Nous examinons le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Burkina Faso relatif à l'emploi salarié des membres des familles des agents des missions officielles de chaque État dans l'autre et de l'accord sous forme d'échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Paraguay relatif à l'emploi rémunéré des membres des familles des agents des missions officielles de chaque État dans l'autre, sur le rapport de notre collègue Gilbert Bouchet.
Depuis 2018, notre commission a étudié six projets de loi autorisant l'approbation d'accords similaires avec sept pays d'Amérique, quatre pays européens, deux États africains et un pays d'Asie.
Pour mémoire, ces accords s'inscrivent dans la stratégie initiée par le ministre des affaires étrangères en 2015, et intitulée « Ministère du XXIe siècle », qui vise à moderniser le Quai d'Orsay afin de le rendre plus agile. L'une des finalités du volet consacré au personnel consiste à tripler le nombre de conventions bilatérales permettant aux conjoints des agents en mission officielle à l'étranger d'avoir accès au marché du travail local, sans préjudice de leur statut diplomatique ou consulaire et de certaines immunités qui leurs sont accordées.
Avant 2015, une douzaine d'accords avaient été conclus, soit sous la forme d'accords bilatéraux - comme ceux que nous examinons ce matin -, soit sous la forme de notes verbales, juridiquement non contraignantes. Depuis 2015, la France a signé une quarantaine d'instruments de ce type, et une quinzaine est en cours de négociation.
Des facilités existent au sein de l'Espace économique européen qui réunit trente États, en vertu du principe de libre circulation des travailleurs. En revanche, tel n'est pas le cas dans la plupart des pays situés hors des frontières de l'Union européenne.
D'après une étude conduite fin 2017, environ 250 conjoints d'agents français résidant dans le pays d'affectation ont obtenu une autorisation de travail, ou travaillaient sans avoir besoin d'autorisation. Près du tiers des bénéficiaires de ces autorisations exerçaient leur activité au sein du réseau français à l'étranger : ambassades, consulats, établissements culturels ou d'enseignement, etc.
Or, au total, ce sont quelque 3 000 familles d'agents publics qui seraient potentiellement concernées par le bénéfice de ce dispositif. Il s'agit, pour l'essentiel, des conjoints de fonctionnaires du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, auxquels s'ajoutent les conjoints d'agents issus d'autres administrations, comme le ministère des armées et le ministère de l'économie, des finances et de la relance.
Il ressort de cette même enquête que ces dispositifs profitent davantage aux agents français établis à l'étranger que l'inverse. En effet, seule une vingtaine de conjoints d'agents diplomatiques étrangers résidant en France s'est vu délivrer une autorisation de travail entre 2016 et 2017.
Les accords qui nous sont soumis aujourd'hui, conclus avec un pays du Sahel et un pays d'Amérique du Sud, résultent de négociations initiées par la France. Ils poursuivent le même objectif, à savoir permettre, sur la base de la réciprocité, aux membres des familles des agents diplomatiques ou consulaires de solliciter une autorisation d'emploi pendant toute la durée d'affectation de ces agents dans les pays cocontractants. Cela participera d'une meilleure conciliation de leur vie privée et de leur vie professionnelle.
Les accords s'appliqueront aux membres de la famille de l'agent ayant obtenu la délivrance d'un titre de séjour spécial par le ministère des affaires étrangères de l'autre partie. Les principaux bénéficiaires seront les conjoints des agents des missions officielles, c'est-à-dire leurs époux ou partenaires légaux tels que définis par la législation du pays d'accueil. Je souligne à cet égard que les parties burkinabè et paraguayenne ne reconnaissent pas le mariage homosexuel ; cependant, le Paraguay accepte de délivrer des cartes de résident à des conjoints d'agents français de même sexe, contrairement au Burkina Faso. Par ailleurs, les deux accords pourront bénéficier aux enfants célibataires des agents, âgés de moins de 21 ans.
Les procédures de demande d'autorisation de travail sont détaillées dans les accords. Ils disposent à cet égard que toute demande doit être transmise par la mission officielle au protocole du ministère des affaires étrangères de l'État d'accueil. En cas de changement d'employeur, l'accord avec le Burkina Faso précise qu'une nouvelle demande doit être établie. Les bénéficiaires d'une autorisation de travail doivent naturellement se conformer à la législation fiscale et sociale de l'État d'accueil, en particulier lorsqu'ils exercent des professions réglementées. Il leur est interdit de poursuivre l'exercice de leur emploi après la fin de la mission officielle de l'agent de leur famille.
Enfin, les immunités civiles ou administratives cessent de s'appliquer pour les personnes concernées dans le cadre de leur nouvelle activité professionnelle, à la différence de l'immunité de juridiction pénale qui pourra toutefois faire l'objet, dans le cas de délits graves, d'une demande de renonciation écrite de la part de l'État accréditaire.
Pour conclure, les deux accords que je viens de vous présenter ne posent aucune difficulté particulière sur le plan juridique. Ils répondent à une volonté de notre diplomatie d'améliorer la qualité de vie des familles de leurs agents en mission, dont le nombre est relativement limité dans le cas présent. En effet, l'accord avec le Burkina Faso pourrait concerner dix-huit de nos ressortissants et presque autant de Burkinabè. Quant au second accord, il pourrait concerner cinq Français et dix Paraguayens. Toutefois, malgré la présence de dizaines de grandes entreprises françaises sur place, le marché de l'emploi des deux pays concernés n'offre, hélas, que peu d'opportunités.
En conséquence, je préconise l'adoption de ce projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale le 20 janvier dernier.
Le Paraguay a achevé son processus de ratification interne, ce qui n'est pas le cas de la partie burkinabè.
L'examen en séance publique au Sénat est prévu le mercredi 17 mars prochain, selon la procédure simplifiée, ce à quoi la conférence des présidents, de même que votre rapporteur, ont souscrit.
Je n'ai pas d'opposition de principe à ces accords. Je m'étonne néanmoins que le pays d'accueil puisse s'opposer à la délivrance d'une autorisation de travail à un conjoint du même sexe. Cette remarque vaut surtout pour le Burkina Faso puisque le Paraguay, bien qu'il ne reconnaisse pas non plus le mariage homosexuel, a déjà accordé ce type d'autorisation à des partenaires ou conjoints d'agents français de même sexe.
Le nombre de personnes concernées par ces accords est certes modeste, mais ils sont très importants pour nos concitoyens expatriés car leurs partenaires ou conjoints - le plus souvent des femmes - suspendent leur carrière pour les accompagner à l'étranger. Ces accords leur permettent donc de poursuivre leur vie professionnelle et d'apporter des compétences nouvelles aux pays d'accueil.
Au Burkina Faso, l'homosexualité n'est pas illégale, mais elle n'est pas acceptée socialement ; l'union entre personnes de même sexe n'est donc pas reconnue. Ainsi, les partenaires ou conjoints des agents français ne pourront pas prétendre à un visa de long séjour pour vie familiale, ni à une autorisation de travail dans ce pays - comme c'est le cas au Paraguay qui, pourtant, ne reconnait pas non plus les mariages homosexuels.
À travers cet accord, la France ne saurait imposer sa conception de la famille aux autorités burkinabè. De même, le Burkina Faso ne pourra pas nous imposer la sienne ; par exemple, si l'un de ses diplomates est polygame - la polygamie étant autorisée dans ce pays --, il ne pourra pas obtenir de titre de séjour français pour toutes ses épouses.
On peut donc regretter que certains accords soient trop restrictifs au regard de notre législation. Cependant, chaque État reste libre d'imposer son droit interne sur son territoire.
Suivant l'avis du rapporteur, la commission a adopté le rapport et le projet de loi précité, les sénateurs du groupe communiste, républicain, citoyen et écologiste (CRCE) s'abstenant.
Je vais demander à Édouard Courtial de nous présenter le projet de loi autorisant l'approbation de la convention d'extradition entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République algérienne démocratique et populaire.
Comme vous venez de le rappeler, nous examinons ce matin un projet de loi autorisant l'approbation d'une convention d'extradition, conclue avec l'Algérie.
La France est déjà liée à ce pays par une convention couvrant l'extradition et l'exequatur, signé en 1964. Toutefois, le cadre juridique en vigueur parait aujourd'hui obsolète et appelle une révision destinée à y inclure des stipulations plus adaptées et plus « modernes ».
La France et l'Algérie ont signé cette convention à Alger, le 27 janvier 2019. Elle s'inscrit dans le contexte de rénovation de la coopération judiciaire en matière pénale, puisqu'en 2017, notre commission avait déjà autorisé la ratification d'une nouvelle convention dans le domaine de l'entraide pénale, en remplacement d'un protocole judiciaire de 1962.
Voyons tout d'abord le contexte de la négociation de cette convention.
Compte tenu du nombre important d'Algériens en France, le nombre de ressortissants algériens détenus par les autorités françaises est de 2 450. Inversement, environ 50 Français étaient détenus en Algérie en mars 2020. Le plus souvent, ces personnes sont incarcérées en raison d'infractions qu'ils ont commises, ou supposés avoir commises sur le territoire où ils sont détenus. La convention d'extradition, qui concerne des personnes en fuite, ne leur est donc pas applicable.
En ce qui concerne les demandes d'extradition, l'étude d'impact annexé au présent projet de loi relève le « volume important de demandes échangées entre la France et l'Algérie ».
Entre 2014 et 2019, 38 demandes d'extradition ont été finalisées entre la France et l'Algérie, dont 30 demandes vers la France et 8 demandes vers l'Algérie. Il faut noter qu'entre le 1er janvier 2010 et le 30 juillet 2020, sur les 62 demandes d'extradition émanant de la France, seuls 3 dossiers portaient sur des faits de terrorisme.
Les relations avec l'Algérie en matière d'extradition se heurtent aujourd'hui à deux difficultés.
D'abord, les autorités françaises déplorent que certaines demandes d'extradition ne soient pas traitées par les autorités algériennes. Inversement, les dossiers présentés par les autorités algériennes sont souvent incomplets et donnent lieu à des demandes de compléments, ce qui ralentit la procédure.
Ensuite, le code pénal algérien prévoit à son article 5 la peine de mort comme peine principale en matière criminelle. Même si dans les faits un moratoire sur l'exécution des peines a été déclaré en 1993, les juridictions algériennes continuent de prononcer des condamnations à mort. Or, la France exige, selon une jurisprudence maintenant bien établie par le Conseil d'État, une garantie de non-application de la peine de mort dans les demandes d'extradition. En accord avec cette jurisprudence, la garantie consiste en ce que, si la peine est requise et prononcée, les autorités algériennes doivent s'engager à ce que cette peine ne soit pas exécutée.
Absente de la convention de 1964, cette formulation de la garantie de non-application de la peine de mort, est prévue dans la nouvelle convention. Il s'agit là d'un de ses principaux apports. On retrouve cette clause de garantie dans les conventions d'extradition que la France signe dorénavant avec les États n'ayant pas aboli la peine de mort.
Nous allons maintenant examiner le contenu de cette convention, qui s'inspire largement de la convention européenne d'extradition du 13 décembre 1957 et intègre nos standards nationaux et internationaux.
En premier lieu, les parties s'engagent réciproquement à se livrer des personnes poursuivies ou condamnées. Les infractions qui peuvent donner lieu à extradition sont celles qui peuvent donner lieu à une peine privative de liberté d'au moins un an.
En deuxième lieu, les motifs de refus sont explicités, afin de garantir le respect de nos valeurs et droits fondamentaux. La convention prévoit deux types de motifs de refus : les motifs obligatoires et les motifs facultatifs.
Pour ce qui est du premier type, les dispositions sont habituelles : refus si l'infraction alléguée est considérée comme reposant sur des faits de nature militaire ou politique. L'extradition est également refusée si elle apparaît motivée par la volonté de poursuivre ou de punir une personne en raison de sa race, de son sexe, de sa nationalité ou de ses opinions politiques. L'extradition n'est pas non plus accordée lorsque s'applique le principe non bis in idem. C'est-à-dire, que lorsque la personne réclamée a été définitivement jugée par la partie requise, elle ne peut pas être extradée dans le but d'être jugée deux fois pour les mêmes faits.
Figure également parmi les motifs obligatoires de refus, l'absence de garantie de non-application de la peine de mort, dont j'ai parlé tout à l'heure.
Enfin, de façon traditionnelle, la remise n'est pas accordée lorsque la personne réclamée a la nationalité de la partie requise. Afin d'éviter toute impunité, la partie qui refuse d'extrader pour cette raison, doit soumettre l'affaire à ses autorités compétentes pour que les poursuites puissent être exercées.
Les binationaux sont traités par chaque partie comme des nationaux.
En ce qui concerne les motifs de refus facultatifs, deux motifs sont nouveaux par rapport à la convention en vigueur.
Lorsque l'infraction a été commise en tout ou partie sur le territoire de la partie requise, ou lorsque des poursuites ont déjà été engagées par la partie requise ou au contraire, lorsqu'elle a décidé de ne pas les engager, ou d'y mettre un terme, pour les mêmes faits, l'extradition peut être refusée.
Le nouveau texte contient également une clause humanitaire, permettant de refuser l'extradition lorsque la remise de la personne réclamée serait de nature à avoir des conséquences d'une gravité exceptionnelle, notamment en raison de son âge ou de son état de santé.
D'autres garanties sont prévues par la nouvelle convention : le respect des droits et engagements des parties, résultant des accords multilatéraux auxquels l'une ou l'autre est partie.
La convention prévoit aussi une clause qui tire les conséquences de la règlementation française et européenne, en matière de protection des données.
Enfin, en troisième lieu, la nouvelle convention prévoit une adaptation des règles de procédure pour fluidifier les échanges entre les parties.
En conclusion, je recommande l'adoption de ce projet de loi, puisque la nouvelle convention permettra une plus grande lisibilité des garanties qui permettent d'extrader dans le respect de nos valeurs et droits fondamentaux, et qu'elle prévoit des échanges plus fluides et, par voie de conséquence, des délais de procédure réduits.
L'examen en séance publique est prévu le mercredi 17 mars, selon la procédure simplifiée, ce à quoi je souscris. Ce texte sera alors définitivement adopté, puisque l'Assemblée nationale l'a déjà adopté, le 20 janvier dernier, également après un examen en procédure simplifiée.
Ce rapport est très intéressant.
Notre rapporteur nous a donné des chiffres au début de son intervention, mentionnant une cinquantaine de Français détenue en Algérie et plus de 2 000 Algériens incarcérés en France.
Pourrait-on compléter en donnant le chiffre des binationaux incarcérés en France, qui sont traités comme des nationaux ?
Je vous les adresse rapidement.
Suivant l'avis du rapporteur, la commission a adopté à l'unanimité le rapport et le projet de loi précité.
Monsieur le Président-Directeur général, nous sommes particulièrement sensibles à votre présence aujourd'hui, alors que le groupe Dassault est marqué par la disparition brutale et tragique de notre collègue député Olivier Dassault. Vous avez souhaité, Monsieur le Président, que cette audition se tienne néanmoins et nous vous remercions de votre présence. Permettez-moi, au nom de tous les membres de la commission, de saluer la mémoire d'Olivier Dassault et son engagement pour notre pays. S'il n'exerçait plus de fonctions opérationnelles dans le groupe depuis quelques années, Olivier Dassault était resté administrateur et véritable soutien du groupe fondé par son grand-père et consolidé par son père. A l'annonce de cette disparition tragique, on ne peut pas ne pas évoquer également leur mémoire. Car le fleuron de l'industrie aéronautique française qu'est Dassault est le fruit de l'engagement de trois générations d'entrepreneurs patriotes. Il y a quelques jours, Olivier faisait d'ailleurs entendre sa voix pour défendre les intérêts de la France dans le sujet qui nous occupera aujourd'hui. Par une terrible ironie du sort, il disparaît dans une période qui voit se concrétiser le succès du Rafale et les avancées de la famille Falcon. Nous n'oublions pas non plus l'engagement d'Olivier en tant que député, dans le département de l'Oise et dans l'ensemble de sa région. Ceux qui l'ont connu se souviennent aussi de l'artiste aux multiples talents et d'un homme simple, affable et particulièrement chaleureux et amical. Nos pensées accompagnent la famille d'Olivier Dassault, ses proches, mais aussi l'ensemble des salariés du Groupe dans cette épreuve. Nos pensées vont aussi au pilote qui est décédé avec lui dans ce terrible accident et à ses proches.
Monsieur le Président, dans ce moment d'épreuve pour votre groupe, notre commission est à vos côtés. Je vous cède la parole quelques instants à ce sujet.
Le moment est effectivement particulièrement douloureux pour nous. C'était un homme de passion qui avait la politique dans le sang. Il passait beaucoup de temps à Beauvais où il retournait au moment de son accident. C'était un homme de passion de l'aéronautique, par filiation et par histoire. Il pilotait les Falcon et il a été engagé dans l'Armée de l'air où il a piloté des avions de combat. Il a également été un homme de passion de l'art et il faisait de la musique et de la photographie, avec un talent certain. Je passe ses hobbies qui étaient la chasse et le golf que je partageais avec lui.
Je vous remercie de ce mot d'introduction, Monsieur le Président. Comme vous l'avez dit, comme lors de la disparition de Serge, la vie continue et il faut travailler sur les sujets qui sont les nôtres, en particulier dans ce contexte compliqué avec la crise de la Covid qui doit être vaincue et permettre un rebond du pays et de son industrie.
Mes chers collègues, je vous propose que nous observions une minute de silence à la mémoire de notre collègue.
Une minute de silence est observée en hommage à Olivier Dassault.
Monsieur le Président-directeur général, je vous remercie d'avoir accepté cette audition sur le programme SCAF, le système de combat aérien du futur, qui est aujourd'hui à une phase cruciale de son développement. Dès la semaine prochaine, nous entendrons Antoine Bouvier et Dirk Hoke d'Airbus, afin d'avoir entendu les principaux acteurs de ce dossier essentiel.
Le SCAF est l'une des conditions de l'autonomie stratégique de l'Europe à l'horizon 2040. Notre commission suit de près ce programme mené en coopération avec l'Allemagne puis l'Espagne : un rapport de nos collègues Ronan Le Gleut et Hélène Conway-Mouret en a récemment exposé les enjeux. C'est aussi un sujet central, mais difficile, dans nos discussions régulières avec nos homologues allemands qui détiennent une part importante de la décision.
Le démonstrateur du SCAF doit être lancé avant l'entrée de l'Allemagne puis de la France dans des périodes électorales peu propices à des décisions sereines. Cette étape doit préciser le partage des tâches et rendre le projet irréversible.
Néanmoins, les inquiétudes sont grandes. Vous avez vous-même déclaré à la presse « je ne crois pas que le pronostic vital soit engagé, mais je peux vous dire que le malade est dans un état difficile ». Pouvons-nous encore faire confiance à notre partenaire allemand, qui semble enclin à remettre en cause le principe, pourtant acté, d'un leardership français sur ce programme ? Nous n'accepterions pas que notre acquis industriel soit sacrifié : la coopération avec l'Allemagne ne peut pas être marquée du sceau du « quoi qu'il en coûte ».
Quels sont les points qui achoppent ? Quels sont les pans du projet sur lesquels un accord robuste a pu être trouvé ? Nous comprenons que le sujet des droits de propriété intellectuelle (IPR) est particulièrement difficile. Vous nous direz quel est l'impact de l'investissement espagnol sur l'équilibre global du projet et comment préserver le principe dit du « meilleur athlète » qui consiste à confier à celui qui sait le faire le mieux sa réalisation. La question des capacités indispensables à la France - sa navalisation et la capacité à emporter la composante aéroportée de la dissuasion - doit être évoquée.
Nous avons l'impression que le doute commence à s'installer. La question de la pertinence du projet et de sa viabilité semble à nouveau posée. Côté allemand, il est de nouveau question d'un recours possible au F-35 ou du lancement d'un démonstrateur sur la base de l'Eurofighter. Côté français, une tribune récente demande s'il faut « persévérer dans l'erreur » de la coopération franco-allemande.
Existe-t-il des alternatives au SCAF ? Certes la BITD française serait capable de conduire seule le projet, mais le coût en serait vraisemblablement exorbitant et les marchés de débouchés incertains. Le retour à une coopération franco-britannique ne paraît pas une idée beaucoup plus crédible dans le contexte du Brexit. Dès lors, comment réussir le SCAF ?
Nous sommes très heureux que vous puissiez nous éclairer aujourd'hui à ce sujet pour mesurer les difficultés et envisager les éventuelles voies de sortie de l'impasse.
Je précise que cette audition est captée et sera diffusée sur le site Internet du Sénat. Monsieur le Président, vous avez la parole.
Ce sujet est délicat, mais aussi de grande ambition. Il est normal que vous soyez informés de l'état des discussions. Ce projet remonte à une volonté politique du Président de la République et de la Chancelière en 2017. Cette décision a été suivie pour les industriels, d'un accord entre Airbus Defence System Allemagne et Dassault Aviation : sur cette base, nous avons proposé aux Etats un partage de responsabilité industrielle. Sur un certain nombre de piliers du grand SCAF (avion, systèmes, drones, développement du moteur et développement de certains éléments électroniques), Dassault a revendiqué l'avion de combat NGF et Safran a revendiqué le moteur tandis qu'Airbus Allemagne a revendiqué le pilier du système de systèmes et les capteurs qui n'existaient pas initialement. Sur cette base, les deux Etats ont signé des accords pour lancer des études. De premières études, dites Joint Concept Study, (JCS) ont été menées sur les points techniques et opérationnels, à partir d'un besoin opérationnel de haut niveau, signé entre l'Armée de l'air française, portant les intérêts de la Marine nationale pour le futur groupe aéroporté, et l'Armée de l'air allemande. Nous avons commencé à travailler sur la base de ce scénario et à dégager des arbitrages pour proposer des solutions opérationnelles pour les avions de combat et les drones. Ce travail doit s'achever à l'été 2021 pour présenter deux formules retenues pour le programme futur.
Parallèlement à ces études technico-opérationnelles (ETO), les démonstrateurs technologiques ont été lancés pour préfigurer et essayer des technologies en vol, pour les avions de combat et les drones, pour vérifier que les bons compromis pourraient être trouvés pour satisfaire le besoin qui sera précisé après les résultats de la JCS.
Une phase 1A a été lancée. A ce moment, l'Espagne a fait part de son souhait d'entrer dans la JCS dans un tour de table sur les besoins opérationnels et d'entrer dans la phase 1A rapidement, certaines tâches lui ont donc été attribuées sans avoir pu négocier à l'avance.
Lors de la préparation de la phase actuelle, avec les études de phase 1B deuxième version, qui vont jusqu'à une définition détaillée, et la phase 2 sur le développement et la réalisation du prototype de NGF, les Etats ont indiqué avoir trouvé un accord pour un tiers/un tiers/un tiers. Cette logique changeait totalement la situation. Nous en avons tenu compte, puisque les Etats le demandaient. La France a normalement le rôle de leader sur le programme SCAF en contrepartie d'autres décisions sur les chars de combat (projet MGCS) ou l'Eurodrone.
Depuis juin 2020, nous préparons la négociation pour que la décision soit prise avant l'été 2021. Nous avions conscience de la nécessité de mener rapidement les négociations, compte tenu des échéances électorales en Allemagne où la campagne a débuté, et avions défini un terme des négociations fin 2020. Nous avons formulé de nombreuses propositions et fait de nombreuses concessions pour aboutir à l'accord de fin 2020 et nous pensions que cet accord était équilibré. Nous avons accepté le principe un tiers/un tiers/un tiers en charges : nous avons accepté que Dassault ait un tiers du travail tandis qu'Airbus aurait les deux tiers. Airbus Espagne et Airbus Allemagne constituent effectivement le même Airbus. Vous auditionnerez la semaine prochaine Dirk Hoke qui est le patron d'Airbus Allemagne et d'Airbus Espagne, mais pas celui d'Airbus France. Le CEO d'Airbus est Guillaume Faury et non Dirk Hoke. L'accélération du principe un tiers/un tiers/un tiers constituait déjà une concession importante, à mon sens, pas simple à gérer. Alors que nous avions pris au départ tout le leadership des packages pour assurer notre responsabilité, demandée par les Etats. Les trois Etats ont effectivement demandé à Dassault Aviation d'être leader prime sur les phases à venir et d'assumer la responsabilité, ce qui revient à s'assurer de la sécurité de l'avion, mais aussi de ses performances, dans un projet technologique de haut niveau. Airbus privilégiait un modèle de type Eurofighter où tout serait joint et où tout serait réalisé ensemble, sans responsable. Nous ne souhaitions pas ce modèle puisque nous considérons que le prime doit arbitrer. Nous avons accepté que 46 % des 92 packages soit joint tandis que 54 % seront réalisés avec un leader désigné dans le work package et un partenaire. Sur ces 54 %, Dassault aura moins de la moitié en responsabilité - environ 40 % - tandis qu'Airbus disposera du leadership sur la responsabilité pour 60 % de ces packages non joint. Nous avons accepté cela, par volonté d'y arriver.
Or, début 2021, Airbus a indiqué que l'équilibre n'était pas satisfaisant sur les packages les plus sensibles du développement, qui permettent d'exercer la maîtrise d'oeuvre, et que l'équilibre un tiers/un tiers/un tiers n'était pas respecté. Airbus et l'Allemagne ont alors indiqué qu'ils accepteraient un équilibre à 60 % pour Airbus et à 40 % pour Dassault. J'ai refusé cette proposition : les négociations avaient abouti, fin 2020, et des ajustements marginaux auraient pu être adoptés, mais je ne voulais pas partager les packages sensibles puisque je renoncerai alors à la maîtrise d'oeuvre. Je ne peux pas exercer la responsabilité sur le fonctionnement de l'avion, dans un calendrier et des coûts définis, sans disposer des leviers pour exercer la maîtrise d'oeuvre. Nous avons donc indiqué que nous étions prêts à discuter, mais que nous ne pouvions pas accepter la demande.
Je me suis alors retourné vers les Etats et leur ai laissé le choix. Si l'option proposée par Airbus était retenue, Dassault ne pourra plus exercer la maîtrise d'oeuvre et le projet n'aura plus de maître d'oeuvre. Le schéma contractuel sera alors différent. Ce point constitue le principal point d'achoppement actuel, avec le choix entre la prise de responsabilité et le partage équitable à trouver. Ce choix préfigurera le futur.
Nous nous soucions des besoins opérationnels de nos forcées armées. La France présente des spécificités et l'utilisation des avions de combat diffère en France, en Allemagne et en Espagne, avec une expérience très différente. Le retour d'expérience de nos forces armées doit être pris en compte, ainsi que leurs besoins en matière de nucléaire aéroporté qui constitue une demande forte de nos armées, de l'Etat et du Président de la République, chef des armées, mais aussi en matière de capacité à mettre un avion sur un porte-avions. Peu d'avionneurs au monde savent concevoir un avion de combat pour des armées aériennes et pour une marine. Même aux Etats-Unis, le sujet est assez compliqué. Nous disposons d'une expérience sur ces sujets, avec le Super-Etendard et le Rafale, et cette expérience nous permet d'effectuer les arbitrages et d'assumer notre rôle d'architecte. Nous pouvons être architecte-conseil, mais, si vous voulez que je sois architecte et maître d'oeuvre, je dois maîtriser les différents paramètres.
Le second point d'achoppement concerne la propriété intellectuelle. Je me suis exprimé à ce sujet devant la presse et le dis à nouveau : le créateur est propriétaire de sa propriété intellectuelle. Il peut la mettre à disposition pour le programme, ce que nous réalisons. Quand nous développons du matériel de défense, nous mettons à disposition ces droits au service de l'Etat qui a financé. Dire que je dois apporter mon savoir-faire et mon background pour mieux expliquer les choix et le fonctionnement aux Allemands ou aux Espagnols et m'y contraindre par contrat n'est pas possible. Ce second point rencontre une difficulté avec les Etats, sachant qu'Airbus n'y est pas opposé, au contraire. La problématique concerne plutôt les Etats. Je l'ai dit dès le début au Secrétaire d'État allemand, Benedikt Zimmer : la propriété intellectuelle ne correspond pas à une boîte noire. Les boîtes noires concernent les avions américains : dans le SCAF, les États sauront tout ce qui se trouve dans l'avion et pourront même le modifier. Le fait de connaître le fonctionnement d'un système et d'un avion, ainsi que sa conception, ne requiert toutefois pas de connaître les règles pour parvenir au résultat. Si je veux diffuser mon background car j'estime que la confiance s'est instaurée sur un programme de long terme, ce qui sera le cas en 2039, je peux le faire. Si je donne mon background aujourd'hui et que le programme est annulé dans deux ans, comment serais-je protégé vis-à-vis de la concurrence ? Safran et Thalès rejoignent ce point de vue défendu par Dassault, pour leurs domaines respectifs que sont les parties chaudes du moteur ou les radars ou contremesures.
Airbus dispose d'un centre d'expertise de commande de vols à Saint-Cloud et à Toulouse pour les avions commerciaux, mais il veut en installer un troisième à Manching puis un autre en Espagne.
Je reviens sur le coût exorbitant que pourrait avoir le développement d'un avion de combat. Tout dépend des besoins opérationnels. Le Rafale n'a pas coûté plus cher à la France que l'Eurofighter à l'Allemagne, au Royaume-Uni ou à l'Italie. Je laisse les opérationnels juger et établir une comparaison entre l'Eurofighter et le Rafale, mais je peux dire que le Rafale se pose sur un porte-avions et emporte la composante nucléaire aéroportée (CNA), ce qui n'est pas le cas de l'Eurofighter.
La volonté consiste à trouver des accords équilibrés, mais nous sommes accusés de déséquilibre sous prétexte de l'accord un tiers/un tiers/un tiers. Si nous prévoyons des organes d'arbitrage étatique, les sujets seront soumis aux trois DGA et aux trois Etats. Si deux Etats s'allient, ils prendront les décisions. Comment pouvons-nous assurer notre leadership français, notre maîtrise d'ouvrage française et notre maîtrise d'oeuvre française dans une telle organisation ? Nous avons posé la question, mais n'avons pas encore obtenu de réponse. Je travaille donc sur un plan B, dont je ne vous parlerai pas aujourd'hui puisqu'il n'est pas encore prêt. Ces questions doivent être posées, puisque nous allons engager trois pays, des forces armées, un besoin opérationnel et notre réputation pour arriver à développer ce système pour les années 2040. Airbus revendique un certain équilibre sur les douze principaux work packages sensibles et veut obtenir davantage de Dassault, mais c'est Dassault qui devrait plaider sur le déséquilibre, au départ. Je l'ai dit aux trois DGA en leur expliquant que nous ne franchirons pas la ligne rouge que nous avons définie. C'est notre ADN et nous pensons que nous avons raison et que les Allemands vont un peu loin sur l'équilibre un tiers/un tiers/un tiers, sur l'équilibre des packages et sur l'équilibre des packages sensibles. Si ce déséquilibre intervient, je ne saurai plus assurer la maîtrise d'oeuvre et ne pourrai m'assurer du bon fonctionnement de l'avion et encore moins des temps et des coûts.
L'arrivée des Espagnols n'a-t-elle pas finalement déstabilisé le sujet ? Les engagements financiers annoncés et leurs ambitions déstabilisent-ils l'idée initiale des deux gouvernements ?
L'arrivée des Espagnols et la définition d'un schéma un tiers/un tiers/un tiers soulève la question du ménage à trois. En ce qui me concerne, pour le NGF et le pilier 1, c'est un ménage à deux, avec Airbus et Dassault, mais Airbus pèse deux tiers et Dassault un tiers : la situation est pire. Dans un ménage à trois, deux acteurs peuvent s'allier contre l'autre. Sur le plan industriel, Dassault est face à Airbus et l'équilibre à 50/50 où Dassault détenait le leadership est passé à un tiers/un tiers/un tiers qui devient deux tiers/un tiers. Telle est la problématique rencontrée.
Oui, j'ai pu discuter avec la ministre. La France accorde beaucoup d'importance au couple franco-allemand, mais je ne sais pas si le couple perdure puisque nous sommes désormais trois et que l'Espagne a la volonté d'être un partenaire au même niveau que l'Allemagne. A chaque fois que, dans une négociation, je donne un à l'Allemagne, je dois accorder la même chose à l'Espagne : je donne donc deux et garde un. Il n'existe pas de grand projet industriel et technologique dans le monde où le responsable du développement de tout le système, maître d'oeuvre, se voit imposer les sous-traitants et un arbitre avec trois Etats. Je ne veux pas engager ma société dans un tel processus. Nous tenons nos engagements et je ne peux pas prendre d'engagement que je ne saurais pas tenir.
Je vous remercie pour la clarté de vos propos. Vous vous êtes étendu à juste titre sur la problématique de la gouvernance un tiers/un tiers/un tiers. Quelles sont les conditions et garanties minimales pour assurer pleinement la maîtrise d'oeuvre, notamment dans les rapports avec l'Exécutif ? J'ai compris que, selon vous, les Français pourraient construire seuls le SCAF avec Safran, Thalès et MBDA : cette solution ne serait-elle pas plus pragmatique et pérenne pour la base industrielle et technologique de défense (BITD) française ?
Techniquement parlant, cette solution est possible. Pour un projet d'une telle ampleur, la volonté politique est prédominante. Nous avons développé le Mirage 4 au début des années 1960 puisqu'il existait une volonté politique, avec une composante nucléaire fondamentale pour la stratégie française. Nous nous appuyons donc en premier lieu sur la volonté politique et la respectons. Le second point concerne les budgets. Sur cette phase, pour le NGF, il est question d'un budget de 2 milliards d'euros, après 700 millions d'euros pour la phase 1B, et ces sommes sont partagées à trois. Je ne peux me prononcer sur le coût du projet, puisqu'il faut d'abord finir les études, mais il s'élèvera à des dizaines de milliards d'euros. Si le programme est mal géré, comme le F-35, le coût pourrait être de centaines de milliards d'euros. La France a de grandes ambitions, mais peu d'argent, et il convient donc d'être plus efficaces : quand nous développons un nouveau système, l'efficacité est donc requise. L'A400M avait un maître d'oeuvre et un leader. Le leader doit être le « meilleur athlète » : ceci est décidé et admis, mais les commandes me sont retirées puisqu'il faut coopérer sur tout, tout partager et tout discuter. Les conditions d'arbitrage ne me sont en outre pas données : or, si je ne peux arbitrer, je ne peux pas exercer ma maîtrise d'oeuvre. La décision appartient aux Etats, mais nous disposons des compétences techniques en France.
Je voulais m'associer aux propos du Président Cambon suite à la disparition d'Olivier Dassault, mais aussi vous féliciter puisque vous retrouvez, deux ans plus tard, la présidence du Conseil des industries de défense françaises (CIDEF).
Il y a un an, nous avons travaillé avec Ronan Le Gleut à un rapport sur le SCAF. Nous vous avions interrogé sur le programme Tempest : vous ne prêtiez alors pas un grand avenir à ce projet. Avez-vous changé d'avis depuis, au vu des investissements que le Premier ministre anglais a décidés dans le domaine de la recherche ?
Vous venez d'évoquer un plan B : l'objectif est-il de bousculer notre partenaire allemand, avec une part de bluff ? L'objectif pourrait-il être différent, voire opposé, entre le projet politique du SCAF qui se veut européen et l'objectif des industriels qui est peut-être de coopérer, mais pas à n'importe quel prix ?
Nous avions préconisé avec Ronan Le Gleut une accélération dans le projet SCAF au vu du projet Tempest qui devrait être présenté cinq ans plus tôt que le nôtre et au vu des appareils très sophistiqués qui commencent à voler, comme les chasseurs russes de cinquième génération. Or, il nous est indiqué que le démonstrateur, qui était prévu pour 2026, serait décalé à 2027. Pouvez-vous confirmer ou infirmer ce glissement dans le calendrier qui va à l'encontre de nos intérêts ?
C'est bien un sujet qui nous inquiète si nous ne disposons pas des outils de la maîtrise d'oeuvre. Si nous n'arbitrons pas et que nous discutons, les discussions peuvent durer longtemps. Notre ambition consiste à faire voler un avion : elle doit alimenter les compétences des bureaux d'étude et de nos essais en vol. Il est temps de remettre de la technologie et une ambition sur le développement futur, même si nous sommes très satisfaits des résultats du Rafale sur ses évolutions de systèmes.
Ma position ne varie pas sur le projet Tempest. Oui, les Anglais investissent dans les études, mais le Brexit ne fera sans doute pas gagner du budget au Royaume-Uni, qui doit gérer la crise de la Covid et qui continue à acquérir des F-35, à un coût supérieur au Rafale, et ce dans des quantités importantes. Le budget français ne prévoit la livraison d'aucun Rafale alors que le Royaume-Uni doit payer l'acquisition et le soutien des F-35. Les industriels britanniques menacent de devenir américains. Le chiffre d'affaires de BAE vient plutôt des Etats-Unis que de la Grande-Bretagne. Un sujet existentiel existe donc pour BAE Systems. Un programme de défense lui permettrait d'équilibrer ses difficultés. La Grande-Bretagne saura-t-elle faire voler un démonstrateur avec l'Italie ? Je ne sais pas. Ils peuvent l'annoncer, mais je n'en suis pas convaincu puisque le coût est très important. Ils peuvent dire qu'il en va de la souveraineté britannique, mais ils continuent à acquérir des F-35. Ils sont peut-être très mécontents du F-35 et veulent peut-être passer immédiatement à autre chose ? Les forces armées américaines disent cela. Les Etats-Unis développent un super F-15 alors qu'ils ont des F-22 et des F-35. Nos voisins belges soulèvent des doutes sur le F-35. Nous revenons à la problématique entre Etats-Unis et avions européens. Nous sommes engagés pour développer un projet en Europe, mais le projet devra être performant puisque l'export sera important, en tant que facteur d'équilibre de l'économie des industries de défense. Si le projet n'est pas performant, nos forces armées ne seront pas dotées du meilleur matériel du monde et nous ne saurons pas l'exporter. Le modèle français, incarné par le Rafale, constitue une belle réussite opérationnelle et budgétaire et nous arrivons à l'exporter.
Pour le Neuron, nous avions conçu un développement technologique pour développer la furtivité et disposer de drones de combat, et nous disposions d'un modèle de coopération où la France était leader, avec 50 %, et avait désigné Dassault comme leader. Dans le projet SCAF, la France investit 33 %. Si l'égalité doit être parfaite dans chaque programme, elle nie l'efficacité collective de ce que peut faire l'Europe et des redondances surviendront. Il me semble que ce modèle n'est pas pertinent.
Monsieur le Président, au nom du groupe Union centriste, je vous présente toutes nos condoléances pour la tragique disparition d'Olivier Dassault.
Vous avez déclaré aux médias que vous aviez un plan B en cas d'abandon du projet d'avion de combat du futur. L'histoire est un éternel recommencement. En 1985, après des années de discussion avec nos partenaires allemands, britanniques, espagnols et italiens, la France se retirait du projet d'avion européen et lançait seule le Rafale, avion polyvalent avec une version marine. La vision de Marcel Dassault s'imposait. Mon entreprise d'électronique travaillait alors pour les avions Marcel Dassault : au moment de me confier le dessin du circuit imprimé de 32 couches pour interconnecter les commandes de vol du tout premier Rafale, le directeur du bureau d'études m'a dit que nous avions deux semaines et que nous n'avions pas droit à une seule erreur. Il ne m'a pas demandé alors combien il allait coûter. Le Rafale a été construit en moins d'un an et demi, avec neuf mois d'avance sur le calendrier prévisionnel. Il fait la fierté de notre pays et l'admiration de ceux qui le voient passer. L'Eurofighter Typhoon ne remplit toujours pas la totalité de son cahier des charges initial. Son développement a coûté beaucoup plus cher et il a coûté 50 % de plus au Trésor britannique que notre Rafale.
L'arrivée de l'Espagne dans le projet SCAF répartit désormais l'avion de combat en tiers entre Airbus Allemagne, Airbus Espagne et Dassault, ce qui change tout à fait la donne. Pensez-vous réaliste qu'Airbus, constructeur aéronautique civil, puisse se substituer à ce qui fait le coeur de l'expertise de Dassault, pour développer les commandes de vol du NGF, comme semblent le réclamer les Allemands ? Est-ce que ce travail en coopération ne coûtera pas finalement plus cher ?
Aux détracteurs qui avaient dit à Marcel Dassault que le Rafale n'était pas européen, il avait répondu qu'il serait mondial. L'avenir lui a donné raison. Dassault Aviation est-il en capacité de construire un NGF français ? Quelle est la ligne jaune qui pourrait vous amener à demander au Président de la République de substituer un plan B au plan A, comme l'a fait Marcel Dassault à François Mitterrand en 1984 ? Je ne vous demande pas combien il coûterait, car la France ne serait plus la France si elle n'était plus en mesure de trouver les moyens de le financer.
Je vous remercie pour ce témoignage de l'histoire. Il faut toujours savoir d'où on vient et regarder le futur. Quand on a pris le pari d'aller avec Airbus, à la demande du Président de la République, je me suis adressé à Serge qui m'a dit deux choses : « Est-ce que ce sera bon pour Dassault ? Est-ce que ce sera bon pour la France ? ». Je défendrai toujours les intérêts de ma société, mais aussi des Français et de la France, incarnés par le Président de la République et le Parlement. A partir du moment où on me fixe une nouvelle mission, visant à construire l'Europe de la défense, j'ai accepté, avec certaines conditions. Je dois disposer d'outils, des capacités et des manoeuvres pour mener à bien le projet, avec des partenaires.
Dans le cadre de l'expérience Neuron, nous avons volé très rapidement. Je ne peux pas vous parler des performances, puisqu'elles sont Secret Défense, mais elles sont meilleures que les spécifications et le budget a été respecté. Pour rappel, pour 450 millions d'euros, dont la moitié est payée par la France, nous avons réussi à faire voler un drone de la taille d'un Mirage 2000, ultra furtif dans des conditions assez rapides et à six pays. Nous sommes prêts à emmener une équipe. Après six mois et des concessions, nous nous sommes réveillés en début d'année et avons constaté que les équilibres sont aujourd'hui rompus. Si nous n'avons pas les outils et les manettes pour piloter, nous ferons un Eurofighter. Ce sera un crève-coeur, mais je ne pourrai pas refuser la demande du pouvoir politique. Je ne prendrai toutefois pas la responsabilité. Je m'interroge même sur les compromis acceptés fin 2020. J'ai un doute vis-à-vis de la capacité à tenir des engagements pris dans l'enthousiasme de la fin d'année 2020.
Mon plan B ne consiste pas forcément à faire tout seul, mais à trouver une méthode de gouvernance qui permette d'emmener des Européens, mais pas selon les règles fixées aujourd'hui, car cela ne fonctionnera pas.
Je vous félicite à mon tour pour votre désignation à la tête du CIDEF. Nous avons déjà évoqué ensemble à de nombreuses occasions la pression allemande du Bundestag sur le transfert des technologies qui constitue une des motivations de ce projet, transfert auquel vous vous opposez, à juste titre à mon sens.
Sur l'arrivée de l'Espagne dans ce couple moderne, à trois, pouvez-vous revenir sur les conséquences concrètes de la montée en puissance de l'Espagne sur la répartition des charges de travail entre Dassault et Airbus ? Je rappelle que l'Espagne investit deux milliards d'euros pour entrer dans le projet. Qu'en est-il de l'éventuel jeu des retours géographiques ? Seraient-ils, en cas de réussite du projet, liés aux commandes, avec les risques que cela implique ? Vous avez expliqué qu'il était difficile de rester leader avec un tiers seulement de la charge de travail : que proposez-vous concrètement à Airbus pour rester leader ? N'existe-t-il pas une incohérence de départ rendant le projet, sinon impossible, très difficile à mener, avec le risque d'une confusion dans la durée ? La montée en puissance d'ITP sur la motorisation, avec la volonté d'imposer le moteur de l'Eurofighter Typhoon pour le démonstrateur, ne pose-t-elle pas la même question ? Pour mémoire, nous avons le même problème pour la motorisation de l'Eurodrone. Où en êtes-vous avec Airbus sur la question de la navalisation de l'avion de combat et de sa capacité à emporter les charges nucléaires ? Cette question est-elle abordée dans le cadre des négociations sur le démonstrateur ? Que devient le projet Neuron ? Souhaitez-vous aider la France à rattraper le retard considérable qu'elle a pris en matière de drones ?
Nous avons accepté la répartition de deux tiers/un tiers en charges, qui vaudra pour le retour géographique. Nous avons voulu garder le leadership sur les packages dits sensibles, comme pour l'architecture des commandes de vol et le système nerveux de l'avion, essentiel pour sa sécurité et sa manoeuvrabilité, et nous revendiquons aussi le mission system qui donnera lieu aux capacités opérationnelles de l'avion, que l'Allemagne revendique également. Il nous semble vital de préserver les compétences et le leadership en France pour les architectures fonctionnelles. L'Allemagne revendique également la furtivité : nous avons donné des packages aux Allemands dans la furtivité, mais voulons garder l'arbitrage de la furtivité, dans le package low observability synthesis, que les Allemands demandent. Le cockpit est le point sensible entre l'avion et le pilote, pour le dialogue homme-machine que nous avons développé et pour lequel nous avons fait école sur les avions de combat et l'ensemble des avions civils dans le monde. Ce sujet est également revendiqué par Airbus.
Pour ces packages sensibles, j'ai besoin de garder le leadership, ce qu'Airbus conteste. Nous pouvons admettre le deux tiers/un tiers en charges, mais il convient absolument de conserver la responsabilité sur ces packages hauts, d'autant que la moitié des packages sont partis en joint et que Dassault n'a que 40 % de leadership sur les autres packages. J'ai conservé les packages du haut et Airbus veut maintenant un équilibre un tiers/un tiers/un tiers sur les packages du haut, ce qui déséquilibre le projet. Airbus doit admettre que le leader est Dassault pour effectuer les arbitrages de maîtrise d'oeuvre.
La suite logique du Neuron était le drone de combat franco-britannique dans le cadre de Lancaster House. Ce projet s'est arrêté le jour où le projet franco-allemand a débuté, mi-2017, d'autant que le Brexit est survenu. Dans le pilier numéro 3 du SCAF, Airbus Allemagne a pris le leadership sur le drone. Ce qui était un petit remote carrier peut devenir un gros remote carrier et même un loyal wingman qui peut lui-même devenir un UCAV. Airbus Allemagne fabriquerait alors un drone de combat. Ceci ne préjuge pas des budgets, sachant que les trois pays ont décidé d'une baisse budgétaire. Nous avons évoqué le sujet des relations entre le drone et l'avion, mais cette question a été écartée puisque Airbus considère que ce sujet lui revient.
Je vous invite à auditionner le DGA pour évoquer ces sujets.
Monsieur le Président, vous avez souhaité rappeler, il y a quinze jours, à l'ambassadeur d'Allemagne que nos homologues allemands devaient prendre conscience que l'appartenance à l'Union européenne repose sur une volonté commune de paix, mais aussi sur un partage d'ambitions et de responsabilités politiques, et non uniquement sur la défense des avantages industriels nationaux. Il semble que ces divergences persistent sur la notion de partage, notamment quand il s'agit de propriété intellectuelle. Monsieur Trappier, vous avez déclaré sur le sujet que le créateur reste propriétaire, pas celui qui paie. Nous sommes d'accord avec vous, surtout quand il existe 70 ans de technologies et d'expérience.
Les clauses existent, pour protéger la propriété intellectuelle acquise antérieurement au contrat. Selon vous, ces clauses sont-elles véritablement solides, juridiquement, dans le cadre d'un projet européen de si grande envergure ? A l'heure où les transferts de technologies peuvent être des conditions dans les négociations de contrat, par quels moyens les entreprises de défense françaises peuvent-elles renforcer la protection de leur savoir-faire ?
Juridiquement, le dispositif tient la route. Les États vous accordent le contrat sous réserve de mettre la licence de la propriété intellectuelle au service du projet. Dassault a la capacité à exprimer ses positions. D'autres industriels de la défense acceptent de telles clauses. Au sein de l'Agence européenne de défense (AED), nous avons mené un combat pour éviter que la propriété intellectuelle de background soit partagée dans tous les projets menés en coopération. Les contrats peuvent être justes, mais nous ne signerons pas un contrat qui prévoit que nous donnions du background.
Je l'ai dit le premier jour au DGA, au DGA allemand puis au DGA espagnol. Je ferai preuve de transparence et d'explication, mais ne transmettrai pas les secrets de fabrication. L'industriel doit se battre sur ces sujets et la France doit se battre pour le protéger.
Alors que le groupe Dassault a accepté de réduire sa part globale dans le projet SCAF, par souci d'égalité avec ses partenaires allemands et espagnols, au prix de négociations difficiles, alors qu'il a été affirmé qu'une fusion entre le SCAF et le projet concurrent Tempest développé par la Grande-Bretagne, l'Italie et la Suède n'était pas d'actualité, une tribune a été publiée lundi par le groupe de réflexion Mars, qui réunit des experts de la défense, et appelle le gouvernement à ne pas persévérer dans l'erreur en voulant à tout prix faire aboutir le projet SCAF. La pression politique s'accentue et le Président de la République française veut faire de la coopération avec l'Allemagne un des piliers de la politique européenne de défense, avec une véritable volonté politique de la France et de l'Allemagne de conduire ce projet. Quelle méthodologie et quelle coopération pour pouvoir conduire cette autonomie stratégique de la France et de l'Europe ?
Du donnant-donnant est nécessaire : l'Europe n'est pas un pays. Dans la compétition entre Boeing et Lockheed pour le F-35, les États-Unis ont fait le choix de l'un. L'Europe n'est pas encore un pays et ne peut prendre une telle décision : pour cette raison, la coopération est de mise, et non le seul principe de « meilleur athlète ». Du donnant-donnant est donc nécessaire. Il était convenu que l'Eurodrone soit construit par les Allemands, ce que les Italiens et les Français ont accepté et même demandé, souhaitant qu'un leader soit désigné. Dans le pilier 1 relatif au NGF, la France est leader avec Dassault. L'Allemagne est leader sur d'autres projets, mais conteste maintenant le leadership de la France sur le pilier 1. L'Allemagne est en outre leader sur le char. Cette coopération est nécessaire pour que l'Europe produise des produits performants, à condition de respecter l'équation initiale et le leadership français sur ce projet.
Dans notre rapport sur le SCAF avec Hélène Conway-Mouret, nous avions clairement identifié le calendrier : nous entrons dans un tunnel électoral avec des élections législatives en Allemagne qui aboutiront à un changement de Chancellerie, après 16 ans de mandat pour Angela Merkel, entre septembre 2021 et l'élection présidentielle en France de 2022. L'irréversibilité du projet se joue donc maintenant, ce qui explique l'intensité des négociations. Le rapport mentionnait l'irréversibilité puisque nous comparions le projet de FCAS franco-britannique, pour lequel les montants engagés étaient équivalents à ce qui a été engagé jusqu'à maintenant sur le SCAF. Le projet FCAS a été abandonné et les montants engagés sur le SCAF n'ont donc encore aucun caractère irréversible : la phase suivante sera bien plus engageante.
Dans les négociations de 2020, les Allemands avaient introduit le MGCS dans les discussions sur le SCAF. Les Allemands voulaient que le leadership sur le char soit très clairement identifié et ce leadership a été donné à l'Allemagne. En contrepartie, la France devait avoir un leadership clair sur le SCAF. Je comprends que ceci est remis en cause aujourd'hui. Il me semble donc que la France devrait de nouveau faire entrer le MGCS dans les négociations pour rééquilibrer les projets.
Le donnant-donnant constitue vraiment la bonne méthode. Airbus affirmera devant nous que Dassault est le leader, mais en me coupant tous les leviers. Cette attitude est critiquable. Je pense que la France soutient notre démarche. Nous avons formulé toutes les propositions possibles jusque fin 2020, avec des positions tout à fait acceptables, mais les Allemands considèrent que la position française ne l'est pas et les Espagnols se sont immédiatement ralliés à cette position. Le blocage vient de là : les Allemands refusent la proposition française d'assurer le leadership, compte tenu de l'accord politique initial et des équilibres sur d'autres sujets. Il me semble qu'un combat politique doit être mené.
Nous sommes peut-être déjà engagés dans la campagne électorale en Allemagne. Les partis élaborent un programme électoral et même un programme de gouvernement dans le cadre d'éventuelles coalitions, avec un exécutif qui changera, quoi qu'il en soit.
J'ai eu à connaître la fusion dans les blindés, avec les discussions entre Nexter et KMW. Même en Allemagne, KMW a dû s'allier à son concurrent direct et la France n'y a pas gagné grand-chose. Vous dites que vous êtes défendus par le pouvoir politique en France, mais le couple franco-allemand est placé au-dessus, et la vision de ce couple n'est pas la même côté allemand et côté français. L'Europe de la défense, pour l'Allemagne, consiste à défendre ses industries.
Avez-vous réellement besoin de l'industrie allemande ? Qu'attendez-vous des parlementaires français ? Les parlementaires ne décident pas, mais nous avons noté une loi de programmation et nous travaillons sur son actualisation. Les élections arrivent en Allemagne, mais aussi en France. Avez-vous d'autres partenaires européens possibles dans un plan B ? Certains en Italie auraient aimé se joindre au projet. Resterez-vous dans ce partage un tiers/un tiers/un tiers ? Je crains que vous ne soyez contraints en fin de compte d'entrer dans le plan B.
A chaque fois que je discute avec un Allemand, il me parle du Bundestag. La France a aussi un Parlement et nous avons une loi de programmation militaire qui permet à l'exécutif d'avoir une vision à six ans. Nous ne sommes pas contraints de passer en permanence devant le Parlement pour toute autorisation budgétaire de dépenses. Le Parlement qui défend les intérêts politiques français, comme l'exécutif, ne peut dire à Dassault d'accepter toutes les demandes d'Airbus, sous prétexte que ces demandes émanent du Bundestag. J'ai besoin de ce soutien du Parlement français pour équilibrer le rapport de force.
Si la campagne électorale a débuté en Allemagne, il faudra ensuite qu'une coalition soit établie, ce qui risque d'être compliqué. A ce moment-là, la campagne électorale aura débuté en France.
Le plan B doit être bâti, mais ceci prend du temps. S'il devient certain, il devient le plan A. Je montrerai qu'il existe des plans B pour la méthode d'organisation, la gouvernance et la coopération.
Trouver d'autres coopérants ne relève pas de moi, mais de l'Etat. Je n'ai pas choisi l'Allemagne. La décision est politique. Pour le Neuron, l'Etat nous a demandé de trouver des partenaires et nous avons trouvé des partenaires, avec les Suédois et les Italiens, et nous avons bâti la coopération politique autour d'un projet industriel, c'est l'inverse aujourd'hui. Je ne remets pas en cause le choix politique, mais le choix du partenaire ne relève pas de moi.
Je vous remercie, Monsieur le Président, de vos explications. Nous sommes au coeur d'enjeux politiques, industriels et de souveraineté mêlés dans ces grands dossiers de défense. Derrière les difficultés que vous rencontrez, n'existe-t-il pas un débat politique qui n'est pas assumé ? A force de promouvoir l'idée de l'Europe de la défense et les projets européens sans traiter les enjeux industriels et de souveraineté, nous nous retrouvons dans cette situation. Vous défendez une conception coopérative et équilibrée, dans le respect de la souveraineté des industriels, mais d'autres conceptions existent : certaines sous-tendent la disparition de certains acteurs industriels, avec des industries intégrées à terme, dans le cadre de l'Europe de la défense. Derrière l'Europe de la défense, il est également possible de laisser libre champ à la guerre des industriels jusqu'à ce que les plus forts ou les plus riches l'emportent. Il n'est pas sûr que l'avenir de Dassault soit toujours défendu par tout le monde. Ne pensez-vous pas qu'il existe un défaut de débat politique sur les enjeux de la construction de projets européens de défense ? Vous avez accepté des concessions, et vous nous interrogez aujourd'hui sur le bien-fondé de certaines concessions, mais la France ne risque-t-elle pas de vous demander d'autres concessions au nom du maintien du projet, même si elles mettent en cause notre souveraineté ?
Nous avons le choix entre trois modèles : un modèle comme Dassault avec un actionnaire français, un modèle nationalisé et un modèle avec des fonds de pension anglo-saxons. Je pense qu'il vaut mieux des industries avec des fonds français pour les sociétés stratégiques. Regardez les grandes sociétés européennes et leurs actionnaires, par exemple pour BAE Systems ou Airbus.
Je pense que le modèle de nationalisation est dépassé et que, pour des raisons d'efficacité, il a été démontré qu'un Airbus, un Dassault ou un BAE Systems sont plus efficaces en étant privés. Je loue le modèle des sociétés françaises familiales : elles peuvent peut-être grandir et s'allier pour devenir des ETI plus fortes, pour les PME, mais le modèle est bon et il contribue à la souveraineté du pays.
Je vous remercie pour tous ces éclaircissements. Vous nous avez présenté les différents enjeux et problèmes. L'arrivée de l'Espagne - qui n'est d'ailleurs pas dans le MGCS - pose des difficultés. Nous nous interrogeons sur les capacités financières et techniques de l'Espagne à répondre à un tel niveau de technologie et de savoir-faire.
Vous pouvez bien évidemment compter sur le Parlement. Nous avons une délégation franco-allemande qui nous permet de nous exprimer très librement vis-à-vis de nos collègues du Bundestag. J'avais été parmi les premiers à avertir l'Elysée que les déclarations au plus haut niveau ne se répercutent pas toujours au Bundestag. Un député allemand avait même eu cette phrase stupéfiante, indiquant que le SCAF serait financé trimestre par trimestre si les conditions et les garanties envisagées par le Bundestag étaient remplies. Nos collègues allemands sont très mobilisés par le tissu industriel de leur Land respectif. Nos cultures diffèrent, ainsi que nos concepts mêmes d'armées. Quant à nous, notre mobilisation est totale.
Par ailleurs, je souhaite profiter de votre présence pour vous dire que nous sommes très attentifs à l'actualisation de la loi de programmation militaire, même si vous êtes moins menacés que d'autres puisque vos marchés extérieurs sont en passe de se multiplier, ce dont nous nous réjouissons. Dassault constitue une fierté nationale. Avec l'Inde, l'Egypte, le Qatar, la Grèce et potentiellement l'Indonésie, la Croatie, la Suisse et la Finlande, les marchés potentiels montrent, après une période incertaine, que le Rafale est bien un des meilleurs avions du monde, si ce n'est le meilleur. Nos partenaires européens sont toutefois capables d'acheter aux Etats-Unis. Nous avons également un rôle pour faire comprendre que l'Europe de la défense, ou la défense de l'Europe, repose sur l'ajout de briques successives. Nous sommes attentifs à ce que les engagements souscrits au travers de la loi de programmation militaire soient tenus. Une loi d'actualisation nous a été refusée, mais nous avons lancé un rapport qui crée quelques perturbations au ministère. Nous réaliserons un rapport très précis. Nous serons attentifs à ce que les industriels ne soient pas pris en défaut par des décisions budgétaires. Les engagements de la loi de programmation militaire doivent être tenus.
Nous sommes à vos côtés pour défendre ce savoir-faire et je comprends que vous ne souhaitiez pas transmettre trop de ce savoir-faire qui vous illustre dans les marchés internationaux et fait que cet avion est un des meilleurs. Nous saurons faire passer ces messages, même si l'incertitude qui pèse sur l'élection allemande mérite d'être prise en compte. Dès que la situation reviendra à la normale, avec la vaccination, nous pourrons de nouveau rencontrer nos amis allemands et les sensibiliser sur ces choix et les conséquences de ces choix.
On peut se demander si Airbus, voyant les difficultés qui s'annoncent sur l'aviation civile, n'essaie pas de se refaire une santé sur l'aviation militaire. On lit de telles analyses sur le sujet.
Nous avons une très bonne relation avec Airbus par ailleurs. Nous nous parlons beaucoup avec Guillaume Faury puisque l'impact de la crise sur l'aéronautique française et européenne est important. Je ne crois pas qu'il y ait la volonté que vous évoquez : l'équilibre défense/civil rend nos sociétés duales plus fortes que les sociétés exclusivement en défense ou en civil. Nous travaillons pour nous assurer que le tissu industriel français ne s'effondre pas, avec les 500 sous-traitants de l'aéronautique. La construction d'un Rafale alimente effectivement la sous-traitance française. Nous parlons des études et du développement, mais il faudra aussi parler de fabrication, dans la coopération : des pans entiers risquent d'être enlevés et des usines fermeront ; des PME fermeront à cause du partage. Les quantités seront peut-être plus importantes, si nous concevons un avion de qualité et parvenons à exporter. L'emploi en France, dans les domaines de l'aéronautique et de la défense, est important, surtout dans les territoires.
De nombreux collègues sont effectivement concernés par la sauvegarde des industries de pointe dans leur département. Ce sujet nous mobilise.
Je vous remercie, Monsieur le Président. Nous sommes à vos côtés dans cette période tragique et pour défendre ce magnifique projet et les grands équilibres voulus. La ministre des Armées a indiqué que le projet ne pouvait être conduit qu'avec des acteurs de confiance. Nous restons vigilants sur ces questions.
Je vous remercie.
La réunion est close à 11 h 30.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.