Mes chers collègues, nous accueillons aujourd'hui M. Teemu Tanner, ambassadeur de Finlande en France. La Finlande assure depuis dix jours la présidence du Conseil de l'Union européenne pour le second semestre de 2019. Elle succède à la Roumanie et sera suivie par la Croatie.
Monsieur l'ambassadeur, votre pays prend les rênes de l'Union à un moment particulièrement crucial : un nouveau cycle institutionnel s'ouvre et le Conseil européen, réuni le 20 juin dernier, vient de doter l'Union d'un nouvel agenda stratégique pour les cinq ans à venir, alors même qu'elle est confrontée à d'immenses défis.
À l'extérieur : l'urgence climatique, les tensions commerciales avec les États-Unis et l'extraterritorialité des sanctions, la concurrence de la Chine, etc. À l'intérieur : les migrations, le terrorisme, le populisme, la transition numérique.
Dans ce contexte encore compliqué par la perspective du Brexit, il revient à la Finlande de donner une impulsion nouvelle aux travaux du Conseil afin de faire émerger des compromis correspondant aux priorités stratégiques de l'Union européenne.
Nous avons pris connaissance du programme que la présidence finlandaise vient de publier. C'est un programme équilibré, qui met l'accent sur la préservation des valeurs communes et de l'État de droit, socles de la construction européenne, tout en traçant les perspectives d'avenir que l'Union européenne attend, dans trois directions : une économie compétitive et socialement inclusive ; une ambition mondiale pour le climat ; une protection complète des citoyens européens grâce à la politique de sécurité et de défense.
Sur le premier point, j'ai relevé que le programme n'oublie pas de souligner que le marché unique ne pourra se développer qu'en associant la politique de concurrence, la politique industrielle et la politique commerciale, dans le contexte de la révolution numérique. Je note aussi avec satisfaction que la Finlande insiste sur la nécessité de poursuivre l'approfondissement de l'union économique et monétaire, notamment par l'achèvement de l'union bancaire. L'Allemagne devrait sans doute faire mouvement dans ce domaine, sans compter la rigueur excessive de certains pays, comme les Pays-Bas. Tant que nous n'aurons pas une union bancaire digne de ce nom, la place de l'euro dans le commerce international restera insuffisante.
Je souhaite attirer votre attention sur un point : le chômage des jeunes reste trop élevé en Europe, et singulièrement en France. Nous savons combien la formation en alternance peut faciliter leur entrée sur le marché du travail et combien la Finlande est avancée en ce domaine. M. Jean Arthuis, qui présidait la commission des budgets au Parlement européen, nous a récemment sensibilisés à l'expertise - qui confine à l'excellence - de votre pays en matière d'apprentissage, et nous comptons sur votre présidence pour que votre pays entraîne dans cette voie le reste de l'Union européenne.
Concernant le climat, j'observe l'attention particulière que la Finlande entend accorder à l'Arctique. Notre commission partage cette préoccupation et je compte d'ailleurs participer avec mon collègue M. André Gattolin à la réunion de l'assemblée de l'Arctic circle qui se tiendra cette année du 10 au 13 octobre, à Reykjavik.
Je vous laisse la parole à présent pour nous présenter le programme de la présidence finlandaise plus en détail et vous remercie d'avoir accepté notre invitation.
C'est un grand honneur pour moi d'avoir l'occasion de présenter le programme de la présidence finlandaise du Conseil de l'Union européenne. Je répondrai volontiers à vos questions après ma présentation.
Les relations entre la Finlande et la France sont excellentes et les liens entre les parlements de nos pays sont étroits, renforçant notre objectif d'une coopération aussi large et profonde que possible.
Notons les récents développements de nos relations militaires : l'année dernière, nous avons établi un document-cadre de coopération bilatérale et la Finlande a adhéré à l'initiative européenne d'intervention. Pour cette raison, le président de la République de Finlande, Sauli Niinistô, participera aux célébrations du 14 juillet à l'invitation du Président Macron.
L'accroissement des échanges commerciaux et le resserrement des liens économiques dans nombre de secteurs, tels que l'industrie forestière, la bioéconomie, les clean tech et l'énergie, l'intelligence artificielle et la digitalisation témoignent de la vitalité renouvelée des relations entre nos deux pays.
La Finlande jouit d'une image positive en France, tout comme la France en Finlande. Pour la Finlande, il s'agit de la troisième présidence tournante du Conseil. Les expériences de 1999 et de 2006 ont montré qu'il faut bien se préparer pour pouvoir faire face aux inévitables imprévus.
En 2019, le contexte global dans lequel se trouve l'Union européenne est de plus en plus complexe et imprévisible : les rivalités entre les grandes puissances et l'unilatéralisme marqué s'intensifient constamment et le système international fondé sur des règles communes est remis en cause. Les valeurs communes sont elles aussi remises en question.
En outre, un des États membres est sur le point de quitter l'Union. Nous nous préparons à la sortie du Royaume-Uni, avec ou sans accord. Nous souhaitons bien évidemment que le Brexit ne monopolise pas l'agenda européen au détriment d'autres sujets essentiels.
La présidence finlandaise se déroule également dans une phase de transition institutionnelle. Après les élections au Parlement européen, et après l'approbation des commissaires, la nouvelle commission commencera ses travaux au plus tôt le 1er novembre, et les éventuelles propositions législatives devraient être présentées à la fin de l'année.
Nous nous engageons à assurer un passage fluide à la législature suivante.
Il y a un certain nombre de dossiers hérités, mais nous sommes contents que le nouveau programme stratégique, adopté au sommet de juin, juste avant le début de notre présidence, ait fixé les priorités stratégiques de l'Union pour les cinq années à venir. Ainsi, la Finlande entend amorcer durant sa présidence des travaux qui feront avancer nos objectifs communs.
Les priorités de la présidence finlandaise sont axées sur quatre thèmes majeurs sous le slogan « Europe durable-avenir durable ».
Nous souhaitons, en premier lieu, renforcer les valeurs communes et l'État de droit. Nous considérons l'Union européenne avant tout comme une communauté de valeurs au sein de laquelle il est impératif de garantir le respect des droits de l'Homme, de la démocratie, de la parité et de l'État de droit.
L'État de droit est la pièce maîtresse du bon fonctionnement de l'Union européenne et l'un des principes qui guident son action extérieure. Sans le respect de l'État de droit, il n'y a pas de confiance dans les institutions, ni dans l'indépendance des juridictions. Pas de crédibilité dans la lutte pour un système multilatéral fondé sur des règles.
L'Union européenne doit faire des efforts pour promouvoir l'égalité et l'inclusion dans tous les domaines politiques. Il est également essentiel de lutter contre la corruption. Durant sa présidence du Conseil, la Finlande s'efforcera de consolider et de développer ces différents modes d'action au service de l'État de droit.
Deuxièmement, la présidence finlandaise sera marquée par la lutte contre le réchauffement climatique, qui doit être au coeur de nos actions pendant les prochaines années. Nous voulons que l'Union européenne agisse en tant que leader dans les négociations internationales sur le climat. En conséquence, il est extrêmement important pour l'Union de parvenir, au plus tard à la fin de l'année, à un accord sur la stratégie climatique à long terme afin de pouvoir limiter le réchauffement de la planète à 1,5 degré.
Les progrès vers une stratégie climatique forte à long terme de l'Union européenne, notamment un accord sur l'objectif « zéro émission nette de CO2 » d'ici à 2050, sont une priorité essentielle de notre présidence. Nous devons nous entendre sur cet objectif de neutralité carbone pour 2050 et relever l'objectif de réduction des émissions pour 2030 à au moins 55 %.
La Finlande souhaite aligner sa propre politique climatique sur une voie qui limite le réchauffement à 1,5 degré pour devenir le premier État-providence sans ressources fossiles au monde. Nous veillerons à ce que la Finlande soit neutre en carbone d'ici à 2035, et négative peu après. Nous y parviendrons en accélérant les mesures de réduction des émissions et en renforçant les puits de carbone. Nous nous sommes également engagés à préserver notre biodiversité.
Dans ce contexte, l'importance de l'Arctique s'est accrue. L'atténuation des changements climatiques doit se trouver au coeur de la politique arctique.
Troisièmement, la Finlande mise sur une politique visant à renforcer la croissance durable et sa dimension sociale. L'Union européenne est confrontée aux enjeux de la transformation numérique, du développement rapide de nouvelles technologies, de la concurrence internationale et des changements climatiques. C'est pourquoi nous devons trouver de nouveaux moyens pour parvenir à une croissance plus durable, économiquement, socialement et écologiquement. Le bon fonctionnement du marché intérieur et du marché financier intérieur est primordial.
L'investissement dans le capital humain et le bien-être peut fournir des résultats directs et clairs. Nous parlons par exemple des investissements dans la santé, y compris la santé mentale, l'éducation, la médecine du travail et l'égalité des sexes.
À titre d'exemple, nous pensons que l'Union européenne a besoin d'un cadre commun pour l'apprentissage tout au long de la vie. L'économie et le bien-être sont dans le meilleur des cas étroitement liés entre eux et se renforcent mutuellement. La croissance économique améliore le bien-être des personnes, tandis que le bien-être et la santé de la population favorisent la croissance économique et la stabilité. Ce lien doit être mieux reconnu.
En Finlande, nous proposons une approche holistique de cette question qui nécessite une réflexion horizontale et une coopération intersectorielle. Nous appelons cette approche « l'économie de bien-être ».
Une politique commerciale ambitieuse, ouverte et fondée sur des règles, est tout à fait conforme et nécessaire à cette approche. C'est la meilleure manière pour soutenir la compétitivité européenne et l'attractivité de l'Union en tant que partenaire commercial. L'Union doit poursuivre la négociation d'accords commerciaux ambitieux et équilibrés avec ses partenaires clés. Dans ce contexte, il est important de renforcer le caractère contraignant des objectifs de développement durable inclus dans les accords commerciaux de l'Union. Il est également essentiel de poursuivre la réforme de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Le maintien de son système contraignant de règlement de différends est crucial.
Enfin, notre quatrième et dernier axe est la sécurité intérieure et extérieure de nos citoyens.
La sécurité intérieure de l'Union européenne doit être renforcée de manière globale, qu'il s'agisse de prévention de la criminalité, de coopération en matière d'application des lois, de sécurité des frontières, de protection civile ou d'autres secteurs d'activité essentiels. Se protéger contre les menaces hybrides et informatiques est notre mot d'ordre.
Autre défi pour l'Union : les migrations, phénomène global. La gestion efficace des migrations nécessite l'adoption d'une approche intégrée. Grâce à un large éventail d'outils disponibles et à sa position forte sur le plan international, l'Union européenne est mieux placée pour la gestion des migrations que les États membres individuellement.
Face aux crises et conflits en cours, il est important que l'Union utilise de manière cohérente tous ses instruments d'action extérieure : la diplomatie, les opérations de gestion de crise, la politique commerciale et l'aide au développement. La présidence finlandaise soutiendra le travail mené par le Haut-Représentant de l'Union. En ce moment, notre ministre des affaires étrangères est au Soudan dans des tractations avec des parties prenantes. Cela correspond à notre priorité de développer des relations plus étroites avec l'Afrique et de garantir la paix sur ce continent.
L'Union européenne doit également continuer à développer la coopération en matière de sécurité et de défense pour protéger ses citoyens et pour renforcer son rôle en tant que garante de la sécurité. Elle doit assumer ses responsabilités et agir seule lorsque c'est nécessaire, et avec ses partenaires dans tous les autres cas où c'est possible. C'est pourquoi l'Union doit renforcer ses liens avec tous les autres acteurs internationaux.
En ce qui concerne le prochain cadre financier pluriannuel, la présidence finlandaise s'est donné pour objectif de clôturer les négociations à l'automne 2019. Nous cherchons un résultat équilibré qui tienne compte des nouvelles priorités ainsi que des politiques traditionnelles.
En lien avec les priorités de notre présidence, je peux aussi mentionner qu'une relation plus étroite entre les financements de l'Union, d'une part, et les valeurs communes et l'État de droit, d'autre part, est essentielle. Nous sommes convaincus qu'il existe un moyen d'établir un mécanisme bien équilibré, fondé sur une vraie conditionnalité. Notre approche est positive, constructive et axée sur les résultats. À notre avis, la priorité donnée à l'État de droit est un élément important qui complète le cadre financier pluriannuel dans son ensemble.
Comme en 1999 et en 2006, la présidence finlandaise veut améliorer les modes de fonctionnement du Conseil, notamment au regard de la transparence, des principes de meilleure réglementation et de l'utilisation des nouvelles technologies. Des vidéoconférences seront utilisées autant que possible dans les préparatifs. Nous allons communiquer de la manière la plus ouverte et active possible, et répondre aux besoins des citoyens et des médias. Lors des réunions du Conseil, la Finlande vise une transparence maximale. Les discussions des ministres seront rendues publiques chaque fois que ce sera possible.
En outre, la Finlande a repensé les traditions et les pratiques de la présidence qui sera organisée avec des moyens écologiquement durables et une empreinte carbone réduite. La Finlande n'offrira pas de cadeaux. Le budget traditionnellement alloué aux cadeaux sera destiné à compenser les émissions de carbone causées par les déplacements aériens.
Voici brièvement nos priorités pour la présidence. Nos actions doivent cibler les domaines dans lesquels l'Union européenne peut générer la plus grande valeur ajoutée à l'échelle européenne. Il est essentiel d'assurer une prise de décision efficace et la mise en oeuvre de ce qui a été convenu. Tous les États membres doivent faire preuve de volonté politique pour renforcer la capacité de l'Union à prendre des décisions et à parler d'une seule voix sur la scène internationale.
Pour réussir, nous avons besoin de nos partenaires français, avec lesquels nous comptons poursuivre une tradition d'excellente coopération, comme avec tous les autres États membres.
C'est avec beaucoup d'enthousiasme que nous nous sommes mis au travail pour ces six prochains mois. Ce n'est qu'ensemble que nous pourrons obtenir des résultats qui profiteront à nous tous.
Cette présidence finlandaise nous intéresse au plus haut point. En France, nous apprécions le modèle finlandais, en particulier en matière d'éducation des jeunes. Je me suis particulièrement intéressée à ce modèle éducatif pour comprendre les raisons de son succès et voir comment il serait possible de l'adapter en France. Il serait extrêmement utile que la Finlande, au cours de sa présidence, porte notamment le projet d'apprentissage de deux langues étrangères.
La Finlande s'est quelque peu opposée à un projet français de convergence fiscale entre les États européens, pourtant indispensable pour la réussite de l'Union européenne. Des changements sont-ils à attendre ?
Nous vivons dans un monde de plus en plus incertain et nous devons travailler ensemble face aux atermoiements américains pour renforcer notre solidarité dans le domaine de la défense en visant à terme l'autonomie stratégique européenne, indispensable. J'avais eu l'occasion d'interroger votre première femme ministre de la défense - bravo pour tout ce que vous faites en faveur de l'égalité - sur la question des mines antipersonnel, la Finlande n'ayant pas signé la convention les interdisant, du fait de sa frontière commune avec la Russie.
Ma question porte sur la politique agricole commune. En juin dernier, lors du Conseil des ministres, vous avez appelé à une augmentation du budget proposé par la Commission européenne. Tout récemment, vous avez déclaré vouloir faire autant de progrès que possible pour améliorer les choses, mais au regard des incertitudes pesant actuellement sur l'examen de cette réforme, comment vont reprendre les négociations ? Les dossiers vont-ils être redistribués ? La Commission a-t-elle prévu de proposer une nouvelle version de cette réforme ? Quels sont les objectifs prioritaires de la Finlande sur ce sujet ?
Je vous remercie de cet exposé liminaire particulièrement bien charpenté.
Je m'associe à l'appel du pied de M. le président de la commission concernant le rôle déterminant que pourrait avoir la présidence finlandaise dans le développement de l'alternance au sein de l'Union européenne, singulièrement dans notre pays. En matière d'alternance, nous n'avons pas de tradition. Encore que je suis l'élu d'une région, l'Alsace, dont la tradition dans ce domaine est plus forte. Nous venons de voter une loi sur l'école après avoir beaucoup débattu, voilà quelques mois, sur l'apprentissage, mais il manque une impulsion politique, qui doit dépasser les limites de la France. Les actions menées en Finlande pourraient servir de modèle.
Deuxième sujet : les migrations et la lutte contre le terrorisme. En tant que président du groupe d'amitié France-Afrique de l'Ouest, j'atteste que ces pays souhaitent une intervention forte de l'Union européenne. La France est au premier rang dans la lutte contre le terrorisme dans cette région du monde et des pays comme le Mali et le Burkina Faso, qui jouent le rôle de verrou dans la lutte contre le terrorisme, sont bien dépourvus pour y faire face. Sans effort supplémentaire en particulier de la part de l'Union européenne, nous courons à la catastrophe. Ces pays vont « exploser » et la gangrène se propagera dans les pays de la bande côtière africaine - Bénin, Ghana, Togo.
L'Union européenne n'a pas encore saisi l'importance de ce problème qui est en lien direct avec les phénomènes migratoires.
Monsieur l'ambassadeur, merci de cette présentation. Peut-on imaginer que l'Union européenne reprenne l'initiative d'un dialogue plus constructif avec ses voisins - je pense à la Russie - ? Plus de confiance n'exclut pas plus de méfiance, mais nous ne pouvons pas continuer à nous voir dicter depuis l'extérieur notre conduite à tenir, notre diplomatie et les actions de coopération que nous devons conduire avec les pays de ce continent non membres de l'Union européenne. La Finlande me semble bien placée pour prendre des initiatives dans ce domaine.
En complément de ces différents points, permettez-moi de vous interroger sur la question de la sécurité. Vous avez été le représentant de la Finlande auprès du Comité politique et de sécurité (COPS) pendant cinq ans. Pouvez-vous nous parler de la réforme de Schengen, qui devient une Arlésienne ? Même s'il existe maintenant des garde-côtes aux frontières, la procédure de Dublin reste problématique.
Par ailleurs, je souhaite revenir sur nos relations avec la Chine. La commission entendra ultérieurement une communication de nos collègues Pascal Allizard et Gisèle Jourda sur les relations entre l'Union européenne et la Chine à la suite du 21e sommet Union européenne-Chine, qui s'est déroulé le 9 avril dernier. On connaît l'implication de la Chine en Afrique pour des raisons mercantiles au sens propre et au sens figuré du terme. Ne conviendrait-il pas d'imaginer un partenariat entre l'Union européenne et la Chine pour être au chevet de l'Afrique ? Chacun s'en souvient, le président Junker nous avait invités à mettre en place un plan Marshall pour l'Afrique. L'onde migratoire que nous avons connue en 2015 et en 2016 n'est rien au regard de celle qui se prépare et que l'on redoute. Aussi, anticipons-la dès maintenant.
Je vous remercie tout d'abord de vos propos bienveillants à l'égard de notre système éducatif. Il est difficile de comparer les deux systèmes, mais, selon moi, le système français fonctionne très bien.
Dès le début, les Finlandais ont estimé que l'éducation était indispensable dans un petit pays pour assurer la survie de ce dernier et le rendre compétitif. L'objectif essentiel est l'égalité des chances dans l'éducation. Aujourd'hui, tous les étudiants ont la possibilité de bénéficier d'un soutien pédagogique important. Le succès repose aussi surtout sur l'orientation : en lieu et place de contrôles, notre système éducatif offre beaucoup de liberté. Le personnel enseignant est hautement qualifié ; tous les professeurs ont une formation universitaire.
Vous y avez fait allusion : nous essaierons, durant la présidence, de promouvoir l'apprentissage tout au long de la vie, une main-d'oeuvre qualifiée disponible et la mobilité des travailleurs. Nous développerons également le programme Erasmus+. Nous débattrons aussi avec les États membres de la mise en place de « super-universités », avec la mise en réseau d'établissements d'enseignement supérieur, une proposition formulée par le président Macron dans le discours qu'il a prononcé à la Sorbonne.
L'éducation et l'apprentissage sont essentiels eu égard à la révolution numérique en cours. Il importe de mettre en place une politique européenne intégrée pour faire face à la concurrence en la matière.
Concernant l'agriculture, la priorité est d'assurer la rentabilité de l'activité agricole dans tous les pays de l'Union européenne pour faire face au défi de la sécurité alimentaire et à celui du changement climatique et de la protection de l'environnement. Nous voulons trouver un compromis sur les propositions législatives de la Commission de juin 2018. Ces discussions sont étroitement liées aux négociations portant sur le cadre financier pluriannuel (CFP), ce qui complexifie encore l'exercice.
S'agissant de la politique agricole, nous partageons les objectifs que poursuit la France : la simplification et la flexibilité. Concernant les financements, nous avons été déçus par la proposition de la Commission de réduire les crédits à hauteur de 15 %. Le développement rural est essentiel. Or le Fonds européen agricole pour le développement rural a vu ses crédits diminuer de 28 %. C'est pourquoi nous voulons négocier des fonds supplémentaires.
La lutte contre le terrorisme fait partie des priorités que nous aurons à traiter. Nous aurons pour objectif de renforcer les relations entre l'Union européenne et l'Afrique. Il faut octroyer plus de fonds aux pays africains pour développer l'emploi et l'économie en vue de lutter contre les raisons profondes qui se cachent derrière le terrorisme. Il faut y coupler les ressources militaires. L'Union doit soutenir l'initiative du G5 Sahel pour responsabiliser les États africains. Naturellement, les opérations militaires, telle l'opération Barkhane, sont importantes. Il nous faut travailler ensemble pour tenter de résoudre ce problème, car il n'y a malheureusement pas d'issue rapide.
L'autonomie stratégique est la base de tout développement de la défense européenne. La Finlande soutient ce concept, mais des États membres se demandent si cette politique est compatible avec la coopération avec l'OTAN et les États-Unis, notamment après les propos de M. Trump, qui exige le partage du fardeau financier. Mais c'est précisément la voie que doit prendre l'Union européenne. Dans certains cas, l'Union européenne est le seul acteur susceptible de résoudre certaines crises très importantes. Il faut développer les capacités souveraines de l'Europe. Le Fonds européen de défense jouera à l'avenir un rôle primordial. D'autres initiatives ont été prises, telles que la coopération structurée permanente. Nous voulons poursuivre les discussions relatives à l'application de l'article 42, paragraphe 7, du traité de Lisbonne, sur la base des expériences menées par la France en 2015. Nous pourrons discuter de la manière dont nous pourrons l'invoquer. Sur ce point, on note quelques divergences de vue entre les États membres.
La Finlande peut mobiliser aujourd'hui 280 000 soldats en cas de crise ; nous avons un système de conscription. Cette force de dissuasion conventionnelle est importante à l'égard de la Russie. Nous dialoguons avec les Russes, même si nous avons été le premier pays à condamner les actions de la Russie envers l'Ukraine et la Crimée. Il convient d'encourager la Russie à mettre en oeuvre l'accord de Minsk, qui reste un préalable, et, dans le même temps, essayer de bâtir un climat de confiance entre la Finlande, la Russie et l'Union européenne.
Concernant les possibilités de convergence avec la Chine, il est clair que, lors du sommet Union européenne-Chine, quelques sujets sont apparus comme susceptibles de faire l'objet d'une coopération, comme le renforcement du système commercial multilatéral. Toutefois, les objectifs de la Chine en Afrique diffèrent des nôtres, surtout en matière de protection de l'environnement et des droits de l'Homme. Il faut poursuivre les discussions et trouver des points de convergence pour ce qui concerne le développement d'infrastructures.
Concernant la réforme de Schengen, nous allons là encore poursuivre nos discussions pour faire avancer le dossier de l'immigration avec de nouvelles propositions. Les États membres se sont accordés sur une approche globale, avec des frontières extérieures fortes, le démantèlement des réseaux criminels et de contrebande. Tout le monde le sait, il faut briser le modèle économique des passeurs, des trafiquants d'êtres humains.
Oui. Nous voulons discuter de points essentiels, comme la responsabilité, la solidarité, les différentes procédures à instaurer aux frontières, la surveillance possible de l'Agence de l'Union européenne pour l'asile. Par exemple, pour la France, l'Afghanistan n'est pas un pays sûr, mais la Finlande considère que certaines régions afghanes sont sûres. Il faut trouver des solutions dans ce dossier compliqué.
Aujourd'hui, l'axe de production industrielle se déplace de façon inexorable vers l'Orient. Quand on voit les prévisions démographiques mondiales, les atouts climatiques et hydrologiques de l'Europe, il faut absolument jouer la carte d'une agriculture forte. Les agriculteurs français et européens sont inquiets à l'idée de la ratification de l'Accord économique et commercial global (CETA) et, surtout, de l'accord avec le Marché commun du Sud (Mercosur). S'ils comprennent l'intérêt d'échanger avec le Brésil, l'Argentine, le Paraguay et l'Uruguay, il faut trouver un juste milieu entre le libre-échange total et le protectionnisme. Les normes techniques, sanitaires, environnementales en vigueur dans ces pays ne correspondent pas à celles qui prévalent en Europe. Dans le cadre du CETA, le Canada a pris des engagements forts en matière de qualité de production. Soyons vigilants sur l'accord avec le Mercosur, car on ne saurait imposer à notre agriculture une concurrence avec des pays qui utilisent des produits interdits chez nous.
Je suis d'accord avec votre commentaire. Nous sommes sur une ligne de crête entre protectionnisme et libre-échange. La Finlande a toujours plaidé en faveur du libre-échange, mais avec une politique fondée sur des règles identiques pour tous. Nous devons veiller à ce qu'il en soit ainsi. Nous avons parlé des relations entre l'Union européenne et la Chine ; les règles en vigueur dans ce pays sont justement différentes. Nous essayons de suivre ce dossier de près. Il faut prévoir des conditionnalités contraignantes, surtout pour ce qui concerne la question du développement durable, qui englobe les normes du travail, les normes environnementales, phytosanitaires, etc.
Les États membres vont discuter du projet d'accord avec le Mercosur. Reste à savoir s'ils l'accepteront tel qu'il a été négocié par la Commission.
Je vous remercie de votre participation et de vos réponses à l'ensemble de nos collègues. Nous souhaitons un franc succès à la Finlande. Nous allons vivre un moment crucial, avec un Brexit brutal ou ordonné.
Dans un monde quelque peu turbulent, outre les accords de libre-échange, la sécurité et la protection de l'ensemble des Européens font partie des préoccupations majeures. Certes, l'Union européenne est particulièrement armée, mais il convient de prêter une attention toute particulière à certaines filières, car ces dernières font partie en France, peut-être plus qu'ailleurs, de l'équilibre et de la vitalité de nos territoires.
Monsieur l'ambassadeur, vous serez toujours bienvenu au Sénat.
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées est naturellement attentive à l'impact, pour la France, des évolutions géopolitiques mondiales et n'a pas manqué d'analyser de ce point de vue l'inexorable montée en puissance de la Chine. L'an dernier, elle a confié à quatre de ses membres le soin d'analyser le projet chinois de nouvelles routes de la soie, et de déterminer s'il s'agit simplement d'un label économique ou bien plutôt de l'amorce d'un nouvel ordre mondial.
Deux de ces rapporteurs sont membres de notre commission et, à ce titre, peuvent enrichir la réflexion en abordant ce sujet crucial selon une perspective européenne. Je remercie donc nos collègues Pascal Allizard et Gisèle Jourda, qui ont travaillé la question l'an dernier pour la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, d'avoir proposé de prolonger et d'actualiser leur analyse devant notre commission aujourd'hui, pour la compléter du point de vue de l'Union européenne.
Le 9 avril dernier, se tenait le 21e sommet Union européenne - Chine. Quelques jours avant, l'Italie rejoignait en fanfare le groupe des 12 États membres qui ont approuvé des accords liés au projet de Routes de la soie : le vice-Premier ministre Luigi di Maio a ainsi signé un protocole d'accord le 23 mars à l'occasion de la visite très médiatisée du président chinois Xi Jinping. L'Italie est la première grande économie, et la première du G7, à rejoindre l'initiative. Et c'est aussi l'un des pays fondateurs de l'Union européenne.
Quelques jours après le sommet Union européenne - Chine, c'était au tour de la Croatie de s'afficher avec la Chine : avec son homologue chinois, le premier ministre croate donnait le coup d'envoi symbolique de la construction du pont qui doit relier la péninsule croate de Peljesac avec la partie continentale du pays.
On le voit, la puissance chinoise se ressent au coeur même de l'Europe. Le Vieux Continent pourrait s'en retrouver reconfiguré de fond en comble.
J'envisage que nous prenions contact avec le président du Conseil économique et social européen afin qu'il nous présente son analyse au sujet de la Chine et de ses avancées en Afrique. Où en est le projet du Président Juncker de plan Marshall pour l'Afrique ?
Un an après la sortie de notre rapport sur les « Nouvelles Routes de la Soie », fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, nous avons souhaité, avec Gisèle Jourda, venir devant vous pour évoquer une approche plus européenne du sujet à l'occasion des conclusions du 21e Sommet sino-européen qui s'est tenu le 9 avril dernier. Il y a en effet, dans la relation entre l'Union européenne et la Chine, des aspects prometteurs, mais également des points de vigilance, voire d'inquiétude qui sont récemment devenus évidents.
En quelques années, la Chine est devenue un acteur mondial, et plus seulement sur le plan économique. En effet, la Chine est maintenant une véritable puissance qui a su se construire patiemment et à bas bruit, au point d'être aujourd'hui omniprésente sur tous les continents et en particulier en Europe. L'actuel bras de fer économique entre les États-Unis et la Chine illustre combien, même pour l'hyperpuissance américaine, il est difficile de résister à l'avancée chinoise ou même de trouver un terrain d'entente. Quant à notre Europe désunie et fragilisée par les crises, elle a encore plus de mal à défendre ses intérêts.
Beaucoup découvrent, tantôt avec intérêt, tantôt avec stupeur, les tentaculaires « Nouvelles Routes de la soie », connues désormais sous le nom de BRI « Belt and road initiative », selon la nouvelle formule avancée par le président chinois. Il s'agit de bâtir depuis la Chine jusqu'à l'Europe, l'Afrique, l'Amérique latine, et même l'Arctique ou l'Antarctique - puisque la Chine a, par exemple, le statut d'observateur au Conseil de l'Arctique -, des routes commerciales terrestres, ferroviaires, maritimes, numériques, spatiales mobilisant des milliards de dollars d'investissements sur plusieurs décennies.
Peu connu au départ, le projet BRI fait maintenant l'objet de nombreuses études et ceci témoigne de l'importance de ses conséquences économiques et géopolitiques qui s'accompagnent d'un retour de la puissance militaire chinoise. Il faut en prendre toute la mesure, car ces changements offrent également de formidables opportunités qu'il faudra saisir, sous peine pour la France et l'Europe de se voir marginaliser.
En 2017, nous avons commencé à travailler à partir du Corridor économique sino-pakistanais dit « CPEC », tronçon pakistanais des « Routes de la Soie », qui relie la province chinoise du Xinjiang au Baloutchistan. Le Pakistan est en effet le pays où les investissements chinois sont les plus importants, de l'ordre de 50 à 60 milliards de dollars. Cela vous semble peut-être loin de l'Europe, mais du port de Gwadar au Pakistan, bâti par les Chinois, vous êtes quasiment en face de Djibouti, où l'empreinte de la Chine est de plus en plus flagrante : port, chemin de fer, zone franche, base militaire et autres nombreux projets financés par la Chine... Les réalisations sont impressionnantes comme j'ai eu l'occasion de le constater il y a quelques mois. Pour la Chine, Djibouti constitue une porte d'entrée vers l'Afrique de l'Est où les Chinois sont déjà très présents, et un point stratégique pour l'approvisionnement de l'Europe, à proximité du Canal de Suez. De là, il y a la Méditerranée, dont nous sommes riverains et acteurs. L'Empire du Milieu s'y installe. Les Chinois réalisent notamment des investissements importants dans des ports de Méditerranée, sur les deux rives. Selon le cas, ils investissent dans les infrastructures portuaires ou dans leur gestion, ainsi que dans la logistique. Il faut garder en mémoire que, pour les Chinois, tout est lié et a vocation à l'être dans la « stratégie BRI » : c'est l'une des forces de ce projet. Une de nos faiblesses est que nous ne connaissons pas assez la philosophie chinoise...
En effet, la notion de temps est pour eux différente et cruciale !
Ainsi, la BRI nous a été présentée tour à tour par des officiels chinois comme un simple «label économique», sorte de marque apposée sur des projets économiques, ou comme la proposition d'un nouvel ordre mondial, alternative au modèle américano-centré. C'est en jouant de l'ambiguïté entre la proposition économique, qui n'est d'ailleurs pas sans risques, et celle plus politique d'offre alternative au modèle occidental, que les Chinois avancent.
Alors s'agit-il d'une formidable aventure aux objectifs ambitieux ou d'une diplomatie de la fanfare ? C'est un modèle de développement annoncé à grands coups de trompette, avec des moyens financiers considérables. À l'évidence, la BRI est d'abord une formidable aventure pour tous les pays. Nous constations dans le rapport que ce projet extrêmement ambitieux, annoncé à grand renforts de communication planétaire, rencontre les attentes de nombreux territoires en recherche de développement qui, pour des raisons économiques ou politiques, peinent à trouver les financements qui leur permettraient de poser les bases d'une croissance durable. Ces besoins apparaissent tant dans des zones en développement en Afrique, en Asie centrale que dans des pays plus avancés, notamment en Europe centrale, qui n'ont bénéficié que récemment des crédits européens et doivent rattraper rapidement un déficit d'infrastructures.
Aujourd'hui, les autorités chinoises sont capables d'actionner à la fois le secteur public et le secteur privé et elles disposent d'une puissance financière permettant d'investir des milliards sur tout projet présentant un intérêt. De plus, pour eux, le temps ne compte pas. Ce sont là les données majeures de l'équation qui expliquent en partie la force de frappe de l'offre chinoise à laquelle, en Europe comme ailleurs, il semble difficile de résister.
En outre, comme il a été dit, autour de la BRI, on peut déceler l'opposition entre le modèle de développement occidental avec son lot de contraintes, ses normes, ses critères d'éligibilité, sa surveillance de l'État de droit et des droits de l'Homme, et celui proposé par les Chinois, d'apparence plus souple, visant seulement le développement des ports, des lignes de chemin de fer, des réseaux et autres infrastructures.
En dehors des grands principes énoncés par la doxa officielle, la politique des « Nouvelles Routes de la Soie » nous a semblé avoir trois objectifs. Tout abord, et c'est fondamental, assurer la stabilité de la République populaire de Chine et la légitimité de son parti dirigeant. Cela passe par le développement interne, l'aménagement et le rééquilibrage du territoire chinois, la maîtrise des tentations séparatistes du Xinjiang et la création de nouveaux débouchés économiques pour l'économie chinoise en surcapacité. Le deuxième objectif est de sécuriser les frontières et les approvisionnements, en offrant une alternative au détroit de Malacca, par lequel passe l'essentiel du pétrole nécessaire à l'économie chinoise, ce qui illustre l'importance du corridor sino pakistanais et du port de Gwadar. Enfin, le dernier objectif est de proposer une alternative à l'ordre mondial, hérité de Bretton Woods, avec en particulier la création, début 2018, d'un marché domestique pour la négociation des contrats à terme sur le pétrole brut libellés en yuan et convertibles en or, aux bourses de Shanghai et de Hong-Kong.
Ce projet ne peut pas aller sans conséquences géopolitiques à long terme et certains craignent qu'il ne renforce l'influence de Pékin d'une manière tout à fait considérable, jusqu'en Europe.
Le projet inquiète par sa méthode - une bienveillance dominatrice - et ses conséquences. Nous avons naturellement rappelé dans le rapport que la Chine s'impliquait fortement dans les grandes enceintes internationales comme l'OMC et dans les organisations de coopération régionale, telles que l'Organisation de coopération de Shanghai. Mais si elle s'inscrit par pragmatisme dans les instances multilatérales mondiales, son mode d'action privilégié semble être les relations bilatérales, que nous avons qualifiées de « bilatéralisme de masse », et dans lesquelles la Chine apparaît comme le partenaire bienveillant qui fournit aide et coopération, mais qui est surtout l'acteur principal en position de force, libéré des négociations et des concessions qu'impose le multilatéralisme.
Dans le même temps, la Chine développe ses initiatives, comme le Forum international des « Nouvelles Routes de la Soie », dont la deuxième édition vient de se clore à Pékin, il y a deux mois, instance qui lui permet de réunir de nombreux pays sous le regard du reste du monde. C'est une façon de créer de nouveaux rendez-vous internationaux entièrement à sa main et selon son calendrier, ses normes, ses prescriptions.
Les « Nouvelles Routes de la Soie » passent aussi par la conquête spatiale. Pour la Chine, non seulement la conquête spatiale est l'apanage de toute grande puissance, mais la conquête du monde passe aussi par la conquête de l'espace. Celle-ci est justifiée par les pouvoirs chinois par la nécessité d'apporter un appui spatial au développement économique réalisé dans le cadre des « Nouvelles Routes de la Soie » grâce au déploiement accéléré d'une couverture satellitaire mondiale entièrement chinoise. La Chine a l'intention d'inciter les pays adhérant aux « Nouvelles Routes de la soie » à recourir à ses services pour lancer leurs satellites. Il s'ensuit que l'Union européenne devra impérativement repenser ses ambitions et sa méthode pour garder une place de premier plan face au duopole sino-américain qui se dessine dans ce domaine. Quant à la France, leader de l'aéronautique, elle devrait trouver un rôle essentiel dans la nouvelle stratégie spatiale européenne qu'il faudra dès aujourd'hui mettre en place. Lorsque l'on regarde le poids respectif des États dans le secteur spatial, on constate que les États-Unis occupent le premier cercle, suivis de près par la Chine, puis par la Russie et le Japon, et enfin par l'Union européenne et la France, et l'Inde. Nous avons donc reculé.
La Chine prend aussi pied en Europe centrale et balkanique et ...en Italie. Une grande partie de nos inquiétudes concernent la situation en Europe. Si une relative prudence reste de mise à l'Ouest, la présence chinoise s'est affirmée sans mal dans l'économie des pays d'Europe centrale et orientale qui ont récemment retrouvé leur souveraineté. Ainsi de nombreux projets sont en cours et les forums économiques « Chine - Pays d'Europe Centrale et Orientale (PECO) » sont réguliers. Sur le plan politique, la Chine a même instauré un dialogue de haut niveau au format « 16+1 » qui comprend l'Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Pologne, la République Tchèque, la Slovaquie, la Hongrie, la Roumanie, la Bulgarie, la Slovénie, la Croatie, la Serbie, la Bosnie-Herzégovine, le Monténégro, l'Albanie et la Macédoine. Nous avons relevé avec inquiétude l'institutionnalisation de ce format et la diversification de ses objectifs. En outre, le projet est en perpétuelle expansion, comme le montre l'intégration de facto dans cette mouvance d'un nouveau partenaire, l'Italie, pourtant membre fondateur de l'Union européenne et membre du G7. Cependant l'Italie n'a pas encore franchi le pas qui consiste à devenir membre du groupe « 16+1 ».
La Chine a su parfaitement saisir le déséquilibre des infrastructures entre les pays de l'Ouest et ceux de l'Est de l'Europe. Comme nous l'avons découvert en cours de préparation du rapport, ces derniers ont surtout reçu de la Chine « des promesses d'infrastructures assorties de prêts à rembourser avec intérêt » au point que, pour la Chine, le bénéfice politique semble à ce jour supérieur aux réalisations économiques, et sans doute est-ce là l'essentiel.
Par ailleurs, la Chine a constitué un véritable réseau d'organisations influentes à Bruxelles qui agissent comme autant de leviers venant soutenir l'effort diplomatique de sa stratégie de « soft power ». Dès lors, on ne peut que constater, sur ce plan, l'échec de l'Union européenne qui voit les anciens « PECO » tentés de s'en remettre aux États-Unis et à l'OTAN pour leur sécurité et à la Chine pour leur prospérité économique !
L'autre danger pour l'Union européenne est la convergence sino-russe. En rupture de ban avec l'Europe, la Russie bascule sur son versant asiatique, en particulier en soignant sa relation avec la Chine, les deux pays étant d'importants partenaires commerciaux et affichant leur volonté de renforcer leur coopération dans de nombreux secteurs. Au Forum international des « Nouvelles routes de la soie », dont la deuxième édition se déroulait à Pékin, en avril dernier, la Russie occupait une place de choix. De même, au récent Forum économique de Saint-Pétersbourg, les présidents Vladimir Poutine et Xi Jinping ont affiché fièrement leur entente. Le message adressé aux Américains comme aux Européens est, nous semble-t-il, clair. Cette convergence sino-russe - deux États aux ambitions non dissimulées dans l'Arctique et en Méditerranée - doit inviter les Européens à une plus grande vigilance et à une plus grande coopération dans ces zones.
Au moment de notre déplacement en Chine, celle-ci, dans son rapport avec la Russie, était beaucoup plus en retrait qu'elle ne l'est actuellement.
En résumé, en Europe, la stratégie chinoise est globale puisqu'elle s'affirme notamment au sud par la Méditerranée, à l'est et au centre du continent, ainsi qu'au nord. Elle s'exerce aussi de manière inquiétante en outre-mer, tant de manière ouverte - nombreux investissements dans l'économie locale, échanges commerciaux - que de façon plus discrète, en particulier par la pression sur la ressource halieutique liée au développement de la pêche lointaine chinoise, parfois au mépris des règles internationales.
Enfin, la Chine montre un intérêt certain pour les fonds marins et leurs importantes réserves de minerais. Si la France est particulièrement concernée par ces dangers, c'est bien l'avenir de la présence européenne dans ces régions lointaines qui se joue.
Le 21e sommet Union européenne-Chine a constitué une réaction tardive. Pourtant, compte tenu des besoins et de la taille du marché chinois, la BRI offre des opportunités et l'Union européenne devrait potentiellement profiter de cette augmentation des échanges dans les décennies qui viennent, à condition que cela fonctionne dans les deux sens, ce qui n'est pas totalement assuré aujourd'hui. Ainsi, les investissements chinois sont en hausse en Europe tandis que les investissements européens se sont réduits en Chine. Il y a donc des rééquilibrages à exiger.
Le dernier sommet Union européenne-Chine s'est d'ailleurs tenu le 9 avril dernier dans un climat de relative méfiance, l'Union attendant des actes de la part des Chinois. Peu avant le sommet, le Parlement européen votait une résolution sur la menace chinoise en matière de sécurité dans les domaines technologiques et la Commission présentait une communication destinée à mieux tenir tête à la deuxième économie mondiale, désormais perçue comme une concurrente directe. L'Union est d'ailleurs en train de se doter d'un mécanisme de surveillance des investissements étrangers et le Bundesverband der deutschen Industrie a publié un rapport remarqué appelant à faire preuve collectivement de plus d'« assertivité » (assertiveness) face au géant chinois, ce qui signifie que l'Europe doit s'affirmer. L'Allemagne est encore sous le choc du rachat par la Chine de Krauss-Maffei, fabricant emblématique de machines-outils, et de Kuka, le fleuron allemand des robots industriels. Désormais les Européens brandissent, mais tardivement, le concept de réciprocité.
Cependant, puisque les routes maritimes, terrestres, ferroviaires vers la Chine existent désormais, il faut favoriser l'export de produits européens dans ces conteneurs qui, sinon, repartent vides pour l'Asie. Nous avons ainsi recommandé de soutenir l'action de l'Union européenne en vue d'obtenir un accord global sur les investissements, la réciprocité de l'ouverture du marché chinois, et un accord sur les indications géographiques, si importantes pour l'économie de nos territoires.
De plus, les membres de l'Union doivent veiller à défendre leurs intérêts communs à l'occasion de chaque rencontre avec la Chine, quel qu'en soit le format.
Il conviendra donc de suivre le respect des termes de la déclaration conjointe adoptée lors du 21e sommet entre l'Union européenne et la Chine, et dont le président du Conseil européen Donald Tusk reconnaissait lui-même que les négociations avaient été « difficiles ». Dans cette déclaration, l'Union européenne a obtenu de rappeler que le commerce doit être fondé sur les règles de l'OMC, que la question des subventions étatiques aux entreprises se pose, que la concurrence doit être loyale. Tous ces rappels sont révélateurs du déséquilibre existant.
Par ailleurs, si les investissements étrangers sont bienvenus, les États ne doivent pas totalement « se dessaisir » de leurs infrastructures stratégiques. Une fois celles-ci cédées, tout retour en arrière sera difficile. Enfin l'affaire Huawei n'est pas terminée.
S'agissant des financements chinois, aux conditions souvent draconiennes, ils peuvent aboutir à fragiliser les États bénéficiaires, ce que nous avons appelé « le piège de l'endettement ». « La Chine ne se soucie pas qu'un pays soit capable de rembourser ses emprunts », disait récemment le commissaire à la politique régionale et à l'intégration. Quelques États africains sont en train d'en faire les frais. Ainsi, en avril 2019, le président djiboutien a sollicité auprès de son homologue chinois un traitement de faveur afin de rendre sa dette plus soutenable, mais les contreparties en seraient le renforcement de l'emprise économique et militaire chinoise.
Qu'en sera-t-il demain pour ceux des États membres de l'Union les plus liés à la Chine ? Dès lors, les États membres ne devraient pas se mettre en position de devoir consentir des abandons de souveraineté ou de faire l'objet de pressions en raison d'une dette trop lourde.
Tous ces sujets doivent figurer au premier rang des préoccupations des nouvelles autorités européennes, faute de quoi, le temps jouant contre l'Europe, il deviendra de plus en plus difficile de traiter ces dossiers, de trouver des positions communes et, au final, de défendre nos intérêts face à une puissance qui, elle, connaît parfaitement ses objectifs stratégiques et parle d'une seule voix.
J'ai pris part, en tant que membre de la commission des affaires étrangères, à une réunion à l'ONU. Dans le cadre de la réforme administrative voulue par le président António Guterres, la Chine, usant de son soft power, souhaite pouvoir disposer de bureaux jusqu'alors détenus par des puissances européennes. Elle a déjà réussi à faire accepter à l'ONU des concepts qu'elle a développés dans le projet BRI.
Depuis la remise de notre rapport, et au-delà des intentions réelles ou supposées de la Chine à travers ce projet BRI, la grande inconnue pour les années à venir demeure la capacité des Chinois à soutenir dans la durée, et en même temps, un tel effort industriel, commercial, militaire, financier et politique, tout en continuant à susciter l'adhésion à leurs projets.
Au regard des performances économiques en baisse, des critiques sur la qualité des travaux d'infrastructures, du prix du béton, du manque de transparence, du recours massif à de la main d'oeuvre chinoise expatriée au détriment des travailleurs locaux, les inquiétudes grandissent.
Ce n'est donc pas un hasard si le deuxième Forum des « routes de la soie » s'est ouvert à Pékin, en avril dernier, dans un contexte un peu plus marqué par la défiance vis-à-vis des projets chinois, et plus globalement par des tensions sino-américaines renforcées en mer de Chine ou en matière commerciale.
Le président Xi Jinping s'est voulu rassurant. En plus des 60 milliards engagés dans des projets, il a annoncé une nouvelle feuille de route, ainsi que des chantiers plus respectueux des questions sociales et environnementales, plus d'ouverture dans les appels d'offres et davantage d'efforts pour lutter contre la corruption.
Pour les prochaines années, toute la question sera donc de savoir s'il s'agit d'un tournant, appuyé sur une volonté réelle de changement, ou d'une opération de communication destinée à éteindre les critiques en usant habilement des concepts chers aux Occidentaux tels que la transparence ou le verdissement des politiques.
Par ailleurs, en devenant un acteur global, la Chine sera confrontée aux contraintes qui vont avec, notamment les problématiques sécuritaires, l'instabilité politique de zones qu'elle connaît mal et la difficulté de préserver ses intérêts sans apparaître comme une puissance « occupante » ou « prédatrice » et « colonialiste ».
Une chose est sûre : sans vision et sans solidarité communes en Europe, l'émergence de la Chine risque de constituer un coin supplémentaire venant disloquer une Union européenne déjà mal en point, et non une opportunité. Or, nous avons besoin de la Chine comme partenaire, parce qu'elle est incontournable. Voilà notre dilemme.
Pour terminer, je veux ajouter quelques compléments en appui de ces propos.
Le groupe aéronaval Charles De Gaulle a récemment mené une mission dans l'océan Indien jusqu'à Singapour pour y affirmer notre souveraineté.
S'agissant de la ressource halieutique, la France doit assurer la surveillance de sa zone économique exclusive pour y exercer sa souveraineté.
Souvenez-vous de ce qu'il s'est passé récemment entre les côtes chinoises et taïwanaises : un bâtiment de notre marine nationale a été empêché de traverser. Ces eaux sont internationales, sauf pour les Chinois, qui les considèrent comme partie intégrante de leurs eaux territoriales. Si la France et d'autres pays y envoient régulièrement des bâtiments, c'est bien pour signifier le caractère international de ces eaux.
À Changchun, ville chinoise située à 300 kilomètres de la Corée du Nord et de la Russie, nous avons visité une université accueillant des jeunes entre huit ans et vingt-et-un ans, tous francophones. Les plus brillants d'entre eux sont appelés à devenir diplomates en France, tandis que les autres constitueront les cadres chinois de l'Afrique francophone.
En Méditerranée, on dénombre désormais plus de bâtiments militaires chinois que de bâtiments battant pavillon d'autres pays, notamment européens.
Je ne reviendrai pas sur le format « 16 + 1 », mais il faut savoir que l'Union européenne n'y dispose que d'un strapontin, avec un rôle uniquement consultatif. L'Europe face à ce projet de BRI n'existe pas. C'est la raison pour laquelle nous avons parlé de bilatéralisme de masse. Espérons que les nouveaux responsables européens en prendront la mesure et qu'une action sera menée.
J'étais rapporteur pour avis de la proposition de loi visant à préserver les intérêts de la défense et de la sécurité nationale de la France dans le cadre de l'exploitation des réseaux radioélectriques mobiles. À ce jour, les opérateurs occidentaux ont, sur le plan de la technologie, entre dix-huit et vingt-quatre mois de retard. À tel point qu'on se dit que, quitte à être espionnés, mieux vaut l'être par les Américains que par les Chinois. L'objectif de ce régime d'autorisation prévue dans cette proposition de loi - les Allemands travaillent plutôt sur les normes tandis que les Britanniques ont créé un laboratoire en codéveloppement avec Huawei, estimant qu'en étant partie prenante du dispositif, ils pourront en contrôler l'évolution -, c'est de faire patiner la courroie pendant suffisamment de temps de façon à nous permettre de rattraper notre retard.
Dernier point, la problématique yuan-dollar. Par construction, le dollar reste la monnaie de référence mondiale, mais il n'est pas sûr qu'il en aille ainsi éternellement. L'opération menée sur le contrat à terme sur le brut était aussi liée à la situation au Venezuela. Certes, elle n'a pas connu un grand succès, mais les Chinois ont ainsi pu mettre un pied dans la porte.
La loi de Gresham dit que la mauvaise monnaie chasse la bonne, et il y aura de la spéculation sur le yuan contre le dollar. La Chine, en même temps, détient tant de dette américaine qu'elle n'a pas intérêt à ce que le cours du dollar s'effondre trop vite. En tous cas, c'est elle qui a la clef du système.
Le plus important est d'arriver à regarder ces différents sujets en chaussant les lunettes des Chinois.
Je salue un rapport très instructif, et très important. L'équilibre entre le yuan et le dollar est très subtil : les deux pays se tiennent, si j'ose dire, par la monnaie. Et le temps joue en défaveur de l'Union européenne.
Dans les Balkans, beaucoup de pays ont conclu un contrat d'association avec l'Union. Ils doivent comprendre qu'ils ne peuvent pas choisir à la carte, en faisant passer leur intérêt immédiat avant les valeurs de l'Union européenne. D'ailleurs, les règles en matière de marchés publics ne sont pas là pour les gêner mais pour leur éviter de faire des erreurs. À Belgrade, la Banque européenne d'investissement avait clairement exposé les dangers des offres chinoises, même si les projets à exécution rapide qu'elles comportent peuvent être attirants au premier abord.
Je me réjouis que l'Union européenne soit sortie de sa naïveté. En dix-huit mois, elle a pris un règlement sur les investissements directs étrangers pour protéger ses filières stratégiques. Nous avons accueilli la Chine à l'OMC parce qu'il fallait le faire, et, dans les premières années, elle s'est très bien comportée. Ensuite, elle a parasité le système de l'intérieur, au point de casser le multilatéralisme - sur ce point, les États-Unis ont raison, même s'ils doivent aussi comprendre que nous avons besoin d'un organe de règlement des différends. L'Union européenne doit être un acteur, pas uniquement un spectateur. D'où l'intérêt de la position du Sénat sur Huawei : nous devons gagner du temps pour surmonter le différentiel de compétitivité.
Ce ne sera pas notre dernier débat sur ce sujet...
Merci pour cet exposé concret. Il ne faut pas en conclure que nous devons construire l'Union européenne contre la Chine. La priorité pour ce pays, et depuis la Longue Marche, est le développement intérieur, pour sevrer sa dépendance envers le détroit de Malacca. Il y a un vrai décalage entre sa capacité de décision stratégique et les lenteurs de l'Union européenne. Mais depuis 50 ans, la Chine a tout fait pour favoriser l'existence de l'Union européenne, à l'inverse des États-Unis.
Les « routes de la soie » constituent une tentative d'organiser un ordre international différent de celui issu de la Seconde Guerre Mondiale, qui ne convient plus au comportement des États-Unis - comme y appelle aussi l'Iran. À l'Union européenne d'affirmer sa souveraineté pour défendre un ordre international auquel elle est attachée. Si les Chinois sont les seuls à proposer une alternative, ils gagneront.
Le développement économique de la Chine est l'une des raisons qui poussent l'Union européenne à faire évoluer sa politique de la concurrence : les gros marchés se passent ailleurs, désormais.
Nous devons malheureusement suspendre notre réunion. Je vous propose de reprendre ce débat ultérieurement.
Il en est ainsi décidé.
Je vous propose de revenir sur la concurrence dans le transport aérien. Notre commission dénonce régulièrement le dumping social dans le transport aérien. Notre collègue Éric Bocquet avait rédigé dès 2014 un rapport au titre éloquent : Le droit en soute. Et en 2015, avec Claude Kern et Simon Sutour notamment, nous avions publié un rapport appelant à une indispensable transparence sur la concurrence dans le transport aérien. En mars dernier, nos collègues Didier Marie et Fabienne Keller ont à leur tour soumis à notre commission un rapport sur les normes sociales européennes applicables au secteur des transports. En ce qui concerne le transport aérien, ce rapport déplorait encore qu'aucune avancée tangible n'ait été enregistrée, singulièrement pour les travailleurs mobiles, donc le personnel navigant.
En octobre 2018, les ministres des transports d'Allemagne, de Belgique, du Danemark, de France, du Luxembourg et des Pays-Bas ont signé un appel à mettre en place d'un agenda social dans l'aviation, destiné à garantir des conditions de travail équitables pour le secteur, et à y faire appliquer, de façon cohérente, les droits sociaux existants. L'objectif est d'encourager l'application, au niveau international, des principes de concurrence loyale ainsi que des conventions fondamentales de l'Organisation internationale du travail (OIT). Pourtant, il reste fort à faire pour éviter les dérives observées en matière de droit social, mais nous avons au moins un motif de satisfaction : l'adoption récente d'un règlement européen qui devrait rendre plus effective et loyale la concurrence entre les compagnies européennes et celles de pays tiers. Nous ne l'attendions presque plus !
Je laisse Claude Kern vous présenter ce texte, adopté en avril. Simon Sutour, qui travaille sur ce sujet avec nous, ne peut malheureusement pas être parmi nous aujourd'hui, mais nous l'associons évidemment à cette présentation, qui arrive à point nommé, puisque nous avons appris hier que le secteur allait être de nouveau taxé, au profit de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF). C'est déplorable : à force de surcharger le pavillon national, les avions ne pourront plus décoller !
Publié le 10 mai 2019 au Journal officiel de l'Union européenne, le règlement du 17 avril 2019 censé améliorer la protection des opérateurs européens de transport aérien adapte, sans le bouleverser, un dispositif mis en place il y a quinze ans. La portée limitée de la proposition publiée le 8 juin 2017 explique le fait que notre commission des affaires européennes ne s'en soit pas saisie à l'époque, alors qu'elle avait publié un rapport autrement plus substantiel sur ce sujet, en novembre 2015.
Le nouveau dispositif apporte un progrès limité, mais réel.
Sur le fond, l'avancée permise par la nouvelle mouture est doublement contenue, puisqu'elle reste circonscrite à la concurrence extérieure et parce qu'elle n'aborde aucun des moyens déloyaux, pourtant connus. Tout comme le règlement de 2004, celui de 2019 se contente de viser la concurrence déloyale trouvant son origine hors de l'Union européenne. Les menées de Ryanair, par exemple, restent hors de portée de ce texte, pour demeurer confortablement dans le droit commun du marché intérieur, alors que la mobilité des équipages crée une situation spécifique, avec des opportunités de concurrence déloyale qui ne se trouvent pas ailleurs, du moins pour le moment.
Le rapport d'information publié par notre commission en novembre 2015, intitulé Concurrence dans les transports aériens : l'indispensable transparence avait clairement identifié certaines dérives, comme les abus en matière d'activité prétendument indépendante caractérisant de véritables salariés, la domiciliation fantaisiste d'équipages aériens ou l'obtention de subventions versées par des collectivités territoriales en l'échange de services à la réalité incertaine. Le règlement d'avril 2019 ne vise pas ces dérives. Néanmoins, l'amélioration rédactionnelle opérée a des vertus incontestables, car elle clarifie les concepts et accélère les procédures.
Le progrès conceptuel porte sur l'identification des entités dont les menées déloyales sont visées par le nouveau dispositif. Ainsi, au lieu d'incriminer l'action de « pays non membres », à l'instar du texte de 2004, la rédaction adoptée en 2019 mentionne les entités placées « sous la juridiction d'un pays tiers, contrôlées ou non par les pouvoirs publics d'un pays tiers ». Le texte vise donc aussi des pratiques autres que les aides d'État stricto sensu. À la fois plus précise et plus large, cette approche par compagnie aérienne est celle du rapport sénatorial de 2015.
En outre, une réelle accélération de procédure accompagne l'adjonction de nouvelles mesures de réparation.
En 2019 comme en 2004, la mise en évidence de pratiques faussant la concurrence au détriment d'opérateurs européens doit déboucher sur des mesures de réparation. Celles-ci peuvent prendre la forme de pénalités financières analogues à la réparation d'un préjudice en droit civil français : les compagnies européennes victimes de manoeuvres déloyales bénéficient ainsi d'une indemnisation. La Commission européenne est désormais habilitée également à imposer des mesures opérationnelles tendant à mettre fin aux errements constatés. Il pourra s'agir de suspendre certains droits du transporteur aérien, à l'exception des droits de trafic. L'ajout explicite des restrictions opérationnelles conforte la dimension protectrice de l'ensemble.
La principale simplification opérée en 2019 tient à la nature juridique de l'acte imposant des mesures de réparation. Il s'agira désormais d'actes délégués, dont l'adoption est plus rapide que celle d'actes de droit commun. Qui plus est, la Commission pourra imposer des mesures de réparation motivées par la simple crainte d'un préjudice. La réalisation concrète de celui-ci conditionnera l'entrée en vigueur de ces mesures, mais avec un délai de réaction spectaculairement réduit. Enfin, le règlement de 2019 a supprimé certaines dispositions tendant à encadrer ou à écarter parfois l'adoption des mesures de réparation malgré un préjudice avéré.
L'amélioration opérée n'est donc pas négligeable pour le ciel européen. Mais ses mérites vont au-delà des frontières.
En effet, deux nouveautés juridiques majeures apportées par le nouveau règlement viennent conforter la défense commerciale de l'Union européenne au sens de l'OMC. Celle-ci a la réputation justifiée de combattre le protectionnisme, au profit de conditions loyales de concurrence internationale. À ce titre, elle autorise la protection commerciale, sous des conditions exigeantes, mais non dirimantes. La défense d'une économie nationale fait l'objet d'un texte spécifique - couramment dénommé « accord antidumping » - conclu dans le cadre de l'OMC. Sans entrer dans les détails, je souligne que l'adoption de mesures de protection commerciale est subordonnée à la réunion de trois conditions : l'existence démontrée d'un dumping ; un préjudice constaté ; un lien de cause à effet reliant la pratique incriminée au préjudice constaté. Pareilles circonstances autorisent à imposer des droits de douane, voire, dans certains cas, à interdire les importations, au maximum pendant cinq ans afin de sauvegarder une production nationale menacée par une « poussée » d'importations déloyales.
Le but est toujours de rétablir une concurrence ouverte, loyale et exempte de distorsions. Il me paraît utile de souligner que le corpus juridique de l'OMC comporte la notion de subvention spécifique. Ce qualificatif s'applique lorsque la distorsion bénéficie à une entreprise ou à une branche de production. Une concurrence déloyale dans le domaine du transport aérien peut incontestablement relever de ce concept, qu'il s'agisse de subvention intérieure ou à l'exportation.
Ce bref rappel étant fait, j'en viens au règlement de 2019 et à son évolution par rapport au texte de 2004.
Le règlement de 2004 ne reprenait qu'une partie des mesures autorisées par l'accord anti-dumping. Ainsi, il limitait strictement la protection commerciale à l'imposition de droits de douane censés compenser le préjudice infligé à l'entreprise plaignante par un opérateur de pays tiers. Claude Kern a mentionné l'intérêt pour les transporteurs européens du champ supplémentaire ouvert par les « restrictions opérationnelles » que la Commission européenne pourra désormais imposer. Je souhaite simplement ajouter que cette protection accrue de l'Union revient à une application directe de dispositions déjà inscrites dans l'accord antidumping. Ignorées en 2004, elles sont reprises en 2014, améliorant ainsi le parallélisme entre le droit de l'OMC et celui de l'Union. L'Union européenne tarde souvent à apporter des solutions mais, quand elle le fait, elles sont pertinentes !
Le règlement de 2019 ne se limite pas pour autant à une simple transposition de l'accord antidumping de l'OMC. Claude Kern vient en effet d'observer à juste titre que le nouveau règlement visait toutes les personnes morales économiques placées « sous la juridiction d'un pays tiers, contrôlées ou non par les pouvoirs publics d'un pays tiers ».
Cette évolution ne contribue évidemment pas à l'alignement du droit de l'Union sur celui de l'OMC. En revanche, elle est parfaitement cohérente avec les conséquences qu'un Brexit dur pourrait avoir pour l'aviation civile. L'Union européenne est bien inspirée.... La prochaine échéance est fixée au 31 octobre prochain. Du jour au lendemain, Iberia pourrait devenir une entité contrôlée de l'extérieur de l'Union, par le conglomérat britannique International Airlines Group, maison-mère de British Airways. La situation serait identique pour la compagnie low cost hispano-britannique Vueling. À en juger par le feuilleton triennal des négociations sur le Brexit, l'amélioration de la sécurité juridique n'aura rien d'anodin.
En conclusion, l'apport du nouveau règlement est substantiel dans les conditions présentes. Loin d'être une simple réécriture quasiment à l'identique d'un dispositif existant, l'évolution rédactionnelle opère une sorte de mise au point en optique : tout devient plus net. L'anticipation de circonstances à venir nous semble particulièrement bien venue. Le règlement du 17 avril 2019 est insuffisant pour véritablement organiser un marché intérieur du transport aérien, mais telle n'est pas son ambition. En revanche, le nouveau dispositif marque une meilleure insertion de l'Union européenne dans une mondialisation ordonnée, malgré une conjoncture quelque peu chaotique pour l'unité du Vieux Continent.
Cela arrive dans une conjoncture particulière. La guerre entre Airbus et Boeing évolue comme vous savez, Boeing ayant nombre d'avions cloués au sol. Airbus a le vent en poupe... Et, à l'OMC, cette question aérienne n'était pas intégrée.
Je souhaite revenir sur la création de la taxe que vous avez évoquée en introduction. C'est un fait grave, dont les conséquences seront considérables pour notre transport aérien. Air France a connu des difficultés, dont elle n'a réussi à sortir qu'à force de détermination. Vous nous avez parlé de concurrence. Or, cette taxe créera une distorsion considérable en défaveur de nos entreprises. Ne serait-il pas opportun pour notre commission de publier un communiqué exprimant nos réserves ? Nous sommes tous sensibles à l'environnement, mais le Parlement doit prendre ses responsabilités : nous devons défendre notre industrie aérienne, gravement menacée. Il y a d'autres moyens de combattre le réchauffement climatique !
De toute façon, si notre compagnie veut maintenir le prix de ses billets, elle devra baisser le niveau de service.
Comme je l'ai entendu dire récemment à la Chambre de commerce et d'industrie des Hauts-de-France, dans les zones frontalières, nos concitoyens iront prendre l'avion chez nos voisins : à Bruxelles et à Charleroi par exemple.
Il y avait en Normandie un projet de British Airways consistant à mettre en place des avions-taxis vers Jersey, d'où les passagers seraient raccordés à son réseau, offrant un bien meilleur prix que notre compagnie nationale. La pression des acteurs nationaux l'a empêché de se réaliser, mais ce type de concurrence reviendra.
Au risque de faire entendre une voix discordante, je pense qu'il ne faut pas se précipiter. On ne peut pas dénoncer en permanence le réchauffement climatique, et refuser toute mesure financière précise. Je connais et comprends le dogme anti-impôts, surtout après des années de fiscalité irresponsable, mais il a ses limites.
Je m'exprime d'autant plus librement que je suis l'un des signataires de la tribune défendant les lignes intérieures. Bien sûr, il faut protéger la compétitivité de notre transport aérien, mais on ne peut pas s'opposer systématiquement à des mesures liées au climat. Et ce ne serait pas la première fois que la France serait leader : elle l'a été pour la taxation des Gafam. Vous direz que je suis dissident au sein de mon groupe politique : soit !
Je rejoins les propos de mon collègue. Nous avons des discours incantatoires, mais chaque fois que nous devons agir, nous trouvons toujours une bonne raison pour ne rien faire ! C'est pourquoi je souhaite que la France initie la démarche, en espérant qu'elle sera imitée par l'Union européenne.
Vous avez aussi évoqué l'accélération qui a mené à l'adoption du nouveau règlement européen : cette accélération n'est-elle pas liée au Brexit et à la volonté de l'Europe de se préparer en vue de négociations futures ?
Je crois que vous avez raison. Un Brexit dur est fort probable et son imminence a certainement incité les instances européennes à ne pas perdre de temps.
Je comprends la position de M. Huré sur la taxe aérienne : il faut donner l'exemple. Mais est-ce toujours à la France le faire ? Ce sujet devrait se traiter à l'échelle européenne. Les Français préfèrent déjà prendre l'avion à Karlsruhe ou à Baden-Airpark, plutôt qu'à l'aéroport de Strasbourg, car les taxes sont très inférieures en Allemagne, et donc le prix des billets également.
Le projet de taxe ne suscite pas l'unanimité. Je partage la position de notre rapporteur. Une étude comparative entre Air France et British Airways serait instructive : il y a quelques années, les deux compagnies avaient un profil et des perspectives comparables. Le décalage entre elles est aujourd'hui criant ! Enfin, le Gouvernement nous répète à l'envi qu'il n'y aura pas de hausses d'impôts mais, dans les faits, il ne cesse de les augmenter ! Ce n'est pourtant pas la solution. Il y a d'autres manières de défendre l'environnement.
De nombreuses collectivités subventionnent les compagnies aériennes pour qu'elles les desservent. Leur contribution financière est importante. Attention au risque de perte de recettes.
Le transport aérien suscite toujours des turbulences ! Notre commission avait déjà publié un rapport sur le sujet, dont les conclusions étaient proches de celles de M. Le Roux à l'Assemblée nationale. L'enjeu environnemental est réel, mais il faut traiter cela à l'échelle européenne, sinon mondiale. Attention à ne pas multiplier les mesures franco-françaises qui nous handicapent dans un monde ouvert. Je rappelle que le différentiel de charges sociales entre la France et l'Allemagne s'établit à 500 millions d'euros, et à un milliard entre la France et les Pays-Bas. On risque de tuer Air France en multipliant les taxes. La taxe Chirac participait d'une bonne intention - la lutte contre le Sida - mais peu de compagnies l'appliquent : Air France et quelques compagnies africaines, tandis que le produit va essentiellement à une fondation américaine. Le produit est excédentaire et l'on pourrait envisager de redéployer l'excédent, mais la taxe est devenue une sorte de tabou.
Je voudrais préciser ma pensée : au regard des coûts de production de nos compagnies aériennes, sur lesquels il faudrait peut-être se pencher, cette taxe représente peu. Nous pouvons agir sur d'autres leviers en France...
Vous aurez l'occasion d'exposer votre position lors du débat d'orientation budgétaire cet après-midi, en séance publique.
Il faut aussi mentionner les conventions fiscales qui ne sont jamais à l'avantage de la compagnie nationale, comme la convention franco-qatarie...
Vous avez raison. En conclusion, je vous propose de faire un communiqué présentant les positions de chacun tout en réaffirmant les conclusions de nos rapporteurs : l'enjeu environnemental est réel, mais c'est au niveau européen qu'il convient d'agir.
Nous accueillons ce matin une délégation de fonctionnaires grecs, emmenée par Expertise France. (Applaudissements)
Au lendemain d'élection législatives ayant abouti à un changement de majorité dans votre pays, nous serons attentifs à la politique économique et sociale qui sera mise en oeuvre : après les efforts considérables effectués, vous n'êtes pas encore au bout du chemin...
Le Gouvernement a adopté hier en Conseil des Ministres le projet de loi relatif à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire, présenté par la secrétaire d'État auprès du ministre de la transition écologique et solidaire, Mme Brune Poirson. Ce texte, qui ambitionne de sortir de la société du « tout jetable », sera l'occasion de transposer différents textes européens. Il me semble donc que notre commission devrait solliciter l'autorisation de la Conférence des Présidents pour exercer à cette occasion sa mission de veille en matière de sur-transposition. Si notre commission devait faire des observations sur ce texte, je propose de confier cette tâche à notre collègue M. Pierre Médevielle, qui est à la fois membre de notre commission et de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, qui se saisira au fond de ce projet de loi dont l'examen au Sénat est prévu dès la rentrée parlementaire de septembre.
La réunion est close à 11 h 10.