La commission d'enquête a tout d'abord entendu M. Louis Merle, professeur de pharmacologie, président de la commission de pharmacovigilance de l'Agence française de sécurité sanitaire et des produits de santé (AFSSAPS).
A titre préliminaire, M. Louis Merle a fait état d'un lien d'intérêt indirect avec l'industrie pharmaceutique, un de ses parents occupant un emploi salarié dans un laboratoire, et indiqué qu'il était responsable du centre régional de pharmacovigilance de Limoges.
Il a rappelé que la pharmacovigilance est l'étude des effets indésirables des médicaments. Elle se préoccupe de la gestion du risque médicamenteux, ce qui conduit les professionnels de la pharmacovigilance à avoir une certaine distance par rapport aux médicaments. Alors que les utilisateurs quotidiens de médicaments en voient essentiellement les effets bénéfiques, la pharmacovigilance s'intéresse d'abord aux problèmes qui peuvent être associés à leur utilisation. La pharmacovigilance suppose un certain état d'esprit. Le médicament n'est pas, pour le pharmacologue, une panacée. Si le bilan global de l'utilisation des médicaments est évidemment favorable, il faut avoir le souci de l'équilibre du bénéfice et des risques de l'usage des médicaments.
Il a ensuite indiqué que le suivi des vaccins et des médicaments antiviraux utilisés dans la campagne contre la grippe pandémique s'est inscrit dans le cadre du dispositif existant de pharmacovigilance, dont il a brièvement exposé l'organisation.
Les professionnels de santé doivent - ou devraient - signaler à un centre de pharmacovigilance les effets indésirables des médicaments qu'ils observent. Il existe en France trente-et-un centres régionaux de pharmacovigilance, selon un découpage géographique du territoire. Le travail de la pharmacovigilance est d'établir s'il y a un lien de causalité entre l'effet indésirable observé et la prise de médicament, si cet effet indésirable est imputable au médicament. Car ces effets indésirables ne se manifestent pas de façon originale : ils « miment » généralement des pathologies banales, comme une éruption ou une hépatite, qui peuvent être d'origine infectieuse.
Si le lien de causalité est établi, l'effet signalé devient un élément du dossier médical, il est introduit dans une base de données nationale accessible à l'AFSSAPS et aux centres régionaux de pharmacovigilance.
Tous les mois, des réunions sont organisées à l'AFSSAPS pour discuter de l'« état sanitaire médicamenteux » de la population, ce qui permet notamment d'examiner de plus près certains problèmes qui peuvent émerger.
Depuis l'été 2009, l'AFSSAPS a signalé la question de la grippe pandémique, qui a fait l'objet d'une surveillance très importante, intégrée dans le système existant mais comportant aussi des éléments complémentaires.
Le signalement des observations a considérablement augmenté l'activité de pharmacovigilance. En outre, l'AFSSAPS a fait des études particulières : des suivis de cohorte ont été opérés sur les personnes à risque, comme les femmes enceintes. Ces études ont été faites à l'initiative de l'AFSSAPS ou d'autres organismes, comme l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm). Des modalités de suivi ont également été définies par l'Agence européenne des médicaments (EMA)
Parallèlement, l'AFSSAPS a régulièrement publié des bulletins d'information à destination du public.
a ensuite présenté les observations faites sur les médicaments utilisés dans le cadre de la lutte contre la grippe, vaccins et antiviraux.
Quatre vaccins ont été mis sur le marché en France, les deux les plus utilisés ayant été le Pandemrix et le Panenza.
Le Pandemrix était un vaccin présenté en flacons multidoses, permettant chacun de vacciner une dizaine de personnes. Il comportait un conservateur et un adjuvant, c'est-à-dire un élément qui stimule l'activité du vaccin. Le vaccin Pandemrix a représenté à peu près les trois quarts des vaccinations.
Le deuxième vaccin, Panenza, a représenté environ un quart des vaccinations et semble avoir eu une utilisation plus nationale que le Pandemrix, suivi au niveau européen.
a observé que sous des noms différents, des vaccins similaires avaient pu être utilisés dans divers pays. Ainsi, le vaccin Fluzone, utilisé aux Etats-Unis est très proche du Panenza, comme le Focetria d'un vaccin canadien.
S'associant à cette remarque, M. Louis Merle a ensuite indiqué que le Panenza n'avait pas d'adjuvant. Il était présenté en monodoses, mais il semble qu'il y ait eu aussi des flacons multidoses avec des conservateurs. Parce qu'il ne comportait pas d'adjuvant, il a été plutôt conseillé à des sujets à risque, comme les femmes enceintes, les enfants et les personnes âgées.
Enfin, les deux derniers vaccins mis sur le marché en France, le Focetria et le Celvapan, ont été trop peu utilisés pour pouvoir mesurer leurs effets indésirables.
On ne connait pas la répartition par âge des sujets vaccinés, mais on connaît la répartition par âge des personnes ayant subi des effets indésirables.
Dans le cas du Pandemrix, peu utilisé pour les enfants, 85 % des sujets ayant éprouvé des effets indésirables sont des personnes de plus de 18 ans. Pour le vaccin Panenza, utilisé essentiellement pour vacciner les enfants et les femmes enceintes, seulement 38 % des personnes ayant présenté des effets indésirables avaient plus de 18 ans.
Quel que soit le vaccin, il n'y a pas eu d'effets indésirables signalés différents de ceux qui étaient attendus. En réponse à M. François Autain, président, M. Louis Merle a précisé qu'il ne semblait pas que ces vaccins aient eu des effets secondaires spécifiques, même si l'on doit attendre pour en être certain d'avoir le recul nécessaire.
Le Pandemrix a été à l'origine de nombreux problèmes locaux, de douleurs au lieu de l'injection, au niveau du muscle deltoïde de l'épaule, douleurs qui ont pu durer longtemps et qui étaient parfois inquiétants. Pour le Panenza, il a plutôt été observé des manifestations fébriles chez des enfants qui ont eu de la fièvre ou ont convulsé.
Il y a eu vingt-et-un décès constatés dans la semaine ou la dizaine de jours ayant suivi la vaccination. Ce nombre peut paraître important. En fait, il peut statistiquement être considéré comme très faible, au regard du nombre de personnes vaccinées (5,7 millions de personnes) et du nombre de décès annuel dans l'ensemble de la population (600.000 par an en France) : statistiquement, il y aurait pu y avoir 929 décès sur une semaine parmi la population vaccinée.
Ces décès sont survenus chez des personnes en mauvaise santé, des personnes fragiles, qui avaient des pathologies sérieuses expliquant leur décès. Les décès enregistrés n'ont donc rien d'inquiétant.
Mais une autre catégorie doit aussi retenir l'attention : les décès d'enfants de femmes enceintes. Quelque 100 000 femmes enceintes ont été vaccinées, essentiellement avec le vaccin Panenza sans adjuvant. Treize enfants sont morts in utero, en moyenne à sept mois : il s'agissait donc de grossesses avancées.
Là aussi, on peut estimer que ce chiffre, qui paraît élevé, ne l'est pas, au regard du taux de décès in utero (4 pour 1.000) constaté dans la population générale de femmes enceintes.
a répondu par la négative. Il a souligné que l'on avait seulement constaté un lien temporel entre la vaccination et des décès in utero à un stade de grossesse évoluée. Il existe d'autres explications à ces décès. Pour le moment, il n'a pas pu être établi clairement de lien de cause à effet entre la vaccination et les morts in utero. Il a ajouté, en réponse à M. François Autain, président, que l'on pouvait faire la même observation pour les vingt-et-un décès de personnes vaccinées.
a posé la question de l'état de santé des mères et des enfants avant les décès in utero.
a répondu que des problèmes de santé existaient ou avaient pu être mis en cause, mais que les analyses anatomopathologiques n'étaient pas terminées. Pour le moment, il n'y a pas d'orientation permettant de mettre en cause la vaccination.
Il a ensuite évoqué les fausses couches intervenues au début de la grossesse. Il n'y aurait eu que douze fausses couches parmi les 100.000 femmes enceintes vaccinées, alors qu'on observe statistiquement un taux élevé (15 %) de fausses couches spontanées.
a demandé à quel moment de la grossesse ces fausses couches étaient intervenues, et si la recommandation de ne pas vacciner les femmes enceintes pendant les trois premiers mois de grossesse avait été respectée.
a indiqué qu'il s'agissait en moyenne de grossesses de quatre mois.
Il a estimé que des vaccinations de femmes enceintes de moins de trois mois avaient certainement eu lieu. On a pu vacciner des femmes qui ne se savaient pas enceintes. En outre, beaucoup d'erreurs ont sans doute été commises dans l'administration du vaccin. On a ainsi eu des enfants de classes entières ayant reçu le double du dosage nécessaire. Ces erreurs sont intervenues dans le contexte d'une vaccination de masse qui, par moments, a entraîné des problèmes de files d'attente, d'organisation. Mais ces erreurs ne semblent pas avoir eu de conséquences importantes.
a précisé que des erreurs ont été signalées à l'AFSSAPS, et qu'il doit être possible d'en faire la liste. Par exemple, dans une classe, des enfants ont été vaccinés avec des doses pour adultes. Mais s'il n'y a pas de problèmes, il s'agit d'un mésusage, qui ne tire pas à conséquence. Il n'a pas été établi de suivi particulier des erreurs, mais on peut être certain que beaucoup n'ont pas été déclarées.
A une question de M. François Autain, président, demandant s'il y avait une sous-déclaration des erreurs, comme il y a une sous-déclaration d'effets indésirables, M. Louis Merle a répondu que tel était certainement le cas.
Il a ensuite détaillé les problèmes soulevés à propos de la sclérose en plaque et du syndrome de Guillain-Barré.
Six cas de scléroses en plaque ou de poussées de scléroses en plaques et neuf cas de syndromes de Guillain-Barré seraient survenus à la suie de la vaccination, dans l'état actuel des choses.
Encore une fois, on peut penser que c'est beaucoup. Mais ce n'est pas le cas. Le syndrome de Guillain-Barré et la sclérose en plaques sont des maladies auto-immunes, ce qui signifie que l'organisme se défend contre lui-même, dont on ne connaît pas les causes. Chaque année, 1 800 à 2 000 cas de scléroses en plaques ou de syndromes de Guillain-Barré surviennent spontanément en France. On sait que le syndrome de Guillain-Barré peut survenir après une infection ou une intervention chirurgicale. Les origines de la sclérose en plaques restent inconnues.
On a donc observé quelques cas, moins nombreux que ce que statistiquement on aurait pu avoir. On ne peut pas établir de lien de causalité. On a constaté seulement que, quelques semaines après la vaccination, sont apparues des manifestations qui peuvent orienter vers un syndrome de Guillain-Barré ou une sclérose en plaques.
Ce ne sont pas des pathologies qu'on diagnostique spontanément à la différence, par exemple, d'un malaise après une injection. Lorsque, au contraire, une douleur dans un membre ou une paralysie apparaît des semaines plus tard, le lien de causalité n'est pas facile à établir. Mais, dans le cas des syndromes de Guillain-Barré, il y a un suivi très particulier, un observatoire a été mis en place sous l'égide de l'AFSSAPS, associant des structures de neurologie et de réanimation. Le diagnostic est donc bien étudié et l'on essaie de connaître les antécédents des malades.
Au regard de l'ensemble de ces éléments, il n'y pas d'orientation pour le moment pour affirmer un lien entre la vaccination et la survenue du syndrome de Guillain-Barré. Cette conclusion fait également consensus dans le milieu neurologique. Toutefois, il s'agit d'une notion statistique, car il y aura toujours des cas individuels chez lesquels on ne peut pas s'empêcher de faire une relation de cause à effet.
Il a estimé que cette question lui rappelait un débat analogue lors de la vaccination contre l'hépatite B. L'orientation vers un lien entre le vaccin et l'apparition de scléroses en plaques était plus forte que pour la grippe pandémique.
a demandé si la relation de cause à effet était plus faible non seulement en chiffres absolus, mais aussi proportionnellement, compte tenu du nombre de personnes vaccinées.
l'a confirmé. Il a ajouté qu'en ce qui concerne l'hépatite B, on peut exclure que la vaccination entraîne un sur-risque important, mais on ne peut pas exclure, en l'état actuel des connaissances, une très faible augmentation des scléroses en plaques après la vaccination contre l'hépatite B. On ne dispose cependant pas d'arguments statistiques pour conclure. Il a toutefois reconnu qu'il est très difficile de faire comprendre aux personnes concernées qu'elles représentent des cas qui sortent de l'épure.
a rappelé que, pendant la pandémie de grippe, on avait évoqué la possibilité de syndromes de Guillain-Barré ou de sclérose en plaques survenant non seulement au moment de la vaccination, mais aussi des années plus tard. Qu'en est-il exactement ?
a répondu à partir de l'exemple de la vaccination contre l'hépatite B : il peut encore arriver, de manière exceptionnelle, qu'on signale aux centres de pharmacovigilance des cas de scléroses en plaques dix ans après la vaccination. Pour l'ensemble de la communauté médicale, il est impossible qu'il y ait alors un lien, en l'état actuel des connaissances. Mais on peut toutefois ne pas être aussi formel. En effet, une vaccination est une agression : on induit une « maladie a minima », on fait fabriquer des anticorps par l'organisme. Or les scléroses en plaques et les syndromes de Guillain-Barré sont des maladies auto-immunes où l'organisme fait des anticorps contre lui-même. Dans le cas d'une maladie survenant plusieurs années après une vaccination, on pense qu'il n'y pas de lien. Mais on ne sait pas, on peut envisager des hypothèses.
Par ailleurs, il faut observer que les pathologies évoluent et qu'il en apparaît de nouvelles, indépendamment de toute vaccination. Qu'est-ce qui différencie les Français aujourd'hui et nos compatriotes il y a 50 ou 100 ans ? Est-ce que le nombre de vaccinations aujourd'hui pratiquées ne joue pas un rôle ? Ainsi, on peut administrer jusqu'à cinq vaccins différents, en une seule injection, à un enfant.
a souligné que onze vaccinations sont obligatoires ou conseillées chez les enfants. Il s'est demandé si elles étaient toutes justifiées. N'ont-elles pas des conséquences qu'on ne peut pas évaluer aujourd'hui ? Une étude a imputé l'augmentation de la prévalence de l'asthme au fait que les enfants ne font plus de maladies infectieuses. Ce n'est qu'une thèse, mais elle soulève un débat. Faute de certitudes, il faut être modeste.
a observé que, globalement, les vaccins ont permis de gigantesques progrès, M. François Autain, président, s'associant à cette observation.
a demandé si, suivant cette logique, M. Louis Merle pensait que certaines des vaccinations des enfants sont inutiles. Quelles vaccinations faudrait-il supprimer ?
a répondu qu'il n'avait pas mis en cause l'utilité des vaccinations, mais le fait de vacciner en une fois un enfant contre plusieurs maladies, ce qui représente peut-être une agression immunitaire un peu trop importante. Il a précisé qu'il n'était pas compétent pour apprécier l'efficacité de la vaccination.
Il a ensuite abordé la question des effets indésirables des antiviraux utilisés lors de la pandémie grippale.
Deux antiviraux ont été utilisés en France :
- le Tamiflu (oseltamivir) ;
- le Relenza (zanamivir).
Pendant la pandémie de grippe, 523 000 ordonnances ont prescrit l'emploi de Tamiflu, essentiellement à des fins curatives (dans 94 % des cas). Dans 20 % des cas, l'utilisation a concerné des enfants de moins de 12 ans.
Soixante-huit cas jugés graves sont apparus après l'administration de Tamiflu, dont un peu plus du quart chez des enfants de moins de 12 ans et 40 % chez des adultes.
Parmi ces soixante-huit cas graves, il y a eu quatre décès. Trois d'entre eux ont une explication qui exclut la responsabilité du médicament antiviral. Mais le quatrième pose problème : il s'agit d'un homme de 42 ans qui s'est suicidé par pendaison, et qui n'avait pas d'antécédent psychiatrique.
Certes, l'absence d'antécédent ne signifiait pas qu'il n'y avait pas de risque de suicide. On n'a pas d'autre explication, mais ce cas n'en soulève pas moins un problème si on voulait administrer le Tamiflu de manière préventive chez des sujets pouvant présenter un risque sur le plan psychiatrique. Il y a eu par ailleurs des manifestations connues, qui ne surprennent pas, comme des hallucinations ou des problèmes psychiatriques mineurs, qui peuvent aussi être liées à la présence de fièvre ou d'une pathologie. Le cas de suicide, en l'absence d'information supplémentaire, soulève en revanche des questions.
a remarqué qu'au Japon, où le Tamiflu est utilisé très largement, on a observé beaucoup de suicides, surtout chez des jeunes. Ce cas apparaît donc cohérent avec ce qu'on a pu observer par ailleurs.
a souligné que les autres effets indésirables étaient plus attendus et mieux connus, d'où l'inquiétude sur les effets psychiatriques de l'oseltamivir.
En ce qui concerne l'autre antiviral, le Relenza, celui-ci se présente sous deux formes, l'une inhalée (peu utilisée) et l'autre injectable en intraveineuse, utilisée sur des sujets très fragiles, pour des grippes graves traitées antérieurement avec le Tamiflu.
On décompte neuf décès survenus dans le cas d'une administration sous forme intraveineuse, mais qu'on ne relie pas à la prise du médicament. Ces morts ont été causées par la grippe.
En conclusion de son exposé, M. Louis Merle a indiqué que l'AFSSAPS avait procédé à une communication régulière sur les effets indésirables. Le secteur de la pharmacovigilance a procédé à la surveillance du bon usage des médicaments et a publié des bulletins réguliers, qui ont fait l'objet de discussions avec le cabinet de la ministre. Ces activités ont représenté un surcroît de travail important pour l'AFSSAPS et les centres de pharmacovigilance, qui ont dû mettre en sommeil d'autres activités, notamment une étude sur la maladie d'Alzheimer qui n'a repris qu'à la fin du mois de mars et au début d'avril.
a demandé des précisions sur les effets secondaires liés aux adjuvants. Les adjuvants offrent-ils une protection immunologique renforcée face à une éventuelle mutation du virus ? Une comparaison des effets indésirables des vaccins avec ou sans adjuvant peut-elle apporter des éléments de réponse sur ce sujet ?
a observé que l'adjuvant utilisé a été le squalène, ou l'un de ses dérivés. Le rôle des adjuvants est de permettre d'injecter une moindre quantité de vaccin avec la même efficacité. Les vaccins avec adjuvant sont réputés plus efficaces, et l'on considère qu'il faut au contraire deux injections avec un vaccin sans adjuvant. Mais cette question donne lieu à des avis divergents.
On a soulevé la possibilité de problèmes d'allergie au squalène. Le squalène est un constituant naturel, qui existe dans notre organisme, intermédiaire pour la fabrication de cholestérol ou d'hormones. C'est un produit de la même famille que les dérivés des terpènes, produits d'origine végétale qu'on peut retrouver pour d'autres usages, par exemple contre la toux ou les bronchites chez les enfants. Les terpènes sont des produits convulsivants chez l'enfant.
Le squalène entraînerait plutôt des réactions allergiques. On a effectivement observé des problèmes d'intolérance locale, entraînant l'apparition de douleurs qui pouvaient durer assez longtemps.
a noté que beaucoup de personnes vaccinées avec un vaccin adjuvanté s'étaient en effet plaintes de telles douleurs.
a fait le même constat. Il a indiqué que lorsque, cédant aux pressions en faveur de la vaccination contre la grippe H1N1, il avait été vacciné avec un produit sans adjuvant, en raison d'une précédente réaction à un vaccin antigrippal, il n'avait eu aucune réaction alors que certains de ses collègues avaient souffert de douleurs locales après avoir utilisé le vaccin Pandemrix. Il est donc possible, sans pouvoir l'affirmer définitivement au regard notamment des différences dans les techniques de fabrication, qu'il y ait eu des réactions liées à l'adjuvant. Il a aussi été dit que certaines personnes ont des anticorps antisqualène. Le squalène n'a cependant pas été une source d'inquiétude particulière. Les problèmes d'intolérance locale ne sont pas graves.
lui a demandé quelle était l'origine des pressions qui s'étaient exercées sur lui pour l'inciter à se faire vacciner.
a indiqué que ces pressions venaient de partout. Les médecins qui ne se faisaient pas vacciner étaient en faute.
a jugé peu éthique une telle culpabilisation des professionnels de santé.
a observé que, dans l'hôpital où il travaille, seules les personnes vaccinées contre la grippe pandémique depuis au moins dix jours pouvaient entrer dans les services des urgences sans masque. Pour dire les choses de façon un peu exagérée, il y avait comme une séparation entre les pestiférés, d'un côté, et les bons Français, qui se faisaient vacciner, de l'autre.
a observé qu'il y avait eu au total assez peu de bons Français. Il a ensuite rappelé que, il y a un an, le Parlement avait autorisé les patients à signaler directement des effets indésirables. Bien que récente, cette mesure a-t-elle déjà des effets sur l'exercice de la pharmacovigilance ?
a précisé que, dans le cadre de la lutte contre la grippe pandémique, l'AFSSAPS avait édité des fiches téléchargeables pour le signalement des effets indésirables, à destination des professionnels de santé, d'une part, et des patients, d'autre part.
a dit partager ce jugement.
Il a ensuite indiqué que, dans l'hôpital où il exerce, toute personne vaccinée se voyait remettre une fiche dans laquelle on lui demandait de signaler tout problème éventuel. Les signalements ont été nombreux, mais surtout de la part des personnels hospitaliers.
Globalement, au niveau national, les professionnels de santé ont été à l'origine de 80 % des signalements, et les non-professionnels de 20 % des signalements.
Il a également relevé que, pour les médicaments qui sont désormais en accès direct dans les officines, « devant le comptoir », et peuvent être achetés sans le conseil du pharmacien, des notices spécifiques ont été prévues pour inciter les patients à signaler les problèmes qu'ils pourraient rencontrer avec ces médicaments. Une conférence téléphonique vient d'ailleurs d'être organisée à l'AFSSAPS pour évaluer la pharmacovigilance des médicaments en accès direct.
Il a observé qu'actuellement, dans les centres de pharmacovigilance, très peu de signalements sont effectués spontanément par les patients. Il est cependant important que les personnes signalent elles-mêmes les effets indésirables, sans passer par leur médecin, pour disposer de davantage d'informations. Ce signalement doit bien sûr déboucher sur un dialogue et l'on peut conseiller aux intéressés de s'adresser à leur médecin, mais il apporte une ouverture pour la connaissance des effets indésirables.
a demandé à M Louis Merle si les procédures de gestion des liens d'intérêt prévues par le règlement intérieur de l'AFSSAPS de juillet 2006 modifié en janvier 2008 lui paraissent suffisantes. Quelles évolutions paraîtraient souhaitables en ce domaine ?
a souligné que les listes de liens d'intérêts doivent être tenues à jour. Par ailleurs, dans le cas de la commission de pharmacovigilance de l'AFSSAPS, les personnes en situation de conflits d'intérêts sortent de la salle de réunion, lorsque la discussion porte sur des médicaments produits par des laboratoires qui ont financé des travaux réalisés dans leur service.
a relevé que la commission de pharmacovigilance de l'AFSSAPS comptait très peu de membres ayant des liens d'intérêt.
a souhaité savoir si la « culpabilisation » des professionnels de santé, et les pressions exercées sur eux pour se faire vacciner, émanaient des services du ministère de la Santé, de l'industrie pharmaceutique ou des médias.
Jugeant que le terme de culpabilisation était sans doute trop fort, M. Louis Merle a indiqué qu'il y avait une pression du milieu médical, où les personnes compétentes en infectiologie soulignaient que la grippe pandémique était une pathologie nouvelle totalement différente de la grippe classique. Un infectiologue a ainsi déclaré avoir accueilli pour la première fois des jeunes atteints de grippe en soins intensifs. Ce sont des informations qui portent.
Par ailleurs, il y avait une forte incitation des pouvoirs publics en faveur de la vaccination. Dès le mois de septembre, il a dit avoir été surpris par la mise en oeuvre du plan de vaccination prévu, qui évoquait un plan militaire de mobilisation, impression que donnait aussi la logistique des centres de vaccination.
Pour sa part, l'OMS avait déclaré l'atteinte du niveau 6 d'alerte pandémique.
A l'AFSSAPS, il était indiqué que le ministère faisait pression pour connaître exactement la situation de la vaccination et quels étaient ses effets indésirables.
Sans être infectiologue, il avait dont eu l'impression d'une pression générale, d'une menace qui arrivait.
Les médias ont pu aussi avoir une influence importante. Et il est vrai qu'un journal se vend mieux en annonçant une pandémie qu'en disant qu'il ne se passe rien. Les médias donc sans doute contribué à inquiéter le public.
Y ont-ils été incités ? Par qui ? M. Louis Merle a dit ne pas avoir d'éléments pour en juger. Mais il paraît clair que la presse n'a pas calmé le jeu.
L'information que donnait l'AFSSAPS a en revanche toujours été très mesurée, et basée sur des faits.
a souhaité savoir si on disposait aussi de statistiques sur des syndromes de Guillain-Barré ou des scléroses en plaques.
Par ailleurs, à partir de quel pourcentage de vaccination de la population considère-t-il qu'une pandémie peut être stoppée ?
a répondu qu'on ne considère pas, actuellement, que la grippe classique puisse être un facteur causal du syndrome de Guillain-Barré, même si elle peut éventuellement le déclencher. Cela étant, toute agression virologique peut être un facteur de déclenchement de ce syndrome.
En ce qui concerne la sclérose en plaques, celle-ci survient plutôt chez des sujets jeunes, alors que la grippe saisonnière frappe plutôt les personnes âgées. D'ou les questions qui s'étaient posées lors de la vaccination contre l'hépatite B, qui avait concerné plutôt des personnes jeunes et, parmi les personnels hospitaliers, à prédominance féminine, la sclérose en plaques étant un peu plus fréquente chez les femmes que chez les hommes.
a observé que les cas de scléroses en plaques étaient plus nombreux dans le Nord de la France.
a confirmé qu'il y avait une différence géographique dans la répartition des cas de scléroses en plaques, mais que la vaccination contre l'hépatite B ne semblait pas avoir été différente dans le Nord et le Sud de la France.
a demandé à M. Louis Merle s'il confirmait la difficulté à établir des liens de cause à effet entre la vaccination antipandémique et la survenue de cas de scléroses en plaques et de syndromes de Guillain-Barré.
l'a confirmé, ajoutant, à propos de la sclérose en plaques, qu'il n'est pas étonnant qu'un épisode de fièvre puisse déclencher une poussée de sclérose en plaques, mais qu'il ne causera pas la maladie.
Par ailleurs, une femme enceinte atteinte de scléroses en plaques a, pendant sa grossesse, moins, ou même pas du tout, de poussées de la maladie mais celles-ci reprennent après l'accouchement, comme si l'enfant l'avait protégée contre la maladie.
Ces exemples montrent que la sclérose en plaques est une maladie très capricieuse, très difficile à étudier, et contre laquelle il n'existe pas de traitement totalement efficace.
a demandé si la non-déclaration de tous les effets indésirables était imputable à une organisation insatisfaisante du réseau de pharmacovigilance.
a, au contraire, estimé que, sans les représentants locaux de l'AFSSAPS que sont les responsables des centres régionaux de pharmacovigilance, qui connaissent bien les médecins et les pharmaciens, il y aurait encore moins de signalements. Les hôpitaux ont des correspondants de pharmacovigilance.
citant son expérience personnelle, a relevé que cette réponse confirmait l'impression qu'il avait eue en visitant le Centre Hospitalier Universitaire (CHU) de Rouen, où il avait eu le sentiment d'une bonne organisation territoriale du réseau et de relations de confiance, tant qu'avec le représentant de l'AFSSAPS qu'avec les médecins de ville. Les accidents médicamenteux étaient relativement bien transcrits.
s'est dit certain que la présence de représentants locaux de l'AFSSAPS permettait d'améliorer cette transcription. Par ailleurs, les centres de pharmacovigilance interviennent aussi à titre de conseil, sur le plan thérapeutique, par exemple si un médicament entraîne un problème ou si l'on se demande s'il faut poursuivre ou modifier un traitement en cas de grossesse. Les activités de conseil représentent, en temps, l'essentiel des activités de pharmacovigilance.
En revanche, il a dit ne pouvoir répondre à la question sur la proportion de personnes à vacciner pour faire barrière à une pandémie, qui est de la compétence des épidémiologues.
La commission d'enquête a ensuite entendu M. Alain Siary, médecin généraliste.
a indiqué être membre de la Société de formation thérapeutique du généraliste (SFTG), société savante qui promeut la recherche en médecine générale et étudie les liens entre la médecine générale et les sciences humaines. Elle a également pour objet la formation médicale continue des généralistes et l'amélioration des pratiques professionnelles. La SFTG est totalement indépendante de l'industrie pharmaceutique.
Précisant qu'il s'intéresse particulièrement à la question des conflits d'intérêts entre les experts et l'industrie pharmaceutique, il est tout d'abord revenu sur le changement de la définition de la notion de pandémie effectué par l'Organisation mondiale de la santé (OMS). La nouvelle définition, qui ne repose plus sur des critères de morbidité/mortalité, a permis à l'OMS de déclarer l'état de pandémie le 11 juin dernier. Or cette définition joue un rôle-clé puisque la déclaration de pandémie entraîne l'application des contrats de prévente de vaccins passés entre les Etats et l'industrie pharmaceutique dans le cadre de la préparation à une pandémie de grippe aviaire. L'exécution de ces contrats dits « dormants » a ainsi permis aux laboratoires pharmaceutiques de réaliser un important chiffre d'affaires.
a ensuite rappelé que les deux groupes d'experts placés au sein de l'OMS, le groupe stratégique consultatif d'experts (SAGE) sur la vaccination et le groupe de travail scientifique européen sur la grippe (ESWI), non seulement regroupent des experts travaillant pour les fabricants de vaccins et d'inhibiteurs de la neuraminidase - comme le souligne un article récent du British medical journal (BMJ) -, mais sont également parrainés par l'industrie pharmaceutique.
En réponse à M. François Autain, président, qui souhaitait savoir ce que M. Alain Siary entendait précisément par le terme « parrainés », il a répondu que ces organismes étaient financés en grande partie par les laboratoires pharmaceutiques. Le SAGE reçoit ainsi 400 000 euros chaque année de dix laboratoires. Il a indiqué, en réponse à M. Michel Guerry, ne pas connaître, cependant, la part que ces fonds privés représentent au sein de son budget total.
Or, selon lui, les experts de ces organismes, après avoir auguré d'une pandémie de grippe aviaire, ont dramatisé l'épidémie de grippe A(H1N1)v, comme en témoignent certains ouvrages récents privilégiant une approche catastrophiste de la situation ou dressant des comparaisons entre la grippe A(H1N1)v et la grippe espagnole de 1918.
En ce qui concerne les inhibiteurs de la neuraminidase, il a rappelé que d'importantes quantités d'antiviraux ont été stockées en vue d'une pandémie de grippe H5N1, sans que l'efficacité de ces produits, en termes de réduction des complications liées à la grippe ou de mortalité, ne soit prouvée. Ces antiviraux ont d'abord été prescrits pour les formes graves de grippe A(H1N1)v, puis ont été recommandés contre tout syndrome grippal.
Abordant la question de la gestion des liens d'intérêts entre les experts et l'industrie pharmaceutique, M. Alain Siary a rappelé que l'article L. 4113-13 du code de la santé publique prévoit que les membres des professions médicales qui ont des liens avec des entreprises produisant ou exploitant des produits de santé sont tenus de les faire connaître au public lorsqu'ils s'expriment. Sur les dix-sept membres du comité de lutte contre la grippe, quinze avaient des liens avec l'industrie pharmaceutique. Ces conflits d'intérêts n'ont été dévoilés qu'en janvier 2010.
Tout en précisant que ces déclarations d'intérêts ont en réalité été rendues publiques au mois de novembre 2009, M. François Autain, président, est convenu que cette mesure est intervenue trop tard.
Citant M. Bruno Lina, qui a déclaré être totalement indépendant des laboratoires en dépit des liens qui l'unissent avec l'industrie pharmaceutique, M. Alain Siary a présenté, sans mettre en cause la sincérité de M. Bruno Lina, plusieurs exemples tendant à montrer que malgré tout, les liens entre expertise et entreprises du médicament ne sont pas sans conséquence.
Il a ainsi pris l'exemple des essais randomisés qui lorsqu'ils sont financés par l'industrie pharmaceutiques aboutissent à recommander, cinq fois plus fréquemment que les essais indépendants, le produit étudié comme traitement de choix.
S'appuyant ensuite sur une étude du BMJ menée sur la Rosiglitazone, médicament contre le diabète qui peut entraîner des risques cardiovasculaires, il a déclaré qu'il y avait trois fois plus d'experts favorables à ce produit parmi les auteurs d'articles sur ce sujet ayant des liens d'intérêt avec les fabricants d'antidiabétiques, et quatre fois plus parmi ceux ayant des liens avec les fabricants de la Rosiglitazone.
a également insisté sur les faiblesses de la pharmacovigilance, prenant l'exemple du vaccin BCG intradermique. Alors qu'une enquête de pharmacovigilance menée en France entre 2005 et 2008 a estimé la fréquence des abcès consécutifs à la vaccination dans une fourchette comprise entre 0,4 à 0,8 cas pour 1 000 vaccinations, le suivi pendant un an d'une cohorte de 2 600 enfants, âgés de moins de 7 ans, vaccinés en 2007 a révélé que l'incidence des abcès était de 25 cas pour 1 000 vaccinations. La pharmacovigilance n'a ainsi permis de notifier que 2,5 % des cas d'effets secondaires effectivement constatés.
Il a indiqué qu'il convenait dès lors de s'interroger sur l'efficacité de la pharmacovigilance menée sur les vaccins contre la grippe A(H1N1)v.
a enfin insisté sur les pressions des laboratoires pharmaceutiques pour valoriser certaines vaccinations. Il a cité l'exemple de la vaccination contre le cancer du col de l'utérus (vaccin anti-HPV), désormais recommandé dans le cadre du « plan Cancer », alors que la Haute autorité de santé (HAS) recommandait le dépistage généralisé par frottis avant la commercialisation du vaccin et que l'efficacité de ce dernier en termes de prévention n'est pas prouvée, car la majorité des lésions dysplasiques régressent chez les jeunes filles. Par ailleurs, son efficacité lorsqu'il est utilisé en intention de traitement n'est que de 17 %. Il a insisté sur les campagnes de communication massives menées par les laboratoires concernés, fondées pour certaines sur une certaine « stratégie de la peur » ou tendant à culpabiliser les mères.
Faisant le parallèle avec la campagne de vaccination contre le virus A(H1N1)v, il a indiqué que les derniers chiffres de l'Institut de veille sanitaire (INVS) sur le nombre de cas décelés et le nombre de décès recensés ne sont pas aussi importants que ceux initialement annoncés.
Pour conclure, il a précisé qu'il est urgent de créer des commissions comprenant des experts indépendants, ainsi que des représentants de la société civile.
Rappelant que le gouvernement français a choisi de procéder à une vaccination collective, et non dans les cabinets médicaux, M. François Autain, président, a souhaité connaître l'avis de M. Alain Siary sur ce choix, au regard notamment des arguments avancés quant aux problèmes d'organisation pratique d'une vaccination par les médecins généralistes (convocation des patients, approvisionnement en vaccins, charge administrative...).
a répondu que les médecins généralistes, qui procèdent à la vaccination contre la grippe saisonnière, auraient pu, de la même manière, vacciner les personnes à risques contre le virus A(H1N1)v. En revanche, l'organisation d'une campagne de vaccination de masse n'était pas gérable et le conditionnement des vaccins en flacons multidoses n'était pas adapté à une vaccination en cabinet médical.
En réponse à M. François Autain, président, qui a fait observer que certains médecins généralistes estimaient pourtant que le conditionnement en multidoses n'était pas un obstacle à l'organisation de la vaccination en cabinet, il a répondu qu'il ne partageait pas leur opinion. Il a de nouveau insisté sur le fait que les médecins généralistes auraient en revanche pu procéder à la vaccination des personnes à risque dont la liste aurait pu être ajustée au fur et à mesure des nouvelles connaissances sur le virus et de l'observation de l'évolution de celui-ci dans l'hémisphère sud : les femmes enceintes, les individus présentant des pathologies respiratoires particulières, les obèses...
a souhaité savoir pourquoi, dans ces conditions, le Gouvernement a malgré tout décidé de commander 94 millions de doses de vaccin, rappelant que Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé et des sports, avait avancé des arguments éthiques devant la commission d'enquête.
a indiqué que la justification de ces commandes par l'éthique n'est pas pertinente. Le Gouvernement a simplement déclenché le seul plan de lutte qui était prêt, à savoir, le plan de lutte contre la grippe aviaire, même si le virus A(H1N1)v était d'une autre nature. Utilisant une métaphore militaire, il a ajouté que l'on avait en réalité déployé un plan élaboré en vue d'une guerre atomique contre une simple guérilla. De ce point de vue, il a indiqué qu'il y a eu « défaite de la santé publique », pour reprendre le titre d'un ouvrage d'Aquilino Morelle portant sur un autre sujet.
Soulignant qu'en dépit des efforts consentis pour accélérer l'autorisation et la production des vaccins anti pandémiques, les vaccins contre la grippe A (H1N1)v sont arrivés trop tard pour pouvoir en escompter un quelconque « effet barrière », et même pour protéger en temps utile les individus contre l'épidémie, M. François Autain,, président, a souhaité savoir si cette constatation ne doit pas conduire à reconsidérer la place accordée à la stratégie vaccinale dans la réponse à une pandémie grippale.
a indiqué qu'il serait utile, à cet égard, de mener des études comparatives entre les Etats qui ont organisé une campagne de vaccination et ceux qui ne l'ont pas fait, comme la Pologne.
Tout en soulevant la question de la fiabilité des données statistiques polonaises, M. François Autain, président, a indiqué que la morbidité et la mortalité semblaient devoir être assez proches dans tous les pays, qu'ils aient ou non procédé à une campagne de vaccination.
a indiqué qu'une étude récente, menée au Royaume-Uni, a mis en évidence trois des principales spécificités du virus A(H1N1)v : des taux d'attaque variables d'une région à l'autre dans un même pays, un nombre important de formes asymptomatiques et des formes graves observées chez des individus qui ne présentaient pourtant pas de risques particuliers. Plus que la question de la létalité du virus, ce sont ces formes graves parmi des patients en bonne santé qui devraient donner lieu à des études approfondies.
Il a, par ailleurs, fait référence à d'autres tests récents réalisés sur des animaux tendant à montrer que l'immunité « naturelle », suite à la contraction d'un virus grippal bénin, est plus élevée que l'immunité vaccinale. Ce constat avait déjà été observé lors de l'épidémie de grippe espagnole de 1918 et tend à relativiser l'efficacité de la stratégie vaccinale en cas de pandémie.
a ajouté qu'il faut également reconsidérer la place de la vaccination parmi les moyens de lutte contre une pandémie, dans la mesure où les campagnes de vaccination ne peuvent démarrer que tardivement par rapport aux autres réponses possibles. Il a souhaité savoir si le vaccin contre la grippe saisonnière peut être efficace contre le virus H1N1 pandémique.
a indiqué qu'il n'y a pas de certitude absolue sur ce point. Seule une étude « cas-témoins » réalisée à Mexico semble montrer une certaine efficacité de la vaccination saisonnière : en comparant les cas de décès et les « témoins », c'est-à-dire les personnes ayant contracté le virus mais n'étant pas décédées, il est apparu qu'aucun des individus décédés n'avait été vacciné contre la grippe saisonnière, et qu'en revanche, une proportion importante des « témoins » avait été vaccinée contre la grippe saisonnière.
Mais une étude « cas-témoins » est d'un faible niveau de preuve. Par ailleurs, ces tests ne sont fondés que sur les taux d'anticorps humoraux observés chez les individus sélectionnés. Si ce critère est essentiel, il n'est pas suffisant.
De la même manière, il a également soulevé certaines interrogations sur l'efficacité de la vaccination contre la pneumonie à pneumocoques.
a souhaité savoir dans quelle mesure la gestion de la grippe pandémique a renforcé l'audience des ligues antivaccinales.
a indiqué que l'audience de ces mouvements a été renforcée après la communication sur la campagne de vaccination contre l'hépatite B, le cancer du col de l'utérus et le virus A(H1N1)v. Quand on met en avant des éléments non fondés scientifiquement, il y a nécessairement un risque d'effet « boomerang » et de renforcement de l'audience des ligues antivaccinales.
a souhaité savoir si l'on pouvait considérer, comme plusieurs des personnes entendues par la commission d'enquête, que la vaccination contre la grippe pandémique n'aurait pas eu d'effets indésirables. Si tel est le cas, a-t-on surestimé la probabilité que de tels effets surviennent ?
a indiqué qu'il était réservé sur l'efficacité de la pharmacovigilance. Comme il l'a rappelé lors de son exposé liminaire, en s'appuyant sur l'exemple du vaccin BCG intradermique, la pharmacovigilance a en effet tendance à sous-estimer les pathologies dues à la prescription de certains médicaments. En ce qui concerne les vaccins contre la grippe A(H1N1)v, il n'y a manifestement pas eu de cas de syndrome de Guillain-Barré. Mais, il convient de rester prudent sur les autres types d'effets secondaires possibles.
Il s'est inquiété des risques pour la protection de la population si, comme la Commission européenne le propose, les Etats membres de l'Union européenne confiaient la pharmacovigilance aux industriels.
a souhaité savoir s'il est nécessaire de mener des recherches sur l'efficacité de la vaccination antigrippale, qu'elle soit saisonnière ou pandémique, et d'affiner le chiffrage des décès imputés à la grippe.
a indiqué que des progrès doivent effectivement être réalisés en matière d'épidémiologie et de recensement des décès imputés à la grippe. Alors que tous les ans, 7 000 décès liés à la grippe saisonnière sont annoncés, seuls 500 - voire moins - sont effectivement signalés. Il conviendrait, sur ce point, de prendre exemple sur les mesures mises en oeuvre dans le cas du VIH.
a souhaité connaître les préconisations de M. Alain Siary pour améliorer la gestion des conflits d'intérêt. Il lui a notamment demandé de préciser sa proposition tendant à créer des commissions composées d'experts indépendants et de représentants de la société civile.
a insisté sur la nécessité d'une application effective de l'obligation de déclaration publique d'intérêts des experts. Par ailleurs, il convient de rappeler que contrairement à ce qui est souvent affirmé, « les experts sans liens d'intérêts ne sont pas sans intérêt ». C'est pourquoi il est urgent de créer des commissions comprenant des experts indépendants et représentatifs de la société civile.
En réponse à M. François Autain, président, il a indiqué qu'il existait des associations de patients qui ne reçoivent pas de financements de l'industrie pharmaceutique, comme par exemple l'association « Sciences citoyennes ». Des associations de défense des consommateurs ou des sociétés savantes représentant les médecins généralistes, comme la Société de formation thérapeutique du généraliste, pourraient également faire partie de ces commissions. Les médecins généralistes sont des experts en santé publique. Or ils sont rarement entendus.
a souhaité savoir si l'OMS allait, selon lui, revenir sur la modification de la définition de la notion de pandémie ou si celle-ci était définitive.
a indiqué que l'OMS est actuellement en « pleine tempête » compte tenu des travaux de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe et de l'article récent du BMJ qui mettent en évidence le manque de transparence de cet organisme.
En réponse à une observation de M. Alain Siary, M. François Autain, président, a indiqué que la commission d'enquête avait entendu M. Bruno Lina, expert auprès de l'OMS. Par ailleurs, elle a effectué un déplacement à l'OMS. Il a néanmoins souligné les difficultés rencontrées par les commissions parlementaires pour pouvoir auditionner en France des experts intervenant auprès d'organismes internationaux.
a ajouté que cela fait plusieurs années que l'on constate que l'OMS est soumise aux pressions des laboratoires. Il faut espérer que des leçons seront tirées de la gestion de la grippe A(H1N1)v.
a estimé que les commissions parlementaires des Etats membres de l'OMS, qui la financent, devraient pouvoir entendre les dirigeants et les experts de cette organisation.
Enfin, la commission d'enquête a entendu M. Mathias Matallah, président de Jalma, cabinet de conseil spécialisé en économie de la santé.
a tenu à préciser, à titre liminaire, qu'il ne s'exprimait qu'en tant qu'économiste de la santé et n'avait aucune compétence en matière médicale ou épidémiologique.
Il a indiqué qu'il exposerait à la commission d'enquête sa perception de la grippe H1N1 sous forme de questions-réponses : les questions qu'il s'était posées à propos de cette crise et les réponses qu'il pensait pouvoir leur apporter.
La première question, qu'il s'est posée depuis l'apparition de la grippe H1N1, est celle de la gravité de la menace qu'elle représentait : correspondait-elle à un risque majeur de santé publique ? Les faits permettent de répondre par la négative à cette question, qui a toutefois un corollaire : pouvait-on prévoir qu'il en serait ainsi, et à partir de quel moment le pouvait-on ? Dans le courant de l'été 20009, on avait une visibilité claire de ce qui se passait dans l'hémisphère austral - y compris dans les territoires français et dans les pays anglo-saxons de cette zone. On pouvait ainsi savoir dès les mois de juillet-août que la grippe était essentiellement bénigne, et M. Mathias Matallah a ajouté que le risque que le virus puisse muter pour devenir létal en quelques semaines lui avait semblé nul.
Rappelant qu'il n'était pas virologue et ne faisait état que de son opinion personnelle, M. Mathias Matallah en est venu à sa troisième question : est-ce que les réactions des pouvoirs publics des différents pays ont été proportionnées à ce qu'on savait au cours de l'été 2009 ? Elles sont apparues, un peu partout, largement disproportionnées et l'on peut, avec le recul, juger presque comique l'écart entre les mesures prises et l'enjeu. Pour quelle raison les dispositifs prévus ont-ils été à ce point déconnectés de la réalité ? Avec le recul, encore, il apparaît que les gouvernements ont été très mal conseillés, au premier chef par l'Organisation mondiale de la santé (OMS), qui a créé un climat de psychose et a déclaré l'état de pandémie dans des conditions très contestables, mais aussi, au niveau de chaque Etat, par les experts nationaux. Là-dessus, et cette question rejoint celle sur laquelle se penche la commission d'enquête, ces mauvais conseils résultent-ils d'une collusion entre l'OMS, les experts et l'industrie pharmaceutique, qui apparaît comme le grand bénéficiaire de cette affaire ?
Les commissions d'enquête en cours, à l'échelle nationale ou internationale, pourront peut-être répondre à cette question : n'étant pas spécialiste du fonctionnement de l'OMS et ne disposant pas de tous les éléments du dossier, M. Mathias Matallah a dit ne pas pouvoir lui-même y répondre. L'OMS semble avoir beaucoup de mal à clarifier les rapports entre ses experts et l'industrie et cela constitue sans doute un « mauvais signal », mais il n'est pas en mesure d'interpréter ce signal.
Pour ce qui est des experts nationaux, il ne peut que faire état de son intime conviction. On va certes se rendre compte qu'en France, tous les experts ont forcément des rapports avec l'industrie, ne serait-ce que parce que c'est elle qui finance la recherche, M. François Autain, président, observant, à cet égard qu'elle la finance de moins en moins. Mais, pour les experts qui se sont exprimés sur le sujet de la pandémie grippale, il y a quelque chose de beaucoup plus important que leurs relations avec l'industrie : leur image, leur réputation. On peut donc penser que leur priorité a été de préserver leur réputation, ce qui est une réaction très humaine. Tous les experts d'aujourd'hui ont le souvenir de ceux qui, dans les années quatre-vingt, n'ont pas vu arriver le Sida, ou n'ont pas mesuré sa gravité, peut-être parce qu'ils ne concevaient pas que l'on puisse encore voir se développer une pandémie infectieuse : ceux-là ont été cloués au pilori. Leurs successeurs s'en souviennent. On est donc passé de la « négligence » qui a pu être reprochée dans le passé à certains à un excès de prudence, à l'obsession du risque zéro.
Personne n'a voulu prendre le risque de minimiser la menace et de se tromper. On est passé d'un extrême à l'autre mais cela correspond à une certaine logique : quelqu'un qui dit qu'il ne pourra rien se passer risque de « se faire lyncher » s'il se passe quelque chose. Dans le cas contraire, on dira qu'il a été prudent.
a observé que l'on pourrait peut-être lui reprocher d'avoir dépensé quelques centaines de millions d'euros en pure perte.
a évoqué à ce propos l'affaire du sang contaminé : personne n'a évalué son coût sanitaire, économique, financier et humain. Il a ensuite indiqué que les responsables politiques étaient un peu dans la même situation que les experts : eux aussi ont le souvenir de certains de leurs prédécesseurs cloués au pilori pour n'avoir pas pris au sérieux certains risques, pour n'avoir pas fait preuve de prudence. Le sang contaminé, l'épisode de la canicule ont été des phénomènes très traumatisants et, dans la gestion de la pandémie, la crainte d'être accusé de négligence a sans doute conduit à amplifier le désastre. M. Mathias Matallah a estimé qu'actuellement on n'était sans doute pas psychologiquement en mesure de gérer ce type de crise en prenant le recul nécessaire. Il faudra trouver un juste équilibre entre la « négligence » et l'obsession du risque zéro. On n'y arrivera sans doute pas tout de suite. Il faudra peut-être une demi-génération pour que s'efface de la mémoire collective des décideurs le souvenir du traumatisme laissé par les crises passées. En conclusion de son propos, M. Mathias Matallah s'est également dit incapable de déterminer s'il y avait eu, au plan national, collusion entre les experts et l'industrie.
rappelant que M. Mathias Matallah avait, dans une interview donnée en août 2009 au quotidien « Les Echos », estimé que la grippe H1N1 bénéficierait essentiellement à l'industrie pharmaceutique, lui a demandé s'il avait pu affiner son analyse et chiffrer les profits réalisés par l'industrie, notant que le projet de rapport de la commission des questions sociales, de la santé et de la famille de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe se référait sur ce point aux estimations de la banque internationale d'investissement J.P. Morgan, qui situe entre 7 et 10 milliards le montant des bénéfices résultant de la vente de vaccins contre la grippe A (H1N1)v.
a rappelé que les profits induits par la grippe H1N1 se répartissaient entre trois secteurs : la production de vaccins - qui représente la partie la plus importante - la production d'antiviraux et, dans une proportion sans doute plus anecdotique, la production de gels, de masques, etc.
Pour ce qui est des vaccins, il est difficile de faire un point exact, compte tenu des annulations partielles des commandes dans beaucoup de pays. Hors grippe pandémique, le marché des vaccins représente environ 20 milliards de dollars par an. Il serait donc étonnant que la « pseudo-pandémie » ait accru la production de manière à permettre un supplément de bénéfices de cette importance.
a supposé que l'estimation citée par le projet de rapport pouvait être plutôt, en fait, celle du chiffre d'affaires supplémentaire réalisé grâce à la vaccination pandémique.
a indiqué que, pour sa part, il serait enclin à évaluer ce dernier aux environs de 6 à 7 milliards. En France, les contrats initiaux étaient d'un montant de l'ordre d'un milliard de dollars. Mais il semble que le Gouvernement ait bien négocié ses annulations de commandes et que la dépense finale sera nettement inférieure.
a demandé à M. Mathias Matallah s'il avait des précisions à cet égard. Lorsque la ministre de la santé est venue devant la commission d'enquête, elle a indiqué un montant d'indemnisation des laboratoires présenté comme définitif. Mais tous les laboratoires ne semblaient pas, quand ils ont été entendus par la commission d'enquête, avoir la même position.
a dit qu'il était possible que les négociations soient encore en cours. Il a noté que la position de négociation des laboratoires lui paraissait affaiblie, du fait qu'ils n'avaient pas été en mesure de livrer les quantités commandées. En réponse au président François Autain, il a précisé que les annulations de commandes portaient sur des quantités qui n'avaient pas été livrées et que, probablement, les laboratoires n'auraient pas été en mesure de livrer les quatre-vingt-quatorze millions de doses commandées avant le mois d'avril.
a demandé à M. Mathias Matallah si les laboratoires avaient pris des engagements qu'ils savaient ne pas pouvoir tenir, relevant qu'en août 2009, il avait affirmé que les vaccins ne seraient pas livrés avant octobre, et qu'ils ne serviraient donc à rien. Sur quels éléments d'information se fondait cette prescience ?
a dit que l'on ne pouvait que constater que les vaccins n'avaient pas été livrés au moment du pic de la pandémie et qu'ils ne l'auraient sans doute pas été non plus au printemps. Il n'a aucun élément lui permettant de dire que les industriels savaient ne pas pouvoir tenir leurs engagements, mais les cycles de production industrielle sont ce qu'ils sont : on ne pouvait sans doute pas fabriquer des vaccins par millions de doses dans des délais aussi courts, sauf à prendre, en termes de sécurité, des risques démesurés que les industriels ne pouvaient pas se permettre de prendre, et que d'ailleurs, pour des raisons éthiques, ils n'auraient certainement pas pris. Par ailleurs, on peut aussi remarquer que les campagnes de vaccination n'ont pas eu, un peu partout, le succès escompté. Au bout du compte, on ne sait pas très bien à quoi on a assisté : à une campagne de vaccination qu'on était incapable de mener, avec des vaccins qui avaient du mal à être livrés.
Peut-être avait-on tablé sur une épidémie plus longue, mais cela ne correspondrait pas à ce que l'on a observé dans l'hémisphère sud.
Les doutes qu'il avait exprimés se fondaient sur le sentiment qu'il avait que l'on parlait de quantités de vaccins dont il semblait peu réaliste de penser qu'elles pourraient être fournies dans les délais annoncés
Néanmoins, a observé M. Mathias Matallah, avec le recul, cette situation arrange tout le monde. Les contrats pourront se dénouer, finalement, sans difficulté majeure et il vaut mieux, pour les finances publiques, payer quelques dizaines de millions d'euros de dédit que des centaines de millions pour des vaccins que l'on aurait mis à la poubelle.
en est convenu, mais a regretté que l'on ne puisse en effet que constater que les laboratoires n'avaient pas été en mesure de livrer les vaccins en temps utile.
a observé que l'on avait aussi constaté que l'on n'avait pas non plus pu vacciner aussi vite qu'on le pensait, ni vacciner autant de personnes que prévu. On n'a vacciné que 5,7 millions de personnes en France et on n'a pas fait mieux dans la plupart des autres pays.
a évoqué le cas de la Pologne, qui a bien sûr eu le plus mauvais résultat en termes de vaccination, mais où l'impact de la grippe n'a pas été plus catastrophique qu'ailleurs, ce qui conduit à s'interroger sur l'efficacité de la vaccination. Il a posé une question sur le coût de la campagne de vaccination : selon les chiffres donnés pas le Gouvernement, il s'établirait autour de 600 millions d'euros - ce qui revient tout de même à quelque 121 euros par personne vaccinée - mais ces derniers jours, l'évaluation semblait être ramenée à 500 millions d'euros. Comment peut-on expliquer cette évolution ? Dispose-t-on d'éléments permettant de confirmer ce chiffrage ?
a répondu qu'il ne disposait pas de tels éléments et a souligné la difficulté de chiffrer les coûts de la campagne. Prend-on en compte les seuls coûts directs, ou les coûts directs et indirects, et que doit-on inclure dans ces derniers ? Avant d'apprécier un chiffrage, il faut d'abord s'interroger sur la méthodologie de la construction du coût. Par exemple, va-t-on prendre en compte les consultations chez les généralistes causées par la grippe ? On devrait le faire si l'on voulait comparer les coûts de la vaccination saisonnière avec ceux de la vaccination pandémique. Il serait d'ailleurs très intéressant de pouvoir apprécier le « surcoût » réel de la grippe pandémique, mais aussi de comparer l'impact, en matière de morbi-mortalité, de la grippe saisonnière et de la grippe pandémique, ce qui est aussi très difficile. On ne connaît pas, par exemple, le nombre de cas de grippe : les estimations du nombre de personnes atteintes par le virus varient de un à trois. On ne connaît que le nombre des personnes vaccinées. Il est même difficile d'évaluer le nombre des décès : lors de la canicule, on a recensé quelque 15 000 décès pendant l'été, et puis on s'est aperçu que sur l'année, on n'observait pas une surmortalité correspondante, ce qui signifie que beaucoup des personnes victimes de la canicule, qui étaient par ailleurs très âgées et en très mauvaise santé, seraient sans doute décédées dans l'année. Peut-on comparer le nombre des décès imputés à la grippe H1N1 avec celui des morts dus à la grippe saisonnière, pour lesquels on avance des chiffres de l'ordre de 3 500 à 5 000 décès par an ?
a fait observer que les estimations de décès dus à la grippe saisonnière sont très imprécises - le nombre des décès réellement causés par la grippe serait en fait de l'ordre de cinq cents par an. En revanche, il semble que, pour la première fois, dans le cas de la grippe H1N1, on ait dénombré de façon plus rigoureuse les décès causés par la grippe.
Excusant l'absence M. Alain Milon, rapporteur, empêché, M. François Autain, président, a indiqué qu'il poserait certaines questions en son nom et a, en premier lieu, demandé quelles étaient les raisons du décalage entre la vision un peu catastrophiste des autorités sanitaires et de la communauté scientifique, et la perception, plus proche de la réalité, qu'avaient eu de la grippe les professionnels de santé, la population - ou certains spécialistes en économie de la santé.
a indiqué avoir déjà en partie répondu à cette question en soulignant que les décideurs, et ceux qui les conseillent, sont incités à privilégier la logique du moindre risque, ou du risque zéro. Ceux qui voient les choses de l'extérieur, qui observent la réalité objective, qui n'ont pas de décision à prendre, n'ont pas la même vision : les généralistes de Nouvelle-Calédonie ont ainsi observé que l'on soignait très bien la grippe H1N1 avec du paracétamol. Ce décalage n'est pas très sain, ni normal, mais il est compréhensible.
se référant à l'interview de M. Mathias Matallah dans « les Echos », a ensuite souhaité savoir dans quelle mesure il estimait que les moyens financiers déployés par le Gouvernement pour la gestion de la pandémie grippale avaient été disproportionnés.
a considéré que cette question renvoyait aussi à celle de la perception de la crise. Pour ceux qui ont pris les décisions, à l'origine, ils ne l'étaient pas, parce qu'ils estimaient qu'il ne fallait pas courir de risque : il convenait donc de prendre toutes les mesures, y compris des mesures très coûteuses, pour éviter la probabilité, même minime, que les choses se passent mal.
a demandé si cela voulait dire que les décideurs auraient cherché à se protéger eux-mêmes plutôt qu'à protéger la population.
a répondu qu'en protégeant la population ils se protégeaient eux-mêmes. Il est logique que les autorités veuillent protéger la population, c'est dans leur rôle, et c'est là-dessus qu'ils sont jugés.
a remarqué qu'il s'était avéré que cette protection n'était pas nécessaire.
est convenu qu'après coup on pouvait dire que le dispositif prévu qui, à la limite, aurait été approprié si « les choses avaient mal tourné », apparaissait disproportionné puisque l'on n'avait pas eu la pandémie annoncée. Cela peut être choquant d'un point de vue économique, et en termes d'utilisation des dépenses publiques, surtout au moment où les déficits de l'assurance maladie sont abyssaux. Mais, honnêtement, il est difficile de savoir ce que l'on aurait fait si l'on avait eu à décider : ainsi, a-t-il relevé, il est facile pour lui, qui n'est pas un décideur, qui ne conseille pas les décideurs, d'être lucide et d'avoir du recul.
en a conclu qu'il ne reprochait pas au Gouvernement d'avoir fait preuve de pusillanimité.
a confirmé qu'il ne trouverait pas honnête de le faire.
lui a alors demandé comment il qualifiait l'attitude du gouvernement polonais. A-t-elle été courageuse ? Inconsciente ?
a noté qu'il n'y avait pas eu en Pologne d'affaire du sang contaminé. Il a également observé, rappelant les énormes manchettes qui, en France, annonçaient chaque décès dû à la grippe - même dans le cas de personnes présentant des facteurs de risques aggravés - que l'importance attachée à la vie humaine peut différer selon les pays, en fonction notamment de leur degré de richesse. Pressé de répondre, il a conclu que, de son point de vue, la décision du gouvernement polonais avait été courageuse : il a fait ce qu'il fallait faire. Cependant, le gouvernement français n'aurait pu agir de même car il aurait été désavoué par l'opinion, même si aujourd'hui on lui reproche d'en avoir trop fait.
Il a ajouté qu'il ne fallait peut-être pas se focaliser sur les problèmes financiers liés aux commandes excessives de vaccins. Deux autres éléments sont en fait beaucoup plus importants.
Le premier est le choix de vacciner l'ensemble de la population, qui était techniquement très contestable, puisqu'on a réalisé qu'il n'était pas possible de le faire. On s'est donc engagé dans un processus qui n'était pas réaliste.
Le second est l'organisation aberrante de la campagne de vaccination. On a construit un système qui n'était pas populaire, qui était contraignant, et on a eu tort d'écarter les médecins généralistes.
Il est donc très heureux qu'il n'y ait pas eu de vraie pandémie car, sinon, on ne sait pas comment on aurait fait. Le vrai problème est là et il y a deux enseignements qu'il faut tirer de cette expérience : il faut peut-être essayer de mieux prendre la mesure des risques, mais il faut surtout s'efforcer d'organiser des processus opératoires.
Rétrospectivement, ce qui peut faire peur, c'est de penser à ce qui serait arrivé si la situation avait réellement été grave.
a demandé si M. Mathias Matallah jugeait cependant que le Gouvernement avait bien fait de commander autant de vaccins.
a précisé qu'il jugeait le choix de la prudence compréhensible et logique. Fallait-il pour autant décider de vacciner tout le monde ? Sans doute pas. Fallait-il acheter autant de vaccins ? Il y avait aussi la question de savoir s'il fallait deux doses pour chaque vaccination : mais elle est plutôt du ressort d'experts. Fallait-il surtout monter un dispositif qui en fait n'a pas permis de vacciner grand-monde ? Là aussi, on est en droit de se poser des questions.
a noté que le fait de commander un grand nombre de vaccins sans se doter des instruments permettant de les administrer s'analysait comme une absence de prévision de la part du Gouvernement. A moins que, comme les laboratoires, il n'ait pas cru qu'il aurait besoin d'autant de vaccins.
a souligné que la leçon la plus inquiétante à tirer, c'est que l'on n'était en fait pas du tout préparé à faire face à une vraie pandémie : il convient donc de se préparer à celle qui arrivera forcément un jour ou l'autre.
a fait remarquer que l'on n'avait pas arrêté de se préparer. On ne s'était jamais autant préparé, on avait un plan « béton »...
a estimé qu'il était donc important, pour la suite, de savoir que l'on n'était pas si bien préparé, même si on pensait l'être, à ce type de phénomène, et qu'il faudrait « repenser » notre préparation.
rappelant que la ministre de la santé avait justifié l'importance des commandes de vaccins par le souci éthique de pouvoir proposer la vaccination à chacun, a demandé quelle place il fallait accorder à l'éthique dans la prise de telles décisions, notamment par rapport aux arguments sanitaires ou économiques. Il a également souhaité savoir comment M. Mathias Matallah expliquait les différences qu'il avait relevées en août 2009 entre les campagnes d'information sur la grippe au Royaume-Uni et en France, où elle lui avait paru beaucoup plus alarmiste.
a estimé qu'il était impossible de fonder une décision pouvant mettre des vies en jeu sur des arguments économiques. On ne pouvait pas dire, par exemple, que l'on priverait de l'accès à la vaccination, pour des raisons économiques, telle ou telle partie de la population qui présenterait des facteurs de risques. Sur ce point, la ministre avait raison. Mais c'est toujours le même débat : fallait-il commander 94 millions de doses pour répondre à cette exigence éthique ? Ce n'est pas démontré.
Quant à la différence de tonalité des campagnes d'information française et anglaise, elle tient sans doute, paradoxalement, au fait que, quelque opinion que l'on puisse avoir sur les différents systèmes de santé, le système britannique est beaucoup mieux à même de faire face à ce type de risque sanitaire. Le Royaume-Uni a en effet une médecine de premier recours d'excellente qualité. En 2003, la canicule n'a fait au Royaume-Uni que 500 victimes, et non 15 000 comme en France, parce que la médecine générale britannique a traité le problème très en amont. Nos voisins britanniques ont donc, plus que nous, le sentiment d'avoir la capacité de répondre à ce genre de situation.
a souhaité savoir quelle appréciation portait M. Mathias Matallah sur la possibilité de créer un « effet barrière » à la propagation d'une épidémie en vaccinant une certaine proportion de la population. Il a par ailleurs demandé des précisions sur la nature et l'activité du cabinet de conseil Jalma.
a tout d'abord indiqué que Jalma était une société de conseil privée spécialisée dans les questions relatives à la problématique du financement de la santé. Ses clients sont des organismes de sécurité sociale, des mutuelles, des institutions de prévoyance. Elle n'a aucun lien financier avec l'industrie pharmaceutique et ne compte pas non plus d'entreprises de ce secteur parmi ses clients.
Quant à savoir si l'on peut créer un effet barrière en vaccinant une partie de la population, M. Mathias Matallah, tout en rappelant qu'il n'était pas médecin, a exprimé des doutes sur la possibilité de calculer la proportion de la population à vacciner. Ne risque-t-on pas de le faire en s'appuyant sur des statistiques peu fiables, ou en tirant d'un modèle théorique des conclusions trop rapides ?
Pourrait-on, par exemple, en présence d'un virus très pathogène, prendre le risque de ne vacciner que 30 % de la population ? Il semblerait plus indiqué, en face d'un danger de pandémie grave, de s'attacher à définir la stratégie la plus efficace et de tenir compte, aussi, des attentes de la population.
a observé que l'expérience de la grippe H1N1 avait montré que la population n'avait pas semblé accepter volontiers la vaccination générale.
a fait valoir que cela s'expliquait par le fait que la population avait fait preuve de beaucoup de sang-froid parce qu'elle n'avait pas perçu de risque dans la réalité. Il n'y a pas eu de mouvement de panique, les cinémas étaient pleins. Les gens ne croyaient pas à la gravité de la pandémie - ce qui est aussi un sujet.
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