart se révèlent être majeurs, d'autant que leur arrivée en France résulte d'une carence de l'État dans la maîtrise des flux migratoires, qui est de sa compétence.
Enfin, l'évaluation faite par le service de l'ASE peut être remise en cause. Il peut en effet arriver qu'un département décide de réévaluer la situation d'un jeune qui lui a été confié par décision de justice à la suite de son évaluation dans un autre département. Ce type de situation, particulièrement regrettable, résulte d'un manque de confiance entre les départements et semble devoir être éliminé à mesure que les départements développent une réelle expertise en matière d'évaluation.
À l'inverse, il arrive souvent que des jeunes, généralement avec l'appui d'associations militantes, forment différents recours contre des décisions administratives ou juridictionnelles défavorables. La situation de ceux qu'on appelle les « mijeurs », qui n'ont accès ni aux dispositifs de l'ASE ni aux structures pour majeurs, est alors particulièrement précaire : elle l'est d' autant plus à un âge où le délai de quelques mois peut entraîner l'accès à la majorité. À cet égard, il est souhaitable qu'un certain nombre de règles juridiques, notamment relatives à la détermination de l'état civil, soient clarifiées.
L'ensemble de ces constats nous amène à préconiser une évolution de l'organisation de l'évaluation des personnes se présentant comme MNA afin de mutualiser les moyens mis en oeuvre par les départements et de renforcer la participation des services de l'État.
Cette mutualisation que nous appelons de nos voeux pourrait se faire, à droit constant, par le biais de conventions conclues par plusieurs départements, en partenariat avec les préfets de département et de région.
Une solution plus ambitieuse, qui nécessiterait une évolution du droit, consisterait en la mise en place de plateformes d'évaluation, par exemple sous la forme de groupements d'intérêt public, rassemblant l'ensemble des acteurs concernés. Toute personne se présentant comme MNA serait alors orientée vers une telle structure disposant des moyens humains et financiers et de l'expertise technique nécessaires pour procéder à une évaluation appropriée. À l'issue de cette évaluation, le juge serait, le cas échéant, saisi pour prendre une décision de placement.
Une telle solution ne remet pas en cause la compétence des départements pour la prise en charge des MNA, mais allégerait substantiellement la charge qu'ils supportent tout en créant les conditions d'une réelle amélioration qualitative de cette évaluation.
Si la phase d'évaluation cristallise une part importante des critiques, la prise en charge dans les structures de la protection de l'enfance, une fois la minorité et l'isolement établis, continue de poser un certain nombre de problèmes. Ces difficultés sont financières et humaines, dans le contexte de tension des finances publiques locales que nous connaissons tous.
Un autre défi, pour les conseils départementaux, concerne l'exercice de la tutelle des MNA, qui relève du juge aux affaires familiales et non du juge des enfants, lequel décide de la mesure d'assistance éducative. Dans la mesure où les MNA sont durablement privés de l'assistance des titulaires de l'autorité parentale, une mesure de tutelle semble s'imposer. Or nous avons pu constater que de nombreux MNA confiés à l'ASE ne font pas l'objet d'une telle mesure, ce qui peut les pénaliser dans l'ensemble des actes, notamment médicaux, qui nécessitent l'accord du titulaire de l'autorité parentale. S'il n'apparaît pas pertinent de rendre obligatoire la désignation d'un tuteur, notamment pour les MNA entrant dans le dispositif de l'ASE peu avant leur majorité, il serait souhaitable que les offices respectifs du juge des enfants et du juge des tutelles s'articulent mieux. Cette question avait déjà été soulevée par Isabelle Debré dans son rapport.
Une fois admis à l'ASE, les MNA ne se distinguent pas juridiquement des autres mineurs bénéficiant d'une protection. Toutefois, compte tenu de leur âge et de leur maturité, la réponse éducative et les conditions de leur hébergement ne peuvent être les mêmes que pour les publics traditionnels de l'ASE. Pour autant, favoriser le développement de leur autonomie et leur insertion rapide dans la société ne peut se faire au détriment d'un encadrement soucieux de leur intégration et surtout attentif aux manifestations tardives des traumatismes et phénomènes de « décompensation » auxquels leur passé les rend sujets. Il ne saurait être question de laisser se développer une prise en charge au rabais.
Des solutions différenciées sont développées sur le territoire, et nous ne souhaitons pas que la libre administration des départements en la matière soit remise en cause. Un recensement et une diffusion des bonnes pratiques pourront néanmoins s'avérer souhaitables.
Enfin, dernière étape du parcours des MNA mais non la moindre, il convient de soigneusement préparer leur accès à la majorité, en favorisant une insertion professionnelle rapide et en entreprenant suffisamment à l'avance les démarches nécessaires à l'obtention d'un titre de séjour. À cet égard, si une évolution des règles relatives au séjour est sujette à polémique du fait des effets pervers qu'elle pourrait avoir, des lignes directrices claires et des consignes de bienveillance, pour le cas particulier des MNA, pourraient être données aux préfectures.
Au cours de nos travaux, nous avons pu constater les passions que soulève la question des mineurs non accompagnés, comme toujours lorsqu'il s'agit d'enfants en danger. Si de nombreuses améliorations doivent être apportées en matière de prise en charge sociale des mineurs non accompagnés, les critiques formulées par certains acteurs associatifs et militants ne semblent pas toujours tenir compte de la réalité des efforts déployés par les acteurs de terrain qui font face à la saturation des dispositifs d'accueil. Les associations souhaitent que les mineurs soient pris en charge dans de bonnes conditions, demande à laquelle je souscris, mais les acteurs de terrain oeuvrent avec les moyens dont ils disposent. Ils se montrent bien souvent très imaginatifs pour accueillir les mineurs. Il convient d'essayer de gommer le conflit né entre ces deux univers, car la situation est dommageable pour le mineur concerné.
Au-delà des moyens supplémentaires qui doivent être alloués pour mettre en oeuvre une prise en charge digne et de l'évolution des pratiques et des méthodes qui semble engagée, une réelle amélioration de la situation préoccupante que nous connaissons suppose que l'État ne se défausse pas sur les départements des responsabilités qui lui incombent en matière de maîtrise des flux migratoires.
Permettez-moi d'apporter une précision. La question des flux migratoires fait parfois polémique. La France a rétabli des contrôles aux frontières depuis le 13 novembre 2017 pour une période de deux ans, comme le permet le code frontières Schengen. Dans les Alpes-Maritimes, en 2016, plus de 30 000 migrants, me semble-t-il, ont été renvoyés vers l'Italie. Aujourd'hui, même si les barrières douanières n'ont pas été rétablies, des contrôles fixes et aléatoires sont réalisés aux frontières. Mais qu'en sera-t-il après le 13 novembre 2017 ? Il convient d'alerter le Gouvernement sur ce point.
Je félicite les rapporteurs. Les difficultés que nous rencontrons sur le terrain sont très bien évoquées dans leur rapport.
Permettez-moi quelques observations.
Dans mon département, 80 % des personnes se présentant comme mineurs non accompagnés se révèlent, au terme d'une procédure d'évaluation de deux mois ou deux mois et demi du fait de la saturation de la police aux frontières, être en fait majeurs. Une telle situation nous interpelle.
Compte tenu de l'afflux constant de migrants et malgré la mobilisation de moyens importants pour les mettre à l'abri et les héberger au mieux, nous n'arrivons pas à faire face. Les difficultés de prise en charge que rencontrent les départements sont énormes.
La police aux frontières est saturée. Les documents qu'elle contrôle sont parfois de vrais passeports élaborés dans les ambassades, mais établis à partir de faux papiers, d'où la complexité du dispositif et la longueur de l'instruction par la PAF.
J'ai mis en place dans mon département une équipe d'évaluateurs, selon les modalités recommandées par le ministère de la justice. D'autres départements, qui n'ont pas mis en oeuvre la même procédure, admettent directement les mineurs sans réaliser au préalable d'évaluation rigoureuse. Quand une procédure d'évaluation poussée, donc longue, est mise en oeuvre, durant la durée de l'évaluation, l'intéressé n'est pas comptabilisé au titre du mécanisme de répartition et le département continue à recevoir d'autres mineurs réorientés par les juges.
Il faut par conséquent trouver une solution - peut-être en créant des plateformes d'évaluation sous la forme de groupements d'intérêt public -, car un problème de responsabilité se pose. L'incertitude sur son âge réel est déjà préjudiciable au mineur, puisqu'elle renforce la situation d'instabilité dans laquelle il est placé, mais elle l'est aussi aux équipes départementales, qui se retrouvent en porte à faux.
J'ai moi-même été confronté, dans la Marne, à un drame lorsqu'un mineur étranger s'est défenestré. Les associations incitent à un jugement hâtif et émettent un certain nombre de soupçons qui peuvent conduire à mettre en cause certaines responsabilités. Dans ce cas, une enquête approfondie a montré que le département n'était pas responsable et que le jeune en question était, en fait, majeur. Les conditions d'accueil peuvent bien sûr toujours être améliorées, mais on ne peut pas leur imputer des drames comme celui qui s'est produit dans mon département.
Il n'en reste pas moins que cette période d'évaluation est véritablement difficile à vivre pour l'ensemble des acteurs concernés et il importe de trouver des solutions.
Merci, mes chers collègues, pour ce rapport, qui nous permet de constater que, loin de s'être améliorée, la situation a empiré.
S'agissant de Mayotte, j'ai déjà dit qu'on était assis sur une bombe sociale à retardement. Si on ne fait rien, la bombe va finir par exploser !
En 2013, ainsi que je l'avais préconisé, une plateforme interministérielle confiée à la protection judiciaire de la jeunesse, placée sous l'autorité de Laurence Vagnier et visant à coordonner les actions concernant les mineurs isolés étrangers devait voir le jour. On a effectivement trop tendance à dire que le problème des mineurs isolés dépend de la protection de l'enfance. Or il relève également de la justice, de l'intérieur, des affaires étrangères. Il est indispensable de développer cet aspect interministériel.
Il faudrait également travailler au niveau européen, en lien avec les pays d'où arrivent les mineurs isolés étrangers.
Enfin, j'avais demandé que soit créé, au sein du Fonds national de financement de la protection de l'enfance, un fonds d'intervention destiné aux départements, lesquels ne peuvent plus assumer une telle charge. Lorsque Mme Taubira avait dit qu'on allait placer certains mineurs isolés étrangers dans tel ou tel département, j'avais souligné que cela ne fonctionnerait pas parce que les jeunes se regroupent et qu'ils quitteraient leur département d'affectation pour rejoindre leurs copains dans un autre département.
Donc, il y a un problème financier, un problème de coopération avec les pays d'origine de ces jeunes et, surtout, il faut travailler à l'échelon européen.
Je remercie nos collègues rapporteurs du tour de France qu'ils ont effectué et qui confirme le constat que nous faisons dans nos départements.
Ainsi, dans les Deux-Sèvres, on observe une augmentation importante des flux et des prises en charge.
Vous soulignez à juste titre dans votre rapport que les capacités d'hébergement sont saturées. Les départements font pourtant preuve de bonne volonté. Ils ont déjà dû répondre à la nécessité de créer des centres d'accueil et d'orientation, les CAO. Cela signifie que doivent être mises à disposition des structures d'accueil, des résidences sociales pour jeunes, mais une proportion importante des jeunes qui arrivent se trouvent placés dans des hôtels. Aujourd'hui, dans les Deux-Sèvres, sur 181 jeunes suivis, 104 sont hébergés dans des hôtels. Cela pose des problèmes de suivi et d'accompagnement.
Je pense aussi qu'il faut revoir la clé de répartition, qui n'est pas équitable. Nous parlons aujourd'hui des mineurs isolés, mais le problème se pose pour tous les migrants : dès lors qu'il existe dans un département un hôtel bon marché de 92 places, on voit arriver 92 personnes. C'est une situation que nous vivrons dans les Deux-Sèvres le 1er juillet prochain. Cela pose des problèmes de suivi et d'écoute. Lorsqu'un département a été généreux et a accueilli tous les CAO, certains ont vite fait de l'oublier et instrumentalisent la bonne volonté des associations locales.
Je terminerai en insistant, comme l'ont fait nos rapporteurs, sur l'important problème que constitue la procédure d'évaluation et de mise à l'abri. Les départements ont l'obligation d'accueillir toute personne mineure. Le coût de l'évaluation et de la mise à l'abri est couvert durant cinq jours par l'État, mais, au-delà, qui doit prendre le relais ? Dans certains départements, notamment le mien, il n'y a pas de lien avec le parquet, qui ne saisit pas la cellule nationale pour les orientations. Heureusement, nous entretenons de bonnes relations avec les juges des enfants. Grâce à eux, on arrive à faire aboutir certaines mesures, certaines orientations.
Je conclurai sur l'impact financier de cette prise en charge pour les collectivités. L'ADF a réalisé des estimations, mais il faut bien prendre la mesure des budgets nécessaires au fonctionnement de ces structures, notamment en termes de moyens humains.
Je m'associe également aux félicitations adressées aux rapporteurs, qui ont su synthétiser, à partir d'un grand nombre d'informations très diffuses, les enjeux de la problématique.
Je souscris aux propos qui ont été formulés sur les problèmes de répartition.
Je tiens surtout à insister sur le manque de dialogue entre les différentes structures tout au long du processus, ainsi que sur l'absence d'anticipation. C'est un point essentiel au regard de la complexité des sujets. Aujourd'hui, il n'est question que de gestion des places d'hébergement et tout ce qui concerne l'accompagnement social devient secondaire. L'hébergement reste la priorité, mais si on veut vraiment que la prise en charge soit une réussite, tout le processus prévu dans les textes doit s'enclencher. Or, dans la réalité, à aucun moment cette question n'est évoquée.
D'une façon générale, les flux migratoires auxquels nous devons faire face vont s'accroître et il s'agit avant tout de se préoccuper de ce qui se passe dans les pays d'origine des migrants : c'est la meilleure façon de limiter les difficultés.
Pour connaître un certain nombre d'ONG en Afrique de l'Ouest, je sais que l'immigration vers l'Europe en vue de s'y forger un destin apparaît, pour des raisons économiques, comme une solution soit pour le jeune, soit pour l'ensemble de la famille. C'est pourquoi, dans tous les cas, la prise en charge ne doit pas se limiter à la seule problématique des répartitions.
J'avais soulevé la question de l'adoption devant le Conseil national de la protection de l'enfance. Cette perspective ne figure pas dans les solutions esquissées par votre rapport. Est-ce volontaire, du fait d'une trop grande complexité, ou est-ce une solution pour des mineurs dont on sait qu'ils ne retourneront vraisemblablement jamais dans leur pays ?
Je voudrais saluer ce rapport positif, notamment en ce qu'il préconise une mutualisation renforcée et un engagement plus fort de l'État, qui ne doit pas se défausser sur les départements des responsabilités qui lui incombent en matière de flux migratoires.
J'aborderai la situation spécifique de Calais, désastreuse sur le plan humanitaire. Les mineurs à la rue n'ont pas accès à l'eau potable et n'ont nulle part où se reposer, comme l'a souligné le Défenseur des droits. La question de la création d'un centre d'accueil sur site se pose donc, afin de mettre à l'abri et en sécurité ces mineurs isolés, mais aussi pour organiser leur passage légal au Royaume-Uni à des fins de regroupement familial, plusieurs centaines d'entre eux ayant été accueillis lors du démantèlement de la jungle de Calais au titre des règles dites de Dublin II. Il importe que l'État intensifie ses efforts diplomatiques à l'égard du Royaume-Uni pour sortir de cette situation.
Ma première remarque portera également sur Calais. Les mineurs isolés y sont très largement repérés par les services sociaux mais n'ont qu'un seul but : aller en Angleterre. Ils repartent donc dès qu'ils sont placés et l'on ne peut les contraindre à rester. C'est une vraie difficulté pour le conseil départemental du Pas-de-Calais, qui s'investit de façon extraordinaire sur ces questions. La gestion de ces personnes semble inhumaine, alors même que beaucoup est fait.
Ma deuxième remarque concerne les tests de maturité osseuse, dont les résultats sont aléatoires et scientifiquement discutés. Le sujet mériterait donc d'être remis sur la table.
Je me réjouis que la question des mineurs isolés fasse l'objet d'un rapport spécifique. Chacun peut attester du nombre croissant de cas dans son département, et les chiffres sont évidemment à la hausse compte tenu de l'exode provoqué par la misère, les guerres et le changement climatique.
S'agissant de l'évaluation, les propositions que vous faites concernant une mutualisation entre les services de l'État doivent être creusées, sans méconnaître la difficulté de travailler de manière transversale en France.
Je reste un peu sur ma faim, en revanche, en termes de perspectives et de prise en charge. Vous évoquez la nécessité de prendre en charge différemment les mineurs non accompagnés, en achoppant rapidement sur la question des moyens. Sans minimiser les problèmes financiers des départements, ce n'est pas ainsi que l'on se donnera les moyens d'évoluer. Des expérimentations menées dans certains départements pourraient être reprises. Je pense, par exemple, au réseau de familles citoyennes et solidaires accueillant des mineurs non accompagnés à temps plein ou à temps partiel en Loire-Atlantique. Ces initiatives témoignent du dynamisme et du « vivre ensemble » qui peut se développer sur des territoires urbains, mais aussi ruraux.
Je pense également à la mise en place, au niveau départemental, de la prévention spécialisée, au titre de la protection de l'enfance et à son articulation avec la protection judiciaire de la jeunesse. Des expériences gagneraient, là encore, à être étudiées et étendues.
Je félicite à mon tour les rapporteurs.
Le rapport fait état de critiques concernant l'organisation de la répartition. Il se trouve que j'animais le groupe de travail au ministère de la justice au moment de sa mise en place. Nous avons d'ailleurs suivi un certain nombre de préceptes exposés par Mme Debré.
Les mineurs isolés demandent rarement le statut de réfugié. Ils n'y ont aucun intérêt, étant obligatoirement pris en charge par les départements au titre de leur minorité. Ainsi le département d'Ille-et-Vilaine dépense 130 euros par jour et par mineur, quelle que soit l'origine de celui-ci, soit un budget de 21 millions d'euros pour 450 enfants. C'est dire que l'aspect financier n'est pas sans importance, même si ce n'est pas le seul qui doive nous guider.
Un certain nombre de départements ont mis en place des moyens d'évaluation éprouvés, donnant d'excellents résultats, à partir d'une grille élaborée par le ministère. Aujourd'hui, sur dix jeunes qui se présentent dans le département d'Ille-et-Vilaine, huit sont reconnus majeurs. C'était déjà le cas lorsque le procureur était chargé de faire cette évaluation, mais le juge aux affaires familiales considérait ensuite que tous, ou presque, relevaient de la prise en charge départementale. Ces mineurs sont considérés comme isolés, mais c'était le juge aux affaires familiales qui traitait de leur situation, et non le juge des enfants : vous relevez le paradoxe. Le juge aux affaires familiales, mû par une sorte de compassion qui ne lui coûtait rien, faisait supporter aux départements la prise en charge de jeunes qui ne relevaient pas de leur responsabilité.
L'idée d'une plateforme est intéressante. La couverture par l'État du coût de l'évaluation, dans une limite de cinq jours et à raison de 250 euros par jour, est parfois insuffisante, mais elle constitue la reconnaissance par l'État de sa responsabilité en matière de politique d'immigration et en tant que signataire de la Convention internationale des droits de l'enfant.
Le sujet est multifactoriel et intéresse plusieurs ministères. Deux conditions doivent être réunies pour une prise en charge par les départements.
La première est la minorité. La marge d'erreur pour les tests osseux a été évaluée à dix-huit mois. Il peut donc y avoir une présomption de minorité dès lors que l'âge évalué ne dépasse pas vingt ans. Ces tests sont simplement un moyen supplémentaire de vérification lorsque le récit n'a pas permis de déterminer la minorité.
La seconde condition est l'isolement qui n'est la plupart du temps pas vérifié. Il n'est pas rare que de jeunes mineurs refusent d'être accueillis dans d'autres départements parce qu'ils ont des attaches dans celui où ils se trouvent.
Les jeunes étrangers qui ont fait l'objet d'un contrat jeune majeur de 18 à 21 ans ont été formés, aux frais du département, à des métiers recherchés sur le marché du travail, mais ne sont pas autorisés à travailler car ils ne détiennent pas de titre de séjour. Ils pourraient pourtant ainsi subvenir à leurs besoins, ce qui soulagerait les départements.
Nous nous accordons tous sur la nécessaire intensification du démantèlement des filières. Certains jeunes arrivent légalement, munis de papiers et de visas en bonne et due forme. La plupart du temps, ces papiers, parfaitement imités ou en règle, sont distribués par les personnels locaux des consulats. Il faudra essayer d'y remédier.
Le rapport relève le coût de la phase d'évaluation pour les départements. Or, les coûts les plus importants, pour les départements, sont ceux liés à la prise en charge des mineurs au titre de l'aide sociale à l'enfance, qui s'élèvent à 21 millions d'euros dans mon département.
Il convient par conséquent de chercher à tarir la source, d'être plus vigilants sur la vérification du critère de minorité et d'aider les départements en permettant une répartition harmonieuse.
Je voudrais moi aussi remercier les deux rapporteurs : ils ont bien décrit la situation et trouvé un juste équilibre entre les critiques et les préconisations.
Premièrement, sans rien retirer aux compétences des départements, il me semble important qu'une structure permette d'échanger, de façon plus institutionnelle qu'aujourd'hui, sur les bonnes pratiques des uns et des autres.
Deuxièmement, la façon dont vous posez la question de l'évaluation, avec cette piste « ambitieuse » de la création d'une plateforme régionale, me semble intéressante. Il serait en effet positif que cette évaluation soit réalisée par des professionnels, dans le cadre d'un service public sécurisé, ce qui permettrait aussi d'alléger la charge des départements.
Troisièmement, on ne peut pas parler de la prise en charge des mineurs non accompagnés sans aborder la gestion globale des flux migratoires. Or les manquements de l'État français en la matière sont gravissimes, et ils empirent année après année.
Enfin, quatrièmement, personne ici ne mésestime les efforts des départements, mais reconnaissons qu'il n'est pas satisfaisant d'accueillir les mineurs, même allégués, dans des hôtels. Cela fait écho à la problématique générale des hébergements d'urgence, à laquelle le législateur devrait réfléchir plus sérieusement.
Les jeunes migrants ont des parcours terrifiants, leurs traumatismes sont considérables et ceux-ci peuvent se révéler après un temps de sidération assez long. Nous avons donc besoin de professionnels hautement qualifiés.
Prenons garde aux signes extérieurs de majorité. Avec les pesticides et la pollution de l'environnement, on assiste partout à une multiplication des pubertés précoces. J'en profite pour rappeler l'opposition ferme de mon groupe aux tests osseux, lesquels sont remis en cause par un certain nombre de professionnels.
Je m'inscris tout d'abord en faux contre l'affirmation de M. Tourenne : s'il est parfois très difficile pour les consulats de délivrer un visa pour des personnes nées dans des pays où l'état civil est défaillant, comme à Madagascar, ce sont en revanche forcément des personnes de nationalité française qui délivrent les visas, et elles font leur travail très sérieusement.
Ensuite, le trafic d'êtres humains s'apparente à un business, comme le trafic d'armes ou de drogues. L'augmentation régulière du nombre de mineurs non accompagnés démontre l'intérêt du « produit ».
Enfin, je reviens de Turquie, pays qui accueille plus de 3 millions de réfugiés syriens, 90% d'entre eux étant répartis parmi la population. J'ai pu visiter un centre pour femmes et jeunes filles, et j'ai été impressionné par la qualité de l'accueil qui leur est réservé. Ils ont aussi des centres destinés à accueillir spécialement les orphelins. Nous pourrions nous inspirer de l'expérience de ce pays, qui accueille dignement des réfugiés à grande échelle.
Par ailleurs, la gestion se fait au niveau départemental alors qu'elle devrait relever du niveau national, mais aussi du niveau européen.
En effet, le sujet doit également être traité au niveau européen. Je le constate particulièrement dans mon département du Haut-Rhin, frontalier de la Suisse et de l'Allemagne.
Avez-vous également interrogé l'Association des maires de France pour savoir comment les maires sont formés à cette problématique des mineurs étrangers isolés ? Il me semble en effet que, au-delà du travail effectué par les départements et les associations, le maillage n'est pas parfait.
Enfin, que deviennent les jeunes migrants que l'on retrouve dans la rue et qui n'ont ni acte de naissance ni nom ?
Je souligne à mon tour la qualité de votre travail, mes chers collègues.
Vous pointez, notamment, la carence de l'État dans la maîtrise des flux migratoires. Mais pensez-vous sincèrement que, dans le monde actuel, et en restant dans un cadre démocratique et humaniste, ces flux peuvent être réellement maîtrisés ?
Je vous remercie de l'intérêt que vous portez à ce sujet important des mineurs étrangers isolés, qui n'avait pas encore été abordé en tant que tel dans le contexte migratoire actuel. J'espère que cet avant-propos vous conduira à autoriser la publication du rapport, bien entendu, mais qu'il vous donnera aussi envie de le lire en intégralité.
Sur ce sujet très difficile, nous avons essayé, sans tabou et sans provocation, de décrire la réalité avec objectivité et impartialité, de l'analyser et de proposer quelques pistes d'amélioration.
Je vais maintenant m'efforcer d'apporter quelques réponses à vos nombreuses questions.
On a bien senti que les présidents ou les anciens présidents de département avaient à coeur de trouver une réponse à ce problème, même si, face aux flux importants de jeunes migrants, il est difficile de faire autre chose que répondre à l'urgence.
Nous avons été témoins d'expériences très positives menées dans certains départements pour proposer des activités à ces jeunes, notamment en Loire-Atlantique. Toutefois, avec l'augmentation des flux, la question de la saturation de ces activités se pose assez vite. Il existe aussi plusieurs outils, comme le référentiel, mais tous les départements ne les utilisent pas.
Entre le flux et le stock, tout le monde est aujourd'hui débordé. Le groupe de travail mis en place voilà quelques années par Christiane Taubira a apporté des réponses satisfaisantes à l'époque, mais elles ne suffisent plus aujourd'hui au regard du nombre de mineurs à prendre en charge. C'est pourquoi nous appelons aujourd'hui à revoir le dispositif de répartition.
Pour répondre à M. Morisset, la difficulté tient au fait que le dispositif de distribution entre départements ne prend en compte que les mineurs évalués, pas ceux qui sont en cours d'évaluation. Or la mise à l'abri coûte 155 millions d'euros, la prise en charge au titre de l'aide sociale à l'enfance 695 millions d'euros et les « contrats jeune majeur » 150 millions d'euros. Il est donc difficile pour les départements, déjà en difficulté en raison des charges d'action sociale qui leur incombent, de proposer ces contrats.
La plateforme interministérielle constitue la réponse aux préconisations contenues dans votre rapport, Madame Debré. Mais nous sommes également favorables à une coordination des acteurs publics - conseil départemental, préfecture, éducation nationale, magistrats. Les décisions du conseil départemental et les jugements rendus par le juge des enfants sont parfois contradictoires, et une harmonisation serait souhaitable.
Dans certains départements, comme celui de la Manche, une cellule regroupe déjà ces différents acteurs à des fins de coordination.
Se pose décidément la question de la répartition entre départements. En 2013, une circulaire a été partiellement invalidée par le Conseil d'État parce qu'elle ne prenait pas suffisamment en compte l'intérêt de l'enfant. Un nouveau dispositif est en vigueur depuis 2016 : avons-nous suffisamment d'éléments pour savoir s'il fonctionne ?
Madame Cohen, si l'on observe parfois des pubertés précoces, le phénomène inverse est également constaté, notamment en raison de la malnutrition. Il est donc très difficile de déterminer l'âge exact d'une personne. Quoi qu'il en soit, on ne se fonde plus uniquement sur les tests osseux aujourd'hui, mais sur un protocole d'ensemble. L'État devrait assumer ses responsabilités et le déployer dans tous les départements.
Je me permets d'insister une nouvelle fois sur le caractère indispensable de cette plateforme interministérielle et je voudrais rendre un hommage très appuyé aux associations, qui accomplissent un travail extraordinaire.
Il est impératif que le ministère des affaires étrangères, en lien avec nos partenaires européens, travaille sur les filières de passeurs - nous entendons parfois des témoignages effroyables sur l'exploitation en France de mineurs étrangers, notamment de jeunes Nigérianes contraintes de se prostituer.
Enfin, attention à Mayotte : la situation était déjà effroyable en 2010, elle est encore pire aujourd'hui...
Nous avons en effet souvent été confrontés à une grande détresse : celle des jeunes, des services sociaux, des départements et des juridictions. Nous avons voulu, dans le rapport, mettre en avant les marges de progression par rapport aux bonnes pratiques, et avancer des propositions qui pourraient très rapidement améliorer la prise en charge.
Pour éviter une compassion trop sélective, il faut savoir que les jeunes mineurs étrangers qui se présentent auprès des services du département doivent être accueillis dans l'heure. Et comme le nombre de places disponibles est souvent insuffisant, il arrive parfois que des jeunes du département placés par décision de justice voient leur admission différée, alors même qu'ils ont pu, eux aussi, être victimes de maltraitances. C'est une difficulté supplémentaire pour les départements.
J'approuve la dernière remarque de Jean-Louis Tourenne : cette « concurrence » risque de créer des conflits sociaux et d'avoir des conséquences dramatiques.
Pour répondre à Isabelle Debré, nous proposons de créer une plateforme, non pas nationale, mais régionalisée. Nous pensons aussi que l'évaluation devrait être concentrée au sein d'une structure interdépartementale ou régionale. Je souhaiterais ajouter un dernier mot sur l'évaluation. Aujourd'hui, lorsqu'un jeune se présente dans un département, qu'il est évalué mineur, mais qu'il n'y a pas de place pour l'accueillir, la cellule d'orientation va l'envoyer dans un autre département. Il arrive alors que ce dernier refasse l'évaluation et le jeune peut être cette fois considéré comme majeur. Il est dès lors renvoyé dans le département d'origine qui peut se voir saisi en justice pour obtenir réparation des dépenses engagées pour l'accueillir... Il me semble que l'évaluation doit être effectuée sérieusement, mais ne doit avoir lieu qu'une seule fois. De plus, on ne devrait pas pouvoir revenir sur un jugement supplétif d'état civil.
Mes chers collègues, autorisez-vous la publication du rapport ?
La publication du rapport est autorisée.
Nous entendons maintenant une communication de Mmes Agnès Canayer et Anne Émery-Dumas sur la lutte contre la fraude aux prestations sociales.
Au cours de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2016, en réponse à une demande de rapport au Parlement sur la lutte contre le travail dissimulé formulée au travers d'un amendement de notre collègue Pascale Gruny, le rapporteur général, Jean-Marie Vanlerenberghe, a suggéré que la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (MECSS) se saisisse de cette question.
Désignées comme rapporteurs, nous avons présenté, il y a un an, une communication sur la lutte contre la fraude aux cotisations sociales. À l'issue de cette présentation, notre collègue Jean-Noël Cardoux, président de la MECSS, a souhaité que ce travail soit complété par un volet consacré à la lutte contre la fraude aux prestations sociales, ce que nous avons accepté ; nous vous le présentons aujourd'hui.
Nous avons souhaité définir strictement notre champ d'investigation : à la différence de la lutte contre le travail dissimulé, qui constitue une politique structurée aux acteurs limitativement définis, la lutte contre la fraude aux prestations sociales est aussi composite que ces prestations elles-mêmes. Notons par exemple que plus de vingt prestations différentes sont servies par la seule branche famille.
Intervenant dans le champ de la MECSS, nous nous sommes donc intéressées à la lutte contre la fraude aux prestations de sécurité sociale, ce qui exclut tout à la fois les prestations de chômage et le RSA, sujet déjà largement traité par Corinne Imbert dans le cadre de son rapport législatif sur la proposition de loi de notre collègue Éric Doligé.
L'objectif de la lutte contre la fraude aux prestations sociales nous paraît double.
Il s'agit, d'une part, d'un objectif de conformité de la dépense à son objet. Cet objectif est totalement dénué de valeur normative ou « morale », il s'agit tout simplement de s'assurer qu'un paiement a été effectué à bon droit. En ce sens, il rejoint des préoccupations relatives à la certification des comptes ; nous y reviendrons.
Il s'agit d'autre part, nous semble-t-il, de garantir, aux yeux de nos concitoyens, dans un contexte de tensions sur les ressources publiques, la légitimité des prestations servies : elles doivent l'être à la bonne personne, au bon moment et pour le bon montant.
Une lutte résolue contre la fraude nécessitait un changement de regard de la part des organismes sociaux, qui ne la voyaient pas forcément comme appartenant à leur coeur de mission. La certification des comptes des différentes branches de la sécurité sociale, à partir de 2006, a puissamment contribué à ce processus en diffusant une culture de paiement au juste droit.
Nous avons pu constater que cette mission était désormais totalement assumée par les caisses, qui n'hésitent pas à communiquer sur ce sujet. La présentation des résultats pour 2016 de la lutte menée par la CNAF contre la fraude a d'ailleurs fait la « une » de la presse le 22 février dernier. Une telle communication sur la lutte anti-fraude est désormais parfaitement explicite et l'ensemble du réseau est mobilisé sur cet objectif. Les 250 000 « rendez-vous des droits » organisés par les CAF ont aussi été l'occasion de rappeler les devoirs des allocataires.
Il reste, cependant, une difficulté collective à assumer de prendre en main ce sujet, au risque d'une confusion entre fraudeurs et bénéficiaires des prestations. Il nous semble qu'il faut dépasser cette question.
Je cite à cet égard la convention d'objectifs et de gestion (COG) 2013-2017 de la branche famille : « prévention des indus et développement de l'accès aux droits ne sont pas contradictoires avec les efforts qui doivent être poursuivis pour la maîtrise des risques et la lutte contre la fraude. Ils se rejoignent au contraire dans l'approche globale [...] du paiement à bon droit ».
Comme pour la fraude aux cotisations, se pose tout d'abord une question méthodologique de définition et d'évaluation. Compte tenu de la nature du phénomène, il n'est pas envisageable d'en proposer une quantification précise.
Toutes les branches n'ont pas la même conception de la fraude aux prestations et seule l'une d'entre elles, la branche famille, s'appuie sur une méthodologie robuste pour évaluer l'ampleur du phénomène.
La branche maladie opère une distinction subtile entre l'abus et la fraude, tandis que la branche vieillesse s'estime, compte tenu de la nature des prestations qu'elle sert, relativement à l'abri.
La CNAF procède chaque année à un contrôle complet sur un échantillon de 7 500 allocataires. Elle évalue, sur cette base, son préjudice à 1,5 milliard d'euros pour 2015, soit le milieu de la « fourchette » entre 1,3 milliard et 1,7 milliard d'euros. Ce résultat correspond, pour 73 milliards d'euros de prestations versées - y compris pour compte de tiers -, à un taux de fraude de l'ordre de 2 %.
Certes, on ne peut pas extrapoler ce taux de fraude aux autres branches, ce qui donnerait un chiffre global de l'ordre de 5 milliards d'euros, mais force est de constater que les montants détectés sont relativement faibles, si on les rapporte au volume des prestations : 0,15 % pour la branche maladie, 0,08 % pour la branche vieillesse, 0,4 % pour la branche famille.
J'en viens maintenant au niveau de la fraude détectée : il augmente, mais ce phénomène doit être interprété avec précaution. En 2016, un montant de 540 millions d'euros de fraude aux prestations - 275 millions pour les prestations famille, 245 millions pour les prestations maladie et 20 millions pour les prestations vieillesse - a été détecté par les organismes de sécurité sociale, contre 503 millions d'euros en 2015.
Entre 2010 et 2015, le volume de la fraude détectée a plus que doublé. La fraude étant par nature impossible à quantifier avec exactitude, il est difficile de se prononcer sur cette évolution ; nous avons néanmoins tendance à penser qu'elle est imputable à une meilleure détection, sous l'effet à la fois d'un changement de regard des organismes et de l'amélioration des outils.
Les objectifs fixés par les conventions d'objectifs et de gestion sont atteints et même dépassés : pour la branche maladie, l'objectif était de 210 millions d'euros en 2015 et le montant de la fraude détectée s'est élevé à 231 millions.
Les organisations, les outils et les méthodes se sont améliorés. Le caractère national de la lutte contre la fraude s'est renforcé sous l'égide de la délégation nationale à la lutte contre la fraude, qui assure un pilotage de cette politique et une diffusion des bonnes pratiques. Cette instance coordonne un plan triennal de lutte contre la fraude aux finances publiques. De nombreux outils et méthodes ont ainsi été transférés du domaine fiscal au secteur social.
Au niveau local, les comités départementaux de lutte anti-fraude, les CODAF, participent à la lutte contre la fraude aux prestations sociales, même s'ils n'ont pas la même antériorité dans ce domaine que pour la lutte contre le travail dissimulé. Leur action permet par exemple de sanctionner des fraudes de professionnels de santé détectées en raison de volumes d'actes totalement atypiques.
Une convention nationale entre l'État et les organismes de sécurité sociale a été signée le 3 avril 2008. Elle a été suivie de conventions départementales.
Au sein des caisses, la stratégie est définie au niveau national et mise en oeuvre au niveau régional. Des objectifs individualisés ont été fixés aux directeurs de caisse.
Les outils ont évolué. Les méthodes d'investigation traditionnelles, lourdes, longues et coûteuses en effectifs, étaient peu efficaces.
Le contrôle aléatoire a fait place à des outils de data mining, affinés au sein de la branche famille grâce à l'échantillonnage utilisé pour l'évaluation de la fraude et à des contrôles ciblés. La branche famille procède ainsi à 32 millions de contrôles automatiques chaque année, à 3 millions de contrôles sur pièces et à 200 000 contrôles sur place : 90 % des allocataires contrôlés n'en sont pas conscients. Ces méthodes permettent un meilleur ciblage des contrôles sur place, dont un sur deux met au jour une fraude.
Pour la branche vieillesse, 30 % des dossiers contrôlés s'avèrent frauduleux. En 2015, la branche a constaté 951 fraudes, pour un préjudice de 20 millions d'euros.
Pour recueillir les données relatives aux décès à l'étranger - sur 14 millions de retraités, 1,25 million vivent à l'étranger, dont 50 % dans l'Union européenne ; ils représentent 3,4 milliards d'euros de prestations sur un total de 115 milliards -, la branche vieillesse a mis en place des échanges d'état civil avec l'Allemagne et les pays du Benelux. Des travaux sont en cours avec les autres États européens, l'enjeu se concentrant sur l'Espagne, le Portugal et l'Italie. Avec les États d'Afrique du Nord, où vivent également de nombreux retraités, ces échanges sont plus difficilement envisageables et des contrôles sur place doivent être réalisés.
La branche maladie détecte des atypies dans ses données de remboursement qui lui permettent de mieux cibler ses contrôles.
La loi de financement de la sécurité sociale pour 2016 a complété l'arsenal des outils disponibles en améliorant les échanges d'information interrégimes, en excluant les sommes issues de fraudes sociales des procédures de rétablissement personnel et des procédures collectives, même en cas de liquidation judiciaire pour insuffisance d'actif, en instaurant un droit de communication non nominatif.
Venons-en maintenant à la typologie des fraudes. Elle varie en fonction de la nature des prestations.
Pour la branche famille, il s'agit en premier lieu de l'absence de déclarations de ressources, suivie de la fraude à l'isolement, puis de la production de faux ou de l'escroquerie.
Pour la branche maladie, il s'agit de la fraude des établissements - fraude à la tarification à l'activité, recote en libéral de prestations incluses dans le forfait en EHPAD... -, de la fraude aux prestations en nature - actes fictifs -, de la fraude aux prestations en espèces ou encore de la fraude à l'obtention des droits (CMU-c). La fraude est plus complexe, dans la mesure où il ne s'agit pas seulement d'une relation entre la caisse et un allocataire, mais d'une relation tripartite qui fait intervenir un tiers, établissement de santé ou professionnel de santé.
Pour la branche retraite, il s'agit de fraude aux minima sociaux, de fraude par non-signalement de décès, qui reste la seule possible une fois le montant de la rente sécurisé, ou plus en amont de fraude sur la reconstitution de la carrière.
Comme pour la fraude aux cotisations, la politique de sanctions de la fraude aux prestations a évolué, avec l'objectif de sanctionner de façon appropriée toutes les fraudes.
Un barème national a été défini. Au-delà d'un certain montant - quatre fois le plafond mensuel de la sécurité sociale pour les prestations vieillesse, soit 13 076 euros, et huit fois le plafond mensuel de la sécurité sociale pour les autres prestations, soit 26 152 euros -, les caisses ont l'obligation légale, depuis 2005, de déposer une plainte au pénal, aux termes de l'article L. 114-9 du code de la sécurité sociale. Depuis lors, le nombre de condamnations pour fraude sociale a doublé, pour s'élever désormais à environ 600. La caisse nationale se joint très fréquemment aux actions des caisses locales.
L'assurance maladie a également la possibilité de saisir les juridictions ordinales de la section des assurances sociales du conseil régional d'un ordre : il y a eu 81 dossiers en 2015. Ces plaintes se traduisent le plus souvent - à hauteur de 87 % en 2015 - par une interdiction de donner des soins aux assurés sociaux.
Le recours à la voie judiciaire, où les infractions sont mises en regard d'autres atteintes aux biens ou aux personnes qui peuvent sembler plus graves, débouche souvent sur des classements sans suite ou des sanctions peu élevées.
Comme dans d'autres domaines, la tendance est au développement des sanctions administratives, qui - on a pu le constater - sont plus efficaces. Les pénalités administratives, introduites en 2007, ont été réformées par l'article 87 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2010.
Le barème de pénalités établi en fonction du montant de l'indu a été remplacé par des sanctions « plafond » et « plancher » accordant une plus grande marge de manoeuvre aux caisses dans la détermination du montant de la pénalité. En cas de fraude avérée, la pénalité est fixée au minimum à un dixième du plafond mensuel de la sécurité sociale et au maximum à quatre fois ce plafond. En cas de fraude non avérée, la pénalité est fixée dans la limite de deux fois le plafond mensuel de la sécurité sociale.
La branche vieillesse a ainsi prononcé 750 pénalités financières en 2015, pour un montant total de 400 000 euros.
Les avertissements concernent les cas de fraude de moindre gravité et de situation très difficile de l'allocataire.
Au sein de la branche famille, 100 % des fraudes détectées sont sanctionnées, même si 30 % le sont par de simples avertissements.
D'après les personnes que nous avons entendues, le taux de recouvrement du montant des fraudes détectées n'est pas un sujet aussi problématique qu'en matière de fraude aux cotisations sociales, sauf lorsque les fraudeurs identifiés sont à l'étranger et qu'il s'agit de pensions de faible montant. Les outils disponibles, comme les mesures conservatoires, récemment améliorés par le recours à l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC), pourraient néanmoins être plus systématiquement utilisés par les caisses.
Quel bilan tirer de cette lutte contre la fraude ? Au cours des dix dernières années, elle s'est développée et ses résultats se sont améliorés. Il reste difficile d'évaluer s'ils sont à la hauteur des enjeux. Dans son rapport sur la certification des comptes des différentes branches, la Cour des comptes considère que c'est loin d'être le cas.
Pour la branche maladie, elle estime tout d'abord que « les principaux risques de fraude ne sont pas suffisamment analysés et que les programmes de contrôle ont une efficacité très limitée ». Elle considère que les règles de calcul de la CNAM tendent à surestimer le préjudice évité.
Elle note également que, « malgré le nombre élevé de programmes de lutte contre les activités frauduleuses et fautives, seul un nombre limité d'entre eux présentent des résultats significatifs ». Les établissements de santé sont insuffisamment contrôlés, tandis que le ciblage des contrôles sur les professionnels de santé laisse subsister des risques élevés de pratiques frauduleuses.
La Cour est à peine plus clémente à l'égard de la branche famille, pour laquelle elle note que « les résultats des actions de lutte contre la fraude traduisent une maîtrise encore insuffisante des risques de versement d'indus de prestations ».
Pour ce qui concerne la branche vieillesse, la Cour considère que « le dispositif de lutte contre les fraudes ne permet pas encore de couvrir de manière satisfaisante les risques inhérents », en raison notamment de la faiblesse des contrôles sur les pensions versées à l'étranger.
Comme nous l'avons indiqué en préambule, l'ampleur même du phénomène de la fraude aux prestations de sécurité sociale n'est pas quantifiée de façon rigoureuse par toutes les branches. La réalisation de ce travail par la branche maladie et la branche vieillesse, qui servent les volumes de prestations les plus importants, reste donc nécessaire.
Les montants de fraude détectés pour le régime général - de l'ordre de 500 millions d'euros - sont significatifs. Nous sommes certes loin des montants de la fraude fiscale - 21 milliards d'euros - et même du volume du non-recours aux prestations, évalué, pour certaines d'entre elles, à plus de 30 % et à 10 milliards d'euros. Ils n'en justifient pas moins un engagement résolu de la part des caisses. Ces montants sont comparables aux redressements notifiés dans le cadre de la lutte contre le travail dissimulé - environ 600 millions d'euros.
Certaines techniques peuvent encore progresser en matière de data mining et les échanges de données peuvent être accrus.
Au sein même des organismes de sécurité sociale, les échanges restent insuffisamment développés. Actuellement, les caisses d'allocations familiales ne disposent pas, de façon automatisée, du montant des indemnités journalières, des rentes d'accident du travail ou d'invalidité, qui sont pourtant versées par les branches maladie et accidents du travail-maladies professionnelles (AT-MP). La transmission des informations entre les différentes branches de la sécurité sociale doit impérativement être améliorée.
Le répertoire national commun de la protection sociale (RNCPS), outil sur lequel beaucoup d'espoirs ont été fondés, ne remplit qu'imparfaitement cette fonction d'échange d'informations entre les organismes, la fiabilité des données qu'il contient étant insuffisante.
Dans les échanges automatisés entre la CNAF et l'administration fiscale, un million de personnes ne sont pas reconnues. Il faudrait travailler à faire progresser la reconnaissance des allocataires dans les échanges automatisés. Une simple amélioration des saisies informatiques permettrait déjà d'avancer.
D'autres chantiers de simplification pourraient être menés à bien : la mutualisation des certificats d'existence ou, à terme, leur suppression grâce à la mutualisation des données d'état civil.
Nous recommandons aussi de mettre en place les conditions de la lutte contre la fraude au moment même où une prestation est mise en place. L'exemple de la protection universelle maladie (PUMA) est significatif : alors qu'elle ouvre droit à une prise en charge des frais de santé pour les personnes majeures sans activité professionnelle sur le seul critère de la résidence stable et régulière, aucun contrôle automatisé du respect de ce critère n'a été mis en place. La Cour des comptes a ainsi relevé que le traitement des données des assurés ayant déclaré à l'administration fiscale ne plus résider sur le territoire national est encore inachevé, que les échanges avec la caisse des Français de l'étranger ne sont pas opérationnels et que les données des préfectures sur l'expiration des titres de séjour ne sont pas exploitables de façon automatisée.
Mais il faut aussi mettre en regard les moyens mis en oeuvre pour lutter contre la fraude et les résultats qu'ils produisent. Comme nous l'a indiqué Daniel Lenoir, directeur général de la CNAF, les rendements de la lutte contre la fraude, après une période de forte croissance, sont aujourd'hui décroissants.
Bien que fortement améliorés ces dernières années, les outils de lutte contre la fraude atteignent leurs limites. C'est pourquoi, tout comme notre collègue Corinne Imbert, nous sommes convaincues de la nécessité de faire évoluer l'ensemble du modèle, qui repose sur des contrôles a posteriori, vers un système de recueil des données avant le versement des prestations, au profit d'une meilleure prévention des indus, donc des indus frauduleux.
Dans ce domaine également, les possibilités offertes par la déclaration sociale nominative (DSN) sont très larges. Pour ce qui concerne les ressources, elle devrait permettre de disposer du montant des indemnités journalières versées par l'assurance maladie ou encore de celui des indemnités de chômage versées par Pôle emploi. Ne manqueraient dès lors que les pensions alimentaires ou les dons des proches pour apprécier les revenus des allocataires.
La DSN devrait être un puissant levier de simplification pour les allocataires, mais aussi de productivité pour les caisses, qui pourront cibler plus efficacement leurs contrôles sur d'autres éléments que les ressources.
Pour bénéficier pleinement de cet outil, plusieurs conditions devront être réunies. Il faut mettre en place un protocole d'échange de données entre les organismes de sécurité sociale, doter les allocataires d'un identifiant unique qui ne soit pas, comme le numéro d'inscription au répertoire de l'INSEE, le NIR, porteur de données personnelles. Il faut surtout - et ce chantier relève du domaine de la loi - unifier les définitions de notions auxquelles les administrations recourent sans qu'elles recouvrent la même signification en matière sociale et en matière fiscale, parfois même au sein de la sphère sociale : ressources prises en compte pour l'attribution des minima sociaux, salaire, isolement, pension alimentaire... Tout cela, bien sûr, dans le respect de la législation sur les données personnelles. C'est un vaste chantier de modernisation des outils et des méthodes qui doit se poursuivre, dans la continuité de la mise en place de la DSN.
Les ressources publiques se font rares, ce qui justifie la recherche de leur meilleure allocation possible. Au-delà de cet objectif, la légitimité même des prestations exige qu'elles soient servies à bon compte. La lutte contre la fraude est donc un impératif pour les finances sociales comme pour le juste droit.
Vous avez évoqué la problématique des retraites versées à l'étranger, sur laquelle je travaille depuis de nombreuses années. J'ai d'ailleurs organisé en mai dernier une réunion avec la CNAV sur ce sujet. Soyons réalistes : nous créons nous-mêmes les problèmes ! Le système est beaucoup trop bureaucratique.
Je pense en particulier aux certificats d'existence, que nombre de pays ont supprimés. D'un côté, des pensions sont indûment versées, notamment en raison de l'annualité des certificats : si une personne décède quelques semaines après avoir envoyé son document, la pension continuera d'être versée pendant un an... De l'autre, des personnes de bonne foi ne touchent pas leur pension, parce qu'elles vivent dans des pays où la poste ne fonctionne pas ou mal. L'Allemagne a mis en place un autre système, qui fonctionne beaucoup mieux.
Au sujet de l'Allemagne, vous avez évoqué un échange d'informations entre nos deux pays. Sachez toutefois qu'il ne fonctionne que pour le régime général !
En ce qui concerne globalement les prestations sociales, les consuls connaissent très bien ces questions et des solutions techniques existent pour passer effectivement à un système informatisé.
En tout cas, on ne peut pas continuer comme ça, avec des gens qui n'en peuvent plus d'un système aussi bureaucratique.
Tout d'abord, le rapport précise bien que ce n'est pas la fraude qui progresse, mais sa détection. Pour donner un ordre d'idées, selon la CNAF, les fraudeurs représentent 0,36 % des bénéficiaires. Par ailleurs, compte tenu de la complexité du système déclaratif, en cas de changement de situation, la frontière est relativement ténue entre la fraude, d'une part, les omissions et erreurs, d'autre part. Il convient donc de relativiser le phénomène.
Ensuite, il faut souligner l'importance des moyens de contrôle mis en oeuvre. Selon Aude Cournée, sous-directrice en charge du contrôle à la CNAF, 35 millions de contrôles ont été effectués en 2016, un allocataire sur deux étant contrôlé chaque année, ce qui prouve le caractère « musclé » de ces contrôles.
Ce qui gêne mon groupe, c'est que l'on ne sent pas la même détermination pour combattre la fraude aux cotisations patronales, qui dépasse 16 milliards d'euros selon la Cour des comptes, soit nettement plus que la fraude aux prestations. Sans cette fraude aux cotisations, le déficit cumulé de la sécurité sociale et du Fonds de solidarité vieillesse serait résorbé. Or il convient de comparer l'intensité des contrôles d'un côté et de l'autre : 200 agents seulement sont chargés de contrôler le travail dissimulé sur l'ensemble du territoire national ; une entreprise en infraction sur cent est poursuivie ; enfin, le montant des amendes est dérisoire - par exemple, 437 euros pour absence de déclaration sociale préalable.
Je reçois régulièrement à ma permanence des personnes victimes d'une forme de brutalité dans la récupération des indus, les montants recouvrés allant parfois jusqu'à la moitié d'un RSA. Je croyais que le recouvrement devait permettre aux allocataires de disposer d'un minimum vital ; or plusieurs des exemples dont j'ai eu à connaître me prouvent que tel n'est pas toujours le cas. Cette brutalité devrait nous alerter.
En conclusion, la question de la fraude aux prestations ne peut pas être abordée sans envisager parallèlement celle de la fraude patronale, dans un pur souci de justice.
Ce rapport est clair et précis et permet de remettre les pendules à l'heure. Dominique Watrin vient de le rappeler, la fraude aux prestations doit être relativisée.
Enfin, nous aurons peut-être l'occasion d'évoquer ces questions lors de l'examen d'un projet de loi, puisqu'il me semble que le Président de la République, dans son programme, avait évoqué un « droit à l'erreur » dans les démarches.
La CAF du département du Haut-Rhin a procédé à des expérimentations en matière de lutte contre la fraude et obtenu de bons résultats. Il serait peut-être intéressant de rencontrer son directeur.
Habitant une région frontalière, j'ai été interpellée par des dentistes, notamment, qui m'ont dit recevoir des patients suisses, mais munis d'une carte de sécurité sociale française. Dans de telles situations, ils ne savent pas à qui s'adresser pour signaler la situation. Les nouvelles technologies devraient pouvoir être mises en oeuvre efficacement pour opérer les contrôles : il faut s'en donner les moyens.
Pour répondre à M. Watrin, s'il y a des fraudes patronales, il faut qu'elles soient sanctionnées. Comme il l'a indiqué, nous recevons parfois dans nos permanences des personnes qui ont commis des « fraudes par omission », en continuant par exemple à percevoir une allocation alors qu'un autre membre du foyer bénéficiait de nouvelles ressources. Ces situations sont certes difficiles humainement, mais il faut malgré tout lutter contre la fraude.
Même si le rapport tend à montrer que la lutte contre la fraude s'est renforcée, la Cour des comptes estime que les résultats sont insuffisants, toutes branches confondues. Il convient donc de poursuivre dans cette voie et de sanctionner les fraudeurs.
Je remercie nos rapporteurs de leur travail. Comme M. Watrin, j'insiste sur le fait que d'autres fraudes existent et méritent que l'on s'y intéresse, sans parler de la fraude fiscale.
L'an dernier, lors de l'audition d'un ministre, il avait été dit que la fraude aux prestations sociales était largement compensée par le non-versement de prestations aux personnes ignorant leurs droits. Il faut aussi en tenir compte.
Je tiens à préciser le contexte dans lequel nous avons travaillé : cette communication sur la fraude aux prestations est le deuxième volet d'un travail plus global, le premier portant sur la fraude aux cotisations. Il y a évidemment un rapport entre ces deux types de fraude, mais les modalités de contrôle ne peuvent pas être les mêmes, puisque les contextes diffèrent.
En ce qui concerne la fraude aux prestations, une difficulté tient à l'existence de différentes branches, qui n'ont pas les mêmes modes de fonctionnement ni de calcul, et à la multiplicité des prestations : à elle seule, la branche famille sert vingt prestations, chacune obéissant à ses propres règles, ce qui complexifie l'approche et peut encourager la fraude.
Notre rapport insiste sur deux points forts : premièrement, il faut créer une synergie entre les différents outils informatiques, car nos administrations ne tirent pas suffisamment profit de la révolution numérique, formidable outil de simplification, mais aussi d'aide dans la lutte contre la fraude ; deuxièmement, la prévention est beaucoup plus efficace que la répression.
Enfin, Anne Émery-Dumas et moi-même avons toujours été très attentives à l'effectivité du « juste droit » : il faut mettre en place des moyens de contrôle, dans un souci d'efficacité, mais aussi pour mieux répondre aux besoins des allocataires.
Je tiens à préciser que le « juste droit » est aussi la reconnaissance du juste accès aux droits. Nous ne nions pas le fait qu'il y ait aussi une marge d'amélioration en matière d'accès aux droits : le paiement « à bon droit » doit pouvoir profiter à tous.
Je suis parfaitement d'accord avec M. Cadic. La question des certificats d'existence, que nous retrouvons dans le cadre de la mission sur l'interrégimes dont je suis rapporteur avec Gérard Roche, pose celles de l'interconnexion des fichiers et des échanges d'information, questions amplifiées par la dimension internationale - on les retrouve à propos des travailleurs détachés. Une évolution notable est intervenue, même si elle est insuffisante et trop lente. Nous avons déjà des accords avec l'Allemagne et le Benelux sur l'échange des données d'état civil ; le travail continue pour développer ces échanges au moins au niveau européen. Il est bien évident qu'il sera plus difficile de le faire aboutir avec tous les pays d'Afrique du Nord, où beaucoup de nos retraités sont installés, sans parler de pays encore plus éloignés, dont les législations diffèrent sensiblement de la nôtre.
Je voudrais rappeler à M. Watrin que ce rapport correspond à la deuxième partie d'un travail beaucoup plus large. Le rapport que nous avons rendu sur la première partie prouve que nous n'avons pas été particulièrement « tendres » avec les fraudes liées au travail dissimulé : nous avions bien insisté sur les montants en cause, les redressements et les marges d'amélioration du recouvrement. En ce qui concerne le caractère « musclé » des contrôles de la CNAF, j'insiste sur le fait que les 32 millions de contrôles automatiques sont parfaitement indolores : l'avantage du data mining est de permettre des vérifications sur dossier pouvant donner matière à des contrôles sur pièces, puis sur place, si nécessaire. Chaque année, on n'effectue que 200 000 contrôles sur place, chiffre modeste comparé au nombre total d'allocataires.
Madame Meunier, je peux vous confirmer que nous avons entendu M. Daniel Lenoir lors d'une audition fort longue et tout à fait passionnante.
Madame Schillinger, vous avez évoqué les problèmes que pouvaient rencontrer les médecins avec les affiliés frontaliers. En cas de doute, ils doivent se rapprocher de leur caisse locale, qui peut les orienter vers le secrétariat du comité opérationnel départemental antifraude (CODAF).
Madame Yonnet, dans ce rapport comme dans le précédent, nous avons souhaité mettre en exergue le montant des fraudes, tout en insistant sur le fait qu'il ne fallait pas confondre la fraude détectée avec le montant des recouvrements. Si des évolutions interviennent au niveau de la détection, elles sont moins rapides en matière de recouvrement, notamment en ce qui concerne les fraudes aux cotisations sociales.
Je n'ai pas obtenu de réponse sur la question du minimum vital laissé aux allocataires dans le cas du recouvrement d'indus. Il me semblait qu'un minimum était fixé par la loi...
Les allocations ne sont, en principe, pas saisissables, sauf en cas d'indus. Dans ce cas, les retenues dépendent des revenus et de la composition du foyer.
Je précise que cette communication était effectuée au nom de la MECSS et qu'il appartient à la commission d'autoriser la publication du rapport.
La commission autorise la publication du rapport d'information.
Enfin, la commission nomme M. Alain Milon en qualité de rapporteur sur le projet de loi d'habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social (AN n° 4 quinzième législature).
La réunion est close à 12 h 50.