Mes chers collègues, je suis heureux d'accueillir M. Jacques Rivoal, président, et M. Julien Collette, directeur général du groupement d'intérêt public (GIP) France 2023, chargé d'organiser la Coupe du monde de rugby en France du 8 septembre au 28 octobre prochains.
Cette coupe du monde est souvent considérée comme une « répétition générale » avant le début des jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024. Et il s'agit, en effet, du dernier événement d'ampleur qui sera organisé sur l'ensemble du territoire avant l'accueil de la plus grande compétition sportive mondiale.
Pourtant, il serait très réducteur, et même injuste, de ramener cette coupe du monde à une simple « mise en jambes ». Cette manifestation constitue un événement international de premier rang qui devrait passionner des centaines de millions de téléspectateurs et rassembler des centaines de milliers de spectateurs. Le rugby bénéficie en effet d'un réel engouement, comme l'illustrent les audiences du Top 14 et du Tournoi des six nations.
À un peu plus de six mois de cet événement, nous souhaitions donc faire le point avec vous, messieurs, sur les différents aspects de l'organisation de cet événement. Où en sont les préparatifs concernant les neuf stades prévus pour la compétition, les plans de transports, les dispositifs de sécurité ? Concernant les recettes générées par cet événement, où en êtes-vous en matière de billetterie et de sponsors ?
Au-delà de ces questions habituelles à l'approche d'une grande manifestation sportive, nous sommes également obligés de vous interroger sur la gouvernance du GIP France 2023, dont je rappelle qu'il est détenu à 67 % par la Fédération française de rugby (FFR), à 32 % par l'État et à 1 % par le Comité national olympique et sportif français (CNOSF).
En septembre dernier, le directeur général du GIP, M. Claude Atcher, a été écarté de ses responsabilités au motif que son management n'était pas exempt d'une certaine brutalité et que de nombreuses irrégularités auraient été constatées.
Notre commission n'a pas pour rôle de se substituer aux enquêtes en cours sur ces irrégularités. Toutefois, dans le cadre de ses missions de contrôle, elle est compétente pour établir des faits et assurer la transparence dans les domaines qui relèvent de ses missions.
Nous souhaitons, dans ces conditions, que vous nous expliquiez les difficultés auxquelles vous avez dû faire face à l'issue du départ de M. Atcher, et que vous nous disiez, plus particulièrement, quels sont les risques pesant sur l'organisation de la Coupe du monde de rugby, certaines informations ayant laissé entendre que l'équilibre économique de la manifestation pourrait être moins favorable qu'initialement annoncé.
Monsieur le président, monsieur le directeur général, je vais vous laisser la parole pour un propos liminaire, après quoi je proposerai à notre rapporteur pour avis sur les crédits du sport, Jean-Jacques Lozach, et au président du groupe d'études sur les pratiques sportives et les grands événements sportifs, Michel Savin, de vous poser une première série de questions.
Je rappelle que cette audition est captée et diffusée en direct sur le site internet du Sénat.
Depuis l'été, nous avons mis en place une gouvernance collégiale au sein du GIP.
Je commencerai par quelques généralités sur la Coupe du monde de rugby : c'est le troisième plus grand événement sportif mondial, après les jeux Olympiques et la Coupe du monde de football. Le rugby a le vent en poupe : ce sport est en plein essor et rassemble plus de 800 millions de téléspectateurs dans le monde. À l'origine anglo-saxon, il se généralise à tous les pays et se féminise : l'augmentation des licenciés, en particulier en France, vient de l'apport des jeunes femmes.
Les gens apprécient le rugby : 90 % des Français sont favorables à l'organisation de la Coupe du monde de rugby, car ils considèrent que cet événement aura des retombées positives pour le pays ; 74 % des Français souhaitent suivre la compétition, au stade ou derrière leur écran de télévision.
L'équipe de France est plutôt brillante en ce moment ; c'est une chance. Notre objectif majeur est d'organiser une grande fête populaire, qui va se dérouler pendant 51 jours, dans tous les territoires de France, scandée de grands moments de célébration.
Le plateau sportif est exceptionnel : les vingt meilleures équipes du monde vont s'affronter, soit 660 joueurs. Les cartes ont été rebattues récemment : le premier pays au classement mondial est l'Irlande, qui est passée, comme la France, devant les grands pays du Sud, Nouvelle-Zélande, Australie, Afrique du Sud. On observe aussi l'émergence de « petits » pays comme la Géorgie ou le Chili, qui participera à sa première coupe du monde aux côtés de deux autres nations d'Amérique du Sud, l'Argentine et l'Uruguay.
La première phase se déclinera en quatre poules réunissant cinq équipes. Il ne s'agit pas d'un événement parisien, réservé aux happy few : il se déroulera dans neuf stades situés notamment dans les grandes villes de province. Les finales, la grande et la petite, auront lieu au Stade de France. En prenant en compte le cas de l'Est - Alsace, Lorraine, Bourgogne, Franche-Comté -, qui est à part, 80 % de la population française sera à moins de deux heures d'un site de compétition : neuf stades, donc, mais aussi vingt camps de base, soit une cinquantaine de villes qui auront le plaisir d'accueillir les équipes entre les matchs. La compétition commencera le 8 septembre pour s'achever le 28 octobre.
Les différents stades hôtes sont les suivants : Lille, Saint-Denis, Nantes, Bordeaux, Toulouse, Marseille, Lyon, Saint-Étienne, Nice. Paris, où sera situé le centre de presse, a également le statut de ville hôte.
Je commencerai mon propos par un éclairage sur l'économie de l'événement : nous sortons d'une revue budgétaire complète qui a consisté notamment à comparer le niveau de dépenses d'exploitation nécessaires à l'organisation de cet événement aux standards internationaux, s'agissant du troisième événement sportif mondial, qui réunira près d'un milliard de téléspectateurs, sous les lumières du monde entier, donc. On ne saurait l'organiser à un niveau de dépenses inférieur à celui de nos prédécesseurs, sauf à considérer que les Japonais et les Anglais étaient incompétents en la matière... Or le niveau de dépenses moyen engagé dans l'organisation des précédentes coupes du monde tournait autour de 250 millions d'euros. Il était prévu, avant la revue budgétaire, un niveau de dépenses inférieur à 200 millions d'euros, qui faisait peser un risque sur la qualité de l'organisation de l'événement. Il était donc de notre responsabilité de revoir ce niveau de dépenses, en relation étroite avec l'État, avec World Rugby et avec la Fédération française de rugby, non seulement pour prendre en compte l'effet de l'inflation, qui affecte l'ensemble des métiers, mais aussi pour mettre en cohérence ce niveau de dépenses avec nos obligations contractuelles et avec nos engagements en matière de responsabilité sociale et environnementale ainsi que d'héritage.
Après cette revue budgétaire, nous arrivons à un niveau de dépenses de 215 millions d'euros, auxquels s'ajoute une réserve de 3 millions. Cette enveloppe inclut les effets de l'inflation ; à sept mois de l'événement, nous connaissons les prix auxquels nous allons acheter la plupart des prestations et auxquels nous embauchons nos salariés, sachant que 99 millions d'euros restent à engager sur cette année.
Parmi les dépenses importantes figurent les dépenses de sécurité ; celles-ci avaient été en partie sous-estimées, au motif que l'État et les collectivités locales allaient assurer des dépenses qui, en la matière, en réalité ne leur incombaient pas. Nous avons travaillé de manière étroite avec les services de l'État, la coordination nationale pour la sécurité des jeux Olympiques de 2024 et des grands événements sportifs internationaux (CNSJ), le ministère de l'intérieur, la délégation interministérielle aux jeux Olympiques et Paralympiques 2024 (Dijop) et la délégation interministérielle aux grands événements sportifs (Diges) pour assurer la conformité des dispositifs de sécurité à nos obligations et leur adaptabilité aux contextes locaux, à la situation de chaque stade et de chaque camp de base.
Second élément : pour garantir la sécurité de cet événement, il nous faut intégrer cette problématique à la qualité des parcours client et des parcours spectateur, et non la considérer comme une dimension à part. Tout au long du parcours spectateur, depuis le départ d'un détenteur de billet de l'aéroport ou de la gare de sa ville de résidence, nous devons pouvoir communiquer avec le client de manière très étroite. C'est précisément ce que permet le choix stratégique qui a été fait dès le départ, qui nous permet de maîtriser l'ensemble du processus de commercialisation et de gestion de la billetterie par un système intégré dans lequel nos clients nous laissent l'usage de leurs données, étant entendu qu'acheter un billet c'est faire un achat de loisir, un achat « plaisir » : ce n'est pas comme acheter un réfrigérateur...
Ainsi pouvons-nous intégrer les données d'un million de personnes à nos dispositifs de sécurisation, lesquels seront adaptés à chaque contexte local dans le cadre d'études de sûreté. L'enjeu, pour nous, est de finaliser la passation des contrats des marchés de sécurité privée, sachant que nous sommes soumis au droit de la commande publique : nous devons déployer 6 300 agents de sécurité privée sur les neuf sites de compétition. Nous recensons deux ou trois sites un peu en tension, mais ils ne nous inquiètent pas outre mesure. Le pic de mobilisation d'agents de sécurité privée sur un week-end d'organisation de la Coupe du monde correspond à un week-end de match de Ligue 1 : le marché de la sécurité privée tel qu'il existe aujourd'hui en France est en mesure de répondre à nos besoins, en quantité comme en qualité, sachant que la compétition a lieu en automne, et non en plein coeur de l'été, et qu'elle est répartie sur dix sites en comptant Paris. Nul besoin, donc, de concentrer un nombre extrêmement important d'agents de sécurité sur une seule région pendant une période estivale, comme c'est le cas pour les jeux Olympiques.
Pour le reste, le point clé en matière de sécurité est la coordination avec les acteurs. Nous fonctionnons dans le cadre d'une convention de partenariat avec le ministère de l'intérieur, mais aussi avec les autorités organisatrices de transports des collectivités locales - c'est important pour la fluidité de la gestion des flux autour des stades, en amont et en aval des matchs.
World Rugby a fait de la santé des joueurs une priorité, ce qui explique la durée de l'événement : cinq jours de repos sont exigés pour toutes les équipes pendant toute la durée de la compétition. Le nombre de jours de repos est significativement accru par rapport aux précédentes éditions : 331 jours de repos en 2015, 328 en 2019, 441 en 2023 ; de surcroît, 33 joueurs sont autorisés pour chaque équipe au lieu de 31 auparavant.
En matière de revenus, la commercialisation de la billetterie a rencontré un succès que l'on peut qualifier de phénoménal : les billets se sont arrachés comme des petits pains. Les 2,2 millions de billets réservés au grand public se sont tous vendus et nous avons mis en place, en janvier, une plateforme officielle de revente, seul canal par lequel les détenteurs de billets peuvent les revendre au prix facial d'achat majoré de 10 % de participation aux frais. Nous développons en parallèle une politique de lutte contre le marché noir et de surveillance de plateformes telles que Viagogo, contre laquelle nous venons d'obtenir une décision de justice favorable.
La billetterie est la principale source de nos revenus. Nous avons 400 millions d'euros de dépenses à couvrir, dont 218 millions de dépenses d'exploitation, le reste étant constitué des droits que nous achetons à World Rugby pour organiser la Coupe du monde. La billetterie est la clé de la création de valeur liée à l'organisation de cette compétition : elle représente 347 millions d'euros de chiffre d'affaires.
Maîtrisant cette billetterie, nous connaissons parfaitement notre public, et notamment la répartition des acheteurs par genre. Le public du rugby reste très masculin, bien que la féminisation soit en cours : 80 % d'hommes, 19 % de femmes. Contrairement à l'audience des matchs du XV de France, composée surtout d'hommes âgés de plus de 40 ans, la majorité des détenteurs de billets ont moins de 40 ans, ce qui est une très bonne nouvelle du point de vue du renouvellement du public et de la participation du public à la vie de l'événement et à l'animation du territoire.
Nous connaissons la provenance des acheteurs de billets : plus de la moitié des spectateurs sont Français - on peut penser que les stades vont vibrer au son de la Marseillaise. Les Britanniques ont acheté beaucoup de billets : parmi les 40 % d'acheteurs de billets qui viennent de l'étranger, 60 % viennent des îles britanniques, berceau de ce sport. Concernant la répartition géographique des acheteurs français par département, de manière assez peu surprenante, il apparaît que les Toulousains vont venir en force dans les stades, comme les Parisiens et les Girondins. Il est intéressant de constater néanmoins que le rugby n'est plus seulement un sport du Sud-Ouest et de la région parisienne, mais rayonne bien au-delà : le sénateur Savin constatera notamment que l'Isère est bien placée, comme la Loire-Atlantique ou le Nord, importants pourvoyeurs de fans - il faut dire qu'on y trouve des stades de la Coupe du monde.
Ce sport, on le voit, est en plein essor sur tout le territoire, avec une exception notable, le Grand Est, qui reste une terre de mission pour le rugby.
En matière de sponsoring, il va s'agir d'une coupe du monde record : 80 millions d'euros de chiffre d'affaires lié à la vente de contrats de partenariat. Les cinq partenaires majeurs, Société Générale, Capgemini, Jaguar Land Rover, Emirates, Mastercard, sont des partenaires de World Rugby. Quant à nos sponsors officiels, ils sont des entreprises françaises leaders dans leurs secteurs d'activité respectifs, qui vont des services publics jusqu'aux métiers du divertissement ou aux télécommunications en passant par l'organisation événementielle ou l'assurance : GL events, GMF, Loxam, Orange, Proman, SNCF, TotalEnergies, Vivendi.
L'enjeu, dans les six mois à venir, est de faire monter l'envie parmi la population et l'ensemble des acteurs économiques et sociaux, autour d'un slogan, « Célébrons toutes les fraternités », qui résonne avec la devise républicaine et avec les valeurs du rugby. La transcription anglaise fonctionne aussi très bien : « Let's celebrate togetherness ». Trois objectifs : faire monter l'engouement ; construire un lien de confiance avec le public ; créer un sentiment d'impatience autour d'un moment symbolique. À cet égard, les affres qu'a traversées la gouvernance du rugby français n'ont pas atteint l'image de marque de la Coupe du monde de rugby : la marque est très forte. Nous vous donnons rendez-vous lors du « J-100 », fin mai, qui sera un grand moment de célébration sur tout le territoire.
Notre force est précisément d'organiser une coupe du monde des territoires : nous y associons non seulement les dix métropoles et villes hôtes, mais une majorité de régions, qui sont très investies, en particulier Occitanie, Nouvelle-Aquitaine, Île-de-France, Sud Provence-Alpes-Côte d'Azur, Hauts-de-France, Pays de la Loire, ainsi que de nombreux départements et collectivités.
Quant à l'adhésion du public à la Coupe du monde, nous l'avons observée lors de la circulation, entre juillet et novembre dernier, du « train du rugby », qui est passé par 51 villes et a reçu 100 000 visiteurs, grâce à notre partenariat avec la SNCF.
Les vingt camps de base vont nous permettre aussi de faire adhérer les territoires à cet événement et de faire connaître le rugby à des populations qui n'auront pas accès aux stades, via l'organisation d'entraînements ouverts au public. Le lien des petites équipes avec le public, notamment, promet d'être très fort. Nous avons réparti les camps de base de manière équilibrée sur le territoire, parfois en forçant un peu la main des équipes : Lyon, Rueil-Malmaison, Bourgoin-Jallieu, Avignon, Aix-les-Bains, par exemple, pour la poule A.
L'un des lieux de célébration majeurs sera le « village rugby », qui réunira au moins 10 000 personnes dans le centre de chaque grande agglomération accueillant les matchs, plus Paris. La fan zone parisienne sera implantée sur un lieu iconique, la place de la Concorde. Un seul lieu reste en suspens : nous restons en discussion, sans perdre espoir, avec la métropole européenne de Lille pour y trouver une solution.
En parallèle, pour permettre à toutes les collectivités et à tous les clubs amateurs de célébrer la Coupe du monde sans avoir à entrer dans le carcan de la protection des droits commerciaux, certes moins stricte que pendant les jeux Olympiques, nous avons créé le label Rugby Festival, auxquels pourront adhérer tous les porteurs de projet sans utiliser la marque « Coupe du monde », et qui fédérera toutes les initiatives locales en lien avec l'événement.
Cette coupe du monde doit également avoir un impact positif. Ne nous racontons pas d'histoires : avec 2 500 000 détenteurs de billets venus du monde entier, l'événement générera d'importantes émissions de gaz carbonique - on ne sait pas faire autrement. En revanche, nous avons fait le choix d'investir dans des programmes d'absorption du carbone, en partenariat avec les collectivités locales et avec des partenaires économiques ; c'est une innovation. Nous investissons aussi fortement dans l'économie durable et circulaire, notamment dans la gestion de nos services de restauration au grand public et aux VIP - filières courtes de production, lutte contre le gaspillage alimentaire, recyclage des déchets. Nous avons noué notamment un partenariat avec les banques alimentaires.
L'autre pilier majeur de notre stratégie RSE concerne l'engagement en faveur de l'éducation, de la formation et de l'emploi : de manière extrêmement innovante, le comité d'organisation a créé, en partenariat avec l'État et les partenaires sociaux, un centre de formation d'apprentis (CFA) d'entreprise, Campus 2023, qui permet la formation de 1 427 jeunes qui seront tous diplômés à la fin de l'année à l'issue d'un programme immersif ; 500 emplois seront pérennisés grâce à des aides de l'Agence nationale du sport (ANS) et au bénéfice d'exploitation de France 2023.
Nous disposons aussi d'un fonds de dotation qui soutient beaucoup d'actions locales et de clubs.
Je commencerai par une question sur la sécurité, thème que l'on ne peut plus passer sous silence, malheureusement, lorsqu'on évoque l'organisation de grandes manifestations internationales. Nous venons d'achever l'examen d'un texte essentiellement sécuritaire sur les jeux Olympiques et Paralympiques, dont les dispositions vont d'abord concerner l'organisation de la Coupe du monde du rugby. Quelle est votre analyse de ce texte ? La question se pose aussi de la gestion de la relation entre organisateurs et supporters. Il existe une amicale et une association des supporters du XV de France ; ces instances ont-elles été associées à la préparation de l'événement ?
Par ailleurs, le sport français est actuellement traversé par un ensemble de crises de gouvernance auxquelles le rugby n'a pas échappé - il est rarissime de voir un président de fédération sportive démissionner. Or, vous l'avez rappelé, la Fédération française de rugby représente les deux tiers de l'actionnariat du GIP. Cette crise n'aurait-elle vraiment eu aucun impact sur la préparation de la Coupe du monde ? Votre organigramme comprend un comité d'éthique ; s'est-il réuni au cours des derniers mois ? Nous souhaitons que de telles instances se voient confier davantage de prérogatives.
Par ailleurs, une question sur l'héritage : qu'attendez-vous en la matière ? Vous avez dit que le rugby se portait de mieux en mieux, mais, sur le plan national, ce n'est pas tout à fait vrai - on observe une baisse du nombre de licenciés, même si le covid est passé par là. Sentez-vous une véritable mobilisation des clubs ? Il faut tenir compte notamment de l'expérience de 2007.
Vous avez évoqué la dimension budgétaire. Quel est l'apport financier de World Rugby ? Est-ce seulement le sponsoring qui transite par World Rugby ? Pouvez-vous nous donner une estimation de la contribution des collectivités à l'organisation ?
Je reviendrai sur deux points qui me semblent les plus importants : la sécurité et la billetterie.
Pour ce qui est de la sécurité, avez-vous l'intention d'utiliser les moyens que la loi portant sur les jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 va vous conférer ? Je pense à toutes les mesures liées à la sécurité des personnes, vidéoprotection, caméras embarquées sur des aéronefs, etc. Un travail spécifique est-il effectué ville par ville, en tenant compte de la diversité des modes de transport ?
Qu'en est-il des camps de base et des fan zones ? La sécurité dans ces lieux est-elle à la charge des organisateurs ? En rugby, on sait que la troisième mi-temps se passe dans des lieux de rassemblement bien identifiés...
Une partie de la sécurité est-elle à la charge des collectivités ? On sait que la sécurité privée est un métier en tension : les sociétés ont du mal à recruter. Où en est votre appel d'offres ?
Pour ce qui est de la billetterie, pouvez-vous nous présenter la plateforme de revente qui vient d'être mise en place sous votre responsabilité ? Avez-vous mis en place des mesures de sécurité contre la fraude et le marché noir, phénomènes inévitables dès lors que la demande est très forte ?
Il avait été annoncé par les organisateurs que certaines équipes éliminées du premier tour resteraient sur le territoire français où seraient organisées des activités pendant toute la durée du tournoi, et cette présence devait être prise en charge par la Fédération française de rugby. Est-ce toujours d'actualité ?
Quant au montant de l'héritage, est-ce bien la Fédération française de rugby qui le gérera en mettant en place des actions auprès du rugby amateur, ou est-ce plutôt France 2023 ?
Je réponds tout d'abord sur la gouvernance : il y a les problèmes de gouvernance de la Fédération française de rugby et il y a les problèmes de gouvernance du GIP, les événements de l'été nous ayant conduits à remplacer le précédent directeur général.
Les gens doivent bien comprendre que la préparation d'une coupe du monde de rugby est de la responsabilité d'un comité d'organisation, que je préside, structure indépendante qui a pris la forme d'un GIP. Cette entreprise compte trois membres fondateurs : le CNOSF, pour 1 % des droits de vote, la Fédération française de rugby, pour 67 % des droits de vote, et l'État, pour 32 % des droits de vote. Nos deux actionnaires principaux sont donc l'État et la FFR.
Les problèmes médiatico-juridiques de la Fédération française de rugby n'ont pas eu d'effet sur le comité d'organisation : nous avons continué de travailler et de prendre des décisions et nos instances ont fonctionné, conseil d'administration, assemblées générales, comités régaliens. Il y a certes eu un « buzz » négatif pour le rugby, mais nous n'avons pris aucun retard sur notre trajectoire : tous les indicateurs sont au vert. L'événement est tellement fort que ces problèmes de gouvernance n'ont pas eu de conséquences sur son organisation.
Concernant nos propres problèmes de gouvernance, l'histoire a démarré avec des articles de presse qui ont fait état de problèmes de management. Dans la foulée, la ministre des sports a réagi en saisissant le comité d'éthique du GIP et l'inspection du travail : deux missions ont été lancées.
Le comité d'éthique, présidé par un haut magistrat retraité, M. Alain Pichon, qui présida la Cour des comptes, a auditionné dix-neuf personnes et produit un rapport remis le 19 août dernier, confirmant les allégations de pratiques managériales alarmantes. Nous avons donc pris nos responsabilités et mis à pied le directeur général à titre conservatoire, le 29 août, dans l'attente du rapport définitif de l'inspection du travail, remis quant à lui en octobre, deuxième étape à l'issue de laquelle nous l'avons licencié pour faute grave - la formule juridique a été la rupture anticipée de son contrat de travail, qui était un contrat à durée déterminée.
C'est donc une approche tout à fait rationnelle qui a été adoptée ; il est satisfaisant de constater que les instances propres à la gouvernance du GIP ont bien fonctionné. La procédure a été conforme au droit du travail et au droit public : nous avons fait les choses dans l'ordre et en toute transparence, pour aboutir à une décision unanime.
À la suite de ce départ, j'ai été amené à proposer un plan d'action : j'ai proposé une gouvernance collégiale associant un président qui, jusqu'alors non exécutif, devenait plus opérationnel, un directeur général et une directrice générale adjointe pilotant plus particulièrement l'organisation du tournoi, Martine Nemecek. Nous n'avons pris aucun retard, je le répète, tous les acteurs sont mobilisés et les ingrédients sont réunis pour faire de cet événement un succès.
Un mot sur le résultat financier de l'événement : après revue budgétaire approfondie, nous sommes capables d'affirmer qu'il se situera entre 45 et 50 millions d'euros, chiffre nettement positif. Les meilleures références, en la matière, sont la coupe du monde qui fut organisée en France en 2007 et celle qui eut lieu en Angleterre et au Pays de Galles en 2015 : dans les deux cas, le résultat fut de 36 millions d'euros de l'époque. La Coupe du monde sera donc très profitable.
L'actionnaire que nous rémunérons, c'est le rugby français : le résultat - c'est le sujet de l'héritage - sera redistribué à l'euro près à la famille du rugby français, mais aussi aux collectivités qui auront été parties prenantes dans l'opération.
Le bénéfice d'exploitation des opérations d'organisation du tournoi va être supérieur à 60 millions d'euros ; les 45 ou 50 millions d'euros dont parle Jacques Rivoal correspondent au résultat après prise en compte de l'économie de Campus 2023, qui, par définition, n'était pas prévu dans le dossier de candidature, qui, je le rappelle, affichait un résultat de 68 millions d'euros, sans anticiper les effets de l'inflation actuelle. Autrement dit, cet événement va être très profitable.
Comme le prévoit la convention constitutive, la totalité du « bonus de liquidation » du GIP ira à des actions de développement du rugby sur tout le territoire, et non à des frais de fonctionnement de la Fédération française de rugby ou de la Ligue nationale de rugby. Parmi ces actions, 9 millions d'euros sont déjà fléchés vers des aides à l'emploi destinées à pérenniser 250 emplois d'apprentis de Campus 2023, sachant que l'Agence nationale du sport va débloquer la même somme pour pérenniser 250 autres emplois d'apprentis. Quelque 15 millions d'euros doivent être consacrés à l'aide aux centres de formation des clubs professionnels, qui constituent une réserve pour le XV de France et permettent à de jeunes passionnés de faire valoir leurs performances tout en poursuivant leurs études dans le cadre d'un double projet. Le solde sera réparti entre les collectivités locales à hauteur de 30 % du montant. Par ailleurs, des aides iront directement aux clubs amateurs pour des projets qu'ils développeront eux-mêmes. Les clubs amateurs sont très rarement propriétaires des infrastructures, des équipements, voire des matériels : ce sont les collectivités, communes et établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), qui porteront ces projets et bénéficieront en premier lieu de ces aides. Un « comité héritage » est en cours de constitution et rendra un avis préalable sur chaque projet, comme le fera le comité d'éthique.
À l'heure actuelle, les instances du groupement d'intérêt public se réunissent tous les mois et demi : nous avons « parlementarisé » le fonctionnement du GIP.
Concernant le projet de faire rester des équipes perdantes sur le territoire français jusqu'à la fin du tournoi, c'était une belle promesse, mais elle fut prise, malheureusement, sans consulter ni World Rugby ni les fédérations nationales, dont les joueurs devront rejoindre leurs championnats nationaux au plus vite. Nous n'avons pas donné suite à cette proposition qui, par ailleurs, n'était pas financée.
Concernant la billetterie, nous avons créé une plateforme officielle de revente, la seule qui garantisse aux détenteurs de billets de les revendre de manière légale et qui garantisse aux acheteurs d'acheter d'authentiques billets. Cette plateforme n'autorise la revente qu'au prix facial de vente, avec application d'une participation aux frais de 10 %. Nous avons mis en place un système de suivi des plateformes du type Viagogo. Nous les poursuivons en justice dès lors que nous détectons des transactions anormales.
De ce point de vue, notre maîtrise de la billetterie nous permet de garantir des conditions optimales de sécurité : nous maîtrisons les données de nos clients, ce qui nous permet de n'éditer que des billets électroniques et d'accroître la cybersécurité de l'événement, menace majeure qui pèse sur son organisation. Nous travaillons très étroitement avec le centre de renseignement olympique, rattaché à la CNSJ - ses fonctionnaires de police ont identifié le risque cyber comme menace principale, davantage que les risques d'attaque terroriste ou de délinquance - et avec l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (Anssi). Nous faisons aussi appel à un prestataire spécialisé pour éviter les failles éventuelles de sécurité dans la gestion de nos systèmes d'information, sachant que le système qui mérite une attention particulière est le système de contrôle des accès aux stades. Nous concentrons nos efforts sur la sécurisation de ce système ; cela nous aide grandement, à cet égard, de maîtriser la billetterie en amont. Des audits sont pilotés par l'Anssi sur chaque système d'information. Pendant le tournoi sera créé un centre des opérations de sécurité, et notamment de cybersécurité ; nous sommes en veille permanente.
Il existe quelques groupes de supporters organisés, mais telle n'est pas la culture du rugby. Nous avons des relations avec les fédérations nationales, notamment celles des îles britanniques, dont sont originaires beaucoup de fans. Nous savons aussi, par le biais de sondages effectués auprès des détenteurs de billets, que ceux-ci passeront plusieurs jours en France, en famille ou entre amis, avec un budget élevé. La logique ne sera donc pas celle de déplacements sur une période très courte de supporters fréquentant une « rue de la soif » sans même passer une nuit à l'hôtel et sans séjourner en France de manière durable ; cela nous permet de cibler les risques de débordement de manière fiable. Pour ce qui est des supporters français, nous sommes en lien avec les clubs professionnels : dans chaque ville hôte, ou presque, il existe un club de rugby qui connaît bien son public.
Quant à la sécurisation des zones de célébration et des « rues de la soif », elle est de la responsabilité des collectivités locales, en lien avec les forces de sécurité intérieure. De ce point de vue, la coordination des acteurs est assurée. Cela étant, les collectivités ont un débat assez classique avec l'État sur le coût de prise en charge de la sécurité des fan zones.
Concernant les autres zones de célébration, les préfets sont très attentifs à ce que les villages rugby soient les zones principales de célébration, plus faciles à sécuriser que des zones disséminées. Les préfets souhaitent en effet privilégier les zones officielles, ce qui n'interdit pas aux fans de se rendre dans les bars, les pubs et les restaurants, les plus fréquentés étant bien connus et identifiés.
La passation des appels d'offres est en cours de finalisation ; c'est une histoire de jours. Nous avons identifié quelques fragilités, mais nous ne sommes pas inquiets. Le nombre d'agents dont nous avons besoin est assez usuel sur le marché de la sécurité privée en France. Se pose toutefois un problème de mobilisation d'agents femmes : nous ne sommes pas encore certains de disposer d'agents femmes en nombre suffisant pour contrôler les 20 % de détentrices de billets, mais nous y travaillons avec la filière. Par ailleurs, nous avons identifié deux métropoles, dont Nantes, où, compte tenu des spécificités locales, il nous faudra prolonger l'appel d'offres de gré à gré.
World Rugby ne participe pas financièrement ; c'est nous qui achetons des droits à World Rugby : 196 millions d'euros de droits d'organisation auxquels s'ajoutent 90 millions d'euros de droits liés aux prestations d'hospitalité. Nous contribuons donc au financement du rugby mondial à hauteur de 280 millions d'euros, qui vont principalement aux fédérations en développement et non aux fédérations déjà professionnelles.
World Rugby se finance avec cinq sponsors ; les autres nous financent directement à hauteur de 80 millions d'euros. Quant aux collectivités locales, elles nous financent à hauteur d'une vingtaine de millions d'euros, montant assez modeste, mais qui ne prend pas en compte la mise à disposition d'installations, camps de base, stades. En réalité, le soutien des collectivités est très important ; c'est pourquoi nous travaillons étroitement avec elles sur l'héritage.
J'ai été particulièrement intéressé par votre allocution : le rugby est non seulement un sport, mais un art de vivre, une philosophie. Vous nous parlez d'une célébration ; c'est selon moi d'une cérémonie quasi cultuelle qu'il s'agit ! L'« esprit rugby », d'ailleurs, c'est aussi l'esprit du Sénat : ici, nous avons des affrontements, parfois un peu vifs, mais nous respectons les règles, l'arbitre et l'adversaire, et nous avons des troisièmes mi-temps. (Sourires.)
Vous avez « raffûté » les assauts de mes collègues ; je vous félicite d'avoir placé cette compétition sous l'esprit général de la fraternité. Un événement sportif, c'est d'abord la rencontre sur le terrain et en dehors de personnes de cultures différentes qui partagent un même enthousiasme.
Je suis aussi très content de la mise en place du label Rugby Festival, qui permet de sortir du carcan très réglementé de la marque officielle. Je vous invite à mettre à contribution les élus pour que chacun vous aide à engager auprès des collectivités une relation qui permette de faire vivre l'esprit que j'ai évoqué.
Je dis tout cela alors que Brive affronte le Racing 92 samedi prochain : cela risque de ne pas très bien se passer pour mon club de coeur... (Nouveaux sourires.)
Je préside la délégation aux droits des femmes du Sénat. Un joueur sur quatre est une femme : cette statistique est-elle le fruit d'un travail des instances du rugby ? Cette montée en puissance des femmes ne se retrouve pas au niveau des spectateurs ; comment l'expliquez-vous ?
Le modèle économique que vous nous avez présenté repose essentiellement sur la billetterie : est-il le même dans tous les grands événements sportifs ?
La compétition aura lieu sur neuf sites ; ce chiffre correspond-il à un certain équilibre financier ? Pourquoi pas davantage ? En matière de jauge, on varie quasiment du simple au double : gérez-vous différemment la sécurité de sites d'envergure extrêmement variable, sachant en outre que les capacités de transport diffèrent beaucoup, par exemple, entre Paris et Nantes ?
Quid, par ailleurs, de l'absence de la Bretagne ? Y a-t-il un lien entre implantation d'un site de compétition et participation du public ?
Le nombre de jours de repos passe de 331 en 2015 à 441 en 2023 ; en ces temps de débat sur le travail, faut-il en déduire que les joueurs sont fatigués en 2023 ?
C'est un grand plaisir de parler de ballon ovale dans cette commission où règne un lobby du ballon rond ! (Sourires.) Mon intervention n'est empreinte d'aucune nostalgie - ou si peu... - du « rugby cassoulet » et des troisièmes mi-temps. En nombre d'achats de billets, je suis élu du premier département qui n'abrite pas de métropole.
Mes collègues ont beaucoup parlé de sécurité. Sécuriser la Coupe du monde est en effet une nécessité, mais je peux vous dire, car il se trouve que j'ai fréquenté de nombreux matchs nationaux et internationaux, qu'en période de matchs de rugby les forces de sécurité sont particulièrement décontractées et plutôt débonnaires... Il faut garder en tête ce qu'est le public du rugby ! Il n'y a pas plus beau public que le public irlandais, par exemple. Dans ma ville de Biarritz, au lendemain d'un match de coupe d'Europe, dieu sait si les brasseurs étaient heureux, mais dieu sait également si Max Brisson, adjoint au maire chargé de l'espace public, était satisfait... (Nouveaux sourires.)
Nous souhaitons de beaux résultats à l'équipe d'Antoine Dupont. Vous avez évoqué la dimension mondiale du rugby, mais je voudrais poser une question politique : le rugby que vous avez décrit, côté face, entre dans la modernité, forme les talents, possède de magnifiques centres de performance ; mais, côté pile, dans le rugby des sous-préfectures et des chefs-lieux de canton, on connaît une véritable hémorragie du nombre de licenciés et de clubs. Dans une terre comme la mienne, le Pays basque, on assiste à des fusions de clubs ; et le public vieillit, vous l'avez dit vous-même.
La question vous a été posée des retombées de la Coupe du monde sur le rugby amateur et sur le tissu sportif. On observe néanmoins que votre focale et votre déploiement sont profondément métropolitains. Je sais que le business du rugby s'accommode mieux des métropoles ; mais ne croyez-vous pas qu'à terme on est en train de scier la branche sur laquelle on est assis en renonçant à ce tissu de formation que constituaient les clubs amateurs des chefs-lieux de canton et des petites communes ? Se creuse un écart entre le rugby moderne, que vous avez parfaitement exposé, et la réalité du rugby amateur : les choix que vous avez faits présentent un risque, celui de priver le rugby de sang nouveau.
« Célébrer », c'est fêter un événement : 51 jours de fête et de sport. N'oublions pas que 2023 marque le bicentenaire de la création de ce sport. On parla longtemps d'un sport de voyous pratiqué par des gentlemen, avant de se rendre compte que les voyous n'étaient pas sur le terrain... Ce sentiment d'impatience, en tout cas, nous l'avons. Nous avons été trois fois en finale sans jamais gagner ; une victoire, en France, aurait du sens.
Vous avez « purgé » beaucoup de questions, et vous avez bien fait de le faire : vous n'avez pas esquivé les affaires et nous pouvons désormais parler du rugby.
Vingt nations, 51 jours : au football, c'est souvent plus de trente nations et un mois. Pourquoi tant de temps, près de deux mois, pour organiser un tournoi de rugby ?
Votre prédécesseur avait parlé d'un bénéfice attendu de 200 millions d'euros pour la France. Vous avez bien expliqué que ce chiffre avait été révisé à 68 millions d'euros par le conseil d'administration du GIP ; le journal L'Équipe fait état d'un résultat de 40 millions d'euros et, quant à vous, vous évoquez un chiffre de 45 millions d'euros. Quelles sont les méthodes utilisées pour effectuer ce chiffrage ? L'inspection générale des finances est plus prudente : elle dit qu'avant de songer à mobiliser le bénéfice il faut en garantir la réalisation.
Ce qui est primordial, évidemment, au-delà de cette logique économique, c'est la belle fête qui va avoir lieu.
La Coupe du monde de rugby n'est pas une répétition ou un « brouillon » des jeux Olympiques, mais plutôt un exemple. J'apprécie l'équilibre de la répartition géographique des villes hôtes sur l'ensemble du territoire. À plus petite échelle, il faut garder en tête l'équation du rugby : un recrutement rural pour un sport d'élite métropolitain. Une partie du territoire paraît plus difficile à pénétrer : les banlieues. Certes, il existe de beaux exemples, comme le club de Massy. Un travail spécifique va-t-il être réalisé en direction de ces populations ?
Vous m'avez rassuré quant aux problèmes de revente. Demeurent un risque et un fléau.
Le rugby est un sport viril, mais correct ; malgré tout, il est de plus en plus violent - c'est une des raisons alléguées de la relative désaffection pour ce sport, au vu des chocs et des traumatismes qui peuvent être subis. Le risque est que cette image se trouve confirmée par des faits de matchs qui annuleraient tout le bénéfice attendu de cette compétition.
Le fléau, c'est le dopage, qui touche tous les sports : comment ce problème va-t-il être traité dans le cadre de la Coupe du monde ?
Nous sommes très heureux d'accueillir la Coupe du monde, notamment à Lyon, où nous recevrons les All Blacks.
Je souhaite revenir sur la sécurité, thème qui nous a beaucoup occupés au moment du fiasco de la finale de la Ligue des champions organisée au Stade de France. Cette semaine a été publié un rapport de l'UEFA qui reprend beaucoup des analyses du Sénat ; un déficit de dialogue entre les autorités et les supporters y est notamment pointé du doigt.
Avez-vous intégré dans vos lignes directrices certaines recommandations de ce rapport ou de celui du Sénat ? Le public sera pour moitié international : qu'en sera-t-il du dialogue entre spectateurs et forces de l'ordre ? La question de la doctrine de maintien de l'ordre est-elle en discussion ?
Je vous remercie et vous félicite, monsieur le président, monsieur le directeur général, d'avoir tenu compte du rapport fait par la commission des lois et la commission de la culture du Sénat sur les événements survenus au Stade de France en mettant en place cette fameuse billetterie nominative, dématérialisée et infalsifiable. Nous avons d'ailleurs adopté un amendement en ce sens pendant l'examen du projet de loi relatif aux jeux Olympiques et Paralympiques de 2024.
Rassurez-vous, je laisserai impunies les évocations caricaturales de mon collègue Max Brisson. (Sourires.)
Il se trouve que, par amour profond pour un sport qui se joue avec un ballon qui ne rebondit pas dans tous les sens, je parcours l'Europe : partout, dans de très grands stades, des flux de dizaines de milliers de spectateurs y sont chaque semaine accueillis sans aucun problème. J'ai pu le vérifier dernièrement encore au stade San Siro de Milan, où j'assistais au derby de la Madonnina, entre deux clubs qui se détestent.
Dès qu'un événement sportif est organisé dans notre pays, la tâche semble ne pouvoir se comparer qu'aux douze travaux d'Hercule ! Ma question est simple : le GIP est-il en relation avec ces organisations - je rappelle que le football compte 38 millions de licenciés dans le monde - qui savent faire depuis des lustres, dans des stades bien plus grands que les nôtres ? Existe-t-il des rapports techniques entre ces instances et les vôtres ?
Beaucoup ont présenté cette coupe du monde comme une espèce de répétition générale d'un autre événement, les jeux Olympiques, qui promet d'être encore plus grand et plus intense. Les problématiques diffèrent pourtant de part et d'autre, on le voit bien. La Coupe du monde aura lieu hors période estivale et les événements n'y seront pas concentrés à 80 % en région parisienne. Quant à son étalement dans le temps, je le juge bienvenu. Le spectacle, la performance, c'est bien, mais cela ne peut se faire au détriment des corps des athlètes. L'humain, dans le sport, doit avoir toute sa place, même si cela doit prolonger la durée de la compétition.
Vous n'avez pas répondu sur la crise de gouvernance qui affecte tant la Fédération française de rugby que le GIP : même si l'impact est inexistant sur la vente de billets et sur l'image de la compétition, on ne saurait éluder cette crise. Qu'allez-vous faire pour que de tels problèmes ne se reproduisent pas ?
Je suis pour que l'on célèbre la fraternité entre rugby et football, sans exagérer la rivalité entre ces deux sports. Au football aussi les supporters irlandais sont charmants ! J'ai pu le constater lors de l'Euro 2016, à Lyon, où, après la rencontre entre l'Irlande et la France, les supporters défaits chantaient Édith Piaf. Ce n'est pas le public qui crée le problème : c'est d'ailleurs ce qu'établit le rapport publié cette semaine - les supporters de football, ceux de Liverpool en particulier, ont été exemplaires et leur comportement a permis d'éviter que la situation ne dégénère. Il n'y a pas d'un côté le bon public du rugby et de l'autre le public un peu trop populaire, celui des quartiers et des banlieues, qui serait celui du football.
M. le président du GIP a évoqué les conditions de la rupture du contrat de l'ancien directeur général : y a-t-il eu des plaintes du personnel ?
« Célébration » et « fraternité » sont des mots très riches et très forts, qui collent parfaitement à ce que représente la Coupe du monde de rugby. Réfléchissant, comme le font les entreprises, à notre raison d'être, nous sommes convenus, modestement, que le sens de notre mission n'était pas étranger aux problématiques actuelles de la société. D'où notre plan RSE, organisé autour de thèmes très structurants, l'économie durable et circulaire, la formation, l'éducation, l'inclusion, l'emploi, l'environnement. Nous le résumons par ce slogan qui va nous guider : « Célébrons toutes les fraternités ». Dans une société fragmentée, archipélisée, où les gens se referment sur eux-mêmes, le rugby apporte du lien social, du collectif, du respect, de l'engagement ; c'est très moderne.
C'est aussi cela qui explique que le nombre de licenciés augmente de nouveau, que les femmes viennent au rugby et que les familles achètent des billets. Dans notre sport, l'équipe perdante attend religieusement l'équipe gagnante pour la saluer par une haie d'honneur. Je suis toujours éducateur dans un petit club de rugby ; quand je demande aux parents pourquoi ils y amènent leurs enfants, souvent ils me répondent en invoquant les vertus éducatives de ce sport.
Pour revenir sur votre question relative à la gouvernance, nous restons pudiques sur ces sujets, pour des raisons évidentes : nous n'avons pas de légitimité à nous exprimer sur les problèmes de gouvernance de la Fédération française de rugby. Par rapport aux standards du monde de l'entreprise, la gouvernance du mouvement sportif a sans doute encore besoin d'évoluer ; des profils comme le mien ou celui de Julien Collette peuvent y contribuer.
Concernant les problèmes de gouvernance du GIP, le fonctionnement collégial actuellement en place vise précisément à répondre aux dysfonctionnements connus dans le passé, qui ont été douloureux pour les collaborateurs du GIP - je n'y reviens que pudiquement.
La gouvernance actuelle est moderne et adaptée à la sophistication qu'exige le pilotage d'un tel événement. Un GIP est une entreprise éphémère, beaucoup plus complexe à gérer qu'une entreprise classique. Notre mission est de fédérer de nombreux acteurs, sponsors, villes hôtes, collectivités territoriales, État, World Rugby, Fédération française de rugby, autour d'un même événement ; cela nécessite un management bien spécifique.
Je rebondis sur l'évocation de la Corrèze : nous allons mettre à l'honneur le territoire corrézien en coproduisant un film intitulé Pour l'honneur, qui exalte les vertus éducatives du rugby.
M. Ouzoulias est sénateur des Hauts-de-Seine, mais aimerait bien être sénateur de la Corrèze ! (Sourires.)
Pour ce qui est du modèle économique et du choix de stades métropolitains, je précise qu'une décision purement économique aurait conduit à n'organiser les matchs qu'au Stade de France et à Marseille, les seuls à dépasser les 60 000 spectateurs ; mais le but est de réunir autant de fans que possible. Nous avons choisi d'organiser des matchs dans neuf stades hôtes au total, y compris dans des terres qui ne sont pas de rugby, et dans des stades qui n'ont pas été modernisés récemment. Nous aurions pu ne retenir que les stades utilisés pendant l'Euro 2016 ; nous avons préféré permettre aux supporters de toute la France de venir voir des matchs. C'est un choix fort, de compromis.
Nous n'avons pas écarté les territoires : les camps de base sont répartis sur l'ensemble du territoire ou presque. Il est vrai que le Grand Est reste le grand oublié, pour des raisons qui sont liées à la faiblesse de la présence du rugby dans cette région. Mais la Bretagne n'est pas négligée : le camp de base de l'équipe chilienne sera situé à Perros-Guirec, le Rugby Club de Vannes participe activement à l'animation du territoire et la Bretagne va accueillir la coupe du monde militaire de rugby.
La recherche d'un bénéfice n'est pas guidée par la volonté d'assurer la rentabilité économique de l'événement - cela n'aurait aucun sens : nous sommes délégataires d'une mission d'intérêt général -, mais par l'objectif de dégager des enveloppes qui serviront à développer le rugby sur tout le territoire. Il s'agit de trouver l'équilibre entre cette exigence et celle qui consiste à assurer l'excellence de l'organisation de l'événement conformément aux meilleurs standards internationaux, et ce sans réinventer la poudre.
Nous travaillons étroitement avec World Rugby - ce qui ne veut pas dire, d'ailleurs, que nous sommes les valets des Anglais - et avec tous les professionnels du secteur. Et les bénéfices de l'organisation de cette coupe du monde vont profiter aussi à d'autres nations de rugby.
Cet équilibre-là n'est pas facile à trouver ; c'est pourquoi nous rendons compte régulièrement à nos instances. Dans notre conseil d'administration siègent la FFR, l'État et le CNOSF, avec voix délibératives, mais aussi des personnalités qualifiées, dont les représentants des collectivités locales, avec voix consultative.
Au-delà des territoires à « ADN rugby », qui sont au coeur de notre stratégie, il faut intéresser aussi les jeunes des banlieues des grandes villes à ce sport. À cet égard, nous sommes en relation avec des collectivités comme le département de la Seine-Saint-Denis et la ville de Saint-Denis. Et nous allons lancer, avec le soutien de la métropole de Lyon, un tournoi national des quartiers, au pied des tours ; les équipes gagnantes iront jouer la finale à Marcoussis pendant la Coupe du monde - c'est une petite pierre à l'édifice. En équipe de France, les jeunes issus de ces territoires sont de plus en plus nombreux : ce sont des exemples.
Concernant les dispositifs de sécurité, nous cherchons à coopérer avec tous les acteurs concernés, étant entendu que les supporters du rugby ne sont pas organisés comme ceux du football. Nous travaillons plutôt avec les acteurs institutionnalisés que sont les fédérations, en nous inspirant des pratiques qui sont mises en place à l'occasion des matchs importants organisés chaque week-end en Ligue 1 et en Top 14 et en capitalisant sur la bonne expérience de l'Euro 2016. Quelque 4 500 volontaires ont été sélectionnés et seront mobilisés sur tous les territoires ; en complément, les collectivités hôtes mobiliseront elles aussi des volontaires : des passionnés de rugby seront en contact avec d'autres passionnés de rugby, évidemment en lien étroit avec les forces de sécurité intérieure.
Je précise en outre que nous avons adapté les dispositifs de sécurité en fonction de la taille et de la jauge des stades : nous mobilisons jusqu'à 1 000 agents de sécurité autour du Stade de France, pour 300 à La Beaujoire.
Pour la sécurité des joueurs, nous avons pris deux décisions : premièrement, prolonger la durée de la compétition de 45 à 51 jours, afin que chaque équipe bénéficie d'une période de repos de cinq jours entre deux matchs, le rugby étant un sport de contact ; deuxièmement, augmenter le nombre de joueurs par équipe, de 31 à 33.
Sur le volet du dopage, nous travaillons avec World Rugby et avec l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD). Nous organiserons pendant la compétition une opération spécifique sur la sensibilisation à cette lutte.
Un dernier mot : nous avons diligenté une investigation du comité d'éthique ; l'inspection du travail, de son côté, a auditionné plus de 60 personnes et remis un rapport de 60 pages. Notre comité social et économique (CSE), de son côté, a missionné un cabinet extérieur pour produire un autre rapport, de 120 pages, sur le climat social - la moitié du personnel a été auditionnée. Si l'on y ajoute le rapport de l'inspection générale des finances, cela fait quatre rapports concordants. Tous les témoignages ont confirmé des pratiques de management inadmissibles ; mais il n'y a pas eu de plaintes au pénal.
Nous vous remercions pour toutes ces précisions, monsieur le président, monsieur le directeur général, et nous soutenons pleinement la dynamique positive que vous avez enclenchée.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo, disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 11 h 30.